Prévention des toxicomanies par les écoles et par l`intermédiaire
Transcription
Prévention des toxicomanies par les écoles et par l`intermédiaire
PR É V E N T IO N D E S TOX I C OMANIES PAR LES ÉCOLES ET PAR L’I N T E R M É D I A I R E D E S É COLES Gary Roberts, Nancy Comeau, Angela Boak, David Patton, Jodi Lane, Komali Naidoo et Marvin Krank L ’usage de l’alcool et du tabac, et dans une moindre mesure, des drogues illicites, est responsable au Canada des coûts énormes attribuables aux décès, aux maladies et aux incapacités. En général, les jeunes commencent à utiliser l’alcool, le tabac, le cannabis et d’autres drogues à l’adolescence. Il est donc important que les écoles, et d’autres, se penchent sur la consommation qu’en font les jeunes, si l’on veut éviter des coûts futurs à la société. Toxicomanie et réussite scolaire On peut ne pas être d’accord sur le rôle de l’école en matière de grands problèmes de société, par exemple les toxicomanies, mais ce rôle devient plus évident lorsqu’on comprend que des élèves souffrant d’une toxicomanie peuvent également voir leur apprentissage en souffrir, et que la prévention peut améliorer leur rendement scolaire. Bien que la relation soit complexe, il est clair que toxicomanie et rendement scolaire sont liés. Une toxicomanie peut empêcher une jeune personne de maîtriser des habiletés clés pour son développement (cognitif, émotionnel et social). Les élèves ayant une relation étroite avec leur environnement social, leur milieu d’apprentissage et leurs enseignantes et enseignants réussissent le mieux plus tard à éviter les problèmes de santé mentale et les comportements dangereux pour la santé, et ont plus de chance d’avoir de bons résultats scolaires. Les jeunes et la consommation d’alcool, de tabac et d’autres drogues Ces facteurs universels sont à bien des égards limités à la période de l’adolescence et font ressortir le besoin d’une programmation universelle pour aider les élèves à passer cette période difficile en sécurité. Il est clair que certains jeunes ont dans leur vie une plus grande accumulation de facteurs de risque. Ces facteurs sont présents en général depuis leur jeune âge (p. ex. personnalité, famille) et leur interaction a déjà rendu difficile l’ajustement à l’école. Ce sont ces jeunes-là qui sont particulièrement à risque pour la consommation de substances dangereuses, légales ou non, et pour d’autres problèmes également. Une programmation ciblée est nécessaire si l’on veut faire dévier la trajectoire développementale de ces enfants et de ces jeunes particulièrement à risque. Programmes efficaces On a évalué une gamme de programmes universels (visant tous les jeunes) et de programmes ciblés. Bien qu’il n’existe pas de solution miracle, un certain nombre de programmes ou d’initiatives semblent être efficaces. Les recherchistes mesurent de plus en plus les avantages des programmes de prévention en milieu scolaire en termes de coûts pour la société et un certain nombre de ces programmes sont efficaces à cet égard. Programmes à l’élémentaire Bien qu’au Canada, une large proportion des élèves du palier intermédiaire ne boivent pas, ni ne prennent de drogues, licites ou non, la consommation d’alcool devient la norme au secondaire, et celle du cannabis et du tabac est courante. Aborder le problème de la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis à un âge précoce (12 ou 13 ans) doit être une priorité des programmes de prévention scolaire. Du fait que la consommation commence souvent à un âge précoce, en raison de facteurs qui sont évidents dès les petites classes, des programmes universels et ciblés avant l’intermédiaire sont importants. En ce qui concerne l’alcool, on pourrait qualifier les élèves de 7e et 8e année « de consommatrices-et-consommateurs-à-venir » plutôt que de « non-consommateurs-et-consommatrices ». Avec l’âge, les habitudes dangereuses de consommation deviennent plus courantes et la consommation de tabac suit la même courbe. La programmation à l’élémentaire ne traite pas spécifiquement de toxicomanie, mais est plutôt axée sur le développement d’habiletés d’autogestion. Elle s’adresse soit à tous les élèves soit à des groupes ciblés et offre des suggestions au personnel enseignant et aux parents. La consommation généralisée d’alcool et d’autres substances par les jeunes n’est pas surprenante, si l’on tient compte de l’étape où ils se trouvent dans leur développement (p. ex. ils ont besoin de faire des expériences, de prendre des risques et de devenir autonomes) et des divers messages qu’ils reçoivent. Les programmes de compétences familiales offerts à toutes les familles ou aux familles particulièrement à risque sont efficaces pour améliorer les compétences en matière de relations interpersonnelles et ont prouvé qu’ils pouvaient prévenir la toxicomanie plus tard chez les jeunes. 25 | PRÉVENTION DES TOXICOMANIES | Des programmes complets qui sont consacrés à améliorer les compétences parentales et à modifier les pratiques d’enseignement en faveur de tous les élèves ou seulement des élèves particulièrement à risque ont prouvé qu’ils pouvaient aider les élèves à apprendre et prévenir les problèmes ultérieurs de comportement, y compris la consommation de substances dangereuses. Programmes à l’intermédiaire et au secondaire Il est particulièrement important à l’intermédiaire d’axer les programmes sur une substance spécifique et il a été prouvé que cette approche était d’une efficacité modeste. Le modèle le mieux étayé par la recherche est celui des influences sociales, qui aide les élèves à prendre mieux conscience de l’influence des médias et de la société et leur fait acquérir les compétences nécessaires pour analyser et minimiser cette influence. Les programmes qui ont fait leurs preuves mettent invariablement l’accent sur les interactions élève-élève (plutôt que élève-enseignant). Il est donc essentiel que les enseignantes ou enseignants ou les responsables de programmes soient à l’aise avec cette approche. Les enseignantes et enseignants doivent être capables de créer une ambiance respectueuse où l’on ne porte pas de jugement et de s’assurer que les élèves obtiennent de l’information exacte, sans discours moralisateur. Dans de nombreuses communautés et populations scolaires au Canada, le pourcentage d’élèves consommant des quantités dangereuses d’alcool est particulièrement perturbant. Du fait que la consommation dangereuse d’alcool et d’autres substances peut souvent avoir pour résultat toute une gamme de problèmes, y compris des activités sexuelles non désirées, des blessures, la surdose et la mort, il est important d’envisager des programmes qui aident explicitement les élèves à éviter ces tendances de consommation et les méfaits qu’elles peuvent causer. Peu de programmes axés spécifiquement sur ces objectifs ont été évalués, mais ceux qui l’ont été montrent des résultats prometteurs. Des programmes complets à composantes multiples et qui portent attention à la fois à l’éducation par rapport à la substance visée et à l’environnement scolaire sont prometteurs sur le plan de la réduction de la consommation, des problèmes de santé mentale, de l’activité sexuelle précoce et des comportements antisociaux. Bien entendu, bon nombre des facteurs contribuant aux problèmes de consommation de substances dangereuses par les élèves ne sont pas du ressort de l’école. Les écoles devraient donc envisager de lier et d’intégrer leurs programmes à l’effort de programmation communautaire. Grâce à cette intégration, il serait possible d’atteindre une plus grande variété d’individus et de facteurs environnementaux et, peut-être, de retarder l’âge auquel les adolescentes et adolescents commencent à boire de l’alcool. 26 En ce qui concerne les élèves à risque,y compris les élèves autochtones, les recherches au Canada montrent que des interventions courtes (moins de quatre séances) sont prometteuses, dans le sens qu’elles encouragent l’abstinence et contribuent à réduire les risques liés à la consommation d’alcool et de produits dangereux. Les politiques scolaires sont importantes car elles fixent les normes et les attentes pour tous les élèves. Quel que soit le défi que cela représente, les politiques scolaires doivent tenter d’aider les élèves particulièrement à risque à rester en contact avec l’école et avec leurs pairs ayant un comportement « non déviant ». Les suspensions ont souvent comme résultat de voir augmenter les comportements antisociaux. Implantation dans les écoles canadiennes La recherche montre que les programmes de prévention basés à l’école et liés à des initiatives en-dehors de l’école peuvent retarder le début de la consommation de substances et réduire les méfaits et les dangers que cette consommation représente. Cependant, cette recherche a été menée dans un cadre prédéterminé bien contrôlé; il est donc juste de se demander si on peut compter sur ces effets dans le cadre réel dans lequel fonctionnent le personnel enseignant, d’orientation et d’administration. Dans nos écoles, un certain nombre de variables peuvent affecter la façon dont une nouvelle initiative sera implantée, y compris des facteurs au niveau du système (p. ex. état de préparation de l’école, leadership, soutien des autres intervenantes et intervenants), des facteurs au niveau du personnel enseignant (p. ex. auto-efficacité, épuisement professionnel, perception de l’acceptabilité du programme, formation) et des facteurs au niveau du programme luimême (p. ex. temps de préparation, complexité). Vue de cette façon, la formation de toutes les parties intéressées (c.-à-d. le personnel enseignant, d’orientation, des corps de police et des services de santé mentale et de toxicomanie) devraient être considérée comme d’une importance vitale – mais n’est pas suffisante. La prévention des toxicomanies dans le cadre scolaire sera la plus efficace lorsqu’elle se fera selon une approche large de perfectionnement de tous les intervenantes et intervenants, qui prendra en compte toute la gamme des facteurs au niveau du système et de la salle de classe qui risquent d’influer sur la pratique. Presque toutes les initiatives qui ont prouvé leur efficacité dans ce résumé des connaissances exigent des ressources précieuses et on peut comprendre que les écoles hésitent à ajouter un autre projet à une charge de travail déjà imposante. Il pourrait être plus fructueux d’intégrer les initiatives de promotion de la santé et de prévention des toxicomanies dans les grands objectifs des écoles en mettant la priorité sur les facteurs qui retentissent à la fois sur l’apprentissage et sur le bien-être. Ce glissement, de la collaboration entre les programmes à l’intégration des programmes, exige du personnel de l’éducation et des | PRÉVENTION DES TOXICOMANIES | services de promotion de la santé et de toxicomanie qu’ils travaillent de concert à cerner les valeurs, les objectifs et les stratégies qu’ils partagent, et qu’ils élaborent ensemble des programmes communs pour élargir le champ des résultats de leurs élèves. Du cours magistral à l’apprentissage Comme l’approche des cours d’hygiène en général, l’approche de l’éducation visant la prévention en matière d’alcool et d’autres drogues a évolué avec les années. À l’origine, l’éducation visant la prévention des toxicomanies était basée sur le principe selon lequel il suffisait de donner aux jeunes une information solide qui pourrait leur permettre de prendre de saines décisions. Typiquement, les enseignantes et enseignants présentaient l’information sur les effets et les dangers de la drogue, dans l’espoir que cette nouvelle information allait influencer le comportement des élèves. Bien qu’il soit important de faire passer de l’information exacte et équilibrée sur la drogue, les cours sur la drogue que beaucoup d’entre nous ont connus ne sont pas efficaces (en fait il a même été prouvé qu’ils étaient néfastes, dans le sens qu’ils incitaient à l’expérimentation). Ces programmes axés sur les connaissances ont été remplacés par des programmes d’éducation de l’affectivité, qui se concentraient sur les attitudes et les valeurs. Ceux-ci ne sont également pas parvenus à produire les effets désirés, peut-être parce qu’ils étaient trop abstraits pour vraiment intéresser les jeunes – c’est-à-dire qu’ils ne faisaient pas explicitement le lien entre le développement des compétences et les décisions à prendre face à la drogue. La nouvelle génération de programmes de prévention des toxicomanies axés sur les programmes d’études a des racines théoriques plus fortes : la théorie de l’apprentissage social et le modèle de croyances relatives à la santé, entre autres. Les deux modèles dominants utilisés à l’heure actuelle – le modèle des influences sociales et le modèle de l’amélioration des compétences ou des aptitudes à la vie quotidienne – sont dérivés de ces deux théories et ont fait l’objet de nombreuses évaluations au cours des années. La conclusion incontournable, à laquelle sont arrivés presque tous les recherchistes, est que même les meilleurs de ces programmes universels axés sur les programmes d’études ne sont que d’une efficacité modeste et que leurs effets s’atténuent après une année ou deux. En plus, les bienfaits qu’ils procurent sont limités aux élèves le moins à risque. Cette conclusion importante a suscité ou concrétisé quatre points de vue différents du milieu de la recherche, sur la façon dont on peut faire le mieux évoluer la prévention des toxicomanies en milieu scolaire : 1. 2. 3. 4. avoir des avantages importants pour la santé publique et est une initiative qui mérite d’être poursuivie; Il n’est pas réaliste de penser que tous les élèves vont s’abstenir; il faut envisager d’autres résultats positifs en termes de consommation, à part l’abstinence; Il faut concentrer les efforts sur les élèves particulièrement à risque plutôt que sur tous les élèves (programme universel), ou leur consacrer plus d’efforts; Il est nécessaire, mais non suffisant, de porter attention au programme d’études – le programme de prévention doit être formulé selon une approche globale, dans l’optique de l’école entière. Facteurs qui peuvent se répercuter sur les résultats Méthodes de transmission du programme L’élément des programmes de prévention de la toxicomanie bénéficiant de la base de recherche la plus solide est l’interactivité des élèves. Les programmes interactifs se sont révélés deux à quatre fois plus efficaces que les programmes qui ne l’étaient pas. La métaanalyse de Tobler et Stratton (1997) a fourni une perspective utile sur le type d’interactivité qui est le plus efficace. Ils ont découvert que les programmes mettant l’accent sur l’interaction élève-élève, plutôt que sur l’interaction élève-enseignant, avaient des effets beaucoup plus positifs sur la consommation de drogues des élèves. Ils ont prouvé que c’est l’interaction entre camarades de classe, structurée et non structurée et axée sur des tâches précises, qui est la variable importante en matière d’efficacité du programme. Dans cette démarche, les élèves doivent avoir l’occasion d’interagir en petits groupes, pour tester et échanger leurs idées sur la façon de réagir face à la drogue, et de recevoir de la rétroaction de leurs pairs dans un environnement où ils se sentent à l’aise. Tobler (2000) va même plus loin et suggère que c’est l’échange d’idées et d’expériences entre les élèves, et l’occasion de pratiquer de nouvelles habiletés et de recevoir de la rétroaction sur la pratique de ces habiletés, qui sert de catalyseur du changement plutôt que le contenu même du programme. Le rôle de l’enseignante ou l’enseignant ou du ou de la chef de groupe dans ce type de séance est d’instaurer un climat ouvert où on ne juge personne, de gérer la démarche en tant que facilitateur (plutôt que présentateur) et d’utiliser au mieux l’occasion que les élèves ont de pratiquer leurs habiletés et d’échanger entre eux. L’enseignant joue également un rôle important, celui de rectifier les erreurs de perception et d’offrir de l’information lorsque c’est nécessaire. Les techniques suivantes fonctionnent bien dans cette démarche : jeu de rôle, questionnement socratique, simulations, remue-méninges, apprentissage coopératif, discussion entre pairs et projets d’apprentissage par le service. Étant donné l’étendue des méfaits liés à une consommation précoce, retarder l’âge auquel les jeunes commencent à consommer, même d’un an ou deux, peut 27 | PRÉVENTION DES TOXICOMANIES | Qualités de l’enseignant ou de l’enseignante ou du ou de la chef de groupe Bien que la plupart des programmes évalués aient été menés par des enseignantes ou enseignants, beaucoup d’autres personnes, et en particulier des pairs, en ont également menés. Gottfredson et Wilson (2003), dans leur méta-analyse de 94 programmes de prévention des toxicomanies, ont découvert que des programmes menés par les pairs sans aucune aide des enseignants étaient plus efficaces que les programmes menés par des enseignants ou menés conjointement par des enseignants et des pairs. La méta-analyse de Tobler et al. (1998) a permis de découvrir que les programmes menés par des professionnelles et professionnels de la santé mentale et par des pairs étaient supérieurs aux programmes menés par des enseignantes ou enseignants, mais pas de beaucoup. Il arrive couramment que les enseignants demandent aux élèves de présenter la composante normative du programme, de façon à améliorer la crédibilité de l’information. Les élèves qui mènent les programmes sont souvent ceux qui en bénéficient le plus, plus que les jeunes qui y assistent. Le point a été soulevé qu’il fallait faire attention lorsqu’on choisit des élèves pour mener les programmes à sélectionner ces jeunes soigneusement et à les former correctement. Les programmes menés par les pairs demandent également plus de planification, avec quelques considérations pratiques, parmi lesquelles horaire, absence des jeunes chargés de mener les séances, période s’écoulant entre la formation et la séance en classe, et financement nécessaire pour mener de tels programmes. On conclut souvent que l’éducation visant la prévention des toxicomanies sera mieux faite par les enseignantes ou enseignants en classe pour les raisons suivantes : c’est tout un défi d’organiser un programme mené par des élèves, les enseignants connaissent directement les besoins des élèves et leur niveau de développement et les enseignants sont mieux placés pour présenter (et modifier si besoin est) les composantes du programme au moment approprié, selon le niveau de leurs élèves. La question de savoir qui présente le programme est sans doute secondaire, par rapport à la question de savoir quelles qualités sont importantes chez la personne qui fait la présentation. On suppose que les professionnelles et professionnels de la santé mentale sont efficaces du fait des habiletés qu’ils possèdent et de la formation qu’ils ont suivie en matière de facilitation et de démarche de groupe, par exemple pour créer une ambiance où l’on ne porte pas de jugement, pour être à l’aise dans un rôle non directif (p. ex. avec l’ambivalence) et pour rester silencieux de façon à faciliter le dialogue. Quelle que soit la personne qui fait la présentation, on peut s’attendre aux meilleurs résultats lorsqu’on sélectionne des enseignants ou des présentateurs qui possèdent ces qualités, qui seront acquises par un mélange d’attributs personnels et de formation professionnelle, préalable ou suivie sur place. On pense souvent inviter des présentateurs pour les séances sur la prévention des toxicomanies. Si l’on se fie aux résultats de la recherche, il est important que ces présentateurs invités soient capables d’aborder les objectifs du programme d’études et de 28 travailler en interaction avec les élèves, plutôt que de faire une séance isolée sans rapport direct avec le programme d’études. Les nouvelles technologies interactives (p. ex. CD-ROM, DVD, Internet) peuvent être utiles pour présenter ou renforcer les connaissances et les habiletés pertinentes en matière de prévention. Quand présenter le programme Élémentaire Bien qu’il n’existe que relativement peu de programmes pour les élèves de l’élémentaire (5-10 ans) destinés à prévenir la consommation future de drogues, il en existe tout de même, mais peu ont été évalués. Un des défis de ces programmes, c’est le temps qui doit s’écouler avant que l’on puisse voir des résultats. Lorsqu’on pose la question aux enseignantes ou enseignants, ils suggèrent qu’il vaut mieux aborder l’éducation en matière de prévention de la toxicomanie dans les écoles élémentaires en parlant de façons sécuritaires de prendre des médicaments et des substituts aux médicaments, et de placer la question de la drogue dans le contexte plus vaste de questions telles que « Comment est-ce que je prends de saines décisions pour ma vie? » et « Comment est-ce que je prends des décisions pour ma santé? ». Il n’existe cependant que peu de résultats de recherches à l’appui de l’efficacité des programmes de prévention de la toxicomanie en matière de drogue à l’élémentaire. Le petit nombre de publications spécialisées qui existent suggèrent que les interventions au niveau de l’élémentaire devraient plutôt se concentrer sur les facteurs de risque fondamentaux et se consacrer à la programmation pour les familles et les parents, à l’organisation de l’école et à la gestion des comportements. Intermédiaire et premier cycle du secondaire La plupart des programmes visant la prévention des toxicomanies sont destinés aux élèves de l’intermédiaire et du premier cycle du secondaire. Gottredson et Wilson (2003) ont découvert que les programmes ciblant cette tranche d’âge sont plus efficaces que ceux qui visent les élèves plus jeunes et les élèves plus âgés, mais que leur effet est médiocre dans tous les cas. Selon la méta-analyse de Roona et al. (2000), la méthode la plus efficace à ce niveau est celle du modèle des influences sociales. Deuxième cycle du secondaire Une autre approche pour déterminer le meilleur moment de présenter le programme est de baser la décision sur les données locales en matière de consommation de drogues par les élèves. McBride (2003) a proposé une approche en trois étapes basée sur le développement comportemental et les tendances de consommation des élèves. Il n’existe pas de résultats de recherches sur la valeur de cette approche, mais elle est basée sur des données et de la théorie. La fourchette d’âge suggérée qui est présentée ici est basée sur l’ensemble des écoles canadiennes (s’il existe des raisons de penser que la situation est différente dans une école ou une région donnée, il faudra apporter des ajustements au programme). | PRÉVENTION DES TOXICOMANIES | Selon cette approche, la première étape de l’éducation visant la prévention des toxicomanies est l’inoculation, qui devrait avoir lieu avant l’âge moyen de la première consommation, mais au moment où l’intérêt pour la consommation commence à se faire sentir (p. ex. pour l’alcool, environ à 11 ou 12 ans, soit en 5e ou 6e année). La pertinence précoce, l’âge où la plupart des élèves font leur première expérience et où certains en sont déjà à la deuxième étape de leur expérimentation (p. ex. pour l’alcool, environ 13 ou 14 ans, soit en 7e ou 8e année) est la deuxième étape. Un nombre plus important d’élèves commencent à boire de l’alcool à cette période de leur vie, donc des discussions pertinentes seraient d’une valeur pratique. La troisième et dernière étape est la pertinence tardive. Cette dernière étape devrait se faire lorsque les élèves sont exposés à des formes plus risquées de consommation, des situations différentes ou des substances différentes (p. ex. pour l’alcool, vers 15 à 17 ans, soit de la 9e à la 11e année). Le message de la pertinence tardive doit prendre en compte le niveau et les habitudes de consommation (p. ex. un message d’abstinence complète visant une classe dans laquelle 60 à 70 p. 100 des élèves ont bu de l’alcool dans l’année qui vient de s’écouler, et un quart à un tiers d’entre eux se sont enivrés, ne sera pas pris très au sérieux). Comme il y aura des élèves qui choisiront de ne pas consommer et que ceux-ci auront besoin d’être soutenus dans leur décision, des stratégies destinées à renforcer la sécurité et à réduire les habitudes de consommation dangereuses doivent être envisagées quelle que soit la substance posant problème. La meilleure façon d’adapter les programmes à un groupe précis est de se servir des données sur la prévalence locale. Il est également important d’avoir une idée de la culture des jeunes locaux, qui a tendance à évoluer rapidement. Cela représente un défi impossible pour la plupart des adultes et la meilleure façon de le faire, ce sont des activités qui permettent aux élèves de créer leurs propres scénarios « dans la vie réelle ». De cette façon on se donne une certaine flexibilité qui permet de viser les questions de drogue lorsqu’elles se présentent ou deviennent pertinentes, et de mener des séances qui intéressent les élèves, grâce à des scénarios réels, plutôt qu’abstraits. Durée du programme On accepte généralement que lorsqu’on vise l’efficacité, il vaut mieux mettre en place un programme plus long. McBride suggère que dix séances ou plus par an seraient préférables au premier cycle du secondaire, mais que si cela n’est pas possible, il serait bon de faire suivre le module initial de dix leçons par quatre à huit séances, suivies d’une seconde série de trois à huit séances de renforcement, et si les données sur la prévalence l’indiquent, de faire suivre cette seconde série d’une autre série, de trois à cinq séances chacune, chaque année subséquente. Bien qu’il reste bien évident que des manifestations uniques ou des présentations occasionnelles n’ont pas d’effets mesurables sur les comportements, les résultats de recherches sur cette question ne sont pas clairs et cela est peut-être dû à la confusion entourant les termes « intensité » et « durée ». Dans leur étude des programmes consacrés aux drogues illicites, White et Pitt (1998) ont trouvé que 80 p. 100 des programmes efficaces s’étendaient sur une durée de dix séances ou plus. Mais en 2002, Cuiper concluait qu’il n’y avait aucune évidence que les programmes intensifs étaient plus efficaces que les programmes qui l’étaient moins. Gottfredson et Wilson (2003) n’ont trouvé aucune différence en efficacité entre les programmes durant plus de quatre mois et demi et les programmes plus courts, mais ils ont reconnu que la durée était peut-être une mauvaise approximation du nombre d’heures de contact. De la même façon, les résultats de recherches concernant les séances de renforcement (c.-à-d. des programmes plus courts, de trois à cinq séances, offerts les années suivantes pour renforcer les concepts et les habiletés) sont également partagés. Skara et Sussman (2003) ont découvert que les programmes proposant des séances de renforcement étaient moins susceptibles de tomber dans les oubliettes à long terme (deux ans ou plus), tandis que Gottfredson et Wilson (2003) n’ont trouvé aucune évidence que les séances de renforcement amélioraient les résultats. Il peut sembler contre-intuitif qu’un programme plus court soit aussi efficace qu’un programme plus long, mais des interventions courtes (une à six séances) ont prouvé leur efficacité dans diverses populations particulièrement à risque. En attendant que les résultats de recherches offrent une vision plus claire de la situation, il vaut mieux prendre des décisions en matière de durée du programme en prenant en compte les objectifs poursuivis, tout en gardant à l’esprit que les programmes interactifs ont tendance à prendre plus de temps que les programmes axés sur les cours magistraux. Références Les références citées dans cet article sont disponibles sur les pages Web qui contiennent le matériel de ce projet sur les écoles et la toxicomanie. Veuillez les consulter à : www.ecolessaines.org. Cet article est basé sur un résumé de la recherche sur la prévention des toxicomanies par le biais des écoles, préparé pour l’Association canadienne pour la santé en milieu scolaire. Ce résumé et le reste du matériel et des activités sont financés par le Fonds des initiatives communautaires de Santé Canada. Pour plus d’information sur ce projet national, veuillez vous rendre à : www.ecolessaines.org. Tableau 1 : Facteurs de risque et facteurs de protection en milieu scolaire Si l’on considère le temps que les élèves passent à l’école, il n’est pas surprenant d’apprendre que les écoles peuvent offrir bien des façons de contribuer au bien-être des élèves. Les résultats des recherches sont suffisamment clairs qui prouvent que des relations valorisantes et bienveillantes au sein de l’école favorisent la motivation et la réussite scolaire des élèves. On a moins de résultats de recherche concernant l’influence de l’environnement scolaire sur les comportements dangereux pour la santé parmi les ados, mais de plus en plus de recherches se font à cet égard. Du fait qu’il s’agit là d’un domaine de recherche 29 relativement nouveau, il n’existe pas encore de base théorique claire et l’environnement social n’est pas encore défini uniformément. L’implication scolaire est souvent définie comme comprenant les relations élèves-enseignant et les relations sociales ou entre pairs. Le modèle de développement social a été suggéré comme modèle théorique, qui considère l’implication avec la famille, l’école, les pairs et la communauté comme agent protecteur contre les comportements antisociaux et de toxicomanie. Un autre modèle considère les écoles comme des communautés, avec une culture caractérisée par des relations bienveillantes et valorisantes entre les élèves et le personnel enseignant et une participation des élèves à la politique de l’école, et des pratiques d’enseignement qui favorisent la santé et la réussite scolaire. Implication élève-enseignant Il est apparent que la perception de rapports étroits avec l’enseignante ou l’enseignant a un effet protecteur en matière de toxicomanie et d’une vaste gamme d’autres problèmes de comportement à la fin de l’élémentaire, à l’intermédiaire et au secondaire. Dans une école secondaire d’Alberta, les élèves qui n’aimaient que la moitié de leurs enseignantes ou enseignants ou moins (44 p. 100 des élèves au total) avaient 70 p. 100 de chance de plus de consommer de la marijuana, 20 p. 100 de plus de fumer du tabac, 43 p. 100 de plus d’avoir des relations sexuelles et deux fois et demie plus de chance de souffrir de dépression. L’intermédiaire semble être une période critique où les élèves souffrent souvent d’un manque d’implication; lorsqu’ils ont la perception de rapports étroits durant cette période, c’est un indicateur positif de leur succès au secondaire. En mettant l’accent non seulement sur le programme, mais également sur le contexte, les relations et la démarche d’enseignement et d’apprentissage, les enseignantes et enseignants peuvent contribuer au bien-être et au succès scolaire de leurs élèves. Implication sociale Il semble également que l’établissement de liens sociaux ou entre pairs peut avoir un effet protecteur ou négatif, selon la nature et la qualité des relations formées; si les liens affectifs se créent avec des pairs au comportement non traditionnel ou si la vie sociale est caractérisée par l’intimidation ou les menaces, les rapports sociaux auront un effet négatif et mettront l’élève à risque. Si l’élève continue d’avoir de saines relations avec ses enseignants et enseignantes, cela peut compenser les effets de ces relations moins bonnes dans la vie sociale de l’élève. Implication scolaire générale Les élèves ayant des rapports étroits avec leurs enseignantes et enseignants et leur environnement scolaire et social sont en meilleure position en matière de santé mentale et de comportements dangereux pour leur santé à l’avenir. Ils sont également plus susceptibles de mieux réussir à l’école. Il est donc important de se pencher sur des façons de développer les relations 30 avec les enseignantes et enseignants et les relations sociales, de façon à favoriser l’apprentissage et le bien-être des élèves. Manque d’implication scolaire Les jeunes qui ne sont pas impliqués dans leur apprentissage et qui ont de mauvaises relations avec leurs pairs et leurs enseignantes ou enseignants (p. ex. font l’objet d’intimidation, n’ont pas de sentiment d’appartenance et sont stressés) sont plus susceptibles d’avoir des problèmes scolaires et de santé mentale, et d’adopter des comportements à risque pour leur santé, y compris la toxicomanie. Élèves particulièrement à risque Même les élèves particulièrement à risque (p. ex. qui ont été suspendus ou mis en retenue) mais qui ont la perception de rapports étroits avec leurs enseignantes ou enseignants sont moins susceptibles de consommer des substances dangereuses ou d’adopter d’autres comportements déviants que les élèves qui n’ont pas cette perception. Différence entre les filles et les garçons Du fait que les filles ont tendance à accorder plus d’importance aux relations que les garçons, elles sont plus susceptibles de juger favorablement la culture de l’école et d’exprimer un fort sentiment d’appartenance. Les dimensions interpersonnelles de l’environnement scolaire auront sans doute plus d’impact sur leur niveau de participation à la classe et de motivation pour l’apprentissage. Normes scolaires Les élèves du premier et du deuxième cycle du secondaire sont plus susceptibles de consommer de l’alcool et d’autres drogues lorsque les normes de l’école sont plus tolérantes à cet égard. Cette constatation tient même après qu’on s’est assuré que les jeunes ne sont pas d’accord avec cette consommation. Elle tient également lorsque les autres variables en termes de population scolaire sont les mêmes. Environnement physique Les endroits peu sûrs et où personne n’est dans son « territoire », comme les couloirs, les salles à dîner et les stationnements, où le personnel de l’école n’est pas toujours présent et les règles sont plus difficiles à faire respecter, peuvent contribuer à divers problèmes, y compris celui de la consommation d’alcool et d’autres drogues, par des interactions entre les normes et les comportements sociaux (p. ex. intimidation verbale, victimisation). Il faut saisir l’importance de cette interaction pour comprendre le problème et trouver des moyens d’intervenir le plus efficacement possible. Suite à la page 24 | VERS L’IMPLANTATION DURABLE DE L’ÉCOLE-SANTÉ | • • • l’éducation et de la santé et on assiste graduellement à une plus grande compréhension mutuelle. Ce processus comprend la clarification des priorités, des valeurs, de la terminologie et des concepts. Des postes communs aux secteurs de l’éducation et de la santé sont créés et le milieu de l’éducation offre des ressources. La recherche s’affine et le suivi des progrès s’améliore à mesure que la visibilité politique s’accroît et que les attentes sont plus élevées. Élaboration de modèles pour établir les liens entre l’éducation et la santé par rapport à l’école-santé (St. Léger et Nutbeam, 2000). Phase d’implantation • • Au niveau national, les énoncés de politique qui ont d’abord tendance à se faire dans le secteur de la santé concernent de plus en plus le secteur de l’éducation. Les énoncés de politique relatifs à des initiatives scolaires spécifiques en matière de santé s’inscrivent de plus en plus dans le contexte de l’école-santé, • • par exemple les énoncés ayant trait au programme d’enseignement, à la politique sur les aliments offerts dans les écoles. Le secteur de l’éducation assume plus de responsabilités en matière de promotion de la santé dans les écoles et intègre la promotion de la santé dans l’ensemble des programmes d’éducation. Au niveau de l’école, la promotion de la santé s’institutionnalise, autrement dit, elle fait désormais partie intégrante des principales valeurs de l’école et de la façon normale de travailler Au sujet de l’auteur Ian Young est chef du Développement international, Service national de santé de l’Écosse. Références Pour une liste complète des références, veuillez contacter: [email protected]. Suite de la page 30 Importance du rôle de la direction De nombreux éléments entrent en jeu dans la nature et la qualité des relations qui déterminent le niveau de protection ou de risque offert par une école, mais il est apparent que le ton doit être donné par la direction de l’école. C’est elle qui va déterminer les sortes de politiques, l’uniformité de leur application et la mesure dans laquelle les élèves pourront y contribuer. La direction, par sa politique d’embauche, de formation et d’exemple, peut également influencer la nature des relations élèves-enseignants en fixant des attentes élevées, en exigeant le respect et en mettant l’accent sur la démarche d’apprentissage (plutôt qu’uniquement sur les résultats). « Effet école » Il est important de noter qu’une grande partie de cette recherche est basée sur des enquêtes transversales qui ne peuvent pas déterminer d’effet causal. Une grande partie de la recherche sur le rapport à l’école ressenti par l’élève n’est pas destinée à déterminer dans quelle mesure ce sentiment de rapport à l’école vient d’attributs des enseignantes ou enseignants et de l’école et dans quelle mesure il est dû à des attributs et des motivations de l’élève, ou même des attributs des parents ou du voisinage. Les résultats d’une étude récente montrent bien qu’il existe un « effet école ». Cette étude portait sur 2 500 élèves d’une école élémentaire en Écosse dont la « culture » est positive (c.à-d. élèves attachés à leur école, impliqués dans leurs études et s’entendant bien avec leurs enseignantes ou enseignants). Elle prenait en compte un large éventail d’autres facteurs possibles (p. ex. milieu socioéconomique, privation, religion, structure familiale, aptitudes parentales, revenu disponible et comportement des parents en matière de santé, et comportement préalable en matière de santé) et a déterminé que ces élèves étaient moins susceptibles de fumer, boire ou consommer des drogues illicites entre 13 et 15 ans que les élèves d’une école dont la « culture » était médiocre. 24