CONNOTATIONS CULTURELLES DANS LA PERSPECTIVE

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CONNOTATIONS CULTURELLES DANS LA PERSPECTIVE
STU DIA RO M A N ICA POSNAN1ENS1A
I I AM
Vol. 28
Poznań 2001
JOLANTA DYONIZIAK
Università Adam M ickiewicz h Poznań
CONNOTATIONS CULTURELLES DANS LA PERSPECTIVE
HUMBOLDTIENNE.
ÉTUDE COMPARATIVE DES UNITES PHRASÉOLOGIQUES DU
FRANęAIS ET DU POLONAIS
A b s tr a c t . D yoniziak Jolanta, Connotations culturelles dans la perspective humboldtienne. Étude
comparative des unites phraséologiques du franęais et du polonais [Cultural connotations in the Humboldtian perspective. Com parative study o f the French and Polish phraseological units]. Studia Romanica
Posnaniensia, Adam M ickiewicz University Press, Poznań, vol. XXVIII: 2001, pp. 23-33, ISBN 83-232-1144-2, ISSN 0137-2475.
The main idea of this article is to indicate the relation of language and culture through reference to Humboldtian philosophy of language and some linguistic theories which lake up this problem. The analysis
presented here deals with cultural connotations of idiomatic expressions and assum ing that languages are
representations that render the spirit of nations, it illustrates particular aspects of relationship between
language and culture, namely:
- placing expressions in the cultural specificity of particular communities,
- difficulties encountered while translating them into another language, which are connected with
differences in illustrating them (giving their picture).
Examples collected in the further part are to show a certain group of these idiomatic expressions which
are motivated immediately by social reality that is specific of either the Polish or the French nation.
1.
«Les langues sont des representations traduisant 1’esprit des peuples» (Gaudefroy-D em om bynes 1930, p. 84). Ce concept issu du dom aine de la philosophic de la
langue et dü à W ilhelm von H um boldt constitue notre point de depart dans l’analyse
com parative des connotations culturelles de deux langues: franęaise et polonaise.
Nous y insistons, car l’analyse en question requiert une approche com plexe de nature
sociolinguistique, ce qui nous sem ble bien intéressant.
H um boldt insiste sur une étroite liaison de la langue et de la culture. Sans entrer
dans les details, nous concevons cette dernière, après H um boldt, com m e I'action des
peuples. A utrem ent dit, la culture est une activité sim ultanee de tous les individus
d ’un mème groupe social et la langue est une creation qui en jaillit directem ent. Il
en suit que la langue relève de la pratique sociale, dite culture.
1.1.
L ’intérét pour la com plexité des influences de la culture sur la langue fut
d ’abord nettem ent accentué sur le cham p de la philosophic. Il faudrait y citer le nom
de Johann H erder, auteur des idées qui vont bien dans ce sens. Pour lui la langue
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n ’est pas seuleum ent un sim ple instrum ent de com m unication, m ais aussi une source
de savoir sur la culture d ’une nation qui parie cette langue. Dans la constatation que
la langue m aternelle constitue une accum ulation de savoir d ’une nation, conform e à
ses propres experiences, ses conditions et à son caractère particulier, H erder insiste
nettem ent sur l ’im portance de la culture dans la creation des com portem ents linguistiques au sein d ’une collectivité. Bref, suivant ses principes on pourrait dire que la
langue reflète la vie des nations, car elle en fait partie. L ’étude du réel méne aux
experiences com m unes qui s ’inscrivent dans la langue en tant que notions par une
form e linguistique appropriée (par un m ot ou un groupe de m ots com m e c ’est le cas
des unites phraséologiques) et sont transm ises aux generations suivantes (p.ex. en
tant que textes clichés: proverbes, mcucimes, sentences).
1.2.
Pourtant c ’est la théorie de W ilhelm von H um boldt qui a influencée beaucoup
plus la linguistique que la philosophie de la langue de Herder. Pour éviter de dire que
les idées de H um boldt sont une continuation pure de la conception de H erder, il faudrait plutòt constater une autre chose. N otam m ent, que H um boldt com m e d ’ailleurs
Herder, son contem porain, saisit la langue dans toute sa com plexité, c'est-à-dire non
seulem ent en tant que m oyen de com m unication, mais aussi com m e un phénom ène
social. La conception théorique de la langue chez les deux philosophes est analogue,
pour ne pas dire identique. C hacune de ces deux conceptions exprim e la com plexité
des phénom ènes en question, c ’est-à-dire de la langue et de la culture, et souligne
q u ’il est im possible de les com prendre à part. Il y a une étroite liaison entre la langue
et la culture à laquelle un groupe hum ain a accèdè au cours du tem ps. Chaqué col­
lectivité renferm e dans la langue son systèm e interprétatif de la réalité extralinguistique basé sur l’expérience propre de la vie sociale. Cette dernière entram e deux activités principales sim ultanees:
- le processus cognitif qui com prend la perception et la connaissance,
- la com m unication conęue com m e une expression de la connaissance acquise au
cours de sa perception et confrontée à tous les phénom ènes sociaux liés à cette col­
lectivité.
Dans cette perspective la langue parait com m e un phénom ène social com plexe,
indéniablem ent lié à l’histoire des civilisations; «Les langues sont soum ises à 1’action
des peuples à qui elles appartiennent, subissent leur influence et sont em preintes de
leur caractère particulier» (G audefroy-D em om bynes 1930, p. 22).
R obert G alisson, un linguiste contem porain, insiste ici sur le concept d ’identité
collective; « C ’est en tant que pratique sociale et produit socio-culturel que la langue
est toute pénétrée de culture. Le jeu de sym biose dans lequel fonctionnent langue et
culture fait q u ’elles sont le reflet reciproque et oblige Fune de l'autre» (Galisson
1991, p. 119).
Le fait que la langue fonctionne à l’intérieur d ’un groupe indépendant, dit nation,
pousse à ce q u ’elle fait partie de sa culture. Sa fonction peut ètre définie com m e la
m anifestatio n e x té rie u re d e l’esp ritd u peuple. Quoi q u ’il en soit, on a d m e tà l’histoire,
à la littérature, à la tradition, c ’est-à-dire à la culture le don de créer une certaine
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réalité extralinguistique dans laquelle fonctionne et com m unique une nation. En tant
que facteurs référenciels, ils agissent tous sur la langue et lui donne un lustre.
1.3. Il en résulte la deuxièm e conception de H um boldt, celle de la langue en tant
que force «génératrice»1 des nations. Selon H um boldt la langue jo u ait le ròle d ’identificateur collectif déjà à l’époque de la creation des com m unautés prim itives. Les
Slaves, par exem ple, nom m èrent leur voisin de l’ouest N iem iec, c ’est-à-dire, celui
qui ne com prend rien, qui ne parle pas slave. Il représentait pour eux une autre culture
qui différait prem ièrem ent de la leur par la langue. La garantie de 1' individualité col­
lective que la langue offre, est liée au fait q u ’elle constitue un élém ent de la pratique
sociale. Celle-ci diffère d ’une nation à l’autre. A utrem ent dit, les langues se diversifient d ’une m anière m anifeste. L eur form e est diverse autant q u ’est diverse la réalité
sociale des nations. N ’im porte quelle recherche sur ce phénom ène dém ontrerait que
la diversità des langues résulte, entre autres, de raisons historiques et sociales. L ’influence reciproque des facteurs référenciels com m e: histoire, tradition, culture d ’une
nation donnée est de grande im portance dans l’étude des langues, surtout sur le cham p
d ’investigation de l’ethnolinguistique. Les langues connotent de faęon differente tout
le savoir qui résulte de l’expérience cognitive des com m unautés linguistiques. On
aborde ici la notion de connotation sém antique qui avec la denotation constituent les
moyens linguistiques de l’organisation de la perception et de l'expression de la réalité
extralinguistique. «Les connotations sém antiques sont des signes (jugem ents, em o­
tions) qui sont associées aux designata des objets réels par l’ensem ble des sujets
parlants, et retenues dans certains faits linguistiques com m e m étaphores, derives,
phraséologism es»2 (Bartm iński 1999, p. 44). N otre intérét porte, vu l’objet de cet
article, sur les connotations culturelles qui se réfèrent à toute collecti vité linguistique,
et non seulem ent aux groupes qui la com posent com m e, par exem ple un m ilieu social
ou un individu (voir p.ex. les connotations stylistiques).
1.4. Les m écanism es connotatifs sont com plexes et ils constituent aujourd'hui un
champ d ’investigation indépendant dans le cadre de la sém antique de la connotation
(Kerbrat-O recchioni, 1977). Appelés valeurs additionnelles par B loom field, ou sursignification par M itterand, ils sont intrinsèques de la langue, ainsi que les m éca­
nismes dénotatifs auxquels ils sont liés. Le décryptage sém antique des unites linguis­
tiques com prend done une étude à deux niveaux: du contenu denotati!', c ’est-à-dire
des inform ations que véhicule cette unite et qui lui perm ettent d 'e n tre r en relation
avec un objet extralinguistique au cours des processus onom asiologique et sém asiologique; et du contenu connotatif, c ’est-à-dire des inform ations subsidiaires que cette
unite véhicule en plus. D ans cette perspective une unite lexicale telle que lion cum ule
deux sortes de valeurs sém antiques:
1 Génératrice, c ’est-à-dirc celle qui amène à la creation d ’idenlité collcctive.
2 Notre traduction.
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-d e n o ta tiv e , qui evoque un animal défini com m e un grand m am m ifere carnivore,
un félin à pelage fauve vivant en A frique et en Asie;
connotative, qui véhicule l’idée de la puissance et du courage selon les expres­
sions qui suivent:
1) se battre (se défendre) cornine un lion — «se battre, se défendre avec fougue,
courageusem ent», p o i bronić się, w alczyć ja k lew ,
2) cceur du lion —«grand courage» pol. lwie serce,
3) fa m . bouffer (m anger) du lion —«¿tre agressif, m anifester une certaine volonté
de com batiré»,
4) la p a rt de lion - «la plus grosse part» pol. lwia część,
5) un lion —«personne courageuse, brave»,
6) odważny, silny ja k lew,
7) lew się w kim budzi - «ktoś staje się odw ażny»,
8) iść, w łazić w paszczę lwa - «iść w najbardziej niebezpieczne miejsce».
La connotation évoquée n’est q u ’un rajout sém antique qui relève de la perception
collective de la réalité objective propre, entre autres, aux cultures européennes. Ces
connotations, appelées sym boliques, qui réfèrent aux objets extralinguistiques (chien
-fid é lité , n o ir - d e u il, etc.) ont la proprietà d ’etre en generai partagées par l’ensem ble
de la com m unauté. E t parfois, par elle seule, ces associations sont souvent conventionnelles. A insi, c ’est le blanc qui dans certaines civilisations sym bolise le deuil
(K erbrat-O recchioni 1977, p. 119). L ’exem ple précité va avec la thèse que chaqué
langue renferm e une vision particulière du m onde parce q u 'elle recouvre la connaissance com m une à une organisation sociale. Tout systèm e représente à sa faęon l’univers qui l’entoure, chaqué langue ayant une modalità qui lui est propre pour le
percevoir et pour le representen La thèse en question a été développée dans la linguistique en raison des recherches de W horf et Sapir. W horf dem ontre q u ’il n ’existent
pas deux langues qui se ressem blent ju sq u ’au point d ’exprim er la mèm e réalité so­
ciale. Les réalités dans lesquelles vivent differentes nations sont des réalités à part.
C ’est principalem ent dans les mots que se reflète la com plexité et l’originalité de
chaqué vie collective. R obert G alisson évoque le problèm e posé dans la mèm e optique socio-culturelle. Selon lui, chaqué langue dispose d ’un appareil de sym bolism e
référentiel qui vient de la vie sociale et qui perm et la consolidation d ’une société.
Il en va de m ém e que la langue et la culture sont des phénom ènes entre lesquels
s ’établissent des relations reciproques com plexes. La langue ne fonctionne q u ’à 1’intérieur d ’une culture qui constitue pour lui un ensem ble des référents extralinguisti­
ques. A insi la langue peut-elle étre porteur d ’identité des nations.
Essayons m aintenant d ’analyser les faits attestés ju sq u ’á present dans le materiel
linguistique. Le but du present article est de trouver les rem iniscences de la culture
m aternelle dans la phraséologie à l’exem ple des unites phraséologiques franęaises et
polonaises. N ous avons choisi d ’étudier les connotations culturelles dans les unites
phraséologiques, car ces derniéres sem blent en étre une source inépuisable.
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2.
Les expressions idiom atiques d 'u n e langue posent beaucoup de problèm es aux
apprenants.
2.1. D ’abord, parce que d ’habitude ces associations de deux ou de plusieurs mots,
entièrem ent figées prennent un sens nouveau, different du sens de ses constituants.
II en suit q u ’il est im possible de les traduire littéralem ent. Elies se privent du sens
propre des elem ents com posants et fonctionnent dans la langue com m e un tout sémantique à part, com m e dans les exem ples qui sui vent:
ju s de chaussette - «m auvais café», pol. lu ra ,
v if argent - «personne très agitée, tres a ctive», pol. żywe srebro,
patte d ’oie - «les petites rides divergentes à l ’cingle externe de l ’asil», pol. kurze
łapki,
lune de m iel - «les prem iers tem ps (littéralem ent le prem ier m ois) du m ariage»,
poi. m iodowy m iesiąc.
2.2. Ensuite, nom bre d ’expressions idiom atiques contiennent une valeur sém antique qui peut étre considérée globalem ent com m e spécifique d ’une langue. Elle ressort ipso facto à ce q u ’il est convenu d ’appeler la culture et est conséquem m ent empreignée de sa spéci fi té.
peigner la girafe - «J'aire un travail inutile», equivalent pol. wozić wodę do monja,
m erle blanc - «objet introuvable ou d ’une extrém e rareté», pol. biały kruk,
une paren te à la m ode de Bretagne - «une parente lointaine entre deux personnes, une relation lointaine entre deux choses», equivalent pol. p.ex. dziesiąta wo­
da p o kisielu,
tom ber de C harybda en Scylla - «échapper à un inconvenient, un danger, etc.;
pour tom ber dans un autre p lu s grave», equivalent poi. w padać z deszczu p o d rynnę.
Les exem ples ci-dessus font voir que le sens des locutions peut ètre identique
dans deux langues differentes, tandis que les m étaphores qui les fondent sém antiquement ne sont pas forcém ent les mèmes. A utrem ent dit, le sym bolism e référentiel pour
le polonais et le franęais n 'e st pas toujours analogue.
2.3. Enfin, les locutions figurées sont im possibles à traduire mot à mot parce
qu’elles sont chargées d ’im plicites culturéis ju sq u ’à ce q u ’elles n ’aient pas d ’équivalents dans une autre langue. Elles présentent un systèm e des particularités expressives, liées aux conditions sociales dans lesquelles la langue est actualisée, c ’est-àdire à des usages. «Elles sont fixées, traditionnelles et surtout caractéristiques (...)
d ’un état de la société». (Rey, C hantreau 1993, preface). Il faut adm ettre que toute
experience collective sert de point d ’ancrage à des locutions figurées qui, à leur tour,
créditent cette experience de charges que tout natif m obilise au contact du mot qui
se réfère à cette experience. A utrem ent dit, nom bre d ’unités phraséologiques prennent
naissance d ’une im age, d ’une m étaphore, d ’un glissem ent de sens qui a lieu dans un
contexte socio-culturel determ iné. Elles en sont m otivées, nous allons le voir dans la
partie qui suit.
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Les locutions figurées sont difficiles à com prendre pour les non-natifs d ’une lan­
gue parce que leur com prehension exige la mise en oeuvre d ’un certain savoir extra­
linguistique sur la nation qui parle cette langue. Selon Renata G rzegorczykow a, la
difficulté principale dans la com m unication entre les gens ne vient pas tellem ent de
differences au niveau des systèm es linguistiques, mais surtout des divergences au
niveau des experiences et des convictions des sujets parlants (Bartm iński 1999,
p. 46). Si on se réfère à la situation de com m unication entre deux personnes de nations
differentes, il est à adm ettre que les connotations culturelles motivées par un certain
ensem ble d ’expériences collectives, c ’est-à-dire par l ’histoire, les faits de civilisation,
la tradition littéraire, les stereotypes sociaux, etc., peuvent em pécher la com prehen­
sion. B ien que les com m unautés européennes vivent dans des environnem ents phy­
siques et sociaux à peu près sim ilaires, elles détiennent à chaqué fois une certaine
identité culturelle qui s ’enferm e dans leur langue. V oilà pourquoi les langues ne représentent pas uniquem ent des differences au niveau phonétique, mais aussi, ce qui
est beaucoup plus com plexe, au niveau sém antique. Dans differentes collectivités, il
existe diverses m otivations sém antiques de la perception de la réalité. La personne
qui désire apprendre une langue doit s ’en rendre com pte. A voir une com petence en
langue étrangère, cela signifie connaítre des com portem ents sociaux de la nation qui
parle cette langue et participer la culture, bien q u ’elle nous soit étrangère. La liaison
entre la langue et la culture est indissoluble à tel point q u ’on ne peut plus parler de
deux phénom ènes à part, m ais d ’un seul.
2.4.
E ssayons de presenter les idees décrites ci-dessus en form e de schèma, avant
de passer à la partie pragm atique.
PRATIQUE DE LA LANGUE
OBJET (RÉALITE EXTRALINGU ISTIQ UE) <- REFÉRENT ---------------------------------
T
PERCEPTION: (CATEGORISATION -> STRUCTURE CONCEPTUELLE (NOTION))
(chaqué langue donne au monde extérieur une forme, le découpe à sa maniere)
i
ENONCIATION: VERBALISATION
i
SIGNE LINGUISTIQUE
mémoire
Albertrandy
(structure conceptuelle)
(un fait social, un historien
qui avait une bonne mémoire)
-------------------------
------------------ » mémoire d’Albertrandy
(experience collective de la réalité ini­
pose la faęon de l’organiser et de l’adapter) L ’expression devient significative
lorsqu’on connaìt la connotation qualita­
tive de «bon», qui est une connotation cul­
turelle.
Connotations culturelles dans la perspective humboldtienne
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3.
Dans notre présente analyse nous nous appuyons sur les recueils suivants: pour
le franęais - D ictionnaire des expressions et locutions de Rey et Chantereau; pour le
polonais - Słownik frazeologiczny języka polskiego de Skorupka et un ouvrage de
Krzyżanowski intitulé M ądrej głow ie do ść dw ie słowie. Nous n ’avons choisi que certaines expressions idiom atiques parmi un très grand nom bre de celles-ci, notam m ent
celles qui se rapportent à une réalité socio-culturelle propre à la nation polonaise et
franęaise. N ous les avons mis en groupes selon l’origine de leur valeur connotative.
L ’étude des unites phraséologiques que nous trouvons dans les sources citées cidessus m ontre indéniablem ent la liaison de la langue et de la culture. Leur origine
peut se référer, entre autres, aux:
3.1. personnages historiques
coup de Jarnac - «attaque perfide», p a r allusion à la celebre botte du chevalier
Jarnac qui tua en duel la C hàtaigneraie en 1547;
vx. adroit com m e un prètre norm and - «très m aladroit». L ’expression résulte
d ’un je u de m ots sur l ’a d je c tif gaucher, avec ses connotations péjoratives de m al­
adroit et de saint G audier, évéque norm and du X T s.;
p o leg a ćja k na Zaw iszy - «ètre sur de quelqu ’un, ne douter de rien». L ’expression
vient du nom de Zaw isza Czarny de G rabowo qui lutta à G runw ald contrę les che­
valiers Teutoniques, connu dans toute VEurope com m e chevalier sans p e u r et sans
reproche;
p a m ię ć ja k u A lbertrandego - «une excellente mémoire». Albertrandy Jan ( 17321808) historien, connu p o u r sa bonne mémoire',
wyjść ja k Z abłocki na m ydle - «rater son affaire, subir une p e rt e d ’un avantage
p.ex. financier». L 'expression vient du nom d ’un m archand qui transporta p a r la
Vistule, des cargaisons de savon, soit m al chargées, soit cachees au-dessous des car­
gos pour éviter de p a yer la donane;
Bism arck w spódnicy - «fe m m e énergic/ue qui exerce I ’autorità, qui dom ine sur
d'autres». L 'expression vient du nom de Otto von Bismarck, hom m e d ’état prussien
(1815 - 1898), qui pratiqua une politique très autoritaire.;
duży ja k Łokietek - «doni la hauteur, la tedile est inférieure à la moyenne». L ’ex ­
pression vient du nom de roi polonais, Ladislas Ier Łokietek de la dynastie des Piast
qui était de très petite taille.
3.2. H istoires des contacts internationaux
auberge espagnole - «lieu, et fig ., situation, où l ’on ne trouve que ce q u ’on a
soi-mème apporté». L ’expression vient d ’une com paraison avec les auberges d ’Espagne, où selon les voyageurs venus du Nord, il était recommcindé d ’apporter de
quoi m anger et boire, si l ’on ne voulait pa s ètre réduit à la portion congrue;
c ’est de l ’allem an d (du haut allem and) - « c ’est incom prehensible». A llusion à
l ’écriture gothique; p lu s q u ’aux difficultés d ’une langue parlée ( c ’est du chinois, de
l ’hébreu, et de l ’algebre);
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J. D y o n iziak
fa ire batir les chateaux en E spagne - «projets chiméricjues et irréalisables»,
l ’Espagne f u t un pays qui subit de m ultiples evasions des Maures, grands ravageurs;
gru ba B erta - «fem m e grosse», du noni du m ortier de 422 mm, dont les Allem ands
se sont servi p en d a n t la Prem ière G uerre mondiale',
cygańskie kupno (targ, p ra ca ) - «voi». Les Tziganes, peuple nom ade avail une
m auvaise renom m ée en Pologne p a r le fa it q u 'ils avaient de I ’inclination à voler,
tyle, co Szw edów — «beaucoup». A llusion historique à I ’invasion des Suédois,
connue sous le nom de D éluge suédois, qui eut lieu en Pologne au X V Ile s. ;
fo r t com m e un Ture — «doué d ’une grande vigueur physique». Le Ture depuis
les C roisades sym bolisait l ’ennem i brutal',
goły ja k św ięty turecki - «très pauvre». Allusion aux derviches, religieux musulm ans à m oitié nus, qui fr a p p è rent d ’étonnem ent les pèlerins chrétiens se dirigant à
Jerusalem ;
ivre com m e un P olonais - «com plètem ent sotìl». Reference aux soldats polonais,
m ercenaires appréciés sous l ’Ancien Regime, puis après les guerres de l ’Empire.
• Les quatre dernières locutions contiennent une com paraison. Un Polonais, un
Ture, św ięty turecki est un m odéle représentant d ’une certaine catégorie d ’état
(ivresse, force physique, pauvreté).
Ivre com m e un Polonais. c ’est-à-dire très ivre prend toute sa signification lorsq u ’on connait sa connotation quantitative de «très» qui est une connotation culturelle.
Cette locution assigne aux Polonais de faęon bien stéréotypée le goùt excessif pour
l’alcool. Les locutions contenant une com paraison ont d ’habitude un caractère ste­
reotype.
3.3. Institutions historiques
A kadem ia Sm orgońska - «école supérieure qui ne garantii aucune form ation»,
connotation qualitative du nom de l ’établissem ent de dressage des ours en Lituanie;
A kadem ik Sm orgoński - «hom m e grossier»-,
fa c e d ’abbé - «visage rubicon» ( X V I - X V ll e s.). La reputation des titulaires d ’abbaye, prosperes et enviés, était à l'époque classique un in te n sifp a r rapport à celles
des m oines;
table d ’a bbé - «table où l ’on m ange bien» (XVI - X V IF s.). Le m ot abbé, dans
la langue classique, évoquait le prem ier personnage d ’une abbaye, et jo ig n a it l ’idée
d ’importance, de richesse, à celle de «bon vivant» attachée à moine.
3.4. A ctivité littéraire
a ccom m oder de toutes pieces - «d écrier quelqu 'un systématiquement, en m édire
de toutes les faęons». L ’expression p la isa it à M olière; elle est dans « L 'Avare», dans
« L ’École des fem m es», dans «G eorge D andin»;
Ce n ’est p a s le Pérou - «ce n ’est p a s une source considerable, une fortune, un
gain enorme», Le Pérou dans la m ythologie du p rem ier colonialism e espagnol est la
terre de l'or; la pauvreté réelle du pays suscite des réem plois géographiques et ironiques\
Connotations culturelles dans la perspective liwnboldtienne
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Com m ent peu t-on ètre persan ? - la cèlebre fo rm u le de M ontesquieu (Lettres
persanes) est souvent rappelée p o u r sim uler un étonnem ent n a if souvent fa u te u r de
xénophobie, à propos d ’une personne dont l ’origine, le com portem ent, les activités
sont étrangères au groupe social;
fie r com m e A rtaban - «très fier» . A rtaban est le nom de plusieurs rois parthes
de la dynastie des Arsacides, m ais ce n ’est pcis l ’histoire du Proche-O rient, ni la
personnalité de l ’un de ces rois qui a donne naissance à I ’expression. Celle-ci est
d ’origine littéraire, le fie r Artaban est un personnage im portant de ¡’im m ense roman
historique de G autier de la Calprenède, intitulé Cléopàtre;
la perfide A lbion - « l’Angleterre». La rhétorique politique du X V II1' siècle asso­
ciali volontiers à l ’A ngleterre l ’a d je c tif perfide (Mine de Sévigné, Bossuet);
fam . laisse beton - «laisse tomber, abandonne». Form ule répandue p a r une ch a n ­
son de R enaud ( 1977)',
p le ść banialuki - «dire des bètises, raconter des balivernes». A l'origine de cette
locution est un conte de fé e s de H. M orsztyn, intitulé H istorya ucieszna o zacnej
królewnie Banialuce w schodniej krainy,
zaw racać kom u ś gitarą - «fatiguer quelqu ’un p a r ses paroles, lui raconter des
mensonges». Expression répandue p a r la chanson de cabaret, intitulée: W szystkie
rybki śpią w jeziorze.
3.5. Faits de civilisation
vx apothicaire sans sucre - «celui qui ne possède rien de ce qui est nécessaire
pour exercer sa profession» (fin X V I1' s.). Jusqu ’au règne de Louis XIII, les apothicaires avaient le m onopole de la vente du sucre, denrée encore très rare;
bas de laine - «economies». A u XI Xe s., les p a y sans franęciis avaient la reputation
de garder leurs econom ies - notam m ent en pieces d ’o r - dans des bas de laine;
fam . aux abonnés absents - renforcem ent plaisant de absent p a r allusion à un
service - a u jo u rd ’hui disparu - des telephones. S ’em ploie p o u r «parti, évanoui, inconscient» (sous l ’ejfet de l ’alcool, de la fatigue, etc.), dans rester, ètre, p a sser aux
abonnés absents;
baiser Lam ourette —«reconciliation éphém ère». A llusion à une anecdote p o liti­
que de la Revolution (le depute Lam ourette avait patronné une reconciliation gené­
rale à l ’A ssem blée legislative, en 1792, et les am bassades des adversaires n 'avaient
eu aucune suite;
les discussions de café du Com m erce - «vaines et ridicules en politique», nom
assez freq u en t de café, brasseries, etc., devenu le sym bole du lieu de reunion où la
petite bourgeoisie parle de la politique;
écliappé de Charenton (variante: bon p o u r Charenton) - «fou», Charenton est
un ancien asile de fo u s;
m entir com m e un arracheur de dents - «ejfrontément», com m e les dentistes qui
autrefois, sur les places publiques et dans les foires, offraient leurs services aux
volontaires et prétendaient, p o u r attirer la clientèle que / ’operation serait indolore;
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J. D yoniziak
arbuza d ostać (dać), d ostać (dać) czarną polew kę - «en disant d ’une fem m e:
refuser un p rétendant à la main, repousser ses galanteries». Une habitude d ’offrir
de la pastèque, ou de la soupe au sang de volatile au prétendant à la main d ’une
fd le à m arier vient d ’Ukraine et de Podolie. La noblesse la contracta des m ilieux
populaires. Les parents des filie s à m arier s ’en servirent p o u r repousser des prétendants im portuns;
w paść ja k p o ogień —«ne p a s rester longtem ps en un lieu, avoir de la hàte, étre
bien presse». Les m otivations historiques de cette expression sont bien intéressantes:
il s ’a g it d ’une pratique ancienne des cam pagnards du temps où les allum ettes n ’étaient p as encore en usage et le m atin quand le fe u se f u t éteint, il fa lla it aller le
chercher d ie z les voisins;
fam. oddać kogo do czubków (uciekł do czubków ) - «se dit des persom ies atteintes de troubles mentaux, aliénées, folies». Reference à l'ordre appelé en Pologne
Bonifracia, qui au X V Ie s. s ’occupèrent du traitem ent des fous;
d rzeć ze so b ą koty — «se cham ailler, a voir m aille à p a rtir avec qqn». Selon
K rzyżanow ski a l ’origine de cette expression était un je u athlétique appelé Kocury,
qui consistali à fa ir e làclier à son adversaire un grand cube de bois;
p su na budę - «pour un resultai nul, p o u r rien, cela ne vaut rien». Une belle
m étaphore issue de la cour de fe rm e où les p a y scms «bàclaient» la niche de planches
déjà pourries ou de quelques ram ures avec un pen de paille. Une construction si
provisoire n ’était p a s toujours p o u r le chien un abri suffisant contre la pluie.
3.6.
M ém e si les expressions idiom atiques de deux langues differentes possèdent
la m ém e origine culturelle, par exem ple, la Bible, il convient de noter que la specia­
lisation sém antique postérieure de ces unites peut procèder de faęon indépendante
dans deux systèm es linguistiques et am ener, soit à l’oubli de la motivation d ’origine,
soit à un déplacem ent sensible envers la reference étym ologique. La motivation sé­
m antique des unites phraséologiques peut varier en fonction d ’usage dans le contexte
socio-culturel:
p.ex. a ller chez A braham —«mourir», locution issue de la Bible qui garde toujo u rs la m otivation biblique;
poi. iść na kw aśne p iw k o do A bram ka - «mourir», expression m otivée pa r la
réalité polonaise du XVI'' s. Le prénom Abraham, autrefois très souvent rencontre
dans les m ilieux chrétiens, ne fo n ctio n n e plus que chez Ies Juifs, propriétaires des
auberges, où ils vendaient de la bière de fa ib le qualité.
C om m e nous l’avons pu voir, les unites phraséologiques sont profondém ent enracinées dans la tradition socio-culturelle des nations. Elles sont chargées d ’implicites
culturéis que nous avons appelés connotations culturelles. Elles dém ontrent à quel
point les réalités sociales ne sont pas equivalentes. La langue est un fait social, elle
tire sa substance des dom aines d ’expérience sociale qui constitue le dénom inateur
com m un des connaissances indispensables pour que s ’instaure l’échange entre individus.
Connotations culturelles dans la perspective humboldtienne
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