- Ensemble Intercontemporain

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DU SPIRITUEL DANS L’AIR AVEC MATTHIAS PINTSCHER
Le 1 octobre 2013 par Michèle Tosi
Concert, La Scène
Paris. Cité de la Musique. 27-IX-2013. Johann Sebastian Bach (1685-1750): /Anton Webern (1883-1945): Fuga (Ricercata) a 6 voci – extrait de l’Offrande
musicale BWW 1079 pour ensemble instrumental: Jonathan Harvey (1939-2012): Two interludes and a Scene for an Opera pour soprano, ténor, ensemble et
électronique en temps réel. Bernd Alois Zimmermann (1919-1970): Sonate pour violoncelle seul – … et suis spatiis transeunt universa sub caelo (L’Ecclésiaste
III,1); Matthias Pintscher (né en 1971), Bereshit pour ensemble. Claire Both, soprano; Gordon Gletz, ténor; Pierre Strauch, violoncelle; réalisation informatique
musicale Ircam, Gilbert Nouno et Carl Faia; ensemble Intercontemporain; direction Matthias Pintscher.
France
Île-de-France
Paris
Cité de la Musique
Nommé depuis juin 2012 à la tête de l’Ensemble
Intercontemporain, Matthias Pintscher, compositeur
et chef d’orchestre allemand, prenait officiellement
ses fonctions en dirigeant un superbe concert pour
l’ouverture de la saison. Matthias Pintscher connait
bien l’Ensemble qu’il a déjà plusieurs fois dirigé,
notamment en février dernier, au Théâtre des
Champs-Elysées. On se souvient également de son
opéra L’Espace dernier d’après Rimbaud créé à
l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille en 2004. A 41 ans,
cette personnalité hors norme, partageant désormais
son existence entre New York et Paris, considère
l’écriture et la direction comme deux activités
essentielles et indissociables de son métier de
musicien: « Ma réflexion de chef d’orchestre est
enrichie par mon propre processus d’écriture, et vice
versa » souligne-t-il très clairement.
L’idée de commencer le concert avec Jean-Sébastien Bach revisité par Webern était hautement symbolique: elle pointait d’abord le
désir du nouveau chef d’établir des ponts entre les répertoires et de mettre en résonance tradition et modernité. Les trois
week-ends « Turbulences » inscrits dans la saison, qui viennent bousculer les habitudes et interférer les genres, donneront la
mesure de ces nouvelles directions et les multiples correspondances qu’entend tisser Matthias Pintscher avec le monde de la
création artistique. L’offrande Musicale était aussi une excellente introduction au courant de spiritualité qui traverse les deux
pièces d’orchestre du concert: celle de Jonathan Harvey, imprégnée de pensée bouddhique et celle de Matthias Pintscher, Bereshit,
empruntant son titre au premier mot de la Torah. Quant à Berndt Alois Zimmermann, compositeur habité de pensées
philosophiques, spirituelles et humanistes, c’est à l’Ecclesiaste, le livre biblique hébreu, qu’il fait référence dans sa Sonate pour
violoncelle seul placée au centre de la soirée.
Pour l’heure, et sous la baguette du chef, la fugue/Ricercar à 6 voix, extraite de l’Offrande Musicale de Jean-Sébastien Bach,
sonnait avec un réel bonheur et une émotion particulièrement intense dans l’espace musical autre que lui donne Webern à travers
sa réécriture instrumentale. Matthias Pintscher obtenait de ses instrumentistes la chatoyance des couleurs et la fluidité de cette
« mélodie de timbre » qui met au défi l’équilibre sonore; le chef n’en contrôlait pas moins fermement la conduite polyphonique au
sein de laquelle s’élabore l’architecture de la fugue.
On replongeait assez vite dans la musique d’aujourd’hui avec Two interludes and a Scène for an opéra de Jonathan Harvey,
compositeur anglais disparu en 2012, à qui l’Ensemble intercontemporain rendait ce soir un vibrant hommage. La pièce écrite en
2005 préfigure l’opéra à venir Wagner Dream qui sera créé en 2007 dans le cadre du Festival Agora. Sur un livret de Jean-Claude
Carrière, fortement imprégné lui aussi de pensée bouddhique, l’ouvrage scénique associe les dernières instants de la vie de Wagner
et son projet inabouti d’un opéra sur un sujet bouddhique, die Sieger (Les vainqueurs), dont il avait élaboré le livret dès 1857. La
soprano Claire Both et le ténor Gordon Gletz qui étaient ce soir aux côtés de Matthias Pintscher en ont assuré la création (voir
notre chronique au festival Agora 2007). Dans la très belle Scène enchâssée entre les deux Interludes, ils incarnent les deux
personnages principaux, Prakriti, la serveuse d’auberge pétrie d’amour et Ananda, un moine, cousin du Bouddha, irrésistiblement
attirée par Prakriti malgré l’impossibilité qu’il a d’assouvir son désir puisqu’il a rejeté l’amour physique. L’éloquence et la
sensualité du chant déployé par Harvey dans l’Aria d’Ananda et la Ballade de Prakriti sont magnifiquement servis par les deux
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solistes dans un environnement instrumental très raffiné. Les deux Interludes instrumentaux, plus narratifs – la musique évoque
la crise cardiaque de Wagner au tout début - convoquent le dispositif électronique en temps réel et la spatialisation du son; un
matériau plus bruiteux et fragmenté, dans le second Interlude, confère une atmosphère d’instabilité et d’étrangeté qui interroge.
Pierre Strauch était seul en scène en début de seconde partie pour jouer la
Sonate pour violoncelle de Bernd Alois Zimmermann (1960), pierre de
touche du répertoire contemporain pour violoncelle. L’oeuvre est rarement
donnée en France, comme d’ailleurs toute la musique du compositeur
allemand. Mais Pierre Strauch est un grand fervent et défenseur de la
musique de Zimmermann dont il a approfondi toute l’oeuvre pour
violoncelle. La Sonate relève de la technique sérielle et fait usage également
des quarts de ton; son écriture très discontinue rompt totalement avec le
genre traditionnel; elle s’apparente d’avantage à une sorte de « poème » en
cinq séquences enchaînées, dont les unités sonores – des « tesselles de
sons » comme les nomme Laurent Feneyrou dans la note de programme –
s’agencent de manière éminemment libre et singulière dans un temps très
flexible qui échappe à toute mesure. Pierre Strauch déploie une palette de
sons extrêmement riche sur son violoncelle, avec une autorité dans le geste
qui force l’admiration et une aisance confondante dans l’usage des modes
de jeu les plus sophistiqués; mais ce qui impressionne au final c’est la
cohérence qu’il parvient à trouver au sein de ce « fouillis visionnaire », à la
faveur d’une interprétation qui fait sens.
L’ensemble Intercontemporain était pratiquement au complet dans
Bereshit (« A un commencement »), une oeuvre subjuguante de beauté, par
sa facture autant que la lumière qui s’en dégage; Matthias Pintscher la
donnait ce soir en création française. « Bereshit n’est rien d’autre qu’une
pièce sur la création divine, en sept jours » précise le compositeur. La
partition a été pensée pour l’Ensemble Intercontemporain – qui en est l’un
des commanditaires – avec un déploiement impressionnant de percussions
et de somptueuses parties solistes, comme celle de la clarinette contrebasse
– exceptionnel Alain Billard – écrite semble-t-il pour ce virtuose hors
norme.
C’est dans le son ténu de la contrebasse – un fa naturel issu du « Néant
absolu » – que s’origine l’oeuvre; Matthias Pintscher ménage alors un long
processus de déploiement spectral de la matière orchestrale: dans le raffinement des alliages sonores et le mouvement toujours
réamorcé d’un matériau sonore qui prend forme et s’organise à mesure. L’ensemble se gorge d’énergie jusqu’à la flamboyance et
laisse émerger les solos: celui, sublime, de Jeanne-Maris Conquer focalisant l’écoute sur la sonorité rayonnante et soyeuse de son
violon, dans la dernière partie de l’oeuvre. Matthias Pintscher, souverain dans sa direction face à des instrumentistes en parfaite
synergie, nous tenait en haleine jusqu’à l’ultime résonance.
Couronnant son premier concert à la tête de l’Intercontemporain, Bereshit (ce premier mot du Livre) est bien évidemment une
symbolique forte pour Matthias Pintscher qui entend « ouvrir une nouvelle ère » dans l’histoire de l’Ensemble.
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