table des matières - Cour suprême du Canada

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table des matières - Cour suprême du Canada
No 34526
COUR SUPRÊME DU CANADA
(EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC)
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
APPELANTE (Intimée à la Cour d’appel du Québec)
ET :
SUGANTHINI MAYURAN
INTIMÉE (Appelante à la Cour d’appel du Québec)
MÉMOIRE DE L'APPELANTE
Me Louis Bouthillier
Me Alexandre Boucher
1, rue Notre-Dame Est
Bureau 4.100
Montréal (Québec) H2Y 1B6
Tél.: (514) 393-2703 #52122
Télécopieur: (514) 873-9895
Procureurs de l'appelante
Courriels :
[email protected]
[email protected]
Me Martin Latour
434, rue Sainte-Hélène
Montréal (Québec) H2Y 2K7
Tél.: (514) 847-1100
Télécopieur: (514) 847-1052
Courriel:
[email protected]
Procureur de l'intimée
Me Jean Campeau
17, rue Laurier
Arrondissement Hull
Gatineau (Québec) J8X 4C1
Tél.: (819) 776-8111
Télécopieur : (819) 772-3986
Correspondant de l'appelante
Courriel:
[email protected]
TABLE DES MATIÈRES
PAGE
PARTIE I - EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE
ET EXPOSÉ DES FAITS ................................................................................................... 1
PARTIE II – EXPOSÉ DE LA QUESTION EN LITIGE................................................ 8
PARTIE III – EXPOSÉ DES ARGUMENTS.................................................................... 9
PARTIE IV – ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS.............................................. 17
PARTIE V – NATURE DE L’ORDONNANCE RECHERCHÉE ............................... 18
PARTIE VI – TABLE DES SOURCES ............................................................................ 19
PARTIE VII – LOIS, RÈGLEMENTS, RÈGLES, ETC................................................ 20
1
EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES FAITS
_______________________________________________________________________
PARTIE I – EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES
FAITS
Introduction
1.
L'intimée, Suganthi Mayuran, a été trouvée coupable du meurtre au deuxième degré
de sa belle-sœur, Dayani Manchutan, au terme d’un procès tenu devant un juge et un jury
de la Cour supérieure du Québec.
2.
La véritable question en litige que devait résoudre le jury était l’identité de l'auteur
du meurtre.
3.
La cause du ministère public reposait sur une preuve circonstancielle désignant
l'intimée comme étant la seule personne s'étant trouvée en présence de la victime au
moment pertinent. En effet, au moment présumé de l'agression, les deux belles-sœurs
étaient seules à l'appartement où elles vivaient avec leurs époux respectifs – des frères
jumeaux – ainsi que la sœur cadette et les parents de ceux-ci.
4.
La preuve à charge était également fondée sur une preuve scientifique reliant
l’intimée au meurtre, notamment au couteau ayant servi à infliger les blessures mortelles
à la victime.
5.
Par ailleurs, il a été mis en preuve par la poursuite que l'intimée a, au fil du temps,
donné des versions changeantes des événements.
6.
Ainsi, le jour même du meurtre, elle a imputé l'attaque à un cambrioleur s’étant
introduit par effraction dans l’appartement. Par la suite, alors qu'elle était en détention
provisoire, à l'occasion de conversations téléphoniques avec des membres de sa famille,
elle a avoué avoir commis le meurtre. Selon les comptes rendus faits au procès par ses
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EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES FAITS
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interlocuteurs, elle a dit avoir tué sa belle-sœur parce que celle-ci l'avait narguée à cause
de ses difficultés à l'école. L'intimée et la défunte suivaient ensemble des cours d'anglais
dans un centre d'éducation des adultes. Ensuite, toujours à l’occasion d’appels
téléphoniques, elle a plutôt incriminé le mari de la défunte.
7.
L'intimée a témoigné au procès pour sa défense. Elle a nié avoir causé la mort de la
victime. Elle a soutenu que l'époux de la victime avait perpétré le meurtre sous ses yeux.
Elle a affirmé ne jamais avoir fait d'aveux aux membres de sa famille.
8.
Suite au verdict de culpabilité rendu par le jury, l'intimée a interjeté appel à la Cour
d'appel du Québec.
9.
Représentée par un nouvel avocat en appel, elle a invoqué pour la première fois la
défense de provocation. Il n’avait aucunement été question de cette défense au procès,
que ce soit devant jury ou hors jury. De fait, les discussions en droit, hors jury, ont surtout
porté sur l'opportunité d'ouvrir le verdict d'homicide involontaire coupable à titre
d'infraction moindre et incluse, eu égard à l'intention spécifique du meurtre. Dans son
argumentation en appel portant sur la défense de provocation, l'intimée a référé aux
aveux, mis en preuve par la poursuite, mais qu'elle a niés au procès, selon lesquels elle a
tué la victime parce que cette dernière l'avait raillée à cause de ses difficultés scolaires.
10.
Dans un jugement partagé, la Cour d'appel a accueilli le pourvoi et ordonné la tenue
d'un nouveau procès.
11.
La juge Duval Hesler (désormais juge en chef du Québec) et le juge Beauregard,
chacun dans des motifs distincts, ont conclu que la juge du procès avait erré en droit, dans
ses directives au jury, en ne prenant pas l'initiative de donner ouverture à la défense de
provocation. Ils ont cité le devoir qui incombe au juge du procès de soumettre au jury tous
les moyens de défense satisfaisant au critère de vraisemblance.
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EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES FAITS
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12.
Pour sa part, le juge Rochon, dans des motifs dissidents, a jugé qu'il n'y avait pas
lieu de soumettre la défense de provocation à l'appréciation du jury puisque le critère de
vraisemblance n'était pas rencontré. Il aurait rejeté l'appel.
13.
L'intimée a soulevé plusieurs autres moyens d'appel qui ont été unanimement
rejetés par les juges de la Cour d'appel.
Exposé de la position de l’appelante
14.
L'appelante, s'appuyant sur les motifs du juge dissident de la Cour d'appel, se
pourvoit devant cette Cour. Elle demande que le verdict de culpabilité rendu par le jury
soit rétabli.
15.
Avec respect, l’appelante soutient que les juges majoritaires ont erré en droit en
décidant que la défense de provocation aurait dû être soumise au jury. Le critère de
vraisemblance applicable à l'ouverture d'un moyen de défense n'était pas satisfait.
16.
Selon l'appelante, la preuve présentée ne pouvait supporter la défense de
provocation. Les dires de l’intimée, tels que rapportés au procès, n'étayaient aucun de ses
éléments constitutifs.
17.
Aussi, ce moyen de défense était directement contredit par la preuve soumise en
défense par l'intimée. La juge du procès n'avait pas à soumettre proprio motu au jury un
moyen alternatif de défense incompatible avec la thèse avancée par l'intimée.
Exposé des faits
18.
La victime a été tuée de 45 coups de couteau. Elle était alors enceinte de deux mois.
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EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES FAITS
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19.
Le meurtre a été perpétré le matin du 3 décembre 2004, dans l'appartement du
quartier Parc-Extension, à Montréal, où l’intimée et la victime vivaient au sein de la
famille Thangarajah. Soit les frères jumeaux Mayuran (l'époux de l'intimée) et Manchutan
(l'époux de la victime), la sœur cadette Sajanthini, la mère Thanikasaladevi et le père
Ponnuthurai.
20.
Toute la maisonnée était issue de la communauté tamoule sri lankaise. L'intimée
venait tout juste d'immigrer au Canada, en août 2004, à l'âge de 21 ans. Son mariage, tout
comme celui de la victime d'ailleurs, avait été arrangé entre ses parents et ceux de son
époux.
21.
Ce matin-là, l'intimée et la victime sont restées seules à l'appartement. Les autres
membres de la famille s'étaient tous absentés pour le travail ou pour les études.
22.
En effet, le père a quitté le logement tôt le matin pour se rendre à pied au temple
hindou où il travaille comme gérant. Un peu plus tard, vers 7 h 30, son épouse et les
jumeaux ont quitté à leur tour le domicile pour aller en voiture au dépanneur de Laval
récemment acquis par la famille. Les deux frères s'occupaient du commerce avec l'aide de
leur mère et de leur jeune sœur.
23.
Les frères Mayuran et Manchutan ont tour à tour, quitté le dépanneur, en compagnie
de leur mère, pour faire des achats dans des supermarchés de Laval. Des factures émanant
de ces commerces ont été déposées en preuve pour confirmer leurs déplacements et
incidemment prouver qu'ils n'étaient pas à la résidence familiale au moment du meurtre.
De même, une livreuse a témoigné avoir vu Manchutan (le conjoint de la victime) au
dépanneur vers 10 h 30. Par ailleurs, selon les relevés d'une tour cellulaire située près du
dépanneur, le téléphone portable de ce dernier a reçu un appel à Laval, à 10 h 52.
24.
Pour sa part, la sœur cadette Sajanthini quitte l'appartement entre 10 h et 10 h 30
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EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES FAITS
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pour se rendre à un cours privé devant débuter à 11 h.
25.
Dès lors, l'intimée et la victime sont seules à l'appartement. Ce jour-là, elles n'ont
pas de cours à l'école. À l'époque, elles fréquentaient la même classe d'anglais. Selon les
témoins entendus au procès, incluant l'intimée elle-même, les deux jeunes femmes
entretenaient d'excellents rapports.
26.
C'est l'intimée qui a appelé au secours. Son beau-père a témoigné avoir reçu un
appel de celle-ci après 11 h 15. L'intimée lui a dit d'une voix apeurée qu'un voleur était
entré dans l'appartement et s'en était pris à la victime.
27.
Les membres de la famille et le personnel des services d'urgences, accourus sur les
lieux, ont trouvé le corps de la victime gisant sur le plancher de sa chambre à coucher.
L'intimée était dans une autre pièce, en pleurs. Elle avait une coupure à la main.
28.
L'intimée raconte qu'un cambrioleur est entré dans l'appartement et a attaqué la
victime.
29.
Le décès de la victime a été constaté sur place. La preuve médicale est à l'effet que
l'infliction des blessures et le décès étaient tout récemment survenus, c'est-à-dire vers 11
h 30.
30.
Dans son témoignage, l'intimé a plutôt situé l'attaque avant 10 h.
31.
De plus, selon les expertises scientifiques mises en preuve, l'intimée a pu se blesser
à la main en assenant des coups avec un couteau. De même, le sang de la victime et les
empreintes génétiques de l'intimée ont été trouvés respectivement sur la lame et sur le
manche d'un couteau trouvé sur les lieux. La lame brisée de ce couteau était compatible
avec les blessures infligées à la victime. On a aussi trouvé des vêtements ensanglantés
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EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES FAITS
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appartenant à l'intimée que l'on avait tenté de laver.
32.
Comme mentionné plus haut, il a été rapporté que, pendant sa détention provisoire,
l'intimée a communiqué au téléphone à plusieurs reprises avec des membres de sa famille,
particulièrement son mari Mayuran et sa belle-mère Thanikasaladevi, et qu'elle a admis
être l'auteure de l'homicide de sa belle-sœur. Au procès, il s'agissait, pour la poursuite, de
présenter une preuve se rapportant à l'identité du coupable, à l'intention de causer la mort
et au mobile. En appel, ces aveux sont devenus l'unique fondement de la défense de
provocation. Le juge Rochon cite dans ses motifs, aux par. 84 et 85, les extraits pertinents
des témoignages rapportant ces déclarations extrajudiciaires. Il convient de les reproduire
ici:
[84] Pour l'essentiel, le témoignage de l'époux de l'appelante est le
suivant :
A.
At that moment, we asked her what happened and she said that out
of her anger, she did like that and then, far from myself, I asked her why
she did like that and she answered that she was learning more than me and
I was very angry. It was because of that, I did like that and after a while,
the phone call, it was automatically there was a cut.
[…]
A.
I stopped because after she spoke for sometime, she passed the
telephone to me. I asked her, my interlocutor or the… on the other side,
that what happened, she told me in truth actually, I did it. Then, when I
asked her why she did it, she gave me a reason that she was telling her that
she was more educated than me.
Q.
Who was telling that ?
A.
Suganthini told me that she was sort of ridiculing her about her
level of education.
[…]
A.
The moment when I spoke to her, I asked her why she did like
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EXPOSÉ DE LA POSITION DE L'APPELANTE ET EXPOSÉ DES FAITS
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that and she said that she was the one who did that and then I asked her
why and she said about the studies and it was because of that argument,
she was angry and she said she did with a anger.
[85]
La belle-mère de l'appelante rapporte des propos similaires :
Q.
And how did the conversation go ?
A.
I asked her what happened, why did she do it.
Q.
What did Suganthini answer ?
A.
Suganthini said : I have done it. And when I asked her why did
you do it, she said she scolded at, she reproached me and that's why I did
it.
Q.
Did she say anything else ?
A.
I told her: Okay, she scolded at you but why didn't you just leave
the place, go out of the apartment if she had provoked you ?
Q.
What did she answer ?
A.
She said : She scolded at me and that's why I did it.
Q.
Did she say anything else ?
A.
Then the telephone after some time got cut off. I don't know, we
did not hang up but automatically it was cut off.
[L'appelante souligne]
33.
Dans sa défense au procès, l'intimée a nié avoir admis être l'auteure du meurtre et
elle a affirmé que Manchutan avait tué sa conjointe.
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EXPOSÉ DE LA QUESTION EN LITIGE
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PARTIE II - EXPOSÉ DE LA QUESTION EN LITIGE
34.
L’appelante soumet le motif d’appel suivant :
Le moyen de défense fondé sur la provocation rencontre-t-il le critère de la
vraisemblance ?
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EXPOSÉ DES ARGUMENTS
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PARTIE III : EXPOSÉ DES ARGUMENTS
35.
L'appelante soumet que la défense de provocation ne devait pas être soumise au jury
parce que le critère de vraisemblance n'était pas rencontré en ce que A) la preuve
présentée n'étayait pas ce moyen de défense et que B) celui-ci était incompatible avec la
thèse avancée par l'intimée au procès.
A)
La preuve présentée n'étayait pas la défense de provocation
36.
Les aveux émis puis répudiés par l'intimée, considérés en eux-mêmes, ne donnaient
pas ouverture à la défense de provocation. Les conditions d'application de cette défense
n'avaient aucune assise dans la preuve.
37.
Selon l'arrêt R. c. Cinous, [2002] 2 RCS 3, le juge du procès doit, dans ses
directives, soumettre au jury tous les moyens de défense vraisemblables, c’est-à-dire les
moyens de défense ayant un fondement probant (air of reality). Ceci, peu importe que
l’accusé les ait expressément invoqués ou non. Un moyen de défense est vraisemblable
s’il s’appuie sur une preuve, tenue pour véridique, qui permettrait à un jury ayant reçu des
directives appropriées et agissant raisonnablement de conclure à son application, s’il y
ajoutait foi. Le critère de la vraisemblance est évalué selon un fardeau de présentation et
non un fardeau de persuasion. À cette étape préliminaire, il ne s’agit pas de décider du
bien-fondé du moyen de défense, mais de déterminer si ce moyen de défense devait être
apprécié par le juge des faits.
38.
La défense de provocation prévoit une excuse partielle permettant, lorsque les
éléments constitutifs du meurtre sont établis, de réduire le meurtre à un homicide
involontaire coupable si ses conditions d'application sont réunies. Cette défense est
énoncée à l'art. 232 du Code criminel, lequel se lit ainsi:
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EXPOSÉ DES ARGUMENTS
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Meurtre réduit à un homicide involontaire coupable
232. (1) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut être
réduit à un homicide involontaire coupable si la personne qui l’a commis a
ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.
Ce qu’est la provocation
(2) Une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver
une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, est une provocation
pour l’application du présent article, si l’accusé a agi sous l’impulsion du
moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang-froid.
Questions de fait
(3) Pour l’application du présent article, les questions de savoir :
• a) si une action injuste ou une insulte déterminée équivalait à une
provocation;
• b) si l’accusé a été privé du pouvoir de se maîtriser par la
provocation qu’il allègue avoir reçue,
sont des questions de fait, mais nul n’est censé avoir provoqué un autre
individu en faisant quelque chose qu’il avait un droit légal de faire, ou en
faisant une chose que l’accusé l’a incité à faire afin de fournir à l’accusé
une excuse pour causer la mort ou des lésions corporelles à un être humain.
Mort au cours d’une arrestation illégale
(4) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre n’est pas
nécessairement un homicide involontaire coupable du seul fait qu’il a été
commis par une personne alors qu’elle était illégalement mise en état
d’arrestation; le fait que l’illégalité de l’arrestation était connue de l’accusé
peut cependant constituer une preuve de provocation pour l’application du
présent article.
39.
Selon la jurisprudence de cette Cour – notamment les arrêts R. c. Tran, [2010] 3
RCS 350; R. c. Parent, [2001] 1 RCS 761; R. c. Thibert, [1996] 1 RCS 37; R. c. Hill,
[1986] 1 RCS 313 – les conditions d'application de ce moyen de défense comportent les
éléments suivants: une action injuste ou une insulte qui était soudaine et inattendue (la
soudaineté), qui aurait privé une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser (critère
objectif), qui a réellement amené l'accusé à agir sous l’impulsion du moment et avant
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EXPOSÉ DES ARGUMENTS
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d’avoir eu le temps de reprendre son sang-froid (critère subjectif).
40.
Dans l'arrêt Tran, précité, au par. 22, la juge Charron, pour la Cour, a résumé le
droit relatif à la défense de provocation dans les termes suivants:
La conduite de l’accusé est donc partiellement excusée par la compassion
du droit pour la fragilité humaine. L’appel à la compassion était certes
particulièrement pressant en des temps où l’accusé était passible de la
peine de mort, mais la raison d’être de cette humanité vaut toujours en
raison des graves conséquences de la déclaration de culpabilité pour
meurtre. Il ne suffit cependant pas que la réaction soudaine de l’accusé à
une action injuste ou à une insulte puisse s’expliquer d’un point de vue
purement subjectif. La disposition applicable englobe une norme
objective au regard de laquelle la réaction de l’accusé doit être mesurée,
à savoir la réaction censée être celle d’une « personne ordinaire » dans
les mêmes circonstances. La perte de la maîtrise de soi n’est pas excusée
dans tous les cas. Il ressort en effet des conditions d’application de la
défense, considérées globalement, que l’accusé doit avoir le sentiment
justifié de subir une injustice, ce qui ne veut pas dire ― et il ne faut
aucunement laisser entendre ― que la victime doit être blâmée pour l’acte
de l’accusé, ni qu’elle méritait les conséquences de la provocation. Le
droit n’approuve pas non plus pour autant la conduite de l’accusé. Il
reconnaît plutôt qu’en raison de la fragilité humaine, l’accusé a réagi de
façon intempestive et disproportionnée, mais compréhensible, à une action
injuste ou une insulte suffisamment grave.
[L'appelante souligne]
41.
Il est par ailleurs établi que la colère, en elle-même, n'est pas un moyen de défense
accepté en droit: R. c. Parent, précité.
42.
En l'espèce, la preuve se rapportant à la défense de provocation est constituée du
récit des aveux de l'intimée, fait par le conjoint et la belle-mère de celle-ci, selon lequel
elle a tué la victime parce que cette dernière s'était moquée d'elle à cause de ses difficultés
d'apprentissage, ce qui l'avait mise en colère. Cela était bien insuffisant.
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EXPOSÉ DES ARGUMENTS
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43.
Cette preuve n'indique aucunement que les paroles de la victime ont eu le caractère
soudain requis par l'article 232. Si tant est que les paroles de la victime puissent être
qualifiées d'insultes, encore faut-il qu'il y ait concomitance entre les insultes et la réaction
meurtrière. Or, dans le présent cas, on ne sait pas quand les paroles ont été prononcées.
L'ont-elles été la semaine précédente, la veille, la journée même, tout juste avant le
meurtre? On n'en sait strictement rien.
44.
Également, le critère objectif n'était démontré d'aucune manière. Les juges
majoritaires, chacun dans leurs motifs, semblent avoir complètement éludé cet élément de
la défense de provocation. Une personne ordinaire, envisagée selon les enseignements de
cette Cour dans l'arrêt Tran, n'aurait pas perdu le pouvoir de se maîtriser. D'ailleurs, il y a
lieu de noter que les termes et la manière précise employés par la victime pour se moquer
de l'intimée ne sont pas en preuve. S'agissait-il véritablement de paroles offensantes
assimilables à une insulte ou de simples taquineries?
Il est impossible de le dire.
Quoiqu'il en soi, une personne raisonnable, ayant les caractéristiques générales de
l'intimée et se trouvant dans un contexte similaire, n'aurait certainement pas perdu la tête
à cause de moqueries sur des difficultés d'apprentissage émises par un proche parent avec
lequel elle avait normalement de bons rapports.
45.
Enfin, le critère subjectif n'était pas étayé par la preuve entendue au procès. Il est dit
que l'intimée était en colère lorsqu'elle a commis le meurtre. La colère peut motiver les
actions d'un individu. Mais il faut plus que de la colère pour fonder une défense de
provocation. L'accusé doit avoir agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le
temps de reprendre son sang-froid. Il n'est fait mention nulle part dans la preuve d'une
telle perte de contrôle de la part de l'intimée.
46.
Bref, les déclarations extrajudiciaires attribuées à l'intimée étaient, en tant que
telles, insuffisantes pour satisfaire au critère de vraisemblance à l'égard de tous et chacun
des éléments de la défense de provocation.
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EXPOSÉ DES ARGUMENTS
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47.
Cela est suffisant pour accueillir le présent pourvoi. Mais il y a plus.
B)
La défense de provocation était incompatible avec la thèse avancée par l'intimée
au procès
48.
L'appelante soumet que la juge du procès n'avait pas à soumettre au jury un moyen
alternatif de défense incompatible avec la thèse principale de l'intimée.
49.
Dans R. c. Wu, [1934] RCS 609, l'accusé, qui n'avait pas témoigné à son procès,
mais avait présenté une défense d'alibi par d'autres témoins, reprochait au juge du procès
de ne pas avoir instruit le jury sur les défenses de provocation et de légitime défense. Le
juge Lamont, pour la Cour, affirmait à la p. 617 :
The rule, therefore, that an accused person at trial is entitled to have the
jury pass upon all his alternative defences is limited to the defences of
which a fondation of fact appears in the record. Even then the rule, in my
opinion, is not without exception, and one exception is, that it has no
application where the accused, by the defence which he sets up at the
trial, has negatived the alternative defence for which he afterwards seeks
a new trial.
The only defence which the accused set up at the trial was an alibi. In
effect he said: I did not shoot the complainant as a result of provocation,
neither did I shoot him in self defence. At the time of the shooting I was in
Victoria and therefore I could not have shot either under provocation or
in self defence.
It is quite true that the accused did not go into the witness box and swear
that he was in Victoria at the time of the shooting, but that is the defence
which was set up on his behalf, with his consent and acquiescence, and
which he asked the court to accept, and, in my opinion, he is bound by it.
The defence that the accused was in Victoria at the time of the shooting
was not only inconsistent with, but it negatived the defence now sought to
be set up. Under these circumstances I fail to see how any duty could rest
on trial judge to instruct the jury to consider an alternative defence which
the accused, by the defence he did set up, declared had no fondation in
fact.
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EXPOSÉ DES ARGUMENTS
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50.
Dans R. c. Caron, 1998 CanLII 13285 (CAQ), une affaire dans laquelle l’accusé
avait présentait une défense d’alibi au procès et plaidait des erreurs reliées à la défense
d’intoxication en appel, le juge Proulx, avec l’appui des juges Lebel et Chamberland,
écrivait :
Mais quelle est l'obligation du juge si l'alternative est réfutée par l'accusé
dans sa propre défense? Dans un arrêt rendu en 1934 (Wu (alias Wu
Chuck) c. The King, [1934] S.C.R. 609), la Cour Suprême du Canada, sous
la plume du juge Lamont, a affirmé que si la règle justifie que toute défense
alternative soit soumise au jury par le juge dans ses directives en autant
qu'elle s'appuie sur un fondement factuel, cela vaut dans la mesure où
l'accusé, de par la nature même de sa défense, n'a pas spécifiquement
écarté cette alternative en lui supprimant tout fondement factuel:
Under these circumstances I fail to see how any duty would rest on
the trial Judge to instruct the jury to consider an alternative defense
which the accused, by the defence he did set up, declared had no
foundation in fact.
(je souligne)
51.
La Cour d'appel du Québec a tout récemment appliqué à nouveau ce principe dans
R. c. Gauthier, 2011 QCCA 1395 (demande d'autorisation d'appel pendante), en décidant,
au par. 71, que l'accusé, qui avait essentiellement nié avoir formé la mens rea du meurtre,
ne pouvait reprocher au juge du procès de ne pas avoir soumis au jury une défense
d'abandon :
À mon avis, le juge a eu raison de ne pas attirer l'attention du jury sur ce
moyen de défense. Je rappelle que, pour l'appelante, il n'y a pas eu de
pacte de suicide, aucune planification et qu'elle était dans un état de
dissociation lorsque son conjoint lui a fait part de son projet de partir tout
le monde ensemble. Partant, elle ne saurait être admise à changer son
fusil d'épaule si elle n'est pas crue et soutenir s'être retirée d'un plan
qu'elle nie depuis le début. Prendre part à un pacte de suicide et se retirer
par la suite est une chose plausible en soi. Ce n'est pas, toutefois, ce que
plaide l'appelante. Elle nie plutôt l'existence d'un pareil pacte puis
prétend pouvoir s'en retirer si elle n'est pas crue. Le juge n'avait pas à
soumettre au jury ce moyen alternatif de défense incompatible avec la
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EXPOSÉ DES ARGUMENTS
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thèse principale de l'appelante, ainsi que le rappelle le juge Proulx dans
l'arrêt Caron c. R. […]
52.
Cette règle n'interdit peut-être pas à un accusé la possibilité de demander
spécifiquement au juge du procès de soumettre au jury, à titre subsidiaire, des moyens de
défense alternatifs ou même incompatibles, dans la mesure où le critère de vraisemblance
est satisfait, selon l'hypothèse envisagée par la juge Arbour dissidente dans l'arrêt Cinous,
précité, aux par. 174-176.
53.
Une chose est certaine cependant: un accusé est mal venu de plaider en appel que le
juge du procès a erré en ne soumettant pas à l'appréciation du jury un moyen de défense
qu'il a directement nié dans sa preuve et qu'il n'a pas autrement invoqué au procès. Dans
l'arrêt R. c. Leary [1978] 1 RCS 29, à la p. 60, le juge Pigeon, pour la majorité, concluait
ses motifs de la façon suivante:
Je n'oublie pas que le juge du procès a le devoir d'exposer au jury tous les
moyens de défense que l'accusé peut invoquer. Toutefois lorsque l'accusé,
aidé d'un avocat compétent, décide de ne pas invoquer un faible moyen de
défense subsidiaire, de façon à ne pas nuire à son principal moyen de
défense, il ne serait pas conforme à la bonne administration de la justice
d'ordonner un nouveau procès afin de lui permettre d'invoquer ce moyen
de défense subsidiaire.
54.
L'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique R. c. Steele, 2010 BCCA 125
(demande d'autorisation d'appel rejetée No. 34030), au par. 38, est au même effet.
55.
Dans la présente affaire, lors du procès, l'intimée a expressément nié les
déclarations extrajudiciaires qui ont été ensuite invoquées en appel pour fonder la défense
de provocation. Son témoignage était à l'effet qu'elle n'avait pas commis le meurtre, alors
que la défense de provocation implique, au préalable, la perpétration de tous les éléments
constitutifs du meurtre.
16
EXPOSÉ DES ARGUMENTS
_______________________________________________________________________
56.
La thèse de l'intimée au procès était donc incompatible avec la défense de
provocation. Par ailleurs, elle n'a pas soulevé ce moyen de défense à titre subsidiaire. En
appel, elle ne pouvait donc pas reprocher à la juge du procès de ne pas avoir soumis la
défense de provocation à l'appréciation du jury.
57.
Pour cette raison également, le pourvoi doit être accueilli.
17
ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS
_______________________________________________________________________
PARTIE IV: ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS
58.
Aucune ordonnance n'est demandée.
18
ORDONNANCE DEMANDÉE
_______________________________________________________________________
PARTIE V: ORDONNANCE DEMANDÉE
POUR CES MOTIFS, PLAISE À LA COUR DE:
Accueillir l'appel,
Casser l'arrêt de la Cour d'appel du Québec,
Rétablir le verdict de culpabilité rendu par la Cour supérieure du Québec.
LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS.
Fait à Montréal, Québec, le 20 janvier 2012
Louis Bouthillier
Procureur de l'appelante
Alexandre Boucher
Procureur de l'appelante
19
TABLE DES SOURCES
_______________________________________________________________________
PARTIE VI: TABLE DES SOURCES
PARAGRAPHE
R. c. Caron, 1998 CanLII 13285 (CAQ)
49
R. c. Cinous, [2002] 2 RCS 3
36, 51
R. c. Gauthier, 2011 QCCA 1395
50
R. c. Hill, [1986] 1 RCS 313
38
R. c. Leary [1978] 1 RCS 29
52
R. c. Parent, [2001] 1 RCS 761
38, 40
R. c. Steele, 2010 BCCA 125
53
R. c. Thibert, [1996] 1 RCS 37
38
R. c. Tran, [2010] 3 RCS 350
R. c. Wu [1934] RCS 609
38, 39, 43
48
20
LOIS, RÈGLEMENTS, RÉGLES, ETC.
_______________________________________________________________________
PARTIE VII : LOIS, RÈGLEMENTS, RÈGLES, ETC.
Code criminel, art. 232:
Meurtre réduit à un homicide involontaire Murder reduced to manslaughter
coupable
232. (1) Culpable homicide that otherwise
232. (1) Un homicide coupable qui would be murder may be reduced to
autrement serait un meurtre peut être réduit manslaughter if the person who committed
à un homicide involontaire coupable si la it did so in the heat of passion caused by
personne qui l’a commis a ainsi agi dans un sudden provocation.
accès de colère causé par une provocation
What is provocation
soudaine.
Ce qu’est la provocation
(2) A wrongful act or an insult that is of
such a nature as to be sufficient to deprive
an ordinary person of the power of selfcontrol is provocation for the purposes of
this section if the accused acted on it on the
sudden and before there was time for his
passion to cool.
(2) Une action injuste ou une insulte de
telle nature qu’elle suffise à priver une
personne ordinaire du pouvoir de se
maîtriser, est une provocation pour
l’application du présent article, si l’accusé
a agi sous l’impulsion du moment et avant
d’avoir eu le temps de reprendre son sang- Questions of fact
froid.
(3) For the purposes of this section, the
Questions de fait
questions
• (a) whether a particular wrongful
(3) Pour l’application du présent article, les
act or insult amounted to
questions de savoir :
provocation, and
a)
si
une
action
injuste
ou
une
the accused was
•
• (b) whether
insulte déterminée équivalait à une
deprived of the power of selfprovocation;
control by the provocation that he
alleges he received,
• b) si l’accusé a été privé du pouvoir
de se maîtriser par la provocation are questions of fact, but no one shall be
qu’il allègue avoir reçue,
deemed to have given provocation to
sont des questions de fait, mais nul n’est another by doing anything that he had a
censé avoir provoqué un autre individu en legal right to do, or by doing anything that
faisant quelque chose qu’il avait un droit the accused incited him to do in order to
légal de faire, ou en faisant une chose que provide the accused with an excuse for
l’accusé l’a incité à faire afin de fournir à causing death or bodily harm to any human
l’accusé une excuse pour causer la mort ou being.
21
LOIS, RÈGLEMENTS, RÉGLES, ETC.
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des lésions corporelles à un être humain.
Death during illegal arrest
Mort au cours d’une arrestation illégale
(4) Un homicide coupable qui autrement
serait un meurtre n’est pas nécessairement
un homicide involontaire coupable du seul
fait qu’il a été commis par une personne
alors qu’elle était illégalement mise en état
d’arrestation; le fait que l’illégalité de
l’arrestation était connue de l’accusé peut
cependant constituer une preuve de
provocation pour l’application du présent
article.
(4) Culpable homicide that otherwise
would be murder is not necessarily
manslaughter by reason only that it was
committed by a person who was being
arrested illegally, but the fact that the
illegality of the arrest was known to the
accused may be evidence of provocation
for the purpose of this section.