Les techniciens écrivent leurs modes opératoires

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Les techniciens écrivent leurs modes opératoires
entreprise métallurgie
Challenge
Les techniciens écrivent leurs modes op
A
vril 2008, Arcelor­­Mit­tal confie à un stagiaire
une mission d’analyse
des faits accidentels des cinq
dernières années dans l’usine
de Saint-Chély-d’Apcher, en
Lozère. Par « faits accidentels », l’entreprise entend
tout type de blessure. Dans
chaque cas, l’objectif est
de déterminer la cause de
l’acci­dent : mode opératoire,
machine, environnement de
travail… ArcelorMittal produit des aciers électriques qui
entrent dans la fabrication
des moteurs et transformateurs électriques. L’entreprise
participe depuis 2004 aux
Challenges santé-sécurité du
© Gaël Kerbaol pour l’INRS
Poids lourd de l’industrie de la Lozère,
ArcelorMittal a mis ses opérateurs à contribution
pour inventorier et appréhender les risques
présents sur son site de production
de Saint-Chély-d’Apcher. Une démarche lancée
dans le cadre d’un concours santé-sécurité
organisé par un syndicat professionnel et dont
l’objectif est de redéfinir les modes opératoires.
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Travail & Sécurité ­­– Décembre 2009
ératoires
Pour chaque type d’opération,
ArcelorMittal a cherché à identifier
un risque aux mains majeur
et à mettre au point une solution
pour le réduire.
ration des conditions de travail,
explique Alain Odoul, animateur risques industriels et
sûreté au sein de l’entreprise.
La particularité de ces challenges est d’associer les opérateurs. L’accompagnement par
l’encadrement de sécurité et
de proximité permet ensuite
de prendre en considération
sulfurique, un laminage en
utilisant une émulsion d’eau
et d’huile (éliminée sur une
ligne de dégraissage) et un
traitement thermique entre
850 °C et 1 000 °C, qui rétablit
ses propriétés mécaniques
et lui confère des propriétés
électriques. L’histoire se termine au parachèvement avec
différentes perceptions ou
façons de faire. C’est bien là le
cœur du challenge : amener les
techniciens à échanger sur leur
quotidien au travail et utiliser
l’expérience de chacun comme
locomotive pour la prévention », témoigne Didier Galtier,
contrôleur de sécurité à la
CRAM Languedoc-Roussillon.
l’ensemble des données techniques nécessaires pour résoudre
les problèmes. »
les étapes de refendage (1),
conditionnement, emballage
et expédition. Pour chaque
secteur, un groupe de travail
a été mis en place. Chaque
ligne de fabrication est ellemême décomposée en zones
de travail pour lesquelles les
opérateurs effectuent par
équipe l’évaluation des risques, en livrant leur ressenti
sur la fréquence, la gravité et
la criticité.
« Tout, de l’évaluation au traitement du risque, doit passer
par l’opérateur. L’entreprise travaillant en 3 x 8, il peut y avoir
L’objectif de l’entreprise est
d’amener les techniciens
à échanger sur leur quotidien
au travail et d’utiliser l’expérience
de chacun comme locomotive
pour la prévention.
© Gaël Kerbaol pour l’INRS
Groupement des entreprises
sidérurgiques et métallur­
giques (Gesim), un programme
qui consiste à élaborer, sur un
thème défini et par un travail
d’équipes, des actions à développer dans un délai maximal
d’un an. Chaque année, un
challenge est récompensé par
l’obtention d’un label santésécurité.
« Le travail du stagiaire a révélé
des lacunes dans la définition
de nos modes opératoires,
ainsi qu’un risque prépondérant aux mains, sur l’ensemble
des tâches à effectuer, indique
Pascal Morosini, responsable
du service management des
démarches de progrès dans
l’entreprise. Pour chaque type
d’opération, nous avons cherché à identifier un risque aux
mains majeur et à mettre au
point une solution pour le
réduire. La formalisation de ce
travail s’est faite au travers de
la redéfinition des modes opératoires, que nous avons placés
au cœur du Challenge Gesim
2008-2009. » Les années précédentes, le concours santésécurité avait permis à
ArcelorMittal de s’interroger
et d’avancer sur la prévention
des risques incendie au laminoir, l’accueil des nouveaux
arrivants, la maintenance et
la circulation dans l’entreprise.
« Les retombées ont toujours
été positives. La démarche
encourage les initiatives et permet de créer une dynamique
qui va dans le sens de l’amélio-
Échanges
L’entreprise reçoit, en provenance de Fos-sur-Mer et de
Dunkerque, des bobines de
1 mètre de largeur et d’une
épaisseur de 2,5 mm. Son activité consiste à laminer la tôle
pour la ramener aux épaisseurs standard du client, soit
0,35 mm à 0,60 mm. L’acier
subit successivement un
décapage dans un bain d’acide
Et la tâche n’est pas simple. « Il
est parfois difficile de se mettre
d’accord. Chacun a ses habitudes et nous sommes tous plus
ou moins convaincus d’avoir
la meilleure solution. Pour la
première fois, nous en avons
parlé ensemble », explique
Joseph Crozat, recuiseur. Dans
le meilleur des cas, les échanges aboutissent à des amélioTravail & Sécurité –
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entreprise métallurgie
Les obligations, mais aussi les
interdictions, ont été précisées
au niveau de chaque mode
opératoire, afin que ces derniers
puissent véritablement constituer
une aide à la formation.
© Gaël Kerbaol pour l’INRS
rations notables. Dans l’atelier
de laminage et dégraissage,
par exemple, les techniciens
doivent s’assurer de la propreté de l’acier en fin de cycle.
Traditionnellement, un opérateur frottait un papier blanc
sur la tôle qui défile à
300 m/mn soit 18 km/h sur
la ligne de dégraissage.
Aujour­d’hui, il n’accède plus
à la zone en mouvement
mais dispose le papier test
sur un bras mécanique qu’il
télécommande.
envie de faire bouger les choses. Ils sont également prompts
à utiliser les outils (ordinateur,
appareil photo…) nécessaires à
la mise en forme du mode opératoire et ils aiment ça », ajoute
Alain Odoul. « C’est long. Sur la
ligne de refendage, nous avons
des centaines d’opérations.
Nous avons recueilli les idées de
chacun et pris le meilleur pour
améliorer notre sécurité. Tout
le monde a eu le sentiment
L’envie d’évoluer
Une fois parvenus à un consensus, les opérateurs se lancent
dans l’écriture du mode opératoire. Celui-ci doit être précis, détaillé, illustré. « Nous
avons la chance d’avoir une
population jeune. La moyenne
d’âge dans l’usine est d’environ
35 ans. Les techniciens sont
concernés par leur santé et ont
d’apprendre, témoigne Franck
Boussuge, refendeur. Dans
un deuxième temps, le mode
opératoire est testé par des collègues qui ne connaissent pas
la ligne. Si l’on veut s’en servir
comme support de formation,
il doit se suffire à lui-même. Les
nouveaux arrivants pourront
ainsi tous partir sur les mêmes
bases. »
Sur la ligne de refendage, les
bobines sont découpées en
Une usine d’aciers électriques
S
ituée entre les monts de la Margeride et les
plateaux de l’Aubrac, l’usine d’ArcelorMittal
de Saint-Chély-d’Apcher a été créée en
1916 par les Aciéries et forges de Firminy.
Initialement, elle produisait des ferro-alliages,
des aciers fins et des aciers spéciaux. Quelques
années plus tard, elle a entamé une évolution
sur le plan sidérurgique en développant la
fabrication de tôles magnétiques laminées à
chaud. La fabrication de tôles électriques est
intégrée en 1950 et, en 1968, la filière à chaud
est abandonnée définitivement au profit
du laminage à froid. En 1993, la production
se concentre sur les aciers électriques.
Saint-Chély-d’Apcher est alors le seul
producteur français de tôles électriques
à grains non orientées, qui trouvent leurs
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applications dans des domaines divers :
petits moteurs électriques, transformateurs,
bobines d’allumage, appareils ménagers, gros
moteurs industriels, alternateurs pour centrales
électriques… Après quelques décennies
d’une histoire qui marque l’économie et la
vie d’une partie de la Lozère, l’usine prend
le nom d’ArcelorMittal Méditerranée en
2000. La consommation mondiale d’aciers
électriques s’élève aujourd’hui à 7 millions
de tonnes. Saint-Chély-d’Apcher en fabrique
110 000 tonnes, mais représente 35 %
du marché européen haut de gamme.
Ses principaux marchés se trouvent en France
(20 %), en Italie, Allemagne et Espagne
(60 %) et en Chine (7 %)… L’usine emploie
180 salariés.
plusieurs morceaux à l’aide
d’une scie ou bien réparées.
C’est l’une des étapes clés du
parachèvement, en grande
partie automatisée, mais
qui amène les techniciens à
gérer de gros volumes et à
effectuer une série d’opérations manuelles. « Nous avons
insisté pour que soient précisées les obligations mais aussi
les interdictions au niveau de
chaque mode opératoire, afin
que ces derniers puissent véritablement constituer une aide
à la formation, poursuit Pascal
Morosini. Actuellement, le projet est à 50 % d’avancement :
nous avions sous-estimé l’ampleur de la tâche. Aussi, l’entreprise a-t-elle pris la décision de
prolonger l’action. Il n’y aura
pas de nouveau Challenge
santé-sécurité sur 2009-2010,
mais l’objectif, d’ici un an, est
que l’ensemble des modes opératoires aient été écrits par les
techniciens. »
1. Opération destinée à fendre en long
une tôle.
Grégory Brasseur