Revue des livres Harutyun Marutyan, Iconography of
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Revue des livres Harutyun Marutyan, Iconography of
Revue d’études comparatives Est-Ouest http://www.necplus.eu/REC Additional services for Revue d’études comparatives Est- Ouest: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Revue des livres Harutyun Marutyan, Iconography of Armenian Identity, The memory of Genocide and the Karabagh Movement, « Gitutyun » Publishing House of the National Academy of Sciences, Republic of Armenia, Yerevan, 2009, 415 pages. Taline Ter Minassian Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 42 / Issue 02 / June 2011, pp 199 - 202 DOI: 10.4074/S0338059911002105, Published online: 27 July 2011 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0338059911002105 How to cite this article: Taline Ter Minassian (2011). Revue d’études comparatives Est-Ouest, 42, pp 199-202 doi:10.4074/ S0338059911002105 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/REC, IP address: 78.47.27.170 on 16 Feb 2017 Revue des livres 199 Il n’empêche qu’il est désormais impossible de parler du cinéma soviétique et de la censure poststalinienne sans s’appuyer sur le livre de Martine Godet, ouvrage de référence qui ne manquera pas d’ouvrir la voie à de nouveaux travaux et analyses. Cécile Vaissié Professeur des universités Université Rennes 2, EA ERIMIT Harutyun marutyan, Iconography of Armenian Identity, The memory of Genocide and the Karabagh Movement, « Gitutyun » Publishing House of the National Academy of Sciences, Republic of Armenia, Yerevan, 2009, 415 pages. Second volume d’une série publiée sous les auspices de l’Académie des Sciences de la République d’Arménie consacrée à l’anthropologie de la mémoire, cet ouvrage remarquable, doté de très nombreuses illustrations en noir et blanc et en couleurs, arrive à point nommé pour l’anniversaire des vingt ans de la chute de l’URSS. Alors qu’une exposition « URSS-Fin de parti(e) » va ouvrir ses portes au Musée de la BDIC aux Invalides et que se réunissent à Paris et à Moscou des colloques consacrés à la chute de l’URSS, l’ouvrage de Harutyun Marutyan permet une plongée en profondeur dans la « révolution de 1988 » en Arménie. Alors l’un des pôles des rébellions nationales qui secouaient l’Imperium soviétique des pays baltes au Caucase, la capitale de l’Arménie, Erevan, a connu des manifestations gigantesques, des rassemblements permanents, des sit-in auxquels participèrent des centaines de milliers de personnes dans un climat d’effervescence propre aux temps révolutionnaires. Fruit d’une véritable renaissance qui était à l’œuvre en Arménie soviétique depuis les années 1960, le « mouvement du Karabagh » en Arménie dépassa rapidement le stade d’une simple revendication irrédentiste – en faveur du rattachement à l’Arménie d’une enclave majoritairement arménienne située sur le territoire de l’Azerbaïdjan – et se transforma en une véritable révolution. Portée par l’aspiration à la liberté et par l’affirmation du sentiment national, le mouvement du Karabagh fut un mouvement multiforme d’une étonnante inventivité dans ses slogans comme dans son iconographie. C’est précisément en ethnologue du politique que Harutyun Marutyan, historien de formation, chercheur à l’Institut d’Archéologie et d’Ethnographie d’Erevan, entend aborder cette période. À la fois témoin et acteur du mouvement de 1988-1989, à l’instar de nombreux intellectuels arméniens – au premier rang desquels le médiéviste Levon Ter-Petrossian, figure charismatique du Comité Karabagh qui galvanisa les foules de la 200 Revue des livres place de l’Opéra avant de devenir en 1991 le premier Président de la IIIe république d’Arménie – ou Hambartsoum Kaloustian – maire d’Erevan mort assassiné, à la mémoire duquel ce livre est dédié –, Harutyun Marutyan a participé aux événements de 1988. La mémoire dont il est question dans ce livre est avant tout la mémoire rétinienne de l’auteur qui s’exprime par le truchement d’un fonds iconographique exceptionnel qu’il constitua à l’époque en photographiant tout ou à peu près tout des manifestations de cette période : défilés, rassemblements, meetings, slogans, affiches imprimées, affiches spontanées et dessins exposés « sauvagement » dans les jardins et les parcs d’Erevan, gerbes commémoratives. Ce riche matériel iconographique a décanté depuis lors et c’est en anthropologue qu’Harutyun Marutyan entreprend son analyse. Dans la préface de l’ouvrage, l’académicien Levon Abrahamian note, « comme Marutyan, à cette époque j’ai passé beaucoup de temps sur les places et dans les rues d’Erevan qui devinrent pour longtemps notre terrain ethnographique. Nous n’avions pas la même compréhension de ce phénomène auquel nous participions mais sur lequel nous posions un regard de chercheur. Je le percevais comme l’équivalent typologique d’un festival archaïque tandis que Marutyan l’envisageait avant tout comme une révolution. Quoi qu’il en soit, nous rassemblions les affiches et les bannières, ce matériau banal des manifestations, et nous prenions des photographies, des notes, des copies ». Comment analyser la révolution de 1988 en Arménie ? Sous un angle généraliste en la soumettant à l’analyse sémiotique ? Par le biais de l’anthropologie urbaine comme s’y est essayé avec succès Levon Abrahamian en se concentrant sur la topographie chargée de signes et symboles de l’espace d’Erevan ? Le choix de Harutyun Marutyan s’est porté sur la mémoire du génocide de 1915 ou plus exactement sur les modalités de la réactivation de la mémoire du génocide dans l’iconographie du « mouvement du Karabagh » en 1988. Fondée sur un corpus de 370 affiches, l’étude de Harutyun Marutyan commence par tenter de poser un cadre conceptuel qui permette de mieux saisir le lien indéfectible entre mémoire et identité nationale. Il aborde ensuite le chapitre plus spécifique de la mémoire du génocide dans le contexte soviétique, bannie de la mémoire officielle jusqu’aux événements décisifs de 1965 qui conduisirent à l’érection, en 1967, du monument commémoratif de Dzidzernagapert à Erevan. Ce monument fit naître de nouveaux rituels commémoratifs. Processions du 24 avril, tombereaux de fleurs coupées, fontaines votives, ces rituels s’inscrivent dans une synthèse culturelle arméno-soviétique dont la matrice est le mobilier mémoriel de la Grande Guerre Patriotique comme, par exemple, les khatchkars (croix sculptées) érigés à Erevan à la mémoire des soldats arméniens tombés en 1941-1945. L’étonnante iconographie des gerbes commémoratives composées à l’occasion du 24 avril est analysée en détail par Harutyun Marutyan qui en souligne la variété VOLUME 42, JUIN 2011 Revue des livres 201 des thèmes, des contextes et des commanditaires. L’auteur aborde ensuite la question du réveil de la mémoire du génocide de 1915 au moment du pogrom de Soumgaït (février 1988) qui fut déterminant dans la formation du mouvement du Karabagh en Arménie. Harutyun Marutyan dispose à cet égard d’une iconographie particulièrement riche : bannières faisant mention des dates « 1915-1988 », certaines osant déjà faire un détour par les purges de 1937 et libellées « 1915-1937-1988 ». D’autres manifestants enfin, plus au fait des guerres arméno-tatares du début du siècle et de leurs prolongements à l’époque des indépendances transcaucasiennes (1918-1921), déployaient des banderoles établissant clairement un lien entre les massacres de Bakou en septembre 1918, de Chouchi en 1920 et ceux de Soumgaït en 1988. Inventivité, critique, humour et satire, les affiches arméniennes des années 1988-1990 témoignent de l’effervescence créatrice de cette période révolutionnaire qui est aussi une critique de la glasnost’ et de la perestroïka lancées par Gorbatchev. Lož (mensonge) écrit en capitales avec des collages du titre de la Pravda. Affiches satiriques artisanales par exemple « eto že naši deti » (« après tout ce sont nos enfants »), allusion à un discours de Gorbatchev défendant les soldats soviétiques après les affrontements à l’aéroport de Zvartnots (5 juillet 1988), représentant un char dans un landau. Au fur et à mesure que se déroule le film des événements de 1988 – le livre présente par exemple un reportage très complet de la manifestation du 7 novembre 1988, la dernière du genre entre rituel soviétique et ferveur nationale –, l’évolution des slogans qui sont autant de références précises à des faits ou à des discours de l’époque, montrent une méfiance palpable puis une franche hostilité à l’égard de Gorbatchev. Harutyun Marutyan restitue la chronologie de cette iconographie – à quel moment précis apparut telle ou telle affiche ? – élucide comme seul un témoin peut le faire le sens des phrases et des slogans qui collent à l’événement. En russe ou en arménien, slogans et affiches évoluent vers une contestation de plus en plus radicale du pouvoir central russe. Les affrontements sanglants entre Arméniens et Azéris montrent le caractère dérisoire de l’amitié entre les peuples tandis que la botte de l’oppresseur russe est prête à écraser la contestation arménienne. L’image de la botte russe en marche vers le Caucase après avoir laissé ses traces en Tchécoslovaquie, en Pologne et en Afghanistan telle que la représente une affiche spontanée sur la place de l’Opéra en novembre 1988 est le thème de multiples variations d’affiches éditées l’année suivante. La botte entourée de quinze chaussures d’enfant accompagnée du slogan gorbatchévien « Un centre fort, des Républiques fortes » (4 novembre 1989) devient même omniprésente. Le « lac des cygnes d’Erevan » montrant des ballerines chaussées de rudes bottes paysannes s’inscrit dans une veine comparable mais plus ambiguë, tournant en dérision le ballet de la place de l’Opéra – lieu de 202 Revue des livres rassemblement rituel de la foule – où se trouve en effet une petite pièce d’eau aménagée connue de tous comme le « lac des cygnes ». Détournant les slogans soviétiques officiels, le mouvement de contestation débouche bientôt sur une critique radicale du pouvoir soviétique et notamment de son système judiciaire au moment du procès des responsables du pogrom de Soumgaït, une série de procès devant la Cour de Soumgaït puis devant la Cour Suprême de l’URSS, à partir de mai 1988. Le mouvement de 1988 a produit une véritable iconographie, et même des emblèmes comme la vache rouge, « garmir gove », omniprésente. Cette vache irradiée témoigne de l’importance de la question écologique dans la formation du mouvement national arménien. L’usine de caoutchouc synthétique Naïrit, puis la centrale atomique de Medzamor, ont réveillé particulièrement après le tremblement de terre de décembre 1988, l’angoisse d’un nouveau Tchernobyl, un « génocide radioactif » que l’iconographie associe au croissant du drapeau turc à travers une étoile introduite dans le sigle russe AES (Atomnaja elektrostancija – centrale nucléaire). En faisant du réveil de la mémoire dormante du génocide, le nœud central de sa démonstration, Harutyun Marutyan a certes fait un choix qui le conduit à occulter bien d’autres aspects de l’histoire de la révolution de 1988 en Arménie. Cependant, l’immense mérite de ce livre est de mettre à la disposition du public une collection considérable de sources, d’affiches d’images des manifestations d’Erevan demeurées jusqu’ici largement inédites et qui témoignent du rôle des petites nations dans la chute du géant soviétique. Taline Ter Minassian Professeur des Universités, Institut National des Civilisations Orientales (Paris) VOLUME 42, JUIN 2011