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La valorisation et la protection de la bi odi versité en zone urbaine : mise en perspective d’une tendance à travers les notions de nuisances et de risques Biodiversity valorisation and protection in urban zone: viewed alongside of a trend through the notions of nuisances and risks Nicolas MAUGHAN Doctorant en Ecologie – Université de Provence – LATP UMR CNRS 6632 Résumé : Un certain nombre d’études écologiques menées au sein des zones urbaines ont montré que les différents types d’habitats pouvaient héberger une biodiversité particulièrement riche. Cependant, bien que cette « nature urbaine » puisse offrir des services dans les villes, la présence et la prolifération de certaines espèces animales ou végétales peuvent occasionner des nuisances et engendrer des risques non négligeables pour les populations urbaines. La prise en compte de ces notions par les gestionnaires et les élus se révèle importante lors de la mise en place d’initiatives destinées à valoriser et à conserver cette biodiversité dans les agglomérations. Summary : Many urban ecological studies showed that the different habitat types could support a rich biodiversity. However, although the “urban nature” can be a source of various kinds of services inside cities, presence and proliferation of certain animals and plants species can cause nuisances and generate serious risks for urban people. The consideration of these notions by planners and policymakers appears fundamental at the time of the elaboration of initiatives to enhance and conserve urban biodiversity. 1. En 2050, la population humaine comptera approximativement de 2 à 4 milliards d’hommes supplémentaires. Elle pourrait ainsi passer de 6,3 aujourd’hui à plus de 9 milliards. Depuis 2007, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, plus d’êtres humains vivent en ville que dans les campagnes et, en 2017, les pays en développement présenteront un visage plus urbanisé que rural (Crane et al. , 2005). Alors qu’en 1800, environ 2 % des êtres humains vivaient en ville, en 1900, nous sommes à 12 % et en 2000 ce chiffre atteignait plus de 47 %. Presque 10 % de ces citadins vivent, aujourd’hui, dans des Riseo 2010-3 29 mégapoles (1) de 10 millions d’habitants ou plus (O.N.U, 2009; O.N.U Habit at, 2009). Cette augmentation de la population urbaine s’accompagne d’une progression très rapide de l’urbanisation dans les pays occidentaux, mais surtout dans les pays en développement et d’un mitage de plus en plus important des zones rurales périphériques (Berry, 1990). Cette urbanisation, qui englobe des phénomènes tels que la pollution, l’imperméabilisation des sols ou la déforestation, est directement responsable de l’artificialisation des écosystèmes et de « l'effondrement » de la biodiversité (2) (Grimm et al ., 2008). Cependant, les zones urbaines hébergent souvent une riche biodiversité (3), constituée par des assemblages uniques d’espèces animales et végétales mais aussi par une grande variété d’habitats (4) présents (McKinn ey, 2002). En effet, de plus en plus d’espèces « sauvages » utilisent les ressources alimentaires offertes par les villes et occupent les différents habitats que sont les espaces verts, les parcs, les jardins pavillonnaires, les friches urbaines, les étangs ou les cours d’eau urbains mais aussi des parcelles non construites restées à l’état naturel (Cornelis et al ., 2004; Angold et al ., 2006). La valorisation et la conservation de cette diversité biologique dans les villes sont régulièrement mises en avant (en lien avec la notion de « services rendus par les écosystèmes », Bolund et al ., 199 9), principalement comme possible moyen d’enrayer la disparition de la biodiversité à une échelle locale ou régionale mais aussi comme un élément central à privilégier pour le développement des « villes durables ». 2. Pourtant, alors que des cas autochtones récents, et très médiatisés, de maladies infectieuses se sont déclarés dans plusieurs agglomérations européennes (5) (6) (7) (cas de contamination par les virus du chikungunya (8) et de la dengue (9) par l’intermédiaire de 1 L'O.N.U a fixé le seuil de la population d'une mégapole à 10 millions d'habitants. La Biodiversité implique une diversité naturelle des organismes vivants. Elle s'apprécie en prenant en compte la diversité des écosystèmes, des espèces, des populations et celle des gènes dans l'espace et dans le temps, ainsi que l'organisation et la répartition des écosystèmes aux échelles biogéographiques. 3 « Quelle biodiversité dans les villes ? ». La Recherche, cahier spécial, n° 422, septembre 2008, 31 p. http://www.larecherche.fr/content/system/media/biodiversite.pdf 4 L’habitat, est défini, en écologie, comme le lieu ou vit une espèce et son environnement immédiat à la fois biotique et abiotique. 5 Article du Monde : http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/09/26/un-deuxieme-cas-de-chikungunyadans-le-var_1416207_3244.html 6 Article de la Provence : http://www.laprovence.com/article/region-8559 7 Article du Point : http://www.lepoint.fr/sante/un-nouveau-cas-de-dengue-a-nice-le-deuxieme-en-metropole18-09-2010-1238184_40.php 8 Le chikungunya est une maladie infectieuse tropicale due à un arbovirus, transmise à l'être humain par l'intermédiaire de la piqûre d'un moustique du genre Aedes. 9 La dengue est une maladie infectieuse tropicale, due à un arbovirus, transmise à l'être humain par l'intermédiaire de la piqûre d'un moustique du genre Aedes. 2 Riseo 2010-3 30 moustiques vecteurs du genre Aedes, cas de Leptospirose (10)) et que les conflits entre les populations et la faune sauvage se multiplient, la question des différents problèmes que cette diversité biologique peut poser au sein des villes reste très rarement abordée. Si les problèmes sanitaires posés par les populations de certains oiseaux comme les pigeons ou par des espèces comme les rats et les cafards sont depuis longtemps pris en compte par les communes, l'augmentation du nombre et de la diversité des espèces présentes posent de nouvelles questions. En effet, avec la multiplication des mégapoles, des concentrations de populations humaines de plus en plus élevées (avec des conditions de vie souvent précaires dans des environnements dégradés), et des contacts qui augmentent de manière régulière avec les éléments d’une biodiversité toujours plus variée, la question se pose de savoir dans quelle mesure les différentes espèces animales et végétales présentes peuvent être sources de nuisances ou de risques, provoquer ou amplifier des conflits avec les habitants et devenir ainsi des obstacles au mode de vie et à la dynamique urbaine. Une analyse objective de cette situation, sans parti pris, semble donc nécessaire pour évaluer les éventuels problèmes de cohabitation, intégrer de manière plus efficace ces notions et réfléchir aux meilleures procédures de gestion de cette biodiversité et des différents habitats urbains. 3. Après avoir présenté de manière succincte les principaux éléments qui caractérisent la biodiversité dans les zones urbaines, nous aborderons la dimension, aujourd’hui peu considérée dans les études sur les écosystèmes urbains mais aussi dans les médias, des nuisances et risques divers engendrés pour les populations humaines et leurs activités. Cet aspect, bien que fondamental dans les villes, est très souvent occulté par l’enthousiasme lié à la protection de la biodiversité mais aussi par les attentes soulevées par les projets de « villes durables ». Enfin, nous essaierons de déterminer qu’elles peuvent être les perspectives pour une valorisation optimale et une conservation de cette diversité biologique conciliables avec la gestion des risques et des nuisances. 10 Le leptospiroses est une maladie infectieuse d'origine bactérienne. Les leptospires sont des bactéries qui se développent préférentiellement dans les milieux chauds et humides. Les vecteurs sont les rongeurs (surtout les rats), les chiens, les animaux d’élevage (porcs). Les animaux infectés éliminent les leptospires dans leurs urines, et souillent ainsi le milieu extérieur. La leptospirose est à la fois une maladie de loisir contractée lors d’activités de baignade ou de pêche en eau douce, mais aussi une maladie professionnelle touchant les vétérinaires, les éleveurs, le personnel des abattoirs et les égoutiers. La transmission peut être directe par simple contact avec des animaux infectés ou par morsure (notamment morsure de rat). Mais le plus souvent, la transmission est indirecte au cours d’activités de baignade en eau douce. Riseo 2010-3 31 I. Les zones urbaines, lieux de vie d’une biodiversité aux mul tiples formes 4. Les écosystèmes urbains présentent une grande variété d’habitats (A). Beaucoup d’espèces qui appartiennent aux principaux groupes taxonomiques : les végétaux (B), les mammifères et les oiseaux (C), les reptiles (D) et les insectes (E) occupent ces habitats urbains. A. Quelques élém ents généraux sur les écosystèmes urbains 5. Ce n’est réellement qu’à partir de la fin des années 1990 que les écologues ont commencé à s’intéresser aux écosystèmes urbains comme milieux de vie originaux, à leur fonctionnement ainsi qu’à la distribution et aux spécificités des espèces animales et végétales présentes. Ils se sont aussi interrogés pour essayer de comprendre si de grandes notions traditionnelles en écologie, comme celle « d’écosystème », et si un concept comme la biodiversité pouvaient s’appliquer aux zones urbaines (Zipperer et al. , 2000; Savard et al ., 2000). En effet, la ville était jusqu’alors un objet d’étude traditionnellement observé par les urbanistes, les géographes, les historiens ou les sociologues. Ces derniers ont d’ailleurs été les premiers à étudier la place tenue par les animaux dans la ville et la perception que les habitants et les pouvoirs publics pouvaient en avoir (Blanc, 2000, 2003). L’étude des écosystèmes urbains et de leur biodiversité est en plein essor (11) et les travaux, souvent interdisciplinaires (Alberti et al ., 2003), qui présentent leurs spécificités sont aujourd’hui très nombreux (Koslowky, 2008) (12). En 2001, Pickett et al . ont montré que l’originalité des écosystèmes urbains et des assemblages d’espèces que l’on peut y observer sont le résultat de fortes interactions entre les trois composantes physiques, écologiques et socio-économiques des zones urbaines. Ces interactions influent fortement sur le type de biodiversité présent (C lergeau, 1996). On peut observer des espèces animales et végétales synanthropes (13) (généralement présentes depuis longtemps dans la majorité des villes du globe), des espèces locales, souvent indigènes (voir 11 PIR « Ville et Environnement » : Programme Interdisciplinaire de Recherche du CNRS, Ministère de L’Écologie : http://www.pirve.fr/ 12 Revue dédiée à l’étude de la biodiversité et des habitats urbains : http://www.urbanhabitats.org/index.html 13 Synanthrope : espèce non domestique qui vit au contact des populations humaines. Riseo 2010-3 32 endémiques (14)), dont la présence est liée à la progression de l’urbanisation au niveau des zones rurales périphériques (Cohn, 2005) et pour finir des espèces « exotiques » de différentes provenances qui colonisent les villes suite à leur introduction, volontaire ou involontaire, due aux échanges permanents du commerce mondial. Rajoutons que la ville est un terrain particulièrement favorable pour l’implantation des espèces invasives, qui à partir de cet environnement peuvent ensuite facilement coloniser d’autres milieux (Bagouet, 2008). Les écosystèmes urbains présentent souvent des déséquilibres importants par rapport à un état « naturel », les chaines trophiques et les flux d’énergie sont fortement modifiés (Pickett et al ., 2001) de même que l’intensité et la fréquence des perturbations. L’ensemble de ces modifications peut facilement entrainer la prolifération de certaines espèces. Cette biodiversité urbaine, souvent qualifiée d’« ordinaire » (par opposition à une biodiversité « extraordinaire » que l'on peut trouver par exemple dans les forêts équatoriales ou sur les récifs coralliens), est ici présentée en donnant quelques exemples pour chaque grand groupe taxonomique. Nous évoquerons plus particulièrement les éléments macroscopiques qui la composent et nous ne ferons pas directement références aux microorganismes (bactéries, virus, champignons etc.) bien que ceux-ci fassent partie intégrante de la biodiversité ! Ce serait, d’ailleurs, une gageure de vouloir traiter de manière holistique les spécificités de la faune et de la flore urbaine en quelques lignes. B. Les végétaux 6. Paradoxalement, la biodiversité végétale est souvent plus importante dans les villes que dans les zones naturelles environnantes principalement à cause de la présence d’un patchwork d’habitats hautement hétérogènes couplé avec des introductions d’espèces exotiques d’origine anthropique (Wania et al. , 2004). Par exemple dans la ville de Genève (Suisse), 700 espèces de végétaux poussent au centre de la cité, représentant pas moins de 54% de toute la flore du canton. Les habitats colonisés et occupés peuvent être très divers, des parcs publics aux jardins pavillonnaires en passant par les terrains en friches et les pieds d’arbres d’alignements jusqu’aux toits et aux gouttières d’immeubles (Martinez 2010). La diversité des espèces indigènes peut être importante et beaucoup d’habitats urbains agissent comme des lieux de conservation pour ces espèces (Kent et al ., 1999). C’est, par exemple, le cas dans les villes méditerranéennes qui ont une forte concentration 14 Par endémique, on entend qu’une espèce vivante soit exclusivement inféodée à une aire biogéographie donnée, en général de faible étendue. Riseo 2010-3 33 d’espèces indigènes mais très peu d’espèces exotiques. Notons que dans ces villes les habitats représentés par les vieux murs, les ruines et les vestiges archéologiques, qui se trouvent souvent en secteurs péri-urbains, présentent une biodiversité floristiques importantes parce qu’ils sont liées avec les zones naturelles périphériques (Grapow et al ., 1998). Ces espèces indigènes persistent suite au processus d’urbanisation. Par exemple, dans le nord-est du Brésil dans la ville de São Luís (état de Maranhão), Kehinde Akinnifesi et al ., (2010) ont relevé la présence dans les jardins urbains d’un grand nombre de végétaux indigènes. 186 espèces appartenant à 68 familles ont été observées, 63 espèces d’arbres fruitiers représentant 34 % de toutes les espèces d’arbres ont été identifiées et, parmi celles-ci, le nombre d’espèces originaires du Brésil représentaient 58 % du total, un chiffre significativement supérieur à celui des exotiques. Beaucoup de ces espèces (60 %) étaient indigènes (sauvages et semi-sauvages domestiquées), tandis que les autres étaient exotiques (40 %). Cette diversité des espèces indigènes est aussi attribuée à la grande hétérogénéité dans les types de sols présents avant l’urbanisation qui a permis leur maintien (Kühn et al ., 2004). Bien que la biodiversité végétale urbaine soit représentée par une large fraction de la flore indigène régionale, on observe une tendance à l’homogénéisation des communautés au fil des années dans les villes. La variation floristique est corrélée avec les processus d’urbanisation et l’évolution historique de la structure urbaine, la grande majorité des sites urbains incluent au fil des années une plus grande proportion d’espèces exotiques qu’indigènes (Angol d et al ., 2006). Notons qu’au cours du temps, les modes d’usage des sols urbains remplacent les influences géomorphologiques originelles dans l’explication des variations spatiales dans la diversité de plantes. De ce fait, la biodiversité floristique tend à être assez uniforme entre les villes et beaucoup de ces communautés végétales sont artificielles, contrôlées directement par l’homme. Hope et al ., (2003) ont montré que leur diversité reflète, en grande partie, les influences sociales, économiques et culturelles en plus de celles reconnues par les théories de l’écologie traditionnelle (climats, sols etc.). Leurs conclusions démontraient qu’il y avait une relation fonctionnelle entre le niveau social des quartiers et la diversité floristiques dans les écosystèmes urbains. La richesse des foyers influait fortement sur la taille des jardins et les types et le nombre d’essences végétales plantées. De plus, il faut souligner que les villes sont aussi des zones qui « exportent » beaucoup d’espèces végétales, souvent invasives, vers les zones naturelles périphériques, ce qui provoque une homogénéisation de plus en plus sensible des assemblages de végétaux entre les zones urbaines et rurales (Schwartz et al. , 2006). Les axes routiers représentent des corridors efficaces pour la dispersion des semences vers les Riseo 2010-3 34 zones rurales (Von der Lippe et al ., 2008). Des organismes comme les lichens (algue et champignon), les bryophytes et les champignons sont aussi présents mais, nous ne les évoquerons pas ici. C. Mammifères et Oiseaux 7. Dans beaucoup de villes, au-delà des espèces « classiques » de mammifères et d'oiseaux que l’on peut rencontrer (rats, chats, chiens, pigeons ou moineaux...), une faune sauvage originaire des zones rurales périphériques a gagné les secteurs péri-urbains voire de plus en plus souvent les centres villes. Les renards, les sangliers, les putois, les ratons laveurs pour ne citer qu’eux, les étourneaux et les goélands pour les oiseaux, sont aujourd’hui les visiteurs réguliers des banlieues et des centres villes européens. Les rapaces peuvent aussi fréquenter l'hyper-centre des grandes métropoles. En 2005, 29 couples de Faucons crécerelles (Falco tinnunculus) nichaient en même temps à Paris (15), certains ayant d’ailleurs choisi les façades de la cathédrale Notre Dame de Paris pour s’installer. Des cas similaires ont été observés sur les buildings du quartier de Manhattan à New-York (U.S.A) où 7 couples de Faucon pèlerin (Falco peregrinus) nichaient en même temps en 2006 (Decan dido et al ., 2006). Dans une région comme l’Alsace, les cigognes blanches (Ciconia ciconia), sont les espèces urbaines les plus emblématiques parmi tous les oiseaux migrateurs qui séjournent ponctuellement dans les villes, alors qu’en Afrique du Sud dans la région du Cap ce sont les manchots du Cap (Spheniscus demersus) qui n’hésitent pas à pénétrer dans les centres-villes jusqu’aux abords des maisons. Des espèces d’oiseaux exotiques ont aussi élu domicile dans les zones urbaines, c’est le cas avec la famille des Psittacidae (16) dont plusieurs espèces ont formé des colonies semi-sauvages dans des villes d’Europe après s’être échappées de maisons particulières ou de jardins zoologiques, la grande perruche à collier (Psittacula krameri) est surement la plus célèbre d’entre elles. Malgré cette étonnante diversité, des espèces, autrefois communes comme les moineaux, ont vu leurs populations grandement diminuer, voire disparaître des villes, ces dernières années, sans que les causes exactes n’aient pu être encore établies (Robinson et al ., 2005 ; Shaw et al ., 2008). Notons aussi la présence dans bon nombre de villes d’importantes populations de chauves-souris, habitantes discrètes à l’activité nocturne souvent 15 Centre Ornithologique d’Ile de France : http://www.corif.net/site/ Psittacidae : famille d’oiseaux qui regroupe des espèces connues sous les noms de perroquets, perruches, palettes, inséparables. 16 Riseo 2010-3 35 insoupçonnée, qui occupent les tunnels et les structures urbaines désaffectées leur servant de lieux de repos et de reproduction. Si les grands prédateurs sont relativement absents de la faune urbaine du vieux continent, certaines villes d’Amérique ou d’Asie doivent, de plus en plus, faire face à la présence de grands carnivores ou herbivores sauvages indigènes. Les ours (Beckman et al. , 2003), les coyotes (Grubbs et al ., 2009), les pumas (Gehrt et al ., 2009) ou les élans fréquentent régulièrement les banlieues des agglomérations canadiennes ou du nord des États-Unis, principalement attirés par les ressources alimentaires disponibles dans les dépôts d’ordures. Ces situations provoquent des problèmes de cohabitations et de conflits, de plus en plus nombreux, avec les populations locales. Nous conseillerons aux lecteurs de se reporter à l’ouvrage récent de Gehrt et al ., (2010) intitulé « Urban carnivores » qui présente, de manière complète, les spécificités de la faune des carnivores des zones urbaines ainsi que les problèmes liées à leur conservation. D. La faune herpétologique ( 17) 8. Les populations de reptiles et d’amphibiens, en zones urbaines, sont principalement constituées par des espèces autochtones qui survivent dans les habitats laissés intacts par l’urbanisation. Ce sont les populations des espèces aquatiques qui sont les plus menacées d’extinction du fait de l’assèchement et de la pollution des cours d’eau et des zones humides (De Lathouder et al ., 2009). Malgré les pressions liées à l’urbanisation, la diversité des espèces indigènes rencontrées peut être particulièrement élevée : c’est le cas dans la région de Porto (nord du Portugal) où 15 espèces d’amphibiens et 20 espèces de reptiles ont été pu être observées (Ribeiro et al ., 2010), ces valeurs représentent respectivement 88 % et 77 % des espèces présentes dans le pays. Ces espèces cohabitent souvent avec des espèces invasives comme la tortue de Floride (Trachemys scripta elegans), originaire du sud des Etats-Unis, qui est devenue un occupant habituel des plans d’eau urbains et périurbains. Ces espèces exotiques représentent, d’ailleurs, un danger important pour la survie des populations indigènes (Spinks et al ., 2003). Bien que l’on ne puisse pas parler d’espèces synanthropes chez les reptiles et les amphibiens, nous pouvons citer le très commun gecko ou « tarente » (Tarentola mauritanica), petit lézard nocturne qui s’aventure volontiers dans les habitations en régions méditerranéenne (même en centre ville) à la recherches d’insectes attirés par la lumière émise par les lampadaires et les fenêtres. A cette faune, peuvent 17 Herpétologie : branche de l'histoire naturelle qui a pour objet d’étude les reptiles et les amphibiens. Riseo 2010-3 36 s’ajouter de manière sporadique, des espèces plus impressionnantes comme des serpents exotiques de grandes tailles, voire des crocodiles, ayant réussi à fausser compagnie à leur propriétaire ou bien relâchés, de manière indélicate, dès que leur taille devient trop imposante et dont les médias se font régulièrement l’écho (phénomène qui n’a pas manqué de provoquer la naissance des légendes urbaines comme celle qui avait laissé entendre qu’une population de crocodiles albinos survivait dans les égouts de la ville de NewYork…). Pour des informations plus détaillés, le lecteur pourra consulter l’ouvrage récent de Mitchell et al., (2008) intitulé « Urban herpetology » qui présente les spécificités de la faune herpétologique des zones urbaines. E. La faune entomologique (18) 9. Les insectes sont les être vivants les plus présents et les plus abondants au sein des écosystèmes urbains. Ils sont classiquement représentés par des espèces synanthropes comme: les blattes, les puces, les tiques, les poux, les mouches et moustiques, les mites, les termites, les fourmis etc… (Jolivet, 1980 ; Frankie et al ., 1978). Ils vivent à proximité des sociétés humaines depuis des milliers d’années (Robinson, 1996). C’est le cas de la punaise des lits (Cimex lectularius), insecte hétéroptère hématophage (qui se nourrit de sang) nocturne qui n’attaque que les hommes (Berenger et al ., 2008). Cette punaise, qui vit sous les matelas et dans les parquets, provoque des piqûres douloureuses lors de ses repas de sang sur les membres des victimes endormies (cf. paragraphe 14.). Les habitats urbains peuvent aussi héberger une grande variété d’espèces « sauvages ». C’est le cas des insectes lépidoptères (papillons) qui présentent souvent une diversité importante dans les parcs, les espaces verts ou les jardins qu’ils colonisent, même dans de grandes métropoles comme Rome (Zapparoli, 1997) ou New-York (Matteson et al ., 2010). On observe aussi d’importantes populations d’abeilles dont certaines appartiennent à des ruches installées sur les toits d’immeubles comme dans certains quartiers de Paris. Ces populations d'insectes sont souvent en meilleure santé que celles des zones rurales qui subissent l’impact des pesticides. Des habitats spécifiques ont aussi été utilisés d’une manière inattendu par certaines espèces (les tunnels du métro parisien ont été colonisés par les célèbres grillons domestiques (19) qui ont habilement profité de l’obscurité et de la tiédeur offertes par les tunnels chauffés (Cousteaux et al ., 2003)). Très récemment, 18 19 Entomologie: branche de l'histoire naturelle qui a pour objet d’étude les insectes. Grillon : insecte orthoptère de la famille des Gryllidae. Riseo 2010-3 37 Pećarevi ć et al ., (2010) ont découvert que les colonies de fourmis établies sur les platebandes d’une des avenues les plus fréquentées au monde, Broadway dans la ville de New-York présentaient une diversité spécifique importante. Ces assemblages d’insectes vont être complétés par des espèces exotiques. Citons, par exemple, la minuscule guêpe de Compère (Comperia merceti) qui parasite et élimine avec efficacité les blattes des meubles (Supella longipalpa) dans les habitations (Maughan, 2010). Cette espèce tropicale probablement originaire de l’Ouganda a été citée, pour la première fois en France, à la fin des années 1980. Ce sont surement les insectes qui présentent le plus de nuisances au sein de l’environnement urbain. Les déséquilibres des écosystèmes urbains profitent à certaines espèces qui en augmentant leur population peuvent devenir nuisibles (Samways, 1996). Rappelons que dans les pays de la zone intertropicale, cette biodiversité entomologique, qui est déjà naturellement plus importante, a un développement favorisé par des conditions climatiques particulières (humidité et chaleur). La présence de cette biodiversité, de plus en plus visible et diversifiée dans les villes, même si elle n’est pas nouvelle, n’est pas sans provoquer des nuisances chroniques voir des risques plus ou moins graves pour les populations. Certaines sont inoffensives ou ne provoquent que des gênes mineures alors que d’autres sont vectrices de maladies et peuvent entrainer de graves problèmes sanitaires. Pour la majorité de ces espèces, lorsque leurs populations se maintiennent à de faibles effectifs elles sont, la plupart du temps, presque invisibles et nous ne nous apercevons même pas de leur présence, mais, en cas de pullulation des mesures de contrôle strictes sont souvent nécessaires. II. Nuisance et risques engendrés par l a présence de cet te biodi versité dans les villes 10. Dès l’émergence des sociétés urbaines, la biodiversité, sous différentes formes, a été présente dans les villes (A). Celle-ci peut provoquer de simples nuisances mais aussi induire des risques sanitaires importants (B). Du fait de la progression constante de l’urbanisation des questions se posent quant à l’accentuation de ces problèmes (C). A. Quelques rappels historiques 11. De manière générale dans l’histoire des civilisations, un des rôles des villes a été la protection contre les diverses menaces de la nature. Mais, depuis l’émergence des sociétés Riseo 2010-3 38 urbaines, et malgré ce que l’on pourrait penser, la biodiversité, sous différentes formes, a toujours été présente dans les agglomérations. En ce qui concerne l’Antiquité, aussi bien en Grèce (Sallares, 1991) qu’en Égypte, la faune sauvage, ainsi que les animaux errants ou d’élevage, étaient déjà des sources de nuisances qu’il fallait contrôler. Nous pouvons citer le cas des villes Égyptiennes et de leurs zones agricoles périphériques situées en bordure du Nil, qui lors des crues du fleuve, étaient régulièrement visitées par la grande faune amphibie, hippopotames et crocodiles, qui engendraient de gros dangers pour la sécurité les populations (Posener et al. , 1959). Devant les risques majeurs que représentaient ces animaux pour les habitants, leur chasse était activement pratiquée. Cependant, on ne sait pas si un corps de fonctionnaires était spécialement chargé de cette activité (C. Chadefeaud, com. pers., 2010). La période médiévale est très richement documentée en ce qui concerne les cas de nuisances et de risques provoqués par une biodiversité urbaine très présente à cette époque mais aussi en ce qui concerne les législations mises en place par les municipalités pour contrôler les populations d’animaux domestiques ou d’élevages qui divaguaient souvent en liberté dans les villes, de manière à limiter les accidents. L’historien médiéviste Jean-Pierre Leguay (2005) résume de manière synthétique la présence des parasites dans les habitations et des animaux dans les villes : « Les maisons médiévales, des taudis aux plus aisées, sont remplies de vers, de chenilles, et autres bestioles attirés par l’eau stagnante, les déjections, la pourriture. Il y a profusion de moustiques, de puces, de poux, de cafards, de morpions, de charançons, de chenilles processionnaires…, de scorpions dans le Midi et en Corse, et de micro-organismes parasitaires. Les hannetons signalés à Paris en 1405 et en 1499, les essaims de mouches, de moustiques pullulent, colonisent les maisons, recherchent les moindres recoins pour se reproduire, nuisent à la santé, propagent diverses maladies dont le paludisme et la malaria. La crainte des bêtes venimeuses, la lutte contre de tels agresseurs ont amené parfois les humains à utiliser bien malencontreusement des tisons, responsables d’incendies […]. Les animaux familiers mais livrés à eux-mêmes s’avèrent à leur tour extrêmement dangereux […]. Des bandes de chiens errants écument à ce point les villes qu’il a fallu dans certaines créer un emploi salarié de tue-chien ou tuekin dans le nord. A Douai, il arrive qu’on extermine une centaine d’animaux par mois dont les cadavres trainent dans les rues aux risques de propager des maladies redoutables […]. Même les animaux courants, élevés à une trop grande échelle, peuvent devenir des fléaux : les porcs qui servent d’éboueurs sont menacés par une législation qui aimerait en réduire le nombre (statuts des métiers bretons) sous prétexte qu’ils souillent les pavés, sont responsables de la transmission de maladies et peuvent causer des accidents […]. ». Le même auteur Riseo 2010-3 39 (Leguay, 1999) à propos de l’élevage des animaux intra-muros souligne : « A force de prendre de l’ampleur, l’élevage en liberté fait courir de gros risques à l’environnement, non seulement par la transmission de maladies méconnues à cette époque, mais aussi par des accidents qu’il provoque. Les archives se font l’écho de procès mettant en scène… des porcs inculpés de « murdryr » des enfants, emprisonnés (Douai), condamnés et exécutés pour leurs « desmérites. Il faut donc, un moment donné, sévir contre les porcs et les volailles. On peut interdire purement et simplement leur présence en ville, même cantonnée dans des soues (Blois, Bruxelles dès 1380, Millau, Châlons-sur-Marne en 1467) […]. Ailleurs encore, on ne tolère en ville que les animaux jeunes et châtrés destinés à la boucherie immédiate». En outre, il faut souligner que les jardins, les terrains agricoles, les cours d’eau et les espaces « vides » tenaient une place à part entière dans les cités du Moyen Âge qui n’étaient pas, comme pourrait le laisser croire l’imagerie populaire, des vaisseaux de pierre imperméables à une nature environnante et hostile (Leguay, 2009). B. Des simples nuisances chroniques aux risques sanitaires majeurs 12. Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, la biodiversité urbaine peut-être responsable par sa présence ou son activité d’un certain nombre de nuisances ponctuelles ou chroniques voire de risques. Mais, alors que ces problèmes, comme nous venons de le voir, font partie intégrante de la dynamique des cités depuis leur origine, ils ont été paradoxalement presque totalement oublié dans les études actuelles en écologie urbaine ; les seuls travaux relatifs aux risques ne proviennent presque que du monde médical et concernent uniquement l'épidémiologie (allergies et maladies infectieuses). En 2008, on doit à Lyytimäki et al ., une des rares, si ce n’est la seule, réflexion globale sur la notion de nuisance en écologie urbaine. Les auteurs ont choisis de diviser en quatre catégories l’ensemble des problèmes que la biodiversité peut poser à la dynamique urbaine : les problèmes esthétiques, de sécurité, sanitaires, économiques et de déplacement (Tableau 1.) ; ils les regroupent sous le terme de « disservices » des écosystèmes (en opposition aux « services rendus par les écosystèmes », Bolund et al ., 1999). Bien que les types et l’amplitude des problèmes environnementaux puissent être différents dans les villes en fonction des zones géographiques et climatiques considérées (les régions tropicales possèdent un climat propice à la prolifération de certaines espèces) nous proposons quelques exemples internationaux pour illustrer plus particulièrement les problèmes sanitaires et de sécurité les plus préoccupants. Riseo 2010-3 40 Problèmes esthétiqu es • Les zones qui ne sont pas gérées de manière régulière sont souvent considérées comme inesthétiques (les parcs avec présence de mauvaises herbes ou d’une végétation trop dense, les friches ou les décharges). • Certains sons, odeurs, ou comportements provenant d’animaux ou de végétaux peuvent irriter les habitants, plus spécialement les fientes d'oiseaux et les fèces de chiens qui sont considérés comme un problème d'hygiène. • Des espèces telles que les renards et les sangliers mais aussi les oiseaux peuvent dégrader et salir certains secteurs des villes lorsqu'ils fouillent les poubelles à la recherche de nourriture. Problèmes de sécurité • Les zones qui sont peu gérées et qui présentent une biodiversité importante sont souvent peu sure, principalement la nuit. • Une végétation trop dense dans les parcs et les espaces verts peut augmenter l’insécurité. • Les animaux sauvages ou semi-sauvages comme les chauves-souris, les rats, les renards, ou les cerfs présents dans les très grands parcs peuvent provoquer un sentiment de peur, augmenter l'anxiété et provoquer une gêne importante. Problèmes sanitaires • Les végétaux peuvent causer des réactions allergiques ou des intoxications (pollens d'ambroisie de cyprès, de platane, etc.). • Certaines espèces animales peuvent être des vecteurs de maladies (rage, grippe aviaire, malaria, dengue, chikungunya etc.). Problèmes écon omiques • Le maintien d'espaces verts empêche les bénéfices liés à la vente et à l’exploitation des terrains. • Les marchés économiques et les exploitations liés aux ressources offertes par une biodiversité riche n'existent souvent pas ou ils sont localisés dans des secteurs différents. • Les dommages peuvent être causés aux structures (immeubles, ponts, chaussées etc.) par la décomposition du bois par l’activité microbienne, la présence de racines qui Riseo 2010-3 41 endommagent les chaussées, les excréments d’oiseaux qui accélèrent la corrosion ou bien les animaux fouisseurs qui creusent des terriers. • L’élimination de certaines espèces représente un coût financier (mauvaises herbes, nids de guêpes, oiseaux qui nichent dans de mauvais endroits, espèces invasives etc.). La présence d’espèces protégées peut limiter l’usage économique de certains secteurs urbains . • La plantation, l’entretien et l’élimination de la végétation provoque des coûts financiers substantiels. Les espèces nuisibles peuvent endommager cette végétation et causer des pertes économiques (animaux herbivores, parasites, champignons etc.). Problèmes de dépl acem ent • Les espaces verts ou les plans d’eau de grande dimension peuvent être des obstacles et limiter l’efficacité des transports urbains. • Si les alignements d’arbres le long des routes peuvent favoriser la sécurité routière en induisant une diminution de la vitesse, une végétation trop dense peut aussi limiter la visibilité et augmenter le risque d’accident. Les feuilles qui tombent des arbres peuvent provoquer une augmentation des distances de freinage pour les véhicules. Tableau 1. Principales nuisances et risques qui peuvent être liés à la biodiversité en zone urbaine (reproduit et modifié d’après Lyytimäki et al ., 2008). 13. La transmission de zoonoses (20) de l’animal à l’homme reste le problème le plus préoccupant en zones urbaines. Si historiquement, les oiseaux et les micro-mammifères (rats par exemple) sont considérés comme les principaux vecteurs de maladies dans les villes, ils ne sont pas tous porteurs du mêmes nombre d’agents pathogènes : par exemple le pigeon domestique (Columba livia domestica) véhicule avec lui beaucoup plus de pathogènes que l’étourneau sansonnet (Sturnus vugaris) qui utilise massivement les arbres et les haies des villes comme dortoirs depuis une trentaine d’années (Guiguen et al ., 1997; Clergeau et al ., 1997). D’autres espèces d’oiseaux posent aussi des problèmes sanitaires c’est le cas des goélands dont plusieurs espèces colonisent de plus en plus les zones urbaines proches du littoral (Cadiou et al. , 1997; Duhem, 2004). En 2009, Bonnedahl et al ., ont montré que certaines populations péri-urbaines de goéland leucophée (Larus michahellis), qui évoluent entre la Camargue et la ville de Marseille et qui viennent se nourrir dans les 20 Zoonose: infection naturellement transmissible de l'animal à l'homme et vice versa. Elle peut être causée par divers agents biologiques (virus, bactéries, champignons...). Riseo 2010-3 42 poubelles et les décharges publiques (Defos du Rau et al ., 1997), pouvaient être de potentiels « réservoirs environnementaux » pour des souches de bactéries fécales Escherichia coli (d’origine humaine) qui présentent de fortes résistances à plusieurs antibiotiques; les risques de réinfection pour les hommes étant très importants. Des virus émergents comme le West Nile (21) commencent aussi à poser des problèmes de santé dans certaines villes de la planète. Ce virus, qui a pour hôtes principaux les oiseaux et qui est transmis par l’intermédiaire de moustiques vecteurs du genre Culex, a migré de son foyer d’origine en Afrique de l’est pour gagner d’autres régions du monde et en particulier l’Amérique du Nord (Chastel, 2002). Bien qu’il infecte principalement les oiseaux il peut aussi contaminer des mammifères, dont l’homme, qui n’est qu’un hôte accidentel. Aux Etats-Unis, le premier cas de contamination humaine a été enregistré en 1999 dans la ville de New York qui depuis en compte régulièrement de nouveaux (22). Présent aujourd’hui dans 38 états américains le virus à contaminé 720 personnes en 2009 pour 386 décès, c’est un souci majeur pour les autorités sanitaires (23). Dans la ville d’Atlanta (U.S.A), Bradley et al ., (2008) ont montré que chez une espèce hôte, le Cardinal rouge (Cardinalis cardinalis ), le pourcentage d’individus contaminés par le West Nile était nettement supérieur en centre ville ce qui pouvait augmenter les risques de contamination pour les habitants. En ce qui concerne les mammifères, si le rat (Rattus rattus) est bien connu en Europe pour transmettre le bacille de la peste Yersinia pestis, (grâce à la puce du rat qui est l’hôte intermédiaire), la souris à pattes blanches (Peromyscus leucopus), micro-mammifère granivore d'Amérique du Nord, est l’espèce qui, suite à sa prolifération, représente le plus grand « réservoir » pour la transmission de la maladie émergente de Lyme (24) (grâce à la tique Ixodes ricinus qui la parasite), dans les zones boisées des alentours de la ville de New- 21 Virus West Nile: (fièvre du Nil occidental) : virus transmis par des moustiques vecteurs, et en particulier ceux du genre Culex. Les principaux hôtes sont les oiseaux, qu'ils soient sauvages ou domestiques (canards, pigeons...), car ils jouent un rôle crucial dans la dissémination de ce virus. Les oiseaux migrateurs permettent notamment le passage du virus de l'Afrique aux zones tempérées d'Europe et d'Asie au printemps. Une fois arrivés, les moustiques locaux s'infectent lorsqu'ils piquent ces oiseaux pour leur repas de sang, disséminant sur d'autres oiseaux sains le virus et perpétuant le cycle moustiques/oiseaux essentiel à la circulation du virus. Les mammifères (bétail, chiens, chats, chevaux, humains...) sont quant à eux considérés comme des hôtes accidentels du virus. 22 Article du New York Times: http://www.nytimes.com/2010/08/07/nyregion/07nile.html 23 Rapport 2009 sur la progression du virus du West Nile (USA, CDC) : http://www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/mm5925a1.htm 24 Maladie de Lyme (Borréliose de Lyme) : infection bactérienne, répandue mondialement (quelques milliers de cas par an en France), transmise à l’homme par piqûre de tiques. La bactérie responsable est un spirochète c’est à dire une bactérie de forme hélicoïdale du genre Borrelia. Les activités conduisant à des contacts avec les tiques représentent le principal facteur de risque de survenue de la maladie : travaux agricoles, promenades en forêt. Le réservoir de germes est très vaste : tiques, mammifères domestiques (chiens, chevaux, bétail) et sauvages (écureuils, cerfs, mulots, campagnols). Riseo 2010-3 43 York (Steere, 1994 ; Cohn, 2005). Les tiques (25), actuellement en recrudescence, sont considérées comme les seuls vecteurs de la maladie de Lyme mais aussi comme les principaux vecteurs de maladies humaines en Europe (Parola, 2004 ; Randolph, 2004). Quant au renard roux (Vulpes vulpes), qui est aujourd’hui très présent dans les villes Européennes, il est le principal vecteur de l’échinococcose alvéolaire (26). Cette maladie infectieuse qui touche l’homme, progresse en Europe et peut être un réelle danger pour les populations urbaines car des animaux domestiques comme les chiens ou les chats peuvent être aussi contaminés et transmettre alors la maladie (Deplazes et al ., 2004). Schweiger et al ., (2007) ont d’ailleurs attribué le doublement des cas détectés d’échinococcose alvéolaire en Suisse, entre 2001 et 2005, à la multiplication par quatre du nombre de renards dans ce pays entre 1980 et 1995 (le délai étant dû au temps de latence de la maladie). 14. Indépendamment des risques infectieux la biodiversité urbaine peut provoquer une multitude de nuisances et des conflits, liés à la présence et la prolifération d’espèces synantropiques ou sauvages. Notons que si les conflits spécifiques entre l’homme et les grands mammifères carnivores ou herbivores (« human-wildlife conflicts ») sont connus et ont déjà été étudiés de manière détaillée dans les zones rurales de plusieurs régions de la planète (Distefano, 2005), ils ont tendance à se multiplier dans les zones péri-urbaines ou urbaines principalement à cause de la réduction drastique de la surface des habitats naturels disponibles et des proies habituellement consommées (cf. paragraphe 20.). Ces espèces, quant elles viennent à être présentes, entrainent souvent des problèmes sanitaires et de sécurité et provoquent souvent des déprédations importantes à proximité des habitations (Beier, 1991; De Broadfoot et al ., 2001; Destefano et al ., 2005). Des espèces d’oiseaux comme les étourneaux ou les goélands précédemment citées provoquent aussi des conflits directs avec les habitants du fait des nuisances qu’ils provoquent, en particuliers le bruit et l’agressivité de certains spécimens mais surtout la production d’un volume considérable de fientes quand ils se rassemblent en grand nombre (Clergeau et al ., 1996; Gram aglia, 2010). Dans le cas des insectes, des espèces synanthropes comme le minuscule scléroderme domestique (1-2 mm de long), de la famille des hyménoptères, peut 25 Tique : acarien ectoparasite de la classe des arachnides et de l’embranchement des arthropodes. Echinococcose alvéolaire : maladie parasitaire due au développement dans le foie de la larve d'un petit ver (Echinococcus multilocularis) qui fait intervenir des hôtes intermédiaires (rongeurs, petits lagomorphes) et définitifs (des carnivores comme le renard mais aussi les chiens et chats). Ces derniers sont susceptibles de transmettre la maladie à l’homme, par l’intermédiaire de leurs fèces contaminées. 26 Riseo 2010-3 44 provoquer des piqûres douloureuses quant il est présent dans les habitations, principalement dans les lits (Suzzoni-Blatger, 2003). Il peut pulluler de manière ponctuelle, principalement quand son hôte habituel, un insecte xylophage (qui se nourrit de bois), est très abondant. Nous pouvons aussi citer des espèces invasives comme le frelon asiatique (Vespa velutina) qui poursuit son expansion en France depuis sa probable introduction en 2004 (27). Ce gros insecte hyménoptère qui mesure plusieurs centimètres de long confectionne, sous les toits ou dans les arbres, des nids dont la taille peut dépasser un mètre de diamètre (28). Bien que sa piqûre ne soit pas plus dangereuse que celles des autres frelons, et mis à part les problèmes écologiques avec les espèces indigènes, c’est par la peur qu’il suscite auprès des habitants ainsi que par les coûts d’enlèvement et de destruction des nids qu’il représente une nuisance (Villemant et al ., 2006). D’autres espèces invasives d’insectes peuvent être une source indirecte de problèmes, c’est le cas du « Brun du pélargonium », petit papillon originaire d’Amérique du Sud, dont les larves minent impitoyablement les tiges des pélargoniums et des géraniums dans les régions méridionales de l’Europe (Tiberghien et al ., 2003). Quant au gros charançon d’Asie du sud-est, Rhynchophorus ferrugineus, sa larve ravage depuis 2006 les palmiers d’ornement des villes de la Côte d’Azur (Fraval, 2007). Les insectes provoquent aussi des dégâts dans les denrées alimentaires mais d’une manière moins sensible dans les villes que dans les secteurs agricoles. En ce qui concerne la végétation, les principales nuisances dans les villes sont liées aux risques allergiques dus aux pollens. Ceux de plantes herbacées telle que l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia, plante invasive de la famille des Asteraceae) (29) ou bien d’arbres comme les cyprès, les thuyas et de manière moins connue du platane à feuille d’érable dans le sud de la France représentent un réel souci de santé publique (Dumon et al ., 2005). Pour les plantes herbacées qualifiées subjectivement de « mauvaises herbes », Benvenuti (2004) donne deux raisons supplémentaires aux problèmes sanitaires pour lesquelles ces végétaux sont considérés comme nuisibles dans les villes : le coté inesthétique et les possibles dommages causés aux biens. Pour la végétation arborée, des désagréments chroniques comme les chutes de feuilles ou de fruits doivent aussi être pris en compte mais sont moins problématiques que ceux provoquées par les branches ou les troncs entiers (Lohr et al ., 2004). D’autres formes de risques, liées principalement à une végétation 27 Page d’information du Muséum National d’Histoire Naturelle : http://inpn.mnhn.fr/isb/infos/fr/articles2008.jsp 28 Article de la Dépêche: http://www.ladepeche.fr/article/2010/11/06/942491-L-incroyable-nid-de-frelons.html 29 Site national d’information sur l’ambroisie: http://www.ambroisie.info/ Riseo 2010-3 45 urbaine trop abondante doivent aussi être évoquées : il s’agit en particulier de l’insécurité provoquée par une végétation trop fournie qui crée des zones d’ombres ou par des alignements d’arbres trop proches pour que la visibilité des transports soit optimale. Cet aspect doit être particulièrement retenu dans les villes ou les quartiers qui présentent des problèmes d’insécurité. C. Vers une possible accentuation des problèmes en zone urbaine? 15. Comme nous l’avons dit dans l’introduction, la progression de l’urbanisation est un problème mondial et l’augmentation rapide de la population des villes avec des conditions de vie et d’hygiène souvent précaires (déchets, problèmes d’adduction d’eau et d’évacuation des effluents) peut amplifier certains risques sanitaires mais aussi les nuisances engendrées par la biodiversité présente (Knudsen et al ., 1992; Gratz, 1999). En ce qui concerne les maladies infectieuses, le rôle des villes est bien connu pour favoriser leur diffusion mais on connait encore peu de choses à propos de l’influence de l’urbanisation sur les interactions entre les agents pathogènes et la faune sauvage. Beaucoup de questions se posent sur la manière dont les paysages urbains peuvent altérer la biologie des hôtes, des agents pathogènes et des vecteurs (Bradley et al., 2007). De même, beaucoup de questions se posent en ce qui concerne l'influence des changements climatiques sur le risque d'émergence de maladies vectorielles, en particulier sur les parasites et les agents vecteurs de pathogènes (Duvallet, 2006). Certains arthropodes (30) représentent un danger pour la santé, parce qu'ils véhiculent des agents pathogènes, ou parce qu'ils sont hématophages. Les maladies induites sont connues essentiellement dans la zone inter-tropicale, mais certaines d'entre elles ont déjà été observées dans les régions tempérées. On évoque les possibilités de phénomènes de « remontés biologiques » et d’implantation en régions tempérées d’espèces tropicales. On peut supposer que le réchauffement climatique aura des répercussions sur la distribution latitudinale et altitudinale des vecteurs ainsi que sur leur période d'activité au cours de l'année, leur longévité et leur densité, mais aussi sur la durée d'incubation des agents pathogènes. De manière spécifique, des hivers plus doux et humides dans les centres urbains (phénomène de Urban Heat Island (31)) peuvent augmenter les chances de survie, 30 Arthropode (littéralement pieds articulés) : embranchement d'animaux invertébrés qui comprend entre autres les insectes, les crustacés, les arachnides et les myriapodes. 31 Urban Heat Island: zone urbaine qui est significativement plus chaude que les zones rurales qui l’entourent. La différence de température est habituellement plus importante la nuit que pendant la journée, et est plus sensible quand les vents sont faibles. Riseo 2010-3 46 le taux de reproduction et l’activité des arthropodes vecteurs de maladies. Dans la ville suédoise de Stockholm, de telles conditions ont provoqué le rallongement de la période d’activité de la tique Ixodes ricinus provoquant une augmentation des cas de méningoencéphalite à tiques (MET) (32) transmise par cette espèce chez les hommes et les micromammifères (Lindgren et al ., 2001). On peut aussi citer le cas du moustique Aedes albopictus vecteur du Chikungunya récemment implanté en France, l’épidémie de virus West Nile aux USA et en France mais aussi la fièvre catarrhale du mouton en Corse, transmise par des insectes diptères piqueurs du genre Culicoides, et enfin celui des maladies transmises par les tiques (Chastel, 2002). 16. Parmi, l’ensemble des représentants de la biodiversité urbaine ce sont sûrement les insectes qui offrent le plus de sources d’inquiétudes avec une recrudescence de beaucoup d’espèces synanthropes (Bonnefoy et al . 2008). Un des cas les plus marquants est celui des punaises de lit que nous avons évoqué plus haut. En effet, la recrudescence mondiale de ces insectes dans les habitations et les lieux publics (33) (34) commence à devenir un problème sanitaire préoccupant, même s’il n’y a pas encore de cas avéré de transmission de maladie (Boase, 2001; Hwang et al ., 2005; Doggett et al ., 2004). Cet arthropode urbain très discret en France depuis la seconde guerre mondiale, suite à l’emploi massif d’insecticides rémanents comme le DDT (35), a vu ses populations exploser depuis environ une décennie. En Angleterre et spécialement à Londres, la situation est alarmante depuis l’an 2000, les cas d’infestations s’accroissent d’environ 25 % par an; dans certains quartiers, les équipes municipales de désinsectisation interviennent plus de 2000 fois par an (Berenger et al ., 2008)! L’évolution des agents chimiques employés, les phénomènes de résistances aux insecticides des populations d’arthropodes mais aussi l’évolution des techniques de construction rapides dans le bâtiment (utilisation de cubes préfabriqués qui laissent des vides sanitaires) pour certains édifices comme les hôtels sont parmi les causes 32 Méningo-Encéphalite à Tiques (MET): maladie infectieuse d’origine virale due à un arbovirus de la famille de Flaviviridae affectant le système nerveux central et transmise à l’homme par morsure de tiques. 33 Article de la Dépêche : http://www.ladepeche.fr/article/2010/10/12/925358-Des-punaises-plein-noslits.html 34 Article du Point : http://www.lepoint.fr/monde/les-new-yorkais-ne-dorment-plus-sus-aux-punaises-de-lit31-07-2010-1220914_24.php 35 DDT : premier insecticide moderne, développé au début de la Seconde Guerre mondiale. Il fut utilisé avec beaucoup de succès aussi bien militairement que civilement dans la lutte contre les moustiques transmettant le paludisme, le typhus, ainsi que d'autres insectes vecteurs de maladies, et également comme insecticide agricole. Au vu de sa grande toxicité pour l’environnement, il commença à être interdit progressivement à partir des années 1970 dans la majorité des pays du Nord. Son utilisation persiste dans certains pays tropicaux. Riseo 2010-3 47 probables (Kells, 2006; Romero et al ., 2007). Le phénomène est d’ailleurs si important qu’une conférence internationale a eu lieu en septembre 2010 dans la ville de Chicago (U.S.A), pour faire un bilan sur la progression des infestations et évoquer les éventuelles possibilités d’élimination… aujourd’hui bien hypothétiques (36). Toujours au sujet des insectes, il faut aussi citer un parasite comme la chenille processionnaire du pin (37). Cette espèce lorsqu’elle est dérangée ou en cas de contact projette de minuscules soies urticantes ; sa pullulation certaines années, principalement en France le long du littoral Atlantique (38) provoque des désagréments non seulement dans les zones de sylvicultures mais aussi directement dans les villes quant elle vient à occuper les pins des espaces verts. Le contrôle et l’éradication de cette espèce est un souci majeur pour beaucoup de municipalités françaises. Les espèces invasives exotiques et leur progression posent également des problèmes dans plusieurs régions du monde. Actuellement, la célèbre et très agressive fourmi de feu (Solenopsis invicta), originaire d’Amérique du Sud, qui a colonisé tout le sud des États-Unis après son importation accidentelle dans les années 1930, pose de véritables problèmes sanitaires dans les zones urbaines ou elle s’installe, tant pour les hommes que pour les animaux familiers (voire pour les animaux d’élevage). Bien que non mortel pour les hommes, ses morsures sont particulièrement douloureuses surtout lorsqu’elles sont nombreuses. L’implantation de colonies a été signalée en Australie en l’an 2000 puis d’autres ont été découvertes en Australie, à Taïwan, aux Philippines et dans le sud de la Chine en 2004 et 2005 (Bonnefoy et al ., 2008). 17. Comme nous l'avons dit, les déséquilibres qui existent dans les écosystèmes urbains peuvent provoquer des augmentations de populations de certaines espèces principalement à cause des ressources alimentaires offertes par la ville mais aussi par l’absence d’un prédateur. Au cours du temps, les populations peuvent passer par des phases ou elles sont en très faible effectif et par des phases ou ceux-ci augmentent considérablement. Les changements dans l’abondance d’une espèce sauvage peuvent induire une modification de l’attitude des habitants dont la perception du statut d’une espèce évolue en permanence : comme une ressource devant être protégée ou bien comme espèce nuisible à contrôler 36 Conférence Nord Américaine sur les punaises de lit, 21-22 septembre 2010, Chicago : http://www.nabedbugsummit2010.com/ 37 Rapports du Ministère de l’Agriculture-Département de la santé des forêts : http://agriculture.gouv.fr/suivide-la-sante-des forets 38 Dossier de l’INRA sur la chenille processionnaire du Pin et son papillon : http://www.avignon.inra.fr/les_recherches__1/liste_des_unites/ue_forestiere_mediterraneenne/la_processionn aire_dossier Riseo 2010-3 48 (Destefano et al ., 2005). Parmi les mammifères autochtones les plus courants, les Canidés et les Suidés sont ceux dont les populations engendrent actuellement le plus de nuisances et d’inquiétudes en zones urbaines. En effet, on observe de fortes proliférations de renards roux (Vulpes vulpes) (39) et de sangliers (Sus scrofa) (40) dans la plupart des agglomérations d’Europe continentale et de Grande Bretagne (mais aussi dans des pays d’Asie comme la Chine). En très forte augmentation depuis près de 40 ans, les populations de sangliers sont devenues très difficilement contrôlables, des individus pénètrent de plus en plus fréquemment dans les villes et on estime qu’environ 7000 à 8000 sangliers vivraient aujourd’hui dans la ville de Berlin (41) ! En France, rien que pour la seule année 2009, 20 000 collisions avec des véhicules leur sont imputables. Les renards sont eux aussi de plus en plus présents, ils se sont multipliés suite aux campagnes de vaccination antirabique conduites en Europe. En plus de la transmission de maladies comme l’échinococcose alvéolaire, ils peuvent s’attaquer de manière exceptionnelle aux individus ; très récemment deux jeunes londoniennes ont été mordues par un renard « urbain » dans leur chambre en plein cœur de Londres (42). Dans le cas des végétaux, la situation bien que moins spectaculaire est similaire, on observe des problèmes sanitaires récurrents posés principalement par les espèces qui produisent des allergènes. La progression des allergies respiratoire en zones urbaines dues au pollen de conifères (principalement les thuyas et les cyprès dans le sud de la France) mais aussi d’herbacées comme l’ambroisie, qui continue de se répandre le long de la vallée du Rhône, est un vrai souci de santé publique (Cosson, 2002). Notons, que les effets allergisants de ces pollens sont fortement amplifiés par les différents polluants atmosphériques présents en villes qui agissent alors en synergie (Pénard-Morand et al ., 2008). III. Quelle prise en compte par les pouvoi rs publics? 18. La prise en compte des nuisances et des risques induits par la présence dans les villes d’une faune et d’une flore diverses a, de tout temps, préoccupé les pouvoirs publics (A). 39 Article du Figaro : http://www.lefigaro.fr/international/2010/06/08/01003-20100608ARTFIG00760-lesrenards-envahissent-les-grandes-villes-anglaises.php 40 Article de la Dépêche : http://www.ladepeche.fr/article/2009/01/11/521351-Les-sangliers-aux-portes-desvilles.html 41 Article du Figaro : http://www.lefigaro.fr/international/2008/12/20/01003-20081220ARTFIG00223-lessangliers-sont-entres-dans-berlin-.php 42 Article du Daily Telegraph : http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/7807232/Twin-girls-in-hospitalafter-fox-attack-at London-home.html Riseo 2010-3 49 Dans certains cas, la gravité des problèmes a pu conduire à la mise en place de solutions radicales (B). A. Un souci permanent à chaque époque 19. Bien avant que les premières méthodes de lutte contre les espèces nuisibles n’apparaissent, les sociétés humaines n’avaient que peu de solutions : souffrir ou se déplacer. Un exemple célèbre nous est fourni par l’Ancien Testament : l’exode d’Égypte des Hébreux en 1300 av. J.-C., causé par différentes « plaies » : les criquets, les poux et les mouches qui détruisirent les récoltes et répandirent des maladies parmi les habitants de la vallée du Nil. Néanmoins, même si les moyens de lutte n’existaient pas, les premières civilisations avaient conscience de l’importance du contrôle des espèces nuisibles et des parasites, surtout en ce qui concerne les arthropodes. Déjà dans la Jérusalem biblique les déchets étaient évacués en dehors de la cité où ils étaient brûlés pour éviter les proliférations d’insectes. Dans les habitations, les méthodes de lutte qui se voulaient curatives avaient une efficacité très limitée et n’incluaient bien sûr aucune action de prévention. Les premières tentatives de lutte chimique contre les espèces nuisibles remontent à environ 4000 ans. Le livre Hindou Rig Veda, écrit en Inde 2000 ans av. J.-C., fait référence à l’usage de plantes toxiques pour le contrôle des espèces nuisibles. Il est également connu que pendant la période pharaonique, les Égyptiens utilisaient certaines plantes comme sources de composés insecticides. Le poète grec Homer mentionne l’usage dans les habitations de la fumigation par le soufre environ 1000 ans av. J.-C, alors que Pline l’Ancien, en 77 ap. J.-C., fait référence à l’usage d’arsenic, de soude et d’huile d’olive. L’usage de l’Hellébore contre les rongeurs est attribué aux Romains. Plus tardivement, en 970 ap. J.-C., l’érudit Arabe Abu Mansur décrit plus de 450 plantes avec des propriétés toxicologiques ou pharmacologiques (Thacker, 200 2). En dépit de ces connaissances, le contrôle des espèces nuisibles a été particulièrement lent jusqu’en 1500. Pendant le Moyen Âge, les conjurations étaient invoquées et les prières utilisées bien plus régulièrement que les méthodes physiques ou chimiques de traitement. C’est l’exploration du Nouveau Monde qui donnera un nouvel élan au contrôle des espèces nuisibles et des parasites. Par exemple, les premiers explorateurs des Amériques avaient observé que les Indiens du Venezuela utilisaient la poudre de lis Riseo 2010-3 50 (Sabadilla officinarum) pour protéger leurs cultures des attaques d’insectes et celle-ci fut utilisée avec succès en Europe jusqu’au milieu du 19eme siècle. Les composés dérivés de plantes ont dominé le marché des produits contre les espèces nuisibles en Europe et dans les colonies jusqu’à la fin du 19eme siècle. Cependant, c’est à partir du 16eme siècle que les composés inorganiques sont devenus disponibles et utilisés de manière plus courante. Par exemple, l’arsenic mélangé à du miel fut utilisé pour contrôler les fourmis à partir du milieu du 16eme siècle. Le chlorure mercurique et l’alcool ont servi contre les punaises de lit. L'arséniate de cuivre chromé, l’arséniate de plomb et de calcium sont devenus largement disponibles à la fin du 19eme siècle. Notons que dans les années 1880, les insectes parasites les plus préoccupants étaient les punaises de lit dans les habitations, tout comme les mites qui attaquaient la laine (Robinson, 1996). 20. La gestion des nuisances et des risques causés par les parasites et les espèces nuisibles est une activité qui a préoccupé les sociétés urbaines à toutes les époques et qui, ces dernières années, n’a fait que se renforcer avec l’avènement du « principe de précaution » et de la promulgation, d’une part, de la loi relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite Loi Barnier (no 95-101 du 2 février 1995) et, d’autre part, de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Si les services offerts par la biodiversité urbaine sont appréhendés à un niveau abstrait ou général, les nuisances produites sont quant à elles perçues de manière concrète. Pour les gestionnaires, les avantages sont moins visibles que les inconvénients et les risques. Ces dernières années les épidémies de grippe aviaire, de virus West Nile et très récemment l’apparition du virus du chikungunya en métropole (déjà présent dans les communes des Dom-Tom) ont amplifié cette perception des risques. Les demandes et les procédures pour l’élimination partielle ou complète de certaines espèces sont régulières. Par exemple, devant la prolifération inquiétante des sangliers en France, mais aussi dans toute l’Europe, le Ministère de l’Agriculture français a décidé de mettre en œuvre au mois de juillet 2009 un « plan national de maîtrise du sanglier » dans le but de réduire ses effectifs (43). Même si, dans le cadre des procédures de gestion des populations animales en zones urbaines, l’élimination est souvent la stratégie privilégiée par les gestionnaires, celle-ci ne s’avère pas toujours comme étant la plus pertinente. En effet, dans le cas bien connu des étourneaux sansonnets et des nuisances engendrées par leurs regroupements nocturnes dans les villes (Clergeau et al ., 1999), l’élimination coûteuse 43 MEEDDAT, « Mise en œuvre du plan national de maîtrise du sanglier » circulaire du 31 juillet 2009 : http://www.circulaires.gouv.fr/pdf/2009/08/cir_29317.pdf Riseo 2010-3 51 par pulvérisations aériennes de pesticides aviens n’a pas forcement été la solution adéquate, ni d’ailleurs la plus écologique et en accord avec les principes de développement durable. Clergeau (1995) explique clairement que dans ce cas une gestion intégrée en trois points principaux se révèle efficace : d’abord un suivi des populations dans les zones à risques, puis une gestion raisonnée des interventions sur les oiseaux et enfin un contrôle des ressources utilisées par l’espèce concernée (ressources alimentaires disponibles et supports qui servent de lieux de repos nocturnes aux oiseaux), ce dernier point étant le plus important. Une gestion intégrée permet de limiter, voire de supprimer les nuisances dans certains secteurs urbains. Il est toutefois indéniable que l'effort ne peut être exigé uniquement de la part de quelques organismes et pouvoirs locaux. Il convient donc de viser un objectif d'éducation générale. Au Canada, dans l’Ontario, l’on retrouve une démarche similaire dans le cadre de mesures de contrôle de populations péri-urbaines de ratons laveurs et des putois vecteurs de la rage. Pour ces deux espèces, Broadfoot et al ., (2001) suggèrent de réaliser des études poussées afin de connaître l’ensemble des sous-populations présentes dans un secteur urbain donné et afin de déterminer les flux d’animaux, avec comme objectif, d’une part, la localisation précise des groupes les plus contaminés pouvant entrer facilement en contact avec les populations humaines et, d’autre part, l’élimination ou la vaccination plus efficaces des animaux. 21. Ces procédures de contrôle des populations animales sont des pratiques régulières pour les espèces synanthropes les plus courantes (cafards, rats, pigeons domestiques, chiens etc.). Cependant, la situation devient problématique lorsqu’il s’agit de mettre en place une politique de contrôle des espèces sauvages devenues nuisibles dans les villes suite à leur prolifération, mais qui en même temps peuvent être menacées dans leur milieu naturel et/ou protégées par la loi ! Les meilleurs exemples sont ceux des goélands argentés (Larus argentatus) et leucophées (Larus michahellis) le long des littoraux atlantiques et méditerranéens. En effet, ces deux espèces sont protégées par la loi française (article L 4111 du code de l’environnement) (44) (45), ce qui limite grandement les moyens qui pourraient être déployés pour réguler les populations implantées dans les villes côtières 44 En application de l’article L 411-1 du Code de l’environnement, l’arrêté du 17 avril 1981 modifié protège l’ensemble des oiseaux de la famille de Laridae (mouettes et goélands). Celui ci précise que : « sont interdits sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, dans les conditions déterminées par les articles R411-1 à R411-5 du code de l’environnement, la destruction ou l’enlèvement des œufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la naturalisation de ces espèces, et qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat » 45 Journal Officiel de la République Française n°0282, « Arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection » Riseo 2010-3 52 (Cadiou et al ., 2002). Bien évidemment, il est possible d’obtenir des autorisations des destructions mais de manière très restrictive (46). Les moyens d’action indirects, tels les méthodes douces d’effarouchement, sont privilégiés avant de mettre en œuvre des moyens directs de destruction. Pour ces derniers, la destruction des œufs (pulvérisation d’huile de paraffine sur les coquilles ou perçage avec une aiguille) est le procédé qui a été le plus régulièrement utilisé en Bretagne et en Méditerranée avec une certaine efficacité si l’opération est répétée plusieurs fois durant la saison de reproduction, mais insuffisante pour limiter les populations localement. Par ailleurs, ces opérations sont peu spécifiques dans les colonies mixtes et peuvent aussi directement affecter des espèces qui nichent aux mêmes endroits dans les villes et qui sont aussi protégées (comme le goéland brun, Larus fuscus). De plus, la nette réduction des effectifs de goélands argentés en milieu naturel depuis les années 1970-98 pourrait à l'avenir poser un problème tout à fait original en Bretagne. En effet, plusieurs colonies urbaines atteignent par leurs effectifs un niveau d'importance départemental, voire régional ou même national. Si le goéland argenté demeure encore l'oiseau marin le plus fréquent et le plus abondant sur le littoral breton, le déclin actuel pourrait faire changer cette situation dans les décennies à venir. La préservation de l'espèce devra-t-elle un jour passer par l'arrêt des opérations de limitation sur les colonies urbaines et par la préservation de celles-ci ? (Cadiou et al ., 1997; Cadiou et al ., 2004). 22. Comme nous venons de le voir, les procédures de gestion peuvent s’appliquer directement aux espèces mais aussi aux différents habitats. La réduction effective des risques ou la diminution des nuisances priment souvent sur le maintien de conditions écologiques optimales pour la biodiversité. C’est le cas avec les bois morts et les embâcles dans les rivières urbaines (et en général dans beaucoup de cours d’eau) qui, bien qu’étant indispensables à la dynamique écologique et au maintien de la biodiversité entomologique et piscicole, ne peuvent pas y êtres laissés du fait des possibles risques d’inondations (Le Lay, 2005 ; Pi égay et al ., 20 05 ; Le lay et al ., 2007). Il est aussi difficile pour les gestionnaires, pour des raisons sanitaires et de perception du public, de laisser en place les arbres âgés présents dans les parcs publics ou les alignements, alors que leurs branches mortes et leurs cavités, souvent remplies de matière organique en décomposition, hébergent une biodiversité entomologique remarquable (Carpaneto et al ., 2010). Dans le Midi de la France, la violence régulière des vents et les risques de chutes de branches imposent 46 Les autorisations de destruction relatives aux goélands sont délivrées par les préfets, après avis du Conseil National de la Protection de la Nature. Riseo 2010-3 53 régulièrement une taille sévère aux traditionnels platanes des places et des avenues, même aux plus beaux spécimens. De la même façon, avec des allergies aux pollens qui ne cessent d’augmenter et des coûts financiers liés à leur traitement de plus en plus élevés (47), des questions se posent quant aux types de plantations à effectuer dans les espaces verts. Des demandes sont déposées pour limiter l’utilisation d’essences comme les cyprès ou les thuyas, ou pour que celles-ci soient éliminées dans les zones urbaines (Laaidi et al ., 2002). Un contrôle strict des « zones vertes » est donc bien souvent une nécessité. A ces pratiques régulières de gestion peuvent s’ajouter, de manière imprévisible, des mesures radicales dommageables pour l’ensemble de la biodiversité mais aussi pour les populations humaines. Cela a récemment été le cas lors d’épidémies de virus chikungunya dans les Dom Tom avec la diffusion de grandes quantités d’insecticides chimiques dans certains quartiers urbains afin de tenter de limiter la prolifération du vecteur, le moustique tigre (Aedes albopictus). Ces épandages présentent une forte toxicité pour l’ensemble de l’écosystème ainsi que pour les habitants. Cependant, il faut rappeler que si les questions des nuisances et des risques influent sur la gestion de la nature dans les villes, cette influence ne représente qu’une partie des contraintes qui s’appliquent aux habitats, soumis en permanence à la dynamique et aux impératifs de fonctionnement des villes (économie, déplacements, justice etc.). B. Une prise en compte des risques pl us forte que certaines traditions ? Trois exemples asiatiques 23. L’importance des risques et nuisances engendrés par la biodiversité urbaine conduit parfois les autorités et les gestionnaires à prendre des mesures radicales. Certaines décisions peuvent aller jusqu'à la suppression de symboles religieux majeurs ou de pratiques culturelles très anciennes, c’est par exemple le cas en Inde et à Singapour. En effet, dans cet Etat, la mise en place d’un programme de lutte contre le paludisme (malaria) (48) à partir des années 1960, a conduit les autorités à prendre des mesures drastiques pour limiter au maximum la présence de récipients d’eau stagnante, principaux lieux de ponte des moustiques vecteurs de la maladie. Ces mesures ont conduit à la suppression des jardins d’eau (water gardens) et autres vasques décoratives dans les habitations individuelles qui 47 http://www.ors-rhone-alpes.org/pdf/Ambroisie_rapport.pdf Paludisme (aussi appelé malaria) : maladie infectieuse tropicale due à un parasite du genre Plasmodium , propagée par la piqûre de certaines espèces de moustiques du genre Anopheles. 48 Riseo 2010-3 54 sont pourtant des éléments traditionnels très importants dans la culture du sud-est asiatique. Ces mesures, d’une efficacité redoutable, ont permis d’éradiquer la malaria de cette zone (Goh, 1983). A l’heure actuelle, cette démarche de contrôle strict se poursuit pour lutter contre la dengue qui pose elle aussi d’importants problèmes de santé (Ooi et al ., 2006) (49). Notons qu’aux États-Unis, dans l’état de Californie, le gouverneur Arnold Schwarzenegger a pris en 2009 et 2010 des mesures semblables pour forcer les résidents de l’état à vider les piscines non utilisées afin d’éviter qu’elles ne servent de lieux de reproduction à des vecteurs de maladies comme le virus West Nile (50) (51) (52). En effet, et ce de manière surprenante, la crise de l’immobilier américain a laissé inoccupés beaucoup de pavillons et leurs piscines ; ces milieux ont été rapidement exploités par les moustiques vecteurs du West Nile, provoquant une augmentation de 267 % des cas de cette maladie rien que pour l’année 2007 (Reisen et al ., 20 08). Dans le cas de l’Inde, la situation est nettement plus impressionnante car les mesures de contrôle mises en place concernent directement des espèces de la faune urbaine considérées comme symboles religieux par l’Hindouisme : les singes et les vaches. La prolifération inquiétante des singes dans les villes indiennes et le comportement de plus en plus agressif de ces primates vis-à-vis de la population (53) (54) a conduit plusieurs municipalités à prendre des mesures pour déplacer ces animaux vers la périphérie des villes (avec des résultats peu concluants). Quant aux vaches sacrées, elles n’ont plus leur place dans les agglomérations indiennes, les risques d’accidents et de collisions avec les véhicules étant devenus trop importants, tout comme les risques sanitaires dus aux fèces produits ou aux cadavres en putréfaction lors du décès des animaux. Dans la capitale New Dehli, des « cowboys urbains » ont même été recrutés en 2008 pour tenter de capturer et d’éliminer l’ensemble des bovins récalcitrants qui parcouraient la ville et encombraient les axes de circulation depuis des temps immémoriaux (55). Dans cette même région, nous pouvons également souligner que l’augmentation régulière des attaques imputées aux tigres ces dernières années en Inde mais aussi au Bengladesh, dues à la 49 Article du New York Times : http://www.nytimes.com/2007/06/27/world/asia/27dengue.html http://www.cdph.ca.gov/HealthInfo/discond/Documents/CAResponsePlanJuly2010.pdf 51 Article du Guardian : http://www.guardian.co.uk/world/2009/apr/16/green-pools-california-west-nile-virusmosquitoes 52 http://www.cdph.ca.gov/HealthInfo/discond/Documents/NeglectedSwimmingPoolsandWNV.pdf 53 Article du Telegraph : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/1547626/Holy-monkeys-terroriseIndia.html 54 Article du Daily News : http://www.nydailynews.com/news/national/2007/10/22/2007-1022_fighting_off_monkeys_indian_politician_f-4.html 55 Article du New York Times, New Delhi Journal : http://www.nytimes.com/2008/11/05/world/asia/05india.html 50 Riseo 2010-3 55 réduction drastique de l’espace vital et des proies nécessaires à ces carnivores, est un phénomène préoccupant pour les autorités locales. Il est à noter cependant que cette situation concerne plus spécifiquement les populations des villages situés en zones agricoles que celles des zones urbaines. Ces exemples nous montrent clairement que la gestion des conflits entre la faune et les populations humaines des zones urbaines est difficile et que la prise en compte des risques par les gestionnaires est un élément qui peut surpasser toutes les autres considérations, qu’elles soient culturelles, religieuses ou environnementales (ici la conservation des espèces) lors de la mise en place de mesures de gestion. Cette prise en compte est encore plus prégnante dans les agglomérations de pays émergents comme l’Inde. Conclusions: Quelles perspectives d ans le cadre de démar ches de valorisation et de conservation de la biodi versité dans les villes? 24. Les initiatives, les conférences et les programmes de recherche pour évaluer la biodiversité urbaine et définir des moyens possibles de valorisation se sont multipliés dans le monde entier ces dernières années (56) (57) (58) (59) (60). Un certain nombre de travaux internationaux ont proposé plusieurs pistes pour conserver et stimuler cette biodiversité. Le rôle central de certains habitats comme les parcs publics a été mis en évidence (Chiesura, 2004 ; Nagendra et al ., 2010), tandis que d’autres ont souligné le rôle de ces milieux tout en suggérant de considérer avec attention les éléments du paysage et la connectivité des habitats entre eux (Melles et al ., 2003 ; Zerbe et al ., 2003 ; Goddard et al ., 2009 ; Gard en et al ., 2010). Une attention particulière a aussi été portée aux jardins pavillonnaires dont la biodiversité est souvent très importante (61) (Kehinde Akinnifesi et al ., 2010; Gaston et al ., 2005). Des chercheurs anglais ont même proposé d’en faire les éléments centraux de la conservation de la biodiversité au sein des paysages urbains en maintenant une connectivité entre ceux-ci et les autres espaces verts (Godd ard et al ., 56 Promoting the Protection of Nature and Biodiversity in Urban Areas: European Capital of Nature and Biodiversity Award for Cities and Municipalities in Europe 2009-2011: http://www.cbd.int/authorities/informationresources.shtml. 57 « 2nd International Conference of Urban Biodiversity & Design (URBIO 2010) », 18-20 mai 2010, Nagoya, Japon: http://www.jilac.jp/URBIO2010/doku.php 58 Site dédié à la restauration de la biodiversité dans la ville de San Francisco, U.S.A : http://natureinthecity.org/urbanbiodiversity.php 59 Agence régional pour la nature et la biodiversité en région Île-de-France : http://www.natureparif.fr/ 60 « Urban Biodiversity: Successes and Challenges », 30 - 31, octobre 2010, Université de Glasgow : http://www.glasgownaturalhistory.org.uk/urbanbio.html 61 «Les Jardins, espaces de vie, de connaissances et de biodiversité», 2 - 4 juin 201 0, Brest, 22emes Journées Scientifiques de la Société d’Écologie Humaine: http://www.eco-sol-brest.net/Le-Jardins-espacesde-vie-de.html Riseo 2010-3 56 2009). De la même manière, des incitations à la création de mares artificielles ou de petites zones humides sont aussi régulièrement proposées (62), les habitats aquatiques étant des milieux indispensables pour le maintien de diverses espèces de batraciens ou d’insectes aquatiques. En France dans le cadre des objectifs de la loi Grenelle II (63) (publiée au Journal Officiel du 13 juillet 2010), le projet de Trame verte et bleue est un des axes proposés pour limiter l’impact de l’urbanisation et réduire l’érosion de la biodiversité. L’objectif est de favoriser le développement de corridors biologiques, terrestres ou aquatiques (par exemple les haies, les « coulées vertes », les cours d’eau ou leurs forêts riveraines), pour permettre la circulation des espèces à travers le tissu urbain et les flux biologiques en liant différents habitats. 25. Cependant, comme nous l’avons expliqué dans les paragraphes précédents, différents obstacles liés aux nuisances existent et une conciliation entre plusieurs objectifs imposés par la dynamique urbaine s’avère nécessaire. Ces obstacles peuvent avoir une forte influence sur la manière dont les « zones vertes » sont perçues, évaluées, utilisées et éventuellement développées. Au-delà de leur mise en œuvre technique, souvent limitée par une urbanisation rapide, les procédures de valorisation des habitats urbains peuvent entraîner un certain nombre de nuisances et de risques et, comme nous l’avons vu avec les cours d’eau, les alignements d’arbres ou les espaces verts, leur gestion n’est pas forcément toujours compatible avec une biodiversité optimale. Une gestion uniquement dirigée dans ce sens ne répond pas toujours aux impératifs de sécurité. Bien sûr, certaines initiatives « amusantes », comme celle qui vise à protéger les grillons du métro parisien (64) en limitant par exemple le nombre des jours de grève pour éviter le refroidissement des tunnels, néfaste à ces insectes, sont sans réelles conséquences et posent peu de problèmes… Mais, si l’on reprend les exemples des jardins d’eau de Singapour ou des piscines de Californie appliqués aux zones humides ou aux mares artificielles en zones urbaines, ils illustrent parfaitement le fait qu’il est difficile de trouver un équilibre entre valorisation ou « optimisation » d’un habitat écologique urbain pour maintenir une biodiversité faunistique et floristique maximale et un contrôle des nuisances possibles. Il est déjà difficile de gérer les problèmes sanitaires qui se posent avec les zones humides construites (constructed wetlands) en zones urbaines, dédiées initialement au traitement des eaux usées, et qui hébergent souvent de fortes concentrations 62 http://www.paris.fr/portail/loisirs/Portal.lut?page_id=9233&document_type_id=5&document_id=48670&p ortlet_id=22522 63 http://www.legrenelle-environnement.fr/spip.php?rubrique23 64 Comité de soutien aux grillons du métro parisien : http://www.facebook.com/group.php?gid=51439850014 Riseo 2010-3 57 de moustiques (Russel, 1999). Dans ce cadre, Schäfer et al ., (2004) ont montré en Suède que, pour des zones humides construites à proximité d’habitations et destinées à soutenir la biodiversité au niveau local, des évaluations écologiques strictes étaient nécessaires pour trouver un juste milieu entre diversité biologique optimale et limitation des nuisances dues à la présence de moustiques (dans ce cas les petites zones humides hébergeaient moins de larves de moustiques). Une gestion des facteurs écologiques qui peuvent engendrer des pullulations (de vecteurs de maladies infectieuses, de parasites ou d’espèces nuisibles) n’est donc pas toujours compatible avec la mise en place d’habitats optimaux pour une conservation de l’ensemble des espèces présentes. 26. De la même manière, dans le cadre des corridors biologiques de la Trame Verte et Bleue qui visent à optimiser les déplacements des espèces animales et végétales, une réflexion devrait être menée pour évaluer les potentialités de circulation de vecteurs de maladies infectieuses comme les renards, les ratons laveurs ou plus classiquement les rats, ainsi que pour limiter les risques de contacts avec la population ; la progression par le biais d’espèces végétales invasives comme l’ambroisie devrait également faire l’objet d’une surveillance. La mise en place des démarches « zéro-phytos » ou « zéro-insecticides » (liées au Plan Ecophyto 2018 (65) qui vise à réduire, d’ici 10 ans, de 50% l’usage des pesticides en zones agricoles), ayant pour but la disparition totale des produits phytosanitaires et des insecticides pour l’entretien des espaces verts dans les villes, doivent être pensées de manière très judicieuse. En effet, de telles démarches doivent être mises en place dans une perspective écologique globale de diminution des contaminations de l’environnement et non pour laisser des espèces nuisibles ou des parasites proliférer. Rappelons que c’est le processus d’urbanisation qui est en conflit avec la conservation de la biodiversité et non le fait de contrôler des espèces parasites en ville, en particulier les insectes (Samways, 1996). Des questions similaires se posent avec l’utilisation des méthodes de « gestion différenciée » qui permettent de gérer les espaces verts en milieu urbain en n’appliquant pas à tous les espaces la même intensité ni la même nature de soins. Ces méthodes qui ont pour but une valorisation de l’ensemble de la biodiversité floristique, doivent être examinées et réalisées en plantant des essences végétales adaptées à l’objectif de limitation maximale des problèmes d’allergies, mais également puisqu’un certain nombre d’obstacles rend la conservation des « mauvaises herbes » très difficile (Benvenuti, 2004). Ajoutons qu’une 65 http://agriculture.gouv.fr/ecophyto-2018. Riseo 2010-3 58 attention particulière devrait aussi être portée au possible impact des techniques d’isolation thermique des bâtiments (un autre objectif de la loi Grenelle II), qui pour certaines laissent souvent de nombreux espaces libres et vides d’air, ainsi qu’à certains modes de constructions écologiques (maisons en paille…) qui pourraient devenir des habitats favorables pour des insectes parasites par exemple… 27. Bien entendu, l’aspect social et l’opinion des populations urbaines vis-à-vis de la biodiversité doivent être pris en compte dans les choix et les décisions visant à favoriser celle-ci, la perception et l’attitude variant entre les individus. Au-delà des problèmes de nuisances, il existe des cas d’opposition forte qui revêtent un caractère « culturel » et qui peuvent s’exprimer chez les riverains de projets qui sont destinés à valoriser la biodiversité et qui risquent de modifier profondément l’aspect paysager des espaces verts (Gregory, 2003). Les attentes du public en matière d’espaces verts sont aussi à considérer. En effet, bien qu’une partie du public reconnaisse l’importance de ces lieux, de la nature « naturelle » et de ses bienfaits dans les villes, ils réclament paradoxalement un certain « design » et un entretien méticuleux des zones vertes qui sont alors perçues comme plus sûres et plus saines (Özgüner et al ., 2006). De la même manière, Chin et al ., (2008) ont montré, après avoir réalisé une consultation auprès d’étudiants américains, que les cours d’eau qui présentaient des bois morts et des embâcles étaient perçus par la grande majorité comme inesthétiques, pouvant provoquer des risques d’inondations au moment des crues et nécessitant un entretien, même si cela venait à diminuer leur valeur écologique. En ce qui concerne les pratiques individuelles de gestion des espèces, Morzillo et al ., (2010) ont montré en Californie (U.S.A), en prenant l’exemple de rongeurs, que les habitants des zones urbaines étaient encore peu soucieux de l’impact de leurs actions sur la biodiversité et qu’une élimination efficace des animaux « nuisibles » avec des produits chimiques dans les habitations et les jardins primait sur toutes les considérations environnementales. Enfin, même si cette biodiversité reste pour beaucoup de citadins le seul contact qu’ils ont avec la nature (Miller, 2005) et qu’elle offre des services, le public oublie vite ces bienfaits ou le patrimoine biologique et culturel représenté par une espèce, lorsque celle-ci se met à pulluler et provoque des nuisances. Sur ce thème, en 2005, Destefano et al ., font une remarque pertinente au sujet de conflits récurrents entre des populations urbaines et des groupes de castors (Castor canadensis) dans l’état du Massachusetts (U.S.A) : « Il est non seulement contre-productif, mais dangereux de vouloir absolument inculquer une éthique de la conservation (de la biodiversité) dans une société qui est devenue principalement urbaine, Riseo 2010-3 59 constituée majoritairement de citadins complètement déconnectés du monde naturel ». Clergeau et al ., (2001) ont d’ailleurs expliqué que l’hétérogénéité dans la manière dont étaient perçues les espèces d’oiseaux par les habitants de la ville de Rennes, nécessitait des mesures de concertation et de communication spécifiques lors des procédures de gestion et de contrôle des populations. Ces obstacles et les multiples objectifs à concilier nécessitent souvent la mise en place de démarches sélectives des espèces animales ou végétales qui sont peu compatibles avec le développement d’une biodiversité urbaine maximale, ce qui rend difficile les projets de conservation et qui laisse peu de place à une nature « naturelle » dans les villes. 28. En conclusion, si la biodiversité dans les villes est intéressante pour des raisons liées aux services qu’elle peut fournir : qualité et humidité de l’air, filtration de la pollution atmosphérique, bien- être psychologique, loisirs (Bolund et al ., 1999), elle n’est qu’un des multiples thèmes proposés pour la mise en place des villes durables et sa valorisation ne doit pas faire oublier qu’elle produit aussi des nuisances ou des risques importants pour les sociétés urbaines. Le défi consiste en effet à combiner les attentes et les contraintes d’un style de vie urbain avec les services que les écosystèmes peuvent produire. Certaines valeurs ou intérêts ne doivent pas primer sur les autres, la conciliation des différents objectifs s’avère donc indispensable car il n’y a pas de solution simple et unique pour intégrer la biodiversité au sein de l’environnement urbain ( Elander et al ., 2005). La non prise en compte de manière sérieuse de la dimension « nuisances et risques » dans les projets de valorisation ou de conservation (en tenant compte des spécificités géographiques et climatiques) et d’un dialogue avec l’ensemble des acteurs de la ville (66) (services municipaux, élus, citoyens et associations), peut conduire, d’une part, à des oppositions violentes vis-à-vis de projets environnementaux et, d’autre part, à des solutions radicales en cas de nuisances trop importantes ou de problèmes sanitaires, peu conciliables avec un développement durable. Remerciements: Je tiens à remercier les Dr. Eyal Shochat (Université d’Arizona, U.S.A) et Jari Lyytimäki (Finnish Environment Institute, Finlande) pour leurs conseils et leurs communications bibliographiques, ainsi que le Dr. Catherine Chadefaud (égyptologue) pour 66 Philippe Clergeau, (Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris) relatif au développement de la biodiversité urbaine : http://www.actu-environnement.com/ae/news/ecologie-urbaine-urbanisme-villedurable-10290.php4 Riseo 2010-3 60 ses suggestions et ses recommandations concernant l’Égypte antique. Je remercie aussi les Pr. Jean-Paul Casanova et Eric Faure (Université de Provence, LATP) pour leurs réflexions toujours pertinentes et les conversations constructives que nous avons pues avoir. Références bibliogr aphiques: Alberti M., Marzluff J.M., Shulenberger E., Bradley G., Ryan C. & Zumbrunnen C. (2003). Integrating Humans into Ecology: Opportuniti es and Challenges for Studying Urban Ecosystem s. 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