Le nouveau rapport à la politique du citoyen connecté à l`heure du

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Le nouveau rapport à la politique du citoyen connecté à l`heure du
Communiqué de presse
Paris, le 10 mai 2012
Premiers résultats de l’étude sociétale - Elections présidentielles 2012
Le nouveau rapport à la politique du citoyen connecté à l’heure du numérique
La Fédération Française des Télécoms conduit une réflexion permanente sur les problématiques et
l’évolution du secteur des télécoms. C’est dans ce cadre qu’elle a demandé à Joëlle Menrath et
Laurence Allard, chercheuses chez Discours & Pratiques, d’analyser l’ensemble des facettes de la vie
connectée des Français, dont la vie citoyenne. En particulier de faire un zoom sur les élections
présidentielles afin de regarder le rapport des français à la politique qui s’installe via le numérique.
Tout au long de ces derniers mois, beaucoup d’analyses ont été faites sur les stratégies des candidats
sur Internet, leur webcampagne etc., mais en revanche la question de comprendre comment les
citoyens vivaient leur campagne avec toute cette panoplie d’outils à leur disposition n’a pas été
traitée (TV, Internet, tablette, mobile…).
Discours & Pratiques va continuer d’observer et d’analyser la campagne pour les législatives et un
rapport d’étude global sur le numérique, les télécoms et la vie citoyenne sera publié fin juin.
1. Grâce au numérique, les citoyens ont tous leur manière propre de pratiquer activement
l’information politique, et de refuser d’être de simples spectateurs.
Aujourd’hui les citoyens connectés ont pour la première fois à leur disposition une panoplie d’outils
et de médias, qu’ils utilisent tous activement et qui leur permet, selon leur bon vouloir, de rompre
avec une position spectatorielle qui les assigne à un format, à un lieu et à une temporalité. Cette
combinaison transmédiatique leur permet de devenir des protagonistes de la campagne
présidentielle.
Ils peuvent ainsi ne plus se contenter de « recevoir » l’information politique, et se l’approprier à leur
manière propre. C’est le cas notamment de René, chauffeur de taxi, qui fait le choix de ne pas se
rendre « au rendez-vous » de l’annonce télévisuelle de la candidature d’un des prétendants à
l’élection, et d’accéder à son discours, décrypté, sur Internet, le lendemain.
La prédilection pour le « deuxième temps de l’information », le temps du décryptage, permet de
bénéficier de la perspective offerte par les regards d’experts mais aussi « d’autres soi-même », des
internautes « ordinaires ». Ceci explique le goût du off et des décodages où la communication
politique se trouve mise à nu. Recouper les informations, et mener son enquête, la souris à la main,
en recourant à des sites de fact checking, aux comparateurs et autres « véritomètres » sont les
pratiques numériques que la campagne 2012 a mises à l’honneur. Les usages de Twitter ont, eux,
initié une dynamique inédite de décryptage collectif entre anonymes, sur un mode ludique, qui
connecte vision et lecture en double écrans (double screening).
Mais l’enquête a révélé de façon plus transversale que, même lorsqu’ils ne sont pas des
contributeurs créatifs ou actifs sur Internet, les citoyens connectés se donnent aujourd’hui les
moyens d’être de véritables praticiens de l’information, en choisissant à la fois la temporalité de
leur calendrier électoral, les outils et les formats d’accès qui leur conviennent. Voire de révéler avant
l’heure, les résultats.
Si, dans les sondages réalisés pendant la campagne, la télévision semble rester la pièce maîtresse de
ces agencements transmédiatiques, c’est qu’elle est une toile de fond à laquelle se reporter, et une
matière première à laquelle on accède par de multiples médiamorphoses. Ainsi Sabine, 35 ans, metelle « le JT sur pause » sur sa box, si les titres l’intéressent, pour y revenir une fois ses enfants
couchés, tandis que Yasmine, 19 ans, visionne les extraits de débats sur Dailymotion en rentrant par
mots clé.
2. Le tabou du « parler politique » n’est pas levé par Internet.
La politique reste un domaine privé à la ville comme sur les écrans. Les réseaux sociaux ne sont pas
devenus l’espace privilégié du débat public, mais ils favorisent des formes d’échanges autour des
contenus politiques, où ne se révèlent pas explicitement les opinions et qui évitent la confrontation
d’idées.
Poster des images d’affiches détournées, parler par diaporamas et par articles de presse interposés,
commenter la forme d’une blague politique et ne rien dire du fond, utiliser la procédure automatisée
du like pour ne pas avoir à en dire plus, dire son choix de vote par un message codé, retweeter un
message… sont des exemples d’expressions multimodales, iconiques et audiovisuelles indirectes par
lesquelles on s’exprime sur la politique sans se dévoiler et sans entrer en débat plus avant.
La réalité des pratiques ne va donc pas dans le sens de la représentation idéalisée d’un Internet où
s’épanouirait le débat public. Au contraire, tout le travail expressif des internautes est au service de
la certitude partagée selon laquelle, dans toutes les situations, « l’opinion politique est personnelle ».
« L’évitement civique » semble constituer la norme sociale qui régit les échanges politiques sur les
réseaux sociaux (cf. travaux du sociologue Erving Goffman qui parlait d’ « inattention civile » pour
désigner les comportements par lesquels on reconnaît l’autre comme un interlocuteur possible, tout
en ne s’engageant pas dans l’interaction).
Même quand le choix de vote donne lieu, le jour J, à ce qui s’apparente à un coming out, ce qui se
montre du secret de l’isoloir ne se dévoile pas sans élaboration sur les réseaux sociaux : prendre
l’avatar de son candidat, poster la photo de son bulletin de vote, écrire son soulagement ou sa
déception le lundi matin et « nettoyer » son profil le lendemain sont des mises en scènes réfléchies,
et souvent momentanées.
3. Les outils connectés permettent de
numérique.
transformer le devoir civique en bon plaisir
Les citoyens choisissent leurs combinaisons transmédiatiques en fonction de leurs contraintes
quotidiennes, mais aussi de leur bon plaisir. Ainsi Hubert, 56 ans, se dit-il qu’il retrouvera « tout sur
Internet » le lendemain dès qu’il sent poindre l’ennui devant une émission politique à la télévision ;
Jean-Marie, 75 ans, télécharge sur son lecteur MP3 son émission de radio politique favorite pour
accompagner sa promenade quotidienne ; Carole, 35 ans, « passe par » ses amis Facebook pour voir
les vidéos et lire les articles « qui comptent » ; Vincent, 30 ans, ne supporte pas de regarder un débat
télévisé sans le suivre en parallèle sur Twitter qui réenchante ce moment qu’il considère comme
ennuyeux.
En outre, au travers de la gamme large des traitements du politique qu’il offre, Internet donne de la
saveur au devoir civique. Pour Véronique, 39 ans, qui se contraint chaque matin à « entretenir sa
culture générale » politique, faire défiler les actualités de la campagne électorale sur son application
mobile est une façon d’agrémenter son effort, tout comme Luc, électeur de d’un parti de gauche,
podcaste avec plaisir les imitations de Laurent Gerra qu’il considère pourtant à droite.
Mais, si le « LOL » ou le second degré est une autre clé d’entrée dans la campagne politique, surtout
pour les plus jeunes, détourner la politique n’équivaut pas à s’en détourner. S’amuser avec le
podcast d’un humoriste, regarder des vidéos farcesques, poster des caricatures qui déconstruisent la
communication politique ou remixer les phrases d’un débat n’implique pas une perte d’exigence visà-vis du politique. Les plus jeunes de nos interviewés attendent du président idéal qu’il soit doté
d’une nouvelle qualité qui consiste à pouvoir s’échapper de ces détournements humoristiques :
« savoir se débrouiller pour ne pas être caricaturé », comme le dit Samira, une étudiante de 20 ans.
4. Internet joue le rôle d’un observatoire pluraliste favorisant la curiosité politique.
Internet est décrit dans la panoplie transmédiatique par nos interviewés comme un outil de
stimulation intellectuelle et de fluidification des clivages idéologiques. La navigation dans des
programmes politiques qui peut s’effectuer par ouvertures de plusieurs onglets simultanés permet
par exemple de s’intéresser à des idées opposées aux siennes, en citoyen qui veut s’éclairer, de jeter
un œil sur plusieurs propositions ou de visiter le site d’un parti en simple curieux. Luc, 51 ans, qui
vote à gauche, nous dit « oser » aller sur le site d’un parti d’extrême-droite alors « qu’autrefois », il
jugeait trop engageant d’acheter Minute chez son marchand de journaux.
En fonction de la combinaison d’outils et de médias pratiquée pour se former une opinion durant la
campagne, des choix de vote peuvent être recombinés. Quand il regarde la télévision, Patrick, 38 ans,
ancien militant communiste, pense voter pour le candidat de son parti. Mais, quand il est sur
Twitter, confronté à la succession des tweets sur les comptes d’autres candidats, il ne sait plus « qui
dit quoi sur l’écologie », par exemple, et son opinion vacille. Cette qualité pluraliste d’Internet rend
possible des pratiques militantes stéréophoniques, comme celles de Julien, 37 ans, qui regarde les
débats de « Des Paroles et des Actes » sur son ordinateur tout en suivant le compte Twitter d’une
personnalité politique sur son mobile pour « voir comment les mecs de droite réagissent.»
Aujourd’hui il est donc vain de chercher à déduire le profil politique d’un citoyen à partir de ses
pratiques numériques.
5. La campagne 2012 a inauguré de nouvelles formes de militance connectée, qui
privilégient la parole libre.
De l’avis des militants rencontrés, la campagne 2012 a été animée par une véritable stratégie
numérique. Mais à côté des consignes données par les équipes des partis, l’exercice d’une parole
militante libre et informelle sur Internet a élargi le cercle traditionnel des militants encartés.
Aujourd’hui internet rend possible une gamme large de formes de militance, qui inclut le statut de
militant « libre ».
Poster son opinion sur les sites de réseaux sociaux est « la façon de militer » de Lucien, 51 ans, simple
électeur de gauche. Cette fabrique quotidienne de la militance digitale « prend autant de temps que
d’aller sur les marchés », suivant Carole, 31 ans, encartée à droite.
Les techniques d’écriture de la parole militante libre privilégient des reformulations personnelles
plutôt que la reprise des slogans proposés par les sites officiels. Twitter est ainsi utilisé comme une
réserve de « petites phrases bien vues, bien dites » à retweeter et comme une chambre d’écho de la
parole militante.
6. La nouveauté de la campagne 2012, c’est la métamorphose des espaces publics par la
connexion.
Le véritable espace public de débat connecté aujourd’hui n’est pas « Internet » en soi. Par l’internet
mobile ou le WiFi, la connexion devient un cadre dans lequel se nouent ou se poursuivent des
discussions au sujet de la campagne. Ces agencements d’objets et de technologies forment de
nouveaux espaces publics hybrides, qui actualisent l’espace de conversation politique né au XVIIIème
siècle avec les premiers cafés.
Un meeting en plein air « connecté » auquel on assiste portable à la main ou caméra sur le casque,
un bus depuis lequel on envoie une vidéo à des amis que l’on vient de quitter, un banc autour duquel
on se retrouve avec un ordinateur portable, un véhicule de co-voiturage doté d’une radio et de
quelques smartphones sont des exemples de ces lieux où se vit aujourd’hui la politique.
Ces situations s’inscrivent dans un contexte global qui fait de la place publique connectée, le foyer
des mobilisations collectives : place Tahrir, plazza del Sol, Zuccotti Park (Occupy Wall Street) comme
dans les meetings en plein air de la campagne présidentielle, la présence des outils numériques
élargit le cadre de l’expérience citoyenne.
Retrouvez la présentation des slides : http://www.fftelecoms.org/articles/le-nouveau-rapport-lapolitique-du-citoyen-connecte-lheure-du-numerique
Contact Fédération Française des Télécoms : Dominique Martin 06 07 52 85 11
Contact Discours & Pratiques : Joëlle Menrath 06 13 97 36 97
Méthodologie de l’étude en chiffres :
2 enquêteurs :
Laurence Allard, maîtresse de conférences en Sciences de l’Information de Communication, auteure de
Mythologie du portable (ed. Le Cavalier Bleu, 2012) et rédactrice du blog http://www.mobactu.fr
Joëlle Menrath, directrice de Discours & Pratiques, auteur de plusieurs études sur les nouvelles
technologies et de l’ouvrage Mobile Attitude (ed. Hachette Littératures, 2005)
2 mois d’observation dans les espaces publics, les meetings, les bureaux de vote, et d’ethnographie digitale
(réseaux sociaux, forums, blogs, sites de presse, contenus mobiles, …)
30 entretiens de longue durée auprès de personnes de milieux sociaux contrastés et une trentaine à la volée
18 – 80 : l’éventail d’âge des personnes rencontrées
3 secteurs géographiques investigués : Paris et région parisienne, Lisieux et villages alentours, Strasbourg et
villages alentours
A propos de : la Fédération Française des Télécoms, association régie par la loi de 1901, réunit les opérateurs et
associations de communications électroniques en France. Elle a pour mission de promouvoir une industrie responsable et
innovante au regard de la société, de l’environnement, des personnes et des entreprises, de défendre les intérêts
économiques du secteur et de valoriser l’image de ses membres et de la profession au niveau national et international. La
Fédération est structurée autour de sept commissions permanentes : Consommation, Contenus, Développement Durable,
Fiscalité & Emploi, Innovation & Normalisation, Entreprises & Responsabilité numérique, Sécurité et d’un Collège Mobile.
Plus d’informations : www.fftelecoms.org
A propos de Discours & Pratiques est une société de Conseil et de Recherche appliquée qui réunit 20 chercheurs
universitaires et chercheurs CNRS - sociologues, ethnologues, philosophes, chercheurs en sciences de l’information. Discours
& Pratiques met les méthodologies et l’approfondissement de la recherche au service des acteurs économiques en partant
du crédo suivant : ‘les individus ne font pas forcément ce qu’ils disent, et ne disent pas exactement ce qu’ils font’. C’est
pourquoi Discours & Pratiques fonde toujours ses méthodes d’enquête à la fois sur l’analyse des discours et l’observation des
pratiques réelles en observant les situations de la vie quotidienne où se jouent concrètement les usages et les choix de
consommation.