Introduction

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Introduction
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Introduction
Alors que la technique est par définition le moyen de dominer la nature, les
avancées techniques, plutôt que d’être envisagées comme un progrès, sont
souvent conçues comme un danger, que ce soient le nucléaire, l’essor
industriel ou encore les nouvelles technologies appliquées au domaine
médical. Le progrès technique peut-il donc être aliénant ?
Ou bien le progrès technique est considéré comme le progrès apporté par
la technique en tant que savoir-faire et l’on peut assimiler l’un à l’autre,
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mais alors le progrès technique est libérateur. Ou bien le progrès technique
est considéré comme l’évolution de la technique dans le temps, et on
assiste à une perte de contrôle progressive, mais alors comment
comprendre que ce même instrument de libération puisse aliéner l’homme ?
Entre la fascination pour une technique au service du bonheur humain et sa
diabolisation devant ses dangers, ne peut-on pas lui trouver des critères
garants de neutralité ?
1. Par définition la technique est un progrès car
elle permet à l’homme de s’émanciper de la nature
A. Origine mythologique de la technique :
en palliant une faiblesse, elle marque sa force
L’origine mythologique de la technique est racontée par le sophiste
Protagoras dans le dialogue platonicien du même nom. Il y eut une époque
où les dieux commencèrent par façonner l’ensemble des êtres vivants (animaux et hommes), mais avant de leur donner la vie ils chargèrent
Prométhée et Épiméthée de leur distribuer les qualités leur permettant
d’assurer leur subsistance. Épiméthée commença alors à donner à chacun
des qualités selon ses attributs, comme par exemple des ailes pour
s’envoler quand on est petit, des fourrures en guise de couverture, une forte
fécondité pour les espèces fragiles vouées à disparaître.
Mais dans sa répartition, Epiméthée oublia l’homme qui restait nu sans
vêtements ni armes. Afin de lui donner le moyen de se conserver, Prométhée vola aux dieux le feu et sa maîtrise par les arts. Ainsi la technique
représente le moyen donné à l’homme pour qu’il assure lui-même les conditions de son existence.
La technique vient pallier une faiblesse originelle, et en même temps elle
est la marque de la supériorité de l’homme sur les autres vivants, le signe
visible de son intelligence et de sa créativité. La technique, en permettant à
l’homme de produire lui-même les conditions de son existence, incarne
aussi la liberté de décider de soi.
B. La technique proprement humaine est le résultat d’un travail
issu de son intelligence et de sa volonté
Or la technique désigne l’ensemble des procédés permettant d’assurer un
travail. Le travail est la transformation et l’assimilation de la nature dans un
but utilitaire. Le travail est formateur pour l’humanité car, en produisant ses
conditions de vie, l’homme se produit lui-même (croissance, développement). Mais pour approfondir cette première définition, Marx compare le
travail du tisserand avec celui de l’araignée, et celui de l’architecte avec
celui de l’abeille. Ce qui distingue le travail de l’animal de celui de l’homme
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n’est pas la qualité du produit (voir la cellule parfaite de la ruche), mais la
nature même de cette activité (le processus) : chez l’homme uniquement
elle est le résultat d’un projet, d’une intention. Elle n’obéit pas qu’à une
cause (l’instinct), mais vise une fin.
Ce sens fort du travail est selon Marx le propre de l’homme. Même si
l’animal a comme l’homme une activité de transformation de la nature, il
reste dépendant de ses instincts et de ses automatismes. Seul l’homme travaille, dans la mesure où il conçoit ce qu’il va faire. Le travail devient la
marque de l’esprit et de la volonté de l’homme. La technique est alors le
signe de la domination de l’homme sur la nature.
Ainsi la technique est le moyen que l’homme a trouvé pour parer, faire face
aux faiblesses de sa propre nature (son essence, ses caractères innés). Elle
lui permet de réutiliser les éléments de la nature (la phusis, la réalité donnée)
pour son existence (survie et bien-être). La technique est un progrès pour
l’homme car elle le libère de la nature en général, et de la sienne en particulier. Pourtant, l’évolution de la technique montre qu’elle peut constituer une
menace pour l’homme.
2. Cependant, l’homme peut se perdre dans
la technique malgré les bienfaits qu’elle promet
A. L’accumulation des connaissances techniques devrait
rendre l’homme plus heureux
Si la technique est l’expression de l’humanité de l’homme, elle représente
aussi les pouvoirs de la science lorsque celle-ci n’est plus seulement spéculative. Ainsi au XVIIe siècle naît le projet d’une « maîtrise de la nature » qui
n’est plus une déesse inatteignable. La science, qui est de plus en plus
expérimentale, devient pratique et adopte comme finalité le bonheur de
l’homme. La médecine représente un bon exemple de technique, au sens
de science appliquée au bien-être de l’homme.
Descartes voit ainsi le moment pour l’homme de se rendre « comme maître
et possesseur de la nature ». Ce projet de maîtrise est cependant sur le
mode de la comparaison : il s’agit de faire « comme » si l’on détenait une
puissance infinie, mais non de se mettre à la place de Dieu. Les découvertes scientifiques permettent à l’homme de ruser avec la nature en la
faisant travailler à sa place grâce à l’utilisation des différentes énergies. La
technique n’utilise plus la force musculaire, mais les forces naturelles.
Aussi il s’agit paradoxalement pour Bacon de « vaincre la nature en lui
obéissant », c’est-à-dire de gagner sa liberté tout en respectant les lois physiques. La technique, en tant que « savoir-faire » consiste alors à utiliser ses
connaissances pour mettre la nature à son service.
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B. Or, la complexification technique fait apparaître de
nouvelles souffrances et dépendances pour l’homme
Cependant, l’application du projet cartésien à une certaine échelle industrielle ne semble pas toujours synonyme de progrès et de bien-être. En
effet, l’essor industriel s’accompagne d’une pollution de plus en plus inquiétante pour l’environnement humain. La production en masse des armes fait
d’un moyen de se défendre ou de chasser un commerce de la mort.
Hanna Arendt repense également la technique en termes contemporains. En
effet, la mécanique des fluides par exemple n’a pas les mêmes implications
que les nouvelles techniques nucléaires. Il y a une différence essentielle : la
nature est modifiée de l’intérieur, de ce fait de nouveaux processus naturels
inconnus peuvent apparaître. Cette imprévisibilité constitue le risque même
de cette technique.
Nous sommes incapables de créer la nature, mais nous pouvons déclencher en elle certains processus que nous ne contrôlons pas. La différence
traditionnelle entre la nature prévisible et l’histoire imprévisible tend alors à
disparaître. Avant l’apparition du nucléaire, la science permettait de
comprendre et de prévoir les transformations engendrées par la technique.
En la modifiant, nous « faisons la nature », c’est-à-dire que nous la transformons en sachant qu’il y a une part d’inconnu, donc une part de risque. La
question de savoir quelle instance doit la contrôler reste ouverte.
Si la technique est l’instrument du bonheur, comment expliquer qu’elle
puisse se retourner contre l’homme ? à quelles conditions l’homme peut-il
garder le contrôle ?
3. Qu’est-ce qui rend la technique aliénante ?
A. La technique est source d’aliénation et d’exploitation
Pour Marx, l’essence du travail consiste en une réalisation de l’homme par
lui-même, et cela grâce à la technique. Cependant, ce travail devient aliénant quand la technique ne consiste plus en un simple emploi d’outils, mais
en un travail aux rythmes et aux cadences des machines.
Une machine est un système instrumental si perfectionné, que l’homme qui
l’utilise n’en maîtrise plus la complexité. Une machine, n’étant pas seulement
transfert mais transformation d’énergie, se caractérise par son autonomie.
L’homme dépassé se transforme en un rouage de la machine. Le mouvement de la machine qui ne connaît aucune fatigue renvoie l’homme à ses
propres limites.
Pourquoi le travailleur perd-il la maîtrise de son travail ? Parce qu’il perd la
maîtrise de son propre mouvement. Ainsi avec l’apparition du machinisme, la technique s’autonomise et l’homme risque de perdre le contrôle
d’une certaine production. Le critère d’aliénation ou de dangerosité de la
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technique en est la finalité elle-même : si cette production n’est plus mise
au service de l’homme qui travaille mais d’un profit économique extérieur, il y
a risque d’exploitation. L’autre critère est plus psychologique : si l’homme ne
reconnaît plus dans son travail l’expression de ses compétences, c’est-à-dire
de sa volonté et de son intelligence, alors il reste un étranger pour lui-même
et la technique à ce moment-là constitue un véritable danger.
B. Toute pratique doit être accompagnée d’une éthique,
d’une réflexion sur ses finalités
Pour se prémunir de cette perversion de la technique, sa condamnation
pure et simple ne semble pas adéquate dans la mesure où ce serait
renoncer à tout contrôle de l’homme sur la nature. Reste alors à considérer
la technique comme un instrument qui n’est pas neutre et qui, en plus
d’être mis au service d’intentions destructrices (comme l’industrie de
l’armement), peut échapper au contrôle de l’homme (comme le nucléaire). Il
s’agit alors d’accompagner la pratique d’une réflexion sur ses effets et ses
finalités. Ainsi l’expérimentation sur le vivant peut faire l’objet d’un contrôle,
voire d’une censure, imposé(e) par un comité de bioéthique. Par exemple,
le clonage humain reste pour l’instant interdit parce qu’on en ignore les
effets, et pour des raisons plus anthropologiques, philosophiques et
morales d’identité humaine.
Ainsi toute utilisation de la technique doit s’accompagner d’une réflexion sur
ses finalités et ses conditions d’utilisation. L’éthique et la politique doivent
veiller à ce que la technique ne se retourne pas contre celle qu’elle doit
servir : la nature, et plus particulièrement la nature de l’homme.
Conclusion
La technique, en tant que savoir-faire, doit être au service de l’homme pour
assurer les conditions de sa subsistance et contribuer à son bonheur. Mais
ce n’est que dans la mesure où elle exprime l’intelligence et la volonté de
l’homme qu’elle est un vecteur d’émancipation.
Tout usage dévoyé constitue une aliénation pour l’homme. Il s’agit donc
d’accompagner toute activité technique d’une réflexion sur ses finalités
(une éthique), et d’une réflexion sur ses conditions d’utilisation (une politique). En dehors de ce cadre, on est en droit de se méfier non pas de la
technique elle-même, mais de ce qu’elle sert et de ceux à qui elle profite.
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