compte-rendu de la conference avec gerard vergnaud 18 septembre

Transcription

compte-rendu de la conference avec gerard vergnaud 18 septembre
www.formateurs-ugs.fr
COMPTE-RENDU DE LA CONFERENCE
AVEC GERARD VERGNAUD
Directeur de recherches émérite au CNRS – Université de Paris VIII
18 SEPTEMBRE 2010
La journée s’est déroulée de 9h à 17h dans l’amphithéâtre du bâtiment Agrosciences,
sur le site d’Agroparc à Avignon.
Elle a été introduite par la présidente du Réseau des Formateurs diplômés des
Universités du Grand Sud, Catherine EYMERY, qui a présenté l’association et le site
internet www.formateurs-ugs.fr
La matinée a été consacrée à une conférence plénière animée par Monique LAFONT,
responsable de formation de formateurs chez Formiris, pendant laquelle Gérard
VERGNAUD a exposé une partie de ses travaux et ses points de vue sur la didactique
professionnelle. Des travaux en groupe ont pu être organisés, et ont amené à une
séance de questions/réponses.
Synthèse de l’intervention de Gérard VERGNAUD
Gérard Vergnaud a suivi des cours avec Piaget, qui a été son maître de thèse sur la réponse
instrumentale à la résolution de problèmes. Il a notamment développé la théorie de la
conceptualisation dans l’action, qui prend son origine dans la psychologie du
développement et qui s’ancre dans les concepts de schèmes opératoires.
Il a été amené à s’interroger sur les processus d’acquisitions des gestes professionnels dans
un contexte fortement marqué par la pénurie d’emploi et l’apparition du chômage de
longue durée pour des personnes dites de « bas niveaux de qualification ». C’est à partir
de cette réflexion qu’il a été conduit à définir avec d’autres personnes, notamment Pierre
Pastré, la didactique professionnelle dans toute son interdisciplinarité.
Il insiste particulièrement sur l’importance du débat interdisciplinaire permis par
l’existence des communautés professionnelles, celles-ci étant au service de trois enjeux
clés : entretenir, actualiser et transmettre les connaissances sur les métiers. Il a
notamment contribué à la création d’une communauté professionnelle des mathématiques,
et plus tard d’une autre autour de la physique.
Lorsqu’il s’agit de se pencher sur la question de la didactique professionnelle, une place
importante doit être faite à ces communautés, qui représentent des espaces où les
identités professionnelles se font et se défont.
Définition de la didactique professionnelle : c’est l’étude des processus de transmission et
d’appropriation des connaissances. La didactique professionnelle est interdisciplinaire, et
il y a un intérêt important apporté au contenu. On peut analyser des situations de travail
pour organiser des situations de formation, « apprendre des situations » (se référer à
l’article « L’analyse du travail en didactique professionnelle », Pierre Pastré, Revue
française de pédagogie, 2002, n°138, p.9-17).
L’organisation de situations est essentielle dans la didactique.
Autre référence sur ce sujet : "Pastré P., Mayen P., Vergnaud G. (2006) « La didactique
professionnelle ». Note de synthèse. Revue Française de Pédagogie n° 154. INRP. 145-198 »
Comment exprime-t-on sa connaissance ?
Il y a deux formes : la forme opératoire et la forme prédicative.
La forme opératoire : c’est agir en situation. Elle est souvent implicite et inconsciente.
Le forme prédicative : c’est la forme verbale ou exprimer des objets avec des propriétés
(ex : textes).
Pour G. Vergnaud, il ne faut pas tomber dans le piège de penser que le simple fait de poser
des mots sur une pratique suffit à valider sa connaissance d’un métier. De la même façon,
serait-il possible de dire que la seule expérience du métier suffirait à sa maîtrise et à sa
compréhension ? Par conséquent, il propose avec la théorie de la conceptualisation dans
l’action, d’en analyser l’organisation. C’est par le mécanisme d’aller-retour entre la forme
prédicative (description de l’action) et la forme opératoire (l’action en elle-même), qu’il
sera possible d’enclencher un processus de conceptualisation de l’action efficace.
G. Vergnaud ajoute qu’il faut se méfier des termes « compétences », « pratiques »,
« expérience », car aucun de ces trois mots n’est à lui seul un concept scientifique.
Pour évaluer qu’un individu est plus ou moins compétent, il faut recueillir des observables.
La notion de « concept pragmatique » est différente de celle de « concept scientifique ».
Il est à retenir que la forme prédicative de la connaissance est toujours moins riche que la
forme opératoire de la connaissance. On peut citer en exemple la rédaction d’un guide
méthodologique qui explique ce qu’il faut faire mais ne mentionne ni les raisonnements
opératoires ni les obstacles épistémologiques.
La compétence désigne la forme opératoire de la connaissance.
Critères de compétence :
- A est plus compétent que B s’il sait faire quelque chose que B ne sait pas faire.
- A est plus compétent au temps T’ s’il sait faire quelque chose qu’au temps T il ne savait
pas faire.
- A est plus compétent s’il s’y prend d’une meilleure manière que B.
- A est plus compétent s’il dispose d’un répertoire de ressources alternatives qui lui
permettent d’adapter sa conduite aux différents cas de figure qui peuvent se présenter.
- A est plus compétent s’il est moins démuni devant une situation nouvelle.
La transmission des compétences est entravée par la question de la rentabilité et la notion
de temps. C’est vrai dans la formation mais aussi dans le travail.
Notion de déstabilisation : il faut être déstabilisé pour apprendre mais pas trop quand
même !
Les concepts pour analyser en situation professionnelle :
- le meilleur modèle d’activité c’est le geste, à rapporter au concept de schème.
Définition du schème : organisation invariante de l’activité pour une classe définie de
situations.
Les ingrédients du schème : buts, sous-buts, anticipation, règles d’action, prise
d’information, invariants opératoires (concepts-en-actes et théorèmes-en-actes),
possibilités d’inférence.
L’efficacité de l’action dépend des théories et concepts qui sont dans la tête de l’individu.
La formation continue joue un rôle car elle a un effet en retour sur l’expérience.
Selon les travaux de L. Vygotski :
« Conscience avant » : la conceptualisation nécessaire pour agir est inférieure à celle
qu’on va avoir après la réflexion.
Définition de la conceptualisation : identifier objets, propriétés et relations.
« Conscience après » : attitude réflexive qui permet de mettre en rapport les propriétés de
ce qui a été travaillé en situation.
Pour en revenir au sujet des communautés professionnelles, et leur importance dans le
développement des compétences, c’est dans ce qui se parle, se raconte sur l’exercice du
métier que s’opère ce va-et-vient précieux entre « conscience avant » et « conscience
après », où s’articulent et s’enrichissent connaissances opératoires et prédicatives.
En milieu de matinée, une séance de travail en groupe a été organisée dans
l’amphithéâtre par Monique Lafont, le but étant que chaque groupe détache une à
deux questions en rapport avec l’intervention de Gérard Vergnaud. Ensuite, la
restitution des travaux de groupe a été menée sous la forme d’une séance de
questions/réponses.
Voici les questions posées accompagnées de la synthèse des réponses fournies par Gérard
Vergnaud.
* Quel lien avec la Zone Proximale de Développement (ZPD) de Vigotski ?
La ZPD = c’est ce que nous savons faire avec autrui et que nous ne savons pas faire tout
seul.
Cela renvoie à la théorie des champs conceptuels, énoncée par G. Vergnaud.
Pour définir la ZPD, il faut rentrer dans le contenu, et ce sont les travaux sur la didactique
qui ont apporté cela.
La didactique porte une grande attention aux contenus conceptuels.
* Pouvez-vous développer le rapport entre la forme prédicative de la connaissance et sa
forme opératoire ?
La forme opératoire est toujours plus riche que la verbalisation.
La forme prédicative apporte des précisions à la forme opératoire : elle est nécessaire
pour avancer et permettre aux compétences de se développer, c’est ce qui se passe dans
les communautés professionnelles.
Le langage ne peut jamais épuiser la richesse du caractère opérationnel de la compétence.
* Quels sont les indicateurs de la compétence ?
La modestie s’impose car la richesse d’une compétence n’est jamais épuisée.
De plus, nous ne savons que très peu de choses sur l’activité langagière et sur l’activité
tout court. En effet, les choses sont souvent dites à demi-mots sans avoir besoin d’en
ajouter.
* Pouvez-vous préciser la notion de déstabilisation ?
La déstabilisation est à la fois cognitive et affective.
Elle renvoie également à la théorie des champs conceptuels.
La déstabilisation nécessite une activité de médiation de la part du formateur : quel choix
vais-je faire pour la situation de formation et comment vais-je intervenir dans cette
situation ?
C’est une activité délicate car il est difficile de percevoir totalement le réceptacle affectif
en face.
Être médiateur, c’est créer les conditions pour favoriser la prise de conscience, sachant
qu’il n’est pas possible de le faire à la place de l’autre.
Après la pause repas trois ateliers simultanés d’une durée d’une heure ont été
organisés, l’objectif de chaque atelier étant de proposer à Gérard Vergnaud trois
questions sur le sujet qui aura été débattu.
Thème des ateliers : « en quoi la didactique professionnelle concerne-t-elle … ? » :
•
•
•
L’acquisition des savoirs de base – atelier animé par Guylaine COSTANTINO, chargée
de mission régionale de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illétrisme (ANLCI).
Le rapport connaissances / compétences – atelier animé par Eric PELTIER,
responsable pédagogique et formateur, et Bruno GIOVANNELLI, responsable de
formation dans les métiers de la sécurité et de l’incendie.
L’insertion professionnelle et la sécurisation des parcours – atelier animé par
Dominique REY, directeur adjoint du service de formation continue de l’Université
d’Avignon.
Synthèse des trois ateliers et questions / réponses
•
•
•
•
Quels garde-fous trouver afin de ne pas limiter les formations sur les savoirs de base à
du contenu professionnel, sachant que les personnes en difficulté développent des
compétences transverses en mettant en place des stratégies de contournement ?
En quoi la didactique professionnelle est-elle un vecteur de professionnalisation ?
Quelles sont les limites de la didactique professionnelle dans le cadre de la sécurisation
des parcours ?
Préciser la notion de compétences transverses et celle de transfert des compétences ?
Nous touchons ici du doigt le fait que développer la compétence professionnelle signifie
également développer la personne.
Pour Gérard Vergnaud, il est intéressant de se référer aux travaux d’Isabelle VINATIER qui
travaille sur le concept d’identité-en-actes : comment la représentation de soi se forme-telle et se déforme-t-elle ?
Comment sécuriser ses propres ressources internes ?
La compétence a également une dimension sociale : nous sommes reconnus « pour une
compétence ».
Quelle limite dans la sécurisation des parcours ?
D’une manière générale il n’y a plus vraiment de sécurisation, car nous sommes dans un
monde non sécuritaire. La sécurité n’existe pas non plus pour l’entreprise car elle peut
perdre ses salariés. Le problème de la sécurité concerne également l’organisation de
l’entreprise. L’accompagnement est nécessaire pour tout le monde.
La didactique professionnelle peut donner plus de force en donnant la conscience du
« pouvoir agir ».
Compétences transverses / transfert de compétences
Gérard Vergnaud n’aime pas le mot « transfert », car si on ne sait pas ce qu’on transfère…
Pour lui, ce qui est transféré ce sont des invariants opératoires.
Il est important de faire une analyse sur les compétences en actes. Il faut réfléchir sur la
pratique ET sur le contenu.
Enfin, la journée s’est terminée avec une synthèse de Georges CHAPPAZ, commentée
une dernière fois par Gérard VERGNAUD.
Le public a longuement applaudi l’orateur, le quittant à regret après cette journée
riche en apports.