A pas conscients, l`être amené à la présence

Transcription

A pas conscients, l`être amené à la présence
Gaël Jean-Claude GERARD
« A pas conscients,
l'être amené à la présence »
*
approche de la gestalt-thérapie
janvier 2010
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« En tant qu’il est le fondement,
l’être amène l’étant
à son séjour dans la présence.
La présentation qui lui est propre
consiste en ceci
qu’elle fait ressortir,
dans son état de présence,
tout ce qui, à chaque fois et à sa manière,
est déjà présent ».
Heidegger
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La gestalt-thérapie
est une psychothérapie de la
relation, qui est une
posture, une théorie et une
pratique.
C’est une posture, parce qu’elle se caractérise par une écoute
ouverte et lucide, un accueil dispos et vigilant, une
acceptation de ce qui est là, une réceptivité fondée sur la
prise en compte de la personne au travers de ses capacités
sensori-motrices, de ses émotions et de ses pensées.
C’est une théorie, bâtie à partir d’acquisitions en sciences
humaines faisant autorité en matière de psychologie, rassemblées
en un corps cohérent, et orientées vers une meilleure
connaissance de soi dans une perspective globale de croissance
de la personne qu’on ne saurait isoler du monde dans lequel elle
se situe.
C’est une pratique qui, par la mise en place d’expérimentations,
amène la personne à être consciente de la manière dont elle se
comporte dans la vie de tous les jours, à être actrice
intentionnelle et impliquée vers davantage d’ajustements
pertinents avec l’environnement, et à parfaire son unité.
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C'est aussi un chemin de vie
par l'exigence éthique qui la sous-tend
et son anthropologie qui l'oriente vers le grandir de l'être.
Plan de l’exposé
1 . Introduction
1.1 – Signification du mot gestalt
1.2 – Origine/historique de la gestalt-thérapie
1.3 – Présentation générale de la méthode de la gestalt-thérapie
1.4 – L’ici et maintenant
2. La gestalt-thérapie est une posture fondée sur la
vigilance
2.1 – l’awareness : connaissance immédiate et implicite du champ
2.2 – la vigilance est une ascèse
2.3 - l'observation abstraite
2.4 – l’awareness est une situation de création artistique
2.5 – l’awareness est organisée selon le principe de dominance
2.6 – la voie moyenne de l’awareness
3. La gestalt-thérapie est une théorie
3.1 – les bases de la gestalt-thérapie
3.1.1 – la phénoménologie
3.1.1.1 – l’injonction
3.1.1.2 – la conscience
3.1.1.3 – le temps
3.1.1.4 – le corps
3.1.1.5 – de la phénoménologie s’originent des points
fondamentaux de la théorie du self
3.1.1.6 – les apports de la phénoménologie à
la gestalt-thérapie
3.1.2 – l’apport de la gestalt-psychologie
3.1.2.1 – le processus figure/fond
3.1.2.2 – de la gestalt inachevée à la recherche
de la bonne forme
3.1.3 – l’apport de la psychanalyse
3.1.3.1 – l’histoire en temps que fond
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3.1.3.2 – l’introjection
3.1.3.3 – le transfert
3.2 – la gestalt-thérapie est la théorie du self
3.2.1 – définition du « self »
3.2.2 – le cycle du contact
3.2.2.1 – le pré-contact
3.2.2.2 – la mise en contact
3.2.2.3 – le post-contact
3.2.2.4 – le contact final
3.2.3 – les trois fonctions du « self »
3.2.3.1 – la fonction ça
3.2.3.2 – la fonction personnalité
3.2.3.3 – la fonction moi
3.2.4 – les mécanismes d’interruption du cycle du contact
3.2.4.1 – la confluence
3.2.4.2 – l’introjection
3.2.4.3 – la projection
3.2.4.4 – la rétroflexion
3.2.4.5 – la déflexion
3.2.5 – l’agressivité créatrice
3.2.6 – le contact et la frontière-contact
3.2.7 – corps, émotion, mental
3.2.7.1 – le corps et la physiologie
3.2.7.2 – l’émotion
3.2.7.3 – le mental
3.3 – la théorie du champ, du contact à la relation
3.3.1 – le champ c’est l’interaction entre l’organisme
et l’environnement
3.3.2 – contact et relation
3.3.3 – quelques grands principes de la théorie du champ
3.3.3.1 – du principe d’organisation
3.3.3.2 – dans le principe de contemporanéité
3.3.3.3 – le principe de singularité
3.3.3.4 – le processus sans cesse en mouvement
3.3.3.5 – selon le principe du rapport pertinent
4. L’expérimentation, le moteur agissant de la relation
gestalt-thérapeutique
4.1
4.2
4.3
4.4
4.5
4.6
4.7
– « expérience » vient du latin « experire », essayer
- c’est la mise en actes des propos tenus par le patient
– les différents ordres d’expérimentation
– les difficultés de l’expérimentation
– la posture du « psychothérapeute-expérimentant »
– au cœur de l’expérimentation, la situation d’urgence
– les exercices ou « outils »
5
4.7.1 – leur utilisation
4.7.2 – la trousse à outils
4.8 - le travail avec les émotions
4.8.1 – la conscience immédiate de l’expérience émotionnelle
4.8.2 – définition de l’émotionnel
4.8.3 – dans les approches centrées sur la personne
4.8.4 – dans la théorie de la thérapie centrée sur la personne
4.8.5 – évaluation de l’émotion
4.8.5.1 – les émotions primaires
4.8.5.2 – les émotions secondaires
4.8.5.3 – les émotions instrumentales
4.8.5.4 – les émotions mal adaptatives
4.9 – le travail avec les rêves
4.10 – le travail corporel
4.11 – la rencontre thérapeutique
4.12 – quelques éléments fondamentaux de la pratique de la gestalt-thérapie
5. La gestalt-thérapie est aussi un chemin de vie
5.1 – la quête du bonheur
5.2 – le retournement
6. Conclusion : avec la gestalt-thérapie la relation
thérapeutique est une relation engagée
Bibliographie
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1. Introduction
1.1 - Signification du mot gestalt
Gestalt, prononcez « guèch-talt »
C’est un mot allemand qui vient du verbe gestalten, qui signifie « modeler, mettre en
forme, donner une structure signifiante.
Pour simplifier, on appelle gestalt, une forme, qu'il s'agisse, d'un paysage, d’une
expérience, d’un morceau d’histoire de notre propre vie.
1.2 . Origine / Historique de la gestalt-thérapie
La gestalt-thérapie est une approche psychothérapeutique qui a commencé à être
élaborée par Fréderik S. Perls aux environs des années 1942. Grâce à la collaboration
d’une équipe new-yorkaise constituée en particulier de Laura Perls et de Paul
Goodman, les bases théoriques de la méthode sont établies en 1951 sur les fondements
de la gestaltpsychologie, les recherches psychanalytiques (Freud, Ferenczi, O. Rank,
W. Reich …), phénoménologiques et existentielles.
Elle a été introduite en France dans les années 70 et répond à une demande de
psychothérapie dite humaniste qui prend en compte l’être humain dans toutes ses
dimensions, affective, corporelle, intellectuelle, spirituelle ...
1.3 - Présentation générale de la méthode de la gestalt-thérapie
La gestalt-thérapie met l’accent sur la conscience de ce qui se passe dans l’instant
aux niveaux corporel, affectif et mental indissociables. L’ici et maintenant est une
expérience complète, actuelle, qui concerne l’organisme dans sa globalité et sa relation
avec son entourage. Cette expérience contient aussi le souvenir, les expériences
antérieures, les fantasmes, les situations inachevées, les anticipations et les projets.
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L’instant présent, c’est fondamentalement une expérience de contact avec autrui ou
avec l’environnement. Le processus psychothérapeutique développe la prise de
conscience de la manière dont le sujet peut déformer cette expérience, ignorer ou
refuser ses besoins et désirs, s’enfermer dans des répétitions de situations antérieures,
s’empêcher un contact d’ajustement créateur avec l’environnement. Cette conscience
permet de vivre de nouvelles expériences de contact à partir d’une connaissance et
d’une capacité de choix retrouvées, à partir du déjà-là d’aspirations clairement
identifiées.
Le contact thérapeutique direct explore et énergétise l’expérience en cours et
permet la création de conditions favorables, au développement, à l’intégration et au
changement, à l’unification de la personne.
La gestalt-thérapie propose de comprendre comment vous fonctionnez plutôt que de
rechercher les causes de vos difficultés. Il s’agit d’explorer comment aujourd’hui, dans
l’instant présent, émergent vos difficultés et vos impasses. A cet effet, elle favorise la
prise de conscience des blocages, des évitements qui vous poussent trop souvent à
répéter les mêmes conduites et vise à explorer comment se mobiliser pour évoluer,
comment dépasser les limites que vous vous êtes fixées, comment exprimer
pleinement qui vous êtes.
La gestalt-thérapie s’attache à l’expérience de chacun dans sa globalité : elle prend
donc en compte les dimensions mentale, émotionnelle, corporelle. Assis, face à face
avec le thérapeute, celui-ci accueille ce qui émerge pour vous dans l’instant présent :
émotion du moment, réémergence d’un vécu lié à une expérience passée,
préoccupation du jour, projet.
La gestalt-thérapie utilise la verbalisation, le travail sur le rêve, sur l’imaginaire et est
extrêmement attentive aux émotions, à la mise en jeu du corps, à la respiration. Le
gestalt-thérapeute est, non pas dans une écoute silencieuse, mais vous accueille et vous
accompagne là où vous êtes : il vous renvoie ce qu’il entend et perçoit de vous, afin de
vous aider à sentir ce qui est présent et à prendre conscience de ce qui se passe dans
l’instant au niveau corporel et émotionnel.
La gestalt-thérapie vise à défaire les noeuds existentiels afin de créer les conditions
favorables au développement et au changement, à élargir le champ de vos expériences,
dans une transformation qui réponde à vos aspirations profondes.
Cette psychothérapie est une analyse du cours de la présence, présence à soi-même et
présence au monde, et ouvre à la formation de formes souples et ajustées, à la
responsabilité créatrice.
1.4 - L’ici et maintenant.
L’ « ici et maintenant » est un concept associé à la gestalt-thérapie au point d’en
devenir un slogan qui a été peu à peu détourné de sa signification originelle.
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Ce n’est pas une règle qu’il s’agirait d’inculquer au client mais un outil de travail à la
disposition du thérapeute. Il ne s’agit pas en effet de considérer que le passé est sans
intérêt et que le futur n’est que fantaisie mais de centrer son attention sur le fait que
« c’est maintenant que tu te souviens » ou que « c’est maintenant que tu anticipes ».
Ce souvenir qui vient maintenant éclaire le présent d’un jour nouveau, tout comme le
présent éclaire le souvenir qui vient le croiser.
Perls disait que « Rien n’existe hormis le maintenant », sachant que ce maintenant
contient le passé et le futur. Il n’est donc pas toujours indispensable d’opérer des
retours vers le passé puisqu’il est ici, replié dans l’expérience qui se déploie devant
nos yeux.
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2 – La gestalt-thérapie est
une posture fondée sur
« l’awareness» et la
vigilance
2.1 – « L’awareness » est la connaissance immédiate
et implicite du champ
2.2 - « La vigilance » (ou « mindfulness »)
« La vigilance est l’ascèse même qui vous conduira au but ».
C’est être parfaitement conscient de ce qui se passe au-dehors de nous et au-dedans
de nous ; c’est être en ajustement créateur avec l’environnement avec un « self »
souple.
C’est une présence à soi-même et une présence à la situation.
C’est voir que cet intérieur et cet extérieur sont davantage liés qu’on ne le croit au
départ.
C’est voir que l’extérieur n’existe que parce qu’il se manifeste en nous sous formes de
sensations, d’émotions et de pensées.
Quand il n’y a pas de vigilance, il y a seulement des fonctionnements, des pensées
qui se succèdent par un enchaînement d’actions et de réactions, des sensations et des
émotions, mais sans conscience d’être.
Il est indispensable de trouver la possibilité de conserver la conscience de soi tout en
étant, en même temps, actif et conscient de ce qui se passe à l’extérieur de soi.
C’est une forme de conscience ouverte, une qualité de lucidité ouverte, une qualité
d’intelligence ouverte, sans centre et sans périphérie, de soi à soi, sans présence
intermédiaire.
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2.3 – L’observation abstraite
Cette écoute « vigilante » engage à une « observation abstraite », à une expérience
légère. Juste voir. Simple vision.
La gestalt-thérapie, comme toute forme de psychothérapie, s'appuie sur un savoir. Et
pourtant, l'acte thérapeutique véritablement créateur n'est la plupart du temps possible
que par la mise entre parenthèse de ce savoir.
Cette suspension, au moins provisoire, du savoir constitué, c'est, pour le thérapeute, la
tentative, jamais aboutie, mais toujours nécessaire, d'être simplement présent à son
patient, comme s'il le découvrait comme la première fois.
L’observation abstraite est le cœur de la pratique de l’ouverture. C’est une vision nue,
dépouillée qui provient et revient à l’observateur alors abstrait.
C’est une observation sans observateur, une observation proche de « l’absence ».
C’est l’état de « présence – absence »
Le psychothérapeute devient une sorte de témoin neutre et absent.
2.4 - L’awareness est à l’image de l’artiste en situation de création :
« En un acte central de sensation vive et de jeu dans le médium, l’artiste accepte son
rêve et en fait usage. Il utilise son sens délibéré et critique : il réalise alors
spontanément une forme objective. L’artiste est tout à fait « aware » de ce qu’il fait ; il
n’est pas inconscient de son travail, pas plus que pour l’essentiel, il ne calcule
délibérément. Son awareness est une sorte de modalité moyenne, ni active, ni passive,
mais acceptante des conditions, attentives à la tâche, et croissant en direction de la
solution » (Perls et Goodman).
« L’awareness » n’est pas une réflexion sur le problème mais est elle-même
intégration créative du problème » (Perls et Goodman).
2.5 - L’awareness est organisée selon le principe de dominance cher
aux gestalt-psychologues.
La dominance représente la tendance d’une forte tension à prévaloir dans le champ et
par là, à organiser l’awareness et le comportement.
L’awareness est figure sur un fond.
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2.6 - La voie moyenne de l’awareness.
Une des caractéristiques du self théorisé par Perls et Goodman réside dans un
fonctionnement en voie moyenne. Le concept de voie moyenne est emprunté à la
grammaire du grec ancien. Celle-ci offre en effet trois voies (ou formes) : l’actif, le
passif et le mode moyen. Le mode moyen désigne une voie indirectement réfléchie. Il
indique que le sujet prend un intérêt quelconque à l’action, que le sujet agit lui-même,
de lui-même, en s’engageant personnellement.
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3. La théorie de la gestaltthérapie
3.1 - Les bases de la gestalt-thérapie
3.1.1 - La phénoménologie (d’après J-M Delacroix)
3.1.1.1 - L’injonction initiale :
« Porte ton attention sur toi
Laisse-toi ressentir ce qui se passe
- dans ton corps,
- dans ton émotion,
- dans ton mental,
- en ce moment
- et en ma présence.
Devient conscient de l’expérience intérieure et intime
- qui se déroule pour toi
- ici et maintenant.
Ne provoque rien,
N’empêche rien non plus.
Et dis-moi ton ressenti au fur et à mesure qu’il se déroule. »
Il y a là les mots clés de la gestalt-thérapie :
- Conscience
- Expérience
- Attention
- Ressenti
- Ici et maintenant
- En ma présence
Et plusieurs paramètres de la gestalt-thérapie :
- La connaissance de soi et le changement passent par la prise
de conscience de l’expérience immédiate.
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- L’expérience immédiate n’est pas dissociable de
l’environnement, c’est-à-dire de l’autre.
- Cette expérience est unitaire, elle concerne la globalité de
l’être humain : corps, émotion, mental.
Cette globalité implique le sujet et son environnement
La parole portée sur l’expérience vécue en face de l’autre fait partie
de l’expérience et apparaît elle aussi comme un agent de
transformation.
Cette expérience se déroule selon un processus temporel.
Les notions de conscience, d’attention et d’expérience qui sont au
cœur de la Gestalt-thérapie découlent de la phénoménologie.
3.1.1.2 - La conscience.
La phénoménologie est une « méthode » au sens philosophique du
terme, c’est-à-dire une démarche utilisée dans le but de fonder le
monde de la connaissance.
Et cette démarche est fondée sur la conscience.
Une démarche consciente, « c’est mettre entre parenthèses l’attitude
naïve et naturelle de la conscience qui affirme spontanément
l’existence du monde, de façon à isoler le donné naturel de la
conscience et de la perception. » (Jacques Blaize)
La notion de conscience est centrale pour atteindre la connaissance.
La conscience est indissociable de l’ensemble constitué par la
relation sujet-objet, moi-monde, organisme-environnement.
Il ne peut y avoir conscience que s’il y a un sujet et un
environnement, l’un et l’autre s’interpellant mutuellement et par là
constituant l’existence de l’un et de l’autre.
Ma conscience va donc s’exercer à partir de l’autre, ou plutôt à partir
des perceptions que j’en ai ; cette conscience étant subjective et
encombrée d’un certain nombre de filtres.
Pour Husserl, il s’agit de mettre entre parenthèses tous les
jugements qui infiltrent en permanence la perception empirique
quotidienne et spontanée, et ce qui reste au bout de cette mise entre
parenthèses c’est un « phénomène », « quelque chose qui
m’apparaît quelque soit le statut de ce qui m’apparaît »
Au-delà de ces filtres et de cette subjectivité, ce qui importe, c’est ce
qu’il y a « par la conscience ».
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La forme générale du phénomène c’est le fait que je sois conscient et
le fait que cette conscience soit immédiatement (au double sens de
l’immédiateté temporelle et de l’absence de toute médiation) emplie
d’un quelque chose… Le phénomène c’est ce qui reste quand j’ai
dépouillé l’apparence première de toute une série d’attributs »
(Jacques Blaize)
Cette conscience a plusieurs caractéristiques :
- bien que totalement inséparable du monde, elle en est
complètement différenciée, elle a son existence propre, de
même que l’environnement qui lui permet de se révéler.
- Elle tend vers quelque chose, et en ce sens elle est
inséparable de la notion d’intentionnalité. « Tout état de
conscience en général est en lui-même conscience de quelque
chose, quoi qu’il en soit de l’existence réelle de cet objet »
(Husserl)
C’est l’être tout entier qui est tendu vers « l’être au monde »,
ce n’est donc ni l’esprit, ni le psychisme, mais la globalité de
l’être avec ses différentes composantes : le corporel, le
sensoriel, l’émotionnel, l’imaginaire, le souvenir, le mental.
Cela implique donc des variations de la visée de la conscience.
Ainsi le monde peut être appréhendé :
- par les cinq sens ; il devient objet vu, entendu, touché,
goûté, humé.
- par le souvenir ; il devient objet remémoré
- par l’imaginaire ; il devient objet fantasmé.
- par l’affectif : il devient objet aimé, désiré, haï, rejeté.
Alors la conscience devient active et peut se nommer attention ou
vigilance. Elle existe à travers les différents canaux qui renvoient aux
différentes composantes de l’être humain.
Et à travers toutes ces variations, elle est « une » et fondamentalement
synthèse, et cette synthèse est antérieure à toute expérience.
L’exemple donné par la phénoménologie est celui du cube : je vois
d’emblée qu’il s’agit d’un cube alors que je ne peux en appréhender les
six faces en même temps.
Le concept de conscience propre à la phénoménologie inclut deux
dimensions qui ont une place particulière dans le domaine
thérapeutique : le temps et le corps.
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3.1.1.3 - Le temps
Pour Husserl la forme fondamentale de la synthèse c’est la synthèse
temporelle.
C’est ce qui permet la constitution du « moi, substrat des habitus ».
L’expérience que je vis et l’acte que je pose, cohérents avec ma
conscience en état d’éveil, créent un temps ponctuel au moment où ils
sont, tout en s’inscrivant dans la continuité du temps qui passe.
Cet ensemble de conscience-acte constitue le temps dans son
déroulement, et parallèlement le moi. Car grâce à sa qualité de
synthèse il se fait que je suis un moi qui a posé l’acte, qui s’est enrichi
d’une expérience et qui ainsi intègre une connaissance et des points
de repère.
Le « Je » s’inscrit et se crée dans un processus temporel.
Ainsi, ce qui de l’expérience immédiate est conscientisé dans ce
fragment de temps donné par l’ici et maintenant ouvre inévitablement à
d’autres horizons : à ce qui n’est pas mais pourrait être, ainsi qu’à
une grande variété de possibles variations de la perception dans le choix
de l’objet et dans la prise en considération de trois modèles du temps :
passé, présent, futur.
Ainsi « la conscience prend forme sur le fond de tous les autres
objets possibles et de toutes les autres manières dont la conscience
pourrait le viser : l’univers est toujours présent à la conscience
comme potentialité. » (J. Blaize)
« L’attention qui est la conscience en acte est la constitution active
d’un objet nouveau qui explicite et thématise ce qui n’était offert
jusque-là qu’à titre d’horizon indéterminé » (Merleau-Ponty - l’objet
nouveau)
Cet objet nouveau de par sa genèse et son émergence hors du chaos de
cet horizon indéterminé crée la référence à un processus temporel.
Il crée aussi la référence à une potentialité ou à un ensemble de
potentialités non encore révélées et pourtant contenues à l’intérieur
de tout être humain, ce potentiel ne pouvant être révélé que par
l’intermédiaire de cette conscience active devenant attention.
Cette vision phénoménologique interpelle une association aisée avec la
dialectique figure-fond et la notion de bonne forme propre à la
gestalt-psychologie : l’horizon indéterminé comme fond à partir
duquel va émerger la figure significative, la forme, l’objet nouveau.
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3.1.1.4 - Le corps
La conception de Husserl est fondamentalement unitaire.
On ne peut dissocier le corps de l’esprit et la notion de conscience
renvoie aux différents niveaux de la personne : au physiologique dans
toutes ses formes en commençant par le sensoriel, à l’émotionnel et à
l’affectif, à la motricité intentionnelle, à l’acte, aux représentations.
Le corps est totalement impliqué dans cette démarche.
La conscience est « conscience de ce que mon corps ressent » et
l’attention permet de localiser et de suivre les manifestations de
l’organisme en situation dans un environnement donné.
Au terme de la réduction phénoménologique mon corps est vécu
comme corps-organe et pas seulement comme corps-matériel. Il est
perçu dans la réalité de ses organes et de ses sensations.
Husserl écrit : « c’est le seul corps dont je dispose d’une façon
immédiate ainsi que de chacun de ses organes. Je perçois avec les
mains, avec les yeux,…etc. et ces phénomènes kinesthésiques des
organes forment un flux de modes d’action et relèvent de mon « je
peux »,
qu'il faut entendre comme un « je peux agir ».
C’est aussi la référence à mon propre corps qui crée autrui et lui
donne sens.
Quand mon organisme (ou corps organique) est dans cette mobilisation
consciente d’un événement dont il est à la fois l’organisateur et le
récepteur, alors par analogie l’autre m’apparaît immédiatement
comme corps organique, vivant au même titre que le mien.
Là encore on retrouve cette caractéristique qui est la synthèse, une
synthèse basée sur l’analogie.
Ce que cette analogie immédiate transpose, c’est essentiellement la
cohérence et la concordance du comportement.
Pour Husserl ce qui fait que je constitue l’autre comme sujet, comme
autrui, c’est qu’il a un comportement correspondant à trois critères : le
premier c’est sa cohérence et donc sa permanence temporelle, le
second son caractère changeant : il est sensible à la nouveauté, le
troisième son analogie avec mon propre comportement.
Cela incite le gestalt-thérapeute à tenir compte de la place de son corps
dans la constitution du corps d’autrui, c’est-à-dire comment jouer sur
l’analogie entre mon corps vécu et celui de l’autre afin d'aider cet autre
à rétablir des synthèses qui seraient perdues ?
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La question renvoie d’une part à la place particulière qu’occupe le
corps dans la psychothérapie gestaltiste, d’autre part à sa position sur
le contre-transfert du thérapeute dans sa dimension corporelle et sur son
utilisation pour l’évolution du processus thérapeutique.
Cette référence au corps vécu et ressenti, qui renvoie inévitablement au
corps de l’autre, et donc à l’autre amène la phénoménologie à un propos
existentialiste.
C’est pourquoi la gestalt-thérapie est aussi une psychothérapie
existentielle.
Et André Jacques écrit : « Si la phénoménologie fournit à la
psychothérapie gestaltiste sa méthode et son épistémologie, on
pourrait dire que l’existentialisme lui fournit une thématique, voire
une ontologie en continuité avec son objet qui est l’expérience
individuelle, ses richesses, ses limites et ses aléas. »
L’existentialisme souligne un paradoxe qui est au cœur de l’humain
et de la psychothérapie : alors que le Je se révèle par la connaissance
de l’autre, alors que le Je et le Tu se positionnent l’un en face de
l’autre, élaborant chacun leur propre identité et celle de l’autre, ils sont
confrontés aux limites, à la non communication, à la solitude, aux
passions, à la haine, à la gamme de toutes les émotions, à la mort.
L’expérience de conscience est exigeante : c’est elle qui crée
l’humain, l’humain remis à sa juste place, humble et compatissante.
3.1.1.5 - De la phénoménologie s’originent des points fondamentaux
de la théorie du self.
Du concept de « conscience » découlent :
- l’awareness : mobilisation active de la conscience devenant
attention et vigilance,
- la conception unitaire et globale de l’organisme : le corps,
l’affectif et le mental ne sont pas dissociables l’un de l’autre,
- la notion du lien entre l’organisme et l’environnement :
toute conscience est « conscience de quelque chose » ; ce sont
les prémisses de la notion de champ,
- le lien entre expérience, conscience, continuum de
l’expérience et sentiment d’existence,
- la dimension temporelle dans le devenir de l’être humain
que nous pouvons associer aux trois composantes du self : le ça,
le moi, la personnalité,
- l’idée d’un potentiel à découvrir grâce à l’élargissement du
champ de conscience,
- la place fondamentale du corps, pour la constitution du Je et
du Tu, que nous pouvons associer :
- à la fonction ça du self par la physiologie,
- à la fonction moi ou ego du self par sa capacité à agir
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- et à la dimension contre transférentielle.
La phénoménologie et son extension sur l’existentialisme mettent en
évidence l’être humain aux prises avec son sentiment d’existence et
montre l’importance de la conscience, de l’expérience, du
continuum de l’expérience, du corps, du temps, d’autrui pour
l’élaboration du Je et du Tu.
3.1.1.6 - La phénoménologie apporte à la gestalt-thérapie les points
suivants :
La notion de champ constituée par la rencontre organismeenvironnement est maintenant clairement posée.
A partir de là vont se préciser les notions de frontière contact et
d’ajustement créateur.
La dynamique de l’expérience est constituée par la dialectique figurefond et le processus construction-destruction des gestalts.
Il en découle la notion de contact, c’est-à-dire de processus mis en
place par la reconnaissance d’un besoin et créé par la dialectique figurefond dans le champ organisme-environnement.
C’est la notion de cycle du contact.
Les gestalts inachevées alimentent la répétition et apparaissent comme
figures-résidus empêchant l’émergence de la bonne forme.
3.1.2 – l’apport de la gestalt-psychologie
Elle s’est développée à partir des années 1910 en Allemagne sous l’impulsion de
théoriciens tels que Wertheimer, Koffka, Kohler, Lewin, Goldstein.
Elle se présente comme une théorie de la perception basée sur la notion de forme et
sur la dialectique entre le fond et la forme.
Le mot gestalt signifie à la fois forme et structure.
3.1.2.1 - Le processus figure / fond
Un organisme ne perçoit pas n’importe quoi, ni n’importe comment.
Ses besoins, intérêts, désirs, motivations vont orienter sa perception de
l’environnement.
Une « bonne forme » va émerger et se dégager du fond – d’un fond dans
lequel elle était contenue potentiellement ou réellement – en fonction d’un
besoin ressenti et conscientisé par l’organisme.
Le besoin oriente la perception et la conscience claire de l’objet propre à
satisfaire le besoin.
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La capacité de l’organisme à s’en emparer et à l’intégrer lui permet de
retrouver un équilibre momentanément rompu.
C’est donc une dialectique entre la figure et le fond qui va se mettre en
place.
Si la phénoménologie a développé les notions de conscience et d’expérience, il
lui manque un cadre conceptuel pour comprendre la dynamique de
l’expérience et pouvoir envisager l’expérience comme « mouvement vers le
changement ».
Aussi c’est justement dans le processus figure-fond que Perls et Goodman
sont aller chercher ce complément. Ils ont fait de leur psychothérapie une
recherche des configurations de l’expérience et du processus par lequel ces
dernières ressortent d’un fond ou sont empêchées d’y retourner.
Perls et Goodman vont donc se situer au coeur de l’optique de la gestaltpsychologie, en particulier de Kurt Lewin et K.Goldstein.
Lewin est le premier qui a appliqué la notion de champ physique aux relations
de l’être humain avec son environnement.
Il introduit clairement en psychologie la notion de globalité incluant
l’organisme, son environnement et le champ créé par la conjonction de
leur présence et de leur rencontre.
Ce champ est métaphoriquement un espace constitué par l’interaction d’une
multitude de forces et de résistances.
La prise en considération de l’ensemble du champ peut permettre d’expliquer
ce qui s’y passe.
Ce champ s’organise en ensembles qui tendent à s’autoréguler de façon plus ou
moins adéquate, selon certaines variables propres à la dynamique de ces
ensembles.
Cette notion de champ porte le concept de contact fondamental en gestaltthérapie.
On appelle « contact » le processus mis en place par un organisme
conscient d’un besoin pour choisir et prendre dans l’environnement, et
ensuite assimiler, ce dont il a besoin pour sa survie et sa croissance.
Ce processus est défini par Goodman comme « la formation d’une figure
d’intérêt sur le fond ou le contexte du champ constitué par l’organisme en
interaction avec son environnement ».
C’est ce qui amène Goodman à présenter la gestalt-thérapie comme « la
science et la technique de la formation des figures-fonds dans le champ
organisme-environnement »
La notion de processus, particulièrement importante en Gestalt-psychologie,
est alors appliquée à l’expérience humaine considéré comme un processus
constitué d’une succession d’émergences de formes venant d’un fond.
Ces formes trouvent leurs sens et disparaissent, laissant ainsi la place à d’autres
formes.
20
On en arrive à un incessant processus construction-destruction des gestalts.
Chaque construction d’une gestalt participe à la création d’une configuration de
par son émergence, sa clarté et sa destruction qui laisse le champ libre pour
l’apparition d’une autre gestalt.
C’est parce que se présente une succession de formes et de configurations
claires, et parce qu’elles disparaissent dans le fond, que pour le gestaltiste
l’action prend sens et l’intrigue trouve sa clarté et sa cohérence.
La dialectique figure-fond est fondamentale pour l’élaboration du sens et
pour la satisfaction du besoin permettant la croissance.
Perls écrit : « Chez l’individu sain, la relation entre la figure et le fond est un
processus de flux et de reflux permanent mais signifiant. L’interaction de la
figure et de l’arrière-plan est à la base de la théorie de la gestalt-thérapie »
Le processus, c’est-à-dire le comment, est plus important que le contenu et le
pourquoi.
3.1.2.2 - De la gestalt inachevée à la recherche de la « bonne forme »
Perls et Goodman ont appliqué ces considérations au champ de la
psychothérapie en y ajoutant la notion de croissance née des recherches d’un
autre gestalt-psychologue : K. Goldstein.
Ce dernier mit en évidence que l’organisme névrosé s’élabore sur des
sentiments, attitudes, besoins, qui très tôt pour l’enfant sont inadéquats et
deviennent antagonistes à la vie. Il se crée ainsi la croyance que leur expression
serait inappropriée et engendreraient des réponses catastrophiques.
L’organisme va alors retenir non consciemment de tels événements.
La thérapie esquissée par Goldstein, et reprise par Perls et Goodman, consiste à
présenter au patient un cadre sécurisant dans lequel son organisme puisse
laisser émerger en avant-plan ces formes reléguées dans le fond et
engendrant la névrose.
C’est en réactualisant ces formes en avant-plan dans l’ici et maintenant
qu’on va changer la nature des configurations inscrites dans l’organisme et
ainsi mettre le patient dans des conditions telles qu’il puisse créer d’autres
configurations plus adaptées pour sa croissance.
A partir des considérations de Goldstein il est aisé de développer la notion de
gestalts inachevées.
On fait référence par là à des situations, émotions non terminées, restées en
suspend, arrêtées dans leur mouvement naturel vers l’achèvement.
Les processus existentiels de l’être humain sont basés en grande partie sur ces
formes inachevées ou plutôt sur ce qui en reste : elles sont devenues des
gestalts fixées.
21
Elles alimentent le fond et le rendent disharmonieux, tout en générant en même
temps la répétition des modes de communication et « d’être au monde »
qui sont périmés.
Chaque forme inachevée cherche à retrouver sa complétude. Elle va donc
essayer de se remettre en mouvement y compris dans des contextes inadéquats
quoique qu'en général elle s’arrête là où elle a été interrompue la première fois.
A partir de ses recherches, Goldstein a mis en évidence que l’organisme est
toujours en recherche d’une bonne forme, c’est-à-dire d’une forme complète.
André Jacques qui a fait des recherches sur l’apport de Goldstein à la gestaltthérapie écrit : « Goldstein posa que la tendance à compléter les actions
incomplètes n’a pas à être expliquée par le recours à une pulsion de répétition
mais bien par une disposition à la complétion et à la perfection. En se
complétant, en se résolvant, les gestalts tendent en effet vers une perfection
formelle et y font tendre les champs dont elles sont les formes… Il postulait
que dans des conditions adéquates, la direction de la vie normale est vers
l’activité, le progrès et la connaissance ».
Compte tenu de ces considérations, l’objet de la gestalt-thérapie sera donc de
mettre en évidence la dynamique de l’expérience à travers le processus
figure-fond et à travers la succession construction-destruction des gestalts.
M.A. Bouchard écrit à ce sujet : « La réalité première est constituée par la
rencontre, à la zone de contact, de la personne et de son environnement.
Ce contact est défini comme la formation d’une figure se détachant sur un
fond ».
L’espace frontière entre l’organisme et l’environnement va devenir la zone
de l’expérience, la zone de contact où des figures venant du fond vont émerger,
se déposer et, peut-être par le fait de leur opposition, générer l’ajustement
créateur, c’est-à-dire la création d’une nouvelle configuration plus adaptée.
Le cycle du contact ou cycle de l’expérience est une illustration de ce jeu
figure-fond en même temps qu’il est une création de la phénoménologie par sa
dimension temporelle.
La gestalt-psychologie donne une orientation à la conscience en lui proposant
de se mettre au service de l’émergence de formes significatives et de gestalts
inachevées.
Elle montre que l’expérience est régie par une dynamique de contact, laquelle
repose sur le processus figure-fond.
Elle inclut également que l’être humain porte en lui la capacité à la
croissance, c’est-à-dire la capacité à générer la bonne forme et la belle
configuration pour le changement et de l’individu et de l’environnement.
22
3.1.3 – L’apport de la psychanalyse
3.1.3.1 - L’histoire en temps que fond
Paradoxalement la gestalt-psychologie a mis l’accent sur l’importance du fond,
en développant la notion de formes et de configuration de formes dans le
champ organisme-environnement, mais sans approfondir la notion de fond.
A. Jacques souligne bien ce paradoxe : « Cette recherche est par définition
aveugle au fond. Elle porte cependant sur ce qui émerge du fond, ce dernier
étant et demeurant informe et opaque. Pourtant, dans l’expérience, « le fond »,
c’est le clair-obscur où valsent des fantômes de formes toutes aptes à
investir l’avant-scène dès que possible, des bribes, des parcelles de
fantasmes, des souvenirs, des désirs, des douleurs, des rages, autant
d’éléments qui peuvent surgir en pleines formes et bouleverser les
contours usuels du vécu… De toute évidence il manque à une perspective
purement gestaltiste le regard permettant de scruter le fond pour y débusquer
les chimères et les ombres. Or c’est à même la psychanalyse, premier amour de
Perls, que la gestalt-thérapie s’alimente en indices, en hypothèses et en pistes
permettant de remuer le fond ».
Le fond est rempli du « déjà-là non conscient », amassé tout au long du
développement personnel de notre histoire.
La psychanalyse nous a montré à quel point notre histoire et le rapport que
nous entretenons avec elle est un facteur déterminant dans l’organisation et la
gestion de notre présent.
Le fond est constitué d’un certain nombre d’éléments de base :
- Notre histoire et son inscription dans un contexte : famille d’origine,
généalogie, filiation, éducation, religion, culture,
- Les croyances qui en découlent avec leurs interdits, le système de
valeurs et les règles de vie, les systèmes de communication et
mécanismes existentiels qu’elles génèrent,
- La conception que nous avons des thèmes fondamentaux de l’existence :
l’homme, la femme, le corps, la sexualité, le temps, la maladie, la mort, la
spiritualité…
Le fond c’est l’ombre, c’est tout ce qui dans les coulisses de notre théâtre
intime tire les ficelles de notre existence, de notre devenir, de notre destin.
Ce « déjà-là non conscient » élargi jusqu’à l’inconscient est cette instance qui
par définition nous échappe, bien qu’elle commande notre organisation
intrapsychique. Freud est le premier a nous avoir mis sur le devant de la scène
23
ce concept d’inconscient que nous touchons en gestalt-thérapie à travers la
notion de non-conscient, et qu’il y a lieu d’élargir comme Jung à sa dimension
d’inconscient collectif.
3.1.3.2 - L’introjection
L’introjection non assimilée fait partie des mécanismes de résistances par les
résidus qu’elle envoie dans le champ organisme-environnement.
Là est la résistance essentielle et les autres résistances sont reliées à elle.
3.1.3.3 - le transfert
C’est un phénomène que Freud constate très tôt. En 1895, dans « Les études
sur l’hystérie », il réfléchit sur le fait que les patients transfèrent sur la personne
du psychanalyste leurs représentations inconscientes.
En 1905 dans les « Cinq psychanalyses » il interroge : « Que sont les
transferts ? Ce sont de nouvelles éditions des copies de motions et de
fantasmes qui doivent être éveillés et rendus conscients au cours du procès
de l’analyse et dont le trait caractéristique est de remplacer la personne du
médecin »
C’est en 1923, dans « Psychanalyse et théorie de la pulsion » qu’il lui donne
son statut quasi définitif : « Le transfert, aussi bien dans sa forme positive que
négative, entre au service de la résistance, mais entre les mains du médecin il
devient le plus puissant des instruments thérapeutiques, et il joue un rôle qui ne
peut être sous-estimé dans le processus de guérison ».
3.2 - La gestalt-thérapie « est » la théorie du self (d’après JM Robine)
3.2.1 - Définition du self
Le « self » est l’artisan de l’ajustement créateur ; cette dimension intégratrice qui
rassemble les différentes fonctions nécessaires à la mise en œuvre du processus
d’ajustement créateur dans le contact.
Le « self » en gestalt-thérapie n’est pas abordé comme une entité fixe, stable, ce n’est
pas par exemple « la personnalité » qui est relativement stable, mais l’ensemble des
fonctions nécessaires à la réalisation de l’ajustement créatif.
C’est la raison pour laquelle on préfère garder le terme anglo-saxon de « self » plutôt
que de l’appeler « le soi », car « le soi » aurait tendance à être considéré comme entité
ferme, stable. « Self » dans la langue anglaise est un qualificatif qui s’ajoute à des
substantifs et qui désigne en quelque sorte le processus de contact en action, « le
24
contacter », de l’organisme contactant la nouveauté et réalisant les ajustements
créatifs nécessaires.
3.2.2 - Le cycle du contact
Le cycle de contact est la séquence de construction-destruction des gestalts.
La séquence de contact s’effectue en quatre phases :
3.2.2.1 - Le pré-contact.
Dans cette phase, ce qui constitue le fond, l’arrière-plan, c’est essentiellement
le corps, et à partir du corps va émerger une sensation. Cette sensation de ce
qui est « là », le « là » de la situation, le « ça » de la situation (ce peut être un
besoin, une pulsion, un appétit, un désir, une situation inachevée)
Une gestalt va donc émerger de ce fond pour se constituer et éventuellement
aller en contact avec l’environnement. Elle va avoir des contours de plus en
plus précis, et des personnes peuvent déjà être en difficulté. Dès cette phase
préalable d'orientation elles sont dans l'incapacité de constituer une gestalt aux
contours clairs.
3.2.2.2 - La mise en contact.
La gestalt qui a alors émergée d’un fond indifférencié, va à son tour passer en
arrière-plan, aller nourrir le fond, l’énergétiser.
A partir de là une excitation, une énergie va se mobiliser et permettre à
l’organisme de se tourner vers l’environnement pour examiner les possibilités
qu’il offre, en vue d’y trouver une satisfaction.
Dans cette phase de mise en contact avec l’environnement, le sujet va procéder
à ce qu’on appelle en termes techniques, les identifications et les aliénations,
c’est-à-dire pour simplifier les « oui » et les « non » ; « oui ça peut me
convenir, non ça ne me convient pas »
L’organisme va procéder aux choix et aux rejets parmi les ressources de
l’environnement, afin de satisfaire le « ça » de la situation.
3.2.2.3 - Le contact final.
Poursuivons la séquence avec le contact final.
A ce moment-là, l’environnement à son tour, passe en arrière-plan et une
nouvelle figure va se constituer ; c’est l’objet choisi.
Le sujet va établir le contact final avec lui, un plein contact, un moment où il
va y avoir une indifférenciation, une fusion en quelque sorte entre l’objet choisi
et lui.
Il n’y a momentanément plus ni figure ni fond, plus de frontières entre le
sujet et l’objet.
Dans la relation interpersonnelle, à la suite d’un Je et d’un Tu nettement
identifiés, peut suivre un moment de Nous. Un Nous d’amour, d’orgasme, de
conflit, de terreur ou de toute autre situation de contact.
25
3.2.2.4 - Le post-contact
En dernier, vient la phase de post-contact. Dans la phase de contact final, la
frontière s’était ouverte de façon à laisser entrer cet objet d’expérience vécue
alors que maintenant, dans la phase de post-contact, c'est le travail
d'assimilation qui commence.
Il n’y a alors plus de figure, il n’y a plus rien de pertinent qui reste dans le
champ.
3.2.3 - Les trois fonctions du self
3.2.3.1 - La fonction-ça
C’est la fonction qui concerne l’émergence du « besoin » le plus proche :
besoins, désirs, appétits, pulsions, situations inachevées.
C’est essentiellement une fonction qui se déploie dans le corps, d’instant en
instant, et se manifeste au travers des sensations (mais pas uniquement).
Sur le mode du « ça je ne me sens pas responsable de ce qui m’arrive », « ça
m’arrive ». J’ai faim, j’ai soif, c’est comme ça. C’est bien moi qui le fait mais
je ne me sens pas responsable de ça.
3.2.3.2 - La fonction-personnalité
La fonction-personnalité est au contraire une fonction plus stable parce que
c’est la fonction dans laquelle vont venir s’enregistrer, s’inscrire, l’histoire,
l’expérience vécue…
C’est grâce à la fonction-personnalité que je vais croire être capable de
répondre à la question : qui es-tu ? C’est ce que je sais, à tort ou à raison, de
moi, de mon expérience, c’est ce que je pense que je suis, comment je me
représente mon expérience - ce qui ne veut pas dire d’ailleurs que je sois cela La fonction-personnalité désigne la représentation, pas toujours consciente
de ce que je me fais de moi-même.
C’est là que se fixe l’expérience dans sa mise potentielle en mots.
3.2.3.3 - La fonction-moi (ou fonction ego)
Les fonctions ça et personnalité, soient simultanément, soient séparément,
vont s’engager dans le contact avec le monde au travers de la fonction-moi qui
va opérer les identifications et les aliénations.
Ces choix vont exprimer, extérioriser, agir la fonction-personnalité ou la
fonction-ça.
Si par exemple par la fonction ça j’identifie telle nécessité, par la fonction-moi
je vais la mettre en contact avec le monde, faire des choix en me disant : cela
m’intéresse, cela ne m’intéresse pas.
3.2.4 - Les mécanismes d’interruption du cycle du contact
26
La fonction du self est d’assurer la mise en frontière de l’organisme et de
l’environnement ; le phénomène substitutif à un fonctionnement sain du mode « moi »
devra lui aussi se présenter comme un phénomène de frontière.
Les phénomènes que nous allons aborder pourraient être des phénomènes « sains »,
mais quand ils sont associés à une perte du fonctionnement du moi, nous sommes en
présence de phénomènes non-sains, dysfonctionnels. Ils sont au nombre de quatre :
confluence, introjection, projection, rétroflexion.
3.2.4.1 - La confluence.
Dans la confluence il y a une situation de non-contact, de non-frontière et de
non-conscience : rien n’émerge, il n’y a pas de distinction, pour dire
schématiquement, entre le « moi » et le « non-moi. »
La confluence est un phénomène de base qui peut désigner le « mode de
contact » avec tout ce qui ne fait pas figure dans le champ à un moment
donné.
Dans la construction de la gestalt, la confluence va empêcher de laisser monter
une figure et l’excitation qui l’accompagne. Une confluence saine sera un plein
contact où le sentiment d’unité peut être atteint.
3.2.4.2 - L’introjection
En tant que phénomène de frontière l’introjection est la modalité qui consiste
à prendre quelque chose à l’extérieur pour le faire passer à l’intérieur.
Une introjection « réussie » est une introjection qui va se conclure en
assimilation.
Dans une introjection « non réussie », cet objet va rester comme un corps
étranger à l’intérieur de l’organisme. On parlera d’une introjection « non
réussie », pathologique, comme lorsqu’on a avalé tout rond quelque chose, des
idées, des opinions, des « il faut » et des « il ne faut pas » qui vont être en moi
comme des pesanteurs d’estomac, qui vont diriger mon être au monde à ma
place.
Si un parent dit à un enfant : « fais ceci ou ne fais pas cela », l’enfant ne peut
qu’obéir, c’est-à-dire introjeter l’ordre de l’adulte comme substitut à son propre
vouloir. S’il y a répétition de cette injonction, cette situation pourra devenir de
manière non consciente : « dans la vie, il faut faire ceci et il ne faut pas faire
cela ». Ce qui est important dans ce processus n’est pas tant le contenu de ce
qui a été introjeté que le fait que le désir de l’autre soit venu se substituer au
sien propre.
S’il y a de l’introjection dans toutes les relations humaines, le problème
consiste à ne pas y perdre sa fonction-moi, sa capacité d’être en mesure de
procéder à des identifications et aliénations, afin qu’elle ne soit pas perdue à la
conscience.
3.2.4.3 - La projection
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C’est un phénomène de frontière dans le mouvement inverse de celui de
l’introjection : quelque chose qui en réalité appartient au sujet va être
attribué à l’environnement.
Et en général ce que le sujet fait passer à l’environnement, c’est ce qu’il ne
peut pas assumer, en particulier ses émotions et ses affects.
La projection de l’affect, de l’émotion, ou plus largement de l’expérience, va
nous concerner dans le processus thérapeutique où la difficulté va résider dans
la nécessité pour le patient, de réintégrer cet affect ou cette émotion qu’il essaie
d’ignorer en l’attribuant à quelqu’un d’autre.
Le contenu de la projection est souvent quelque chose qui a été préalablement
introjeté, et les projections qui vont nous concerner en thérapie vont en
particulier mettre à jour des situations inachevées.
C’est alors que la personne qui projette va rejeter sur son voisin des
acquisitions pas ou mal assimilées comme si on se débarrassait d’une patate
chaude qui nous brûle les mains.
3.2.4.4 - La rétroflexion
Rétroflexion est un terme original de la gestalt-thérapie, alors que projection et
introjection sont communs avec d’autres disciplines.
Il désigne une expérience qui va s’amorcer comme un contact avec
l’environnement puis qui va revenir sur l’organisme lui-même ; c’est-à-dire
que le sujet va se faire à lui ce qui est destiné à l’environnement : au lieu
d’agresser un élément de l’environnement par exemple, il va se donner des
coups dans la main ; au lieu de mordre, il va se ronger les ongles. Ce qu’on
appelle maladies psychosomatiques est en général le résultat de rétroflexions.
Le suicide est la forme suprême de rétroflexion ; le sujet se tue au lieu de tuer
celui qui l’a fait souffrir..
Penser est une forme de rétroflexion : quand je pense, je me parle à moi-même,
mais suis-je le véritable destinataire de la parole ? Ce peut être une rétroflexion
saine dans la mesure où elle me permet une préparation à l’action ou une
préparation à la communication, mais si je ne fais que penser et que je ne parle
pas, on entre dans le domaine de la rétroflexion immobilisée.
Une forme particulière de la rétroflexion consiste en ce qu’on appelle
égotisme.
Par l’égotisme, le sujet maintient une frontière trop étanche avec
l’environnement. Il se manifeste au travers d’un frein, d’une absence de lâcher
prise au moment où cela serait nécessaire pour atteindre le contact final.
3.2.4.5 – la déflexion
il s'agit d'un évitement du contact, une dérobade, une fuite pour éviter le plein
contact.
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3.2.5 - L’agressivité créatrice
F. Perls a conçu la gestalt-thérapie à partir de la notion d’agressivité. Il considère
qu’un des éléments importants dans l’évolution du jeune enfant est l’acquisition des
dents. Le stade du bébé mordilleur est fondamental.
Dans la théorie gestaltiste, l’agressivité est considérée au sens large du terme, et dans
une perspective énergétique. C’est la pulsion de vie, devenant tonus, « mouvement
vers », capacité à prendre et à rejeter, capacité à se positionner devant l’autre
avec ses besoins, son désir, ses ressemblances et ses différences. Elle est donc
perçue avec une connotation positive.
Elle est aussi reconnue dans ses formes négatives, mais elle n’est plus seulement
synonyme de violence, destruction, haine, méchanceté. Ces formes là sont considérées
comme des déviations de l’énergie de vie et d’amour qu’elle est d’abord.
Elle est proche de la libido au sens freudien du terme, si nous sortons ce terme d’un
sens restrictif sexuel et si nous l’appréhendons à travers la notion d’énergie vitale, la
sexualité étant une des formes que peut prendre cette énergie.
3.2.6 - Le contact et la frontière-contact
La psychologie désigne l’étude de tous les phénomènes de contact qui relient
l’organisme et l’environnement.
Tout ce qui concerne l’organisme, c’est le domaine de la physiologie au sens large,
et de la biologie, tandis que tout ce qui concerne l’environnement sera le domaine de
la sociologie, de la géographie, etc.
Mais tout ce qui concerne le contact entre un organisme donné et son
environnement, les événements qui vont se dérouler à la frontière entre cet organisme
et l’environnement (cette série de phénomènes que la gestalt-thérapie appelle
frontière-contact), sera l’objet de la psychologie.
La psychologie peut donc se définir comme l’étude de l’ensemble des phénomènes
qui vont se déployer à cette frontière que nous appelons frontière-contact
organisme / environnement.
Le contact implique toujours un objet extérieur ; en termes gestaltistes, c’est en
général une erreur de parler de contact avec soi-même parce qu’on ne peut pas se
nourrir de soi-même, il nous faut aller vers le monde et y puiser.
Le contact, concept clé de la gestalt-thérapie : c’est l’expérience ; c’est l’expérience
du fonctionnement de cette frontière entre l’organisme et l’environnement.
Le contact, c’est la conscience de ce champ qui est le nôtre, et en même temps, c’est
la réponse motrice que l’on opère dans le champ, c’est la prise de conscience de la
nouveauté assimilable et le comportement que nous dirigeons vers elle.
29
C’est aussi le rejet de ce qui est inassimilable.
Tout contact est donc un ajustement créatif de l’organisme et de l’environnement.
C’est aussi par le contact que l’organisme va maintenir sa différence, et plus encore,
c’est en assimilant l’environnement qu’il va nourrir l’environnement.
3.2.7 - Corps-émotion-mental
Les évènements de frontière-contact sont découverts et reconnus à travers la
conscience des manifestations corporelles, à travers la réactualisation de
mécanismes anciens dans l’ici et maintenant et à travers la parole qui va nommer et
définir l’expérience.
3.2.7.1 - Le corps et la physiologie
Le corps est considéré comme le premier objet de communication et de relation
à l’autre.
Il porte l’inscription de tout ce que nous avons vécu au cours de notre histoire
dans sa globalité.
La physiologie, surtout dans les moments émotionnellement forts et dans les
moments de stress, émet des signes et des messages issus des mécanismes
existentiels programmés en lui comme dans la mémoire d’un ordinateur.
D’où l’importance dans la démarche gestaltiste de la prise en compte du corps
et la prise en compte de ses réactions.
Les manifestations apparaissant à fleur de peau, même apparemment anodines,
sont issues du monde intérieur profond ; et peuvent permettre de retrouver ce
qui de notre monde intérieur, de notre non-conscient est encore opérant dans la
vie présente au détriment de la croissance et de l’ajustement créateur.
3.2.7.2 - L’émotion
La physiologie est directement reliée à l’émotionnel.
La physiologie exprime la tonalité affective intérieure.
Elle est marquée par le rapport que l’être humain entretient avec la partie
émotionnelle de lui : inhibition, retenue, excitation, expression.
Les besoins réprimés affectent l’individu dans son vécu émotionnel même si
cela n’apparaît pas ouvertement et même s’il n’en a pas la conscience.
Les symptômes, les angoisses, les maladies physiques ou mentales sont
générées par les besoins non reconnus, non conscientisés, réprimés par
l’émotion inhibée.
L’énergie qui normalement devrait s’exprimer par l’émotion et par la
mobilisation pour satisfaire le besoin risque de se retourner contre soi et de
générer un processus d’autodestruction, d’échec, de dépression, de marasme
physique ou mental. C’est le processus de rétroflexion.
La gestalt est une thérapie qui prend en considération l’émotion, son
expression, sa canalisation et sa réorientation quand l’individu est envahi par
elle.
30
3.2.7.3 - Le mental
La Gestalt est également une thérapie verbale.
La parole est libératrice quand elle s’origine du corps et de l’émotion, quand
elle est incarnée. L’être humain est aussi un « parl’être » selon la formule de
Lacan.
Trouver les mots pour nommer l’expérience en cours, pour nommer enfin
l’émotion tant retenue qui éclate enfin au grand jour.
Trouver les mots pour nommer ces mécanismes répétitifs, résidus de l’histoire
passée qui polluent l’histoire présente.
31
3.3 La théorie du champ : du contact à la relation
3.3.1 - Le champ est l’interaction entre l’organisme et l’environnement
La particularité de la gestalt-thérapie est de mettre l’accent sur le champ, c’est-à-dire
sur l’interaction entre un organisme et son environnement, (O/E), les deux
ensembles reliés en un espace nommé frontière-contact.
Le côté novateur de l’approche par le champ, c’est de ne plus mettre l’accent sur
l’individu prétendument isolé, dans une bulle intrapsychique, mais de toujours le
considérer en « con-tact » ,en toucher avec quelque chose. Rien n’est isolé, mais tout
est en contact avec quelque chose, l’environnement n’est pas du vide, mais de l’air par
exemple.
A partir de là, la séance de thérapie ne peut pas se dérouler dans une « bienveillante
neutralité », au contraire ! Non pas que je ne veuille pas être bienveillant pour mon
patient, mais je ne peux prétendre que ma présence elle-même n’induit pas quelque
chose de différent dans le champ. Je peux donc m’en servir comme support
d’expérience, pour voir et sentir comment il entre en contact avec ses besoins, avec
l’autre : son thérapeute, ses perceptions, ses émotions, ses pensées...
Le champ, c’est ce qui permet au contact, à l’expérience, de se vivre à la frontière
organisme / environnement. « Le contact, c’est la prise de conscience du champ ou
la réponse motrice dans le champ ». (Perls et Goodman)
Par exemple, je respire sans y prêter attention, et je suis en contact étroit avec cet
environnement immédiat qu’est l’air. Je suis donc, par l’acte même de la respiration,
en contact permanent – jusqu’à mon dernier souffle ! – avec l’environnement. Il s’agit
là d’une réponse motrice, instinctive la plupart du temps, sauf quand je décide
ponctuellement de mettre de la conscience dans la respiration.
Dans le genre pure réponse motrice, je peux aussi faire un tas de choses
instinctivement : me curer le nez rêveusement devant un groupe de stagiaires ébahis,
finir mon assiette en discutant et demander ensuite qui m’a piqué le reste de mon
gratin, conduire ma voiture sans penser à chaque minute sur quelle pédale il serait
judicieux d’appuyer car devant moi des lumières rouges se sont allumées, et si je me
souviens bien ça doit vouloir dire…, qu’il y a quelqu’un de bien vivant, là, devant
moi !
Je peux aussi ajuster la réponse en prenant conscience de mes besoins, et des
modalités de l’environnement à ce moment-là. Si j’ai soif alors que je suis en séance
avec un client, je décide de ne pas me lever pour aller chercher un verre d’eau, et je
32
diffère la satisfaction de ce besoin. Je l’ai reconnu et j’ai choisi une réponse appropriée
à l’ensemble de la situation. Cette expérience assimilée va nourrir mon fond propre,
ce qui me caractérise, et me servira de référentiel au cours des expériences de ma vie.
3.3.2 - Contact et relation
Alors, contact et relation, ça parle de la même chose ?
Qui dit contact ne dit pas forcément relation, puisqu’il s’agit d’une expérience
première (cf. la notion de réponse motrice), qui ne « désigne pas encore un
investissement d’un objet ou d’un autrui ».
La relation s’inscrirait-elle dans la durée, dans la force de l’investissement ? La
relation parle de créer du lien, mais le critère temps est-il toujours nécessaire ? Il
semble que oui, la relation peut être vue comme « une sorte de sédimentation
progressive des évènements de contact, impliquant ainsi la temporalité. »
Laura Perls distingue temps instant et temps durée, Kairos et Chronos.
Quand Laura Perls dit que « le contact est la reconnaissance de l’autre, la conscience
de la différence », on peut y voir le début de la relation. Et à partir de là, elle
poursuit : « le patient et le thérapeute se découvrent et inventent constamment leur
relation ». Sortir du fantasme de l’indifférenciation est un thème qui apparaît souvent
chez nos clients : découvrir que l’autre pense autrement, a une vision du monde
différente, est parfois bouleversant. Découvrir aussi qu’il y a un autre en face de soi,
que le thérapeute est un être humain, ça prend du temps parfois !
La relation se tisse avec les patients au fur et à mesure que les rencontres se déroulent,
et cette relation est unique.
3.3.3 - Quelques grands principes de la théorie du champ :
3.3.3.1 - Du principe d’organisation découle la pertinence de l’attention du
psychothérapeute à des faits et gestes, mots et événements, qui pourraient
passer inaperçus parce qu’anecdotiques, épiphénoménaux ou imputables au
hasard. Ces petits événements sont en interdépendance avec la globalité du
champ et sont souvent une voie d’accès à un schème d’importance, une gestalt
fixée, une expérience inachevée.
3.3.3.2 - Dans le principe de contemporanéité, il est aisé de retrouver
l’insistance de la gestalt-thérapie sur l’ici et maintenant : non pas l’ « ici et
maintenant » d’une morale hédoniste ni d’une psychothérapie qui rejetterait
passé et futur ; mais une conscience que la référence au passé de même que
l’anticipation sont des éléments qui se déploient présentement et que le
croisement de ces lignes de temps est porteur de signification dans le champ du
présent.
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3.3.3.3 - Le principe de singularité confirme la réticence ce la gestaltthérapie à procéder à une généralisation structurelle telle qu’elle peut être
proposée par exemple par la nosographie traditionnelle ou par certaines
psychopathologies d’obédience psychiatrique ou comportementaliste.
3.3.3.4 - Le processus sans cesse en mouvement est ce sur quoi va œuvrer le
gestalt-thérapeute. Lorsqu’un thérapeute gestaltiste parle par exemple
d’introjection, il parle d’une expérience en train de se faire et non d’un
quelconque résidu, ni même de la caractéristique d’un individu qui serait ainsi
qualifié d’ « introjecteur »
3.3.3.5 - Selon le principe de rapport pertinent, rien ne doit à priori être
écarté de l’intérêt du psychothérapeute – et donc de la prise de conscience
du patient – car tout élément du champ fait partie de la situation globale et est
potentiellement significatif. L’attention sélective et apriorique à des faits ou
mots supposés significatifs relève d’une démarche inférentielle visant à
confirmer les hypothèses du psychothérapeute et excluant l’immédiateté du
champ.
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4 - L’expérimentation : le
moteur agissant de la relation
gestalt-thérapeutique
4.1 – « Expérience » vient du latin « experire » , essayer.
C’est la tentative, ou observation spéciale, effectuée pour confirmer ou infirmer
quelque chose d’incertain.
4.2 - C’est la mise en acte des propos tenus par le patient dans l’ici et maintenant
de la situation
C’est une structure imposée par le thérapeute
- en référence à l’expérience évoquée par le sujet
- en étant directement relié aux situations d’urgence et situations
inachevées de chacun
- en ouvrant au contact
- en élargissant le champ, la nouveauté,
- par la restauration des capacités d’identifications et d’aliénations
4.3 - Il y a plusieurs ordres d’expérimentation
L’accroissement d’une awareness consciente, afin d’élargir le champ de conscience,
en invitant la personne à devenir davantage consciente de ses sensations, de sa
respiration ou de telle ou telle partie de son corps.
Par l’expérience de la mise en action, sorte d’invitation à essayer quelque chose par
une mise en acte corporelle, par une mise en mouvement.
L’exploration d’un thème apporté par le client de manière détournée, par exemple
en lui proposant de mettre en acte une métaphore qu’il vient d’utiliser en amplifiant et
accentuant des mots et gestes utilisés.
Ouvrir des conditions de simulation permettant d’apporter de l’information sur ce
qui arriverait dans « certaines situations difficiles ou impossibles à mettre en place. »
Ainsi des formes de projection sont sollicitées pour explorer les fantaisies, les
attentes catastrophiques, des situations inachevées ou fixées dont la résolution est
imaginée impossible.
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Explorer différents types de frontières de l’identité et du contact comme les
limites de l’exposition de soi, de l’expression, des habitudes, des sensations et
mouvements corporels, des valeurs.
4.4 – La difficulté de l’expérimentation
La difficulté est de doser l’intensité de la proposition, en montant ou en diminuant le
niveau d’excitation ou d’anxiété ; afin de pouvoir avancer sans toutefois proposer une
expérimentation trop facile. Il s’agit de bâtir une expérimentation qui aille un peu plus
loin que là où en est le patient. Il s’agit d’avancer, mais pas trop fort car alors on
risque de mettre le patient en échec et de mobiliser de la honte.
L’expérimentation, c’est de la dynamite !
Il s’agit d’oser et de doser l’expérimentation.
Ne pas oublier que la thérapie n’est pas qu’affaire de stratégie ; que devant soi il y a
quelqu’un qu’on accompagne.
Le patient quand il se trouve dans une situation d’expérimentation se situe selon des
paramètres qui le définissent ; et c’est à partir de ces paramètres qu’on va réfléchir à
l’expérimentation, que l’on va infléchir l’expérimentation.
Il s’agit d’oser et de doser l’expérimentation.
La réponse expérimentale se situe nécessairement dans le processus, dans le
continuum de l’expérience.
Ne jamais confondre « le déplié de l’expérimentation » avec « l’outil ».
4.5 – La posture du « psychothérapeute-expérimentant ».
Il est important que le psychothérapeute connaisse les formes, les schémas
organisationnels du patient dans lesquels il risque de se faire impliquer. Il doit par là
affecter une position psychopathologique non normée.
Il doit, à la fois, être statique pour demeurer un repère pour le patient et être à l’affût
d’une ouverture que celui-ci peut laisser sourdre pour alors proposer une orientation
expérimentante dans un élan créateur immédiat, réfléchi et allant de soi.
Le psychothérapeute ne doit pas avoir de position interprétative hâtive pour, dans une
posture de lâcher prise néanmoins vigilante, pouvoir repérer comment se déroule le
cycle de contact et tâcher d’identifier les schèmes et les propensions du patient à
tendre la relation pour des raisons plus ou moins obscures.
La position du psychothérapeute peut varier de la plus passive à la plus tonique et
agressive.
- S’il est en position d’impuissance, la fragilité qu’il suscite chez l’autre sera
un moyen de contrôler l’autre.
- Le retrait, la mise à distance, le repli sur soi va donner à l’autre la
possibilité de se rapprocher.
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- L’interrogation va s’assortir le plus souvent de soupçon, de culpabilité, de
honte ; car c’est évoquer le passé et par voie de conséquence dire que ce
qu’on a dit de l’expérience jusqu’à présent n’intéressait pas le
psychothérapeute. C’est de l’intrusion pourvoyeuse de honte.
- L’intimidation du genre « je sais ce qui est bon pour toi » est une
expérimentation brutale qui a à voir avec la maltraitance, la violence, les
coups. Ainsi dans la relation de couple, si l’un des partenaires est
intimidant, l’autre sera impuissant ; si l’un est en retrait, l’autre sera
interrogatif ; si l’un a des interrogations, l’autre sera dans le retrait et la
mise à distance.
4.6 – Au cœur de l’expérimentation : « la situation d’urgence ».
La situation d’urgence est une réponse qu’un individu doit construire devant telle
situation.
Par exemple si l’enfant a un parent menaçant physiquement et moralement, il va
s’adapter en créant des protections corporelles, émotionnelles et imaginaires ; il crée
une situation d’urgence intense. Et si cela se répète, la réponse va diminuer en
intensité mais en chronicisant quelque chose. L’enfant va rétracter ses affects, il va par
exemple être avec une tension nuque épaule tête en regardant du coin de l’œil ce qui
va encore lui tomber dessus. La situation d’urgence qui était de forte intensité et
fortement insécurisante va devenir une situation d’urgence chronique de basse
intensité.
Or d’après Perls, la situation d’urgence chronique de basse intensité est une des
définitions de la névrose, et elle va prendre le dessus sur l’ajustement créateur.
Mais comment se souvenir que tout cela a commencé comme un ajustement
créateur ?
Cette situation d’urgence chronique de basse intensité a à voir avec le comment, ex :
comme si le monde allait me battre, m’agresser.
Le psychothérapeute va essayer d’identifier les situations d’urgence chroniques de
basse intensité pour ensuite proposer des situations d’urgence, ici et maintenant, en
forte intensité et sécuritaire.
Une des tâches du psychothérapeute sera alors le soutien mais aussi la frustration.
Frustrer le patient, c’est le frustrer de se réfugier dans ses réponses habituelles comme
il a l’habitude de le faire dans ses modalités d’esquive.
Le psychothérapeute va alors proposer au patient, en forte intensité et de manière
sécure, une expérimentation où il va le frustrer de ses réponses habituelles et le
contraindre à inventer quelque chose.
On ne peut justifier l’expérimentation que quand la séquence, le scénario, son
processus, son comment, ont été identifiés et qu’alors le psychothérapeute peut donner
du soutien afin que le patient remobilise alors sa capacité d’ajustement créateur.
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4.7 - Les exercices ou « outils »
Toute une panoplie d’exercices, d’expression, de mises en situation, d’amplification de
certains ressentis et d’émotions, existe et peut être utilisée.
4.7.1 – leur utilisation
Bien vérifier l’à-propos de leur utilisation qui doit tenir compte de certaines
composantes psychopathologiques et de l’évolution de chacun.
Par la confrontation avec la nouveauté dans le cadre d’une expérience
protégée ; et dans un parti pris strictement limité de développement personnel ;
la personne pourra toujours approcher quelque chose d'elle-même, quelque
chose de déclencheur plus ou moins bénéfique sur le plan de la connaissance
de soi ; mais sans la nécessaire mise à distance psychothérapeutique qui seule
permet le tissage du sens.
Dans l’optique de la gestalt-thérapie, l’expérimentation thérapeutique ne
peut être que directement reliée aux situations d’urgence et situations
inachevées de chacun.
Les dispositifs ainsi actés permettent de mettre au devant de soi le produit de
son imagination, de sa créativité, de ses comportements, de ses réactions, de
ses émotions, dans la relation ici et maintenant à l'autre, en présence du
psychothérapeute, que cela soit effectué en individuel ou en groupe.
Par là, la personne est appelée à ressentir, avec ses sens, ses émotions et sa
psyché, ce qui se passe en elle, sans censure immédiate, à le reconnaître,
l'accepter dans la complexité de ce qui « s'advient », pour ensuite le
comprendre et tisser du sens en l'expérimentant en conscience.
4.7.2 – la trousse à outils du gestalt-thérapeute
- liste non exhaustive − l'amplification des émotions
− la méditation « pleine conscience «
− les exercices respiratoires :
− la respiration que l'on calme en diminuant l'expir
− la respiration ventrale
− on inspire en gonflant le ventre et expire en creusant le
ventre
− la respiration vertébrale
− on inspire en remontant du périnée vers le sommet de la tête
en visualisant le colonne vertébrale
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− on expire en redescendant du sommet de la tête vers le
périnée en visualisant le devant du corps
− la respiration « tonglen »
− on inspire de l'air frais et blanc chargé positivement et on
expire l'air vicié
Les exercices d'expression plastique ( en utilisant différents médias –
crayon, craie, peinture, collage, graph, éléments naturels, terre ... )
les exercices d'écriture
− le journal intime
− le journal d'itinérance
− la lettre
− l'épitaphe
− le haïku
− le swingle
− le brain storming
les exercices pour une prise de conscience spécifique de chacun des 5 sens
l'utilisation de la video en autoscopie
la photo numérique
le génogramme
exercice de la prise de vue
les constellations familiales
la mise en acte
le monodrame
le psychodrame
le rêve éveillé guidé
le rêve éveillé dirigé
la métaphore
le siège chaud
le travail sur les polarités
la sculpture vivante
le théâtre
le clown
le « post-it » sur lequel est inscrite la petite phrase à répéter régulièrement
tous les matins au réveil
le jeu de rôle
le jeu des bâtons
le jeu de cubes pour prendre conscience de son positionnement dans
l'environnement
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4.8 – Le travail avec les émotions
4.8.1 - Un point central de la gestalt-thérapie : la conscience immédiate de
l’expérience émotionnelle
4.8.2 - L’émotionnel est :
- un régulateur essentiel de l’action
- un processus toujours présent d’évaluation qui faisait partie de l’expérience
de l’organisme et résultait du champ de l’interaction organisme/environnement
- il mobilise l’action et fournit à l’organisme la conscience de ses besoins
4.8.3 - Dans les approches centrées sur le client
Le « sentiment » a été défini comme l’union de l’émotion et de la cognition.
Et cette définition reflète la croyance qu’on fait toujours l’expérience de
l’émotion et de la cognition inséparablement et simultanément comme
signification individuelle (Rogers).
L’approche centrée sur le client a donné un rôle central au concept
« d’expérimenter » lequel a été défini comme : tout ce qui arrive à
l’intérieur d’un organisme, accessible à la conscience, à n’importe quel
moment.
Dans la toute première formulation du processus de changement de Rogers,
l’expérience consciente et l’acceptation de sentiments précédemment niés
jouaient un rôle prépondérant.
4.8.4 - Dans la théorie de la thérapie centrée sur l’expérience,
L’émotion est vue comme une tendance adaptative biologique, une tendance à
l’action rapide et un système de significations qui fournit des informations sur
l’état du corps et de l’esprit et qui est la base d’un système de croissance adapté
à l’intérieur de l’organisme.
La création de la plupart des expériences émotionnelles est initialement
entraînée par des processus préréfléchis, implicites, qui entraînent des
réponses primaires suite à de simples évaluations perceptives.
Plus tard, et à travers de plus amples développements, ces processus
automatiques sont suivis d’activités plus complexes dans lesquelles le simple
processus sensoriel et perceptuel est combiné avec l’information mnésique et
idéationnelle pour former le schème émotionnel.
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Le schème émotionnel est pensé comme une structure hautement intégrative et
qui fournit des réponses automatiques.
Cette structure interne produit des réponses émotionnelles discrètes et donne à
l’individu des réponses viscérales et la synthèse d’un conglomérat de schèmes
d’émotions qui sont comprises comme fournissant un plus grand niveau de
sens de soi et du monde.
Ce processus de synthèse des schèmes peut être pensé comme une production
de gestalts, avec une figure et un fond.
4.8.5 - Evaluation de l’émotion
4.8.5.1 - Les émotions primaires sont les réactions les plus initiales,
fondamentales et directes de la personne à la situation.
On peut les penser comme les affects basiques de la personne.
Ce sont les réponses viscérales aux situations.
Ce sont les tous premiers sentiments, en réponse à une situation
stimulus, telle la colère face à un abus, la tristesse face à une perte, la
peur face à un danger.
Ces émotions ont une valeur de survie et de bien- être.
4.8.5.2 - Les émotions secondaires
Ce sont des émotions en réponse à un sentiment plus primaire ou une
pensée.
Elles sont gênantes parce qu’elles obscurcissent souvent ce que la
personne éprouve profondément.
Par exemple, un client peut se sentir déprimé, mais cette dépression
peut en réalité recouvrir un sentiment basique de colère.
4.8.5.3 - Les émotions instrumentales
Les émotions instrumentales sont des émotions exprimées en vue
d’influencer les autres.
On les assimile aux émotions manipulatrices, celles que les gens
utilisent pour obtenir ce qu’ils veulent.
4.8.5.4 - Les émotions mal adaptatives
Les émotions qui nuisent à l’adaptabilité sont ces vieux sentiments
familiers qui surviennent de manière répétée et ne changent pas.
Des sentiments comme une sensation de profonde solitude, de tristesse,
d’abandon, de non-valeur, de colère explosive qui détruit les relations,
ou de sentiments récurrents d’inadéquation honteuse qui empoisonnent
toute la vie.
Faire des distinctions entre les différents types d’émotions fournit au
thérapeute une carte d’intervention différenciée en fonction de
l’émotion.
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Les émotions primaires ont besoin de devenir accessibles pour leur
information adaptative et leur capacité à organiser l’action, alors
que les émotions fondamentales d’inadéquation doivent être régulées
en transformées.
Les émotions secondaires ont besoin d’être explorées ou laissées de
côté pour accéder à leur matrice cognitive et émotionnelle la plus
primaire.
L’expression instrumentale des émotions a à être amené à la
conscience de la personne de manière qu’elle identifie le besoin ou
le but visé par leur expression.
Le travail centré sur l’émotion, implique d’accéder aux émotions
primaires adaptatives de manière à élaborer leur information adaptative
et à transformer les états inadaptés.
4.9 – le travail avec les rêves
Le rêve est abordé dans son contexte et ce contexte est celui de la thérapie.
L’accent est mis sur le fait que ce rêve particulier est raconté à ce thérapeute, à ce
moment donné de la thérapie. Raconter un rêve à son thérapeute c’est lui dire quelque
chose que le sujet lui-même ignore et ne saurait lui dire d’une autre manière.
Le contenu du rêve est considéré comme construit à partir des rétroflexions, et en
particulier des rétroflexions produites au cours de la précédente séance qui tentent
ainsi de se défaire, d’abord dans le rêve puis dans le récit du rêve à un destinataire
donné.
Le thérapeute accordera donc une attention particulière aux rêves qui se sont produits
dans la nuit qui a fait suite à la séance. Mais le rêve peut aussi être « construit » au
cours de la nuit qui précède la séance, comme dans une sorte de préparation à cette
séance à venir.
Les éléments du rêve peuvent aussi être considérés comme des parties du travail
psychique du rêveur. Exemple : je suis la route qui monte, la grosse bête qui me fait
peur tout autant que moi qui ait effectivement peur … A ce titre le gestalt-thérapeute
peut amener le patient à se projeter dans un de ces éléments et à le faire vivre, à
l’amplifier et à ressentir ce que cela lui fait.
La psychanalyse permet de repérer les phénomènes de condensation et de
déplacement qui sont à l’œuvre dans le rêve.
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La condensation et le déplacement sont des mécanismes de défense déplaçant la
valeur et finalement le sens. Une seule représentation va en remplacer plusieurs autres.
Elles sont également à l'oeuvre dans les actes manqués et les jeux de mots. J. Lacan
présente la condensation comme une métaphore.
La poussée d’individuation et l’inconscient collectif de K. G. Jung sont aussi un
concept fécond dans le travail sur les rêves.
L'individuation se rapporte à la réalisation de « Soi » par la prise en compte
progressive des éléments contradictoires et conflictuels qui forment la totalité
psychique, consciente et inconsciente du sujet. C'est la voie individuelle de réalisation
personnelle.
L'inconscient collectif selon Jung est « le dépôt constitué par toute l'expérience
ancestrale depuis des milliers d'années, l'écho des évènements de la préhistoire, et
chaque siècle y ajoute une quantité infinitésimale, de variation et de différenciation ».
Mais ce qui affirme la spécificité de la gestalt-thérapie dans le travail sur les rêves
est d’éviter toute interprétation et de proposer des expérimentations qui vont amener le
patient à vivre de l’intérieur le récit du rêve, et en la présence du gestalt-thérapeute.
Cette approche permet de court-circuiter le mental, de toucher un niveau plus profond
et d'amener à la conscience du rêveur ce qu'il est potentiellement.
En gestalt-thérapie, on valorise l'idée que chaque élément du rêve représente une partie
du rêveur. Eprouver, ressentir et comprendre profondément le message de chacune de
ses parties ouvre une nouvelle unification.
4.10 – Le travail corporel
La gestalt-thérapie essaie d’approcher l’expérience de son patient dans sa globalité.
Cela veut dire qu’il prend en compte les dimensions corporelles et émotionnelles,
aussi bien que cognitives, intellectuelles, comportementales, oniriques,
imaginaires, expressives et autres de la personne qu’il accompagne et qu’il peut se
servir de ces dimensions pour entrer en contact avec lui.
Mais cela veut aussi dire que le gestalt-thérapeute ne sépare pas ce que notre
langage nous a appris à séparer : le corps d’un côté et l’esprit de l’autre.
Le « corps », ou « l’émotion » ne sont que des modalités partielles de l’expérience
d’un sujet, modalités parfois fragmentées ou isolées dans des processus pathologiques
et ce n’est pas en les abordant de façon séparée qu’on aidera le sujet à refaire son
unité.
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4.11 - La rencontre thérapeutique
Elle est rencontre de deux champs, l’organisme et l’environnement. Chacun – le
patient et le thérapeute - est une part de l’environnement, une part privilégiée, de
l’autre. Chacun tend à constituer la totalité de son champ en élargissement de son
champ en tant qu’organisme. Chacun serait ainsi générateur d’un champ
morphogénétique, c’est-à-dire tendrait à donner forme à ce qui se présente dans
ce champ.
La situation thérapeutique consisterait alors, à partir d’un faisceau de résonances
mutuelles, à introduire un germe susceptible de cristalliser certains éléments
métastables en présence pour donner jour à une nouvelle configuration.
Il s’agit d’être en juste intuition comme en parle P. Fédida : « La juste intuition, et
aussi l’erreur de certains analystes, est d’avoir bien évalué la place qu’il convenait
d’accorder à ce concept du soi, du point de vue technique, mais d’avoir voulu le
théoriser de telle sorte qu’il se systématise parfois comme une quasi-instance et perde
ainsi sa structure de métaphore transférentielle/contre-transférentielle ».
Plusieurs facteurs sont d’importance dans ce processus :
- Si chacun des membres de la dyade thérapeutique génère en permanence un
champ morphogénétique
une large part de cette influence s’effectuerait en
dehors de la conscience ; d’où la nécessité pour le thérapeute d’une
connaissance approfondie de lui-même, d’une résolution de ses situations
inachevées et d’une conscience de ses modalités propres, de ses modalités
idiosyncrasiques.
L’accent mis par la gestalt-thérapie sur la conscience, conscience immédiate
(awareness) et conscience différée (consciousness), de l’ici et maintenant de la
situation de contact ouvre à une morphogénèse délibérée grâce au jeu des
identifications/aliénations restaurées dans lequel le germe morphogénétique
ainsi instillé permet une structuration des éléments en présence, dans leur
contact avec la nouveauté.
Le champ bipolaire thérapeute/client se structure dans une conflictualité des
germes structuraux de l’un et de l’autre :
- D’un côté il y a l’univers chaotique et entropique du client
qui présente un désordre qu’il n’a pu mener jusqu’à la crise
et chez qui la pacification prématurée des conflits s’est
exercée tant aux conflits qualifiés d’intérieur que de ceux qui
se déploient avec autrui.
Le pathologique est l’impossibilité de la crise ; crise qui
est acception du chaos, de sa gestion créative et
constructrice.
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-
De l’autre côté il y a le thérapeute qui doit pouvoir mettre à
jour la conflictualité avortée, ouvrir la crise et offrir un
soutien suffisant pour permettre la construction et la création
en contact avec la nouveauté.
4.12 - Quelques éléments fondamentaux de la pratique de la gestalt-thérapie
Il s’agit d’éclater le champ du sujet, champ qui est pauvrement structuré de façon
chronique.
Comme le sujet a certaines manières standardisées de percevoir ou d’agir en relation à
un besoin, le praticien peut isoler des parties de ce champ de telle sorte que la
tendance autorégulatrice de la névrose se trouve dispersée en sous unités plus petites.
Cette éventualité permettra à la fois la réorganisation du champ moteur, avec son
énergie, sa libido, ses besoins, et, du champ perceptif.
Le praticien travaille aussi à rendre plus intense chaque figure qui émerge. Par
exemple, si le sujet semble prêt à pleurer, le thérapeute peut remarquer une tension et
des contractions du visage et peut-être des yeux brillants, il sait que la figure « pleurs »
est en train d’émerger. Mais si l’impulsion est retenue par le sujet, le praticien travaille
alors à débloquer l’impulsion de telle sorte qu’elle puisse organiser le champ.
Ainsi il peut offrir la résistance musculaire à pleurer, comme figure à l’attention du
sujet en lui disant « comment faîtes-vous pour vous empêcher de pleurer ? »,
« comment faîtes-vous en ce moment pour vous empêcher d’obtenir ce que vous
désirez, dans la situation immédiate ? »
Une grande partie de l’activité du praticien est consacrée à la conscience du corps,
afin que le sujet puisse ressentir comment il contracte ses muscles ou comment il
manipule sa tête, ses yeux ou son corps pour s’empêcher de voir ou faire certaines
choses.
Le but n’est pas de détruire la capacité de contrôle du sujet, mais plutôt de faire en
sorte que cela fasse l’objet d’un choix intentionnel.
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5 - La gestalt-thérapie est aussi un chemin
de vie, une ouverture à ce qui est, une quête
du bonheur, au travers d'un pacte secret et
agissant, liant l'homme et son « être au
monde » , à son mystère profond.
5.1 - La quête du bonheur ... ?
Nous ne savons pas d'où nous venons et pas plus vers quoi nous allons. C'est du moins ce qu'il
nous semble si nous nous bornons notre vécu au système codé des sciences humaines
conventionnelles.
L'homme existe parce qu' « il fait » et cette affectation au « faire » balance entre l'inné de
notre condition d'être et cette énergie qui nous oblige avec plus ou moins d'intentionnalité
convenue, feinte, avouée ou effective à l'ajustement créateur avec l'environnement.
De par la théorie du champ, de part la loi dite de l'holistique, qui dit que « chaque partie
d'un tout reconstitue le tout », chaque être est aussi l'humanité toute entière.
Nous avons en nous un élan, une énergie, une promesse, une sorte d’image en creux d’une
certaine forme intérieure qui nous pousse vers la croissance, vers la réalisation de nous-même.
Ceci nous fait tendre « vers la ressemblance » à quelque chose de mystérieux ; et ce,
apparemment en aveugle mais ressentie intuitivement comme mû par un appel intérieur à la
corrélation.
Ainsi nous accomplissons le « contacter » entre notre organisme humain/animal, notre être
propre, et, l'environnement, l'autre, l'autre être, dans l’apparaître d’une situation.
Là, une forme survient, une forme en émergence lente qui transforme l’ici et maintenant de
l’expérimentation du moment en voyage intérieur (ou/et extérieur) durant lequel un processus
intime et continu de Soi-en-devenir s'enclenche à l’occasion de la nouveauté.
Cette ouverture se produit à l'occasion du contact avec l'autre, d'un flash existentiel, d'une
prise de conscience de son ignorance, de sa vulnérabilité et de sa souffrance, ou bien à partir
d'un questionnement plus ou moins intentionnel sur le sens de la vie.
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Un profond désir de changement se confronte à l'inconnu, à l'indicible, pour s’en remettre
alors à l'imprévisible de la situation.
Il y a rencontre des archétypes, ou symboles mythiques, qui touchent l'homme et l'ébranlent
en lui dévoilant le réel derrière la réalité, l'esprit derrière la psyché, le monde ontologique
derrière le monde des apparences, le monde de l'intelligence derrière le monde « mental »
des significations, le signifié derrière l'amoncellement des signifiants.
Cette rencontre avec l'autre, qui se passe au plan intérieur de l'être, certains comme Annick de
Souzenelle, l'appellent le mariage mâle-femelle en notre fors intérieur, entre notre pôle mâle,
qui « se souvient » de l'immense potentiel constitué en ses profondeurs, et le pôle femelle, où
est scellée l'image initiale essentielle, l' « originel » de tout être, la semence de tout être, qui
fait de nous une personne unique bien que paradoxalement tout être soit aussi l'humanité toute
entière.
Cette rencontre, certains la nomme l’aspiration à la complétude.
Cette intention, cette visée noétique, cet inexpliqué qui nous pousse plus avant de notre
propre volonté afférente, est liée au besoin de connaissance, à cette faim de découverte et de
compréhension de notre situation, de là où nous sommes, dans l'ici et maintenant de la
présence à soi, aux autres et au monde. Nous sommes un sujet connaissant, en marche,
sommé d'accomplir ce qui peut paraître notre destin.
Cette connaissance s’étaye sur notre capacité à discriminer le bien et le mal, le oui et le non,
par l'activation et l'expérimentation de la « fonction ego » de notre « self ». La connaissance
est fille du discernement.
Cette faculté discriminante semble nécessaire pour se frayer un passage dans l'opacité de
notre monde existentiel, pour faire face à un environnement souvent entrevu et réduit aux
proches vicissitudes de la vie et à la quête d'un « avoir » capable, croit-on, de palier aux peurs
et à la mort. Nous sommes, dans nos errances existentielles, banalement mesurés à l'aune du
bonheur consumériste.
Hors la non-conscience qui constitue son fond, la capacité à délier le oui du non, le bien du
mal, la lumière des ténèbres, qualifie la conscience de l'homme en prise avec son intériorité
profonde pour l’exposer à son potentiel de croissance, son incréé latent riche de possibilités à
venir.
Ces deux pôles, non-conscient et conscient, ou non-accompli et accompli signifient
l’écartèlement psychique de l’homme en proie avec le manque, la souffrance, la crainte de sa
disparition et la rupture d’avec les illusions. Ils sont les deux côtés de l'homme, astreint par
son travail vers la ressemblance, à cheminer en aveugle, mais poussé par une nécessité
intérieure, vers ce qui s'inscrit en filigrane, en lui-même, comme communauté de
cheminement.
Découvrir ce penchant caché de notre nature, ce côté inaccompli, c'est découvrir cette partie
femelle en nous, cette faim de l'autre, c'est s'inscrire dans un processus tout à la fois de
différenciation, de conjugaison et de mariage.
47
Il y a par là, révélation du nom de la tradition, dévoilement de la semence à faire fructifier.
Chacun de nous est ensemencé dans son nom secret pour faire croître, par une gestation
grandiose, l'enfant intérieur, l'enfant de l'évolution qui est en nous, l'être enfin contacté sur
son chemin de vie.
Par là, le vieil homme animal/humain, l'homme en tunique de peau – tel que le représente les
chapiteaux des églises romanes - que nous sommes, se métamorphose ; il devient l'homme
nouveau, l'homme capable d' « aller vers. »
Si le non-conscient est notre terre d'origine et nous confine à nos errances d’animal/humain, il
implique aussi un passage possible vers la lumière de la conscience, aspiration à vivre le jour
nouveau qui poind hors de l’obscurantisme et de l’acédie – cette qualité pathologique qui
conjugue dépression et paresse.
Le voyage initiatique vers le grandir de soi ne peut s'effectuer que par l'expérimentation
vigilante et tenace de soi en contact avec les petites et grandes épreuves de la vie de tous les
jours sur notre chemin de conscience vers davantage d'ouverture à notre « être au monde ».
Ce chemin ne peut être qu'expérimental, fait d’allers et retours, d'évolutions et d'involutions,
où l'entropie le dispute à la néguentropie sur la scène du théâtre de la vie, de l'homme debout
en marche vers son accomplissement ; tragédie où la claire vision et la conscience des
nécessaires morts et renaissances tissent notre posture de sagesse toute à la fois impliquée
dans ce qui est, et vide et impermanente par un lâcher prise devant toute perspective
semblant raisonnée mais passible de trahison vis-à-vis de ce qui est juste.
Ce travail d'éveil, effectué par paliers, fait de chutes et d'avancées entraîne la normalisation de
notre état de non conscience vers une existentialité agie de notre « être au monde ».
Il y a par là, dans l'existentialité de notre « être au monde », dans l'esclavage intérieur de
l'homme soumis par modalisations et introjections aux diktats de la soit disant bonne pensée.
Dans ce combat avec nos ombres, la promesse de rassembler les conditions inhérentes à
l’expression d’une vie pleine et assumée nous permet de réduire nos prétentions et faux
espoirs de succomber à la tentation de fabriquer des outils permanents susceptibles d’accroître
la chosification de l’homme.
Cette non-conscience, concrétisée par la venue sur le marché du bien-être d'objets de survie,
de vessies que nous prenons pour des lanternes, fait proliférer dans des secteurs liés en
priorité au merchandising et à ses cours boursiers des fruits calibrés et normalisés, alors
admirables, séduisants, pertinents, adaptés, vantés et valorisés publicitairement, mais eu égard
à la véritable vocation de l'homme, quasiment stériles. Un trompe-l’œil pour la vraie vie.
Cette fausse programmation n’est qu’un parasitage alors que le besoin d'information
ontologique reste intact au profond du for intérieur de l'Homme.
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J'entends par « ontologique », ce qui qualifie l'état réel et fondamental de l'homme.
Il y a, par là, obligation de distinguer un nouveau paradigme de l'ancien paradigme.
Paradigme = modèle qui rassemble toutes les valeurs et les lois qui les régissent.
Donc, il y a, d'un côté, « l'ancien paradigme », la dépendance à l'avoir de l'existence qui
est insupportable car, réduit aux lois de l’habitude et au moralisme ambiant, il promeut un
projet d’existence qui éclate dans des anarchies destructrices à court terme et génératrices de
désirs et manques à moyen terme et donc de souffrances.
Toutefois cet apparent impasse qui semble caractériser ce « premier paradigme » est un
labyrinthe constitué de fausses portes, de mauvaises directions mais aussi, par l’énergie qui
le porte, d'une issue réelle quoique secrète.
Et c’est là, à ce point nodal que se révèle le « nouveau paradigme », surgi de l’évocation du
mystère des mythes, des injonctions numineuses aperçues dans le lâcher-prise de
l’animal/humain alors en défusion paradoxale. L’Etre humain soumis ordinairement à
l’obligation de s’ajuster créativement avec l’environnement découvre l’autre côté de luimême, dans le défaire du stade du miroir prolongé, hors du codage existentiel et contextuel
ambiant. L’Etre humain est sommé d’être. Il est le « je suis ».
*
Mais comment accéder, par notre raison à l’intelligence causaliste, à ce nouveau paradigme au
langage sibyllin, hors notre grille mentale forgée par la pratique du labyrinthe ?
Pour celui qui pressent la véracité et la pertinence de cette notion de semence originelle préinformative, il ne peut y avoir que rejet des normes et des valeurs qui l'étouffent.
C'est alors que l'homme développe une « écoute du coeur », appuyée sur une vigilance pleine
et sensible, sur une awareness dénuée de sensiblerie et de toutes perturbations de la fonction
ego. Ainsi peut s'établir une résonance, tel un lointain écho qui devient de plus en plus
proche, entre le chant du mythe et celui d'une mémoire secrète qui tout à coup s'élève et fait
se souvenir.
L'Etre humain est saisi par un souffle nouveau qui le porte à danser, à se faire vrille ou flèche
à percer le ciel. Il ne sait plus rien ; si ce n'est que tout a pris sens et qu'il n'est plus dans la
prison du labyrinthe. Il devient pneumatique, porté par un aller vers qui le transcende,
inéluctablement.
Le corps de l'Etre est bien là et sa conscience y est attachée, mais quelque chose ne lui
appartient plus.
Une démarche s'impose, hors le langage ordinaire, dont l'expression semble alors un
bavardage désuet qui recouvre cette montée exigeante s'élevant des profondeurs de l'homme.
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S'inscrire dans une telle démarche peut donner le tournis parce qu’elle parait déconnectée de
la vie sociale habituelle à celui qui s'inscrivant dans la raison raisonnante s’éloigne de l'écoute
sensible et de la pleine conscience.
Toutefois, dans ce passage de la conscience en marche vers sa transformation, les peurs
règnent ; la peur de la nouveauté, la peur d'avoir à abandonner ses valeurs d'antan, de devoir
mourir à son oeuvre, la peur d'abandonner les certitudes du monde d'ici bas.
Mais quand il y a peur, il y a nécessairement et corrélativement injonction à y faire face, à se
situer face à ce qui est, à soi, à l'Etre, au mystère.
C'est par l'épuisement des valeurs de cet espace labyrinthique du premier paradigme, qui ne
répondent plus aux situations d’urgence que cet espace engendre, que nous pourrons nous
pourvoir, par une ouverture possible, vers un nouvel espace se référant aux valeurs
ontologiques.
Par sa pratique de champ, la Gestalt-thérapie ouvre le cercle des habitudes, des artifices,
des illusions, des chosifications, des dogmes, des enrégimentements de tout acabit, et même
parfois d'une pratique psychothérapeutique égotique centrée complaisamment sur un
« dolorisme » émotionnel sans quête de sens, afin que, dépouillés du voile de ces émotions et
de l'ignorance, du voile de l’acédie, nous puissions affronter notre nature véritable en
marche, par le processus du grandir de l'être, par la relation consciente à ce qui est.
Il y a cercle ouvert. Serait-ce le bonheur ?
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5. 2 – Le retournement : un pas de plus vers la guérison
Le retournement ou métanoïa signifie « au-delà de nous », et par extension, au-delà de notre
intellect, de notre raison raisonnante. Elle se rapporte à un mouvement de conversion ou de
changement radical de perspective par lequel l'homme s'ouvre à plus grand que lui.
L'homme est enfermé en lui-même, enfermé dans ses peurs, tel le chercheur qui à priori
devrait être disponible et curieux de toute situation nouvelle, mais qui se garde bien de trop
s'ouvrir à ce qui n'est pas sa partie. Il est formaté par sa propre discipline. Et, le Gestaltthérapeute ne déroge pas à la règle, captivé qu'il est par son domaine de recherche et son
faisceau conceptuel, il résiste mal à la tentation du réductionnisme, de voir par le chas de son
aiguille. Cela nous renvoie à l'aphorisme de Mark Twain : « Quand on a pour seul outil un
marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous ».
Les peurs principales de l'homme sont : la peur d'être condamné, la peur de ne pas être aimé,
la peur d'être rejeté, la peur de ne pas avoir d'identité stable, la peur d'être submergé, la peur
de l’abandon, la peur du manque.
L'homme est réduit à son individualité naturelle, immergé dans les soucis de la vie temporelle.
Il est aliéné aux nécessités de la survie existentielle. S'installent alors l'angoisse de l'insécurité,
la hantise de la solitude, le manque de sens à donner à sa vie, la crainte de la souffrance et la
frayeur de la mort.
Cette aliénation au monde visible extérieur, à cet univers clos où tout est référé à nos
perceptions et à conceptions, c'est le mouvement centripète de l'égocentrisme.
D'après la théorie de la gestalt-thérapie cet égocentrisme est une perturbation de la fonction
« self », une scorie découlant du travail psychothérapeutique nécessaire pour dégager le
« moi » des données existentielles qui l'encombre.
La prise en compte des perturbations – la confluence, la projection, l'introjection, la
rétroflexion, la déflexion – et leur expérimentation dans la relation psychothérapeutique
amène à davantage de prise de conscience et corrélativement au renforcement de notre ego, de
notre capacité à discriminer dans le flot des incitations ce qui est bon ou pas pour soi. Il peut
s'en suivre une diminution de la souffrance à court terme par un meilleur ajustement à
l'environnement existentiel mais aussi à une inflation egotique ; le « moi je » devenant la
référence à considérer en premier lieu dans les transactions quotidiennes.
Ainsi l'égotisme devient l'expression d'un contact non satisfaisant à l'environnement, d'une
non-relation. Beaucoup de portes se ferment. Nous sommes face à un mur.
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La gestalt-thérapie, en effet, parfois oublieuse de son fondement phénoménologique, a ellemême trop souvent succombé à la fascination de l'expression cathartique et des techniques
dites de « développement personnel », à l'illusion de croire que ses concepts étaient des
réalités, qui plus est définitives, et qu'elles avaient le pouvoir d'exorciser la souffrance par
l’expérimentation sans visée et de conduire au bonheur.
Quitter cette illusion de toute puissance, c'est accepter de ne plus savoir.
Chacun a la liberté de s'ouvrir lorsqu'il n'y a plus de solution existentielle et psychologique.
Nous sommes alors invités à la relation, nous sommes conviés à regarder l'autre, à accepter la
main tendue, à accepter d'être aidés.
Et pour apprécier le don de la relation, il faut le plus souvent avoir désespéré de ses propres
prétentions à vouloir atteindre le but par soi-même, avoir désespéré de ses propres capacités à
vouloir réaliser son bonheur selon ses propres conceptions, avoir reconnu ses manques et ses
faiblesses, et être entré en pleine conscience de sa vulnérabilité, pour donner place à l'autre, au
tout Autre.
Le retournement n'est pas uniquement dû à une voix intérieure, il est aussi réponse au coeur
de la vie existentielle.
Le retournement est un passage de l' « avoir » à l' « être », une ouverture à l'Autre qui vient
vers nous, au jamais vu, jamais expérimenté, à la nouveauté créatrice, en écartant nos
conceptions habituelles qui habitent notre vieille conscience.
Le retournement est inouï. Il nous engage sur un chemin sans recours ni retours en arrière vers
davantage d'ouverture au mystère qui est en nous et par là nous rend libre d'oeuvrer en
conscience au dépliement de notre propre vie jusqu'à son terme et notre inscription dans « ce
qui s'advient. »
Le retournement est « je » admis et cogéré par la raison et le lâcher prise à ce qui est. Il est
aussi « jeu divin » dans sa confrontation avec l’inconnu, où l’un, le soi, en connivence avec le
connu, crée son inconnu en cheminement, en dépliement, avec le mystère qui le transcende et
alors justifie sa marche en avant, sa vivance. C’est alors que nous sommes « je suis » dans le
silence contenu en la trame existentielle, entre les fibres de la justification de l’étant. Joie
d’une identité habitée. Joie d’une gestalt en affirmation de sa croissance d’être, de l’Etre. Joie
communautaire – comme un – du plein et du vide liés.
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6 – En conclusion, avec la gestalt-thérapie la
relation thérapeutique est une relation
engagée, organisée selon certaines valeurs
(d’après brochure IFGT 2004) :
« L’approche gestaltiste
est l’approche originale, unitaire, naturelle
et sans distorsions
de la vie,
c’est-à-dire des pensées, des actions et de la sensibilité de l’homme. »
F. Perls et P. Goodman
Cette relation s’origine dans un désir,
et porte sur une intention, une tension vers.
La mise en action de ce désir est aussi riche et complexe
que l’être-dans-le-monde,
d’autant qu’elle se nourrit également des différences émanant des personnes qui
l’oeuvrent.
Cette relation contribue à développer
des hommes et des femmes
solidement ancrés
en même temps qu’aptes à la flexibilité,
créatrice de formes nouvelles.
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La relation thérapeutique, comme la
relation de formation, est une relation
engagée, organisée par certaines valeurs :
Clarté
L’acte thérapeutique ne repose sur aucun mystère, ni sur aucune magie ou de
quelconques artifices de séduction
Discipline
La gestalt-thérapie est un ensemble d’exigences dont la mise en pratique
requiert travail, intentionnalité et rigueur, conditions nécessaires à la
spontanéité créatrice.
Création
Etre créateur de son existence, c’est oser la création sans objet : être créatif
dans ses ajustements, c’est prendre le risque de la nouveauté. Faire place à
l’étonnement, à l’insolite qui signifie la singularité de chaque être humain.
Sens
Le sens comme direction et mouvement, le sens comme signification, le sens
comme sensation. Rétablir l’équilibre des sens. En créer là où il en manque.
Remettre en mouvement là où il se fige. En abolir là où il est en excès.
Présence
Le présent, la présence. Ici et maintenant, l’analyse du cours de la présence.
L’analyse de la structure interne de l’expérience telle qu’elle est, et le degré de
contact qu’elle possède. Ici et maintenant aussi, la présence du passé, la
présence du projet.
Laïcité
Parce qu’il est « ailleurs », « hors les temples », le psychothérapeute peut
rencontrer l’Homme de toute appartenance, de tous lieux de références, de
toutes orientations philosophiques et spirituelles.
Ontologie
La perspective ontologique est cette faculté qu'a la personne de croître, de
s’orienter vers une direction ayant trait au grandir de l’être. Par cette attitude
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elle s’inscrit dans un processus de quête intérieure vers son mystère
fondamental.
Bibliographie :
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BUBER Martin – « Je et Tu » (Aubier) 1969
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YALOM Irvin – Thérapie existentielle (Galaade Editions) 2008
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L'auteur : Gaël Jean-Claude GERARD
a été professeur d'histoire et géographie,
formateur, psychothérapeute, gestalt-thérapeute, intervenant à l'université.
Il est actuellement gestalt-thérapeute et … jardinier de l'être.
janvier 2010
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