SUJETS DE MEMOIRES D`HISTOIRE DU DROIT

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SUJETS DE MEMOIRES D`HISTOIRE DU DROIT
Enlèvement d'une vedette
Avant propos : Il ne faut voir dans ce court texte aucune allusion machiste,
sexiste ou antiféministe. Par ailleurs toute ressemblance physique, patronymique ou
psychologique avec des personnes ayant existé est totalement fortuite.
C'est vrai qu'elle était belle Henriette et surtout loin d'être bête. Elle venait tout
juste d'ouvrir les yeux, tout petits et tout ronds, épuisée par le long voyage inopiné
qu'elle venait de vivre. Ses yeux marron ne la trahissaient jamais et elle avait bien
compris que l'endroit où elle se trouvait n'était pas celui dans lequel elle était censée
arriver. Le salon auquel elle participait depuis quatre jours n'était pas terminé et elle
savait que la pièce où elle se trouvait était loin d'être le lieu des festivités. La pièce
était atrocement grise et sombre. Ni fenêtre, ni lumière, juste des murs crasseux et
suintant, comme si du sang jaillissait de ceux-ci.
Quelques jours plus tôt, le soleil matinal de la campagne venait caresser les
doux cheveux dorés d'Henriette, coupés très courts depuis l'enfance. Elle y avait
glissé un petit ruban vert, pour s'embellir un peu plus. C'est vrai qu'elle était belle
Henriette, et encore plus aujourd'hui, l'occasion faisant le lardon, il fallait qu'elle soit
encore plus belle que les autres jours, encore plus belle que les autres années. Elle
allait participer pour la septième année consécutive à un salon internationalement
reconnu où des millions de visiteurs viendraient l'admirer pendant deux longues
semaines.
Ce salon était une réussite pour elle, mais également pour celui qui l'avait
recueillie, nourrie et élevée, comme un père. Henriette avait sans doute connu ses
vrais parents, mais elle ne s'en souvenait pas, la mémoire ça n'était pas son fort. Si
des gens ont une mémoire d’éléphant ça n’était pas son cas. Elle avait plutôt celle
d’un petit cochon. Ce jeune gaillard robuste, répondant au nom de Maurice, l'avait
amenée de force à son premier salon, et depuis, suivait chaque année les avancées
de son Henriette préférée, qui ne rechignait plus le moins du monde à s'y rendre
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pour défiler. En quelque sorte, la campagne était mise à l'honneur lorsqu'Henriette
était sous le feu des projecteurs. Il était fier et elle aussi.
Il n'échapperait pas à la règle cette année puisqu'il allait l'accompagner. Ils
n'allaient cependant pas faire le voyage tout seuls. Un des plus proches amis
d'Henriette, si ce n'est le plus proche, ferait lui aussi la route vers Paris. Dédé,
comme on le surnommait, était plus jeune qu'Henriette mais il appréciait énormément
sa compagnie. Il était arrivé il y a deux ans à la ferme pour renforcer l'équipe et
s'était très vite entendu avec Henriette. Dédé avait sans doute un petit faible pour la
belle Henriette, mais dans leur monde ça ne se disait pas.
Ils s'étaient découvert de nombreux points communs. Le teint légèrement
rosé, la blondeur de leurs cheveux, le goût de la liberté malgré les difficultés de la vie
de la campagne et par dessus tout l'amour de la nourriture. Ils étaient tous les deux
de gros mangeurs et avaient du coup un brin d'embonpoint. Mais le plaisir de manger
valait bien celui des formes, d'autant que ses petites rondeurs superflues étaient
l'une des causes du succès de la belle Henriette.
Dédé et Henriette se regardaient dans les yeux, incapables d'échanger le
moindre mot. À cet instant, le « véhicule familial » entra sur le terrain avec aux
commandes Maurice. Un grand tracteur rouge pénétra la grange dans laquelle les
deux amis patientaient.
Ils arrivèrent dans la nuit de samedi à dimanche sur les coups de trois heures
du matin. Maurice, exténué, fit descendre Dédé et Henriette du tracteur rouge et
posa sa tête sur une botte de foin pour s'endormir. La belle Henriette était contente
de revenir ici et de sentir à nouveau l'odeur du salon international. Il est évident que
ça ne changeait pas beaucoup, le parfum du foin c'était le parfum du foin, mais au
salon c'était différent. La campagne investissait la capitale du chic et de la mode,
attirant chaque année de plus en plus de visiteurs et pour Henriette ça n'avait pas de
prix. Elle était tout simplement heureuse quand elle venait ici et la présence de Dédé
multipliait sa joie.
Le salon battait son plein depuis quatre jours et la belle Henriette s'amusait
toujours autant. Une vraie bête de scène cette Henriette. Les gens passaient près
d'elle et prenaient même la pose à ses côtés pour une séance photo. Elle se sentait
admirée et ça ne lui déplaisait pas, bien au contraire. Elle faisait sa starlette et elle
aimait ça. Henriette trouvait ça chouette ça lui faisait des souvenirs plein la tête. Ce
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qu'elle préférait dans le salon c'était la visite des officiels, les grands noms du monde
politique mais aussi les grandes stars du « Show Business ». Quand ces personnes
venaient au salon, elle savait que les caméras seraient présentes et qu'elle aurait
l'occasion de passer à la télévision.
Henriette était perplexe. Elle vit Maurice pointer son doigt vers elle sous l'œil
malicieux d'un couple assez mystérieux. La femme était petite, le teint très pâle, les
cheveux grisonnants et les traits très fins. Elle approchait les soixante-dix ans et
paraissait assez sympathique. Lui était plus jeune, peut être quarante ans, une
grosse moustache et un gros nez. Il avait la peau rougeâtre, surtout les joues, sans
doute à cause du vin et avait une belle bedaine, sans doute à cause de la bière. Il
paraissait beaucoup plus austère que la vieille dame.
La journée terminée, le tracteur rouge qui venait chercher chaque soir la belle
Henriette s'approcha d'elle et comme chaque soir elle y grimpa. Une fois n'est pas
coutume elle pensa à Dédé et à leur jeu fétiche. Ils étaient vraiment fans de cette
activité, et n'auraient loupé, pour rien au monde, une occasion de s'y adonner avec
force et vigueur. Ils adoraient se rouler dans la boue. Ça peut paraître bizarre, mais
ça les détendait. Ils se sentaient beaucoup mieux après. Cette pensée la berça et
l'endormit.
Elle se réveilla dans un endroit qu'elle ne connaissait pas et elle n'aimait
vraiment pas cette situation. Dédé n'était pas avec elle et pire encore elle était
persuadée que Maurice n'avait pas conduit le tracteur ce soir là. De l'arrière du
tracteur elle avait aperçu les moustaches du gros monsieur de l'après-midi. Elle avait
un peu peur la belle Henriette, ça ne sentait vraiment pas bon. Il ne s'agissait pas
d'une figure de style, mais l'odeur était vraiment putride, un petit fumet de cochon
grillé, comme lorsqu'on se brûle les poils, mélangé à une forte odeur d'huile de
friture. Tout ceci n'allait sûrement pas redonner confiance à la belle Henriette.
Elle regarda autour d'elle, cherchant à reconnaître les lieux, ou mieux encore
guettant une échappatoire à ce qu'elle n'osait même pas imaginer. Soudain, la lourde
porte métallique s'ouvrit dans un grincement sauvage qui fit bouger les grandes
oreilles pointues et recourbées d'Henriette. Une petite tête rose et un gros groin
passèrent le court entrebâillement de la porte à quelques centimètres du sol. C'était
Dédé.
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Quel soulagement pour Henriette qui s'approcha de lui, mais pas le temps de
s'attarder, il fallait fuir et vite. Malgré ses formes généreuses, Dédé courait vite et la
belle Henriette, un poil plus enrobée, avait du mal à suivre. Un bruit sourd derrière
elle l'obligea à presser le pas.
C'était la porte de la salle qui lui avait servi quelques heures de geôle qui
s'était sans doute ouverte plus largement. Un hurlement semblait se diriger vers elle
comme une flèche sur un sanglier traqué. C'est ce qu'elle ressentait en entendant la
vieille dame crier son nom et ordonnant au gros moustachu de la rattraper.
Il fallait quitter au plus vite les lieux et retrouver Maurice pour qu'il repousse
l'affreux duo. Dédé se faufila dans un petit creux sous le mur de briques rouges, la
belle Henriette en fit autant. Elle passa la tête sans grande difficulté, eut un peu de
mal avec le corps, mais fut rattrapée par son volumineux postérieur. Elle ne pouvait
plus passer et savait que si elle reculait, la grosse moustache et sa vilaine comparse
allaient lui mettre la main dessus. Elle grogna pour que Dédé vienne à son aide,
mais il n'entendait pas, il était déjà loin.
Les yeux de la belle Henriette, suivant la course de son meilleur ami,
distinguaient au loin un véhicule familier de couleur rouge. C'était le tracteur qui
chaque année l'emmenait au salon. Elle vit également par le trou la pancarte qui
annonçait l'entrée du salon. Elle apercevait distinctement les lettres qui formaient des
mots et ces mêmes mots qui formaient une phrase, « La » phrase selon elle.
« Bienvenue au 58ème Salon international de l'agriculture ».
Elle devinait la phrase écrite juste en-dessous, celle qui annonçait qu'elle était
la star de la foire avec son nom en haut de l'affiche.
« Henriette la plus grosse Truie de l’année »
La plus jolie truie de l'année c'était elle, la belle Henriette avait battu les autres
bêtes. Son groin frôla le sol qu'elle huma profondément comme si elle sentait qu'elle
ne le referait pas. Une main lourde attrapa la petite queue en tire bouchon
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d'Henriette et sortit d'un coup sec la truie du piège dans lequel elle s'était elle-même
fourrée. Elle savait que la main appartenait à son « pignappeur » mais elle avait peur
pour Maurice et Dédé.
Les lèvres flanquées sous l'épaisse moustache s’exclamèrent : « Tu voulais te
faire la belle, Henriette ? Ce n’est pas gentil de faire crier tante Augustine et de faire
courir oncle Ben's ». La belle Henriette ne savait pas ce qui l'attendait et tournant la
tête vers le muret d'où elle avait été extirpée elle vit le petit groin rose et les jolis
yeux gris pâle de son ami Dédé. Elle lui lança un regard attendri et s'éloigna
lentement en le fixant.
Le gros bonhomme passa la truie à sa collègue qui se dirigea vers une salle
au bout du couloir.
Henriette entrevit l'horreur et, tout en se débattant pour échapper à sa
tortionnaire, poussa un couinement strident qui fit presque trembler la vieille
Augustine et fit bondir le jeune Dédé. En reculant, il se cogna contre une pancarte
qui tomba sur le sol. La pancarte indiquait tout simplement « Abattoir ».
Quelques jours plus tard à l'entrée du salon de l'agriculture on pouvait trouver
des boites de couleurs rouges sur lesquelles la photo d'un cochon rose figurait. Sur
chacune des conserves on pouvait lire :
« La belle Henriette, Un label en rillettes ».
Benjamin ATTIAS
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1 Prix Collège Etudiants
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