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DOSSIER DE PRESSE
SOMMAIRE
FICHE 1
Trafics en mer : Marins en galère - Campagne pour en finir avec les pavillons de complaisance
FICHE 2
Petit glossaire maritime
FICHE 3
Flotte mondiale : faisons parler les chiffres
FICHE 4
Kerguelen
FICHE 5
Le projet de RIF : le contrat social français à la dérive ?
FICHE 6
L'Erika : retour sur un imbroglio maritime
FICHE 7
Des conditions de vie, d'emploi et de travail proches de l'esclavage
FICHE 8
Femmes à la mer !
FICHE 9
Trois histoires parmi tant d'autres
FICHE 10
Les associations partenaires de la campagne
- Trafics en mer : Marins en galère ! Campagne pour en finir avec les pavillons de complaisance
Cette campagne se mobilise pour restaurer la dignité des conditions de travail des marins et lutter contre la
complaisance maritime. En ce sens, elle interpelle directement la France qui, en raison de sa tradition maritime et
de sa position géographique particulière, a un rôle majeur à jouer dans cette lutte à un moment où, au prétexte
de relancer sa marine marchande, la France cherche à créer un véritable pavillon de complaisance français : le
RIF.
Les cibles
Cette campagne invitera les citoyens à demander :
Au ministre des Affaires étrangères et au ministre de l'Equipement et des Transports :
ª d'engager au plus vite le processus de ratification de la convention des Nations unies sur l'immatriculation
des navires et de celles de l'OIT (Organisation internationale du travail) concernant les gens de mer ;
ª d'impulser une réforme de l'OMI (Organisation maritime internationale) afin que le pouvoir réel des Etats ne
dépende plus du tonnage de leur flotte.
A la vice-présidente de la Commission européenne en charge des Transports :
ª d'inciter tous les Etats de l'Union européenne (y compris les futurs Etats membres) à ratifier la convention
des Nations unies sur l'immatriculation des navires et les conventions de l'OIT;
ª d'impulser une réforme de l'OMI, afin que le pouvoir réel des Etats ne dépende plus du tonnage de leur
flotte.
Les partenaires
Cette campagne d’opinion publique est lancée par Agir ici en partenariat avec ATTAC et BPEM (Biens publics à
l'échelle mondiale). Elle est soutenue, en France, par 20 associations et 5 syndicats.
Au niveau international
A l'international, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) se mobilise depuis de
nombreuses années afin de défendre les intérêts des marins. Depuis plus de cinquante ans, l'organisation mène
campagne contre les pavillons de complaisance avec comme principaux objectifs :
ª l'élimination des systèmes de pavillon de complaisance et l'établissement d'un cadre de régulation pour les transports
maritimes ;
ª la lutte contre les navires sous-normes et l'application d'accords agréés par l'ITF pour tous les navires, en utilisant tous
les moyens politiques, industriels et légaux à la disposition de l'ITF ;
ª la protection et l'amélioration des conditions d'emploi des travailleurs maritimes, en veillant à ce que tous les travailleurs
maritimes, sans distinction de couleur, nationalité, sexe, race ou croyance, ne soient pas victimes de l'exploitation de
leur employeur.
La campagne "Trafics en mer : Marins en galère" se situe dans cette dynamique internationale et adhère aux
objectifs globaux défendus par ITF.
- Petit glossaire maritime Qui fait quoi ?
Au-delà des complexités juridiques, nous donnons ici les définitions usuelles les plus courantes.
Armateur : c’est l’exploitant réel du navire, ou de la flotte, dont il n’est pas forcément propriétaire. Ses clients
sont les affréteurs et chargeurs.
Affréteur : celui qui confie à l’armateur une ou des cargaisons complètes pour un ou des voyages donnés.
Chargeur : celui qui confie à l’armateur des lots partiels, sur un service dit de « ligne régulière », à clients
multiples.
Pour tout savoir sur les pavillons
Pavillon : terme désignant entre autres un drapeau que l’on arbore à la poupe d’un navire pour indiquer sa
nationalité. Par extension l’État concerné s’appelle l’ « État de pavillon ».
ª Pavillon bis : La véritable appellation est "Registre secondaire". Il s'agit d'un registre d'immatriculation de
navires créé par un pays maritime pour mettre une partie de ses navires en dehors de ses propres lois
sociales et fiscales. La France a ainsi créé en 1986 le registre dit "Kerguelen" pour les navires de charge et
"Wallis-et-Futuna" pour les navires de croisière. Les définitions et pratiques des pavillons bis tendent à se
rapprocher de plus en plus de celles des pavillons de complaisance (voir fiche « RIF »)
ª Pavillon de complaisance : des définitions multiples
Î État accordant à des navires étrangers une nationalité fictive permettant à leurs armateurs d’échapper aux
lois de leur pays.
Î État immatriculant des navires dont les armateurs sont établis à l’étranger. Cette définition utilisée par la
CNUCED a le mérite d'être mesurable.
Î Pavillon d’un pays qui immatricule beaucoup de navires étrangers et dont les droits du travail sont très
souples, les contrôles de sécurité réduits et la fiscalité attractive. C’est, en substance, la définition de l’ITF, qui
aboutit à la liste qui suit.
Registres "de complaisance"
(Les registres des 28 pays suivants ont été déclarés pavillons de complaisance par le Comité d'action de l'ITF contre les
pratiques déloyales.)
Antigua-et-Barbuda - Antilles néerlandaises - Bahamas - Barbade - Belize - Bermudes (Royaume-Uni) - Birmanie/Myanmar Bolivie – Cambodge – Chypre – Comores - Gibraltar (Royaume-Uni) - Guinée équatoriale – Honduras - Iles Caïmans (RoyaumeUni) – Iles Marshall (Etats-Unis) – Jamaïque – Liban – Liberia – Malte – Maurice – Panama - Registre maritime international
allemand (GIS) - São Tomé et Príncipe - Saint-Vincent et les Grenadines - Sri Lanka – Tonga – Vanuatu
Petites observations
ª Toutefois, nous soulignons l'insuffisance de cette liste qui ne prend pas en compte les registres secondaires.
ª 5 parmi les plus grosses flottes mondiales sont sur cette liste noire : Panama (1ère), Libéria (2ème),
Bahamas (3ème), Malte (4ème), Chypre (6ème). Ces 5 pavillons immatriculent près de la moitié de la
flotte mondiale et les trois quarts des flottes navigant sous pavillon étranger.
Sources : CNUCED, www.itf.org.uk
- Flotte mondiale : faisons parler les chiffres… Nombre
Flotte totale par % de chaque groupe d'immatriculations sous Taux d'immatriculation de
groupe de pays en pays dans la flotte pavillon étranger pour complaisance dans la flotte
Groupes de pays
chaque groupe pays
milliers de tonnes
mondiale
de chaque groupe pays
Etats-Unis et Canada
48 775
7%
37 981
78%
6 pays d'Asie *
202 878
27%
149 198
74%
10 pays UE **
259 653
35%
175 220
67%
dont France (chiffres 2002)
6 109
0,7%
3 126
51%
dont Grèce
143 107
19%
99 527
70%
4 autres pays d'Europe ***
85 641
11%
48 621
57%
Reste du monde
152 652
20%
56 471
37%
TOTAL MONDE
749 599
100%
467 491
62%
* Japon, Hong-Kong, Corée, Singapour, Taïwan, Australie
** Allemagne, Royaume-Uni, Danemark, Suède, Belgique, Italie, Espagne, Pays-bas, France, Grèce
*** Norvège, Russie, Suisse, Monaco
NB : Ce que nous appelons "Taux d'immatriculation de complaisance" (exemple Etats-Unis+Canada : 78%) est le rapport
entre le tonnage total et nombre d'immatriculation sous pavillon étranger. C’est pour nous l’estimation la plus valable de
la part des immatriculations de complaisance dans la flotte de chaque groupe, que les pays étrangers qui accordent
cette facilité soient ou non classés parmi les "pavillons de complaisance".
Le trafic de la complaisance
A travers ce tableau, nous nous intéressons aux taux de complaisance "externes" puisque ces données
n'incluent pas les pavillons bis. Les pays maritimes européens ont en effet inventé les "pavillons-bis" qui
accordent aux navires leur nationalité sans pour autant les soumettre à toutes les lois nationales et conventions
internationales. Si l’on ajoutait cette "complaisance interne" à celle qui est comptée dans les tableaux ci-dessus,
on s’apercevrait que le principe de complaisance est en passe de contaminer l’ensemble de la flotte mondiale.
Les principaux Etats de pavillons de complaisance n’apparaissent évidemment pas dans ce tableau. On sait par
la CNUCED quels armateurs les utilisent, pays par pays. On connaît aussi la part quasiment nulle qui est
effectivement contrôlée dans ces pays. Sept pays (Panama, Libéria, Bahamas, Malte, Chypre, Bermudes et
Vanuatu) cumulent plus des 3/4 de la complaisance mondiale. Une bonne vingtaine d’autres, en une liste
fluctuante (car tous les pays deviennent des pavillons de complaisance potentiels) se partagent le reste du
marché.
La concentration des grands armateurs
18 pays développés et 4 "dragons asiatiques" contrôlent 80% de la flotte mondiale.
Le poids réel de l’armement de l'Union européenne dans la flotte mondiale est considérable : 35%, immatriculé
pour les 2/3 à l’étranger. Mais les armateurs grecs gèrent plus de moitié de ce total, près de 20% de la flotte
mondiale !
Et les marins ?
Les pays maritimes du Nord fournissent encore un peu de main-d’œuvre, plus d’officiers maintenant que de
subalternes. La situation est inverse au Sud, et plus complexe dans les anciens pays du bloc soviétique. Mais au
total, majoritairement, les armateurs sont au Nord et les marins au Sud.
Les marchands de main-d’œuvre (manning) font la liaison entre plus d’un million de marins impunément
surexploités et les armateurs réels. Quant aux États "complaisants du pavillon" n’interviennent pratiquement pas
dans cette gestion mondiale de la main d’œuvre maritime.
Source : BPEM, d’après les chiffres calculés par la CNUCED (Étude sur les transports maritimes 2001) à partir de données communiquées par Lloyd's
Register et Fairplay.
- Kerguelen La naissance d'un nouveau système
En France, le gouvernement (en particulier, Jacques Chirac, alors Premier ministre) a travaillé à la constitution
d'un pavillon de complaisance propre au pays dès 1986. La création d'un tel pavillon était censée constituer une
solution admissible au règlement de la crise de la flotte marchande française.
Ainsi furent créés, par arrêté ministériel le 17 juin 1986, les registres dit "Kerguelen" (officiellement
« TAAF », pour « Terres arctiques et australes françaises ») pour les navires de charge et "Wallis et
Futuna" pour les navires de croisière. Ce sont typiquement des « pavillons bis » au sens où nous les
avons définis dans la fiche "Glossaire".
Kerguelen : fiche d'identité d'un pavillon bis
Dans les faits et selon l'arrêté de 1986 régularisé par la loi de 1996, le pavillon Kerguelen offre aux sociétés
armant les navires le bénéfice d'allègements fiscaux et salariaux très intéressants. Il permet d'employer
jusqu'à 65 % de marins étrangers (hors Union européenne) rémunérés et traités aux conditions présumées
de leur pays d'origine. Le reste de l'équipage, notamment le capitaine ainsi que l'officier chargé de sa
suppléance, doit par contre être français. De plus, avec ce système, les charges sociales sont remboursées à
50 % par l'Etat français.
Bilan
La France a opté pour cette alternative afin de rendre sa marine plus compétitive. Aujourd'hui, politiques, marins
et organisations de la société civile en tirent un bilan négatif…pour des raisons différentes...
Au niveau officiel, Henri de Richemont, sénateur français, estime que le pavillon Kerguelen est "trop fragile et pas
assez compétitif dans le cadre international actuel". Sa solution : aller encore plus loin dans la déréglementation
sociale via un nouveau système intitulé le Registre international français (cf. fiche sur le RIF).
En parallèle, les marins boivent la tasse et les organisations se battent contre "l'exceptionnalité" inacceptable
offerte par ces pavillons. Pour François Lille, dans son ouvrage intitulé Pourquoi l'Erika a coulé, "le pavillon bis
français des îles Kerguelen est un défi de moralité publique. Kerguelen est une coquille vide, un faux
semblant, c'est un exemple d'atteinte aux droits de la personne humaine : l'acceptation sur une portion
de territoire national de deux statuts sociaux différents, d'un apartheid local, d'une forme de
discrimination raciale dans le travail, que n'importe quel tribunal sanctionnerait sévèrement dans n'importe
quelle entreprise de France métropolitaine et d'outre-mer."
En fait cela va encore plus loin : de deux statuts on passe à des statuts multiples pour lesquels la
référence même aux conditions du pays d’origine devient un alibi commode. Via ces pratiques de
pavillons de bis, le marché mondial maritime se libéralise jusqu'à l’asservissement de ses travailleurs.
Le projet « RIF » vise à donner à ces pratiques, en France, le cadre légal qui leur manquait encore.
- Le projet de RIF : le contrat social français à la
dérive ? Le rêve des armateurs européens, et notamment français, de bénéficier des avantages d’un pavillon national tout
en se pliant aux lois de concurrence sauvages de l’espace complaisant international, se réalise par étapes. A cet
égard, le projet de nouveau Registre international français (RIF) serait pour nous la prochaine.
Les pavillons-bis français dits « Kerguelen » et « Wallis-et-Futuna » manquent de souplesse aux yeux des
armateurs et ne les satisfont plus. Le RIF, destiné à les remplacer pour les navires de commerce, devrait faire
sauter quelques verrous supplémentaires. La "loi Richemont"1, proposition déposée le 30 octobre au Sénat,
permet enfin de comprendre les lignes de force de ce projet longuement mijoté.
D’abord, on neutralise le droit français
Article 3 de la proposition de loi RIF
En matière de droit du travail, de droit syndical et de sécurité sociale, les navigants employés à bord des navires
immatriculés au registre international français sont soumis aux seules dispositions qui leur sont expressément applicables de
par la présente loi, dans le respect des engagements internationaux et communautaires de la France.
Balayées, toutes les composantes essentielles du contrat social français, général et maritime (Code du
Travail…). Remplacées par quoi ? Les quelques pages de cette loi ainsi qu'une référence vague à des
engagements internationaux que la France n’a pas encore pris2. A qui croirait, malgré l’article 3, que ce qui n’est
pas prévu ici est du ressort de la loi française, une simple phrase au bas de l’article 7 enlève cette illusion : "Les
dispositions non déterminées par la présente loi relèvent du contrat d'engagement."
Puis on offre aux marins un véritable retour en arrière !
En effet, sur cette table rase, on offre aux marins un patchwork de clauses imprécises et de quelques normes
minimales, extraites de conventions de l’OIT, et qui vont se substituer aux conditions plus favorables du droit
français.
Si cette loi est acceptée en l'état, la semaine légale de travail retourne aux 48 heures d’avant 1936, les fêtes
légales deviennent contractuelles, le SMIC disparaît (art.12) au profit du salaire minimum maritime du Bureau
international du travail (variable par pays : 362 $ pour la France à janvier 2000). La protection sociale
spécifique des marins ne concerne plus qu’une petite minorité française (même pas tous), dont l’emploi est
de ce fait menacé. Quant au droit syndical, exclu par l’article 3, il est inexistant par la suite.
D’autre part, une telle loi consacrerait un certain nombre de pratiques destructrices de l’ordre social, dont
la complaisance a puissamment favorisé le développement dans l’espace international :
- La généralisation du recours à des marchands de main d’œuvre ou sociétés de manning, acheteurs
d’hommes et de femmes au fil des engagements demandés par les armateurs, lesquels n’ont plus de contrat
direct avec les marins. Ces marchands très spéciaux sont explicitement intronisés par la proposition de loi sous
le terme d’ "entreprises de travail maritime".
- La discrimination à l’embauche, dans l’emploi, dans les couvertures sociales… Cette discrimination déjà
ancienne et pratiquée ouvertement par origines nationales appelle toutes les autres : sexuelle3, syndicale (listes
noires)...
1 Proposition de loi présentée par le sénateur Henri de Richemont, déjà auteur d'un rapport réalisé sur demande du Premier ministre.
2 La France a ratifié la convention de l'OIT n°147 de 1976 qui pose des normes a minima dans la marine marchande. Elle n'a par contre toujours pas ratifié les conventions de
l'OIT allant plus loin (conventions n°163, 166, 178, 179, 180).
3 Rapport "Women Seafarers" – Global Employment Policies and Practices, BIT, 2003.
- L'Erika : retour sur un imbroglio maritime -
Schéma tiré pour l’essentiel de « pourquoi l’Érika a coulé », F.Lille, l’Esprit Frappeur, 2000. Pour simplifier nous y
avons remplacé les noms des entités fictives et opaques (que l’on retrouvera dans le livre) par un symbole étoilé.
COMMENTAIRES
Cherchez l’armateur !
L’armateur officiel (a) étant aussi fictif que son immatriculation maltaise est complaisante, on se trouve devant
plusieurs pistes.
Propriété : la société écran maltaise (a), qui n’existe que pour ce seul navire, serait la propriété de deux pseudosociétés libériennes (b) et (c), dont l’une appartiendrait à la Bank of Scotland et l’autre à un petit armateur italien,
Savarese, qui d’après certaines sources ne serait qu’un prête-nom.
Gestion nautique : confiée à la société italienne Panship, qui n’a probablement pas survécu au naufrage.
Fourniture équipage : sous-traitée à la société indienne de « manning » Harold, qui aurait reproché à Panship
d’avoir eu plusieurs mois de retard dans le paiement des salaires à l’époque du naufrage.
Gestion commerciale : L’Erika a été affrété à temps à la pseudo-société bahaméenne (d), dont la propriété serait
« portée » aux Bahamas par le « trust » (f), sous l’égide d’un cabinet juridique panaméen
Gestion commerciale, suite : Il a été enfin affrété, pour ce dernier voyage, à la filiale pseudo-bermudienne de
Total, par (e), qui est l’agent de (d) en Suisse - à moins qu’il ne s’agisse d’un pseudo-agent qui serait le
propriétaire, réel ou fictif, de (d).
Pour en savoir plus : On a découvert plus récemment que (e) était domicilié chez (g), agent fiduciaire suisse
installé dans le canton très discret de Zoug, à proximité de l’affréteur du Prestige… Le courtier londonien qui a
organisé la transaction est aussi le même pour ces deux navires. Mais les pistes se perdent dans l’inconnu. On
ne sait toujours pas qui contrôlait réellement l’Érika…
Que fait l’affréteur réel ?
L’affréteur réel, demandeur et donneur d’ordre du transport, est la multinationale pétrolière Total. Ici, pas
d’ambiguïté, mais quelle complication ! Pour envoyer de France en Italie une cargaison sans grande valeur au
moindre coût, Total-France active Total-Bahamas (qui est en réalité à Londres) qui, par un courtier maritime
londonien, et un autre courtier vénitien, trouve en Suisse un bateau maltais dont dispose une société-écran
bahaméenne appartenant (?) à un trust bermudien géré par une officine panaméenne. Ce bateau appartient à
une « coquille vide » maltaise, etc. etc.
Dans ce jeu de rôle, seul l’affréteur semble à découvert, car la nationalité pseudo-bahaméenne de sa filiale
commerciale londonienne ne peut tromper personne. Mais il se croit bien à l’abri derrière une certaine convention
internationale MARPOL, et son protocole additionnel de 1992, qui dégage les affréteurs (et armateurs) pétroliers
de toute responsabilité en cas de pollution marine, en échange de leur participation au fond d’indemnisation
POLMAR.
- Des conditions de vie, d'emploi et de travail proches
de l'esclavage 12 à 15 heures par jour. Jamais 6 heures de sommeil continu. 97 heures par semaine
pendant trois mois. Fréquentes erreurs dans la planification et l'exécution des traversées. Je
n'osais pas m'asseoir pendant le quart4.
Ces commentaires, extraits d'une enquête à laquelle ont participé quelques 2500 gens de mer, n'étonnent
malheureusement pas la grande majorité des marins qui connaît trop souvent des conditions de vie, de travail
et d'emploi dramatiques et par-là même dangereuses.
Surmenage
Cette enquête montre l'insuffisance de personnel à bord des navires. Or, alors que les équipages sont
réduits, le temps passé dans les ports a lui aussi été considérablement raccourci.
La fatigue liée au surmenage étant une des causes des sinistres graves tant humains qu'écologiques, de
nombreux enquêteurs examinent désormais les horaires et les conditions de travail lorsqu'ils évaluent les causes
d'un accident. Et les résultats sont surprenants !
Dangers…
A titre d'exemple, en mars 2001, la Commission internationale sur les transports maritimes (ICONS)5,
commission d'experts indépendante constituée pour enquêter sur la sécurité des navires, a publié un rapport
sans complaisance : "Navires, esclaves et concurrence"6.
Ce rapport révèle que des dizaines de milliers de marins sont traités comme des esclaves, craignant d'être
jetés par-dessus bord s'ils osent se plaindre.
Toujours selon l'ICONS, les équipages de 10 à 15 % des navires dans le monde travaillent dans des conditions
dangereuses, pour des salaires médiocres, voire inexistants, et sont sous-alimentés, violentés et roués de
coups. La Commission, sous la présidence de l'ancien ministre des Transports australien, Peter Morris, a
également constaté que des membres d'équipage avaient disparu après s'être plaints de leur sort.
…et conséquences
Dans de telles conditions, d'après une étude effectuée sur les marins britanniques7 : les marins ont 26,4 fois
plus de risques de mourir sur leur lieu de travail que les autres travailleurs.
Les marins de la pêche et de la marine marchande sont en tête de la liste des travaux les plus dangereux en
Grande-Bretagne : les pêcheurs courent 52,4 fois plus de risque d'avoir un accident du travail mortel et les
marins de la marine marchande 26,4 fois que les autres ouvriers britanniques. Les statistiques ont été tirées des
données couvrant la période entre 1976 et 1995.
Trop souvent les décès se produisent alors qu'ils auraient pu être empêchés par plus de prévention.
L'étude a constaté que sur un total de 1 405 décès de marins britanniques, 507 ont été provoqués par des
événements liés au travail tels que des noyades, des asphyxies dues aux vapeurs, etc.
4 Extrait d'une enquête retranscrite par l'ITF dans son rapport : Mondialisation - le coût pour les gens de mer. Commémoration de la Journée maritime
mondiale de l'OMI, le 27 septembre 2001
5 www.icons.org.au
6 ICONS, "Ships, salves and competition", mars 2001. Texte intégral du rapport disponible sur le site Internet suivant : www.icons.org.au/images/ICONSfullreport.pdf
7 Rapport publié par l'université d'Oxford et réalisé par Sandra Speares, retranscrit par la Lloyd's list, août 2002
- Femmes à la mer ! Depuis janvier 2001, le Bureau international du travail (BIT) s'intéresse au statut et au sort des femmes dans
l'industrie maritimes. Deux années de recherche qui ont donné naissance au premier véritable ouvrage sur les
femmes marins.
Les femmes marins en quelques chiffres
ª Les femmes représentent 1 à 2 % des 1 250 000 marins embarqués dans le monde.
ª Seulement 7% des femmes marins sont officiers même si le nombre total de femmes étudiant à l'Université
maritime mondiale (UMM) a augmenté de 13 % entre 1995 et 2001.
Entre confinement et stagnation
Les chiffres traités dans l'étude du BIT expriment clairement le confinement des femmes à des tâches spécifiques
mais aussi le peu de perspective d'évolution qui leur est offert.
La majorité des femmes marins se trouve parmi le personnel hôtelier des bateaux de croisière et a une grade
subalterne. Seules 7 % des femmes marins sont officiers, le reste, c'est-à-dire 93 %, est simple matelot. En
comparaison, l'équilibre est respecté chez les hommes où 42 % d'entre eux sont officiers et 58 % matelots.
Le règne des discriminations
De la même manière, cet ouvrage souligne à quel point les différences régionales en matière d'emploi des
femmes marins sont flagrantes. Alors que dans certains pays scandinaves, les femmes représentent plus de
10 % des marins, la proportion est insignifiante dans d'autres pays : 1.2 % en Italie, 1.1 % au Brésil. Aux
Philippines, d'où proviennent le plus grand nombre de marins, seules 225 femmes sur 230 000 apparaissent
dans les registres internationaux pour 1983-1990.
Globalement, les chiffres reflètent les attitudes fortement implantées qui prévalent dans l'industrie à tous les
niveaux et dans tous les secteurs quand il s'agit des femmes, de leurs caractéristiques ou de leurs capacités.
Le rapport du BIT souligne ainsi la forte dualité du milieu maritime vis-à-vis de "ses femmes". Ainsi, alors que les
armateurs ou gestionnaires qui emploient des femmes parlent d'expérience extrêmement positive, toutes
subissent fréquemment le sexisme, l'intolérance et le harcèlement.
Quelles propositions ?
L'objectif du BIT est de voir s'améliorer la compréhension des problèmes auxquels font face les femmes marins
et par là même améliorer leurs conditions de travail tout en développement leur participation dans le secteur
maritime.
Pour mener à bien ce défi, le rapport préconise la mise en place de politiques qui se préoccuperaient des
conditions de vie des femmes marins et qui n'hésiteraient pas à aborder de front les questions de harcèlement
sexuel, de menstruation, de grossesse, de contraception, de maternité, de médecine sexuelle et générale…
Sources : Nouvelles du BIT n° 42 et 48, www.ilo.org
- Trois histoires parmi tant d'autres Equipage abandonné des pétroliers Luigi S. et Zagara
Les équipages des deux pétroliers le Luigi S. et le Zagara, bloqués pour le non-paiement de dettes anciennes,
ont été abandonnés le premier dans un port du Monténégro, l'autre en Sicile pendant environ un an.
Selon Arvind Kumar, le capitaine du Luigi S. arrivé à bord le 24 août 1999, "J'ai trouvé un équipage qui n'avait
pas été payé depuis 3 mois, j'ai alors immédiatement envoyé un télex à la compagnie disant que je trouvais cela
complètement injustifiable ; ils m'ont répondu qu'il faudrait encore attendre un mois avant que les salaires et
billets d'avion (..) puissent être obtenus".
Onze mois plus tard, les deux pétroliers étaient toujours à quai, avec 59 marins indiens, recrutés par une
société de manning de Mumbai et vivant à bord depuis une moyenne de 15 mois sans être payés. Quand les
marins téléphonèrent à Giuseppe Savarese, le même armateur que pour l'Erika, pour lui demander au moins
d'acheter la nourriture qui manquait, il fit de nombreuses promesses…qui restèrent lettre morte.
Environ un an après leur exil forcé, grâce à l'aide du syndicat ITF qui avança de l'argent en attendant la vente
aux enchères du bateau, les marins pouvaient enfin préparer leur retour au sein de leur famille
Les 15 membres de l'équipage du Victor
Le vraquier letton Victor fut immobilisé à Brest le 4 avril 2000 après une fuite et une panne de générateur. Dans
le même temps, un autre navire appartenant à la même société, Inerjura Servis, basée à Riga, faisait lui aussi
l'objet d'une saisie conservatrice en Belgique.
Au moment de son abandon, l'équipage n'avait pas été payé depuis au moins quatre mois. Dépourvu de
ressources et de réserves alimentaires, l'équipage fut nourri par la solidarité dont fit preuve l'opinion publique.
Le cuisinier du Victor, qui n'avait plus d'eau courante depuis l'avarie du bateau, devait aller chercher l'eau sur le
quai à l'aide de jerricans.
Oleg Golikov, le second, déclarait : " je savais que ce bateau était très vieux, mais j'avais besoin de
naviguer pour gagner ma vie. (…) Désormais, il est hors de question que je travaille à nouveau sur ce
bateau. Ce que je veux c'est être payé et retourné chez moi".
L'équipage refusa de décharger le bateau avant d'être payé.
Grâce à la mobilisation des syndicats et d'associations locales, Oleg Golikov put enfin rentrer chez lui
quelques mois plus tard.
Equipage pakistanais du Delta Pride
Immatriculé au Pakistan, le Delta Pride est resté bloqué 5 mois au large de Tampico (Mexique), après avoir
sillonné les mers depuis 18 mois (Corée, Chine, Turquie, Liverpool, Afrique de l'Ouest, Gibraltar…). Il fut envoyé
dans le golfe du Mexique par son employeur...qui entre temps fit faillite et ne donna plus de nouvelles.
En dehors du capitaine et de deux membres de l'équipage, personne n'avait le droit de débarquer. Les
autorités mexicaines avaient interdit au capitaine de quitter Tampico : il devait tout d'abord s'acquitter des droits
portuaires et récupérer les documents de circulation du navire ainsi que les passeports de l'équipage.
L'équipage commença à manquer de nourriture. A bord, il n'y avait plus rien de valeur à mettre en gage et plus
personne ne faisait crédit à l'équipage.
Les hommes menacèrent de se suicider collectivement.
Sources :
Abandoned seafarers in Europe, Collectif Marins abandonnés (FGTE-CFDT, ITF, CCFD, The Mission to Seafarers, Secours catholique Caritas France).
Courrier International, n°437, 18-24 mars 1999, "22 marins oubliés au large du Mexique", Christopher Morris in The New York Times Magazine
Le Télégramme, "Des Brestois tendent la main aux marins du "Victor"", Fabien Roux, 4/04/2000
Le Télégramme, "Marins abandonnés : des syndicats en appellent au ministre des Transports", Fabien Roux, 11/05/2000
- Les associations partenaires de la campagne AGIR ICI
Agir ici est une association française de solidarité internationale spécialisée dans l'organisation de campagnes et
d'actions citoyennes et l'intervention auprès des décideurs politiques et économiques (français, européens et
internationaux) afin d'améliorer leurs politiques et pratiques à l'égard des pays du Sud. En 15 ans, Agir ici a mené
64 campagnes avec des dizaines d’organisations partenaires sur de nombreux sujets et organisé de multiples
événements de mobilisation (G7/8, Sommets franco-africains…). Aujourd'hui, Agir ici compte près de 15 000
membres.
104 rue Oberkampf 75011 Paris
Tél : 33 (0)1 56 98 24 40 Fax : 33 (0)1 56 98 24 09
[email protected] - www.agirici.org
ATTAC
L'association Attac a été fondée en juin 1998 autour de personnalités, d'associations, d'organisations syndicales,
de titres de presse. Attac dénonce les méfaits de la totale liberté donnée aux capitaux de circuler au-dessus des
frontières nationales et les nuisances des paradis fiscaux. Luttant contre la marchandisation de la planète, son
champ d'intervention ne cesse de s'étendre, tant comme mouvement d'éducation populaire que dans le domaine
de l'action.
Attac compte aujourd'hui près de 30 000 adhérents individuels ; ses comités locaux sont présents sur l'ensemble
du territoire. D'autres associations Attac ont été créées dans un certain nombre de pays et commencent à établir
entre elles un réseau d'aide et solidarité.
6 rue Pinel 75013 Paris
Tél : 33 (0)1 53 60 92 40 Fax : 33 (0)1 53 60 40 72
[email protected] - www.attac.france.org
BPEM (Biens publics à l'échelle mondiale)
L’association BPEM développe, depuis maintenant plus de 3 ans, une réflexion en profondeur sur les biens
publics mondiaux. Rejetant les définitions préalables par l’économie (les lacunes du marché…), pour nous les
biens publics sont avant le produit de choix sociétaux. Ce sont des choses dont on a admis que les gens et les
peuples ont droit, produites et réparties dans les conditions d’équité et de liberté qui sont la définition même du
service public, quelles que soient les statuts des entreprises qui assurent cette mission. Les droits universels
humains et écologiques en sont la règle, les institutions internationales légitimes le garant, la démocratie
l’exigence permanente, et le mouvement social la source.
210 rue Saint Martin 75003 Paris
Tél : 33 (0)1 44 61 03 61 Fax : 33 (0)1 44 61 03 20
[email protected] - www.bpem.org