Compte rendu des débats - 14ème Université d`été de la Défense

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Compte rendu des débats - 14ème Université d`été de la Défense
Compte rendu des débats
Les 9 et 10 septembre 2013
Ateliers .................................................................................................................................. 2
Forum des Rencontres ...................................................................................................... 28
Petit-déjeuner débat « Comment mettre en œuvre la coopération européenne ? » ...... 37
Séance plénière « Quelle Défense pour quelle Europe ? » ............................................. 51
Petit-déjeuner débat – Comment mettre en œuvre la coopération européenne ?
Jean-Paul PERRUCHE, président d’EuroDéfense, ancien Directeur général de l'Étatmajor militaire de l'Union européenne
Le thème de notre petit-déjeuner sera la question : quelle coopération européenne de
Défense et comment la mettre en œuvre ? L’association EuroDéfense France, que j’ai
l’honneur de présider, est une association à but non lucratif qui cherche à promouvoir et à
s’investir dans la réflexion sur la construction européenne de la Défense. Nous travaillons
dans deux directions. A travers nos réflexions, nous essayons de contribuer à la mise en
place des structures, des organisations, des procédures en matière d’Europe de la Défense.
Et nous essayons de faire de l’information grand public pour sensibiliser nos citoyens aux
enjeux et aux problématiques de cette Défense européenne. Nous sommes représentés
dans treize pays de l’Union européenne et nous travaillons en réseau, chaque association
étant administrée de façon nationale, mais nos travaux sont toujours signés des treize
associations, ce qui leur donne du poids au niveau européen. D’autres pays sont en
discussion pour nous rejoindre. Je profite de cette tribune pour remercier nos sponsors qui
nous aident à travailler, industriels et administrations.
Quatre intervenants vont traiter de cette problématique de coopération européenne de
Défense et j’ai souhaité traiter tous les domaines concernés, c'est-à-dire politique,
institutionnel, économique, opérationnel et technico-industriel. C'est la raison pour laquelle
j’ai le plaisir d’accueillir Monsieur le Secrétaire d’Etat à la Défense Stéphane Beemelmans
d’Allemagne, Sir Peter Ricketts, notre Ambassadeur du Royaume-Uni en France, le Général
Patrick de Rousiers, Président du Comité Militaire de l’Union européenne depuis un an ; et
Claude-France Arnould, Directeur Exécutif de l’Agence Européenne de Défense.
Nous allons commencer par l’approche politique de la coopération européenne. Stéphane
Beemelmans est binational, puisqu’il a effectué, dans les années 1980, un service militaire
dans l’Armée française dont il est sorti avec le grade de lieutenant de cavalerie. Il a ensuite
eu une carrière très riche dans la Défense en général, mais plus largement au Länd de Saxe
d’abord puis au niveau fédéral. Ses principaux postes ont été Directeur de Cabinet du Chef
de la Chancellerie Fédérale de 2005 à 2009, Directeur de Cabinet du ministre fédéral de
l’Intérieur en 2009, et Directeur général de la Direction des questions de stratégie générale,
Affaires européennes et internationales, et depuis 2011, il est Secrétaire d’Etat au ministère
fédéral de la Défense à Berlin.
Nous avons posé plusieurs questions à Stéphane Beemelmans. Tout d’abord, quels sont les
enjeux politiques de la coopération européenne en matière de défense. La coopération de
défense n’est qu’un moyen finalement de parvenir à une fin et nous nous demandons quelles
sont les finalités politiques, opérationnelles, économiques, industrielles, à partir desquelles
devrait être définie et mise en œuvre la coopération de défense en Europe, et notamment
quelle autonomie d’action devrions-nous fournir à l’Union européenne dans le domaine
militaire. Quelle capacité minimum faut-il détenir en Europe ? Quelles sont les priorités, les
urgences, pour la Défense européenne ? Cela pose, bien entendu, la question de
l’opposition parfois entre l’intérêt stratégique des nations et l’intérêt stratégique commun.
Peut-on et doit-on exprimer un besoin de défense au niveau européen et doit-on continuer à
faire l’addition des besoins de défense nationaux ? Enfin, l’expression de la puissance estelle souhaitable et possible au niveau européen ? A quelles conditions peut-on rendre
compatibles les intérêts nationaux et européens ? Les partages de souveraineté que cela
entraîne ne sont-ils pas inévitables ? Faut-il encourager des coalitions plutôt régionales
d’Etat des coalitions économiques, ou des coalitions de circonstance entre les pays
membres ?
Stéphane BEEMELMANS, secrétaire d’Etat allemand à l’armement et à
l’administration, auprès du ministre fédéral de la Défense
Pourquoi nous posons-nous des questions sur une politique européenne de Défense et de
Sécurité ? Tout d’abord, parce que nous n’avons visiblement pas de réponse et ensuite
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parce que nous avons une nécessité de plus en plus patente. Nous sommes aujourd'hui
confrontés à un certain nombre de bouleversements géopolitiques et stratégiques. Le
premier bouleversement important tient au fait que les Etats-Unis ne sont plus disposés à
prendre la tête de missions de solution de crise partout, en tous lieux, et surtout en Europe.
D’autre part, parce que nous sommes confrontés à un certain nombre de nouveaux risques
dans notre partie essentiellement méridionale et chez nos voisins orientaux. Enfin, la
combinaison d’un certain retrait des Etats-Unis et de nouveaux risques avec les coupes
budgétaires rendent le tout assez compliqué à résoudre. Les statistiques sur les efforts de
défense des différents grands Etats de l’Union européenne montrent une diminution plutôt
qu’une augmentation. C’est le grand challenge auquel nous sommes confrontés.
L’unique solution à cette situation est de coopérer plus intensément et de mutualiser au
mieux nos capacités et nos efforts. Cela ne changera rien au rôle central de l’OTAN, surtout
pour les opérations militaires, mais l’Union européenne a une capacité dans le domaine
civilo-militaire dont ne dispose pas l’OTAN et qu’il faut favoriser. Nous voulons donc une
politique de sécurité européenne crédible, en complément et non en remplacement de
l’OTAN dont les capacités militaires restent inégalées. D’autant plus que les Etats-Unis vont
nous laisser de plus en plus seuls ou uniquement leading from behind.
Pour cette raison, la France et l’Allemagne, dans le cadre du Conseil Européen de Défense
de décembre 2013, ont lancé une initiative commune entre les ministères de la Défense et
des Affaires étrangères pour tenter de donner une nouvelle visibilité à la politique de sécurité
et de défense commune. Nous avons proposé un certain nombre de mesures.
Premièrement, qualifier des partenaires, trouver des partenaires dignes de confiance
auxquels nous donnerions les moyens de nous appuyer. Deuxièmement, la poursuite du
développement des Battle Groups dans une perspective nouvelle, plutôt axée sur des
missions d’entraînement telles que nous les réalisons au Mali et en Somalie. Troisièmement,
développer une stratégie maritime européenne de grande envergure. Pour ce faire, nous
voulons donner plus de transparence au développement des capacités et processus de
planification. L’Allemagne a lancé avec Claude-France Arnould une nouvelle initiative, que
j’appellerai celle du tableau noir. Notre Directeur général de la Planification a déjà confié un
certain nombre de projets à l’Agence Européenne de Défense, et je lui ai demandé de lister
les projets communs et de les accrocher au tableau noir pour chercher des partenaires.
Quatrièmement, un développement du pooling and sharing, une nouvelle coopération dans
le domaine de la cybersécurité.
Nous souhaitons participer au renforcement du marché intérieur de la Défense, que chacun
interprète de manière différente. Un travail de normalisation et de certification à l’échelon
européen me paraît capital. Nous espérons arriver à une conception commune de ces
initiatives de l’Union européenne en tant qu’acteur global et Security Provider et à une
volonté commune de mettre à disposition les capacités civiles et militaires nécessaires à cet
effet. C’est primordial et ceux qui s’intéressent de près à des opérations comme celle menée
au Kosovo savent que les militaires remplacent des civils ou des gendarmes et qu’il est
difficile de définir la mission du militaire par rapport aux nécessités sur place.
Je conclurai en disant qu’étant donné la situation dans laquelle nous sommes, nous nous
devons de combler notre déficit en matière de capacité d’analyse. Souvent, les Etats de
l’Union européenne ne sont pas d’accord parce qu’ils n’ont pas fait d’analyse commune de la
situation. Nous avons pu nous en rendre compte lors des opérations au Mali. Il nous faut
ensuite une capacité opérationnelle commune et faire un effort de cohérence. Je table
beaucoup sur le travail de l’Agence Européenne de Défense pour définir non seulement les
capacités dont nous aurons besoin à l’avenir, mais arriver à organiser une approche
commune pour combler ces lacunes opérationnelles et capacitaires, ainsi qu’une capacité
d’analyse et de décision commune. Il n’y aura de politique européenne de Défense crédible
que dans la mesure où elle parviendra à se définir aussi communément qu’une politique
européenne agricole ou une politique européenne de fonds structurels, et ce afin d’aboutir à
une réponse crédible et valable par rapport aux enjeux qui nous sont posés.
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Jean-Paul PERRUCHE
Après avoir écouté une perspective allemande de cette politique de coopération européenne,
Peter Ricketts, Ambassadeur du Royaume-Uni en France, va nous apporter un éclairage
particulier. La masse critique semble un facteur conditionnant de la puissance au 21e siècle,
ce qui s’exprime par le fait que les équipements les plus stratégiques sont de moins en
moins à la portée de nos Etats européens, même les plus puissants. Et je donnerai
l’exemple de Galiléo qui n’était à la portée d’aucun Etat européen, mais qui représente un
atout stratégique développé de l’Union européenne et qui profite à tous. Il en va de même
pour les moyens spatiaux ou pour la défense antimissile. Cela pourrait s’appliquer bientôt
aux équipements militaires en faisant appel aux hautes technologies. Pourtant, si je me
réfère au discours de David Cameron de juin 2013, le Royaume-Uni semble s’ancrer dans
une posture résolument souverainiste et ne trouver d’intérêt dans l’Europe que les siens
propres. Les investissements européens du Royaume-Uni sont aujourd'hui nettement en
retrait par rapport à ceux des autres Etats membres dans la déclaration publique, mais aussi
dans les faits, si je me réfère à l’abstention vis-à-vis de la monnaie unique, au refus d’avoir
un OHQ européen, et beaucoup d’autres exemples.
Les positions britanniques sur l’Europe sont-elles, malgré tout, conciliables avec celles des
autres européens en matière de coopération de Défense ? Le Royaume-Uni semble
privilégier les coopérations bilatérales d’Etat à Etat et réfuter en quelque sorte le cadre de
l’Union européenne. La grande question qui a surgi après les accords de Lancaster entre la
France et le Royaume-Uni étant de savoir si cet accord a une signification européenne ou
est-il, au contraire, une solution alternative ? A quelles conditions le Royaume-Uni
accepterait-il de participer à une coopération de défense inscrite dans un cadre Européen ?
Et la position du Royaume-Uni à l’égard de la coopération européenne de Défense
changerait-elle en cas de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ? C’est une
éventualité que nous redoutons tous.
Je rappelle que Sir Peter Ricketts, après des études à Oxford, a eu une carrière
diplomatique très riche. Il a été Président du Comité Mixte du Renseignement en 2000,
représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l’OTAN en 2003. En 2006, il a reçu la
fonction de Secrétaire général du FCO et chef des services diplomatiques britanniques. En
mai 2010, il a été le premier conseiller pour la sécurité nationale du gouvernement
britannique. Et postérieurement à sa désignation comme ambassadeur à Paris, il a participé
à la réflexion autour du livre blanc français de 2013.
Sir Peter RICKETTS, ambassadeur de Grande-Bretagne en France
C’était un grand honneur pour moi de faire partie de la Commission du Livre Blanc Défense.
J’ai participé à l’élaboration de deux livres blancs, un britannique et un français, mais je ne le
recommande pas, car c’est trop. C’est toujours un bonheur de parler de coopération
européenne Défense à un petit-déjeuner et devant une galaxie de chefs d’état-major des
Armées de terre, y compris le nôtre, le Général Peter Wall.
La coopération européenne en matière de défense a toujours été pour moi plus difficile dans
le principe que dans la pratique, et il y a toujours eu des mythes et des malentendus sur
l’approche britannique dans cette affaire. La phase dans laquelle nous nous trouvons en
matière de défense européenne a démarré entre le Président Chirac et Tony Blair à SaintMalo. Les deux chefs de gouvernement étaient impatients, frustrés, par l’incapacité de
l’Europe à agir, à peser dans les conflits des Balkans. A cette époque, nous avions des
ambitions très élevées. Il suffit de se rappeler du Headline Goal qui disait que l’Europe devait
être prête à déployer 60 000 hommes dans une seule opération et renouveler cela dans la
durée, soit 180 000 hommes disponibles. A l’époque, on espérait que l’étiquette européenne
serait utile aux Etats membres pour rassembler les budgets de défense et trouver la volonté
politique de réunir les grandes forces opérationnelles, comme celles utilisées dans les
Balkans.
Au bout de quinze ans d’expérience, le résultat est décevant. Comme le remarquait Hubert
Védrine dans son rapport, le bilan n’est pas satisfaisant ou particulièrement glorieux. Ce
n’est pas parce que nous n’avons pas eu les outils ou un OHQ européen que nous n’avons
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pas déployé les grandes forces européennes sous l’égide européenne, mais d’abord parce
qu’il n’y avait pas de volonté politique des Etats membres de le faire et ensuite parce que les
réductions budgétaires partout en Europe rendaient impossible de mettre en place en
autonomie une opération militaire significative. Les Britanniques sont des gens
pragmatiques, ils aiment ce qui marche, ce qui est fiable, donc nous pensons qu’il faut tirer
les conséquences de l’expérience des dernières quinze années et ne pas imaginer des
structures ou des niveaux d’opérations européennes autonomes irréalistes eu égard aux
capacités actuelles, mais se concentrer sur ce que l’Europe a fait de manière efficace et
pourrait vraisemblablement faire à l’avenir.
Nous estimons que le système européen, qu’il s’agisse de la méthode communautaire ou
entre les Etats membres, est inadaptée pour la conduite des opérations militaires de haute
intensité. Nous ne voyons pas la volonté, par exemple, de déployer les Battle Groups que
nous avons formés et qui sont en rotation, et à fortiori dans les activités de haute intensité.
Toutefois, nous avons constaté que l’Union européenne peut être très efficace dans les
opérations plutôt civilo-militaires moins ambitieuses que celles imaginées en 1998-99 et qui
conjuguent tous les atouts de l’Union européenne comme acteur dans le monde. On ne doit
pas minimiser cette réalité car cela peut être très utile dans la gamme d’opérations civilomilitaires entre formation, assistance technique, stabilisation après conflit et prévention des
conflits. La Comprehensive Approach a montré ses valeurs et nous pensons qu’il faut
investir dans cette approche dans le futur.
Pour nous, l’Union européenne est d’abord un acteur économique et politique important dans
le monde, ce qui nous donne des leviers, parfois contraignants comme les sanctions, mais
aussi d’attraction comme l’accès au marché unique, des perspectives d’adhésion pour
certains pays en Europe, une puissance financière, une influence politique. Réunir ces
différents leviers derrière une politique commune clairement identifiée permet d’être plus
efficace. Je prendrai l’exemple de la politique européenne sur l’Iran où, même si nous
n’avons pas résolu le problème, nous avons été leaders dans le 3+3 depuis maintenant dix
ans et du consensus international, et je dirai que nous avons retardé le programme nucléaire
iranien. Même chose dans les Balkans où nous avons montré notre capacité à mener des
missions utiles et efficaces dans la durée. Nous sommes toujours présents en Bosnie, au
Kosovo.
Vous avez fait référence aux investissements du Royaume-Uni. Il est vrai que nous
investissons peu dans le déclaratif, dans l’Euro, mais je puis vous assurer que nous
investissons dans les capacités militaires. L’essentiel pour la coopération européenne en
matière de défense est d’améliorer les capacités et l’efficacité des missions. Nous pensons
qu’un programme bilatéral franco-britannique sur un projet d’équipement, par exemple, fait
partie de la coopération européenne. Des programmes militaires sont mieux lancés entre
deux pays qu’entre un groupe plus large de pays. Donc, je dirai que la coopération bilatérale
franco-britannique est un facteur d’amélioration des capacités européennes. Ce qui n’exclut
absolument pas la coopération multilatérale. Nous avons bien conscience de l’utilité et de
l’efficacité de l’Agence dite Claude-France Arnould à Bruxelles, qui travaille inlassablement
sur le pooling and sharing, par exemple. Le sharing est plus facile que le pooling. Le pooling
demande une grande confiance stratégique dans ses partenaires. Pour regrouper les
capacités militaires dans un pool il faut être sûr qu’elles pourront être utilisées le moment
venu, même si certains partenaires ne sont pas politiquement partants. C’est facile à dire,
plus difficile à mettre en œuvre, mais nous n’avons aucune objection à une coopération
multilatérale sur les capacités, et nous sommes également prêts à étudier les propositions
de la Commission sur le renforcement du marché unique dans le secteur de la défense, une
industrie de défense européenne qui marche bien, efficace, compétitive, dans l’intérêt de
tous. En effet, les pays membres ont certains droits, certaines prérogatives que nous
voulons garder, mais nous sommes ouverts aux propositions de la Commission, et c’est un
bon sujet à discuter lors du Conseil Européen de la Défense en décembre prochain.
Capacités d’abord, car sans capacités on ne peut mener une action européenne, et missions
ensuite, en conjuguant les atouts européens dans tous les domaines, pragmatiques et
réalistes quant à la taille des missions. Nous avons vu la difficulté à rassembler
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suffisamment de personnels, par exemple, pour certaines missions européennes récentes.
Mais nous avons eu des succès, comme la mission anti-piraterie, toujours commandée par
les Britanniques, qui est en nette diminution, ainsi que deux autres missions européennes en
Somalie traitant d’autres aspects du problème de ce pays. C’est un exemple de l’efficacité de
l’action européenne dans un pays où nous avons des intérêts importants et où nous avons
pu réunir la masse critique d’actions européennes. Pour nous, l’efficacité passe par la
possibilité de monter des missions, comme la mission au Mali, en Libye, et plutôt que de
passer de longues années à imaginer une action de grande envergure européenne
autonome, l’important est de réussir les missions que nous avons déjà initiées.
Vous avez fait référence à une sortie possible du Royaume-Uni de l’Union européenne, ce
qui nous entraîne assez loin dans les spéculations. Je vous conseille de lire le discours du
Premier ministre britannique de février 2013 sur l’avenir de l’Europe. Son intention est
clairement que nous restions dans l’Union européenne, une Union européenne réformée, qui
aura toujours un aspect défense et sécurité.
Je finirai par une réflexion portant sur la situation actuelle en Syrie. Il est un peu tôt pour tirer
des conséquences et des leçons de grande envergure de la crise syrienne qui évolue de jour
en jour, mais le vote du Parlement britannique a montré une lassitude de l’opinion publique à
l’égard des grandes actions et interventions militaires. Depuis quinze ans, nous avons connu
une série d’interventions, et l’on commence à sentir des réticences de la population à
s’engager dans des actions militaires. Ce qui montre que les prochaines quinze années
seront davantage centrées sur les actions type coopération européenne, renforcement des
pays, des régions, l’Union Africaine, l’ONU dans les actions multilatérales, entraînement,
formation, assistance technique, stabilisation, plutôt que sur les grandes missions militaires
type Irak ou Afghanistan. Si c’est le cas, je pense que la coopération européenne que nous
avons développée jusqu’ici est tout à fait pertinente et peut s’appliquer dans un
environnement dans lequel les opinions publiques ne sont plus très partantes pour les
grandes missions militaires.
Jean-Paul PERRUCHE
Merci, Monsieur l’Ambassadeur, pour ces propos réconfortants à la fois sur la position
britannique à l’égard de l’Europe et en termes de perspective pour l’Union européenne et ses
possibles actions. Après un regard politique sur ces questions de coopération de défense, je
souhaite donner la parole aux militaires, aux opérationnels, pour qu’ils nous donnent leur
point de vue, leur éclairage. Le Général Patrick de Rousiers est Président du Comité Militaire
de l’Union européenne depuis environ un an. Il a eu une carrière assez normale pour un
officier ayant atteint ce niveau de responsabilité, à savoir qu’il a alterné les positions
opérationnelles. Il a été pilote de chasse, il a commandé une escadre, puis il est passé aux
affaires plus politico-militaires. En septembre 2004, il a dirigé la Division Euratlantique de
l’Etat-major des Armées à Paris. De 2006 à 2008, il était Commandant en Chef de la
Défense aérienne des opérations aériennes à Taverny, et en 2008 il revient au politicomilitaire en tant que représentant de la France auprès du Comité militaire de l’Union
européenne, ayant été le premier représentant français à double casquette OTAN et Union
européenne. Après un passage à l’Inspection du ministère de la Défense pour les Affaires
aériennes, il a été nommé Président du Comité Militaire de l’Union européenne depuis le 6
novembre dernier.
Avec cette expérience, vous êtes particulièrement bien placé pour nous donner vos
éclairages sur la place et le rôle des militaires et du Comité Militaire de l’Union dans la
coopération européenne de défense. Vu de votre niveau et de votre responsabilité de
Président du Comité Militaire, quels sont, selon vous, les intérêts, les contraintes de la
coopération européenne sur le plan opérationnel ? Comment exprimer un besoin de défense
européen incluant les menaces internes à l’Europe, le voisinage, la relation avec le monde,
les capacités minimum à détenir à ce niveau ? Peut-on identifier ce qui devrait rester, selon
vous, au niveau national et ce qui pourrait ou devrait être transféré au niveau européen ?
Peut-on parler de coopération ou faut-il parler d’intégration ? Le Comité Militaire de l’Union
est-il le bon format pour mettre en œuvre une véritable coopération européenne de
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défense ? Dans quel ordre faut-il aborder les problèmes de coopération européenne ?
D’abord par le haut, par une expression du besoin global au niveau européen, suivie ensuite
d’une répartition des charges entre les Etats membres, ce qui donnerait une cohérence à
l’analyse ou, au contraire, faut-il travailler bottom-up en partant de l’expression des besoins
nationaux et en tentant de les harmoniser au niveau européen ? Enfin, est-il imaginable de
voir un jour la Commission européenne, après la communication du 24 juillet, devenir un
membre du Comité Militaire en charge de faire valoir l’intérêt commun européen ? Le cadre
institutionnel actuel vous paraît-il adapté à la mise en œuvre d’une coopération européenne
de défense ?
Général Patrick de ROUSIERS, président du Comité Militaire de l’Union européenne
C'est un honneur et un plaisir pour moi que de m’exprimer devant vous en tant qu’Européen.
Cela fait un peu moins d’un an que j’ai succédé au Général suédois Hakan Syrén en tant
que Président du Comité Militaire de l’Union européenne, Président des CEMA européens,
et en tant que Conseiller militaire de Madame Ashton. Je vis cette coopération au quotidien.
C'est à la fois magique et surprenant. Quand je me retourne, je n’ai pas d’armée européenne
derrière moi, bien sûr, mais lorsque je regarde devant moi, j’ai devant moi les 28 Chefs
d’Etat-major des Armées, et toutes les forces armées des pays européens. J’ai aussi la
Commission, qui est présente à nos réunions. Et la coopération, c’est la montée en
puissance de tout ce dispositif.
Permettez-moi de vous donner un témoignage. Au risque de vous étonner, je ne crains pas
d’affirmer que l’Europe de la Défense existe, qu’elle agit, qu’elle s’engage et qu’elle réussit.
A ceux qui pourraient être tentés d’en railler les atermoiements, je répondrai qu’elle
progresse au rythme de la volonté politique qui anime ces Etats membres, comme vient de
l’indiquer Monsieur l’Ambassadeur. Aujourd'hui, le consensus n’est pas toujours simple à
trouver à 28. Mais au regard des siècles de déchirement qui se sont achevés sur les champs
de bataille, le projet européen a prouvé qu’il était possible d’atténuer le souvenir de la guerre
et de surmonter les différences. Pour autant, je ne me réfugie pas dans un angélisme béat.
Si l’Europe de la Défense progresse, il est clair qu’un nouveau souffle doit être trouvé et
qu’un effort collectif s’impose. Il est clair que la coopération européenne doit passer à une
autre étape, celle d’une solidarité accrue. Et le Conseil Européen de Défense est une chance
que nous devons absolument saisir. Ce Conseil Européen a créé un dynamisme certain, et
largement perceptible lors de toutes les réunions ministérielles, et par exemple lors de la
dernière en Lituanie, à Vilnius, ou lors des réunions des Chefs d’Etat-major.
Je n’hésite pas à dire que l’Europe a progressé sur tous les fronts et notamment sur celui de
la Défense. En un peu plus de treize ans, elle s’est dotée d’une chaîne décisionnelle,
perfectible car parfois lente, très lente, mais elle existe. Elle s’est également dotée d’une
capacité de planification, insuffisante certes, mais existante et qui s’améliore de jour en jour.
Et enfin, elle s’est dotée d’une expérience concrète dans le traitement des crises
internationales. En clair, elle a acquis une légitimité. Comme je le constate au cours de
chacun de mes déplacements auprès des Chefs d’Etat-major des Armées et des autorités
politiques de 28 Etats membres de l’Union européenne, nulle part on ne sent de réticence au
projet européen. Certes, les appétits sont variés, la nature des défis à relever est différente
d’une action à l’autre, et chacun a besoin de comprendre les objectifs poursuivis.
Mais en dépit du fort impact de la crise économique, tous s’accordent à reconnaître que la
coopération européenne de Défense est essentielle. Plus largement, à Washington, à
Singapour, à Pékin ou à Islamabad, l’Union européenne est un acteur très observé qui
intéresse et qui devient crédible. A titre d’exemple, les engagements de l’Union européenne
dans la corne de l’Afrique ont apporté la preuve de leur efficacité et suscitent un réel intérêt.
Enfin, le Service Européen pour l’Action Extérieure présente un potentiel certain et réussit sa
montée en puissance. Grâce à ses 28 ministres des Affaires étrangères et à ses 28 ministres
de la Défense, l’Union européenne est une force de proposition écoutée. Et les 141
délégations de l’Union européenne à l’étranger constituent des capteurs et des relais
privilégiés.
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Mais pour autant, quel est le constat ? Au déclenchement d’une crise, je considère que les
Européens se montrent souvent frileux et réticents, et je l’ai constaté à maintes reprises au
Comité Militaire ou lors d’autres réunions. S’ajoutent à cela parfois une absence de culture
stratégique, mais aussi la complexité indéniable des processus décisionnels nationaux et
européens. Mais dès lors qu’ils sont convaincus, les Chefs d’Etat-major des Armées
s’engagent. Ils acceptent de prendre des risques, et c’est le cas actuellement, de façon
accrue, avec notre engagement en Somalie, à Mogadiscio, où nous transférons un nombre
très important de troupes pour aider le gouvernement somalien à récupérer l’intégrité de son
territoire et à se développer de façon sereine.
Les CEMA s’engagent de façon solidaire. Ils sont tous contributeurs des missions de l’Union
européenne et ils font preuve de capacité d’innovation. Les attaques à terre exécutées par la
mission Atalante sur le territoire somalien sont un exemple. L’externalisation des opérations,
que ce soit la surveillance aérienne par le Luxembourg dans le cadre de l’opération Atalante,
ou les évacuations sanitaires effectuées au Mali, les CEMA n’hésitent pas à proposer et à
faire converger les opérations, en s’appuyant sur le travail de l’Etat-major de l’Union
européenne, pour permettre aux autorités politiques de décider.
Enfin, n’oublions pas que depuis plus de dix ans, l’Union européenne a été engagée sans
interruption dans les opérations militaires et civiles. Ainsi, grâce à l’esprit de solidarité mais
aussi à la force du consensus qui animent les Etats membres, l’Union européenne a prouvé
qu’elle était capable d’agir simultanément sur tous les leviers d’une crise et de le faire dans
la durée, avec une force militaire crédible, fondée sur les capacités européennes et sur des
règles d’engagement robustes, avec des capacités importantes de conseil et de réforme
dans les domaines de la défense, de la police, de la justice, de l’administration, et avec
d’importants moyens de financement pour la reconstruction, le commerce et le
développement.
Ainsi, quand l’Europe veut, elle peut. Mais comme disait Churchill, il ne suffit pas de dire
nous avons fait de notre mieux, il faut réussir à faire ce qui est nécessaire. Or, aujourd'hui,
faire ce qui est nécessaire ne suffit plus, il nous faut rendre possible ce qui est nécessaire. Et
dans cette perspective, comment progresser ? Comment faire en sorte que cette coopération
européenne de défense puisse avoir lieu ? Avant tout chose, les Chefs d’Etat-major des
Armées en Europe pensent qu’un processus de réflexion s’impose pour réexaminer les
intérêts stratégiques européens. A 28, quelles sont nos menaces, où sont nos priorités,
quels atouts politiques et opérationnels devons-nous mobiliser pour y répondre ? Mais aussi
quelles sont nos priorités en termes de partenariat ? Est-ce l’environnement proche à l’est et
au sud ? Est-ce l’Afrique ? Est-ce l’Asie ? Et enfin quelle place conférer à ceux qui
s’engagent avec nous ? Je pense à la Turquie et à l’Ukraine.
Sur la base de ce débat, le lancement d’un processus de type nouveau concept stratégique
destiné à mettre en adéquation les ambitions stratégiques de l’Union européenne et les
capacités nécessaires pour y répondre, mérite une réflexion approfondie et est attendue par
les Chefs d’Etat-major européens, je puis en témoigner. Mais pour éviter que ce projet ne se
transforme en un débat à huis clos entre seuls experts, ce processus nécessite que les
citoyens européens puissent y être associés et qu’un large débat s’instaure. Il n’y a donc pas
urgence mais faisons en sorte que cela ait lieu.
Mais pour faire progresser la coopération européenne de défense, il faut aussi plusieurs
choses. D’abord, ne pas effrayer car avant tout, nous le savons, la défense reste le domaine
régalien des Etats. Et donc en termes de coopération, toute structure ou construction
intégratrice sera refusée. Il faut donc privilégier des constructions pragmatiques et simples.
De plus, toute évolution pour des seuls gains financiers est et serait suspecte parce qu’il y a
une crainte de perdre encore plus. Les CEMA le disent, et j’en suis convaincu, il faut
favoriser les coopérations régionales et multilatérales parce que celles-ci sont vertueuses,
souples, efficaces, respectueuses de souveraineté, et elles sont souvent bâties sur un socle
de liens historiques.
Quelles sont les capacités minimum à détenir à Bruxelles pour mettre en œuvre cette
coopération ? Je crois qu’il faut tout faire pour préparer les esprits en renforçant les
structures de planification et la planification à froid. C'est l’axe majeur d’amélioration à
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Bruxelles. Il faut permettre une perception commune des enjeux entre tous les pays
européens. Il faut aussi améliorer la capacité de réaction rapide de l’Union européenne.
C'est doter l’Union européenne d’une capacité de réaction face aux crises émergentes. Mais
rien ne pourra se faire sans moyens capacitaires. Il est donc aussi urgent d’identifier les
manques et parfois les redondances dans ce domaine. Et la transparence accrue dans le
domaine du développement capacitaire, et donc de la planification de défense, apparaît de
plus en plus nécessaire. Le rôle des Chefs d’Etat-major dans ce cadre est capital, celui de
l’Agence Européenne de Défense également. Les esprits à 28 évoluent peu à peu et le
rendez-vous de décembre sera l’occasion, je l’espère, de voir des évolutions dans ce
domaine.
Il faut aussi permettre les synergies partout où c'est nécessaire et notamment entre l’Union
européenne et l’OTAN. Et là, il y a du travail à faire. De plus, il faut renforcer le partage et la
mise en commun de nos moyens de façon bilatérale. Force est de constater qu’aucun projet
militaire européen n’a été lancé depuis 2009, date du lancement du commandement du
transport aérien européen. D’après les contacts que je peux avoir, certains devraient arriver
prochainement. C’est heureux car il nous faut pouvoir renforcer notre capacité à répondre
aux nouveaux défis sécuritaires : le ravitaillement en vol, les avions pilotés à distance,
l’espace, et peut-être la cyber-sécurité.
Enfin, il est indispensable de contribuer au renforcement de l’industrie de défense, et le plan
d’action de la Commission européenne présenté le 24 juillet dernier constitue en ce sens une
avancée réelle. Toutefois, force est de constater que certains Etats membres à ce stade sont
réticents – pour ne pas dire plus – face au développement de capacités duales, que ce soit
dans l’expression des besoins ou dans les mises en œuvre communes. Attendons donc.
En conclusion, je crois qu’il ne faut pas faire dire ou faire faire à l’Europe ce pourquoi elle
n’est pas faite. Elle n’a pas vocation à ce jour à s’engager en premier. En revanche, elle est
efficace et outillée pour prévenir et/ou agir dans la durée avec un très large éventail de
capacités. L’expérience prouve que les crises ont été motrices pour la construction
européenne. Il en est de même pour la coopération européenne en matière de sécurité et de
défense. Des solidarités pragmatiques doivent continuer à s’exercer. Les Chefs d'Etat-major
européens en sont convaincus et multiplient les initiatives. La crise actuelle sert, bien
évidemment, de catalyseur pour eux. Je dirai que les coopérations en matière de défense,
c’est un peu comme les anneaux olympiques ou les poupées gigognes, toutes sont utiles et
c’est l’ensemble qui est harmonieux et vertueux, que ce soit dans le cadre de l’Union
européenne, de l’OTAN, dans le cadre bilatéral ou multilatéral.
Jean-Paul PERRUCHE
Merci beaucoup, mon Général, pour cet éclairage très complet et la réponse aux questions.
Nous retirons de votre commentaire une impression naturellement mitigée, potentiellement
des perspectives intéressantes, mais certaines inquiétudes sur le fait qu’il n’y a pas eu de
lancement de grands projets de coopération depuis 2009. Claude-France Arnould, en tant
que Directeur exécutif de l’Agence, se trouve au carrefour des problématiques politiques,
militaires, industrielles, économiques, de la coopération de défense. Quel lien de cohérence
faut-il établir entre coopération politique, militaire, industrielle ? Comment rendre compatibles
intérêts politiques et industriels en Europe ? Comment peut-on caractériser une base
industrielle et technologique de Défense européenne efficace ? Le maintien d’une avance
technologique et de capacités militaires suffisantes n’implique-t-il pas une plus grande
intégration ? Nous savons bien la spécificité du marché de défense, avec des oppositions
d’intérêts à trois, entre les nations, le niveau européen et l’industrie, le monde des affaires.
Quelle répartition des rôles entre l’AED et la Commission européenne dans la coopération
européenne de défense, surtout après la task force défense des Commissaires Barnier et
Tajani et la communication faite le 24 juillet qui éclaire sur les propositions de la
Commission, notamment en ce qui concerne la possibilité de financement de la R&T, mais
aussi de la R&D au niveau européen. S’agit-il d’une option porteuse ? Quels en sont les
risques ? A quelles conditions peut-on la mettre en œuvre ? On a parlé des questions
relatives à l’article 185, des questions concernant le programme Horizon 2020 avec une
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provision de 80 milliards d’Euros dédiés à la recherche. La question de la mise en œuvre
d’opérateurs économiques européens de défense a également été mise sur la table par la
France. Le partenariat transatlantique, enfin, est-il un avantage ou une contrainte pour la
coopération de défense européenne ? Ou faut-il parler de complémentarité et de duplication
entre Smart Defence et Pooling and Sharing ?
Claude-France ARNOULD, Directeur Exécutif de l’Agence Européenne de Défense
Qu’attendons-nous du Conseil européen ? A mon avis, il faut se poser la question de ce que
nous apportent les chefs d’Etat ou de gouvernement sur les questions de défense
aujourd'hui et de ce qu’ils doivent nous apporter si possible en permanence. Je crois que
tout le monde a le souhait que cette réunion du Conseil européen, qui aura les questions de
défense à son ordre du jour, soit le début d’un processus où non seulement ils avalisent des
conclusions, y compris celles qu’a mentionnées Peter Ricketts sur le Headline Goal, mais où
ils en discutent, les font leurs et s’engagent à y revenir, à vérifier que leurs impulsions sont
suivies ou à les réorienter si nécessaire. Pourquoi au niveau des chefs d’Etat ou de
gouvernement ? Ce n’est pas uniquement pour la communication, mais parce que la sécurité
des citoyens est de leur ressort, donc de leur responsabilité. D’autre part, parce qu’ils se
réunissent en permanence pour parler de croissance, d’emploi et d’innovation, et que la
Défense est un élément clé de la croissance de l’emploi et de l’innovation. Enfin, ce sont eux
qui ont la capacité d’arbitrage qui permettra à la communauté de Défense de résoudre
certains problèmes. L’Ambassadeur a parlé de la Commission du Livre Blanc à laquelle la
France avait invité trois intervenants internationaux, dont l’Agence Européenne de Défense.
Ce qui m’a beaucoup frappé, c'est que cela commence par une déclaration du Directeur du
Budget affirmant qu’au titre de nos engagements européens, il faut faire des économies. Il
est très important que les chefs d’Etat soutiennent qu’il y a aussi des engagements
européens dans le domaine de l’effort de défense, peut-être en donnant des priorités. Quand
on procède dans chacun de nos Etats membres à cet exercice d’arbitrage sur les questions
de défense, il faut des engagements européens de donner une priorité aux questions de
défense.
Peter Ricketts a évoqué l’état des opinions publiques par rapport à la défense et ce que
pouvait révéler le vote du Parlement britannique sur la Syrie. Si l’opinion publique ne croit
plus ou croit moins à la pertinence de l’action militaire, cela signifie qu’elle croira moins à la
pertinence de l’outil militaire. Nous sommes reçus ici par l’Armée de Terre, et ce qui m’a
beaucoup frappée dans la démonstration d’hier, c’est à la fois la capacité la plus
sophistiquée d’intervention extérieure, et en même temps les tâches au jour le jour pour
venir au secours de la population en cas de catastrophes naturelles. Il est tout à fait
paradoxal que l’opinion européenne, peut-être même les parlements nationaux européens
puissent avoir un doute sur l’outil de défense en tant que tel alors que partout ailleurs, on
s’arme, on se réarme, et à très forte dose. Je pense que cette position si singulière où l’on
croit tout pouvoir résoudre par la prévention, par l’Etat de droit, par le travail sur les
institutions, est un pari extrêmement dangereux. Nous avons donc besoin de faire converger
tous les outils et de se mobiliser pour développer l’outil de défense. Nous ne sommes pas à
devoir le réduire, mais à le mettre à niveau. Et c’est que les Américains nous ont dit en nous
demandant d’être capables de mener seuls des opérations comme en Libye. Ce n’est dans
doute pas le moment de désarmer et de se dire que l’Union européenne n’est pas un cadre
où l’on peut développer notre capacité de défense. Pour moi la question des capacités est
un des éléments clés du Conseil européen.
Un mandat a été donné à toutes les institutions de contribuer à ce que devront discuter les
chefs d’Etat et de gouvernement. Il y a un rapport de Katty Ashton en tant que Chef du
Service d’Action Extérieure et que Head de l’Agence Européenne de Défense. Il y a une
contribution importante et significative de la Commission. Et les Etats ont voulu marquer dès
le départ qu’eux aussi avaient à être entendus en tant que tels. Il y a des contributions de
certains Etats membres, notamment contribution franco-allemande. Pour avoir travaillé par le
passé sur des Conseils européens plus classiques, je crois qu’il faudra aussi des impulsions,
y compris au niveau des Chefs d’Etat et de gouvernement des grands pays.
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Je pense qu’il faut un mélange d’actions significatives à lancement immédiat et une feuille de
route pour l’avenir. Des actions significatives immédiates, ce sont d’abord des programmes.
Nous sommes à un moment d’urgence où il y a un risque de mettre en péril notre industrie,
notre capacité de R&T et donc notre sécurité d’approvisionnement ou notre freedom of
action. Pour ce faire, il faut des programmes et des investissements en matière de R&T.
Nous avons proposé de nous concentrer sur ce qui nous a paru à la fois essentiel et mûr
pour une décision des chefs d’Etat et de gouvernement, c'est-à-dire le ravitaillement en vol,
les drones. Sur ce dernier point, nous avons tout ce sur quoi on peut faire converger les
instruments dans l’Union européenne. Il nous faut des normes, des développements
technologiques qui permettent de respecter ces normes pour pouvoir insérer les drones dans
l’espace aérien normal car ce sera la caractéristique de la future génération de drones. Il
nous faut donc faire converger les moyens nationaux. L’Agence Européenne de Défense a
lancé un programme d’investissement sur ces éléments technologiques, mais la Commission
a tout à fait vocation à contribuer, y compris par l’utilisation de l’article 185, à la mise à
niveau et au développement technologique approprié de l’insertion des drones dans l’espace
aérien normal.
Et il y a la réflexion sur la définition du drone futur, pour laquelle les ministres de la Défense
nous ont donné mandat. Cela ne veut pas dire que nous allons faire pour les drones ce que
nous avons fait pour Galiléo, ce n’est pas un programme communautaire, mais c’est la
définition du besoin futur. Les Etats membres sont en train d’acquérir des moyens immédiats
pour travailler sur les possibilités d’entraînement une fois ces capacités disponibles et pour
voir s’il est possible d’aller progressivement au-delà. On peut également citer la cyberdéfense, les satellites de communication. Il faudra aussi parler d’énergie, de sécurité
maritime. Nous avons donc un pack de programmes qui peuvent à la fois donner des
résultats immédiats, et qui montrent bien ce pourquoi on peut faire converger les différentes
méthodes, notamment la méthode communautaire quand il s’agit d’accès de marché,
d’accès aux crédits des Etats membres et au budget de l’Union européenne. Et ce, en étant
au clair sur qui fait quoi.
Il n’est pas naturel de coopérer ni pour les industriels, ni pour les armées, et c’est toujours
difficile, coopérer pouvant vouloir dire qu’il faut, dans certains cas, accepter d’être
dépendant. Cela veut dire, par exemple, décider de faire s’entraîner nos parachutistes ou
nos soldats chez un voisin. Il faut faire confiance et avoir une réciprocité. Pour aller contre la
nature dans ce domaine de coopération, il nous faut des incitations, il faut certainement faire
une réalité de ce code de conduite qui a été agréée par les ministres de la Défense. Nous
sommes dans un domaine de souveraineté, on s’accorde sur un code de conduite qu’il faut
ensuite mettre en œuvre au niveau national. Donc, donner une priorité aux programmes en
coopération, tirer le maximum de profit de cette exonération de la TVA. Une lettre du ministre
des Finances belge donne une exonération aux programmes dans le cadre de l’Agence
Européenne de Défense à titre temporaire. Il faudra que ce soit concrétisé dans la revue de
la base juridique de l’Agence l’année prochaine. Je crois que c’est un atout majeur pour une
incitation aux programmes de coopération.
Je crois aussi qu’il faut tirer le maximum de profit de la synergie entre l’Agence Européenne
de Défense et l’OCCAR. Sur les ravitaillements en vol, j’espère que nous pourrons tirer le
maximum de synergies de ce binôme entre l’Agence Européenne de Défense et l’OCCAR.
Et donner aux différents acteurs, à ceux en charge de planifier nos forces et aux acteurs
industriels, des indications claires sur les programmes à mener, avec quels engagements et
quel calendrier.
Sur la question de savoir ce que doit faire l’Agence Européenne de Défense ou les Etats
membres réunis au sein de l’Agence Européenne de Défense et ce que doit faire la
Commission, il faut être honnête quant aux choix que nous avons faits entre approche
communautaire ou approche intergouvernementale pour les questions de défense. Nous
n’avons pas choisi l’approche communautaire depuis Maastricht. Cela veut dire renoncer aux
éléments forts de dynamisme de la méthode communautaire, comme le pouvoir d’initiative
de la Commission qui, dans certains cas, est obligée d’agir en tant que gardienne des traités,
et le fait d’avoir de grosses structures avec des capacités très réelles. On connaît le pouvoir
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de la Commission dans le domaine notamment du commerce, de la compétitivité et de la
concurrence. Je suis convaincue que nous avons fait le bon choix en optant pour
l’intergouvernemental. Nous n’aurions pas confié la conduite d’une armée, par exemple, à un
Commissaire européen de la Défense. Ce n’est pas un collège, pas plus qu’un Comité
militaire à 27 qui peut décider d’une opération militaire. Un commissaire est membre d’un
collège. La méthode communautaire est donc très difficile pour mener les questions de
défense. En revanche, l’intergouvernemental doit avoir un moteur, c'est-à-dire que lorsqu’on
décide d’établir des structures, on les utilise et en cas de mécontentement, on demande aux
gens de changer leur manière de faire. Même chose pour l’OCCAR. Ces structures n’ont de
sens que si les Etats acceptent de prendre le volant et de mener les actions nécessaires.
Ce qui est attendu, c’est un véritable leadership des gros pays et de ceux qui peuvent. Je
crois que nous entrerons en premier le jour où nos gros Etats membres voudront que nous
entrions en premier. Derrière toi, Patrick, tu as les capacités de tous les Etats membres
d’entrer en premier, y compris des plus gros et de ceux qui savent entrer en premier. Si on
dit qu’on ne peut pas entrer en premier, cela veut dire que si les autres ne se décident pas,
on ne fait rien. Renoncer à la capacité d’entrer en premier a une implication très forte.
Encore une fois, il faut que quelqu’un entre en premier. Ce ne sont jamais les Nations Unies
qui peuvent entrer en premier, nous le savons. Il y a l’OTAN, mais dans certains cas c’est
très difficile. Donc, renoncer à la capacité d’entrer en premier, c'est renoncer à la capacité de
décider d’agir. D’autre part, pour nos industriels, l’entrée en premier, ce sont aussi les
capacités de plus haut niveau. Il faut absolument que les gros Etats membres prennent la
responsabilité de développer les fameux enabler permettant d’entrer en premier. Si nous
lançons le mouvement avec les plus gros Etats membres, les plus petits Etats membres
suivront.
Je pense que l’intergouvernemental est un bon choix. Je pense que la Commission peut
apporter énormément, mais dans son domaine de compétence, dans le domaine du marché,
de la R&T. Le but du Conseil européen étant de lui dire ce que nous voulons qu’elle fasse,
que les chefs disent ce que nous voulons que la Commission fasse ou ne fasse pas, et je
crois qu’elle est tout à fait prête à jouer le jeu, mais encore une fois, il lui faut un message
clair au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement sur ce qui est possible et sur ce qui ne
l’est pas.
Jean-Paul PERRUCHE
Merci, Claude-France, d’avoir mis une fois de plus en évidence l’importance de la volonté
politique pour faire avancer la coopération de défense en Europe. Peut-être faudra-t-il
envisager l’année prochaine de faire un petit-déjeuner sur comment fabriquer de la volonté
politique, de façon à résoudre enfin ce problème.
Débat avec la salle
Julio MIRANDA CALHA, membre de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, Portugal
Merci pour ces interventions très intéressantes sur l’évolution des politiques de défense en
Europe. A la fin de cette année, un Conseil européen dédié à la question de la politique de
défense et de sécurité doit se réunir. Je souhaitais savoir quels espoirs nous pouvons mettre
dans ce Conseil pour répondre au doute que nous avons sur l’évolution de la politique en
matière de défense et de sécurité. Si des progrès ont été réalisés ces dernières années, on
constate malgré tout un recul. Si nous voulons avoir une politique de défense dans le cadre
de l’Union européenne, nous devons compter non seulement sur les trois ou quatre grands
pays, mais également sur les petits pays. Mais définir quels sont les trois grands est un point
essentiel pour une évolution de la politique de défense en Europe. L’architecture de l’Europe
dans le secteur de la défense est la meilleure, mais qu’attendons-nous de cette réunion du
Conseil européen en termes d’évolution ?
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Jean-Paul PERRUCHE
Je vais laisser la parole aux intervenants pour répondre aux attentes sur les espoirs issus du
prochain Conseil européen dans le domaine de la défense, et en particulier concernant
l’amélioration de la relation entre grands et petits pays dans la coopération, afin que chacun
y trouve son compte, et aboutir à une évolution éventuelle des architectures de coopération.
J’ajouterai une question qui n’a pas été abordée ce matin. La Commission a proposé, dans
sa communication du 24 juillet, de se rendre directement acquéreur de moyens de défense
et d’équipement. J’aimerais avoir la réaction de nos intervenants à cette proposition.
Stéphane BEEMELMANS
Quel espoir pour le Conseil européen ? Le grand espoir, c'est déjà que nous le faisons. Dans
les capitales, tous les services se posent la question de savoir ce que l’on va y faire, et plus
on se pose la question, plus on se convainc mutuellement qu’il faut faire quelque chose. Ce
débat qui a été lancé sur la nécessité d’aboutir à un résultat est déjà le premier signal.
L’Europe se lance dans un débat sur les questions de défense commune qui doit aboutir à
un résultat. Nous pouvons avoir de grands espoirs quant à une réflexion sur les ambitions et
les limites de ces ambitions pour une politique de défense européenne du futur. En ce qui
concerne les rapports entre petits et grands pays, l’Allemagne a toujours été très à cheval
entre les différents pays. Nous sommes objectivement un grand pays et toujours à la
recherche de liens avec les plus petits pays, peut-être parce que nous ne voulons jamais
faire cavalier seul.
Pour répondre à votre question sur les projets d’acquisition au niveau européen, je me
souviens avoir dit au Commissaire Barnier lors de la conférence de Munich cette année, qu’il
fallait que l’Europe démarre certains projets, surtout dans le domaine des drones, en
particulier dans le développement d’un drone européen. Cet énorme marché, qui pourrait
être également civil, ne convaincra personne tant qu’il n’y aura pas de premiers grands
essais. Je suis personnellement convaincu que la Commission peut lancer quelque chose à
ce titre, car elle a non seulement les moyens financiers dans le domaine de la recherche,
mais également les moyens du législateur. Ce qui nous manque le plus, c’est une législation
commune dans le domaine de l’insertion des drones dans l’espace aérien et je pense que la
Commission a un rôle à jouer à ce niveau.
Sir Peter RICKETTS
Je suis tout à fait d’accord avec Monsieur le Ministre, il faut que le Conseil européen aborde
ces questions, qu’il y ait un débat, que ce débat ne soit pas détourné par la crise actuelle, et
que les chefs d’Etat et de gouvernement puissent réfléchir ensemble sur les objectifs, ce
qu’ils attendent de l’Europe au niveau mondial dans le domaine de la défense et sécurité, sur
ses capacités, donner un coup de pouce à l’activité de l’Agence et aux autres coopérations,
y compris le pooling and sharing, et encourager les coopérations entre grands et petits pays
dans le domaine des opérations comme les Battle Groups et dans le domaine des capacités.
Arriver à discuter du rôle de la Commission dans l’encouragement d’une industrie de
défense compétitive et efficace serait déjà une bonne chose. Peut-être vont-ils discuter
également à la modernisation de la stratégie de sécurité européenne, qui date d’il y a
quelques années. Le Royaume-Uni est également prêt à étudier cette question.
Patrick de ROUSIERS
Je pense que ce Conseil européen sera majoritairement consacré à la défense, mais pas
exclusivement. Les attentes sont d’abord qu’il crée un dynamisme pour que d’ici le Conseil
européen, un certain nombre d’avancées, de coopérations englobantes et régionalisées
voient le jour. L’espoir des CEMA est qu’il y en ait d’autres derrière et que les sujets défense
soient régulièrement abordés au Conseil européen tous les deux ans. Enfin, je crois que les
Chefs d'Etat-major des Armées seraient très favorables à ce que les chefs d’Etat et de
gouvernement statuent sur le problème du civilo-militaire, des capacités développées en
commun et à usage commun. Il s’agit non seulement des équipements, mais surtout de leur
mise en œuvre. Je pense notamment aux drones, à la surveillance de nos frontières, à la
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surveillance maritime. Plein de choses peuvent être faites, mais les Etats sont-ils prêts à ce
qu’elles se fassent dans le domaine de la défense et de la sécurité, entre autres avec la
Commission ? Lors de la dernière réunion des ministres à Vilnius, des positions assez
fermes ont été prises par certains Etats membres, laissant entendre qu’il y a encore du
chemin à parcourir.
Claude-France ARNOULD
Sur la question des petits et grands pays et de la solidarité, l’un d’entre nous a dit que dans
le cadre communautaire, la Commission est en charge de représenter l’intérêt européen,
donc de solidarité collective. Il faut trouver un moyen d’y répondre par l’intergouvernemental,
ce qui est très difficile. C’est une forte tension que nous ressentons dans les réunions des
ministres de la Défense, notamment sous l’angle industriel. Ce qui est attendu dans le
domaine opérationnel, c'est que les plus gros Etats membres mettent en mesure les plus
petits d’agir. Je trouve que les petits agissent quand même beaucoup. Nous avons les
Tchèques, sous le contrôle de Patrick, dans la mission d’entraînement au Mali. L’Autriche est
un des pays les plus actifs dans le cadre de l’Agence Européenne de Défense. Quand ils ont
pris la responsabilité logistique du Battle Group, ils ont inventé un système d’Effective
Procurement, acquisitions dans les meilleures conditions dans le cadre de l’Agence
Européenne de Défense. Les petits pays attendent dans le domaine opérationnel d’être mis
en mesure par les plus gros pays. Et c’est également l’intérêt des plus gros puisque c'est un
démultiplicateur. Dans le domaine industriel, c’est beaucoup plus sensible. Il y a un potentiel
dans la directive pour améliorer ce qui peut être confié aux PME, aux entreprises
intermédiaires ou aux entreprises venant des nouveaux pays membres de l’Union
européenne, ex-pacte de Varsovie. Enfin, il faut trouver une solution pour des transferts de
technologie qui les conduiront à acheter européen et non pas uniquement chez ceux qui leur
font des transferts de technologie. La question de la solidarité doit être recréée sans le
facilitateur qu’est la Commission, ce qui repose sur nos épaules à tous, y compris celles des
industriels.
Je suis tout à fait pour le fait que la Commission puisse acquérir des drones dans le cadre de
ses missions de surveillance des frontières. Cela vaut pour beaucoup d’équipements double
usage, cela fait partie du marché, et ce peut être un démultiplicateur de marché. Cela ne
veut pas dire que nous faisons un Galiléo des drones ou des Satcoms sécurisés. La
Commission peut être un client de manière très utile, mais cela ne veut pas dire que l’on fait
un programme communautaire dans des domaines capacitaires essentiels.
Chef d’Etat-major britannique
Bonjour, je parlerai en anglais pour être bien précis. Je voudrais remercier mon bon ami, le
Général Bertrand Ract-Madoux, de m’avoir invité à cette conférence. C’est un grand
privilège pour moi d’être ici. Je n’ai pas vraiment une question, mais j’avais quelques
réflexions que je souhaitais contribuer à ce débat pour que vous puissiez les commenter.
Je suis tout à fait d’accord avec Madame Arnould lorsqu’elle évoque le besoin pour nous
d’être en mesure de produire une capacité d’entrer en premier à une échelle raisonnable.
Ceci ne réduit d’aucune façon la contribution qui doit être apportée par les petits pays
d’Europe. Mais en l’absence de garantie que les Etats-Unis apporteront l’échelle et la mise
en mesure sophistiquée de nos opérations, il appartient aux capacités militaires les plus
importantes d’Europe d’identifier la façon d’y parvenir. Lorsque j’évoque l’échelle, je pense
aux opérations communes dans le contexte d’une démarche globale, au niveau de la
Brigade sinon à celle de la Division, en termes de contribution terrestre.
Je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui a été dit concernant le besoin d’un appareil
politique, en mesure de placer les plans militaires dans le contexte d’états finaux
stratégiques et de résultats politiques. Je pense, nonobstant ce qui s’est passé récemment
au Royaume-Uni, que quand les choses sont claires, le public apportera son soutien –
pourvu que les objectifs et les résultats, la manière et les moyens leur soient clairement
exposés.
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Si nous voulions des preuves de la manière de faire fonctionner cela de façon décisive,
regarder le passé récent et les opérations françaises au Mali serait le genre de chose que
les gens comprendraient facilement, s’ils étaient confiants que des résultats pourraient être
obtenus avec ce genre de rapidité et de précision.
Je pense vraiment que nous devons avoir la capacité d’entrer en premier. L’une des raisons
pour lesquelles le Royaume-Uni et la France ont convenu au niveau politique d’une Force
expéditionnaire commune interarmées, que nous mettons au point en ce moment et qui
atteindra sa pleine capacité d’ici 2016, est précisément d’apporter ce genre de capacité en
Europe. Mais bien sûr, au fur et à mesure de son développement (et elle n’est pas encore
tout à fait au point), il est implicite qu’il s’agit là du projet phare, sinon du cœur des
contributions d’ailleurs en Europe et au-delà. Nous voudrions certainement nous relier à ce
que les forces de l’Union Européenne apporteraient.
Dans le travail que nous avons fait dans ce sens, nous nous sommes rendu compte que la
façon traditionnelle d’aligner les forces, les forces maritimes, terrestres et aériennes, et
ensuite de voir comment elles vont se parler entre elles, n’est pas vraiment la meilleure
façon de démarrer. Nous devrions réfléchir dans le sens de la conception d’un réseau
générique, avec des catalyseurs génériques, y compris des choses comme les drones que
nous avons évoqués ici, comme base pour que tout le monde puisse se relier à une
architecture commune. C’est le genre d’architecture qui a été développée dans le contexte
d’opérations en Afghanistan au cours des dernières années, et qui devrait être un point de
départ exemplaire et peut-être technique pour ce genre de chose.
Je ne prétendrai pas que notre progression dans la production de ce réseau technique
avance aussi bien que nous le voudrions. Mais il est clair dans mon esprit que cela devrait
être le point de départ, plutôt que quelque chose que nous chercherions à rassembler au
dernier moment.
Je suis très reconnaissant d’être ici. Il s’agit là, je le pense, d’un point de vue militaire
britannique de l’importance de mettre sur pied la force expéditionnaire commune interarmées
ensemble sur une base franco-britannique, en tant que plateforme qui pourrait ensuite être
utile à d’autres pays d’Europe. Merci beaucoup.
Jean-Paul PERRUCHE
Merci beaucoup. Vous avez soulevé de nombreuses questions dans votre intervention. Je
suis certain que les personnes présentes aujourd’hui souhaiteront faire des commentaires.
Peut-être Patrick de Rousiers pour démarrer.
Patrick de ROUSIERS
Merci beaucoup pour votre commentaire. Je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendu sur
ma position. Mon évaluation selon laquelle l’UE n’a pas actuellement la capacité de mener
des forces capables d’entrer en premier s’entend - de mon point de vue de Bruxelles nonobstant le fait que l’UE a été engagée très rapidement. Elle a montré qu’elle pouvait le
faire en Géorgie. Nous avons une capacité dans ce type d’environnement. Nous l’avons
également fait au Tchad, où nous nous sommes engagés dans une opération de transition
lorsque l’ONU est entrée en jeu.
Ce que je veux dire, c’est que si nous voulons que Bruxelles ait la capacité, à 28, de mener
une évaluation et de mener à bien un processus de décision, et permettre aux 28 nations de
décider ensemble de s’engager et d’évoluer dans la portée de l’engagement, alors cela ne
peut pas se faire avec un personnel de 120 personnes, sans état-major d’opérations, sans
un certain nombre d’éléments !
Collectivement, oui, les 28 peuvent être engagés, peuvent être engagés rapidement, tant
qu’il y a une nation-cadre.
C’est la nation-cadre qui fera que les choses se feront. C’est la nation-cadre qui acceptera la
charge de tous les engagements, la charge de la planification et de la transmission des
informations aux autres. C’est là que se situe la faille. Dans la pratique, ce sera difficile
initialement de faire accepter l’idée aux 27 autres pays. Sauf s’ils sont préparés. C’est pour
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cette raison que j’ai insisté sur l’importance d’une planification stratégique et prudente à long
terme.
Il est très important de conserver cet objectif de force capable d’entrer en premier – mais il
faut le faire complètement, collectivement et à Bruxelles. Le chemin est encore long.
Jean-Paul PERRUCHE
Merci aux intervenants.
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