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PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE 1
Theo
On va encore être en retard. Ça bouchonne dans le bas de la ville !
Il chantonne en mâchonnant son petit pain au lait. Je le vois dans le
rétroviseur, sa bouche grande ouverte, deux incisives en moins,
­éclatées sur un banc de la garderie il y a deux mois, ses yeux bruns
en forme d’amande qui pétillent.
— C’est quoi cette chanson ? Tu l’as apprise à l’école ?
— Mais non, Mamie, c’est Stromae, tu sais, « Formidable, je suis
formidaaable ! »
Et de me fredonner presque par cœur ce tube que je connais, bien
évidemment. Je suis « vieille », mais encore pas trop. C’est Theo qui
le dit ! Donc je suis au courant pour Stromae. Formidaaable…
« Putain ». Qu’entends-je ? Ce mot que j’ai toujours eu de la peine à
dire, à lire, à prononcer, sort de la bouche de mon petit-fils de cinq
ans à la deuxième strophe de la chanson ! Qu’il chante en boucle,
façon rap. Cela klaxonne derrière moi. La file de voitures s’étire à
nouveau.
— Theo, tais-toi s’il te plaît, et écoute-moi bien ! Ne redis jamais
ce mot que tu viens de chanter, ce n’est pas un beau mot !
— Quel mot, Mamie ?
— Tu le sais très bien, mon cœur, tu viens de le dire plusieurs fois !
— Putain, Mamie ? C’est dans la chanson de Stromae. Il veut dire
quoi, ce mot ?
— Il veut dire, il veut dire… c’est difficile à expliquer ; c’est un
mot qui fait de la peine aux gens, aux dames. Il fait partie des gros
vilains mots, voilà !
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Je me tais, ne sais plus quoi rajouter ! Il me dit : « Ben Mamie,
pourquoi Stromae il le chante, alors, ce mot ? Bon, d’accord, je ne
dirai plus “putain”, promis ! »
Theo malaxe son petit pain, engouffre la boulette pâteuse dans sa
bouche.
YouTube, le soir dans mon lit. Je regarde la vidéo de ce formidable
« Formidable », vois Stromae tituber au bord du trottoir. Il le chante
ce putain de mot, très vite, mais suffisamment audible pour que tous
les petits mômes du monde l’entendent et le retiennent. Je me
souviens avoir murmuré plusieurs fois des « merde » dans le dos de
ma mère quand j’étais petite, juste pour sentir le goût que le mot avait
dans ma bouche. On ne jurait pas dans ma famille. On disait « zut »,
« flûte », « mince ». « Crotte » si l’on était très fâché. Entre copines,
on répertoriait tous les mots interdits entendus dans la rue. Je ne les
prononçais jamais face à elle, ma mère, ou alors en silence, la bouche
fermée. J’aurais pris une gifle si elle les avait attrapés au vol ! Lui,
mon père, avait l’oreille fine, il me faisait un clin d’œil du bout de la
table. Je murmurais tout bas ce qu’il aurait voulu hurler très fort à sa
moitié légèrement psychorigide !
Moi, j’avais un papa, un vrai. De ceux qui partent le matin au
­bureau, mangent à la maison midi et soir ; petite sieste après le repas ;
un modèle de père en voie de disparition, c’est journée continue de
nos jours. Un papa pour parler, rire, m’emmener en vacances, me
gronder quand je dépassais les « bornes des limites ». Un papa pour
moi toute seule et une maman qui avait bien de la chance d’avoir
rencontré cet homme-là. Fille unique j’étais, bien cadrée entre une
paire de parents à l’ancienne, mais présents et sécurisants.
Theo est fils unique.
Theo a une maman pour lui tout seul.
Theo a un papa qui n’a pas revu son fils depuis presque cinq ans.
Normal ! Les pères fantômes sont légion de nos jours. Ils vont, ils
viennent, ils disparaissent. Les enfants restent, attendent, espèrent,
font leur petit balluchon chaque semaine lorsque le géniteur a recomposé une famille ailleurs.
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Le papa de Theo a semé très jeune des enfants dans son pays d’origine, l’Équateur. La progéniture de cet homme fertile – deux garçons,
deux filles, nés de deux mamans différentes – a eu, elle aussi, un père
absent. Luis-Angel a la fibre paternelle virtuelle. À peine les petits
hors du ventre de leur mère, il s’évapore durant un temps indéterminé, des années parfois, là où l’herbe est plus verte.
La vie devenant difficile au pays des Incas, il visa la Suisse, posa sa
valise à Lausanne durant dix ans, se maria avec une Helvète –
­permis C(1) à la clé, un permis en or, à deux doigts de la naturalisation ! – et divorça quelques années plus tard. Aucun enfant à déclarer ! Côté professionnel, je le reconnais, il s’est bien débrouillé.
L’homme est malin, intelligent, un peu magouilleur. Il a acheté deux
bus, créé une petite entreprise de parquetage. Une affaire qui a bien
marché durant quelques années. Et puis il a rencontré ma fille. Une
relation compliquée, passionnelle. Ils n’ont jamais vécu très longtemps ensemble, ces deux-là. Parfois, il traversait l’océan, destination
Guayaquil – la plus grande ville et le plus grand port de l’Équateur –,
histoire de vérifier si ses bassins à crevettes, gérés par un de ses frères
et par lui quand il avait le temps, prospéraient… et ses enfants aussi,
dans la foulée. On ne savait jamais durant combien de temps il s’enracinerait dans sa terre natale. Il surgissait un jour derrière la porte de
ma fille, la bouche en cœur, un mois, six mois après s’être évanoui
dans la nature. Opération séduction, un brin de manipulation, Lena
retombait vite dans le piège, prisonnière volontaire de la toile d’araignée amoureuse tissée par lui. « J’aimerais te faire un enfant ! »
­disait-il souvent. Ces mots résonnaient juste là où il le fallait, au fond
des entrailles de Lena, à cet endroit du corps où chaque mois un ovule
(1) Le permis C est une autorisation résidentielle à temps indéterminé qui permet à un
étranger d’effectuer des achats immobiliers et d’exercer une activité lucrative
indépendante, pratiquement sans limites. Pour obtenir ce permis, la personne étrangère
doit avoir vécu en Suisse, de 5 à 10 ans selon les cas, et avoir mené une vie exemplaire,
sans avoir eu d’ennuis avec la justice et sans avoir cumulé de dettes.
Le permis C est aussi accordé à un demandeur étranger après cinq ans de mariage avec
un Suisse ou une Suissesse.
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croisait des milliers de spermatozoïdes aveugles, au flagelle agité.
Des milliers et un seul élu. Un jour, il serait son élu, l’embryon qui
ferait son nid au fond de son ventre. Elle était amoureuse mais pas
toujours très heureuse avec lui. Il a dû la tromper ; la pire des choses
pour une scorpionne à la jalousie féroce. Un jour, il vendit ses bus,
ferma son entreprise et annonça à Lena qu’il repartait définitivement
dans son pays, que sa boîte périclitait, qu’il l’aimait encore mais qu’il
avait des problèmes d’argent ; que ses fils lui manquaient, ajouta-t-il
en écrasant une larme sur sa joue ! Douze et treize ans les fils. Papa
fantôme, le retour ! Que dit-on à des presque adolescents qui ne
voyaient leur père qu’une fois l’an et encore ?
« Je reviendrai », furent ses derniers mots à l’aéroport…
À sa décharge, lorsque Lena lui annonça qu’elle attendait un e­ nfant
de lui, il parut heureux, proposa à ma fille de venir vivre avec lui, en
Équateur. Elle l’aimait encore cet homme, mais partir de l’autre côté
de l’océan, loin de sa famille, sans savoir un mot d’espagnol, un nourrisson accroché à son sein… Luis-Angel n’insista pas.
Il débarqua chez Lena, enceinte jusqu’aux dents, sept mois plus
tard, quatre semaines avant la naissance de Theo.
Le jour de ses trente ans, Lena pressentit qu’une petite vie s’était
installée au creux de son ventre. Theo dupliquait ses cellules dans la
chaleur utérine et se créait doucement ! Deux bâtons bleus confirmèrent l’intuition de ma fille. Elle, océan de larmes, envahie par une
onde de bonheur mêlée d’appréhension. Malgré sa relation chaotique
avec son homme exotique, elle avait au fond d’elle un désir d’enfant
immense, un enfant de lui. « Ce serait terrible si j’étais stérile », me
disait-elle parfois. Pourquoi cette peur ? Elle seule le savait.
La grossesse se passa relativement bien, passé les nausées des
­premiers mois. Luis-Angel atterrit en Suisse au début de l’été, assista
à l’accouchement, coupa le cordon ombilical, baigna le nourrisson.
Un parcours paternel presque sans faute ! Theo poussa son premier
cri un 31 juillet. Ma mère avait décidé de quitter la vie un 31 juillet,
dix-sept ans auparavant. Une vie pour réparer une mort ? Étrangement,
cette coïncidence a apaisé l’horreur du suicide de ma maman. Le
31 juillet restera à jamais l’un des plus beaux jours de ma vie de
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femme. Mamie, j’étais devenue. Theo, son visage délicat, ses yeux
venus d’ailleurs, s’étaient emparés de mon cœur.
Un mois après la naissance du petit, Luis-Angel repartit en
­Équateur. Il était toujours resté dans un flou artistique quant à la
­longueur de ses séjours auprès de la femme qu’il disait aimer et de
son fils. Quelques semaines de pseudo-vie familiale, une illusion de
vie à trois. Theo pleurait beaucoup, souffrait de coliques. Ma fille
était épuisée et lui quittait le navire, frétillant, sourire « Pepsodent »
aux lèvres, très content d’avoir planté un petit enfant en terre helvétique. Il avait reconnu Theo juste avant sa naissance ; pas un hasard
cette reconnaissance d’enfant, je le compris plus tard !
Avant de reprendre l’avion, papa courant d’air caressa le petit
ventre de son fils, celui encore un peu ballonné de Lena, marmonna
quelques promesses. « J’ai une ou deux affaires à régler en Équateur ! Après, je reviendrai vivre avec vous deux, je chercherai un bon
­boulot. Peut-être remonterai-je une petite entreprise avec quelques
copains ! » Un discours que je ne sentais pas. Lena y croyait. Elle la
voulait de toutes ses fibres cette existence à trois. Elle, lui et leur
petit fruit passion.
« Je lui ai toujours dit, à Theo, qu’il avait été désiré, qu’il était né
de l’amour de son père et de sa mère. Ça au moins, il le sait, le
petit ! »
Lorsque Luis-Angel revint en Suisse pour la dernière fois, Theo
avait juste quatre mois.
L’hidalgo reprit son rôle de père sous les brumes automnales. Les
feuilles viraient au rouge orangé, l’air était doux. Theo respirait
l’odeur de son père et celle de l’humus avec délectation. Il était là où
il devait être, dans les bras de papa. Il n’eut guère le temps de goûter
à cette félicité. L’homme refaisait déjà sa valise, filait sans se retourner vers son ailleurs à l’autre bout de la terre. Theo entamait son
quatrième mois de vie lorsque Luis-Angel boucla son dernier bagage.
Le géniteur ne remit plus le pied en Suisse, se bornant à téléphoner
tous les six mois, s’inquiétant plus de ce que faisait ma fille, de ses
éventuelles nouvelles amours, que de la vie de Theo. Lorsque le petit
sut parler, Luis-Angel échangea quelques mots avec son fils, promit
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des choses, ne s’intéressant guère à ce que faisait, pensait l’enfant. Il
raccrochait très vite. Bredouillait un « Je reviens bientôt en Suisse,
dans un mois, six mois peut-être ; sois sage avec ta maman », laissant
Theo désemparé, son petit cœur battant la chamade, et profondément
déstabilisé par cet ersatz de père qui n’était même pas fichu de
maintenir un lien, de lui envoyer une carte, un petit cadeau pour son
anniversaire, de mettre une photo de lui, de sa vie en Équateur sur
Facebook. Car il sévissait sur les réseaux sociaux, l’animal, ne
postant rien ou presque. Des photos de femmes, des vidéos avec des
musiques latinos. Il n’écrivait jamais le moindre petit mot, ni pour
son fils ni pour Lena qui bouillonnait de colère devant tant d’irresponsabilité parentale ! Les mystères et les effets de la flèche de
­Cupidon sont bien insondables ! Ma fille aimait encore cet homme,
malgré son manque total d’engagement. Elle le détestait lorsqu’elle
reposait le téléphone, pleurait parfois le soir dans son lit. Pas devant
son fils. Pour lui, elle peignait un tableau idyllique et p­ositif de
Luis-Angel. Papa avait des soucis, avec son travail, avec le billet
d’avion qui ­coûtait cher, mais il aimait très fort son petit garçon et
viendrait le voir dès qu’il le pourrait ! « Il comprendra plus tard qui
est vraiment son père », pensait-elle. Lui, depuis là-bas, soufflait le
chaud et le froid avec ses coups de fil minables. J’aurais préféré qu’il
aille au diable ! Je ne disais rien, enfin presque rien ! Theo n’avait
qu’un père. C’était celui-là. Alors je me taisais. Mon poing enfoncé
dans ma poche, ma langue enroulée dans ma bouche.
Theo avait fait ses dents à huit mois, marché à treize, parlé et
­devenu presque propre à deux ans. Il pédalait sur son vélo et raclait
les feuilles du jardin avec son papi. Il devenait un petit bonhomme vif
et curieux de tout, aimait courir, barboter dans les piscines, jouer avec
ses petits copains, monter de plus en plus haut sur les arbres et escalader les rochers au bord du lac. Son langage devint vite riche et
étendu. Comme tout enfant unique, il côtoyait beaucoup d’adultes. Il
disait souvent : « Il va bientôt venir en Suisse, mon papa, il me l’a dit,
et avec mes frères aussi. » Il entretenait cet espoir fragile. Le soir,
dans son petit lit, il se blottissait sous sa couette en serrant son doudou
contre lui. Un papa-doudou à qui il chuchotait des mots dans son
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oreille poilue. Certains matins, je devinais une trace de larme séchée
sur ses joues. Traces d’un rêve, d’une bulle d’espoir dissoute dans les
lueurs de l’aube ? Ou larme d’un chagrin nocturne ; un papa désincarné ayant traversé son sommeil !
Theo et moi, ce fut un coup de foudre !
Il a planté son regard noisette foncé dans mes yeux un certain jour
de juillet et j’ai reçu son âme que je pressentais très belle dans mon
vieux cœur recousu. La maman de Theo est numéro un dans la vie du
petit, son soleil et son étoile du berger. Moi je suis celle qui raconte
ce qui a été et ceux qui ont traversé notre généalogie. Je suis sa bibliothèque et la mémoire du temps qui fut. Le papi, j’y viendrai. Il a une
place à part, essentielle. Il est l’homme, un vieux papa de substitution
qu’il admire et adore.
L’enfant parlait ! Luis-Angel sortit de sa léthargie, téléphona un peu
plus souvent à Lena. « Passe-moi Theo ! » demandait-il, faisant sortir
l’enfant de son lit tard le soir. Le français du papa devenait peu à peu
hésitant dans sa bouche hispanique. Quelques années qu’il ne pratiquait plus la langue de Molière. Il répétait comme un mantra qu’il
viendrait bientôt en Suisse, demandait à Theo s’il apprenait l’espagnol, l’anglais ; était-il bientôt champion de tennis ? Ne s’enquérait
jamais de ce qu’il vivait si loin de lui. De l’existence quotidienne de
son petit garçon, il ne savait rien. Rien de ses joies, de ses chagrins,
de ses attentes, de ses fous rires, de ses progrès.
Le petit bébé d’alors avait bien grandi ! Exit les coliques, les dents
qui poussent et font mal, les crises de colère d’un bambin de deux ans,
ce « terrible two » qui donne des sueurs froides à une cohorte de
­parents. Les grosses crises, à l’âge de six ans, sont plus rares mais tout
aussi usantes pour les nerfs. Les couples s’en tirent un peu mieux, ils
sont deux pour faire face à leur angelot transformé en diable rouge.
Lena se débat seule. Theo a du caractère, hurle quand il est fâché,
devient vite ingérable. La honte de la mère dans les lieux publics. Sa
patience a des limites et, quand elle est épuisée, elle hurle avec lui.
Pas d’homme à ses côtés pour faire la grosse voix, calmer le jeu.
Depuis que Theo s’exprime correctement, Luis-Angel se manifeste
environ tous les six mois, tente de créer un lien avec son fils, un lien
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ténu, petit fil rouge et très élastique entre deux continents. Le père
monologue, pose une ou deux questions à son petit garçon, n’attend
pas la réponse et raccroche le combiné au bout de quelques minutes.
La parole du fils engluée dans ses émotions. Papa désincarné ne sent
rien, n’entend rien. Il raccroche, clac, très vite, laissant le petit tout
chiffonné !
« Quand ? Tu viens quand ? » murmure Theo, sa petite main serrée
autour du téléphone, le visage tendu, fébrile. « Et puis je veux venir te
voir en Équateur. Dis, tu amèneras mes frères avec toi dans l’avion ?
Tu n’as pas assez de sous pour prendre l’avion, c’est pour ça que tu
ne viens pas nous voir ? Maman non plus n’a pas beaucoup de sous. »
Au quotidien, Lena tire le diable par la queue, ne recevant aucune
pension alimentaire de Luis-Angel, pas l’ombre d’un centime jaune !
On l’aide à tenir la tête hors de l’eau. « Moi j’ai tout plein de sous
dans ma tirelire, je peux te les donner. » Il vendrait tout ce qu’il a mon
Theo, même son pull préféré Spiderman, si cela pouvait aider son
papa à venir en Suisse. Il y croit à l’arrivée de son géniteur. Enfin, il
y croyait beaucoup à quatre ans ! À six ans, son cerveau tourne plus
vite. Il doit se dire, Theo, que l’homme de l’autre côté de l’océan
commence à lui raconter des histoires et, surtout, qu’il ne fait jamais
ce qu’il promet, et ça il n’aime pas. Parfois, il refuse de lui parler, dit
non avec la tête, s’assied en position fœtale au fond du salon.
« Papaoutai ». Theo à nouveau sanglé sur le siège à l’arrière de ma
voiture. Stromae, le « formidable », vient de sortir un tube qui
cartonne, surtout auprès des mômes en mal de père ! « Papaoutai »,
chante le petit à tue-tête. Il connaît les paroles par cœur. Je ne dis rien.
Je les écoute ces paroles qui disent à travers les radios et les télévisions du monde la quête des enfants sans papa. Un faux papa qu’on
voit assis sur un canapé, tel un mannequin inerte, complètement
­désincarné. Je pique çà et là une phrase, une autre…
Dites-moi d’où je viens
Enfin je saurai où je vais
Maman dit que lorsqu’on cherche bien
On finit par trouver
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Elle dit qu’il n’est jamais trop loin
Qu’il part très souvent travailler
Maman dit « travailler c’est bien »
Bien mieux qu’être mal accompagné
Où t’es papa, où t’es ?
Je distingue son visage dans le rectangle de mon rétroviseur. Il
chantonne encore. Son petit menton tremble. Il est des mots qui ne
passent pas. Je ne trouve rien à dire, détourne misérablement son
­attention :
— Là, mon cœur, regarde, il y a deux chevaux blancs dans le pré, à
droite, tu vois comme ils sont beaux.
Quelques minutes de silence. Une petite voix me répond :
— Oui, mamie, je les ai vus les chevaux. C’est une maman avec son
petit. Il est où le papa ?
— Je ne sais pas ! je murmure. On est bientôt arrivés, ça te dirait un
bon goûter ? Une glace au chocolat en guise de papa !
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