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AVANT-PROPOS
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AVANT-PROPOS
Le sport est soumis à des règles, qu’il les ait forgées ou qu’elles
lui soient imposées ; contribue-t-il pour autant à l’ordre public ?
Riche, la notion retenue ici présente l’avantage d’ouvrir largement le spectre de la réflexion. En effet, son acception la plus restreinte met l’accent sur l’harmonie caractérisant une société dans
laquelle règnent, non pas seulement la sécurité (selon l’option retenue
le plus couramment), mais également la sûreté et, par certains aspects,
la salubrité publique. Si on voit bien, du point de vue juridique
notamment, l’ensemble du dispositif légal et réglementaire nécessaire
au maintien d’une telle harmonie, on saisit également que celle-ci ne
va pas sans le concours de règles et de dispositions normatives proprement sociales évoluant dans le temps et dans l’espace.
Une acception plus large et plus dynamique de l’ordre public
peut alors être avancée qui privilégie l’étude de la structuration des
rapports de force existant au sein d’une société et garantissant (ou
menaçant) la paix sociale. Les procédures contractuelles, les mécanismes de coercition, mais également la prégnance des instances de
socialisation, le poids des appartenances et des pratiques particularistes… et plus généralement l’ensemble des modes de régulation renforçant (ou affaiblissant) les normes collectives qui concourent au
maintien d’une forme de cohésion sociale méritent, à ce titre, d’être
étudiés.
On sait, à la lecture de Norbert Élias et Éric Dunning, la part
prise par le sport dans le procès de civilisation des mœurs1. En effet,
la codification progressive des pratiques sportives et le développement d’une éthique de la loyauté physique accompagnent l’intériorisation des normes de retenue, la généralisation de l’autocontrôle, la
monopolisation et l’euphémisation de l’exercice de la violence…
pour aboutir à la pacification tendancielle de la vie sociale.
Fort de ces acquis, choisir d’aborder le sport sous l’angle de
l’ordre public permet d’interroger : 1) l’efficacité des critères de discrimination produits par les différents ordres régissant son organisation,
2) l’ambivalence des fonctions sociales prêtées aux divers acteurs et
1. Élias Norbert, Dunning Éric, Quest for Excitement. Sport and Leisure in the Civilizing Process,
Basil Blackwell, Oxford, 1986 ; traduction française, Sport et civilisation. La violence maîtrisée,
Paris, Fayard, 1994.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
groupes sportifs intervenant dans un même environnement, 3) le
caractère intégrateur des conflits et déviances sportives et supportéristes parvenant à s’exprimer, 4) la part prise par les pratiques économiques et financières illégales (ou pour le moins douteuses) à la
pérennisation du monde sportif.
C’est respectivement l’objet de chacune des parties constituant
cet ouvrage que de tenter de le vérifier.
Rouen, le 7 octobre 1999
■
Jean-Charles BASSON
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INTRODUCTION : HISTOIRE DU SPORT
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INTRODUCTION :
HISTOIRE DU SPORT,
RÉGULATIONS SOCIALES
ET CONTRÔLE PUBLIC.
ENTRE AUTONOMISATION
ET MISE SOUS TUTELLE
■
Jacques DEFRANCE
Résumé : l’histoire du sport se caractérise, en France, par une tension
entre deux processus : l’autonomisation du monde sportif et de ses
organes, d’une part ; les tentatives de mise sous tutelle pesant sur lui,
d’autre part. Suivant les périodes, une gamme variée d’acteurs, de
groupes sociaux et d’institutions contribue à faire pencher la balance
d’un côté ou de l’autre. De telle façon que la nature de la part prise par
les activités physiques et sportives à la contestation, au maintien ou à la
consolidation de l’ordre public doit être appréciée à la lumière de ces
variations tendancielles.
Les formes de contrôle public s’exerçant sur le sport ne peuvent
être historiquement saisies sans prendre en compte les propriétés de
cette activité et les modes de régulation sociale qui se mettent en
place, à différents moments, en son sein et la structurent durablement. Par ailleurs, si les contrôles externes voient leur efficacité, en
partie, déterminée par le degré d’autonomie acquis par le mouvement sportif au cours de son histoire, les formes de régulation économiques, médiatiques et professionnelles d’une part, et les modes
d’administration publique mis en œuvre récemment d’autre part,
semblent peser plus fortement qu’auparavant sur son organisation.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
DES RÉGULATIONS SOCIALES
ANTÉRIEURES À L’INVENTION DES SPORTS
Lorsque les sports compétitifs apparaissent, dans le dernier tiers du
XIXe siècle, une forme d’activité physique visant à cultiver les capacités corporelles existe déjà, la gymnastique1. En conséquence, les premières formes de contrôle public appliquées aux sports naissants
dérivent des méthodes mises en place pour surveiller les sociétés de
gymnastique. Par la suite, le sport pose des problèmes d’ordre suffisamment originaux pour que de nouveaux mécanismes de régulation
soient établis, tandis que se modifient les conditions de vie.
Les activités physiques modernes ont pour caractéristiques
d’être pratiquées régulièrement selon les normes du travail et de conduire à une modification progressive des aptitudes et de la force
motrice du corps. Dès le XIXe siècle avec le développement de la gymnastique en Europe (Allemagne, Suisse, Danemark, Suède, France…),
cette culture du corps organisée collectivement suscite des inquiétudes parmi les autorités publiques. Il faut dire que les groupements
mobilisés pour se fortifier sont souvent politisés, participent à des
mouvements nationalistes, revendiquent une certaine indépendance
et débouchent parfois sur des situations insurrectionnelles. Cette gymnastique d’hommes, qui repose sur une vision de la force collective,
possède ainsi une dimension expressive et met en avant des symboles
d’affirmation de l’identité de groupes dans l’espace politique2.
De telle façon qu’une sorte d’incertitude pèse sur la gymnastique et les États, réticents ou inquiets, l’interdisent momentanément
(comme en Allemagne entre 1819 et 1842) ou la surveillent (tel fut le
cas des sociétés de gymnastes français favorables aux révolutions
de 1848 et 1871). L’appareil de contrôle est alors celui qui vaut pour
toutes les associations : la police et le ministère de l’Intérieur. Mais
de manière plus subtile, des hommes de l’armée organisent les
milieux de la gymnastique et contribuent à réguler l’action de celleci : ce sont, en effet, les militaires qui veillent à ce que l’usage de la
violence et de la force pure reste le monopole de l’armée et ne soit
1. Sur les origines des sports et sur les distinctions à opérer entre les activités physiques et corporelles (la gymnastique, par exemple) et les sports inspirés du modèle anglais (football et rugby,
notamment), voir : Hubscher Ronald (dir.), L’histoire en mouvements, le sport dans la société française (XIXe-XXe siècles), Paris, Armand Colin, 1992.
2. À ce titre, l’analyse doit aller contre la vision historiquement imprécise d’une activité physique
qui aurait toujours pour fonction d’aliéner la conscience politique. Contre cette thèse, qu’on trouve
clairement formulée dans les publications de Jean-Marie Brohm (notamment dans Sociologie politique du Sport, Paris, J.-P. Delarge-éd. universitaires, 1976 ; rééd., Nancy, Presses universitaires de
Nancy, 1992), voir : Defrance Jacques, « Se fortifier pour se soumettre ? » in Pociello Christian et
al., Sports et Société. Approche socio-culturelle des pratiques, Paris, éditions Vigot, 1981, p. 75-84.
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INTRODUCTION : HISTOIRE DU SPORT
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pas disséminé dans la vie civile. Ils cantonnent les groupements de
gymnastes à des pratiques préparatoires à la guerre, modérant les formes d’exercice les plus violentes par des effets pacificateurs1.
Lorsque les sports compétitifs apparaissent et commencent leur
long mouvement d’expansion aux dépens de la gymnastique, ils laissent redouter l’accroissement des dangers. En effet, les sports paraissent plus violents que cette dernière. Le monde de la gymnastique
avait valorisé la force musculaire et la puissance globale du corps,
mais, dans son fonctionnement, il observait deux normes strictes :
l’une définissait les conditions nécessaires pour qu’un exercice physique soit bénéfique et énonçait que seul l’exercice raisonné et modéré
produit des effets positifs ; l’autre interdisait de se mesurer directement entre individus d’âges et de statuts différents dans une confrontation physique, c’est-à-dire empêchait le développement des compétitions (au cours desquelles un soldat aurait pu maîtriser un officier
ou un jeune dominer un adulte). L’exercice devait avant tout entraîner les hommes ensemble et non dresser les individus les uns face
aux autres. Rationalité et exercices collectifs constituaient deux principes de régulation extrêmement efficaces2.
Avec les « jeux sportifs », portés par une fraction réformatrice
de la bourgeoisie, la norme de modération et la censure de la compétition s’effacent, mais toute régulation ne disparaît pas pour autant.
L’exercice peut désormais aller jusqu’à l’excès, et l’organisation met
en place des confrontations de chacun contre tous. Lorsque Pierre de
Coubertin explique que « le sport est le culte volontaire et habituel
de l’effort musculaire intensif appuyé sur le désir de progrès et pouvant aller jusqu’au risque », et qu’il ajoute : « Il doit être pratiqué
avec ardeur, je dirais même avec violence »3, il provoque des craintes parmi les tenants de l’ancienne forme d’activité physique qui
redoutent des surenchères allant jusqu’à l’épuisement et des affrontements compétitifs dérivant vers la bataille rangée.
Le développement ultérieur des sports confirme en partie ces
craintes (efforts excessifs, effondrements physiques, intensification de
la compétition, violence, dopage…4), sans pour autant que la situation de l’ordre public soit plus menacée qu’auparavant, car le sport
développe un tout autre rapport à la politique que celui de la gym1. Cette orientation est cohérente avec le processus général de civilisation des mœurs. Voir, à ce
sujet : Defrance Jacques, « Le goût de la violence » in Garrigou Alain, Lacroix Bernard (dir.), Norbert Élias. La politique et l’histoire, Paris, La Découverte, 1997, p. 290-300.
2. Voir, à ce sujet : Defrance Jacques, L’Excellence Corporelle. La Formation des activités physiques
et sportives modernes. 1770-1914, Rennes – Paris, Presses universitaires de Rennes – STAPS, 1987.
3. De Coubertin Pierre, Pédagogie sportive, Lausanne, 1922.
4. Sur les premières expériences de dopage, voir : Hobermann J., Mortal Engines. The Science of
Performance and the Dehumanization of Sport, New York, The Free Press, 1992.
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nastique. En effet, l’institution sportive se construit petit à petit
comme « un monde à part », un univers de jeux et de performances
purement sportives, ayant ses règles et ses enjeux. Il s’autonomise un
peu plus qu’auparavant de la vie sociale et politique. Ce mouvement
produit une dépolitisation de la culture du corps qui maintient fréquemment les milieux de pratiquants loin de la violence subversive
ou révolutionnaire1. Le monde des sports se construit alors comme
un espace d’affrontements pensés et appréciés au moyen de catégories culturelles ou de schèmes non-politiques : soit biologiques, avec
une variante naturalisante (« race », caractère national…) ; soit psychologiques, avec une variante individualisante (corps intime, psychologie individuelle…).
LES DEUX ÉTATS DU CHAMP SPORTIF
Dire ainsi qu’un champ sportif se forme, se consolide et acquiert une
autonomie relativement plus forte entre 1895 et le tournant des
années 1970 suppose la mise en évidence de deux modes de fonctionnement de cet espace : l’un caractéristique du tournant du siècle,
avec un degré d’autonomie faible par rapport à certains mécanismes
de la vie sociale et de son environnement direct ; l’autre caractéristique des années 1950-1970, avec une autonomie trouvant dans les
formes de régulation économiques, médiatiques et professionnelles
l’occasion de s’affirmer plus fortement (bien qu’elle soit, à ce
moment-là encore, très relative). Sans en donner une description
complète, soulignons les aspects qui aident à comprendre les formes
du contrôle public ajustées à chacun de ces modes régulatoires.
Les formes de régulation
« locales-communautaires »
Dès l’origine des sports, des modes de régulation des comportements
sont en place, structurés par les valeurs et les pratiques éducatives
qui enserrent l’initiation et la participation aux compétitions. En effet,
au milieu du XIXe siècle en Angleterre, aux États-Unis et, après 1870,
dans les pays d’Europe occidentale, les sports sont pratiqués par de
jeunes bourgeois dans des institutions d’éducation (public schools,
universities et lycées français). Les pratiquants de la première heure
ne sont pas nombreux. Dans les écoles anglaises, le sport est imbri-
1. Defrance Jacques, « Le sport et la politique de l’apolitisme » in Assemblée nationale, Catalogue
de l’exposition Sport et Démocratie, Paris, Assemblée nationale, 1998, p. 87-90.
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INTRODUCTION : HISTOIRE DU SPORT
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qué dans la pédagogie « totale » de l’internat que les réformateurs de
l’éducation ont élaborée avant 1850 (tel Thomas Arnold, headmaster
du college de Rugby)1 : la combinaison constitue le programme du
courant de la muscular christianity qui attribue aux sports « nouveaux » une fonction de formation du caractère. Elle induit une régularité et des principes de modération évitant les débordements : code
de fair-play, arbitrage par une personne extérieure au jeu, règlement
prévoyant des sanctions sportives pour les infractions aux règles,
mais aussi des sanctions scolaires ou des formes de blâme au sein du
groupe des adolescents (vexations, exclusions, semble-t-il d’une
grande efficacité symbolique)2. Les jeux sont rudes et les brutalités
sont traitées selon des principes de justice issus du code moral de
l’école, très lié à la religion.
Les petits groupes constitués en associations ou en clubs autour
des lycées et collèges en France entre 1875 et 1914 forment aussi des
sortes de communautés, groupes d’amis, sociétés où tout le monde se
connaît et dans lesquelles les autorités morales et éducatives patronnent les activités des jeunes. Contrairement à la vision romantique de
l’histoire des « pionniers » du sport développée par de Coubertin, les
montrant « seuls, dressés contre les préjugés de tous », les données
historiques livrent un tableau des premières associations scolaires
formées avec l’accord et la bénédiction des proviseurs des lycées et
collèges3. Une régulation propre au monde scolaire est en place.
Les groupements sportifs enracinés dans les classes populaires
(en boxe française par exemple) ou ceux formés dans les classes
moyennes (en natation)4 ne sont pas très différents dans leur structure. En général : 1) le groupe fait du sport, mais pratique aussi
d’autres activités divertissantes ou utiles (autres jeux ou activités
culturelles : préparation à la guerre, au sauvetage, réhabilitation physique…), autrement dit les liens entre les membres sont sportifs, mais
ils n’excluent pas les liens familiaux, amicaux, scolaires, de quartier,
de confession, d’usine, d’atelier ou encore de régiment… ; 2) les
règles de fonctionnement dans le groupe sportif doivent beaucoup à
des coutumes en vigueur dans la vie sociale à l’extérieur du groupe :
par exemple, quand les membres du Club alpin français de la fin du
XIXe siècle se réunissent, ce sont les formes de sociabilité de la bourgeoisie de notables qui prévalent, et quand ce sont les amateurs de
1. Mangan J.-A., Athleticism in the Victorian and Edwardian Public School. The Emergence and
Consolidation of an Educational Ideology, Cambridge University Press, 1981.
2. Voir, à ce sujet : Tozer M., « From Muscular Christianity to Esprit de corps : Games in the Victorian Public Schools of England », Stadion, 1981, 7, p. 117-130.
3. Weber E., « Pierre de Coubertin and the Introduction of Organized Sport in France », Journal of
Contemporary History, 1970, vol. 5 (2) ; traduction française, « Pierre de Coubertin et le sport
organisé » in Weber E., Ma France, Paris, Fayard, 1991.
4. Terret Thierry, Naissance et développement de la natation sportive, Paris, L’Harmattan, 1994.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
canne ou de boxe française qui s’assemblent, ils le font dans l’arrièresalle d’un bistrot, en bonne compagnie, et ils entrecoupent leurs
assauts de repas et de boissons, de chants et d’histoires… Ainsi, pendant une première phase, les pratiques sportives ont une faible autonomie par rapport aux conventions de la vie sociale, que ce soit la
vie bourgeoise ou celle des classes populaires1. Bien que les sports,
les techniques, les jeux (aviron, saut en hauteur, football…) soient
créés et dotés de règles propres, ils ne peuvent être pratiqués sans
tenir compte des règles en vigueur dans le cadre institutionnel où ils
prennent place : à l’école, dans l’armée, entre gens du monde, entre
« hommes forts » du peuple…
Cette structuration des relations dans le sport (alors proche de
la gymnastique) permet le développement d’un sport affinitaire. Cette
forme de pratique sportive ne se contente pas du sport et vise des
buts sociaux ou idéologiques plus importants, maintenant ainsi un
pôle du monde sportif arrimé à la vie sociale jusqu’au milieu du
XXe siècle. On trouve principalement les sportifs catholiques avec la
Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF)
active jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et d’un autre côté, les
ouvriers avec plusieurs courants syndicaux unifiés en 1935 dans la
Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT)2.
Les formes de régulation économiques,
médiatiques et professionnelles
Une autre logique est à l’œuvre dans le fonctionnement des institutions sportives. Elle tient à la dimension spectaculaire de la production de performance qui, dans son ressort profond, est faite pour être
publiquement vue, mesurée, enregistrée et comparée. Des situations
d’exhibition sont organisées dès l’origine : challenges, championnats,
courses à travers les villes… Dans ce cadre où la pratique prend une
dimension expressive, où elle se montre pour provoquer l’attention,
le plaisir et l’excitation parmi un public de spectateurs, d’autres relations que celles articulant le groupe des pratiquants se forment, tout
aussi importantes dans l’histoire du sport3 : notamment des relations
d’attraction symbolique et d’échange économique, la prestation
1. Defrance Jacques, « L’autonomisation du champ sportif. 1890-1970 », Sociologie et Société,
vol. XXVII, n° 1, printemps 1995, p. 15-31.
2. Sur le sport ouvrier, voir : Arnaud Pierre (dir.), Les origines du sport ouvrier en Europe, Paris,
L’Harmattan, 1994.
3. Leur prise en compte véritable en sociologie est accomplie par Norbert Élias : Élias Norbert,
Dunning Éric, Quest for Excitement. Sport and Leisure in the Civilizing Process, Basil Blackwell,
Oxford, 1986 ; traduction française, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1994
(avant-propos de R. Chartier).
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INTRODUCTION : HISTOIRE DU SPORT
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spectaculaire étant offerte contre un prix d’entrée. L’organisation de
spectacles sportifs introduit ainsi une forme de concurrence entre
producteurs de spectacle (entre organisateurs, mais aussi entre athlètes) pour atteindre la visibilité et l’effet sensible maximal. Quelques
manifestations sportives atteignent une grande renommée : les
enjeux économiques s’accroissent et la surenchère dans le sensationnel pousse les organisateurs à durcir les épreuves (courses plus longues, combats plus violents, exploits plus risqués…). Le sport pratiqué pour le plaisir procuré par le spectacle de la performance, par
des hommes dont la vie est entièrement dévolue à cette question,
prend place à côté du sport utile : les relations entre les deux formes
sont conflictuelles.
De fait, le monde sportif est durablement divisé en deux
courants : l’un luttant pour « délivrer » la pratique des convenances
sociales et des normes hygiéniques et pédagogiques qu’elle respecte,
l’autre faisant pression pour conserver ces principes régulateurs.
Entre 1900 et 1935, et de nouveau après 1950, les porte-parole du
spectacle sportif et du sport professionnel, qui ont intérêt à ce que
l’objet de leur spectacle soit valorisé pour lui-même, renforcent leurs
positions et induisent une poussée d’autonomisation du champ sportif. Cependant, le mouvement n’est pas linéaire, les fluctuations historiques peuvent renverser le processus d’autonomisation : ainsi, avec
les régimes dictatoriaux installés en Europe dans les années 1920
et 1930, avec la politique de Vichy en France, le sport revient dans
l’orbite du pouvoir politique, sous l’autorité de l’armée, des notables ou des éducateurs qui lui impriment une autre logique que la
sienne.
Mais déjà critiqué au nom du « sport pur » dans l’entre-deuxguerres, le sport qui affirme son attachement à des visées morales et
sociales, notamment le sport affinitaire, décline après 1950. La
balance entre la soif de performance et les préoccupations éducatives, dans l’éducation physique scolaire par exemple, penche petit à
petit du côté compétitif : alors que la règle dominante avait été pendant des décennies de pratiquer une éducation physique avant
d’aborder le sport à l’âge de 16 ou 18 ans, on voit se mettre en place
des initiations sportives pour des enfants de plus en plus jeunes et qui
passent très vite à la compétition. Dans l’école même, l’éducation
physique se « sportivise » (en France, le basculement a lieu dans les
années 1960). Dans les relations entre sportifs et éducateurs, ce ne
sont plus les normes des pédagogues que les premiers doivent respecter, ce sont les objectifs des compétiteurs que les seconds doivent
servir. Le sport affirme sa souveraineté et se montre désormais capable d’imposer ses orientations aux institutions militaires, médicales
ou scolaires dont il s’est autonomisé.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
AUTONOMISATION
ET EFFETS INDUITS
L’autonomisation du mouvement sportif tend à dégager un certain
nombre d’effets induits d’une telle importance qu’ils en viennent à
compromettre le processus qui les a portés. C’est ainsi que, d’une
part, la souveraineté affichée par le pouvoir sportif s’accompagne de
l’édification d’un système de contrôle interne d’une lourdeur confinant à la paralysie, sans parler de sa légitimité diversement appréciée. D’autre part, la codification d’un système de règles propres au
mouvement sportif tend à entrer en concurrence avec le droit commun. Si bien que pour entraver cette dualité de pouvoirs, l’autorité
publique est tentée de reprendre la main et d’inverser durablement
un processus construit sur le long terme.
Souveraineté du pouvoir sportif
et bureaucratisation des instances
de contrôle internes
À mesure que la pratique du sport devient plus fréquente et plus
poussée (c’est-à-dire plus intense et plus risquée), mais aussi à mesure
que les différends entre pratiquants ne sont plus réglés par des médiations issues du milieu où l’activité se déroule (conséquence de l’autonomisation), les organisations sportives ont eu à supporter une
charge croissante de réglementation, de contrôle et de pénalisation
des comportements de leurs membres. Dans les fédérations, qui
avaient déjà pour mission d’élaborer des règles de jeu communes
afin que les clubs puissent se rencontrer dans des conditions standardisées et équitables, des organes sont créés pour traiter les contentieux1. Tout au long de l’expansion de l’institution sportive, ces commissions sécrètent leurs règles. Le milieu des responsables fédéraux
comprend une bonne part d’avocats, de juges… toute une bourgeoisie dotée d’une culture juridique mise au service de la production
d’un corpus de textes que les juristes qualifient de « droit sportif »2.
Dans un premier temps, les organisations sportives tentent de circonscrire les problèmes d’ordre à la sphère dont elles assurent la gestion. Ainsi ont-elles essayé d’établir un article de règlement excluant
tout sportif qui porte une affaire devant les tribunaux civils. Cette
clause a été jugée abusive en 1900. Néanmoins, dans la pratique,
1. Les revues éditées par les premières organisations sportives ont une tonalité très réglementaire.
Voir Les Sports athlétiques dans les années 1890, ou L’Auto avant 1914.
2. Voir par exemple, Loup J., Les sports et le droit, Paris, Dalloz, 1930.
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elle est tacitement mise en œuvre : ainsi, en 1930, un juriste note que
« les décisions des juridictions sportives sont universellement respectées et [que] le nombre des affaires où elles ont été évoquées devant
les tribunaux est extrêmement faible »1.
Avec la montée des enjeux économiques et politiques liés au
sport-spectacle, la multiplication des manifestations et des effectifs de
sportifs professionnels, les différends à traiter dans les commissions
d’appel, les protestations et les plaintes, ont pris une telle ampleur
que les fédérations ont dû se doter de moyens matériels supplémentaires et d’une organisation qui permette d’y répondre. Si l’histoire de
cette partie de l’organisation fédérale reste à faire2, on peut dire que
la bureaucratisation des organisations sportives est déjà sensible dans
les années 1920-1930, ainsi que sa dénonciation. Elle est encore plus
marquée dans les années 1960-1970, quand l’État les incite à gérer
leurs affaires avec plus de rigueur et soumet l’octroi de subventions
au respect de règles de travail administratif classiquement appliquées
dans la sphère publique. À mesure que le champ sportif s’autonomise, les problèmes d’ordre sont de plus en plus systématiquement
reportés vers des organes spécifiquement sportifs, puisque l’institution revendique le pouvoir de régler par ses propres moyens les questions qui concernent le sport. La massification des pratiquants et des
pratiques et le renforcement de la souveraineté des pouvoirs sportifs
se conjuguent pour produire des « machines fédérales » dont l’extension culmine en quelque sorte dans les années 1970-1980.
Ambivalence des relations
avec l’autorité publique et dualité des pouvoirs
Jusque dans les années 1920, l’éducation physique et le sport relèvent d’un bureau, puis d’un sous-secrétariat d’État dirigé par des
hommes issus de l’armée (Henry Paté) ou par d’anciens combattants
(Gaston Vidal), et le rattachement administratif au ministère de la
Guerre ne se défait qu’à la fin de cette décennie3. L’État français
hésite ensuite dans sa volonté d’intégrer le sport dans une politique
publique plus large : inséré dans la santé, selon une vision eugéniste
et hygiéniste marquante dans les années 1930, rattaché à l’éducation
nationale (ou Instruction publique) malgré l’hostilité des éducateurs à
1. Ibidem, p. 114.
2. Seules les plus grandes fédérations internationales ont été étudiées : Chappelet Jean-Loup, Le
système olympique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1991 ; Sugden J., Tomlinson A.,
FIFA and the Conquest for World Football, Londres, Polity Press, 1998.
3. Spivak M., Éducation physique, sport et nationalisme en France du Second empire au Front
populaire : un Aspect original de la défense nationale, Paris, thèse d’État, université Paris I, 1983,
tome 3.
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l’encontre du sport-spectacle, relié aux loisirs pendant le Front populaire, il est finalement accolé à une politique de la Jeunesse en 1940,
solution administrative que la République conserve par la suite.
Au-delà des concurrences tutélaires, les relations entre les pouvoirs sportifs et l’autorité publique sont en permanence marquées par
l’ambivalence1 : d’un côté, des appels sont lancés pour que l’État
soutienne la pratique sportive financièrement et techniquement, pour
qu’il moralise le milieu du sport-spectacle, bref pour qu’il intervienne
au nom de la sauvegarde de la jeunesse ou de la défense de la
« race »… ; d’un autre côté, des promoteurs des sports agissent pour
renforcer leur secteur, affirmer leur souveraineté sur les pratiques
sportives et se dégager des tutelles sociales et politiques existantes
(tel le droit de regard de l’armée sur les sports, sur l’éducation physique et la préparation militaire)2. Cette ambivalence induit des relations oscillantes, des alliances complexes qui se nouent et se
dénouent.
*
* *
Au bout du compte, l’autonomisation fédérale relativement
poussée et l’alliance avec l’État (caractéristique des années 19501970) encourage un système dual de règles (droit sportif, droit ordinaire), avec une prédominance des régulations spécifiquement sportives. Mais déjà à cette époque, l’État encourage une sorte de « professionnalisation » dans le sport de haute compétition et,
parallèlement, les milieux dirigeants des fédérations comprennent de
plus en plus de membres du patronat3. Préparant la phase de « marchandisation » du sport des années 1980 et 1990, ils conduisent à
une rupture des équilibres précédents, caractérisée notamment par
une poussée de judiciarisation des problèmes du sport qui ne peuvent plus désormais être traités dans la seule sphère sportive. Dans
cette dynamique récente, tout se passe comme si le degré d’autonomie du champ allait en diminuant, les puissances publiques, financières et industrielles introduisant le droit commun dans le sport :
celui des contrats commerciaux présidant à l’émergence des sociétés
anonymes à objet sportif ou celui du droit du travail illustré, en premier lieu, par l’arrêt Bosman prononcé en 1995 qui ôte la possibilité
1. Voir sur ce point, Defrance Jacques, « Les activités physiques et les sports face à l’État » in Clément Jean-Pierre, Defrance Jacques, Pociello Christian, Sport et pouvoirs au XXe siècle. Enjeux culturels, sociaux et politiques des éducations physiques, des sports et des loisirs dans les sociétés
industrielles (années 20-années 90), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1994, p. 33-52.
2. La revendication est permanente. Par exemple : Goddet J., « Le sport doit vivre sa vie »,
L’Équipe, 15 octobre 1947.
3. Voir par exemple, le tableau des professions des dirigeants de fédérations dans L’Équipe du
26 décembre 1962.
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INTRODUCTION : HISTOIRE DU SPORT
19
pour les pouvoir sportifs de déroger aux principes énoncés par la
Communauté européenne1.
Références bibliographiques
Actes de la recherche en sciences sociales, « L’espace des sports »,
n° 79, septembre 1989 et n° 80, novembre 1989 ; « Les enjeux
du football », n° 103, juin 1994.
CLÉMENT Jean-Paul, DEFRANCE Jacques, POCIELLO Christian, Sport et pouvoirs au XXe siècle, Grenoble, PUG, 1994, 204 p.
DEFRANCE Jacques, « L’autonomisation du champ sportif, 1890-1970 »,
Sociologie et sociétés, vol. XXVII, n° 1, printemps 1995, p. 15-31.
ÉLIAS Norbert, DUNNING Éric, Quest for Excitement. Sport and Leisure
in the Civilizing Process, Basil Blackwell, Oxford, 1986 ; traduction française, Sport et civilisation. La violence maîtrisée,
Paris, Fayard, 1994, 393 p.
1. L’exemple le mieux analysé est le football. Voir : « Les enjeux du football », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 103, juin 1994 ; « Football et sociétés », Sociétés et Représentations,
n° 7, décembre 1998.
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21
Première partie
ORDRE PUBLIC,
ORDRE SPORTIF :
UNE DUALITÉ
DE POUVOIRS
■
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU DROIT COMMUN
23
LE SPORT À L’ÉPREUVE
DU DROIT COMMUN :
LA FIN D’UNE EXCEPTION ?
■
Colin MIÈGE
Résumé : marqué par ses origines privées, le sport a longtemps été régi par
des règles qui lui étaient propres. Toutefois, les pouvoirs publics ont
imprimé une marque de plus en plus forte sur l’organisation des activités
physiques et sportives à mesure que grandissait leur place dans la société.
Avec l’arrêt Bosman, rendu en 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes, ce processus a pris une nouvelle dimension : le droit communautaire a fait intrusion au cœur du pouvoir sportif en signifiant que
l’exception sportive ne s’applique pas au sport professionnel. Aujourd’hui,
l’ordre sportif est en crise au point de justifier que les pouvoirs publics,
nationaux et communautaires, s’en préoccupent. La notion d’exception
sportive pourrait alors, par un étrange retournement, être reprise par ces
derniers pour tenter de préserver les valeurs fondatrices du sport.
Le sport, comme toute autre activité humaine organisée, a besoin
de règles. Traditionnellement, chaque discipline sportive est encadrée
par un corpus de réglementations à caractère technique et déontologique qui permet à tout sportif de la pratiquer, notamment en compétition, selon des règles identiques partout dans le monde. Ces règles sont
assorties de pénalités ou de sanctions, tant il est vrai que le moindre
manquement risque de faire perdre à l’épreuve sportive toute signification, quand il ne la fait pas dégénérer en affrontement pur et simple.
La nécessité incontestée de pratiquer une même discipline selon
des règles strictement codifiées et universellement appliquées a conduit le mouvement sportif à se structurer, dans son organisation
comme dans son fonctionnement, selon un ordre hiérarchique et
universel1. Ce schéma traditionnel est constitutif d’un ordre sportif, largement autonome à l’origine, mais aujourd’hui de plus en
plus soumis aux principes généraux du droit qui s’appliquent à
toute activité socialement organisée. En effet, l’évolution récente
est caractérisée par la soumission progressive des activités sportives à la réglementation publique, ce qui a pour effet de réduire signi-
1. Pour une présentation plus précise de cette organisation, voir : Miège Colin, Les institutions
sportives, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1997 (2e édition). On retiendra qu’au sommet de la
pyramide figurent le Comité international olympique (CIO) et les fédérations sportives internationales (FSI), olympiques et non olympiques. La base est constituée, pour sa part, de la multitude des
clubs sportifs affiliés à chaque fédération sportive et répartis dans l’ensemble des pays.
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24
SPORT ET ORDRE PUBLIC
ficativement l’autonomie des autorités sportives. Si la France a poussé
assez loin l’intrusion des règles étatiques dans l’ordre sportif, un constat similaire peut être fait dans la plupart des pays occidentaux, avec
cependant des degrés d’intensité variable.
Les raisons d’une telle évolution sont multiples et n’ont cessé de
se renforcer depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En premier
lieu, le sport, autrefois réservé à une minorité de privilégiés, est devenu
une activité sociale et culturelle de première importance et le développement de sa pratique pour le plus grand nombre est reconnu d’intérêt
général par l’ensemble des pouvoirs publics. Par ailleurs, dans sa composante de haut niveau, le sport constitue pour chaque État un enjeu
symbolique suffisamment fort pour justifier un soutien public important.
À ces considérations déjà anciennes s’ajoutent de nouvelles : les
dérives dont souffre le sport moderne (qu’il s’agisse du dopage, de la
violence ou des excès commerciaux) appellent des actions énergiques
et coordonnées des gouvernements, en complément de celles des
autorités sportives. Certes, le Comité international olympique, organe
suprême du mouvement sportif, a naturellement vocation à jouer un
rôle moteur dans cette nouvelle régulation. Ainsi, face aux dimensions
prises par les affaires de dopage, a-t-il organisé, en février 1999, une
réunion relative à la création d’une agence internationale de lutte contre le dopage. Cependant, les réponses des autorités sportives apparaissent souvent élaborées sous la pression des événements et n’offrent pas
toujours les garanties d’impartialité escomptées. Autrement dit, face à
un mouvement sportif peu unitaire et traversé par des aspirations parfois contradictoires, l’action corrective des gouvernements pour endiguer les fléaux qui menacent le sport reste plus que jamais justifiée.
Toutefois, dans le contexte de la mondialisation des intérêts économiques et commerciaux et du développement des épreuves sportives
internationales, il est devenu évident que la lutte contre le dopage ou la
violence dans le sport, comme le contrôle des règles relatives à la concurrence, doivent désormais être coordonnés à un niveau supranational. À
cet égard, l’Europe, – et singulièrement l’Union européenne, soucieuse de
maintenir un « modèle sportif européen » qu’elle estime aujourd’hui
sérieusement menacé – a sans doute un rôle nouveau et important à
jouer1. Les initiatives attendues dans ce domaine ne seraient pas en contradiction avec la notion « d’exception sportive » que souhaite préserver le
mouvement sportif européen et sur laquelle les instances communautaires
semblent aujourd’hui moins réservées que naguère. Elles viendraient heu-
1. Sur les incidences de la construction européenne sur les activités sportives, voir : Miège Colin,
Le sport européen, Paris, PUF, coll.. « Que sais-je ? », 1996 (1re édition) ; Husting Alexandre,
L’Union européenne et le sport, Lyon, éditions Juris-Service, 1998.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU DROIT COMMUN
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reusement compléter les règles à portée générale que la communauté
européenne a déjà imposées à la pratique sportive professionnelle, considérée comme une activité économique ordinaire, et dont l’arrêt Bosman
de 1995 est la manifestation la plus éclatante.
LES ORIGINES DE L’ORDRE SPORTIF
ET SA SOUMISSION AUX RÈGLES
D’ORDRE PUBLIC
Des origines historiques
des fédérations sportives à la situation actuelle
Dès la fin du XIXe siècle, les premières unions, ou fédérations de clubs
sportifs, ont vu le jour dans les principaux pays européens et aux
États-Unis grâce à des initiatives privées. À l’origine, le fonctionnement de ces fédérations était très libre. Parallèlement, la création, en
1894, du CIO sous l’impulsion de Pierre de Coubertin a permis, avec
la restauration des Jeux olympiques, le développement des rencontres
sportives internationales et surtout la constitution d’un mouvement
sportif international. L’émergence des fédérations sportives internationales (FSI) s’est poursuivie durant la première moitié du XXe siècle.
Véritables promoteurs du développement de leur discipline
sportive au niveau mondial, les FSI se sont dotées d’un pouvoir normatif à portée universelle qui, au fil du temps, est devenu considérable. En effet, elles sont chargées de définir l’ensemble des règles techniques s’appliquant à la discipline dont elles ont la charge, d’établir
les règlements régissant les compétitions, de contrôler leur déroulement et de fixer les normes concernant les équipements sportifs. Elles
exercent en outre un pouvoir juridictionnel qui s’impose aux fédérations nationales et à leurs licenciés.
De plus, les FSI, qui sont chargées de régir aussi bien le sport amateur que le sport professionnel relevant de leur discipline – lorsqu’il
existe –, sont en principe en situation de monopole, ce qui tend à
conforter leur pouvoir. Leurs décisions peuvent s’imposer indirectement aux États et aux collectivités publiques : c’est le cas en particulier lorsqu’elles décident de modifier les normes d’un équipement
sportif susceptible d’accueillir une compétition officielle. Il existe
parmi les FSI une extrême disparité de taille, accentuée au cours de
la dernière décennie par le développement exponentiel des droits de
télévision perçus par quelques-unes d’entre elles, notamment la fédération internationale de football association (FIFA), la fédération
internationale automobile (FIA) et la fédération internationale de bas-
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
ket-ball (FIBA)1. Cependant, les fédérations sportives, tant nationales
qu’internationales, sont soumises de façon croissante à des dispositions juridiques et réglementaires émanant des pouvoirs publics.
La réception de la réglementation publique
dans l’ordre sportif : le cas français
L’exception française ?
La France est sans doute l’un des pays qui a poussé le plus loin
l’intervention étatique dans l’organisation du mouvement sportif, au
point que l’on peut parler, ici encore, d’exception française. Il est
d’ailleurs symptomatique que notre pays soit le seul au sein de
l’Union européenne – à l’exception du Luxembourg – à disposer d’un
département ministériel spécifiquement en charge des sports. Néanmoins, même s’il existe des modes d’intervention étatique beaucoup
moins marqués, notamment en Europe du Nord, tous les gouvernements européens ont pris en compte à des degrés divers la dimension
sportive dans la conduite de leur politique générale.
En France, l’origine de l’intervention de l’État dans le domaine
du sport remonte à la Charte des sports édictée en décembre 1940
par le gouvernement de Vichy. Toutefois, la Libération, loin de marquer le retour à l’autonomie, a vu en 1945 la consécration du principe de la délégation de pouvoir accordée par l’État aux fédérations
sportives en reconnaissance de la mission de service public qu’elles
assument dans le développement de leur discipline. C’était certes
reconnaître aux fédérations l’importance sociale que revêt la promotion de leur sport, mais aussi les assujettir à un ensemble de contraintes dont le contour n’a cessé de se préciser au fil des ans.
La loi du 16 juillet 1984, reprenant des dispositions antérieures
et plusieurs fois modifiée, a réaffirmé le principe d’une responsabilité
partagée entre l’État, les autorités sportives et les collectivités locales
dans l’organisation et la promotion des activités physiques et sportives. Le cadre juridique posé par la loi de 1984 entérine une situation
de fait, dans laquelle les activités sportives sont gérées par une multitude d’acteurs, tant publics que privés, dont les motivations peuvent
s’avérer divergentes en pratique. L’État a donc en la matière un rôle
1. Ainsi, la FIFA compte plus de membres (204 fédérations nationales) que l’Organisation des
Nations unies et recense plus de 200 millions de joueurs licenciés dans le monde. En 1997,
l’ensemble de ses activités a généré 200 milliards de dollars, c’est-à-dire plus que la Général
Motors, première entreprise mondiale, qui a brassé 170 milliards de dollars la même année. Plus
généralement sur les enjeux économico-financiers du sport, voir notamment : Bourg Jean-François,
Gouguet Jean-Jacques, Analyse économique du sport, Paris, PUF, 1998 ; sur les dérives générées
par ces enjeux, voir, infra, les articles de la 4e partie.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU DROIT COMMUN
27
de coordination, de régulation et de contrôle, aussi bien vis-à-vis du
mouvement sportif que des collectivités locales. S’agissant des fédérations sportives, l’État a mis en place un système original, qui permet
de les placer sous tutelle, tout en reconnaissant leur participation à
l’exécution d’une mission de service public.
Les fédérations sportives
entre indépendance et tutelle
La loi du 16 juillet 1984 affirme, dans le même article 16, que « les
fédérations exercent leur activité en toute indépendance » et, quelques lignes plus loin, qu’elles sont placées sous la tutelle du ministre
chargé des Sports. Autrement dit, la loi leur reconnaît une mission de
service public à condition d’avoir adopté des statuts conformes aux
statuts-types définis par décret. Ces statuts-types, précis et contraignants (décret n° 85-236 modifié du 13 février 1993), ont été complétés par un règlement disciplinaire-type des fédérations sportives
(fixé par le décret n° 93-1059 du 3 septembre 1993).
Parmi les fédérations qu’il agrée pour participer à l’exécution
d’une mission de service public, l’État distingue celles auxquelles il
peut de surcroît accorder une délégation pour exercer des prérogatives
de puissance publique : c’est-à-dire principalement en vue d’organiser
les compétitions officielles à l’issue desquelles sont délivrés les titres
internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux, et pour définir les règles techniques propres à leur discipline, dans le respect des
règlements des fédérations internationales. Le mécanisme de la délégation ministérielle, en même temps qu’il reconnaît un pouvoir accru
aux fédérations bénéficiaires, leur garantit un véritable monopole de
représentation de leur discipline au plan national et international.
Toute infraction à ce monopole peut être sanctionnée pénalement.
Parallèlement, les actes des fédérations sportives pris en vertu de
la délégation ministérielle peuvent être déférés devant le juge administratif par le ministre chargé des Sports, s’il estime qu’ils sont contraires à
la légalité. De même, toute personne physique ou morale qui s’estime
lésée par une décision individuelle prise par une fédération dans le
cadre de la délégation ministérielle peut demander à l’autorité de
tutelle de la déférer. En pratique, le contentieux relatif aux décisions
fédérales, en particulier celles qui revêtent un caractère disciplinaire,
n’a cessé de se développer depuis deux décennies, tant devant le juge
administratif que le juge judiciaire1. On doit y voir, à l’évidence, la
1. Concernant l’exercice et le contrôle des pouvoirs disciplinaires des fédérations sportives, voir le
petit ouvrage particulièrement clair publié par le Conseil d’État (section du rapport et des études),
Sports : pouvoir et discipline, Paris, La Documentation française, 1991.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
manifestation d’une soumission croissante du droit sportif aux règles
communes, qu’elles soient d’ordre public ou privé et, par conséquent,
le signe d’une restriction concomitante de l’autonomie des fédérations.
Ce sentiment ne peut qu’être renforcé lorsqu’on recense les dispositions
législatives ou réglementaires qui s’appliquent aujourd’hui au sport.
L’IMPACT DES RÈGLES PUBLIQUES
APPLICABLES DANS LE DOMAINE
SPORTIF
Les dispositions prises par la puissance publique dans le domaine des
activités physiques et sportives s’avèrent aujourd’hui si nombreuses
et si variées qu’il est illusoire de tenter de les recenser et de les
décrire. Mentionnons toutefois les dispositifs réglementaires régissant
quelques-uns des domaines les plus sensibles à l’ordre public.
La lutte contre le dopage
La France a été, avec la Belgique, l’un des premiers pays européens à
mettre en place (dès 1965) une législation réprimant le dopage qui a
été renforcée et améliorée en juin 1989, puis en mars 19991. Si au
terme de la loi, la lutte contre ce fléau est menée conjointement par
les pouvoirs publics et les autorités sportives, les événements récents,
et notamment les incidents qui ont émaillé le Tour de France 1998,
ont montré que les fédérations sportives faisaient preuve d’une certaine incapacité à prendre les mesures nécessaires pour le combattre.
Ce constat légitime assurément une intervention accrue des
pouvoirs publics au titre de la préservation de la santé du sportif, au
risque cependant de déstabiliser les autorités sportives. Il met également en évidence l’intérêt de remédier aux disparités que présentent
les différentes législations nationales en la matière. À cet égard, le
Conseil de l’Europe, qui réunit aujourd’hui quarante et un pays membres, a été la première instance européenne à se préoccuper du
dopage, en adoptant une résolution à ce sujet dès 1967. En 1989,
une convention européenne contre le dopage a été adoptée, ouverte
1. Sur le dopage, voir principalement, Laure Patrick, Le dopage, Paris, PUF, 1995 ; Louveau Catherine et al., Dopage et performance sportive : analyse d’une pratique prohibée, Paris, INSEP, coll.
« Recherche », 1995 ; Waser Anne-Marie, « De la règle du jeu au jeu avec la règle : le dopage dans
le sport de haut niveau » in Dopage et pratiques sportives, rapport de synthèse, ministère de la Jeunesse et des Sports-CNRS, 1998 ; et, infra, les perspectives ouvertes par une recherche en cours présentée en conclusion.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU DROIT COMMUN
29
à la signature des États et dotée d’un groupe de suivi intergouvernemental chargé notamment de la mise à jour de la liste des produits
dopants annexée à la convention. Ce groupe d’experts se réunit au
moins une fois par an. Les efforts entrepris dans le cadre du Conseil
de l’Europe et repris par la Commission européenne doivent être
amplifiés dans le cadre des prochaines réunions du Conseil des
ministres chargés des Sports de l’Union européenne.
La sécurité des équipements
et des manifestations sportives
Le drame du Heysel en 1985 et la catastrophe de Furiani en 1992 ont
conduit les pouvoirs publics à étoffer considérablement les dispositions réglementaires relatives aux enceintes sportives (qui doivent
désormais être homologuées) et à renforcer les effectifs de police des
manifestations sportives, et plus particulièrement des rencontres de
football. Il est frappant de constater que cette réglementation spécifique est pour l’essentiel récente (la plupart des textes étant postérieurs
à 1992) et le plus souvent de nature publique (lois, décrets et arrêtés),
même si la loi sur le sport a confié aux fédérations délégataires le
soin d’édicter les règlements relatifs à l’organisation de toutes les
manifestations dont elles ont la charge.
La même loi leur a interdit de déléguer leur compétence pour
l’organisation de manifestations sportives nécessitant des conditions
particulières de sécurité, tout en leur imposant d’en signaler la tenue
aux autorités détentrices du pouvoir de police. Pour ces manifestations à risque, la fédération concernée est considérée comme responsable de la sécurité et peut à tout moment imposer à l’organisateur
matériel de prendre des mesures appropriées (décret n° 93-708 du
27 mars 1993)1. Dans cet esprit, la ligue nationale de football a édicté,
en 1994, un « règlement intérieur du stade ».
Les garanties de sécurité portant
sur les établissements d’enseignement
des activités physiques et sportives
Dans ce dernier domaine également, la France est l’un des pays qui a
le plus réglementé l’accès aux métiers du sport avec le système des
brevets d’État d’éducateur sportif de spécialité, délivrés aux professionnels par l’État, en partenariat avec les fédérations sportives. Par
1. À ce sujet voir infra, l’article de Jean-Charles Basson, Olivier Le Noé et Frédéric Diaz.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
ailleurs, la tutelle administrative sur les établissements d’enseignement du sport n’a cessé de se perfectionner.
Les conditions d’accès à l’emploi sportif
Reprenant des dispositions antérieures, la loi de 1984 a rappelé que
nul ne peut enseigner, encadrer ou animer contre rémunération une
activité physique ou sportive sans être titulaire d’un diplôme homologué par l’État. Ce diplôme est le plus souvent un brevet d’État d’éducateur sportif (BEES) défini et délivré par le ministère de la Jeunesse et
des Sports, en collaboration avec les fédérations et les syndicats professionnels concernés, dans chaque discipline sportive1. Requérant
de son titulaire un bon niveau de pratique et des connaissances solides, le système des brevets d’État d’éducateur sportif répond à une
exigence de qualité et de sécurité dans l’encadrement des activités
physiques et sportives.
Ce dispositif tend cependant à singulariser notre pays dans
l’ensemble européen, du fait, à la fois, de son caractère contraignant
(le défaut de brevet d’État pour un professionnel du sport constitue une
infraction susceptible d’être réprimée pénalement), et du niveau élevé
de qualification sur lequel il repose. Il était de surcroît perçu par les
instances communautaires comme une entrave à la liberté fondamentale de circulation des personnes au sein de l’espace européen. Ainsi
a-t-il été réaménagé pour intégrer l’essentiel des directives communautaires fondant un système de reconnaissance mutuelle des diplômes2.
L’ouverture de la législation nationale au droit communautaire
a été cependant précédée d’une véritable épreuve de force qui s’est
cristallisée sur le cas des moniteurs de ski. Il existe en effet des différences considérables de niveau entre les formations délivrées au sein
des États membres pour accéder à cette profession, la France étant à
cet égard, avec l’Italie et l’Autriche, le pays le plus exigeant. La mise
en demeure adressée par la Commission au Gouvernement en 1995
l’a contraint à adapter la réglementation nationale, tout en bénéficiant d’une dérogation.
Ainsi, l’arrêté du 2 décembre 1996, relatif aux conditions d’encadrement des activités de ski par les ressortissants d’un État membre, a
1. Il existe plus de soixante brevets d’État, couvrant pour la plupart une discipline sportive particulière. On distingue trois degrés, chacun conférant à son titulaire des capacités déterminées.
2. Il s’agit essentiellement de la directive 92-51 CEE du Conseil du 18 juin 1992 relative à un
deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles d’une durée inférieure à Bac+3. Elle dispose notamment que lorsque l’accès à une profession réglementée est
subordonné à la possession d’un diplôme, l’autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant
d’un État membre, pour défaut de qualification, d’accéder à cette profession dans les mêmes conditions que les nationaux.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU DROIT COMMUN
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organisé la libre prestation de service pour les moniteurs de ski étrangers sur le territoire national, tout en imposant, par dérogation, un test
d’aptitude à ceux dont le niveau s’avère substantiellement différent de
celui exigé des nationaux. La dérogation a été également accordée par
la Commission (décision 97-42 CEE du 1er septembre 1997) pour les
disciplines sportives considérées comme dangereuses, eu égard aux
aléas du milieu naturel dans lequel elles se déroulent : outre les moniteurs de ski, sont concernés les guides de montagne, les moniteurs de
plongée, de parachutisme et de spéléologie. Motivée par le fait que la
préservation de la sécurité des participants constitue une « raison
impérieuse d’intérêt général », la dérogation a été consentie pour une
période limitée, qui vient d’être prorogée jusqu’au 31 juillet 2000, tout
en étant assortie de conditions très strictes.
Le contrôle de l’activité d’enseignement contre
rémunération des activités physiques et sportives
Notons enfin que sur l’obligation de posséder un diplôme homologué par l’État pour pouvoir enseigner une activité physique ou sportive contre rémunération est venue se greffer l’obligation de déclaration administrative préalable (décret n° 93-1095 du 31 août 1993).
Par ailleurs, de nombreuses prescriptions réglementaires définissent
les garanties techniques et de sécurité que doivent présenter les établissements dans lesquels ces activités sont enseignées et pratiquées,
qu’il s’agisse des piscines, des salles de judo, des salles de tir ou
encore des écoles de voile. D’autres sont venues définir les exigences
de sécurité auxquelles doivent répondre les cages de but de football,
de handball, ou de hockey sur gazon.
Ces exemples, nécessairement limités, prouvent, si besoin était,
que l’organisation et le déroulement des activités sportives sont
aujourd’hui très étroitement encadrés par la puissance publique,
même si les autorités sportives conservent un pouvoir réglementaire
non négligeable. Cependant, face à la prolifération des règles publiques en matière sportive, il n’est pas excessif de considérer que les
fédérations sportives exercent un pouvoir normatif à titre subsidiaire.
À cette « dévitalisation » du pouvoir sportif autonome, de plus en
plus concurrencé par les règles d’ordre public, vient aujourd’hui
s’ajouter l’impact grandissant du droit communautaire.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
LES NOUVELLES FORMES
DE RÉGULATION DU SPORT,
OU L’INÉLUCTABLE INTERFÉRENCE
DU NIVEAU EUROPÉEN
Les autorités sportives nationales ont longtemps cru pouvoir se tenir à
l’écart de la construction européenne, en arguant tout d’abord de
l’autonomie du sport qui justifiait selon elles une « exception
sportive » au droit communautaire et en faisant observer par ailleurs,
non sans raison, qu’aucune disposition des traités européens n’évoque les activités physiques ou sportives. C’était oublier que le sport,
notamment dans sa dimension professionnelle, est devenu une activité économique à part entière que le droit communautaire devait
inévitablement prendre en compte. L’arrêt Bosman, rendu le
15 décembre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), a rappelé cette évidence aux autorités sportives
européennes et mondiales.
Toutefois, à cette première phase d’intrusion brutale du droit
communautaire dans les règlements fédéraux semble succéder une
autre période : celle où les gouvernements et les organisations sportives, préoccupées par les dérives qui menacent le sport, estiment
opportun que des règles communes soient édictées pour y faire face.
En l’occurrence, la notion d’exception sportive, vivement récusée
dans un premier temps, semble pouvoir être acceptée dans un
second, en vue de légitimer des mesures spécifiques d’ordre public
destinées à sauvegarder le sport contre les excès qui le dénaturent.
L’impact du droit communautaire
sur les activités sportives
Le sport en tant qu’activité économique
Le sport relève du champ d’application du droit communautaire dès
lors qu’il constitue une activité économique. Ce point essentiel, déjà
précisé par la CJCE en 1974 (arrêt Walrave et Kock) puis en 1976
(arrêt Donà contre Mantero), a été réaffirmé avec force par l’arrêt
Bosman de 1995, au point d’ébranler le sport professionnel européen
dans son ensemble. Il est désormais acquis par les autorités sportives
nationales et internationales que toute règle fédérale aboutissant à
entraver la libre circulation des sportifs professionnels au sein de
l’espace communautaire – qu’il s’agisse des quotas de joueurs étrangers par équipes ou des indemnités de transfert – est proscrite en
vertu de l’article 39 du traité CE (ex 48). L’abolition de ces règles a eu
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU DROIT COMMUN
33
pour conséquence immédiate de multiplier les transferts d’un club à
l’autre, notamment en football, et de faire monter les enchères pour
l’acquisition des joueurs, au prix d’une inflation des salaires et des
indemnités pour rupture de contrat.
De même, l’ensemble du droit communautaire s’applique au
sport, qu’il s’agisse de la libre circulation des personnes, de la libre
circulation des marchandises (art. 23 à 31 du traité CE), de la libre
prestation des services (art. 49 à 55 CE) ou de l’interdiction des
ententes et des abus de position dominante (art. 81 et 82 CE).
Cet aspect du droit européen, qui s’applique aux fédérations
dès lors qu’elles exercent une activité économique ou commerciale,
a d’autant plus de mal à être accepté qu’elles se trouvent en situation
de monopole. Dans un passé récent, plusieurs pratiques fédérales ont
ainsi été proscrites par la Commission : attribution d’un label fédéral
officiel à certains équipements sportifs, obstruction exercée à
l’encontre de certaines épreuves sportives considérées comme concurrentes, ou encore acquisition des droits exclusifs de retransmission audiovisuelle des événements sportifs qu’elles organisent. À cet
égard, la fédération internationale automobile (FIA) aurait, selon la
Commission, développé un véritable florilège d’infractions au droit
communautaire. Celles-ci font actuellement l’objet d’une procédure
d’infraction.
Les droits de retransmission télévisée
des événements sportifs
La vente des droits de retransmission télévisée a suscité également
l’intervention des instances communautaires. Les revenus financiers
tirés de la cession des droits de retransmission d’événements sportifs,
pour lesquels les rediffuseurs s’affrontent afin d’obtenir l’exclusivité,
ont connu une augmentation considérable au cours de la dernière
décennie, au point de devenir la première source de financement du
sport professionnel. Cette évolution induit de nombreux risques, que
l’on peut évoquer brièvement. En premier lieu, l’acquisition de droits
exclusifs, bien que contraire aux règles de la concurrence, a été
acceptée par la Commission, à condition que l’exclusivité ne soit pas
excessive dans sa portée et sa durée, ce qui doit être apprécié au cas
par cas.
Par ailleurs, la généralisation des droits exclusifs, et surtout leur
acquisition par des chaînes cryptées ou à péage, risque à terme de
priver le téléspectateur européen de la possibilité de recevoir gratuitement des images des grands événements sportifs. Aussi, la directive
« Télévision sans frontières » modifiée en 1997 permet à chaque État
membre d’établir une liste d’événements qu’il juge « d’importance
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
majeure pour la société » et de s’assurer qu’ils pourront être suivis
par le public, en direct ou en différé, sur une chaîne de télévision
d’accès libre.
D’autre part, la hausse vertigineuse des droits de retransmission ne concerne en réalité que quelques disciplines qui concentrent
l’essentiel des heures consacrées au sport par la télévision1. Cette
concentration accentue non seulement les disparités entre les disciplines sportives, mais aussi, au sein d’un même sport, les risques de
rupture entre les grands clubs professionnels, les petits clubs professionnels et les clubs amateurs. C’est pourquoi, en France, le nouveau
projet de loi sur le sport prévoit un dispositif de mutualisation d’une
partie des ressources générées par les droits de retransmission. Une
telle disposition pourrait être reprise au niveau européen.
Enfin, l’inflation des droits et la compétition que se livrent les
opérateurs audiovisuels conduisent certains d’entre eux à prendre le
contrôle de grands clubs, principalement de football. Il en résulte un
risque non négligeable de fausser le jeu de la compétition sportive,
notamment en cas d’acquisition de plusieurs clubs par le même opérateur. Une nouvelle forme de régulation s’impose donc au niveau
international. À cet égard, l’Union européenne pourrait jouer un rôle
important, bien que le traité n’ait pas prévu expressément son intervention dans ce domaine.
Vers une nouvelle régulation exercée
par l’Union européenne en matière sportive
Le Conseil de l’Europe a exercé historiquement un grand rôle dans la
définition d’une véritable « doctrine européenne du sport » reposant
sur des principes humanistes. On a vu qu’en matière de lutte contre
le dopage, il a été un précurseur, avec l’adoption en 1989 d’une convention européenne sur ce thème. Dans le domaine de la sécurité
des manifestations sportives, le Conseil de l’Europe est également à
l’origine d’une convention sur « La violence et les débordements de
spectateurs lors de manifestations sportives, et notamment de matchs
de football » adoptée en 1985. Cette convention est dotée d’un
comité permanent, réuni au moins une fois par an, qui est chargé
d’en suivre l’application et de proposer des mesures destinées à assurer la sécurité des spectateurs dans et aux abords des stades.
L’acquis de ces dispositifs, repris intégralement par l’Union
européenne, mérite sans doute d’être amplifié dans le cadre commu-
1. Il s’agit par ordre décroissant du football, du tennis, du cyclisme, du rugby et du basket-ball qui
représentent en France 70 % du temps des émissions sportives.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU DROIT COMMUN
35
nautaire. Précisément, les initiatives en faveur du sport se multiplient
depuis peu : déclaration relative au sport annexée au traité d’Amsterdam de 1997, résolution sur le sport adoptée à l’issue du sommet
européen de Vienne en décembre 1998, premières assises européennes du sport organisées par la Commission à Olympie en mai 1999,
rencontres informelles des ministres des États membres en charge du
sport en janvier et juin 1999… Ce foisonnement récent d’initiatives
vise à promouvoir un « modèle sportif européen » mettant l’accent
sur les fonctions spécifiques du sport (éducation, santé publique, culture, ouverture au monde…) actuellement mises à mal par le développement rapide et conjugué de la professionnalisation et de la
commercialisation1. Mais paradoxalement, l’application au sport des
règles communautaires de libre circulation et de libre concurrence
contribue, d’une certaine manière, à l’accélération d’un processus
condamné par ailleurs.
Par-delà la complexité de situations qui voient l’activité sportive dépendre, en grande partie, des enjeux économiques et financiers, il s’agit d’éviter que la soumission du sport aux principes libéraux appliqués sans contrôle aboutisse à l’émergence de clubs
professionnels dominant tous les autres. Ce sont alors l’intérêt des
rencontres et l’incertitude des résultats qui risqueraient d’être remis
en cause. La prise de conscience de ces évolutions rapides et préoccupantes conduit aujourd’hui les instances communautaires – Parlement, Conseil et Commission – à la conclusion que le moment est
venu pour l’Union européenne de définir une stratégie commune en
faveur du sport ; condition impérative à l’élaboration d’une véritable
politique publique européenne en matière sportive.
*
* *
Dans le contexte de mondialisation et de commercialisation
généralisée de l’activité sportive, on constate que les autorités sportives internationales peinent à contrôler les évolutions en cours et à
maîtriser les dérives qui menacent directement le sport : dopage, violence, excès commerciaux… Ce n’est guère surprenant si l’on considère qu’elles sont un des acteurs essentiels de cette commercialisation et les premiers bénéficiaires de la vente au plus offrant des droits
de retransmission télévisée. Plus étonnant en revanche est la prétention de ces mêmes autorités à vouloir préserver leur pouvoir normatif
et à plaider une exemption du droit commun pour les activités économiques qu’elles conduisent, au nom de la spécificité du sport.
1. La présentation du « modèle sportif européen » a fait l’objet d’un document disponible sur le
site internet de la commission (www.europa.eu.int).
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36
SPORT ET ORDRE PUBLIC
L’autonomie proclamée du sport peut parfois servir de paravent à de
prosaïques enjeux de pouvoir.
En réalité, le droit autonome du sport est devenu résiduel,
assiégé qu’il est par les législations nationales, le cas de la France
étant à cet égard particulièrement révélateur. Depuis peu, la législation internationale, et singulièrement communautaire, percute à son
tour les règles fédérales internationales. Incontestablement, l’arrêt
Bosman a ouvert une ère nouvelle : celle de la modification en profondeur de l’ordre sportif mondial. On n’a sans doute pas suffisamment analysé par quel surprenant rapport de force, les règles fédérales internationales émanant des FSI, voire du CIO lui-même, ont pu
être bouleversées par la dynamique du droit communautaire, qui
pourtant ne concerne directement que dix-huit pays (Union européenne et pays de l’espace économique européen réunis). Mais
aujourd’hui, par un étrange retournement, la notion d’exception sportive, écartée fermement par les instances communautaires en ce qui
concerne les activités économiques liées au sport, semble à nouveau
admise pour mieux prendre en compte la spécificité du sport et la
globalité de ses fonctions sociales, culturelles ou de santé publique.
Peut-on aller jusqu’à dire que l’Union européenne s’est découvert une vocation à sauvegarder les fondements éthiques du sport,
dans l’intérêt supérieur des citoyens européens, et considérer que sa
démarche est en partie légitimée par des motifs d’intérêt public, mais
aussi par une certaine carence des instances dirigeantes du sport ? Il
n’est pas contestable, en tout cas, qu’après avoir observé une dilution
du droit sportif dans les règles de droit national, nous assistons à présent à une intrusion remarquable du droit communautaire et de ses
dérivés dans l’ordre normatif des fédérations internationales.
Gageons que cette évolution est loin d’être achevée et que ses péripéties ne manqueront pas d’intérêt.
Références bibliographiques
Conseil d’État (section du rapport et des études), Sports : pouvoir et
discipline, Paris, La Documentation française, 1991, 144 p.
MIÈGE Colin, Les institutions sportives, Paris, PUF, coll. « Que SaisJe ? », n° 2729, 1997 (2e édition), 128 p.
MIÈGE Colin, Le sport européen, Paris, PUF, coll. « Que Sais-Je ? »,
n° 3083, 1996 (1re édition), 128 p.
RÉMY Dominique, Le sport et son droit : introduction au droit des institutions sportives, Paris, éditions Romillat, 1991, 384 p.
SIMON Gérald, Puissance sportive et ordre juridique étatique, Paris,
LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1990, 429 p.
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L’ÉTAT, LE MOUVEMENT SPORTIF ET LE MARCHÉ
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L’ÉTAT, LE MOUVEMENT
SPORTIF ET LE MARCHÉ :
QUI FAIT LA LOI ?
■
Gérald SIMON
Résumé : la « loi sportive » a une double nature : celle qui lui provient
du milieu sportif établissant les règles sur lesquelles est assise l’organisation des compétitions ; celle de l’État qui vise notamment à garantir la
liberté et les droits des sportifs. Le système français de la délégation de
pouvoirs est un exemple de réussite de l’association des deux ordres : il
consolide les pouvoirs sportifs en soumettant leur exercice au respect de
la légalité. Mais la commercialisation croissante du sport déstabilise le
système. La logique concurrentielle tend à prévaloir sur la logique sportive, mettant en cause les principes de l’organisation des compétitions.
Poser la question de savoir qui fait la loi dans le sport peut
s’apparenter à une provocation. Car, au pays de la Déclaration des
Droits de l’homme et du citoyen, il est tenu comme dogme que la loi
ne peut émaner que de l’État. Expression de la volonté générale, elle
est par excellence l’acte de la puissance publique, que nul n’est
censé ignorer, dont l’administration assure l’exécution sur l’ensemble
du territoire et que les juges font respecter. Il n’est de droit que de
l’État et toutes les activités humaines, sans exception, sont normalement soumises à l’ordre de la loi, en sport comme ailleurs.
Pourtant, les recherches entreprises par un certain nombre de
juristes depuis quelques années sur la délicate relation du droit et du
sport ont permis de mettre en doute l’infaillibilité du dogme de l’unité
du droit et de l’État1. Elles ont en effet montré que l’organisation du
sport reposait avant tout sur un système de normes issues du mouvement sportif lui-même et constitutif d’un ordre juridique à part entière
et distinct de celui de l’État. Cela explique que le système sportif ait
pu longtemps fonctionner sans la moindre intervention étatique, sur
la base de règles propres conférant à l’organisation sportive une large
et profonde autonomie.
1. Sur cette question, on peut se reporter, à titre non exhaustif, aux ouvrages suivants : Karaquillo
Jean-Pierre, Le droit du sport, Paris, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 1997 (2e édition) ;
Rémy Dominique, Le sport et son droit, Paris, éditions Romillat, 1991 ; Simon Gérald, Puissance
sportive et ordre juridique étatique, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, coll.
« Bibliothèque de droit public », 1990.
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38
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Cependant, la dimension acquise par l’activité sportive ne pouvait laisser indifférents les pouvoirs publics. Après s’être longtemps abstenus, nombre d’États se sont dotés d’une législation et d’une réglementation relatives au sport qui viennent ainsi se juxtaposer à ce que JeanPierre Karaquillo dénomme « les règles de droit spontané » émanant
des institutions sportives1. De sorte que le droit du sport, ou ce qu’on
pourrait encore appeler la « loi sportive », désigne cet ensemble formé
par les règles provenant de cette double origine.
Mais cet ensemble est loin d’être homogène car l’intervention
de chaque ordre dans le domaine sportif répond à des logiques et des
finalités différentes, voire dans certains cas opposées. Ainsi la réglementation issue du mouvement sportif obéit, dans son essence, à
l’impératif des compétitions : règles du jeu bien sûr, mais également
règles techniques et déontologiques, règles fixant les conditions
d’accès aux épreuves, déterminant le statut des joueurs, l’homologation des enceintes et des équipements sportifs, le régime de la publicité et de la diffusion des images… bref, toutes les règles à la source
de cette vaste organisation du sport et qui lui impriment sa spécificité. En tant que créateur de ce système, le mouvement sportif se
revendique comme le propriétaire légitime et exclusif. Cela explique
la tendance autarcique de celui-ci, s’estimant seul habile à régler en
son sein les affaires sportives, véhiculant ainsi l’image d’un milieu
fermé vivant en marge ou au-dessus des lois, sinon des siennes
propres.
On comprend, dans ces conditions, que les interventions étatiques aient été le plus souvent ressenties de la part des autorités sportives comme une immixtion illégitime dans les affaires intérieures du
sport et une atteinte à leur indépendance. Et ce d’autant plus que ces
interventions se sont souvent manifestées sous la forme de décisions de
justice annulant comme contraires au droit les mesures prises par les
fédérations sportives et condamnant celles-ci parfois très lourdement2.
Les instances sportives ont tenté de se protéger contre de telles intrusions, notamment en interdisant à leurs membres, sous peine d’exclusion, de saisir les tribunaux étatiques. On se souvient que la Fédération
internationale de football (FIFA) avait menacé la Fédération française
1. Dans un premier temps, les États se sont contentés de dispositions (traitant de quelques aspects
particuliers), éparpillées dans des textes divers. Mais, un mouvement se dessine qui voit un certain
nombre de pays se doter d’une législation spécifique au sport. En France (pays qui fait figure de
pionnier en la matière), la première loi relative au sport votée par le Parlement fut adoptée le
29 octobre 1975, abrogée par la loi du 16 juillet 1984 modifiée à diverses reprises. De même,
l’Espagne et le Portugal ont adopté, en 1990, une législation analogue.
2. La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) qui avait suspendu de compétition le recordman du monde du 400 mètres (Harry Butch Reynolds) convaincu de dopage a été condamnée par
un tribunal de l’Ohio, qui relevait un vice de procédure, à verser à l’athlète la somme de
27,3 millions de dollars à titre de dommages-intérêts.
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L’ÉTAT, LE MOUVEMENT SPORTIF ET LE MARCHÉ
39
de football (FFF) d’exclure les équipes françaises de l’ensemble des
compétitions organisées par la FIFA si le club de l’Olympique de Marseille (qui avait été exclu de participation à une Coupe d’Europe à la
suite de la fameuse affaire de corruption relative au match Marseille Valenciennes) ne renonçait pas à l’action qu’il avait entamée devant la
justice suisse et qui avait abouti à une suspension provisoire de la
mesure d’exclusion. Sur la pression des dirigeants de la FFF, le club
finit par céder. Le célèbre cas « Bosman » est également exemplaire de
ces pratiques : ce joueur professionnel de football, empêché par son
club d’offrir ses services à une autre équipe, obtint de la justice la
liberté que lui refusaient les règlements sportifs. Mais du fait de cette
action, il ne put trouver un nouveau club employeur. La justice civile
l’avait sans doute rétabli dans ses droits de travailleur, mais le monde
du football le maintenait dans sa condition de sportif paria.
Ces quelques exemples, qui pourraient être multipliés, illustrent la situation conflictuelle à laquelle peut donner lieu la coexistence des deux ordres en matière sportive. Est-ce à dire que cette
coexistence est impossible ? La preuve contraire paraît être administrée par le système français qui réalise l’osmose entre ce qui relève
du « pouvoir sportif » et l’intervention publique dans le sport. Cette
osmose tient entièrement dans le mécanisme de la délégation de
pouvoirs qui permet d’accorder au mouvement sportif reconnu une
pleine compétence pour régler l’organisation et le fonctionnement
des compétitions tout en assujettissant l’exercice de cette compétence au respect du droit.
Si le système français a réussi à prévaloir dans un cadre national, il reste malgré tout fragile dès lors qu’on élargit le champ de
vision. La mondialisation du sport à laquelle on assiste aujourd’hui et
le poids économique et financier qu’il représente conduisent, comme
pour le marché, à un risque de déréglementation du sport. On assisterait, de la sorte, à l’émergence d’un nouveau dualisme qui mettrait
aux prises la loi sportive avec la loi du marché.
LE SYSTÈME FRANÇAIS
DE LA DÉLÉGATION DE POUVOIRS :
UNE CONJUGAISON RÉUSSIE
DES POUVOIRS NORMATIFS
Le mécanisme de la délégation de pouvoirs a d’abord été introduit
par une ordonnance du 28 août 1945, puis repris par la loi du
29 septembre 1975. Il est aujourd’hui énoncé à l’article 17 de la loi
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
du 16 juillet 19841. Aux termes de cette disposition, « dans chaque
discipline sportive et pour une période déterminée, une seule fédération reçoit délégation du ministre chargé des Sports pour organiser
les compétitions sportives à l’issue desquelles sont délivrés les titres
internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux et procéder
aux sélections correspondantes ».
On note d’emblée que ce système repose sur une fiction selon
laquelle l’organisation des compétitions sportives relèverait de la compétence du ministre. Si celui-ci peut la déléguer aux fédérations, il peut en
théorie la reprendre et l’exercer lui-même car nul ne saurait déléguer une
compétence qui ne lui appartient pas. On n’imagine guère, cependant,
que le ministre des Sports organise de son propre chef les rencontres du
championnat de France de football ou sélectionne les sportifs composant
les équipes de France dans les différentes disciplines !
Le but recherché est évidemment ailleurs : en conférant les
pouvoirs d’organisation à une seule fédération par discipline ou
groupe de disciplines, le ministre assure à celles qu’il a ainsi reconnues la plénitude des pouvoirs leur permettant d’exercer leur mission. Le système de la délégation s’analyse donc d’abord comme une
consolidation par l’État des pouvoirs exercés par les autorités sportives sur les compétitions. Mais ces pouvoirs, reconnus et légitimés par
l’État, sont par cette même opération soumis à contrôle.
La reconnaissance étatique des pouvoirs sportifs
L’effet direct de la délégation est de conférer à ses bénéficiaires un
monopole, puisque le ministre ne peut déléguer le pouvoir d’organisation qu’à une seule fédération par discipline. Le système consacre
ainsi un monopole de droit et, comme tel, garanti par la loi. On
mesure ainsi le caractère essentiel du mécanisme : par le monopole,
la fédération bénéficiaire de la délégation de pouvoirs est assurée de
la suprématie sur l’ensemble de la discipline et peut, de ce fait, exercer sa fonction sans crainte d’une concurrence extérieure. Sans doute
depuis longtemps les principales fédérations exerçaient-elles un
monopole de fait, grâce notamment à leur affiliation à la fédération
internationale2. Mais la consécration étatique assure une protection
que ne saurait garantir un pur rapport de forces. De plus, cette protection est encore affermie par diverses dispositions de la loi. Les
1. Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, Journal officiel, 17 juillet 1984.
2. Les règlements sportifs internationaux ne permettent d’affilier généralement qu’une fédération
nationale par discipline.
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L’ÉTAT, LE MOUVEMENT SPORTIF ET LE MARCHÉ
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titres que les fédérations délégataires délivrent à l’issue des compétitions qu’elles organisent sont ainsi protégés de toute concurrence1 ;
de même, ces fédérations sont seules habilitées à utiliser la dénomination de « fédération française » ou de « fédération nationale » pour
éviter toute confusion ; surtout, aux termes de l’article 18, tout organisateur privé de manifestations sportives autre qu’une fédération est
tenu de demander son agrément à l’organisme délégataire, dès lors
que la manifestation est ouverte aux licenciés de la discipline. Ainsi
le nom, les titres et les compétitions des bénéficiaires de la délégation sont-ils l’objet d’une protection particulière.
L’autre effet, non moins important, attaché au mécanisme est
la reconnaissance juridique des pouvoirs d’organisation dévolus aux
délégataires. Exercés dans ce cadre, ils sont regardés comme des
« prérogatives de puissance publique » ; en dehors, ils sont considérés comme de simples actes contractuels dont les effets sont limités
aux rapports qu’entretiennent normalement les associations avec
leurs membres. Il n’est pas possible, dans cette courte étude, de
détailler toutes les conséquences qui résultent de cette différence de
qualification2. Il suffit de retenir qu’avec ce label les fédérations délégataires sont pourvues des attributs de la puissance publique pour
l’accomplissement de leur mission d’organisation, et notamment du
pouvoir d’imposer unilatéralement des sujétions aux destinataires de
leurs actes. Elles disposent, à ce titre, du pouvoir réglementaire qui
leur permet d’établir et de modifier unilatéralement les conditions du
fonctionnement des compétitions et peuvent également prendre toutes les dispositions individuelles propres à rendre effective la réglementation ainsi adoptée. Ces pouvoirs sont donc considérables,
moins d’ailleurs par leur objet que par leur caractère. Cela justifie
qu’ils soient l’objet d’un contrôle particulier.
Des pouvoirs soumis au droit
L’objectif avoué, et qui justifiait que l’État veille de plus près au fonctionnement de l’activité sportive, était de ramener les responsables
en charge de cette organisation à davantage respecter les principes
élémentaires du droit. Cet objectif a pu grandement être réalisé grâce
à la qualification retenue vis-à-vis des pouvoirs d’organisation des
compétitions. D’une part, cela a permis de considérer l’activité sportive comme un service public administratif dont l’exécution était
confiée aux fédérations dans le cadre de la délégation. L’octroi par
1. Article 17-1 de la loi du 16 juillet 1984.
2. Pour une analyse plus conséquente sur ce point voir, Simon Gérald, op. cit.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
l’État de prérogatives de puissance publique à des personnes privées
est en effet considéré comme le signe de l’existence d’une mission de
service public, seule justification à une telle délégation. En charge
d’une mission de cette nature, les fédérations délégataires sont dès
lors tenues au respect des principes et règles qui gouvernent le fonctionnement des services publics, et notamment au principe d’égalité
des usagers. Cela conduit à déclarer illégale toute discrimination
dans l’accès aux compétitions qui serait fondée sur un motif sans un
rapport étroit avec leur objet1.
D’autre part, la qualification des décisions sportives prises en
vertu de la délégation comme prérogatives de puissance publique a
permis de les soumettre au régime des actes administratifs, et spécialement au principe de légalité. Sans multiplier les exemples, on relèvera
ainsi que nombre de sanctions prononcées contre des sportifs ont été
annulées pour non respect des droits de la défense ; de même pour
des règlements sportifs imposant des obligations dans un but purement
financier ou sans rapport avec l’organisation des compétitions.
Ces annulations prononcées par les juges administratifs ont
produit leur effet : nombreuses au début tant la liberté prise avec les
règles de droit avait été grande, elles ont amené les responsables à
prendre en compte bien davantage les droits et libertés qui sont en
œuvre dans le cadre de l’organisation des épreuves sportives. Il en
est résulté un changement tangible dans le comportement des autorités sportives lors de l’examen des textes ou des dossiers, ce qui a
abouti à une notable amélioration des règlements sportifs, sans que le
déroulement des compétitions en ait été réellement affecté. Le système français de la délégation de pouvoirs est ainsi un exemple
d’équilibre réussi entre la reconnaissance des pouvoirs sportifs et leur
soumission au droit. À l’inverse, la commercialisation croissante du
sport provoque une profonde déstabilisation du système.
LA LOI SPORTIVE FACE
À LA LOI DU MARCHÉ
Les années 1990 ont été marquées par l’explosion de la commercialisation du sport. Si les retombées économiques du sport étaient depuis
longtemps exploitées commercialement (image des sportifs, publicité
sur les stades…), c’est aujourd’hui la compétition elle-même qui est
l’objet d’un marché. On connaissait le marché des transferts de
1. Voir ainsi pour des discriminations à l’égard de sportifs naturalisés : Conseil d’État, 16 mars
1984, Broadie, Recueil Lebon, p. 118.
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L’ÉTAT, LE MOUVEMENT SPORTIF ET LE MARCHÉ
43
joueurs, ce sont maintenant les clubs qui sont achetés (et vendus) par
les puissants groupes financiers1, leur valeur commerciale étant cotée
en bourse. Certaines manifestations sportives sont également l’objet
de cessions. Ainsi, en 1994, la course de vélo tous terrains « Roch
azur » a été rachetée par la Fédération française de cyclisme à une
société commerciale ; en 1996, le tournoi de tennis open de Nice a
été cédé par la société « Bedel Portes Organisation » à la ville de…
New-Delhi ! En 1998, la société italienne « Media Partners » conçoit
le projet d’une « Super ligue » visant à réunir dans une même compétition les meilleurs clubs de football européens et concurrençant
directement les différentes coupes d’Europe organisées par l’Union
européenne de football (UEFA). Comme le souligne David Antoine,
auteur d’une thèse sur le fonds de l’entreprise sportive, « cette frénésie marchande transforme la réalité du sport. Elle le soumet aux stratégies extérieures (sponsors, télé diffuseurs…), multiplie les constructions juridiques complexes et parfois aléatoires, subordonne l’éthique
sportive à la logique commerciale »2.
C’est bien en termes de logique qu’il convient de raisonner : la
primauté de la loi du marché sur le sport est profondément déstabilisatrice dans la mesure où la logique qui préside à l’organisation des compétitions, notamment l’égalité des participants et l’éthique du jeu, cède
le pas devant les impératifs de leur rentabilité. L’attraction que représente cette manne financière pour les institutions sportives influe à l’évidence sur leur mission même : leur pouvoir de régulation des compétitions sur lequel est normalement fondée leur autorité sur la discipline
qu’elles sont chargées de gérer est puissamment mis en cause par la
dérégulation à l’œuvre dans la logique commerciale. Cela se vérifie
particulièrement dans le cas de la cession par les instances fédérales des
droits portant sur les compétitions, enjeu économique majeur et qui
donne lieu, au plan juridique, à de sévères empoignades.
L’exploitation commerciale du monopole
d’organisation des compétitions
Depuis quelque temps, les groupements sportifs organisateurs ont
mis à profit leur monopole pour céder à titre exclusif les droits (essentiellement de publicité et de télédiffusion) portant sur les épreuves
qu’ils organisent, ce qui, dans les disciplines populaires et fortement
1. Notamment par les grands groupes de presse comme la société Fininvest de S. Berlusconi
(acquéreur du Milan AC), Canal+ (avec le Paris-Saint-Germain acquis en 1990), le groupe Daily
Mirror ou celui du magnat australien R. Murdoch.
2. Antoine David, Le fonds de l’entreprise sportive, thèse de doctorat en droit, université de NiceSophia-Antipolis, 1999.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
médiatisées, leur procure des ressources extrêmement importantes et
assoit leur puissance financière.
Ainsi, lors des trois dernières Coupes du monde de football, la
FIFA a cédé les droits de télévision pour un milliard de francs. Cette
somme apparaît pourtant relativement modeste comparée aux
11,5 milliards déboursés par la société « ISL-Kirch » à ce même organisme pour l’acquisition exclusive des droits de télévision sur les
Coupes du monde organisées en 2002 et 2006. La cession des droits
sur les Jeux olympiques (JO) connaît une inflation de même nature :
alors que pour la retransmission des jeux de Rome, les droits de télévision s’élevaient à 1,2 million de dollars, leur cession à la chaîne
NBC pour les JO d’Atlanta en 1996 a rapporté au Comité international olympique (CIO) 456 millions de dollars, soit l’équivalent de trois
milliards de francs. Et pour les jeux de Sydney en l’an 2000, ce sont
près de 10 milliards de francs que le CIO va recueillir !
La cession exclusive ne porte pas seulement sur les droits de
télévision. Elle porte également sur la billetterie et la publicité. Pour
ne citer qu’un exemple, la Ligue nationale de football (LNF), organisme chargé en France de l’organisation du championnat de football
professionnel, a négocié en 1995 avec la société Adidas la fourniture
exclusive pour une durée de cinq ans de maillots à l’effigie de la marque pour l’ensemble des équipes engagées, alors que celles-ci sont
sous contrat avec d’autres marques, en contrepartie d’une somme de
60 millions de francs versée à la LNF par l’équipementier.
L’exclusivité de ces droits est pareillement négociée dans les
diverses disciplines, à l’occasion des compétitions de quelque importance. Bien entendu, leur montant est très variable selon la résonance
médiatique escomptée de l’événement, ce qui accentue les différences entre les sports. Mais dans tous les cas, c’est le monopole d’organisation des compétitions qui est exploité par les fédérations bénéficiaires à des fins commerciales. Cette utilisation dévoyée est
aujourd’hui fortement contestée au nom du droit de la concurrence,
ce qui conduit à remettre en cause le monopole dans son principe
même et, partant, le système d’organisation du sport.
La contestation du monopole
d’organisation des compétitions
L’émergence récente du droit de la concurrence dans le sport correspond à l’essor de sa commercialisation. Il n’est pas difficile de démontrer
que les fédérations sportives, même si elles revêtent le statut d’association à but non lucratif, s’apparentent dans leurs pratiques à des entreprises, c’est-à-dire, selon la définition qu’en donne le droit communautaire,
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L’ÉTAT, LE MOUVEMENT SPORTIF ET LE MARCHÉ
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à des « entités qui participent à la création et à la circulation des richesses et exercent à ce titre une activité économique ». Elles ne sauraient
normalement échapper aux règles de la concurrence qui prohibent
notamment les ententes illicites et les abus de position dominante.
Cela explique que l’on assiste aujourd’hui à la multiplication
des contentieux portant sur la validité des cessions exclusives des
droits sur les compétitions. Dans nombre de cas, sur recours des
clubs ou d’entreprises commerciales évincées du marché, les autorités de la concurrence sanctionnent l’octroi de droits exclusifs par les
organismes sportifs disposant en droit ou en fait d’un monopole, en
relevant de leur part et de leurs partenaires des pratiques anticoncurrentielles. Très souvent, il est considéré que le monopole leur confère
une position dominante sur le marché, l’exploitation commerciale de
celui-ci sous la forme de la concession de droits exclusifs étant synonyme d’abus. On est proche ici de la théorie de l’abus automatique
de position dominante dont fait application, dans d’autres matières,
le juge communautaire. Ainsi, l’accord négocié entre la LNF et Adidas, cité précédemment, a donné lieu à un vaste contentieux qui a
abouti à la condamnation des deux organismes à de lourdes sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil de la concurrence1.
L’application au sport des règles de la concurrence répond
sans doute à la logique du marché et les fédérations seraient mal
engagées à se plaindre d’une situation qu’elles ont elles-mêmes créée
ou, pour le moins, dont elles ont su profiter. Cependant, force est de
constater que cette logique conduit à une profonde déstabilisation de
l’organisation sportive assise sur le modèle fédéral. On remarque en
effet que le « tout concurrentiel » amène les clubs les plus riches à
contester l’autorité fédérale pour se vendre au plus offrant. Cette conduite est manifeste en football où les grands clubs, dirigés par de
puissants groupes financiers, cherchent à négocier directement les
droits sur les rencontres auxquelles ils participent, voire à constituer
entre eux un groupement (sur le modèle de la NBA) susceptible de
leur procurer de substantiels profits. Les instances fédérales défendent, avec quelque raison, que l’exclusivité permise par le monopole
procure des ressources qui peuvent être réparties entre les clubs au
prorata de leurs besoins. Cette répartition permet ainsi d’assurer
l’équilibre des compétitions où se mesure, sur le plan de la valeur
sportive, l’ensemble des clubs quels que soient leurs moyens.
*
*
*
1. Sur cette affaire voir, Simon Gérald, « La nature juridique des règlements sportifs à objet
commercial », Recueil Dalloz, 1999, chronique, p. 174-178.
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46
SPORT ET ORDRE PUBLIC
L’affrontement de la logique commerciale et de la logique
sportive est aujourd’hui bien réel. La multiplication des épreuves fondée sur la recherche exclusive du profit, l’explosion du dopage qui
en est l’une des causes essentielles, la mise en place de compétitions
sur mesure pour attirer les capitaux, la croissance exponentielle des
salaires versés aux sportifs voués au star-système sont autant d’éléments qui n’incitent guère à l’optimisme sur le devenir du sport conçu
comme un facteur d’épanouissement pour ceux qui s’y adonnent.
Un retour en arrière est inenvisageable. Mais si le modèle sur
lequel s’est construit le système est dépassé, les principes demeurent :
égalité des chances, équilibre des compétitions, c’est-à-dire la substance même de l’ordre public du sport. Sa préservation passe certainement par une réforme en profondeur du mode de fonctionnement
des institutions sportives, davantage recentrées sur leur mission
essentielle de régulation de l’activité. Cela suppose, pour aboutir,
une forte mobilisation des États en vue d’affermir l’autorité menacée
du mouvement sportif et de contrôler l’exercice effectif de sa mission.
Des frémissements ont pu être constatés à cet égard dans la lutte contre le dopage où la mobilisation des pouvoirs publics a permis de placer les autorités sportives devant leurs responsabilités. Même si les
résultats sont encore peu tangibles, cette action montre que l’association étroite entre les autorités publiques et celles du sport est la véritable garantie pour maintenir son ordre.
Références bibliographiques
KARAQUILLO Jean-Pierre, Le droit du sport, Paris, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 1997 (2e édition), 117 p.
RÉMY Dominique, Le sport et son droit, Paris, éditions Romillat, 1991,
384 p.
SIMON Gérald, Puissance sportive et ordre juridique étatique, Paris,
Librairie générale de droit et de jurisprudence, coll. « Bibliothèque de droit public », 1990, 429 p.
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
47
LE COMITÉ INTERNATIONAL
OLYMPIQUE :
UNE DIPLOMATIE PARALLÈLE
■
Dominique MALIESKY
Résumé : dès sa création en 1896, le CIO intervient sur la scène internationale et entre en contact avec les États pour entretenir avec eux des
relations non dénuées d’ambiguïté. Attaché à la neutralité et à l’indépendance de l’olympisme, il doit néanmoins compter sur le concours
de ces derniers pour assurer la réussite de ses objectifs. Dès lors, en
fonction de la personnalité des présidents du CIO et de l’état du monde,
les rapports entre les instances olympiques et l’ordre politique connaissent toute une série de configurations allant de l’éloignement à la soumission, sans omettre l’hostilité déclarée du sport face à la politique.
Mise au service d’un ambitieux dessein de rénovation du sport,
la constitution d’une « internationale du sport », apparaît comme l’une
des préoccupations premières de Pierre de Coubertin. À partir de
1891, les rencontres internationales (réunissant essentiellement la
France, l’Angleterre et les États-Unis) se multiplient à l’initiative du
baron qui formule, dès le 25 novembre 1892, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, sa proposition de rétablir les Jeux olympiques
(JO). Est ainsi confiée à l’olympisme la double mission « d’assembler
les sports, les obligeant à collaborer les uns avec les autres pour le progrès de l’éducation physique et […] d’autre part de réunir toutes les
nations dans un effort d’émulation infiniment utile au bien général »1.
Si l’international fonctionne comme un objectif à atteindre, le
but visé étant l’universalisme, il représente également un moyen
indispensable à la survie du projet de Coubertin devant lui permettre
de cantonner la politique à la place qu’il lui assigne (c’est-à-dire à
l’arrière-plan). L’institution olympique va, dès lors, se montrer extrêmement jalouse des prérogatives qu’elle s’est octroyée. En témoigne,
entre autres, la règle 23 de la charte du Comité international olympique (CIO) intitulée précisément « Autorité suprême » : « Le CIO est
un arbitre, en dernier ressort, de toutes les questions concernant les
Jeux et le mouvement olympique. En toutes matières, y compris la
matière disciplinaire, à l’égard de tous et pour toutes les sanctions
définitives ou temporaires […], les pouvoirs du CIO sont souve-
1. Coubertin Pierre de, Mémoires olympiques, éditions du CIO, 1976, p. 132.
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48
SPORT ET ORDRE PUBLIC
rains ». Au sein de l’empire olympique, le CIO réclame donc l’autonomie, la plénitude et l’exclusivité des compétences, voire le
« monopole de la violence légitime ».
Ce souci d’indépendance et cette volonté de s’affranchir de
l’emprise des États va se traduire par un mode de recrutement particulier fixé par la règle 12 de la charte olympique selon laquelle « le CIO
est un organisme permanent. Il se recrute lui-même par l’élection de
personnalités qu’il juge qualifiées, sous réserve que celles-ci […]
soient des nationaux résidents d’un pays doté d’un Comité national
olympique (CNO) reconnu par le CIO […]. Les membres du CIO sont
ses représentants auprès de leurs pays respectifs et non les délégués de
leurs pays au sein du CIO. Ils ne peuvent accepter de gouvernements,
d’organisations ou d’individus aucun mandat susceptible de les lier ou
d’entraver la liberté de leur vote ». Le projet de Coubertin vise clairement à construire une société parallèle dans un espace vacant, non
(encore) occupé par l’État, une société qui obéirait à ses propres règles
et se mobiliserait pour la défense de ses propres valeurs.
Fort de cette mission, le CIO entretient des rapports privilégiés
avec ses partenaires « naturels » que sont les Comités nationaux et
les Fédérations sportives internationales (FSI). Mais il s’ouvre également à son environnement, à commencer par les États sur lesquels il
compte pour organiser, tous les quatre ans, des Jeux olympiques sur
le territoire de l’un d’entre eux, qu’il aura préalablement désigné. En
l’absence de sanctuaire olympique, la réussite de l’entreprise de Coubertin est à ce prix, de même que la pérennisation du CIO.
Si, tout au long de son siècle d’existence, le CIO n’a pas varié
quant à ce double objectif, il a eu cependant recours à des moyens différents pour l’atteindre et ce en fonction de deux paramètres principaux :
l’état du monde (guerre ou paix, tension Est-Ouest ou détente…) et la
personnalité des différents présidents du CIO (intransigeant ou conciliant). Il semble, à l’examen, que l’action extérieure du CIO a connu
deux phases distinctes : la première, de l’origine à 1980, se traduit par
des rapports souvent étroits et conflictuels avec le politique (le boycott
des Jeux de Moscou marquant tout à la fois le point d’orgue et le point
de non retour de cette tendance) ; la seconde, dès lors, caractérisée par
des rapports plus distants et plus apaisés avec le politique au profit d’un
resserrement des liens avec les acteurs économiques de la mondialisation. Cependant, les scandales qui secouent le CIO depuis quelques
mois amènent à s’interroger sur l’efficacité de cette ligne d’action menée
par Juan-Antonio Samaranch et sur son réel degré d’autonomie sur la
scène internationale1. Le CIO est-il vraiment le maître de sa diplomatie ?
1. Sur ce point, voir infra la contribution de Jean-Loup Chappelet.
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
49
LES MANIFESTATIONS
DE LA DIPLOMATIE DU CIO
Détenant le monopole du label olympique, le CIO décide discrétionnairement de son attribution ou éventuellement de son retrait. Cela vaut
pour trois circonstances : la reconnaissance des CNO, leur exclusion et
le choix des villes olympiques. Le CIO détient ainsi la possibilité de
dessiner une géographie sportive qui malmène parfois ou, à tout le
moins, n’épouse pas forcément les contours de la géographie politique.
La reconnaissance des CNO
C’est le CIO qui a compétence exclusive pour reconnaître ou non un
CNO et pour décerner le label olympique à l’État qui sollicite son
admission dans la « famille olympique ». Les conditions mises en
avant pour une reconnaissance sont pour l’essentiel d’ordre sportif. Par
ailleurs, le CIO se laisse une large marge d’appréciation pour délimiter
le territoire olympique. En effet, jusqu’en 1996, la règle 24 de la charte
olympique se référait à des « pays » ou à des « nations » et non pas à
des États pour rendre compte de l’assise territoriale des CNO (« pays »
signifiant tout pays, État, territoire ou portion de territoire que le CIO
considère, selon sa discrétion absolue, comme zone de juridiction du
CNO qu’il a reconnu). Historiquement, cette disposition (qui renvoie
certes à des convictions personnelles de Pierre de Coubertin qui était
favorable au principe des nationalités) est destinée à permettre une
extension rapide de la « famille olympique » qui, visant l’universalité,
tente également de s’affranchir des contraintes du politique.
Dans les années suivant son installation, le CIO se montre novateur, presque téméraire si l’on se réfère à la liste des CNO qu’il accepte
de reconnaître. Certains correspondent à un territoire qui ne se constituera que plus tard en État souverain, voire qui ne l’est toujours pas à
ce jour. Anticipant l’éclatement des empires, le Comité olympique
hongrois est reconnu dès 1895 et les athlètes de Bohême sont autorisés
à participer aux Jeux de 1912. S’agissant du grand duché de Finlande,
le problème est tranché dans le même sens : les sportifs finlandais sont
admis à prendre part aux Jeux dès 1908. À la même époque, le CIO
reconnaît leur « indépendance sportive » aux dominions de l’empire
britannique : l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique
du Sud sont dotés de CNO avant la Première Guerre mondiale.
L’Arménie est même momentanément accueillie en 1920.
Par la suite, du fait de sa composition (notamment la sur-représentation du monde occidental) et des circonstances du moment
(mise en place de l’ordre de Yalta), le CIO perd largement de son
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
audace et peine quelque peu à s’ouvrir au Sud : il se contente pour
l’essentiel d’entériner, parfois avec difficulté, les décisions de l’Organisations des Nations unies (ONU). Les pays arabes et africains
anciennement colonisés ne bénéficient pas du même traitement de
faveur que les composantes de l’empire austro-hongrois ou que les
dominions blancs de l’empire britannique : ce n’est, en effet, qu’à
partir de 1964 que certains d’entre eux (Algérie, Niger, Sénégal,
Tchad) peuvent participer pour la première fois aux JO. L’intégration
de l’Est est plus difficile encore et, en la matière, la géographie sportive qui a certes ses propres critères, accuse un sérieux retard par rapport à la géographie politique : reconnue par la France, la GrandeBretagne et l’Italie en 1924, accueillie au sein de la Société des
nations (SDN) en 1934, l’URSS n’appartient à la « famille olympique » qu’à partir de 1951 et ne participe aux JO qu’à partir de 1952
(du fait aussi, il est vrai, de la volonté soviétique de boycotter le
« sport bourgeois et capitaliste », du moins jusqu’à ce que ses athlètes soient à niveau…). La réintégration de la Chine au sein de la
« famille olympique », demandée en 1975 et obtenue quatre ans plus
tard, le 25 octobre 1979, est tout à fait révélatrice de cet état d’esprit
pour le moins attentiste. Assurément, les nombreuses pressions de
Taïwan qui met en avant le danger d’annexion retardent le processus
de reconnaissance. Cependant, la mort de Mao, la mise en œuvre de
la « diplomatie du ping-pong », l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et les grands États occidentaux, sa réadmission à
l’ONU ne viennent que difficilement à bout des réticences du CIO.
Aujourd’hui, le CIO inscrit à son palmarès la reconnaissance
de cent quatre-vingt-dix-huit CNO (cent quatre-vingt-dix-sept ont fait
le voyage pour les Jeux d’Atlanta) alors qu’au même moment l’ONU
ne compte que cent quatre-vingt-six membres. Le CIO est probablement la seule institution internationale qui accueille en son sein trois
délégations chinoises, celle de la République populaire de Chine
(RPC), celle de Taïwan et celle de Hong-Kong. Aujourd’hui, la spécificité de la géographie olympique n’est plus de mise : depuis la
réforme de 1996, le CIO s’aligne sur une reconnaissance internationale externe et la charte olympique est désormais libellée de telle
façon que l’expression « pays » signifie un État indépendant reconnu
par la communauté internationale. L’exception olympique a vécu. Et
de fait, depuis quelques années déjà, le CIO attendait une reconnaissance internationale, voire une admission à l’ONU, pour franchir le
pas : s’il s’est montré particulièrement diligent vis-à-vis de la Croatie
admise à participer aux Jeux d’Albertville en 1992, la Bosnie, quant à
elle, a dû patienter jusqu’aux Jeux d’hiver de Lillehammer (1994). Les
athlètes de la Communauté des états indépendants (CEI), de leur
côté, ont été invités à présenter une délégation unique devant se con-
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
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tenter du drapeau olympique lors des Jeux d’Albertville alors que les
trois États baltes, forts de leur réadmission à l’ONU dès
septembre 1991, sont réintégrés dès le lendemain à l’unanimité au
sein de la « famille olympique ».
L’exclusion des CNO
Eu égard à son ambition d’atteindre l’universalité, le CIO se montre
toujours réticent lorsqu’il s’agit de décréter des mesures d’expulsion
des CNO. Plutôt que d’avoir recours à cette sanction ultime qui
l’éloigne de son objectif, il privilégie les mesures temporaires ou plus
douces. Les principales sont la disqualification et la suspension qui
frappent les vaincus des deux guerres mondiales, à commencer par
l’Autriche qui n’a pas été invitée aux Jeux de 1920 et l’Allemagne en
1920, 1924 et 1948. L’Afrique du Sud, la Rhodésie et Taïwan ont
également fait figure de parias au sein de la « famille olympique ».
Les deux premières ont été mises en cause du fait de leur politique
d’apartheid, mais n’ont été que tardivement (en 1968 pour la première, en 1972 pour la seconde) éliminées des instances olympiques
et ce, après un vaste mouvement de réprobation internationale
déclenché par les Africains et assorti d’une menace de boycott des
JO. Dès les premiers signes de bonne volonté, l’Afrique du Sud est
réintégrée sans même attendre le démantèlement juridique du système
d’apartheid. Ainsi, c’est dans la tribune royale que Nelson Mandela
assiste aux Jeux de Barcelone.
Taïwan, de son côté, est exclue des Jeux de Moscou (1980),
exclusion motivée par son refus de concourir sous la bannière de la
République de Chine. La tenue des premiers Jeux en terre communiste
était impensable sans la présence de la RPC dont le poids politicoolympique ne laissait que peu de chance aux prétentions de Taipeh.
D’une façon générale, le CIO a à cœur de ménager les susceptibilités
chinoises ainsi qu’en témoigne son refus d’exclure ce pays des Jeux
d’Atlanta, en dépit des accusations de dopage portées contre ses
nageurs. La même mansuétude vaut pour la République fédérale de
Yougoslavie : le président du CIO se prononce, en effet, le 28 février
1995 à Belgrade en faveur d’une levée permanente des sanctions
sportives qui frappent la Serbie et le Monténégro depuis mai 1992. Il
appelle en conséquence le Conseil de sécurité de l’ONU à mettre fin
définitivement à l’embargo qu’il a décrété à l’encontre de ce pays.
Le choix des villes olympiques
Il s’agit sans doute là de la manifestation la plus visible et la plus
spectaculaire de l’activité internationale du CIO, et encore plus
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
depuis que les Jeux (été/hiver) sont dédoublés. C’est par la tenue des
Jeux que le CIO justifie son existence et sa raison d’être : sans cette
célébration, c’est tout l’édifice olympique qui est menacé et qui peut,
à terme, disparaître. À l’origine, la condition posée aux villes candidates reflétait les préoccupations premières de Coubertin dans la
mesure où elles devaient s’engager à accueillir sans discrimination
toutes les équipes reconnues par le CIO. Petit à petit, le cahier des
charges s’est alourdi tant et si bien que les onze villes candidates à
l’organisation des Jeux de 2004 se devaient de répondre à la bagatelle de 558 questions et que chacune d’entre elles a présenté un dossier comprenant au bas mot 550 pages destiné sans doute à répondre
aux exhortations de J.-A. Samaranch : « Toute ville désireuse d’organiser les Jeux doit d’abord convaincre le CIO qu’ils seront bien
accueillis par la communauté, organisés avec efficacité, qu’ils respecteront l’environnement et qu’ils laisseront un héritage positif »1. À
cela s’ajoute une règle non écrite de rotation géographique (aucun
des continents matérialisés par les cinq anneaux olympiques ne doit
être laissé pour compte) qui a été respectée avec plus ou moins de
bonheur.
Eu égard aux intérêts en jeu, la procédure en vigueur aujourd’hui
est relativement lourde : ainsi pour la désignation de la ville organisatrice des Jeux de 2004, c’est la Commission d’évaluation du CIO,
composée de quinze membres, qui, après avoir pris connaissance
des dossiers des onze impétrantes, consacre à chacune d’elles une
visite officielle de cinq jours qui débouche sur un rapport d’évaluation destiné à permettre au CIO de désigner les quatre ou cinq finalistes. La seconde étape est constituée par une nouvelle série de visites
des membres du CIO, qui après cela procèdent à la désignation définitive de l’heureuse élue.
S’agissant de l’organisation des Jeux d’été, c’est le monde occidental qui remporte, de très loin, la médaille d’or. Ce n’est que timidement que le CIO change de continent, au profit de l’Amérique du
Nord surtout (cinq fois entre 1904 et 1996), puis de l’Asie et de
l’Océanie. Jusqu’à ce jour, les Jeux n’ont pu se tenir ni en Amérique
du Sud (Buenos Aires est à l’origine de cinq candidatures infructueuses) ni en Afrique (Le Cap est éliminé pour 2004). Le CIO donne
l’avantage aux grands centres de décision politique : jusqu’à la
Seconde Guerre mondiale, c’est l’Europe de l’Ouest qui est privilégiée avec ses trois grands pôles de pouvoir (Berlin en 1916 – Jeux
non célébrés – et 1936 ; Londres en 1908 et 1944 – Jeux non
célébrés – ; Paris en 1900 et 1924) au détriment de l’Europe centrale
1. Le Monde, 6 septembre 1997.
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
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(six candidatures infructueuses de Budapest entre 1916 et 1960) et
méridionale, et plus encore des autres continents.
Les Jeux devenant de plus en plus coûteux (non seulement leur
organisation, mais la candidature elle-même)1, en plus de la respectabilité politique, le CIO se tourne vers des candidats présentant toutes
les garanties de prospérité économique et de solvabilité financière
(Tokyo 1964, Séoul 1988, Atlanta 1996, Sydney 2000). Si le CIO est
fidèle à un système économique, il s’est risqué une seule fois à ce jour
à confier l’organisation des Jeux à un État à économie dirigée, l’URSS
choisie en 1974 en pleine euphorie de la détente. S’étant déroulés en
1980, les Jeux de Moscou, menacés par un appel au boycott lancé par
le Président Carter, ont été l’occasion d’une des crises les plus sérieuses qui a ébranlé l’édifice olympique. J.-A. Samaranch aurait été favorable, à titre personnel, à la candidature de Pékin pour les Jeux de l’an
2000, mais les membres du Parlement du CIO en ont décidé autrement. Eu égard à l’importance des Jeux, au-delà de la ville qui est choisie, c’est bien évidemment un État qui est honoré : en témoigne la
réaction du Premier ministre grec le 5 septembre 1997 après le choix
d’Athènes : « Les JO sont pour nous une grande occasion pour renforcer notre position internationale, promouvoir les questions qui préoccupent le pays, créer des amitiés et renforcer nos liens avec tous les
pays du monde »2. La diplomatie du CIO n’est jamais très éloignée des
grandes lignes de force de la politique mondiale.
LES DÉTERMINANTS
DE LA DIPLOMATIE DU CIO
Le CIO a vu se succéder à sa tête sept présidents dont les plus marquants ont incontestablement été Pierre de Coubertin (1896-1925),
Avery Brundage (1952-1972) et Juan-Antonio Samaranch (19802001, selon toute vraisemblance). Il a résisté à deux guerres mondiales (durant lesquelles les JO ont été annulés), à la montée des périls, à
la guerre froide avant de s’engager résolument sur la voie de la mondialisation. L’idéal olympique toujours invoqué, toujours célébré n’a
rapidement eu d’autre fonction que de masquer les agissements réels
du CIO, c’est-à-dire se comporter dans un premier temps comme un
acteur politique avant d’être saisi par l’économie.
1. Selon Le Monde du 27 janvier 1999, Osaka, candidate pour les Jeux de 2008, aurait déjà
dépensé 15 millions d’euros et estime à près de 34 millions d’euros le coût de sa candidature.
2. Le Monde, 8 septembre 1997.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
La diplomatie traditionnelle
Elle concerne la première période de l’existence du CIO, celle durant
laquelle il est pauvre, démuni de ressources financières, faible car la
réussite de son entreprise est loin d’être assurée. Celle également
durant laquelle ses principaux, voire seuls, interlocuteurs sont les
États avec lesquels il entretient des liens de « partenaire-adversaire ».
Pierre de Coubertin, le premier, ne perd jamais de vue ses objectifs
politiques et contribue largement à instrumentaliser le sport en général et l’olympisme en particulier en pratiquant, à la tête du CIO, une
diplomatie au service de l’intérêt national français. Il est certes favorable à
la réconciliation internationale avec l’Allemagne, avec les États-Unis,
mais une fois seulement le redressement national de la France effectué.
Hanté par le spectre du déclin national (« Je me rendis vite compte que
les Français n’étaient plus aux jours brillants de 1856 où ils avaient, sans
s’en douter presque, atteint une des apogées de leur histoire. Leur présente situation était très changée, non pas qu’ils eussent eux-mêmes
beaucoup descendu, mais parce qu’autour d’eux, les autres avaient beaucoup monté, surtout les Allemands, les Italiens et les Anglais »1), il va
s’attacher à œuvrer, par le biais de l’olympisme, en faveur de la grandeur
et du prestige de la France afin de laver le déshonneur de 1870. Son projet de rénovation des Jeux s’inscrit dans le creuset de la rivalité francoallemande : « L’Allemagne avait exhumé ce qui restait d’Olympie ; pourquoi la France ne réussirait-elle pas à en reconstruire les splendeurs ? »2.
L’emprise du politique se fait plus forte encore avec la montée
des périls, au fur et à mesure que le sport est intégré dans les stratégies
politiques des gouvernements et qu’il devient un instrument de propagande et de pression diplomatique. Un moment important de cette
évolution est constitué par la tenue des Jeux de Berlin en 1936. En
effet, face à la politique hitlérienne ouvertement antisémite, concevant
les Jeux comme un moyen de prouver à l’échelle internationale la
supériorité allemande, un mouvement de boycott se développe à partir
de l’étranger, en particulier aux Pays-Bas, mais surtout aux États-Unis
et au Canada, arguant du fait que l’Allemagne ne respecte pas la charte
olympique et qu’une participation à l’Olympiade de Berlin signifierait
un soutien moral et financier au régime nazi. Pour le président du CIO,
Baillet-Latour, approuvé en ceci par Coubertin, les velléités de boycott
sont politiques, basées sur des affirmations gratuites, dont la fausseté
est indéniable. Ne cessant d’affirmer que la politique n’est pas de son
ressort, que le sport doit rester en dehors de toute considération politi-
1. Cité par Callebat Louis, Pierre de Coubertin, Paris, Fayard, 1988, p. 235.
2. Coubertin Pierre de, Une campagne de vingt et un ans, Paris, Librairie de l’éducation physique,
1909, p. 89.
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
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que, le CIO n’en traite pas moins directement avec les responsables de
l’État allemand en acceptant, les yeux fermés, toutes les garanties écrites fournies par le ministre de l’Intérieur. Afin de désamorcer la pression en faveur du boycott, il avance la thèse du « libre choix » (ancêtre
de la « clause de conscience » imaginée dans des circonstances similaires en 1980) qui prévoit que « le CIO, respectant la liberté individuelle de chacun, ne souhaite en aucun cas contraindre ceux –
Chrétiens ou Juifs – qui, pour des raisons personnelles qui les concernent manifestement eux seuls auraient des objections à se rendre en
Allemagne »1, accréditant ainsi l’idée que les persécutions antisémites
ne seraient qu’une affaire personnelle.
Grâce aux efforts conjugués de l’Allemagne et du CIO, les Jeux ont
finalement lieu et alors que Hitler félicite personnellement les vainqueurs
aryens qu’il fait acclamer par la foule et se refuse à serrer la main de l’athlète noir-américain Jesse Owens après sa victoire, Pierre de Coubertin n’en
estime pas moins dans un entretien que « la grandiose réussite des Jeux de
Berlin a magnifiquement servi l’idéal olympique […]. Il faut laisser s’épanouir librement l’idée olympique et savoir ne craindre ni la passion, ni
l’excès qui créent la fièvre et l’enthousiasme nécessaires ». Et de conclure :
« On s’inquiète en France de ce que les Jeux de 1936 ont été éclairés par
la force et la discipline hitlériennes. Comment pouvait-il en être
autrement ? Il est éminemment souhaitable au contraire que les Jeux
entrent ainsi […] dans le vêtement que chaque peuple tisse pendant quatre
ans à leur intention. […] Les Jeux doivent épouser la vie du monde »2.
Après un intermède de courte durée (1945-1952), la politique
reprend ses droits à la faveur, entre autres, de l’élection
d’A. Brundage à la tête du CIO. Adversaire déclaré de la campagne
de boycott des Jeux de Berlin (campagne financée d’évidence, selon
lui, par les Juifs et les communistes), il rend un hommage appuyé au
Reich d’Hitler à la fin des Jeux. Prônant le neutralisme olympique,
partisan d’une stricte séparation entre le sport et la politique (« Nous
ne sommes pas concernés par la politique » expliquait-il pour justifier la participation de la Rhodésie aux Jeux de Munich de 19723), il
engage, au nom de l’anti-communisme, le CIO dans une diplomatie
favorable aux intérêts et aux attentes du monde occidental en plein
antagonisme Est-Ouest. C’est ainsi que, durant sa présidence, le CIO
refuse au Vietnam sa reconnaissance olympique (alors qu’il enregistre rapidement le CNO pour l’Allemagne, à titre définitif en 1951) et
impose aux Jeux de 1956 à 1964 la formule d’équipes pan-alle-
1. Cité par Brohm Jean-Marie, 1936. JO à Berlin, Paris, éditions Complexe, 1983, p. 61.
2. Le Journal, 27 août 1936. Cité par Brohm Jean-Marie, op. cit., p. 162-163.
3. Le Monde, 17 août 1972.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
mandes avec drapeau et uniformes communs, allant ainsi incontestablement dans le sens souhaité par Bonn. Il reconnaît néanmoins, en
1965, la RDA comme membre à part, presque, entière du mouvement olympique. « La zone géographique de l’Allemagne de l’Est »
peut alors participer pour son propre compte aux Jeux, mais avec
hymne et drapeau communs jusqu’en 1972. S’agissant des Corées,
Brundage milite en faveur du même type de solution : si la Corée du
Sud est reconnue dès 1947, il faut à la Corée du Nord attendre dix
ans pour obtenir le même traitement.
Pour ce qui est du choix des villes olympiques, le CIO, sous la
houlette de A. Brundage, manifeste le même souci de distinguer les
plus fidèles alliés du monde occidental dans tous les hémisphères :
c’est d’abord l’Australie qui est à l’honneur avec Melbourne (1956),
le Japon qui est récompensé avec Tokyo (1964) et qui souhaite, par
l’organisation des Jeux, faire oublier son passé impérial et l’attaque
de Pearl Habour. Alors que le CIO s’ouvre prudemment au Sud, c’est
au Mexique, partenaire privilégié des USA, qu’échoit l’honneur
d’accueillir les Jeux de 1968. Les Jeux reviennent en Europe pour
honorer l’Allemagne devenue à partir de 1949 un État démocratique,
une puissance économique, un allié au sein de l’OTAN, Allemagne qui
est attachée à faire oublier l’opprobre du nazisme et des Jeux de Berlin.
Au milieu des années 1970, la situation de l’olympisme à
l’échelle internationale est contrastée. Certes, le CIO connaît une
croissance quantitative de ses membres tout à fait satisfaisante (même
si la Chine n’appartient toujours pas à la « famille olympique »), il
recueille les fruits de sa diplomatie par la tenue régulière, sinon impeccable (que l’on pense aux éditions de 1956, 1968 et 1972) des Jeux
tous les quatre ans et il trouve un modus vivendi dans ses rapports
avec la politique en choisissant d’en faire sans le dire. Cependant il
reste pauvre (les membres du CIO le sont, à moins de disposer d’une
fortune personnelle, ce qui est souvent le cas ; les athlètes le sont au
nom de l’amateurisme imposé par Coubertin, mais de plus en plus
contourné) et surtout l’ardeur olympique s’essouffle. Il y a de moins
en moins de villes candidates pour l’organisation des Jeux : deux
pour ceux de 1976 et 1980, une seule pour 1984. Autrement dit, le
CIO est à la merci de n’importe quelle crise qui pourrait durablement
l’ébranler, voire contribuer à sa disparition.
La diplomatie du CIO : le tournant
S’il est habituel de rendre J.-A. Samaranch responsable d’avoir soumis le CIO aux lois du marché, force est de constater que l’inflexion
en la matière est antérieure à sa présidence, dans la mesure où les
premiers signes de cette évolution sont perceptibles dès les années
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
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1970. En l’occurrence, ils sont, pour l’essentiel, au nombre de deux.
Le premier a trait à la vente des droits de retransmission qui, après les
Jeux de Munich, ont commencé à assurer quelques ressources au
CIO. Estimés à 14 millions de dollars pour les olympiades de 1972,
ils s’élèvent à 34,9 millions de dollars quatre ans plus tard et à
120 millions pour les Jeux de Moscou. Le second signe de l’évolution
en cours a trait au statut des membres du CIO : partant de l’idée de
Coubertin selon laquelle les membres du CIO, cooptés par leurs collègues, ne représentent pas leur pays au sein du Comité, mais sont
des ambassadeurs olympiques auprès de leur pays, leur indépendance inscrite dans les statuts était attestée par le fait que chacun
d’entre eux versait une cotisation et payait tous les frais afférents à la
fonction. Au temps de A. Brundage, tout le mouvement olympique
était géré par deux bénévoles à Lausanne1. La tendance commence à
s’inverser à partir de la fin des années 1970, vraisemblablement à
partir de l’amélioration de la situation financière du CIO : non seulement la cotisation tombe en désuétude, mais de plus en plus de frais
de mission sont remboursés. L’évolution passe encore largement inaperçue, elle est accélérée à partir de l’arrivée de J.-A. Samaranch à la
tête du CIO qui tire toutes les leçons de la crise de 1980 et s’employe
à remédier à la vulnérabilité du Comité du fait de son manque de ressources financières.
La diplomatie économique
Les mesures prises par J.-A. Samaranch s’inscrivent dans le mouvement général qui se développe dans les années 1980 : l’apparition
« d’un ordre sportif marchand et mondialisé »2. Le CIO s’est d’autant
mieux converti au marché qu’il détient les droits de propriété des JO
et, fort de ce monopole, il dispose d’un pouvoir de négociation considérable face à des chaînes de télévision qui se livrent à une concurrence d’autant plus acharnée que les JO attirent un très large public :
les Jeux d’Atlanta en 1996 rassemblent 20 milliards de téléspectateurs (audience cumulée) dans deux cents pays. En conséquence, le
montant des droits de retransmission connaît une croissance exponentielle ces vingt dernières années : si American Broadcasting Co
(ABC) n’a déboursé que 225 millions de dollars pour obtenir l’exclusivité américaine des Jeux de Los Angeles en 1984, NBC (National
Broadcasting Co) emporte Barcelone (1992) pour 411 millions de
1. Voir, à ce sujet, l’entretien accordé par Mohamed Mzali à Géopolitique, n° 66, juillet 1999,
p. 74-78.
2. L’expression est de Bourg Jean-François, « Le sport à l’épreuve du marché », Géopolitique,
n° 66, juillet 1999, p. 51-58.
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dollars, Atlanta (1996) pour 456 millions et Sydney (2000) pour
715 millions. Plus largement, si l’on en croit une analyse du CIO rendue publique le 14 juin 1995, les revenus globaux provenant de la
télévision pour les Jeux d’Atlanta atteignent la somme de 906 millions,
soit 47 % de plus que ceux de Barcelone. Ce mariage entre le sport et
la télévision est, aux dires de J.-A. Samaranch, « un mariage parfait.
Nous avons besoin de la télévision et la télévision a besoin de nous »1.
Il n’en demeure pas moins que le CIO a dû donner satisfaction aux
chaînes de télévision en mettant à son programme des disciplines
spectaculaires ou à la mode, capables de faire monter les taux
d’audience et saborder les autres, provoquant ainsi la colère de certaines fédérations sportives.
Si les Jeux sont devenus une affaire rentable pour la « famille
olympique », c’est également parce que J.-A. Samaranch a fait prendre
au CIO le virage du marketing en s’assurant le parrainage des plus
grandes multinationales pour chaque olympiade par la création du
club des sponsors TOP (The Olympic Programm). C’est ainsi qu’en
1992, une douzaine de multinationales acceptent de verser 30 millions
de dollars chacune pour être associées à l’organisation des Jeux alors
que dix autres sociétés, dont les produits ne doivent pas concurrencer
ceux des douze premiers sponsors, ont acquis, au prix de 6 millions de
dollars, le droit d’inclure le logo des Jeux dans leur publicité2. L’escalade se poursuit à Atlanta qui parie sur un club restreint de douze sponsors dotés de privilèges à la hauteur de la somme exigée (40 millions
de dollars) : exclusivité absolue du sigle des JO, parrainage des équipes
olympiques américaines aux Jeux d’hiver et d’été (1994 et 1996), plus
forte protection contre le marketing pirate, bureaux et services de conseil3. Le pari du « tout économique » est enfin attesté par le choix des
villes olympiques : à l’exception de Barcelone qui traduit la conjonction de préoccupations tout à la fois économiques et politiques (voir
infra), toutes les autres villes candidates présentent d’abord, voire quasi
exclusivement, de solides garanties financières : de Séoul (1988) à
Atlanta (siège de Coca-Cola, cheville ouvrière du TOP) sans oublier
Sydney préférée à Pékin pour les Jeux de l’an 2000.
Les revenus provenant à 48 % des droits de retransmission télévisée et à 34 % de la sponsorisation ne profitent que minoritairement
au CIO : selon le décompte officiel, 60 % des sommes ainsi dégagées
vont à la ville qui organise les Jeux, les 40 % restant sont attribués au
mouvement olympique (6 % pour le CIO, le reste faisant l’objet d’une
1. Le Monde, 29 août 1994.
2. Voir, à ce sujet, Augustin Jean-Pierre, « Les avatars de l’olympisme contemporain », Géopolitique, n° 66, juillet 1999, p. 79-88.
3. Le Monde, 18 août 1992.
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
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répartition entre les FSI et les CNO dans le cadre de la solidarité olympique tournée pour l’essentiel vers les pays en voie de développement). Préoccupé par sa rentabilité financière, le CIO s’apparente de
plus en plus à une « World Company » : alors qu’en 1980, il connaît
des problèmes de trésorerie (il ne dispose que de 100 000 dollars en
caisse), son compte en banque est, en 1986, créditeur de 42 millions
de dollars (ces réserves devant lui permettre de tenir huit ans, même
en l’absence des Jeux)1. En 1999, il se décide officiellement à révéler
le montant de sa fortune : 200 millions de dollars dont 58 millions
immédiatement disponibles, le reste étant placé ou réservé2.
Mohamed Mzali, l’un des vice-présidents du CIO, estime, quant à lui,
que le CIO a en réserve l’équivalent d’un peu plus d’un milliard de
francs3, ce qui ne place pourtant J.-A. Samaranch qu’à la 29e place
dans le classement des personnalités les plus puissantes du sport mondial établi par la revue The Sporting News4. L’olympisme s’apparente
de plus en plus à un produit de marketing des plus rentables qui est
censé avoir rapporté 2,5 milliards de dollars entre 1993 et 19965.
Grand promoteur de spectacles sportifs à l’échelle planétaire, le
CIO (en tant qu’institution) n’est pourtant pas le seul à s’enrichir. En effet,
les athlètes n’ont pas été oubliés dans la mesure où J.-A. Samaranch met
fin à l’anachronisme que représente à ses yeux le statut d’amateur en
abrogeant la règle 26 de la charte olympique. Les membres du CIO
profitent également, même si c’est plus modestement (du moins officiellement) de cette manne financière. À partir de 1981, ils obtiennent de se faire rembourser leurs frais de déplacement et d’hébergement dans les villes candidates et en 1983 J.-A. Samaranch fait voter
à leur intention une indemnité de 100 dollars. La brèche est ouverte,
les villes candidates à l’organisation des Jeux ne manquent pas de s’y
engouffrer. Est-ce à dire que l’action internationale du CIO se limite à
la seule exploitation du gisement des droits financiers ouverts par le
spectacle olympique ? Est-ce à dire que, maintenant que l’objectif
d’universalité est à peu près atteint et que les menaces de boycott ne
sont plus que des mauvais souvenirs, le CIO est dénué de tout projet
politique ? Certes non, cependant cette activité politique a pris
d’autres formes, elle est plus souterraine et elle est surtout mise au
service de l’ambition d’un homme, J.-A. Samaranch.
S’il est un moment où cette dernière affleure clairement, c’est à
la faveur de la désignation de Barcelone, le 17 octobre 1986, comme
1.
2.
3.
4.
5.
Le Monde, 15 septembre 1988.
Le Monde, 20 mars 1999.
Mzali Mohamed, art. cit.
Bourg Jean-François, art. cit.
Le Monde, 29 août 1994.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
ville organisatrice des Jeux de 1992. Incontestablement, ce choix
répare une injustice (l’Espagne est le seul grand pays européen à
n’avoir jamais organisé les Jeux : Paris lui est préféré en 1924, Berlin
en 1936 et Munich en 1972) et repose sur un dossier mûrement préparé (Barcelone entre dans la course olympique dès 1981). Les
arrière-pensées du président du CIO rejoignent ici le dessein du gouvernement espagnol qui souhaite célébrer l’appartenance de l’Espagne au concert des États démocratiques entérinée déjà par son adhésion à la Communauté européenne. J.-A. Samaranch, quant à lui,
souhaite faire de ces Jeux ses Jeux afin d’effacer jusqu’au souvenir de
sa carrière franquiste de ministre des Sports de 1961 à 1970 et de
président du conseil provincial de Catalogne chassé sans gloire par
une manifestation de rue en 1977. La présidence du CIO lui permet
de mener et, dans la mesure du possible, de couronner une nouvelle
carrière, sur la scène internationale cette fois.
Soucieux d’assurer définitivement l’avenir et la pérennité du
mouvement olympique, J.-A. Samaranch tenterait d’obtenir pour le
CIO un statut d’observateur aux Nations unies. Ce qui assoirait une
fois pour toutes la reconnaissance internationale du Comité qui participerait ainsi à tous les grands débats (portant notamment sur les
questions sportives) organisés par la communauté internationale. Le
rapprochement entre les deux instances est attesté par l’invitation
faite à J.-A. Samaranch de prendre la parole pour la première fois, le
6 novembre 1995, devant l’assemblée générale à New York. Parallèlement, il brigue également pour le CIO l’attribution du Prix Nobel
de la paix eu égard au fait que l’olympisme joue un rôle de réconciliation dans le monde. Les Jeux de Barcelone sont destinés à accréditer cette thèse (cent soixante-douze Nations présentes, y compris
Cuba qui avait boycotté les deux Olympiades précédentes) et à peaufiner l’image d’humaniste du président du CIO. On sait aujourd’hui
que ce pari est perdu et que la fondation Nobel ne franchira pas ce
pas, arguant du fait qu’il y a trop d’argent dans les Jeux. Désireux de
marquer de son empreinte le mouvement olympique et plus généralement les relations internationales en imposant le CIO comme un
acteur de poids, disposant de ressources considérables, J.A. Samaranch s’est constitué, à l’échelle de la planète entière, un
réseau de relations personnelles et d’informateurs. Reçu partout avec
rang de chef d’État, il a fait durant les six premières années de sa présidence quatre-vingt-onze fois le tour du monde, embrassé cent quarante-six chefs d’État et collectionné 249 décorations…1.
1. L’Express, 17-23 octobre 1986.
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LE COMITÉ INTERNATIONAL OLYMPIQUE
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OLYMPISME : ARRÊT SUR IMAGE
À l’heure où les révélations et les scandales se multiplient concomitamment, tant à propos du dopage que de la corruption, éclaboussant
le CIO et discréditant son président, il convient de réexaminer la
diplomatie de l’instance olympique à la lumière des derniers développements.
Le « choix » des villes olympiques
De Sydney à Salt Lake City, sans oublier les candidatures malheureuses (dont, selon toute vraisemblance, Stockholm en lice pour
accueillir les Jeux de 2004), la liste des villes soupçonnées et/ou
convaincues d’avoir acheté les voix des délégués du CIO ne cesse de
s’allonger. Récusant le terme de corruption pour évoquer une pratique assez « naturelle » de la part des villes candidates, le CNO suédois reconnaît avoir signé, juste avant le vote du CIO, des accords
d’assistance avec six pays africains prévoyant le financement du
transport, du séjour et de l’entraînement en Suède de leurs sportifs, et
ce à hauteur de 1,5 million de couronnes. En septembre 1993,
Sydney est élue pour organiser les Jeux de l’an 2000 au détriment de
Pékin devancée de deux voix. Or, le responsable de la candidature
de la ville australienne vient de reconnaître qu’il a proposé, à la
veille du vote final du CIO, 31 500 dollars à deux de ses membres
africains destinés au développement du sport dans leur pays, si Sydney était choisie. Changement d’échelle avec le système mis en place
pour promouvoir et faire triompher la candidature de Salt Lake City
pour les Jeux d’hiver de 2002 : la pratique des « petits » cadeaux de
plus en plus coûteux (des bourses d’études pour les membres de la
famille aux frais médicaux « gratuits », sans oublier les dépenses de
séjour qui se doivent d’être somptuaires) s’est généralisée afin de
créer une majorité au sein de l’Assemblée du CIO1.
Cette dérive n’est pas récente : elle a pris de l’ampleur à partir
de 1984, c’est-à-dire à partir du moment où les villes organisatrices
ont commencé à enregistrer des bénéfices. Elles font toutes (ou presque) désormais appel à des agences de lobbying, traitent royalement
chaque membre du CIO venu lui rendre visite (en 1989 Nagano, en
piste pour les Jeux d’hiver de 1998, consacre 21 905 dollars à chacun d’entre eux) et savent vraisemblablement s’attirer les bonnes grâces du président du CIO : il en va ainsi du Musée olympique dont les
quatre plus gros contributeurs ayant participé au financement ont éga-
1. Pour plus de détails, voir Le Monde, 16 février 1999.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
lement organisé les Jeux ou les ont obtenus entre 1988 et 1993,
période des travaux (le Japon, à lui seul, s’est acquitté du tiers de la
facture ; l’Espagne, les États-Unis et la Corée du Sud couvrant le reste).
Toute une panoplie de devoirs et de règles remises à jour en
décembre 1995 était destinée à limiter les risques de corruption1,
mais en vain. Aujourd’hui, pour la première fois de son histoire, le
CIO a procédé à l’exclusion de six de ses membres pour n’avoir pas
respecté le serment olympique qui leur enjoint de demeurer
« étranger à toute influence politique ou commerciale ». Il a également entrepris une réforme du mode de désignation des villes olympiques destinée à entrer en application pour l’attribution des prochains
Jeux de 2006. Il est prévu qu’un collège de seize personnes – dont
huit sont des membres du CIO élus par leurs pairs – sera chargé de
présélectionner deux villes parmi toutes les candidates. C’est ensuite
l’assemblée du CIO qui les départagera par un vote. En outre, comme
le CIO et son président sont sérieusement contestés de l’extérieur (à
l’intérieur, le réflexe d’union sacrée prévaut ainsi qu’en témoigne le
vote de confiance en faveur de J.-A. Samaranch le 17 mars 1999), on
prévoit la création d’une Commission d’éthique chargée de surveiller
les membres du CIO et d’une Commission « CIO 2000 » (présidée par
J.-A. Samaranch lui-même) destinée à mener une réflexion pour modifier le mode de nomination des membres de l’aréopage olympique.
Ces mesures suffiront-elles à assurer un minimum de probité et
de transparence dans le choix des villes olympiques ? Il est permis
d’en douter. Quoi qu’il en soit, à l’issue de ces différentes péripéties,
on peut s’interroger sur le degré d’autonomie de la diplomatie du
CIO dans la mesure où les voix de certains de ses membres sont susceptibles d’être achetées (entre 5 et 7 %, selon M. Hodler, membre
du CIO, par qui le scandale a été révélé), contribuant ainsi à accréditer l’idée selon laquelle l’instance olympique se vend au plus offrant
et qu’au-delà des villes, les États peut-être, au nom de leur intérêt
national, les grandes firmes multinationales à coup sûr, attirées par le
profit, se sont donnés les moyens de peser de manière décisive sur les
choix du CIO.
La revanche du politique
Soucieux d’instaurer une ère de détente entre olympisme et politique, J.-A. Samaranch est confronté depuis quelques mois à une hostilité déclarée de certains gouvernements, tant européens qu’américain, pour avoir trahi l’idéal olympique. C’est à l’occasion de la
1. Pour plus de détails, voir Le Monde, 20 mars 1999.
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conférence mondiale sur le dopage ouverte le 2 février 1999 à Lausanne qu’un certain nombre de représentants des États mettent
sévèrement en doute la légitimité du CIO. Si le ministre britannique
des Sports n’a pas mâché ses mots : « Nous devons restaurer notre foi
dans le mouvement olympique qui est actuellement souillé »1, le
représentant de Bill Clinton n’a guère été plus amène : « Le manque
de transparence (du CIO) et la faillite de ses dirigeants ont compromis la légitimité de cet organisme »2. Considérant que la chose olympique est trop précieuse pour que la gestion en soit désormais confiée au seul CIO, les ministres des Sports européens rejètent les
propositions de l’instance olympique s’agissant de la composition de
l’agence antidopage, l’obligeant donc à composer, à pratiquer la
concertation, voire la cogestion3.
Sur fond de discrédit de la politique de J.-A. Samaranch, les
gouvernements qui ne souhaitent pas que l’arène olympique reste
sans maître ont recours successivement aux pressions, aux condamnations verbales voire aux menaces. L’offensive lancée aux USA risque d’être particulièrement déstabilisante du fait de la vulnérabilité
du CIO dont le financement provient à environ 70 % des sponsors et
des chaînes de télévision américains et qui jouit par ailleurs, comme
dans d’autres États, d’un statut d’exemption fiscale4. Or, non seulement le Congrès a le pouvoir d’annuler ce statut, mais il peut également réattribuer au CNO américain les droits de retransmission télévisée versés directement jusqu’alors au CIO. Dans le même ordre
d’idées, le président du CNO américain a écrit au Président américain pour lui demander de transformer le CIO en organisation gouvernementale régie par le droit international public, ce qui permettrait à la justice américaine de se saisir du dossier olympique. Cette
hypothèse est certes improbable, elle n’en manifeste pas moins le
rejet du CIO assimilé de plus en plus à une culture de la corruption.
*
* *
Le spectacle sportif a encore de beaux jours devant lui et il y a
tout lieu de penser que l’hypertrophie du programme olympique est
loin d’être achevée (deux cent soixante et onze disciplines à Atlanta,
deux cent quatre-vingt-douze prévues pour Sydney). Cependant,
cette nouvelle crise qui secoue l’olympisme marque la fin d’une
époque : si 1980 sonne le glas du « tout politique », 1999 signifie la
remise en cause du « tout économique ». Elle représente également
1.
2.
3.
4.
Le Monde, 4-5 février 1999.
Idem.
Idem.
Voir, infra, la contribution de Andrew Jennings.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
une remise en cause du mode de gestion de Samaranch qui n’a cessé
de renforcer ses pouvoirs en disposant ainsi depuis 1994 du droit de
proposer personnellement dix nouveaux membres au CIO sans suivre
les critères habituels de nomination. En dix-neuf ans de présidence,
celui-ci aurait renouvelé 80 % de l’aréopage olympique, le transformant en assemblée de ratification. La crise amène en tout cas le président du CIO à adopter un profil bas pendant la période de
turbulences : « Enfin, à quoi servons-nous ? Nous décidons tous les
deux ans de l’attribution des Jeux olympiques d’été et d’hiver. Il est
faux de croire que nous sommes les maîtres du sport mondial. Ce
rôle appartient aux Fédérations sportives internationales. Ce que
nous faisons, nous, c’est seulement essayer de coordonner leur
action en respectant leur autonomie et leur indépendance »1.
Le procédé n’est pas très élégant, en tout cas peu fair-play, il
n’en lève pas moins un coin du voile sur les agissements de cette
multinationale du sport qu’est devenu le CIO qui doit concilier tellement d’intérêts contradictoires qu’il s’est révélé victime de ses propres appétits. Citius, altius, fortius…
Références bibliographiques
ARNAUD Pierre, RIORDAN James (dir.), Sport et relations internationales
(1900-1941), Paris, L’harmattan, 1998, 337 p.
BROHM Jean-Marie, Le mythe olympique, Paris, Christian Bourgois,
1981, 480 p.
CALLEBAT Louis, Pierre de Coubertin, Paris, Fayard, 1998.
Géopolitique, « Sport et politique », n° 66, juillet 1999.
MALIESKY Dominique, « De Coubertin à Samaranch : la diplomatie du
CIO », Pouvoirs, n° 61, avril 1992, p. 25-37.
1. Le Monde, 27 janvier 1999.
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Deuxième partie
LA SOCIALISATION
PAR LE SPORT :
REVERS ET CONTREPIED
■
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PERCEPTION PUBLIQUE ET REPRÉSENTATIONS
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PERCEPTION PUBLIQUE
ET REPRÉSENTATIONS
SOCIALES DU SPORT
DE RUE. L’EXEMPLE
DE L’AGGLOMÉRATION
GRENOBLOISE
■
Jean-Charles BASSON
■
Andy SMITH
Résumé : la légitimité des valeurs socialisatrices (gratuité de l’effort, sens
du partage, solidarité collective…) traditionnellement prêtées aux sports
pratiqués au sein des clubs et associations est mise à mal par l’émergence du sport de rue. Échappant au cadre cognitif et organisationnel
régissant le plus couramment l’action publique sportive, ce dernier se
situe volontairement, ou de fait, en marge du modèle vertueux affiché
par le mouvement sportif. Estimant celui-ci particulièrement galvaudé,
les adeptes des pratiques sportives auto-organisées refusent, en bloc,
autant de travers qu’ils attribuent principalement aux clubs (scandales
financiers, tricheries, dopage…). Ils n’en expriment pas moins des
attentes et motivations que les acteurs publics locaux ont le plus grand
mal à entendre.
Le sport est soumis à des examens réguliers et contradictoires.
Sont ainsi diagnostiqués, tout à la fois, la démocratisation des disciplines et l’individualisation des pratiques, sa contribution à l’édification
nationale et le repli identitaire qu’il peut également favoriser, son rôle
de pacificateur social et les violences rituelles auxquelles il donne
lieu… Les valeurs socialisatrices qui lui sont traditionnellement prêtées
échappent pourtant à cette règle et semblent demeurer immuables : le
goût de l’effort, l’esprit d’équipe, l’altruisme, le dévouement et le sacrifice à la cause commune, le partage des louanges animeraient encore
et toujours cette école d’humilité que serait resté le sport.
Évoluant entre une perception publique approximative et les
représentations sociales ambivalentes dont il est porteur, le sport de
rue ne répond pas à ces critères. Spontanées, éphémères, auto-organisées, clandestines ou sauvages, les pratiques sportives de rue (qu’il
s’agisse du jogging, du VTT, du vélo acrobatique, du skateboard, du
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
roller-skating ou de toutes les formes de streetball : basket, football,
hockey1…) se dérobent, jusque dans les qualificatifs qu’on leur attribue, au cadre cognitif et organisationnel caractérisant l’action publique sportive traditionnelle. Ainsi le sport de rue prend-il les canons de
la socialisation sportive portée par les clubs à revers ou à contre-pied.
Non pas qu’il s’agisse pour ses jeunes adeptes de promouvoir une
pratique systématiquement opposée et exactement contraire à celle
qui prévaut dans les organisations sportives, mais bien plutôt, constatant les dérives affectant de nombreux clubs (scandales financiers, tricheries, dopages, violences dominicales…), de tenter de les contourner en choisissant délibérément de « jouer sur le mauvais pied »,
autrement dit, contre la tendance la plus couramment observée.
C’est ainsi que voir dans le rejet des clubs, tantôt le symptôme
d’une « crise de la socialisation » affectant les grandes instances (la
famille, l’école, les mouvements de jeunesse…), tantôt la manifestation d’une « crise de la représentation » touchant les corps intermédiaires (les partis politiques, les syndicats, les associations…) ne suffit
pas à caractériser l’évolution propre aux sports et aux modes organisationnels qui entendent le régir. Les motivations et les référents des
jeunes adeptes du sport de rue sont, sans doute, davantage à rechercher dans l’intelligibilité des modes d’expression usités par ces derniers et dans l’impact qu’ils produisent sur les acteurs publics2.
UNE PERCEPTION PUBLIQUE
FUYANTE
« On n’a pas de retour dans les quartiers ». Tel est le leitmotiv qui
semble rythmer le discours des acteurs publics concernés par l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sportives territoriales de
l’agglomération grenobloise. Ne semblant pas prendre la juste mesure
du brouillage des repères traditionnels à l’œuvre, l’action publique
paraît démunie et de fait tentée de stigmatiser la fragmentation et
l’incohérence des processus en cours. Il est vrai que les modes
1. Sans compter d’autres pratiques hybrides que l’on serait bien en peine de nommer.
2. Cet article a fait l’objet d’une première publication : Basson Jean-Charles, Smith Andy, « La
socialisation par le sport : revers et contre-pied. Les représentations sociales du sport de rue », Les
Annales de la recherche urbaine, 79, juin 1998, p. 33-39. Il présente les résultats d’une enquête par
entretiens semi-directifs réalisés auprès de quarante acteurs publics des politiques sportives locales
(élus, responsables des services techniques des mairies, membres de l’Association intercommunale
de prévention de la délinquance, représentants du ministère de la Jeunesse et des Sports, de
l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise, animateurs, éducateurs, entraîneurs, gardiens de
gymnase et policiers) et de quatre vingts jeunes de 16 à 25 ans des quartiers de cinq villes de
l’agglomération grenobloise (Fontaine, Grenoble, Pont-de-Claix, Saint-Egrève et Saint-Martind’Hères).
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PERCEPTION PUBLIQUE ET REPRÉSENTATIONS
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d’énonciation et d’interpellation pratiquées par les jeunes semblent
se complexifier, échapper aux circuits classiques et finalement devenir particulièrement difficiles à appréhender, et de surcroît à satisfaire. Les vecteurs qu’ils empruntent, les acteurs qu’ils mettent en jeu,
les incompréhensions qu’ils suscitent, les conflits concurrentiels qu’ils
peuvent générer, les habitudes qu’ils bousculent, les régulations qu’ils
rendent nécessaires sont autant de manifestations étrangères à la
politique sportive pratiquée jusqu’alors. Ainsi modifient-elles considérablement, jusqu’à l’entraver parfois, la perception qu’ont les
acteurs publics de la conduite des politiques publiques du sport.
La première cause de ce trouble réside dans le mode d’appréhension de la population à laquelle elles s’adressent prioritairement. Ainsi le
club reste-t-il le vecteur privilégié par lequel les acteurs publics entendent opérer sur le terrain, au risque de maintenir les pratiques sportives
spontanées aux marges de ce mode traditionnel d’organisation.
Splendeurs et misères du club sportif
S’ils perçoivent les limites actuelles que présente le club et le filtre
qu’il constitue, les acteurs publics le retiennent le plus souvent faute
de mieux. Ils sont en ce sens soutenus par les intermédiaires de terrain qui marquent clairement leur attachement à un système auquel
ils ont, dans certains cas, longuement collaboré.
« Le club a fait ses preuves, annonce un entraîneur de handball
de Fontaine. C’est ridicule de dire qu’il faut en finir avec le club.
Pour mettre quoi à la place ? Quand j’étais gamin, on allait tous au
club. Et c’est là, en plus de l’école, que se sont forgés nos caractères.
C’est là qu’on a appris ce que ça voulait dire que constituer une
équipe et défendre les couleurs de son club et de sa commune. Parce
que c’était chaud les rencontres avec les communes voisines ! Maintenant on est les meilleurs amis du monde. Pourquoi changer ça ? Les
jeunes sont les mêmes aujourd’hui. Eux aussi ont besoin de discipline. On ne va pas tout laisser aller comme ça, sans contrôle. Il faut
qu’un adulte soit responsable. De toute façon, si on encadre des
gamins c’est qu’on aime ça. Donc, on fait tout pour eux. Je ne vois pas
comment on pourrait fonctionner autrement ? C’est bien beau de laisser des jeunes jouer dans la rue, livrés à eux-mêmes, mais comment
on fait s’il y a des problèmes ? D’accord, les clubs ne concernent pas
tout le monde : il y a des jeunes qui passent entre les mailles du filet.
Mais de là à tout foutre en l’air pour eux… C’est pas sérieux ».
Or, le club est, aux yeux des jeunes, un modèle d’organisation
à réformer. Procurant néanmoins des avantages importants (pédagogie, suivi, émulation, discipline indispensable à la progression, équi-
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
pements, convivialité…) à une grande majorité d’entre eux, les acteurs
publics s’appuient sur cette population pour dresser un état des lieux
florissant de la pratique sportive organisée dans leur commune. Ils
vantent alors le nombre de licenciés, la compétence de l’encadrement, la variété des sports proposés, la qualité et le coût des équipements, le montant des subventions votées et les performances de
leurs sportifs qui portent haut les couleurs de la ville1. Il leur faut toutefois convenir que les clubs accueillent également des jeunes qui
trouvent là une forme d’identité et d’adhésion à un collectif que ne
fournissent plus les étapes importantes qu’étaient encore il y a peu
l’entrée dans la vie active, la mise en ménage ou l’accès à un logement. Ainsi certains jeunes sont-ils tentés de rester, par défaut en
quelque sorte, dans les clubs de leur enfance. Et s’ils ne les trouvent
pas dépassés, ils admettent qu’ils ne peuvent pallier leur besoin fondamental qui est l’emploi.
« Au club, y a tous mes amis, explique Rachid, ancien boxeur
de la Villeneuve. Maintenant, je ne monte plus sur le ring, pas fou !
Mais je donne un coup de main aux entraînements ou pour les déplacements. Et puis c’est bien de trouver un coin où t’es bien, pas
stressé. Où tu peux penser à autre chose qu’à tes emmerdes de la vie.
Le sport, il est là en plus, pour nous réunir. Moi, les tournois ne
m’intéressent plus, ou comme spectateur. Mais, il y a l’ambiance. Et
ça, c’est important quand tu glandes dans la vie. La boxe vient te dire
qu’il faut toujours se battre et pas se laisser aller ».
Il reste que pour de plus en plus de jeunes, le club est un symbole de l’organisation « standardisée », un « moule qui sert à structurer le comportement », selon les expressions d’un footballeur de
Saint-Martin-d’Hères. Ainsi suscite-t-il refus et rejets en bloc : refus
de l’organisation sportive traditionnelle (fédération, club, encadrement, entraînement, compétition, classement, divisions et catégories…), refus des contraintes sportives (horaires, calendrier, convocations, hiérarchisation au sein des équipes…), refus de la discipline
sportive (règles, arbitrage, sanction des fautes, évaluation…), rejet
des marques d’appartenance à la communauté sportive (paiement de
la licence, port des couleurs du club, fréquentation des vestiaires, du
bar du club, participation aux fêtes du club…), enfin désaffection des
équipements sportifs traditionnels ou vandalisme contre ces derniers.
Sylvain, 23 ans, ancien rugbyman de Pont-de-Claix, vide son
sac : « Au bout d’un moment, le club t’en peux plus ! Au début, tu y
vas avec des copains de l’école. Tout est nickel : t’apprends plein de
trucs, t’as envie de progresser, l’ambiance est bonne… Alors t’accep1. La lecture des bulletins municipaux est, à ce titre, édifiante.
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PERCEPTION PUBLIQUE ET REPRÉSENTATIONS
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tes tout. Tu te donnes à fond. Et puis les emmerdes arrivent : tu comprends pas pourquoi tu ne joues pas tout le temps alors que le fils de
l’entraîneur fait tous les matchs même s’il ne touche pas une bille, tu
te blesses et le médecin que te conseille le club ne te soigne pas bien.
Résultat : il y a des complications et finalement tu auras mal au
genoux toute ta vie. Tant pis pour toi ! Et puis, il y a les consignes
qu’on te donne. Par exemple de défoncer un tel en début de match
sinon il va nous emmerder jusqu’au bout… Tu te dis que tout ça c’est
pas bien joli. Alors tu finis par partir. Et là, tu commences vraiment à
réfléchir à tout ce système. Et si tu es un peu nerveux, tu as envie de
tout casser ».
La violence du témoignage, et le ressentiment qui l’accompagne, ne doit pas laisser supposer qu’il est le reflet d’une opinion massivement partagée. Pourtant, il mérite sans doute d’être relevé dans la
mesure où il résume une trajectoire sportive couramment empruntée.
Les partisans des nouvelles pratiques sportives ont dans une écrasante majorité fréquenté les clubs avant d’envisager d’autres modes
d’organisation. Autrement dit, la marginalisation des pratiques sportives spontanées tient tout autant aux acteurs publics qui les perçoivent parfois comme un facteur de trouble qu’aux jeunes qui y voient
l’occasion de s’affranchir des clubs qu’ils connaissent bien.
La marginalisation
des pratiques sportives spontanées
Sans doute perturbantes à plus d’un titre, les pratiques sportives
éphémères ne sont pas pour autant ignorées et entravées par l’action
publique. D’une part, elles peuvent apparaître comme un moindre
mal (« pendant qu’ils jouent au foot dans les galeries, ils ne font pas
les cons », annonce clairement un éducateur de la Villeneuve).
D’autre part, elles ne semblent pas travailler contre l’ordre sportif :
elles se développent à la marge de ce dernier, sans le remettre en
cause, en l’ignorant le plus souvent. Par ailleurs, elles peuvent profiter aux clubs. La plupart de ces pratiques nouvelles sont ainsi reprises
par ces derniers qui assurent par là même le renouvellement de leurs
licenciés et drainent une population a priori peu sensible à ce mode
d’organisation. De même peuvent-elles favoriser une forme de détection des meilleurs joueurs du quartier qui iront ensuite vers les clubs
et faire émerger de nouveaux cadres sportifs familiers des quartiers
qui réussiront, à leur tour, à persuader les jeunes de rejoindre les
clubs.
« Dans les équipes professionnelles de basket, on trouve maintenant des joueurs qui se sont formés dans la rue, note un entraîneur
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
de la Villeneuve. C’est le cas à Villeurbanne, par exemple. Ce n’est
pas con de faire appel à ces gars-là. Les grandes équipes l’ont compris. Mais ça peut aussi créer des problèmes, au moins au début,
parce que ces joueurs jouent plus dur. Ils prennent des libertés avec
les règles. Ils sont plus malins. Et les arbitres n’aiment pas trop. En
fait, il faut que le club les fasse entrer dans le moule pour ne pas
qu’ils se fassent sanctionner tout le temps. Mais en même temps, il
faut les laisser comme ils sont, sinon ils vont devenir des joueurs
comme les autres. C’est le fait qu’ils jouent un peu différemment qui
présente un avantage. Faut trouver un équilibre, si possible en
veillant à ce que ces joueurs gardent le contact avec leur quartier. Ils
pourront alors dire des choses intéressantes aux jeunes du coin, sans
pour autant leur faire miroiter trop de trucs. Car il n’y a pas de place
pour tout le monde… ».
Mais il est également intéressant de constater que, nées en
réaction au mode d’organisation promu par les clubs, ces pratiques
sportives originales apparaissent comme une forme d’auto-responsabilisation obéissant le plus souvent à des règles plus strictes que celles régissant l’activité sportive traditionnelle. D’autant plus difficiles à
comprendre qu’elles ne sont pas toujours explicitement codifiées et
figées, elles semblent promouvoir une forme de justice négociée en
ce sens que la décision rendue est perçue comme d’autant plus juste
qu’elle est discutée préalablement.
« On joue sans règles, enfin sans règles précises, explique Stéphane, footballeur occasionnel de Saint-Egrève. On est d’accord sur
tout en général. S’il y a un problème, on discute et on décide. Alors
certains veulent en profiter pour avantager leur équipe. Mais en
général, on choisit une solution qui permet que le jeu soit le plus
libre possible… et puis les équipes changent tout le temps. Par exemple, on ne met pas de limites au terrain, ou si un joueur court comme
un fou pour rattraper un ballon et que le ballon sort un peu derrière
les buts on laisse faire pour qu’il centre et fasse une belle action. Ce
sont les belles actions qui nous intéressent. Par contre, on ne tolère
aucune faute et autre attitude qui laisse supposer que le joueur ne
joue pas le ballon. On est réglo. Si un mec va au but et qu’il est
fauché, alors c’est vraiment que celui qui fait la faute est un gros con.
D’ailleurs ça n’arrive jamais. Au contraire pour le plaisir de pouvoir à
nouveau dribbler, il est possible que l’attaquant attende son défenseur avant de tirer au but… surtout si on met personne dans les
buts ».
Si ce mode de régulation est évidemment étranger aux pratiques de club, c’est sans doute qu’il n’obéit pas aux référentiels qui
guident ces dernières.
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PERCEPTION PUBLIQUE ET REPRÉSENTATIONS
73
DES REPRÉSENTATIONS
SOCIALES OPPOSÉES
On sait que « les contours du référent d’une politique publique ne se
confondent pas simplement avec les objectifs explicites de cette politique. Il les inscrit plus largement dans un débat d’ensemble, relatif
au rôle de la puissance publique concernant le devenir économique
et social collectif »1. Ainsi traditionnellement fondées sur le postulat
que le sport est un facteur essentiel d’intégration sociale, les politiques sportives territoriales promeuvent un modèle de socialisation en
partie opposé aux représentations véhiculées par le sport auprès des
jeunes des quartiers. La contestation réciproque de la légitimité des
référentiels à l’œuvre accentue alors le caractère insaisissable de la
population constituée par les jeunes amateurs de sports de rue.
Un mode de socialisation déprécié
Si les jeunes refusent en partie les règles édictées par les clubs, c’est
qu’à leurs yeux deux conditions traditionnellement remplies par ces
derniers ne le sont plus aujourd’hui. D’une part, le club ne leur apparaît
plus comme un facteur essentiel d’intégration sociale dans le quartier et
dans la commune. D’autre part, il n’est plus perçu comme un mode de
socialisation légitime. Ainsi le club n’est plus présenté comme un lieu et
une occasion de mixité sociale (il est le plus souvent réservé de fait aux
jeunes qui, par leur statut social ou professionnel, sont déjà intégrés
socialement) ou de mixité raciale (de nombreux cas de racisme sont
évoqués : « les arabes ne joueront jamais dans l’équipe première »
disent les jeunes de la deuxième génération, et les autres).
« C’est vite vu, poursuivent ces jeunes footballeurs de Fontaine, il n’y a pas de place pour tout le monde. Alors on te raconte du
baratin. On dit que machin est en forme, ou qu’il tient bien sa place.
D’accord, il n’était pas à la hauteur la semaine dernière mais il sera
mieux la prochaine fois. Et toi pendant ce temps-là, tu attends sur le
banc de touche. Après, tu comprends et tu ne viens même plus.
Hamed, il reste chez lui !… À ce moment-là, l’entraîneur en profite
pour dire que t’as un sale caractère et que tu ne sais pas jouer collectif. La vérité, c’est qu’il peut pas sacquer les arabes. Mais ça, il ne le
dira jamais. Reste plus qu’à faire une équipe d’arabes, et pourquoi
pas une équipe d’algériens, de tunisiens… Les vétérans font des équipes comme ça, mais eux, c’est pour se rappeler le bon temps du
1. Gaudin Jean-Pierre, « Politiques urbaines et négociations territoriales. Quelle légitimité pour les
réseaux de politiques publiques ? », Revue française de science politique, 45-1, février 1995, p. 48.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
bled. Pour nous, ça n’a pas de sens. Ou si, ça veut seulement dire
qu’on ne veut pas de nous ».
De même, le club est-il perçu comme inopérant pour les jeunes
qui sont tombés dans ce qu’un commerçant de la Villeneuve appelle
« la spirale de l’oisiveté, de la drogue et de la délinquance ». On peut
cependant objecter que là n’est pas sa mission. Dans ce cas, pourquoi
présenter le sport pratiqué en club comme la solution à tous les maux
du quartier ? Si « dans la pharmacopée politique française, la politique de la ville fait un peu figure de panacée universelle »1, le discours
des acteurs publics est perçu comme un leurre par une part croissante
des jeunes qui estiment que les clubs fonctionnent comme un
« palliatif » qui ne fait qu’occulter les problèmes qu’ils rencontrent :
« on cherche seulement à nous occuper » disent-ils.
C’est ainsi que les comportements et les valeurs vantés par le
club perdent une grande part de leur légitimité. Les vertus qui leur
sont traditionnellement prêtées (telles que la solidarité, le goût de
l’effort, l’apprentissage des règles communautaires, le respect d’un
code admis de tous, la canalisation de la violence…) sont mises à
mal par les dérives récentes du sport (scandales financiers, dopages,
tricheries, hooliganisme…) qui ne concernent pas seulement l’élite. Il
est alors permis de s’interroger sur « les capacités des associations
sportives à initier aujourd’hui de tels comportements civiques et politiques, dans la mesure où le club n’est le plus souvent qu’un prestataire de service, la vie associative ne concernant qu’un nombre limité
de dirigeants qui agissent par délégation ou procuration »2.
La question du dopage illustre bien cette tendance. Un cycliste,
de 22 ans, livre son expérience : « Le vélo, c’est sympa, mais c’est
dur. Et c’est ça qu’est bon. Il faut savoir souffrir. C’est ce qu’on nous
dit dans les clubs. Le plaisir existe dans la souffrance. Ca peut paraître un peu con, mais c’est comme ça que ça fonctionne. Tu es heureux quand tu arrives à surmonter le mal. Mais le drame, c’est qu’il
faut se faire de plus en plus mal si tu veux progresser. Et les jeunes ne
cherchent que ça : faire comme les pros. Il suffit de regarder la télé :
les pavés du nord, « l’enfer du nord » comme ils disent. Tu as vu
comment les gars souffrent ! Et comment ils ont l’air heureux. Mais, il
ne faut pas se faire d’illusion : ils ne sont pas des surhommes. Ils sont
forcément chargés [dopés], sinon ils n’iraient pas. Alors nous, on ne
fait pas les pavés du nord, la Chartreuse c’est pas Paris-Roubaix. Mais
même dans les petits clubs, tu comprends au bout d’un moment qu’il
1. Jobert Bruno, Damamme Dominique, « La politique de la ville ou l’injonction contradictoire en
politique », Revue française de science politique, 45-1, février 1995, p. 3.
2. Arnaud Pierre, « Sport et intégration : un modèle français », Spirales, 10, 1996, p. 13.
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PERCEPTION PUBLIQUE ET REPRÉSENTATIONS
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n’y a pas de secret : si tu veux progresser, il faut prendre des trucs.
Alors tu te fais remarquer, tu rejoints un plus gros club, et là on te
donne ce qu’il faut. Enfin, je te dis ça… tu ne le répètes pas. Mais
dans le cyclisme, tout le monde le sait. C’est vrai qu’il y a aussi des
entraîneurs qui te font comprendre à demi-mots qu’il n’y a pas que
ça dans la vie et que c’est dangereux de tomber là-dedans car tu risques de le payer plus tard. On dit que les footballeurs fument du shit
[haschisch], planquent du fric dans leur jardin, achètent les matchs
ou payent des putes pour les arbitres… Mais, il n’y a pas que le foot
qui est pourri, Tapie, le vélo, il a donné aussi. Et moi, je ne connais
pas tout… Le plus dur, c’est de rejeter toute cette saloperie sans pour
autant rejeter le vélo. Mais, on dégoûte trop de jeunes avec tout ça ».
Le clientélisme et la tendance couramment observée des configurations d’acteurs publics et associatifs à devenir des réseaux fermés
sont également fustigés1, pour au moins trois raisons. D’une part, ce
système garantit et perpétue la part de l’aide publique accordée aux
clubs traditionnels, nourrissant du même coup le sentiment chez les
jeunes que « les jeux sont faits ». Par ailleurs, il permet de faire
l’impasse sur la relative déconnexion de certains clubs sportifs d’avec
leur territoire d’implantation et de leur population de référence, privilégiant ainsi la logique de compétition et de professionnalisation par
rapport à la logique d’insertion. Enfin, il tend à faire des pratiques
sportives hors club autant de facteurs de trouble potentiel à l’ordre
établi, renforçant alors la conviction de certains jeunes selon laquelle
une méfiance institutionnalisée opère à leur endroit.
De nombreux témoignages étayent chacun de ces points.
Ainsi, selon Jérémie, 23 ans, du quartier de l’Alma : « La mairie, elle
s’en fout du sport. Ce qui l’intéresse c’est filer du fric aux clubs et aux
entraîneurs. Le sport de rue, c’est aussi du sport… Alors pourquoi on
a droit à rien. Ou alors, il faut faire comme les entraîneurs et aller
pleurer dans les bureaux pour dire qu’on est dans la dèche. Ça ne
sert à rien, ce sont toujours les mêmes qui touchent. Et puis pourquoi
toujours créer des associations. On n’a pas besoin de ça. On n’est
pas en campagne électorale. On ne veut pas de local et de fric pour
faire la fête du club tous les ans. On veut seulement pouvoir faire un
peu de sport dans des conditions aussi bonnes que dans les clubs.
Mais ce sont toujours les mêmes qui raflent la mise et même s’ils ne
font rien, ils donnent l’impression qu’ils comptent pour les jeunes.
1. Dans l’analyse des politiques publiques, le terme de « réseau d’action publique » rend compte
des rapports interdépendants existant entre les institutions et les acteurs publics, privés et associatifs. Selon une telle approche, l’action publique est rarement unilatérale : le plus souvent, elle est le
produit, mais aussi le producteur, de réseaux d’acteurs. Voir, Le Gales Patrick, « Du gouvernement
des villes à la gouvernance urbaine », Revue française de science politique, 45-1, février 1995,
p. 57-95.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Mais, en réalité les éducateurs pensent déjà à eux. Ils trouvent des
jeunes pour apporter la preuve qu’ils servent à quelque chose ».
Mais insistons plus particulièrement sur une manifestation sensible semblant découler du constat de la fermeture des réseaux d’action
publique : l’opacité et l’automaticité qui, selon certains acteurs de terrain, prévalent en matière de répartition budgétaire compromettent
gravement la qualité éducative des activités proposées. Autrement
dit, alors que les vertus socialisatrices du sport sont encore unanimement vantées, les crédits accordés aux clubs semblent de moins en
moins arrêtés sur des critères éducatifs ou pédagogiques. L’ancien
président d’un club de football de quartier de Saint-Martin-d’Hères
témoigne : « Le milieu sportif municipal est épouvantable. É-pouvan-table ! Vraiment. En mairie, on voit tous les dirigeants sportifs
manier le discours éducatif et pédago. Je le sais, j’y étais. Et chacun y
va de son projet, de ses objectifs, de telle cible de jeunes avec lesquels on va faire ceci, de telle autre avec lesquels on fera cela… Bien
sûr ça coûte, mais les ambitions sont tellement nobles ! En fait, tout
ça c’est du pipeau. La réalité c’est que tous se battent pour avoir les
terrains, les gymnases, les subventions et les places en mairie. Ça m’a
dégoûté. Je suis parti ».
De même, le sport en club est-il placé par les jeunes au même
niveau que l’école (autre instance de socialisation, sans parler de la
famille…). De telle façon que les jeunes qui refusent l’organisation
sportive traditionnelle sont bien souvent ceux qui ont échoué dans
leur scolarité. Autrement dit, le club n’est plus perçu comme cette
seconde chance qu’il était parfois auparavant. Enfin, les finalités
démocratiques et citoyennes du sport si souvent vantées sont malmenées par les jeunes pour qui « la défonce dans le sport n’est pas une
éthique de vie, car être un bon citoyen ne se résume pas à être un
bon sportif ! ». Restent alors les pratiques spontanées.
Les pratiques spontanées :
entre incompréhension et défiance
Si les pratiques sportives spontanées sont rarement mentionnées par
les jeunes (elles relèvent davantage, selon eux, des loisirs que du
sport), les acteurs publics les situent, en retour, entre l’éducation
populaire, la politique de la ville, la qualité de la vie et l’environnement… lorsqu’ils ne les évaluent pas comme autant de risques de
troubles à l’ordre public. N’hésitant pas alors à les qualifier de
« vecteurs de déviance sociale », certains appellent à un renforcement de l’autorité publique face à des énergies qui peu canalisées
par les débouchés sportifs classiques peuvent investir les terrains sen-
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PERCEPTION PUBLIQUE ET REPRÉSENTATIONS
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sibles que constituent la délinquance, le vandalisme, voire le fanatisme religieux…
Au minimum, les pratiques sportives spontanées apparaissentelles, aux yeux d’une majorité d’acteurs publics, comme autant
d’éléments perturbant et concurrençant l’organisation sportive traditionnelle. La réticence fondamentale semblant résider dans l’idée que
faire du sport signifie nécessairement appartenir à un club. Il en
découle alors la ligne de conduite suivante : guider les jeunes vers les
clubs plutôt que prendre en compte leurs pratiques spontanées,
céder à leur demande équivalant, selon le discours de certains élus, à
une forme de « renoncement », de « fuite en avant », de « laxisme »,
de « faillite de l’autorité publique » ou encore de « perte de contrôle ».
« Qui est-ce qui paye ? Toute la question est là, estime le responsable d’un club de Pont-de-Claix. Les élus n’ont pas le droit de
jouer avec l’argent de leurs administrés. S’ils décident de financer tel
club ou tel autre, il est normal, pour le bien de tous, qu’ils aient un
droit de regard sur la gestion et l’organisation de ces clubs. Ils sont
faits pour accueillir le maximum de jeunes de la commune. C’est leur
raison d’être. Certes, il y a des critères sportifs qui jouent. Mais en
règle générale, il y en a pour tout le monde. Alors pourquoi dans ce
cas allez voir ailleurs ? Si les jeunes veulent faire du futsal, du streetball, du roller-skating ou je ne sais trop quoi encore (on ne comprend
même pas ce que ça veut dire), ils doivent créer un club. Il n’y a pas
d’autres solutions. On ne va pas donner de l’argent comme ça à des
jeunes parce qu’ils ont une bonne tête. Si leur projet tient debout, ils
font comme les autres : ils déposent des statuts. Et puis basta ! L’histoire des clubs se résume à ça ».
Dans cet esprit, les pratiques sportives spontanées sont au
mieux perçues comme une phase intermédiaire avant l’appartenance
à un club ou comme un complément à une activité sportive organisée, au pire comme une alternative concurrentielle à cette dernière.
Ainsi risquent-elles d’être présentées comme des sources de nuisances potentielles grosses de tensions sociales : bruit, gène, sentiment
d’insécurité, dégradation de l’environnement, agressivité, provocations… En conséquence, elles s’en trouvent immanquablement dépréciées dans le discours des acteurs publics dont certains, y voyant la
marque de l’impérialisme culturel américain, parlent de « sport CocaCola » ou de « tournées promotionnelles ».
« Qu’est-ce qu’il faut faire quand vous avez une bande de jeunes qui, l’été, se retrouvent tous les soirs au pied d’un panier de basket avec un magnétophone qui crache du rap jusqu’à 2 heures du
matin ?, se demande un élu de Saint-Martin-d’Hères. « On ne fait pas
de mal », voilà ce qu’ils nous disent. Mais nous, en mairie, on reçoit
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
les plaintes des mamies du quartier qui ne peuvent plus discuter sur
les bancs, des papis qui ne peuvent plus jouer aux boules tranquillement, des voisins qui ne supportent pas que le ballon tape dans leur
voiture, des mères de famille qui voudraient que leurs gosses puissent
dormir en paix, des commerçants qui disent que leur vitrine sont
graffitées et des employés de la mairie qui disent ramasser des capotes et des seringues… C’est fou ce qu’on entend ! Il suffit qu’il y ait un
petit problème quelque part pour que tout le monde vide son sac.
Mais nous, il faut qu’on fasse avec tout ça en même temps. Vous
imaginez l’arbitrage. Alors, quand on soutient les jeunes et qu’en
plus ils ne nous respectent pas, ça finit par faire beaucoup. Ca sera
jamais Chicago ici ! »
En dernier ressort, le modèle importé dont ces pratiques semblent s’inspirer traduit, aux yeux de certains acteurs publics, une
forme de marginalisation volontaire, de nature plus culturelle, ethnique ou clanique qu’économique sur laquelle ils n’ont effectivement
pas prise.
*
* *
Soumis à une perception publique fuyante et porteur de représentations sociales diversement appréciées, le sport de rue se trouve
confronté à une série de paradoxes illustrant les limites d’une opposition frontale entre les pratiques qu’il promeut et celles qui ont cours
au sein des clubs. Défini par la négative, il est identifié comme le
réceptacle de toutes les valeurs, activités et pratiques sportives qui ne
relèvent pas directement des clubs ou s’inscrivent contre ces derniers.
Pourtant, dans le même temps, le schéma sportif traditionnel n’a plus
valeur de modèle ou de contre-modèle. Ainsi, beaucoup de jeunes
pratiquent des sports en club et hors club tout à la fois. Ne répondant
pas aux mêmes besoins, ne se déroulant ni aux mêmes heures, ni
dans les mêmes lieux, ni selon les mêmes règles, ni avec la même
finalité, ces activités se complètent davantage qu’elles ne se concurrencent ou ne s’annulent, l’une servant parfois de passerelle vers
l’autre.
De même, opposer le sport pratiqué en club au sport de rue
revient de fait à opposer l’offre publique et la demande sociale de
sport. Outre qu’une telle présentation obéit à une logique marchande
ou d’assistanat, elle fait du demandeur un consommateur potentiel.
Or, il ne suffit plus de proposer des activités pour que celles-ci trouvent preneurs. « La demande spontanée n’existant pas, ou plus exactement ne se formulant pas, il s’agit, selon un militant associatif de la
Villeneuve, de faire émerger une demande inconsciente, plutôt que
la noyer sous un flot d’activités que les jeunes refuseront probablement. Il est trop facile de dire ensuite : « Voyez ces jeunes, ils ne
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savent pas ce qu’ils veulent ! On leur présente des choses passionnantes et ils préfèrent brûler des voitures ! ». A contrario, c’est s’exposer à un nouveau paradoxe que de prendre au pied de la lettre les
demandes des jeunes se résumant à des revendications pour plus
d’équipements, (plus modernes, plus adaptés à des pratiques nouvelles, ils devront encore être mieux équipés, mieux localisés…). Au
bout du compte, les acteurs publics constatent souvent qu’ils connaissent un taux de fréquentation décevant.
Par ailleurs, loin de se présenter comme un facteur de trouble
et de concurrence à l’ordre sportif institué, les adeptes du sport de
rue aspirent, non pas à défier ce dernier, mais à pratiquer en marge
de clubs qui, pour la plupart, s’ouvrent très lentement aux pratiques
sportives nouvelles dont ils sont friands. Enfin, les situations les plus
tendues dans lesquelles certains acteurs publics sont tentés de voir
dans les sportifs de rue autant de jeunes engagés sur la voie de la
déviance sociale sont démenties par la sociologie de ces pratiquants
qui traduit, le plus souvent, une appartenance aux classes moyennes,
accompagnée d’une forte présence familiale et d’un bon taux de
réussite scolaire.
Raisonner ainsi en terme d’opposition revient de fait à renoncer à l’opportunité qui est offerte ici de faire évoluer les clubs vers
plus de souplesse et d’ouverture, seules garanties de les rétablir dans
leurs fonctions premières. En effet, n’est-il est salvateur de constater
que, les politiques sportives s’appuyant sur des valeurs socialisatrices
dont nous avons vu que beaucoup n’avaient plus court au sein des
clubs, c’est précisément pour renouer avec certaines d’entre elles
que de nombreux jeunes quittent les clubs ou pratiquent le sport de
rue en parallèle d’une activité sportive classique ?
De même, dites spontanées, auto-organisées ou sauvages, il
s’avère à l’observation que les pratiques sportives de rue requièrent,
le plus souvent, un degré d’organisation très poussé sans lequel elles
seraient rendues dangereuses ou simplement impossibles. Que l’on
pense par exemple aux risques qu’encourent les rollers qui, se réunissant de nuit place d’Italie, partent en convoi dans les rues de la capitale… Sans doute y a-t-il là des enseignements à tirer de la capacité de
ces sportifs de rue à promouvoir, et à faire respecter, un système de
règles contraignantes d’autant mieux acceptées qu’elles donnent le
sentiment de ne pas avoir été présentées sur le mode de l’imposition.
Mais l’aspiration récente des jeunes sportifs à être associés à la
conception, à la mise en place, à la réalisation et à l’évaluation de
leur activité échappe d’autant plus aux acteurs publics qu’elle est
rarement relayée par les instances et les interlocuteurs que ces derniers consultent en priorité. Explicitement formulée, mais d’une
façon en partie étrangère aux élus, aux éducateurs ou encore aux
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
entraîneurs et dans des enceintes peu fréquentées par eux, ils ne peuvent clairement l’identifier. Ainsi sommes nous devant un autre
paradoxe : alors même qu’ils sollicitent une demande sociale en
matière de sport ou qu’ils regrettent que celle-ci n’existe pas, les
acteurs publics sont en partie sourds à celle qui s’exprime présentement. Tout semble donc se passer comme si les acteurs publics
regrettent l’attentisme des jeunes qui, de leur côté déplorent qu’on ne
leur permettent pas de prendre une part active à la mise en œuvre
d’une politique sportive respectueuse de leur mode vie.
La diversification des pratiques sportives pose donc avec
acuité la question de la pertinence des modes d’action publique guidant les politiques sportives territoriales. Ainsi, n’échappant pas au
processus récent par lequel le gouvernement des villes s’apparente
de plus en plus à la gouvernance urbaine, les politiques sportives de
l’agglomération grenobloise confinent d’autant plus au bricolage que
la population à laquelle elles s’adressent demeure largement insaisissable1. De même, la modification des moyens et des formes de légitimation de l’action publique (territorialisation, contractualisation, réticulation, horizontalisation, construction locale des interlocuteurs…)
s’accompagnant le plus souvent d’une insuffisante prise en compte
des modes d’action collective, c’est alors la question des modalités
d’engagement dans l’espace public des sports de rue et de leurs pratiquants qui est posée.
Références bibliographiques
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juin 1998.
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l’espace public : les politiques sportives territoriales et les jeunes des quartiers de l’agglomération grenobloise », in JACCOUD
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1. Basson Jean-Charles, « Gouvernance urbaine et population insaisissable : les politiques sportives
territoriales et les jeunes des quartiers de l’agglomération grenobloise », 2e université d’été transfrontalière Réseaux d’action publique, gouvernance et territoires, Institut d’études politiques de Grenoble, Centre de recherche sur le politique, l’administration, la ville et le territoire (CERAT), Institut
de recherche sur l’environnement construit (IREC), École polytechnique fédérale de Lausanne,
faculté des sciences sociales et politiques (IEPI-ISSP), Université de Lausanne (Uriage, 36 septembre 1996), 8 p.
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PERCEPTION PUBLIQUE ET REPRÉSENTATIONS
81
BASSON Jean-Charles, SMITH Andy, Sports et action publique localisée :
les politiques sportives territoriales et les jeunes des quartiers
de l’agglomération grenobloise, rapport pour le compte de
l’Association intercommunale de prévention de la délinquance, Grenoble, CERAT-IEP, décembre 1996, 67 p.
CHANTELAT Pascal, FODIMBI Michel, CAMY Jean, Sports de la cité. Anthropologie de la jeunesse sportive, Paris, L’Harmattan, 1997, 188 p.
DURET Pascal, AUGUSTINI Muriel, Sports de rue et insertion sociale,
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
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SPORT DE RUE :
REGARDS SOCIOLOGIQUES
ET POLITIQUES
D’ÉQUIPEMENTS SPORTIFS
■
Pascal CHANTELAT
Résumé : les politiques d’insertion par le sport sont, qu’on le veuille ou
non, influencées par les analyses de la sociologie du sport. Le cas de la
politique d’équipements sportifs de proximité (début des années 1990)
illustre remarquablement ce phénomène. Elle se fonde en effet sur des
représentations du sport de rue qui sont très largement produites par des
diagnostics sociologiques d’inspiration fonctionnaliste. Mais ces derniers ne voient dans les sports de rue qu’une forme de désorganisation
sociale et ne semblent pas en mesure de rendre compte de la réalité de
ce phénomène. Il convient alors de proposer un autre regard sociologique sur ces pratiques sociales. Ainsi, en partant d’une analyse inspirée
de la micro-sociologie urbaine qui renverse la perspective fonctionnaliste, il est possible de redéfinir les fondements de la politique d’aménagement sportif urbain.
Les discours sur les « banlieues », qu’ils renvoient aux analyses
sociologiques traditionnelles, aux médias ou à la politique, partent
souvent du postulat d’un vide social, d’un manque de socialité et d’un
déficit de citoyenneté au sein des « cités » ou des « quartiers difficiles
ou sensibles ». Selon ces discours communs, c’est l’absence de lien
social qui est à l’origine du mal-être urbain et en particulier des espaces défavorisés de la ville. C’est encore ce déficit de socialité qui
favoriserait l’émergence et la propagation des comportements violents de la jeunesse. Il faudrait donc que les pouvoirs publics contribuent directement (par la politique de la ville) ou indirectement à la
renaissance du lien social dans les espaces urbains défavorisés.
Dans ce contexte, le sport apparaît comme un moyen de recréer
du lien social chez les jeunes, de les réinsérer socialement, c’est-àdire de leur donner l’occasion de s’inscrire dans un projet, de participer à la vie de la cité… En ce sens, le club sportif (ou l’association)
serait en mesure de proposer une formation citoyenne aux jeunes
sportifs, c’est-à-dire de les amener à construire des liens de type
sociétaire. À l’inverse, les sports de rue ne renverraient qu’à des formes de sociabilité « inférieures » et centrées sur le lien communautaire, incapables de rendre la citoyenneté effective.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Mais l’anomie, définie comme la désintégration des normes
sociales, ne se définit pas forcément négativement vis-à-vis du lien
social. En réalité, les formes de sociabilité développées au cours du
XXe siècle se diversifient : on passe, en quelque sorte, de la solidarité
mécanique (interconnaissance) à une pluralité des formes de la solidarité organique (réseaux de sociabilité) qui redéfinissent la nature
du lien social. Il convient donc de renverser la perspective en partant
du principe que les acteurs sociaux, dans les espaces urbains défavorisés, développent des formes de sociabilité et de citoyenneté que
l’on ne peut réduire à des formes « inférieures ». Dans les banlieues,
ce n’est donc pas le vide social et politique. Autrement dit, il s’agit de
questionner les points de vue traditionnels sur les banlieues à la fois
sur le plan de leurs fondements théoriques ou idéologiques et de
leurs implications en termes de politiques urbaines.
À partir d’une analyse de la politique d’équipements sportifs
de proximité dite des « J sports » (du début des années 1990), il s’agit
de montrer comment les discours de la sociologie du sport peuvent
influencer, orienter ou fonder les choix en termes d’aménagements
sportifs urbains et d’espaces de socialisation. Cette politique illustre
de façon remarquable la manière dont les approches sociologiques
d’inspiration fonctionnaliste servent de référent aux actions politiques. Cependant, ce cadre sociologique produit une vision du sport
de rue qui mérite d’être débattue et critiquée. Au-delà de cette discussion, il s’agit de proposer un autre regard sociologique susceptible
de redéfinir les axes de la politique d’équipements sportifs urbains.
LA POLITIQUE D’ÉQUIPEMENTS
SPORTIFS DE PROXIMITÉ
ET SES REPRÉSENTATIONS
Recréer du lien social
par les équipements sportifs de proximité
L’objectif général de la politique d’équipements de proximité, que l’on
se place au niveau national ou au niveau local, vise à reconstruire le lien
social en déficit. Il repose sur le diagnostic des zones urbaines défavorisées. Celles-ci sont décrites comme des espaces urbains accumulant des
handicaps socioéconomiques (chômage…), socioculturels (problèmes
de scolarisation…), sociodémographiques (jeunesse de la population…)
et sociopolitiques (accès à la citoyenneté…). Elles sont décrites en termes de manques, de déficit du lien social et politique, d’anomie (désagrégation des normes sociales), de déréliction (abandon).
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
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En conséquence, le sport et les équipements sportifs de proximité sont conçus comme un moyen de recréer du lien social, de la
sociabilité, de l’animation, de renforcer les rencontres et de responsabiliser les citoyens à partir de la vie de quartier. Ces installations
doivent constituer des espaces ouverts et ludiques, des lieux de rencontres et d’échanges dans la ville. L’action du ministère de la Jeunesse et des Sports, disait Frédérique Bredin, « vise à favoriser l’accès
au sport pour tous, un facteur d’épanouissement individuel, une
manière d’apprendre à vivre ensemble, notamment pour les jeunes
les plus en difficulté dans les banlieues les plus défavorisées »1. La
politique d’équipements sportifs de proximité se donne deux objectifs majeurs : le désenclavement des quartiers, notamment par l’organisation de tournois inter-quartiers, et la création d’espaces intermédiaires entre le sport de rue et le sport de club afin de re-socialiser
des jeunes « sous-socialisés »2.
Le premier objectif part de l’idée que les quartiers sont enclavés, que les jeunes se cantonnent au niveau des sous-quartiers (les
pieds d’immeubles) et qu’ils présentent une faible mobilité géographique. Il s’agit alors de les inciter à sortir de cet « enfermement ».
Dans cette optique, les services des sports organisent des tournois
inter-quartiers afin de réduire les effets jugés pervers des équipements
de proximité (renforcement des micro-territoires, de l’enclavement).
Ce deuxième « étage » de la politique sportive dans les quartiers est
censé produire de l’échange, du lien social entre les quartiers (qui en
manqueraient). Bref, il conviendrait de générer une logique de
l’interconnaissance qui ferait défaut et serait à l’origine d’une déliquescence du lien social.
Le second objectif repose sur le diagnostic selon lequel les jeunes développent des formes de sociabilité « primaires », « archaïques »
ou encore « inférieures », des manières d’être ensemble qui ne les
intègrent qu’à l’intérieur d’un petit groupe de pairs (lien communautaire) et non à l’intérieur d’un espace social plus large (lien sociétaire). Il conviendrait donc de les faire passer au « stade supérieur »
de la socialisation, c’est-à-dire les insérer dans des associations ou
clubs sportifs dépositaires d’une forme de sociabilité et de citoyenneté « supérieure ».
1. Paysage Actualités, octobre 1991.
2. Parisot Denis, « Entre mythes et réalités : un espace pour la recherche en sciences sociales »,
in Sport et insertion sociale, actes du colloque de Villeurbanne, F. Léo Lagrange, avril 1992,
p. 27-47.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Le quartier comme unité de base
des politiques d’équipements sportifs
Les « J sports » doivent « prendre place, sinon aux pieds directs des
immeubles, du moins aussi près que possible de ceux-ci »1. En effet,
le niveau opérationnel de la politique d’équipements de proximité
est celui du quartier. Ce dernier est considéré comme l’unité sociale
et urbaine de base de la production de la sociabilité, de la construction identitaire et de la responsabilisation. Unité de base de la sociabilité (manières d’être ensemble) et de la socialisation (processus
d’acquisition des manières d’être ensemble), car il est censé être
l’espace sur lequel se développent les rencontres sociales de proximité (relations entre voisins…), la convivialité, l’entraide et où se produit du lien social communautaire (entre personnes socioculturellement homogènes). Mais le quartier est également pensé comme
l’unité spatiale de base de la construction identitaire, le plus petit lieu
à partir duquel se construit l’identité des habitants et en particulier
celle des jeunes. Ceux-ci sont censés construire leur identité à partir
de cet espace : on appartient à un quartier avant d’appartenir à une
famille. Enfin, le quartier est considéré comme l’unité spatiale la plus
pertinente pour responsabiliser ses habitants. En ce sens, la construction d’équipements (sportifs) de quartier vise à rendre les (jeunes)
habitants plus responsables des installations. La logique est la
suivante : l’équipement de quartier fera l’objet d’une appropriation
par ses habitants, appropriation donnant le sentiment d’avoir un
équipement à soi, un équipement qui prolonge en quelque sorte
l’espace privé de l’habitat. En octobre 1991, Frédérique Bredin,
ministre de la Jeunesse et des Sports, souhaitait que les équipements
sportifs de proximité constituent un apprentissage de la citoyenneté
du côté des jeunes (responsabilisation) et du côté des autorités
locales : « les jeunes auront aussi l’occasion de placer les collectivités territoriales et au premier chef les élus devant leur responsabilité.
C’est cela aussi être un citoyen responsable »2.
Bandes et territoires sportifs
Lorsque l’on consulte la littérature sociologique ou que l’on interroge
les responsables des services des sports, l’image la plus répandue
concernant les logiques de fonctionnement des jeunes sportifs autoorganisés se construit sur deux notions centrales : la bande et le terri-
1. Paysage Actualités, op. cit.
2. Idem.
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
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toire1. La bande de jeunes sportifs constituerait un regroupement
d’adolescents qui construisent leur identité collective à partir de la
référence au quartier. Autrement dit, leur sentiment d’appartenance
au quartier serait l’élément central de leur construction identitaire. Sur
cet espace se développerait un mode de regroupement par affiliation
(on est ensemble parce qu’on se connaît, parce qu’on habite le même
sous-quartier…). Du coup, les bandes de jeunes sportifs apparaîtraient
comme une sorte de refuge socio-affectif, un lieu où chaque jeune est
reconnu par ses pairs et se reconnaît comme membre de la bande.
La référence forte au quartier ainsi que la logique d’affiliation
conduiraient les jeunes sportifs à ne développer qu’un réseau de relations étroit, centré sur le petit groupe de copains, à ne développer
qu’une faible mobilité spatiale et géographique. La notion de territoire est liée au comportement de la bande. Une bande, c’est un
regroupement de jeunes selon une logique communautaire forte
s’inscrivant dans un espace spécifique (le quartier). Par conséquent,
l’identité de la bande doit s’inscrire dans l’espace. Pour qu’elle se
reconnaisse, elle doit délimiter l’espace sur lequel elle se construit et
elle existe. Autrement dit, les enjeux spatiaux sont primordiaux pour
l’existence d’une bande. Elle doit conquérir puis défendre un espace.
Le quartier est donc perçu comme le lieu du refuge communautaire,
de la « communauté protégée »2. Les tenants de cette conception
cherchent à montrer que les individus se réfugient dans des espaces
communautaires capables de recréer ou de reproduire les modes de
sociabilité centrés sur la solidarité mécanique. Autrement dit, les individus reconstruisent, dans un monde anomique, des havres de paix.
L’association comme voie royale
de la socialisation et de la citoyenneté
Lorsque les jeunes se présentent avec une revendication auprès des services des sports de la mairie, la réponse est parfois la suivante :
« Constituez-vous en association d’abord, ensuite nous prendrons en
compte votre demande »3. Mais, en quoi ce type de demande seraitelle plus citoyenne qu’une demande « informelle » ? En quoi l’adhésion
à une association sportive constitue-t-elle une forme de citoyenneté ?
1. Callède Jean-Paul, « Politiques d’insertion et aménagements sportifs : pour l’égalité des
chances », in Sport et insertion sociale, actes du colloque de Villeurbanne, F. Léo Lagrange,
avril 1992, p. 49-61 ; Parisot Denis, art. cit. ; Fize Michel, Les bandes. L’« entre-soi » adolescent,
Paris, Épi, Desclée de Brouwer, 1993.
2. Wellman Barry, Leighton Barry, « Réseau, quartier et communauté », Espace et Société, 38-39,
1981, p. 111-133 (première édition dans Urban Affairs Quaterly, 14, 1979, p. 363-390).
3. « Le Journal des Playgrounds », in Mondial Basket, 37, juin 1994, p. 41-80.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
L’association est considérée comme le lieu privilégié d’expression de la citoyenneté parce qu’elle permettrait un apprentissage des
règles collectives et démocratiques. Elle serait à la fois une « école de
la vie en société » et une « école de la citoyenneté ». Du côté de la
démocratie « interne », l’assemblée générale apparaît comme un instrument d’apprentissage des règles démocratiques (un individu – une
voix, décision majoritaire et acceptation par la minorité de cette
décision). D’autre part, le développement de l’association par l’intermédiaire d’un projet collectif permettrait à chacun de faire l’apprentissage d’une éthique de la responsabilité (capacité à tenir compte
des conséquences de ses actions et décisions), d’inscrire ses projets
personnels à l’intérieur d’un projet collectif. Du côté de la démocratie
« externe », l’association serait représentative d’un espace sociopolitique (le quartier, la ville…) et d’un ensemble d’usagers (les sportifs du
quartier, de la ville…) au sein de cet espace. Du coup, toute action ou
toute revendication de l’association auprès des pouvoirs publics
locaux pourrait se faire au nom de l’ensemble d’une catégorie d’usagers, voire de l’ensemble des habitants d’un quartier ou d’une ville.
L’association aurait donc pour fonction légitime la négociation
avec les pouvoirs publics locaux vis-à-vis non seulement des subventions de fonctionnement mais également des subventions d’équipement qui se traduisent par un aménagement des services publics
urbains. Enfin, la visibilité et l’institutionnalisation de l’association
(loi 1901) ferait d’elle un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics
locaux et un acteur central de la démocratie locale. La permanence
de sa structure dans le temps donnerait à la citoyenneté un caractère
plus continu.
L’accès à la citoyenneté par le biais de l’adhésion au club sportif c’est, outre l’intégration socioculturelle, concilier les valeurs du
sport et celles de la République (Liberté, Égalité, Fraternité)1. L’universalité des valeurs du sport transcenderait les particularités sociales
et culturelles, comme le ferait la citoyenneté nationale, unitaire et
unique. Mais l’association ou le club sportif constituerait également
une éthique en acte : morale de la responsabilité par rapport à un
projet collectif à atteindre (les résultats sportifs du club), et surtout
apprentissage concret de l’égalité, de la liberté et de la fraternité2.
1. Callède Jean-Paul, art. cit. ; Jamet Michel, « Les sportifs dans la ville : quelles figures du
citoyen ? », actes du colloque Villes, Sports et citoyenneté, Brest 26-18 novembre 1992, p. 127134 ; Arvin-Bérod Alain, « La fonction citoyenne du sport », ibidem p. 41-50.
2. Métoudi Michèle, « Grand témoin : Michèle Métoudi (interviewée sur les rapports entre citoyenneté et association sportive) », UFOLEP-USEP, 282, juillet-août 1994, p. 2-3 ; Duret Pascal, Augustini Muriel, Sport de rue et insertion sociale, Paris, INSEP, coll. « Recherche », 1993.
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
89
CRITIQUE DES FONDEMENTS
DE LA POLITIQUE DES « J SPORTS »
Les limites du cadre associatif
Or, on constate que la mise en œuvre des principes de liberté, d’égalité et de fraternité dans les clubs et associations sportives sur le plan
du fonctionnement interne de l’association se heurte à un ensemble
de difficultés1. Sur le plan de la Liberté (liberté d’action – adhésion
volontaire à l’association –, mais également liberté d’expression –
capacité à discuter d’une décision perçue comme injuste…) au sein
du club, on constate l’impossibilité, pour les jeunes, d’accéder aux
postes décisionnels centraux (président, trésorier, secrétaire… membres du conseil d’administration) et de participer activement à l’élaboration de la politique du club ou de l’association sportive. Pour les
adolescents, l’apprentissage de la vie démocratique est réduite au
vote annuel de l’assemblée générale. En effet, « nul ne peut faire partie du conseil d’administration s’il n’est pas majeur » (loi 1901). De
fait, les jeunes sont écartés d’un espace de pouvoir et de prise de
parole.
Sur le plan de l’Égalité (égalité de droit et égalité de fait), on
constate que la participation aux rencontres sportives repose sur des
critères de compétence et d’efficacité qui conduisent à l’exclusion
des moins compétents. La plupart des clubs ou associations sportives
qui fonctionnent suivant une temporalité linéaire, c’est-à-dire qui inscrivent leurs actions dans la durée et dans une logique de progrès,
suivent le calendrier des compétitions. Or, la compétition soumet la
participation sportive au principe de l’efficacité et de la sélection des
meilleurs joueurs aux dépens des moins compétents. Le primat du
principe d’efficacité sur celui du droit de participer conduit donc à
des inégalités et à des sentiments d’injustice entre les différents membres du club sportif. Même si les « moins bons » peuvent participer
(lorsque les adversaires sont faibles), il existe une hiérarchie dans le
droit de participer qui se fonde sur les compétences sportives (contrairement à ce qui se passe dans le sport auto-organisé).
Sur le plan de la Fraternité (respect de l’autre, de l’adversaire,
fair-play, solidarité entre les membres de l’équipe sportive), on constate que l’immersion au sein de la logique compétitive favorise le
refus des règles collectives et l’émergence de comportements « négatifs » envers les autres. D’après une enquête sur la pratique des 8-
1. Métoudi Michèle, art. cit.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
12 ans dans les clubs de volley-ball en France, « les résultats, si l’on
s’en tient au caractère formel du règlement, sont sans ambiguïté : les
jeunes ne le respectent qu’à contrecœur et le transgressent dès qu’ils
le peuvent »1.
Sur le plan des relations avec les pouvoirs publics locaux, on
assiste au développement d’une logique clientéliste ou d’une logique
de groupe de pression2. Les négociations pour l’obtention de subventions de fonctionnement ou d’équipement consistent en un rapport
de force entre les associations sportives et la mairie, sur fond d’enjeux
électoraux. D’autre part, les demandes des associations sportives
auprès de la mairie ne se font pas au nom de l’ensemble des sportifs
de la ville, mais au nom des adhérents de l’association ou du club
sportif. Autrement dit, la représentativité de l’intérêt général dans les
associations est introuvable3.
En réalité, le renforcement des formes de citoyenneté par la
voie associative reste fragile du fait de la difficile, voire de l’impossible, représentativité des associations. Ce qui ne veut pas dire que
l’association sportive est, par nature, anti-démocratique ou anticitoyenne. La fonction citoyenne de l’association ou du club sportif
n’est qu’un potentiel. Elle peut devenir effective sous certaines conditions4. Autrement dit, l’association sportive n’est pas citoyenne par
essence et la simple adhésion à une telle structure ne rend pas ipso
facto l’individu plus citoyen. Sans remettre en cause le « potentiel
citoyen » de l’association sportive, penser cette structure comme lieu
privilégié, voire comme seul lieu, de l’exercice de la citoyenneté des
jeunes sportifs, c’est s’interdire de regarder du côté des acteurs
sociaux et de leur capacité à faire émerger de nouvelles formes de
citoyenneté.
Sports de rue et désorganisation sociale
Lors de l’évaluation de la politique des « J sports », le Centre national
de la fonction publique territoriale (CNFPT) s’est interrogé sur la
fonction intégrative des équipements sportifs de proximité. Le postulat était qu’une intégration réussie réside dans le passage d’une
culture des « inorganisés sportifs » à une culture sportive institution-
1. Duret Pascal, Augustini Muriel, op. cit., p. 91.
2. Pociello Christian, « Collectivités locales et usagers » et Callède Jean-Paul, « Contribution à une
analyse sociologique de l’organisation communale du phénomène sportif », Les politiques municipales des sports, Les Cahiers du CNFPT, 24, février 1988, actes des quatrièmes rencontres d’Angers,
26-27 novembre 1987.
3. Genestier Philippe, « Quel avenir pour les grands ensembles », in Roman J. (dir.), Ville, exclusion et citoyenneté, Paris, éd. Esprit, 1993, p. 133-165.
4. Métoudi Michèle, art. cit.
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
91
nelle (l’association). Autrement dit, l’institutionnalisation (traditionnelle) des pratiques sportives des jeunes serait l’indicateur privilégié
de l’intégration sociale et culturelle. L’enjeu essentiel est celui « de
l’orientation et de l’accompagnement progressif des « inorganisés »
vers les structures d’accueil comme les clubs »1 censées proposer un
modèle pédagogique de sociabilité culturelle et d’accès à la citoyenneté (participation à la vie démocratique, initiation aux responsabilités…) 2.
Cette façon d’évaluer la politique d’équipements sportifs de
proximité repose sur une conception sociologique normative et fonctionnelle de la socialisation à visée éducationnelle. Ceci n’est pas un
hasard car la plupart des sociologues qui travaillent sur ce thème
(sport et insertion, sport et socialisation) partent d’un cadre théorique
d’inspiration fonctionnaliste et normatif, même si l’on ne peut pas
réduire leur pensée à un référent théorique unique, la classer de
manière définitive et caricaturale3.
Le schéma de la socialisation des jeunes par le sport et par
l’usage des équipements de proximité hiérarchise les niveaux de
socialisation en fonction des responsabilités et des formes de sociabilité dans lesquelles les jeunes s’engagent4. Au niveau 1, on trouve « la
galère » (insertion dans un cadre de vie) ; au niveau 2, la précarité
(association à un projet) ; et au niveau 3, la consolidation de l’intégration, c’est-à-dire l’insertion dans la vie associative. Ainsi, tout se
passerait comme si le stade ultime de la socialisation adolescente
était atteint par l’adhésion à la forme associative.
De la même façon, le stade ultime de la socialisation par la
mobilité spatiale consisterait à se déplacer vers le stade ou le gymnase,
c’est-à-dire l’équipement sportif normalisé qui va de pair avec la vie
associative ou la vie du club sportif. Seul ce type de structure pourrait
développer chez les jeunes une stratégie d’échange. La pratique de
pied d’immeuble ne représenterait qu’une stratégie de sécurité, et les
déplacements sur les autres terrains sportifs du quartier une stratégie de
solidarité : « À un premier niveau, écrivent Duret et Augustini, la pratique se déroule au pied d’immeuble […]. À un deuxième stade, [les
jeunes] se risquent hors de portée de vue de leur bloc d’immeubles
pour jouer sur un terrain plus éloigné. Le niveau ultime consiste à
jouer sur un stade, c’est-à-dire à recréer un chez-soi ailleurs tout en
1. Allouis Xavier, La Lettre de l’économie du sport, 4 décembre 1991.
2. Callède Jean-Paul, « La sociabilité sportive. Intégration sociale et expression identitaire », Ethnologie Française, 1985, XV, 4.
3. Duret Pascal, Augustini Muriel, op. cit. ; Callède Jean-Paul, art. cit. ; Parisot Denis, art. cit. ; Fize
Michel, op. cit.
4. Duret Pascal, Augustini Muriel, op. cit.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
tenant compte des autres utilisateurs »1. Et Denis Parisot affirme que
« les adhérents d’associations occupent plus largement l’espace
public, sortant plus souvent du territoire étroit du quartier ou de la
commune que les autres de même âge et groupe social »2.
Tout le projet d’insertion des jeunes « en difficulté » par le
sport consisterait donc à les faire passer du niveau 1 vers le niveau 3.
Pour intégrer, le sport doit passer d’une fonction ludique à une fonction plus élaborée centrée sur le projet et la volonté de se réaliser
(investissement, mobilisation)3. C’est pourquoi les politiques d’intégration par le sport devraient développer un système incitatif à la pratique sportive « organisée ». Denis Parisot se demande même dans
quels contextes locaux (assemblage de sports, de familles, d’éducateurs, d’équipements sportifs…) on parvient à générer des formes de
sociabilité supérieures (à celles développées dans les sports de rue).
Autrement dit, la question est tranchée : les contextes locaux dits
anomiques (taux de chômage, de familles monoparentales élevés…)
ne peuvent pas voir émerger des créations sociales ou citoyennes.
Les jeunes sont supposés être des « idiots sociaux », des individus
incapables de composer avec les contraintes, d’inventer des formes
de sociabilité originales.
La tentation légitimiste
Les approches d’inspiration fonctionnaliste opposent deux mondes (la
rue et le club) en les hiérarchisant du point de vue de leur capacité à
socialiser les jeunes4. D’un côté, il y aurait les pratiques sportives autoorganisées fonctionnant sur une logique de « l’entre-soi »5, du repli ou
du refuge socio-affectif6, et de l’autre les pratiques sportives institutionnalisées, seules capables de produire une socialisation complète, plus
ouverte, en un mot « supérieure »7. Dans le langage de la sociologie
traditionnelle, les pratiques sportives de rue ne produiraient que du
lien communautaire proche de l’anomie et les pratiques institutionnelles du lien sociétaire8.
1. Ibidem, p. 129.
2. Parisot Denis, art. cit., p. 15-16.
3. Callède Jean-Paul, art. cit.
4. Duret Pascal, Augustini Muriel, op. cit. ; Callède Jean-Paul, art. cit. ; Parisot Denis, art. cit.
5. Fize Michel, op. cit.
6. Callède Jean-Paul, art. cit.
7. Parisot Denis, art. cit., p. 15-16.
8. Garnier Pascale, « Critique des théories de la socialisation », Du stade au quartier, Le rôle du
sport dans l’intégration sociale des jeunes, Institut de l’enfance et de la famille, actes du colloque
du 28-29 janvier 1992, p. 49-64 ; Xiberras Martine, Les théories de l’exclusion, Méridiens Klincksieck, coll. « Sociologies au quotidien », Paris, 1993.
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
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Le risque est alors de prendre les comportements des classes
moyennes comme références implicites des normes perçues alors
comme naturelles et légitimes. En ce sens, parler des logiques
d’accomplissement de la jeunesse « favorisée » comme d’une norme
comportementale à atteindre, c’est prendre le risque de légitimer un
ordre social que le sociologue est censé interroger1. On peut en effet
s’interroger sur le sens des sociabilités « supérieures » : s’agit-il du
passage de la communauté à la société ou d’une forme légitime
(noble, institutionnelle) à une forme illégitime (populaire, « informelle ») ? De plus, ce découpage ne rend pas compte de la complexité des pratiques sportives juvéniles auto-organisées. Celles-ci ne
renvoient pas seulement à un « entre-soi » adolescent, à du lien communautaire, mais bien à des formes urbaines de sociabilité et ses
multiples réseaux2 avec ses rites d’interaction complexes3. On est
donc loin des formes « archaïques », « primaires » ou « inférieures »
de la socialisation. Et la volonté de faire passer à tout prix les jeunes
par les structures sportives traditionnelles (le club, l’association) n’est
que le produit d’une vision réductrice des formes de sociabilité constitutives des sports de rue.
REPENSER LES POLITIQUES
D’ÉQUIPEMENTS SPORTIFS
DE PROXIMITÉ
Les sports auto-organisés (basket-ball, football essentiellement) représentent un mode d’organisation sociale spécifique. D’abord, contrairement à une idée reçue, l’espace de ces pratiques ne se réduit pas à la
notion éthologique de territoire (conquête et défense agressive, repli
sur le sous-quartier, mobilité spatiale réduite…). Les jeunes (à partir du
collège surtout) traversent les différents quartiers en fonction de la
réputation des lieux sportifs. Ils se déplacent vers les « hauts-lieux » du
sport auto-organisé qui se situent bien souvent dans des villes éloignées du lieu de leur résidence. Ensuite, le rapport au temps est essentiellement un rapport symbolique, à l’incertitude liée aux déplacements vers ces hauts-lieux. Ce qui motive la pratique sportive, c’est
1. Bourdieu Pierre, Questions de sociologie, Paris, éd. de Minuit, 1980.
2. Camy Jean, Chantelat Pascal, Adamkiewicz Éric, « Sportifs en vue : les sportifs dans les rues de
Lyon », Les annales de la recherche urbaine, 57-58, 1993, p. 157-164 ; Melnick J.-M., « Searching
for Sociability in the Stands : A Theory of Sports Spectating », Journal of Sport Management, 7,
1993, p. 44-60, Human Kinetics Publishers ; Chantelat Pascal, Fodimbi Michel, Camy Jean, Sports
de la Cité. Anthropologie de la jeunesse sportive, Paris, L’Harmattan, 1997.
3. Goffman Erving, Les rites d’interaction, Paris, éd. de Minuit, 1974.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
l’imprévisibilité des rencontres, le fait que « tout peut arriver », que le
temps recèle de l’inattendu. Enfin, le rapport à l’autre dans les rencontres sportives se construit sur une sorte de « fiction démocratique »
dans laquelle les inconnus peuvent se rencontrer en faisant abstraction
de leur biographie et de leurs qualités (sportives). Il n’est pas besoin de
se connaître pour pouvoir composer une équipe. Aussi, tout est organisé (les règles implicites et explicites) pour que le plaisir de l’instant
puisse durer. Ici, le résultat des rencontres sportives ne compte pas
parce que le jeu se suffit à lui-même. Tel est le sens de la socialisation
ludique.
Du temps « positiviste »
au temps « phénoménologique »
L’approche fonctionnaliste énonce que la véritable socialisation des
jeunes passe par l’expérience pédagogique du projet au sein d’une institution, en l’occurrence le club ou l’association sportive. La projection
des jeunes dans le temps, leur capacité à inscrire leurs pratiques sportives dans la durée et dans le futur, à mettre en adéquation des moyens
et des fins apparaissent alors comme la seule voie d’accès à la socialisation et à l’atténuation du mal-être de la jeunesse. Seul le projet peut
donner un sens à leur existence. Seule l’inscription des pratiques sportives dans un temps « positiviste » est reconnue comme socialisante.
Cependant, cette vision éducationnelle et normative conduit à
un oubli, voire à une dépréciation des formes ludiques de la socialisation. En effet, ne sont considérées comme socialisantes que les pratiques sportives ayant dépassées le stade de la distraction, du jeu, du
temps présent. Or, les pratiques sportives auto-organisées des jeunes
dans les banlieues prennent leur sens dans le temps présent, le temps
« phénoménologique », le vécu, le partage des émotions. Elles s’inscrivent donc dans un temps qui n’est pas celui de la conception
« positiviste » et éducationnelle. D’où leur perception en termes de
manque, de déficit, de « sous-socialisation ».
La socialisation de l’individu ne passe pas uniquement par la
capacité à inscrire ses actions dans un projet. Tout se passe alors
comme si on oubliait le temps « phénoménologique » et son rôle
dans le processus de socialisation. La socialisation, c’est aussi du symbolique, de l’esthétique, c’est-à-dire « le fait d’éprouver avec d’autres
des émotions en un lieu donné »1. Autrement dit, le « présentéisme »,
1. Maffesoli Michel, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans la société de masse,
Paris, Livre de Poche, 1988.
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
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la « conquête du présent » sont des formes du lien social tout aussi
importantes que celles du projet. Les formes ludiques de la socialisation, celles qui relèvent du jeu, celles qui contiennent en ellesmêmes leur propre fin (la coquetterie, la conversation) participent
pleinement à la socialisation des individus1. C’est, en tout cas,
l’expérience de ce temps là que font les jeunes sportifs des espaces
urbains défavorisés.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de remplacer une vision normative
par une autre ou de dire que l’inscription des pratiques sportives dans
un projet socialise moins que le vécu du jeu sportif urbain. Il s’agit
simplement de rappeler que la vie sociale, le lien social, les formes
de sociabilité ne sont pas uniquement faits de rationalité. Se socialiser, c’est faire l’expérience de la dialectique de l’ordre et du désordre,
du rationnel et du non rationnel, du projet et du vécu, du sérieux et du
jeu, du projet et du rituel. Si le sportif du XIXe siècle est un homme
nouveau au sens où il naît contre le rituel et comme homme de projet,
s’il est un ascète rationnel, le sportif urbain contemporain renoue en
quelque sorte avec le jeu, le rituel et l’incertitude.
Partir d’une nouvelle représentation
des relations entre la ville et les quartiers
Il est remarquable, lorsque les tournois inter-quartiers ont lieu, que la
constitution des équipes ne repose pas sur une référence à l’espacequartier. Les noms que les groupes de jeunes donnent à leur équipe
n’appartiennent pas au registre de l’espace local, mais à celui des
compétitions internationales. Ce n’est pas l’équipe du quartier de la
Thibaude contre celle du quartier du Mas-du-Taureau (à Vaulx-enVelin), c’est l’équipe du Cosmos contre celle du Milan AC. Autrement dit, la notion de rencontre sportive inter-quartiers n’a pas de
sens. Les pratiques sportives auto-organisées sont des pratiques sportives déterritorialisées. Ce phénomène est confirmé par l’analyse du
haut-lieu du basket de rue de l’agglomération lyonnaise (Bron-Parilly)
où l’important n’est pas d’être de tel ou tel quartier ou de telle ou
telle ville (lors des rencontres, on ne demande même pas d’où viennent les inconnus), mais de pouvoir trouver des partenaires pour
jouer.
Il convient donc de construire une politique à partir d’un
modèle de la ville qui conçoit le quartier comme un système ouvert
aux flux « étrangers » et non plus comme une totalité localisée. Il
1. Simmel Georg, Sociologie et épistémologie, Paris, PUF, 1981.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
s’agit de modéliser les relations entre le quartier et la ville et de concevoir le fonctionnement urbain comme un enchevêtrement de territoires et non comme une juxtaposition de territoires définitivement
délimités. La vision de la ville en termes de juxtaposition de quartiers
et du quartier en termes de refuge communautaire n’est pas adaptée
aux usages sportifs juvéniles dans la ville1. En d’autres termes, on
assiste à une dissociation entre les espaces urbains et les formes de
sociabilité sportive. Depuis 1991, la mise en place de contrats de
ville va dans ce sens puisque la politique des zones urbaines défavorisées est traitée plus globalement au niveau de l’agglomération et
non plus au niveau des communes2.
Repenser le niveau opérationnel d’intervention
La politique municipale de développement des équipements sportifs,
prise isolément, vise à satisfaire, en priorité, les usagers résidant à
l’intérieur des frontières de la commune. C’est pourquoi, le plus souvent, les élus locaux raisonnent en terme d’équipements de proximité. Ceux-ci sont destinés à un espace très local (le quartier ou un
groupe d’immeubles) et doivent participer à la construction, au
maintien ou au renforcement d’une identité locale. La réussite d’une
politique d’équipements (sportifs) de proximité suppose que les habitants partagent la même perception de l’espace public/privé3, qu’ils
construisent leur identité en référence à l’espace-quartier et qu’ils
s’approprient les équipements. Les habitants doivent avoir le sentiment « d’être chez eux » lorsqu’ils fréquentent les installations (sportives) du quartier. Ils doivent se sentir, du même coup, responsables
de ces espaces de proximité et veiller à leur entretien. Cet exercice
de la responsabilité est censé être une qualité fondamentale du
citoyen.
Cette vision à la fois communautaire (retrouver la communauté
perdue…) et fonctionnaliste (juxtaposition des quartiers ayant un
fonctionnement autonome, spécialisation des espaces…) fait comme
s’il y avait une homogénéité socioculturelle forte et un désir de
(re)construire une sociabilité villageoise. Or, l’analyse des pratiques
sportives auto-organisées des jeunes montre que l’on a affaire à une
logique qui ne correspond nullement à cette vision. Du point de vue
1. Wellman Barry, Leighton Barry, art. cit.
2. Delarue Jean-Michel, « La politique de la ville » et Donzelot Jacques, « Le développement social
urbain est-il une politique ? Les leçons de l’évaluation », in Politique de la ville et lutte contre
l’exclusion, La Documentation française, coll. « Regards sur l’actualité », 196, décembre 1993,
p. 3-19 et p. 19-29.
3. Haumont Antoine, « Les équipements sportifs », in Michon Bernard (dir.), Corps, espaces et pratiques sportives, Strasbourg, université des sciences humaines, 1992.
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
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du champ géographique opérationnel, il conviendrait donc de penser
l’articulation entre le niveau du quartier et le niveau de la ville et de
l’agglomération. En effet, il s’agirait de traiter les revendications des
jeunes sportifs non seulement au niveau du quartier, mais au niveau
de la ville. Cette démarche permettrait d’élargir le cadre d’expression
de la citoyenneté et de la démocratie locale conçu comme un débat
public opérant une reconnaissance mutuelle des pouvoirs publics
locaux et des habitants d’une ville1. En effet, répondre ponctuellement à une demande d’équipement sportif sur un quartier, voire un
sous-quartier, c’est réduire l’expression de la citoyenneté à l’échelle
micro-locale. Il conviendrait donc de développer une planification
urbaine intercommunale des équipements sportifs ouverts (plutôt que
de proximité). En effet, si l’on suit les logiques de déplacements des
jeunes sportifs, force est de constater que l’espace pertinent se situe à
l’échelle de l’agglomération.
Repenser l’implantation géographique
des équipements de proximité
Comment comprendre la naissance du « haut-lieu » sportif ? Une
première explication consisterait à insister sur les caractéristiques de
l’offre : un nombre important de terrains de sports ouverts, une insertion dans un environnement de qualité, des services annexes à la pratique sportive (toilettes publiques, robinets d’eau…) et, enfin, une
bonne desserte par les transports publics (métro et bus). Tout ceci
constituerait donc les ingrédients permettant de créer une attractivité
du site et de réaliser une adéquation entre une offre et une demande.
Mais, ce raisonnement de type marketing (offre de qualité = attractivité) ne tient pas compte de la dimension historique et symbolique
d’un tel lieu. Le deuxième type d’explication, plus sociologique,
insiste sur cette dernière dimension. Le « haut-lieu » possède une
épaisseur historique, une mémoire à travers les pratiques des amateurs sportifs. Sa réputation ne se réduit pas à la qualité des services
offerts.
Ce qui est important également, c’est la neutralité de l’espace,
le fait qu’il n’appartienne à personne en particulier. Le haut-lieu du
sport de rue dans l’agglomération lyonnaise, par exemple, n’est pas
inséré dans un quartier, il n’est pas délimité par des groupes
d’immeubles identifiables à un quartier. Sans aller jusqu’à remettre
en cause l’existant, si l’on veut suivre la logique des hauts-lieux, il
1. Bouamama Saïd, De la galère à la citoyenneté. Les jeunes, la cité, la société, Paris, Épi, Desclée
de Brouwer, 1993.
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conviendrait donc d’implanter des équipements sportifs ouverts sur
des zones urbaines plus neutres que celles des quartiers, parfois fortement stigmatisés et, sur le plan de l’architecture, très délimités. Car
l’une des conditions d’existence du haut-lieu réside dans sa neutralité. En effet, s’il y a du monde sur les terrains, ce n’est pas simplement parce qu’il y a de la place, parce que l’offre est importante,
mais également parce que le lieu n’appartient visiblement à personne,
qu’il n’est pas enchâssé dans un quartier aux frontières nettes. En ce
sens, la tâche de l’architecte et de l’urbaniste consiste à dessiner des
frontières spatiales ambiguës autour des équipements sportifs ouverts,
à situer ces installations aux frontières des quartiers et des villes dans
un environnement urbain délibérément flou. En tout cas, la volonté
d’intégrer à tout prix l’infrastructure sportive au quartier (perçue de
façon illusoire comme une totalité harmonieuse) se trouve contredite
par les usages sportifs urbains des jeunes.
Les limites de la solution urbanistique
Les solutions architecturales ou urbanistiques ne doivent pas donner
l’illusion que l’on peut produire un haut-lieu sportif à partir d’une
réflexion sur l’organisation de l’espace sportif1. Le déterminisme de
l’offre spatiale constitue une illusion car on ne peut pas créer ex
nihilo un lieu sportif vivant2. En d’autres termes, l’organisation spatiale ne détermine pas les modes de sociabilité. Il serait faux de croire
qu’un aménagement de l’espace sportif bien pensé suffirait à produire un haut-lieu, un espace sportif animé. Les équipements sportifs
pensés a priori comme des totalités, c’est-à-dire ayant fait l’objet
d’une prévision de leur fonctionnement, de leurs usages, ne peuvent
pas s’imposer d’emblée comme des lieux vivants.
Même la pensée urbaniste renouvelée en termes de mixité des
usages de l’espace urbain ne peut produire de la rencontre et de la
sociabilité sportive. Comme l’écrit Richard Sennett, « rien ne peut
commencer sans une incomplétude »3, c’est-à-dire sans incertitude
sur ce qui va se passer. Or, le projet urbaniste consiste justement à
prévoir la mixité des activités et des usagers. Il ne s’agit pas de prévoir le mélange des activités et des usagers à la manière d’un architecte omniscient. R. Sennett, en décrivant ce qui se passe dans les
espaces de loisirs new-yorkais, montre clairement que ce type d’atti-
1. Bach Lünchen, « Sports without facilities : the use or urban spaces by informal sports », International Review for Sociology of sport, 28, 1993, p. 281-295.
2. Chantelat Pascal, « Planification urbaine et usages sportifs de la ville », Revue Spirales, CRIS,
Lyon, 1992, p. 91-99.
3. Sennett Richard, L’oeil et la ville, Paris, Plon, 1992.
2248_10_C2 Page 99 Lundi, 14. mai 2001 2:23 14
SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
99
tude est, à la fois une impasse et une illusion. Il explique pourquoi les
enfants des villes nouvelles à New York n’occupent pas les « jolis »
endroits que les adultes ont arrangés pour eux : « Ces communautés
traitent les différences de façon logique, en mélangeant les usages. Les
logements sont près des boutiques, les boutiques sont près des écoles,
les écoles près des bibliothèques, les bibliothèques près des bureaux ;
ces additions devraient produire une circulation de vie et une synergie
qui ferait que le tout serait plus grand que la somme de ses parties. Ces
bonnes intentions aveuglent cependant l’urbaniste qui ne voit pas la
vérité que connaît le romancier : on ne peut rien commencer d’important en créant immédiatement une totalité »1.
*
* *
L’objectif de ce texte était d’attirer l’attention sur les risques de
présenter systématiquement les sports de rue (pratiques sportives
auto-organisées) comme des pratiques faiblement socialisantes, voire
« sous-socialisantes » ou anomiques. Il est en effet courant, à la fois
en sociologie du sport et dans les discours de l’intervention sociale,
de dresser une hiérarchie implicite ou explicite entre le sport éducatif
(en club de préférence) et le sport de rue en fonction de leurs propriétés supposées en matière de socialisation. D’un côté du continuum
(pôle positif), on trouve le sport encadré par des institutions avec ses
vertus socialisantes et citoyennes. De l’autre côté (pôle négatif), on
trouve le sport « informel », « inorganisé », « de rue » qui ne produirait que des formes « archaïques », « inférieures » du lien social,
voire qui désocialiserait, qui désorganiserait le social.
À partir de cette vision, il est clair que les interventions visant
l’insertion sociale par le sport (actions publiques ou associatives) se
donnent pour objectif de faire passer les jeunes sportifs des pratiques
« informelles » aux pratiques institutionnalisées. Cette position à la
fois théorique et pratique sur le rôle du sport dans la socialisation des
jeunes « en difficultés » soulève cependant des questions d’ordre
éthique. Ces questions concernent en premier lieu les sociologues
qui produisent en amont les représentations du fonctionnement
social (des jeunes) à partir desquelles s’orientent les hommes politiques et les acteurs du travail social.
Le risque est en effet de légitimer les pratiques sportives des
classes sociales majoritaires (les classes moyennes) ou dominantes
(les classes supérieures) et, à l’inverse, de rendre les pratiques des
classes populaires illégitimes. Ainsi, toute pratique sociale ayant une
origine populaire irait d’emblée de pair avec une sociabilité pauvre,
1. Idem.
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comme si la pauvreté économique produisait mécaniquement et inéluctablement de la pauvreté sociale. Ce risque est, nous semble-t-il,
présent dans la plupart des productions sociologiques sur le sujet en
raison de l’adoption (plus ou moins marquée) d’un cadre d’analyse
fonctionnaliste. Dans cette optique, toute pratique sociale (dont le
sport) non médiatisée par des institutions (la famille, l’école, le club
sportif…) tend à produire de la désorganisation sociale. Bref, avant
même d’avoir analysé ces pratiques, celles-ci sont directement classées parmi les comportements « sous-socialisants ». Du coup, on
assiste à une délégitimation des formes de pratiques (urbaines) autoorganisées sans s’interroger sur leurs éventuelles innovations.
Or, la critique de cette vision en termes de désorganisation
sociale n’est pas nouvelle1. Il faut donc que le sociologue prenne le
temps de s’interroger sur les effets souvent implicites de sa posture
intellectuelle et d’analyser finement les pratiques sportives de rue
avant de décréter qu’elles participent à la désorganisation sociale. Le
sociologue, tout autant que le travailleur social, doit se positionner
vis-à-vis de la culture légitime et des cultures populaires. Doit-il
reprendre à son compte, sans l’interroger, la culture sportive
légitime ? Doit-il tenter de faire reconnaître d’autres productions
sociales et culturelles moins légitimes ? Doit-il « dé-hiérarchiser »,
relativiser les différentes expressions culturelles du sport ?
Dans le premier cas, il se fait légitimiste, dans le second relativiste (toutes les formes culturelles se valent a priori)2. La position
relativiste absolue n’est pas, quant à elle, intrinsèquement meilleure
dans la mesure où elle se fonde sur un postulat par nature non discutable. Peut-on dépasser cette opposition entre les postures légitimistes et les postures relativistes ? Les chercheurs sont-ils condamnés à
se positionner dans l’un ou l’autre camp ? Autrement dit, sommesnous obligés de choisir entre une vision qui impose de l’extérieur une
norme de socialisation et un relativisme « aveugle » qui ne sait plus
identifier le bien du mal ? L’attitude alternative consiste, selon nous,
à réintroduire la question des « valeurs » à l’intérieur d’une approche
de type ethno-sociologique (qu’est-ce que « vaut » telle ou telle
forme de socialisation ?), tout en évitant de poser une norme a priori.
Il s’agit de réaliser un travail critique à partir d’une conception de la
socialisation qui ne s’enferme pas dans une vision développementaliste (en termes de projet), sans toutefois la négliger.
1. White William Foote, Street corner society. La structure sociale d’un quartier italo-américain,
Paris, La Découverte, 1996 (première édition en 1943).
2. Callède Jean-Paul, « Intégration sociale et expressions identitaires », in actes de la IVe université
sportive UFOLEP-USEP Sport et insertion des jeunes, 1996, p. 37-49.
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SPORT DE RUE : REGARDS SOCIOLOGIQUES
101
L’exemple du travail que nous avons réalisé sur la banlieue
lyonnaise va dans ce sens dans la mesure où, sans dénier aux structures sportives leur potentiel éducatif (accéder à la capacité de se projeter dans l’avenir), il prend en compte différents « moments » de la
socialisation1. Ainsi, au temps « positiviste » du projet éducatif, il
convient d’ajouter le temps « phénoménologique », c’est-à-dire celui
du jeu, de la socialisation ludique au sens de Simmel. Alors, les pratiques de rue ne sont plus considérées comme créatrices de désorganisation sociale, mais comme un « moment » de la socialisation des
individus. Elles ne sont pas inférieures aux pratiques éducatives encadrées parce qu’elles ne sont pas de même nature. On ne peut donc
pas les comparer à l’aune d’une échelle normative commune.
Au total, il s’agit de reconnaître que la socialisation trouve son
efficacité dans la dynamique qui se crée entre le jeu et le sérieux, entre
le présent et le futur. On ne peut pas imaginer un monde qui soit fondé
uniquement sur l’une ou l’autre de ces dimensions. La socialisation
passe donc à la fois par l’inscription dans un projet individuel ou collectif (sportif, culturel…) et par la présence au monde, par le fait de
jouir des relations sociales sans autre finalité que le jeu lui-même.
Références bibliographiques
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in actes de la IVe université sportive UFOLEP-USEP Sport et
insertion des jeunes, 1996, p. 37-49.
CAMY Jean, CHANTELAT Pascal, ADAMKIEWICZ Éric, « Sportifs en vue : les
sportifs dans les rues de Lyon », Les Annales de la Recherche
Urbaine, 57-58, 1993, p. 157-164.
CHANTELAT Pascal, FODIMBI Michel, CAMY Jean, Sports de la Cité. Anthropologie de la jeunesse sportive, Paris, L’Harmattan, 1997.
PARISOT Denis, « Entre mythes et réalités : un espace pour la recherche
en sciences sociales », in Sport et insertion sociale, actes du colloque de Villeurbanne, F. Léo Lagrange, avril 1992, p. 27-47.
SENNETT Richard, L’œil et la ville, Paris, Plon, 1992.
WELLMAN Barry, LEIGHTON Barry, « Réseau, quartier et communauté »,
Espace et Société, 38-39, 1981, p. 111-133 (première édition
dans Urban Affairs Quaterly, 14, 1979, p. 363-390).
WHITE William Foote, Street corner society. La structure sociale d’un
quartier italo-américain, Paris, La Découverte, 1996 (première
édition 1943).
XIBERRAS Martine, Les théories de l’exclusion, Paris, Méridiens Klincksieck, collection « Sociologies au quotidien », 1993.
1. Chantelat Pascal, Fodimbi Michel, Camy Jean, op. cit.
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JE MILITE POUR LA RECONNAISSANCE
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« JE MILITE POUR
LA RECONNAISSANCE
D’UN NOUVEAU STATUT :
LES CLUBS CITOYENS »
Jamel SANDJAK
réalisé par Frédéric POTET
■ Entretien avec
Jamel Sandjak et ses frères sont à la tête du club de football de
l’Olympique de Noisy-le-Sec depuis treize ans. Jamel en est le directeur général ; Nasser, l’entraîneur ; Rachid, l’entraîneur adjoint ; tandis que Liazid et Lounis évoluent au milieu du terrain. Sous leur
impulsion, le club a gravi les échelons pour atteindre le championnat
National (l’équivalent de la troisième division) au sein duquel il a pris
pour habitude de bien figurer en dépit d’un petit budget. L’Olympique de Noisy-le-Sec occupe une place à part sur la carte du football
français puisqu’il est le seul club à combiner une activité de haut
niveau à un important travail social. Enfants issus de l’immigration,
les frères Sandjak ont mené de très nombreuses opérations de formation, d’insertion sociale ou encore de prévention, à destination des
jeunes venus jouer au football dans leur club. Alors que le département de la Seine-Saint-Denis voit la violence se développer sur ses
terrains de sport, Jamel Sandjak milite pour la reconnaissance d’un
nouveau statut : les clubs citoyens.
– L’Olympique de Noisy-le-Sec est aujourd’hui totalement
assimilé au nom des frères Sandjak. Pouvez-vous nous expliquer
d’où est originaire votre famille et comment vous et vos frères avez
pris en main ce club de la banlieue parisienne ?
– Mon père est arrivé de Kabylie en 1948 et ma mère l’a
rejoint quelques années plus tard. Deux de mes frères sont nés en
Algérie et les autres enfants, dont moi, sont nés en France. Mes
parents ont d’abord habité différents petits logements dans Paris.
Mon père travaillait dans une entreprise de peinture à une époque où
il n’y avait pas toutes les protections sanitaires actuelles. Il est tombé
malade avant de trouver un emploi d’ouvrier spécialisé à la mairie de
Noisy-le-Sec. Il s’occupait de l’entretien des installations sportives, ce
qui nous a permis, à mes frères et moi, d’être en contact dès le plus
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
jeune âge avec le milieu du sport. Nous avons appris le football grâce
au patronage laïc vers l’âge de 14-15 ans. Plus tard, je suis allé jouer
à Romainville, avant de faire des stages dans le club professionnel de
Sochaux. Au début des années 1980, alors que j’avais des propositions pour intégrer un effectif professionnel, je suis revenu à Noisy-leSec. L’équipe évoluait au plus bas niveau, en promotion de
deuxième division départementale, mais je me suis lancé un défi :
faire monter ce club. On s’est pris au jeu avec mes frères et quelques
copains de Romainville qui nous ont rapidement suivis. En 1987, à la
suite de problèmes internes, le club s’est retrouvé sans équipe dirigeante. Nous avons pris le relais du jour au lendemain. Il y avait
deux cent vingt licenciés. La première année, j’entraînais toutes les
catégories d’âge du club. L’équipe première, elle, continuait à avoir
de bons résultats. Le club a connu onze accessions et fait partie,
aujourd’hui, du championnat National.
– Parallèlement à cette série d’accessions sportives, l’Olympique de Noisy-le-Sec a mené quantité d’opérations à vocation
sociale, en direction principalement des jeunes des quartiers défavorisés de la ville. Comment et pourquoi avez-vous mis en place cette
politique ?
– Nous nous sommes rapidement rendus compte que nous
recevions des jeunes qui connaissaient des difficultés en dehors du
club. Leur principal handicap était d’habiter des quartiers « compliqués », faute de pouvoir vivre ailleurs. Je trouvais scandaleux qu’un
jeune ne puisse pas pratiquer un sport parce qu’il n’en avait pas les
moyens. On a étudié, cas par cas, les situations et nous avons
accueilli des gamins dont les parents ne pouvaient pas verser les cotisations. Une année, nous sommes arrivés à 40 % de jeunes qui
n’avaient pas payé leur licence. Cela nous a coûté de l’argent, mais
avec l’aide de différents organismes nous avons pu offrir un accès au
football à des jeunes qui ne pouvaient pas se le permettre. Cette opération a été un déclic important dans l’élaboration de notre politique.
À partir de là, nous avons mis en place de nombreuses actions. Il y a
d’abord eu des stages « portes ouvertes » : alors que tous les clubs
sportifs fermaient pendant l’été, l’Olympique de Noisy-le-Sec restait
ouvert en juillet et en août. Ensuite, en collaboration avec l’éducation
nationale, nous avons créé des classes à horaires aménagés. Cela a
permis à des jeunes de dégager quatre à six heures sur leur temps scolaire afin de s’entraîner au football. Nous avons également mis sur
pied des formations d’éducateurs, des sorties découvertes, des
débats… Il y a eu aussi un championnat de France des banlieues et la
création d’un atelier vidéo (Télé-Cité) qui va produire quarante émissions pour France 3 cette année.
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JE MILITE POUR LA RECONNAISSANCE
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– Entreprendre ces actions de socialisation et afficher des ambitions sportives importantes ne sont-ils pas des objectifs antinomiques ?
– Au contraire ! Chez nous, les joueurs de l’équipe première ont
toujours eu pour obligation de prendre en charge les entraînements
des jeunes. Cet aspect est fondamental. À l’époque où moi-même je
jouais encore, les gosses me vouaient un grand respect parce que je
m’occupais d’eux : en ouvrant la porte des vestiaires, il n’y avait pas le
moindre chahut. J’avais l’impression d’entrer dans une église. Les deux
versants – le haut niveau d’un côté, le social de l’autre – n’ont eu de
cesse de s’alimenter durant toutes ces années. Chacun s’est enrichi de
l’autre. Nous avons donné la preuve qu’il était possible de faire cohabiter ces deux aspects et que cela n’avait rien de contradictoire.
– Que peut vraiment apporter un club de sport dans ces quartiers que l’on dit « difficiles » ?
– Je pense que les valeurs véhiculées par le sport d’une manière
générale, comme le respect de l’autre ou l’apprentissage de la vie de
groupe, ont toujours une signification. Vous savez, quand on voit
comment se comportent les jeunes dans certains quartiers, il est
impossible de rester sans réagir. Un club de football ne peut plus se
contenter d’organiser des compétitions et de mettre en place des
entraînements. Dans certaines situations, les structures traditionnelles
du club sont totalement dépassées. Je crois qu’il est temps que les
autorités de ce pays reconnaissent le fait que des associations sportives, situées dans des contextes particuliers, essayent d’aller au-delà
de l’aspect purement sportif. Nous avons demandé à la Fédération
française de football (FFF) la prise en compte d’un statut de « club
citoyen ». Je milite pour cette reconnaissance car elle signifierait que
des moyens particuliers sont mis à disposition de ces clubs à vocation sociale. Car, bien sûr, il est difficile de trouver des fonds pour
entreprendre des actions comme celles que nous menons. Pourtant,
l’argent ne manque pas dans le monde du football. C’est aussi pour
cela que nous avons demandé à la ministre de la Jeunesse et des
Sports qu’un pourcentage sur les contrats passés entre les clubs professionnels et les chaînes de télévision revienne à la base.
– Pensez-vous que le club de sport puisse véritablement pallier les dégradations sociales alors que la famille, l’école et le monde
du travail connaissent les pires difficultés à remplir leur fonction de
socialisation ?
– Notre rôle n’est qu’un rôle de « réparateur social ». Et il ne va pas
au-delà. L’Olympique de Noisy-le-Sec n’a jamais eu la prétention de
résoudre tous les problèmes rencontrés par les jeunes dans leurs quartiers.
Je sais qu’un certain nombre de garçons qui sont passés chez nous ont, par
la suite, trouvé un travail, un logement, fondé une famille… Alors que s’ils
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
n’avaient pas connu le club, ils seraient actuellement dans des situations
personnelles plus complexes. C’est le seul constat que je puisse faire.
– Le club de football n’est-il pas, lui aussi, menacé de déstructuration sociale ?
– Il l’est déjà. Et par ses pairs ! À la fin de la saison 1998-1999,
le district de football de Seine-Saint-Denis a décidé de suspendre toutes les rencontres pendant plusieurs week-ends en raison des violences survenues sur les terrains. Cela revenait à remettre en cause le
travail des clubs. C’est ainsi qu’a été dissoute l’Union sportive de
Montfermeil. Deux ans plus tôt, on avait fait de même avec l’un des
clubs de Clichy-sous-Bois.
– Il n’empêche que la violence sur les terrains de football,
notamment dans les banlieues des grandes villes, est un phénomène
qui prend de l’ampleur…
– Oui, mais justement parce que les clubs de quartier manquent de moyens pour faire autre chose que du football. Souvent, les
problèmes de violence sur les terrains de foot sont liés à des rivalités
préexistantes : le conflit est alimenté par des jeunes qui appartiennent à des quartiers différents ou à des bandes rivales. Le match
devient alors un prétexte pour régler ses comptes. Les choses peuvent
dégénérer très vite. Sauf si l’on arrive à comprendre le mécanisme et
si l’on effectue un travail en amont. Quand il s’agit de cas individuels
(un môme qui pète les plombs pendant un match, par exemple), il
faut s’entretenir longtemps avec lui, l’accompagner dans son évolution et essayer de modifier son comportement en lui redonnant un
minimum de repères. Ce genre de travail ne se fait pas sans compétences. Il faut des gens formés, des éducateurs qui connaissent bien
le terrain. Il faut aussi du temps. À Noisy-le-Sec, il nous a fallut cinq
ans pour remédier à ces problèmes de violence.
– Voyez-vous apparaître de nouveaux obstacles à vos actions ?
– Il y a quelque chose qui, actuellement, m’exaspère : ce sont
les campagnes publicitaires des grandes marques d’équipement sportif.
Depuis plusieurs années, le code vestimentaire des jeunes est de
s’habiller en Adidas, en Lacoste ou en Nike. Que ces firmes incitent des
gens comme vous et moi à acheter leurs produits, je n’y vois aucun
problème : nous gagnons notre vie et nous pouvons nous payer une
paire de chaussures à un prix élevé. Mais que ces mêmes compagnies
incitent des jeunes vivant dans des conditions précaires à faire la même
chose, je dis que ce n’est pas acceptable. Sur le terrain, nous voyons
bien ce que cela provoque : tout d’abord un conflit avec les parents (et
le plus souvent avec la mère), il y a ensuite le risque de voir les jeunes
voler dans les économies familiales ou trouver de l’argent par d’autres
moyens illicites. Car si vous ne possédez pas l’une de ces marques,
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JE MILITE POUR LA RECONNAISSANCE
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vous passez pour un moins que rien aux yeux de vos copains. À l’arrivée, les comptes sont simples. D’un côté, les grandes marques
s’enrichissent ; de l’autre, les jeunes cassent, volent ou font des conneries. Et ce sont nous, contribuables, qui payons la casse sociale.
– Nicolas Anelka, qui est une forme d’icône pour les jeunes
banlieusards, a été transféré, en 1999, du club d’Arsenal au Real de
Madrid pour un montant de 220 millions de francs (pour finir par
revenir, en 2000, dans son club d’origine, le PSG). Cette affaire, qui a
fait grand bruit, peut-elle avoir un effet sur le travail que vous menez ?
– Cette histoire nous a porté un coup terrible. Aujourd’hui, pour
un môme, le foot apparaît comme un moyen de gagner de l’argent
(beaucoup d’argent) très rapidement. Les jeunes ne se rendent pas
compte que seulement un très petit nombre d’entre eux peuvent devenir footballeur professionnel. Mais c’est surtout cette rapidité de
l’ascension sociale qui est sidérante. Quand j’étais petit, on me
répétait : « Mange ta soupe, tu vas grandir ». Aujourd’hui, Adidas et les
autres martèlent : « Tout de suite, tu es le meilleur ». Cette manière de
conditionner l’enfant se situe exactement à l’opposé de ce que nous
essayons de prôner à notre niveau, c’est-à-dire un travail de longue
haleine. De plus, s’ajoute à cette évolution tout un système d’agents et
de manageurs dont le souci est de vendre des joueurs, comme on vend
du bétail. On fait croire des choses invraisemblables aux jeunes qui
atteignent un bon niveau. Cette autre tendance déstructure le travail en
profondeur que nous menons. Il y a deux ans, un adolescent est parti
sans nous prévenir vers un club professionnel. Il jouait pourtant à
Noisy-le-Sec depuis l’âge de 7 ou 8 ans. Depuis, il n’a pas donné de
nouvelles, ne nous a jamais écrit, ni téléphoné. Pour le connaître un
peu, je pense que ce môme est perdu s’il ne retrouve pas ses bases.
– Comment voyez-vous l’avenir de l’Olympique de Noisy-le-Sec ?
– Nous voulons monter en deuxième division et devenir un
club professionnel. Cela nous permettrait de passer un cap et d’en
faire bénéficier le versant social de notre activité. Je suis persuadé
qu’un club populaire a sa place dans la proche périphérie de Paris.
Aujourd’hui en banlieue les « leaders négatifs » ne manquent pas,
entre les dealers, les casseurs et les petits voyous. J’ai la conviction
qu’un club de football peut, à sa façon, devenir un « leader positif »
pour les jeunes des cités. Ici, on s’identifie plutôt à l’Olympique de
Marseille que les jeunes préfèrent largement au Paris-Saint-Germain.
L’OM, pour eux, c’est le club des immigrés, le club des pauvres. Il
me semble que cette vision est déformée par les médias et par l’éloignement car quand on va dans les quartiers nord de Marseille, les
jeunes disent exactement le contraire. Mais peu importe. Le fait est
qu’il n’y pas de grand club populaire à Paris et dans sa banlieue.
Nous voudrions que l’Olympique de Noisy-le-Sec devienne ce club.
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE
COMME FACTEUR D’ORDRE :
UNE ANALYSE COGNITIVE
DES POLITIQUES D’INTÉGRATION PAR LE SPORT
À LYON ET À BIRMINGHAM
■
Lionel ARNAUD
Résumé : le sport n’est pas une activité physique comme les autres. Ses
idées et ses valeurs forment une véritable idéologie qui contribue
aujourd’hui à baliser cognitivement le débat sur l’intégration des minorités ethniques. En évitant de penser l’égalité à l’intérieur d’une conception globale de l’injustice et de la domination, pour se déplacer vers une
conception de la justice sociale en tant qu’égalité des chances, le
recours à l’idéologie sportive réussit en effet l’impossible : articuler le
discours des hommes politiques, des professionnels et des minorités ethniques. Au risque de nier les particularismes de ces dernières et de
réduire leur capacité d’influence sur le devenir de la société.
Des Public Schools du milieu du XIXe siècle aux quartiers difficiles français et britanniques de cette fin du XXe siècle, en passant par
les territoires colonisés d’Afrique et du sous-continent indien, le sport
moderne a souvent été associé au maintien de l’ordre public1. Le
temps n’est pourtant pas loin où son caractère jugé potentiellement
subversif conduisait les autorités françaises à un strict contrôle administratif et policier des regroupements sportifs2. Aujourd’hui, les affaires de corruption, de dopage et de violences diverses sur et hors du
stade ne cessent d’alimenter la rubrique des faits-divers… sans qu’un
véritable débat soit engagé par les pouvoirs publics sur la logique
perverse d’une activité qui continue d’être érigée en modèle de
1. Pour un aperçu socio-historique, se reporter plus particulièrement à l’ouvrage classique de Élias
Norbert et Dunning Éric, Sport et civilisation, la violence maîtrisée (1986), Paris, Fayard, 1994 (trad.
fr.).
2. Voir Arnaud Pierre (dir.), Les Athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine 1870/1914 (1987), Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces et Temps du Sport », 1998, et DevilleDanthu Bernadette, Le sport en noir et blanc. Du sport colonial au sport africain dans les anciens
territoires français d’Afrique occidentale (1920-1965), Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces et Temps
du Sport », 1997.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
société, tel un patrimoine universel qu’il serait vain de vouloir remettre en cause.
C’est oublier néanmoins que l’histoire de ce sport « transculturel » et « trans-historique », comme n’ont pas manqué de le
répéter les responsables politiques et les médias lors de la Coupe du
monde de football de 1998, reste indissociable des développements
planétaires de la civilisation occidentale, protestante et capitaliste,
qui a triomphé avec la révolution industrielle1. C’est plus exactement
la vision personnelle d’un homme, Pierre de Coubertin, qui s’est progressivement imposée avec le succès grandissant des Jeux olympiques (JO) : l’idée de fair-play est née des objectifs éducatifs du selfgovernment, celle de record et de performance s’inscrit dans le cadre
du positivisme Comtien et des découvertes de Darwin sur la sélection
naturelle, celle de la participation désintéressée repose sur une vision
aristocratique des défis sportifs, tandis que le pacifisme et l’internationalisme sont une pure invention qui, dans les années 1880-1886
(années où sont organisés les premiers JO modernes), relevait de
l’utopie ou de la pure folie… Bref, l’idée qu’il ait pu exister un « sport
pur », reposant sur des valeurs chevaleresques et universelles
exprime la représentation idéalisée d’une pratique sportive qui aurait
existé dans une époque lointaine mais que la réalité est bien loin de
confirmer. Cette idée s’est transmise par des discours emphatiques
sur le sens et la signification du sport moderne, mais le mythe ne
repose sur aucune réalité objective et vérifiable. Le sport moderne
serait en conséquence la construction intellectuelle d’un idéaliste et
d’un visionnaire2.
Envisager le sport sous l’angle de la culture et de l’idéologie ne
va pas, évidemment, sans modifier profondément le regard sur les
politiques sportives, surtout lorsqu’elles prétendent favoriser l’intégration de certaines minorités ethniques dont les conduites sont considérées comme exogènes aux sociétés occidentales3. Il est vrai que
le sport n’est pas une pratique physique comme les autres : à la différence des jeux traditionnels ou des activités d’expression corporelle
qui favoriseraient davantage, selon certains spécialistes, la création et
la communication, et à la différence même d’une éducation physi-
1. Guttman Allen, From Ritual to Record. The Nature of Modern Sports, New York, Columbia University Press, 1978.
2. Voir Boulongne Yves-Pierre, La vie et l’œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin, Montréal,
Léméac, 1975.
3. La notion anglo-saxonne de « minorité ethnique » est préférable à celle de « populations issues
de l’immigration » qui n’a pas grand sens dans un pays comme la France dont le tiers des nationaux
a des « origines immigrées ». Combiné à l’ethnicité, le terme de « minorité » rend surtout compte
de l’effet de domination de la société globale à l’égard de certains groupes et montre que les difficultés rencontrées par ces populations ne tiennent pas à un quelconque statut d’étranger mais à
celui de minorité ethnique caractérisé par l’apparence physique et un mode de vie « étranger ».
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
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que dont la santé reste l’objectif principal1, la valorisation du club
sportif dans les quartiers difficiles semble délibérément participer
d’une même volonté de codification et de maîtrise culturelle de certaines traditions et de certains comportements jugés potentiellement
déstabilisateurs pour l’ordre établi. En s’appuyant sur l’analyse comparée des politiques municipales de deux grandes métropoles françaises et britanniques (Lyon et Birmingham) qui réservent une place
importante au sport alors même qu’elles poursuivent officiellement
des objectifs opposés en matière d’intégration (laïcité vs multiculturalisme), cet article souhaite montrer comment la diffusion de l’idéologie sportive favorise une mise en ordre cognitive des systèmes
d’action publique, au profit d’une lecture néo-libérale de l’intégration des minorités ethniques2.
LA DYNAMIQUE DES POLITIQUES
SOCIO-SPORTIVES
La fonction d’intégration, au sens large, est au cœur des politiques
publiques qui visent à réguler l’offre et la demande sociale tout en
s’efforçant de socialiser les individus pour qu’ils acceptent les règles
du jeu social3. Or, les autorités locales doivent aujourd’hui gérer des
sociétés de plus en plus multiculturelles, en raison non seulement de
l’accroissement des flux migratoires mais aussi d’une division du travail toujours plus poussée. Difficile dans ces conditions d’agir de
manière aussi stable, routinière et continue que ce que certains discours officiels pourraient parfois laisser croire. Les conceptions nationales concernant les finalités de l’intégration, le positionnement
identitaire des minorités ethniques tout comme les compétences des
professionnels apparaissent au contraire comme fluctuantes et diverses, et leur appréhension suggère une analyse « dynamique » de
l’action publique locale : il s’agit de rendre compte d’un processus
permanent de réinterprétation du monde, de manière à considérer les
moments d’alignements comme étant toujours « contingents et tem-
1. Sur toutes ces questions, se reporter respectivement à Parlebas Pierre, Activités physiques et éducation motrice, Paris, EPS/INSEP, 1981 ; Pujade-Renaud Claude, « L’expression corporelle
impossible », in Esprit, 446, mai 1975 ; et Ulmann Jacques, Corps et civilisation. Education physique, médecine, sport, Paris, Vrin, 1993.
2. Pour une analyse détaillée voir, Arnaud Lionel, Politiques sportives et minorités ethniques. Le
sport au service des politiques sociales à Lyon et à Birmingham, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques
Politiques », 1999. Sur l’approche cognitive des politiques publiques, voir notamment : Muller
Pierre, Surel Yves, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs/Politique »,
1998, p. 47 et suiv.
3. Jobert Bruno, Muller Pierre, L’état en action, Paris, PUF, coll. « Recherches Politiques », 1987,
p. 13-33.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
poraires » entre deux périodes d’ordre institutionnel1. Nous avons
isolés ici trois dynamiques essentielles en matière de politiques sociosportives : les dynamiques des problèmes, les dynamiques identitaires
et les dynamiques professionnelles.
La problématique de l’intégration
Port du foulard, exercice de la prière, Ramadan, etc. interrogent les
principes fondateurs de la République française et de la Monarchie
parlementaire britannique : liberté d’expression des individus, principe d’égalité des droits et des devoirs de chaque citoyen, neutralité
du service public. La question est de savoir comment répondre de
manière adaptée à des comportements qui expriment le désir d’une
liberté d’expression culturelle et religieuse, voire identitaire, tout en
ne mettant pas en difficulté l’exercice du service public ou un organisme ayant une mission d’intérêt public. De ce point de vue, la
France et le Royaume-Uni présentent des conceptions différentes de
l’allégeance citoyenne : d’un côté, une tendance à l’indifférenciation
et une logique de projet qui laissent la possibilité de réunir des hommes divers dont on souhaite ignorer les particularités historiques de
culture et de classe au profit d’une loi commune et d’une appartenance soumise à contrat ; de l’autre, un ensemble de communautés
sociales données comme naturelles, constituant les hommes par des
traditions et par des cultures, fortement différenciées les unes des
autres, qu’une codification juridique rigoureuse et spécifique se
charge de réguler2.
En fondant le lien national sur une communauté d’intérêt
(modèle républicain) ou sur la poursuite d’intérêts spécifiques (modèle
libéral), les autorités françaises et britanniques proposent donc des
modalités d’intégration apparemment très différentes. Mais celles-ci
interviennent rarement de façon dogmatique : elles réagissent et se
modifient en fonction de la réalité sur laquelle elles prétendent intervenir3. Ainsi, à Lyon, l’indifférenciation républicaine prônée par la
politique de la ville n’a pas empêché un certain nombre de regroupements communautaires que les autorités ont d’ailleurs parfois avalisés. À Birmingham, la politique de lutte contre les discriminations
raciales conduites depuis 1987 par la Race Relations Unit de la
1. Borraz Olivier, « Pour une sociologie des dynamiques de l’action publique locale », in Balme
Richard, Faure Alain et Mabileau Albert, Politiques locales et transformations de l’action publique
en Europe, Grenoble, CERAT/CERIEP/AFSP, 1998, p. 85-99.
2. Voir Leca Jean, « Nationalité et citoyenneté dans l’Europe des immigrations », in Costa-Lascoux
Jacqueline, Weil Patrick (dir.), Logiques d’État et immigrations, Paris, Kimé, 1992, p. 13-57.
3. Voir Lapeyronnie Didier, L’individu et les minorités. La France et la Grande-Bretagne face à leurs
immigrés, Paris, PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 1993.
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
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municipalité n’a pas résisté aux pressions néo-racistes et néo-libérales d’une partie de la population et de la classe politique. Dix ans
plus tard, la question est désormais confiée à une Equalities Division
qui entend se concentrer davantage sur les inégalités socio-économiques et éviter d’affronter trop directement la question raciale.
Les positionnements identitaires
des minorités ethniques
Avec la progressive disparition des structures d’encadrement ou de
mobilisation traditionnelles, la politisation des mouvements sociaux
par les minorités ethniques tend à prendre une autre forme : la provocation tend à devenir un mode d’expression politique (violences
urbaines, délinquance, « incivilités »), le localisme des revendications se répand et avec lui une certaine forme de clientélisme. Le
contrôle socio-sportif envisagé par les municipalités de Lyon et de
Birmingham n’évacue donc pas complètement l’intervention des
minorités ethniques qui arrivent à pénétrer plus ou moins les appareils discursifs et organisationnels censés les réguler. Pour reprendre
le mot de Jean-François Bayart, on peut considérer que le sport fait
l’objet d’une véritable « réinterprétation appropriante » de leur part,
dans la mesure où sa « neutralité » politique supposée constitue une
zone de revendication légitimée par les pouvoirs publics français et
britanniques1.
Pour se faire entendre efficacement, les minorités ethniques
ont d’ailleurs rapidement compris qu’elles devaient s’adapter, si ce
n’est aux dispositifs, au moins aux discours officiels des autorités
lyonnaises ou brummies, comme l’explique très bien le responsable
des minorités ethniques (Black and Ethnic Communities Principal
Officer) du Leisure Department, fondateur du Pakistan Sports Forum
(une association fondée en 1988 avec l’aide du Sports Council pour
répondre aux besoins sportifs de la communauté pakistanaise), et de
la National Kabaddi Association (créée en 1992 avec l’actif soutien
du service des sports de Birmingham (Sports Section) pour favoriser la
« sportivisation » du Kabaddi, un jeu collectif particulièrement populaire dans le sous-continent indien) : « Dans chaque pays il y a un
système, et si vous êtes en mesure de l’exploiter (tap), alors vous êtes
1. Dans l’ouvrage qu’il a consacré aux États africains, Jean-François Bayart a montré comment les
dirigeants peuvent exploiter la situation de dépendance dans laquelle se trouve leur pays et parvenir à en faire un ressource dans leurs entreprises politiques. Cette « réinterprétation appropriante »
souligne ainsi que, « en Afrique comme ailleurs », le politique se produit « par le bas », et que les
« procédures énonciatives » qui caractérisent le fonctionnement de l’État ne sont pas le propre des
seuls groupes dominants. Voir, L’État en Afrique, Paris, Fayard, 1989.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
en mesure de conquérir et d’affirmer votre position et par là celle de
votre communauté. Maintenant, on nous donne de l’argent [à la
communauté pakistanaise], mais les autres communautés ethniques
sont pour leur part toujours incapables d’établir une infrastructure
dans le domaine du sport et elles continuent à compter sur ce qui
existe. ». (Entretien, juin 1997.)
Cherchant à accéder aux ressources publiques, confrontées à
des règles changeantes pour l’attribution de ces biens, s’initiant à des
technologies politiques nouvelles, les minorités ethniques font
l’apprentissage de la politique comme l’une des dimensions constitutives de leurs expériences quotidiennes. Elles n’hésitent pas, dans ces
conditions, à « ethniciser » (dans le cadre de la Race Relations Unit)
ou à « urbaniser » (dans le cadre du contrat de ville) leurs exigences,
ce qui nourrit finalement la revendication identitaire, ethnique ou
néo-ethnique (ce dernier terme s’appliquant particulièrement aux
minorités de France, qui forment des communautés culturelles urbaines reléguées à la périphérie de la société1) et accrédite la persistance du problème de l’intégration que ces discours (et ces dispositifs) étaient pourtant censés résoudre.
Les relations professionnelles
En matière de politiques publiques, l’éclatement culturel ne concerne
pas uniquement la gestion de multiples minorités ethniques et de leurs
aspirations spécifiques. La différenciation de l’espace public correspond également à une réalité professionnelle, et ceci est particulièrement évident en ce qui concerne les politiques « socio-sportives »
qui, comme leur nom l’indique, tentent de développer une approche
sociale du sport et une « approche sportive » du social. En ce sens, la
tâche de ces dernières consiste à croiser une approche par objectif (la
lutte contre les discriminations), une approche territoriale (les quartiers prioritaires), une approche par public (les minorités ethniques) et
une approche par thème (le sport). Autant de dimensions qui conduisent à assembler des rôles sociaux divers et à adopter des logiques de
fonctionnement « professionnel » souvent très différentes2. À Lyon
comme à Birmingham, l’élaboration des politiques sportives destinées
aux minorités ethniques doit donc passer par la rencontre des référen-
1. Voir Guth Suzie, « Ordre et désordre dans les quartiers de rue », in Revue française de sociologie, XXXVII, 1996, p. 618.
2. Nous appelons « professionnels » ceux qui, grâce à leurs compétences et leurs qualités sociales,
maîtrisent le système d’évaluation, de sanction et de contrôle du travail socio-sportif. Par conséquent, les professionnels rassemblent à la fois des bénévoles et des salariés dans la mesure où ils
imposent leur définition du travail socio-sportif et peuvent donc exclure ou placer en situation de
subordination ceux qui souhaiteraient le redéfinir.
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
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tiels de l’animation sportive et de l’animation socio-éducative dans un
contexte où, de part et d’autre de la Manche, l’opposition entre professionnels de l’une ou l’autre catégorie semble profonde, comme
l’indiquent tour à tour un conseiller technique du service animation
de la direction rhodanienne de la Jeunesse et des Sports et la Sports
Development Officer chargée des femmes : « Les travailleurs sociaux
ont une représentation des sportifs très caricaturale : « c’est du
muscle », « ils ont pas de tête », « c’est des élitistes », « ils sont là pour
exclure » etc. De l’autre côté, il y a une représentation des travailleurs
sociaux par les clubs qui disent « ce sont des charlots », « ils font
n’importe quoi », « ils sont jamais à l’heure ». (Entretien, conseiller
technique Jeunesse et Sports, mars 1996).
« Je pense que, généralement, les Sports Development Officers
ne comprennent pas ce qu’est le Youth work et que, pour sa part, le
service Jeunesse pense que le Sports Development se résume à
gagner des médailles. Il est clair pourtant que je ne travaille pas à ce
niveau ! Je ne suis pas si différente d’une éducatrice en fait, sauf que
je crois fondamentalement aux valeurs du sport. Mais parce qu’il n’y
a pas beaucoup de communication entre les deux, et cela à tous les
niveaux, il y a ce type de malentendu qui se produit. » (Entretien,
Women SDO, juin 1997.)
MÉDIATIONS ET PROCÉDURES
À Lyon comme à Birmingham, l’usage du sport dans les politiques
sociales doit tenir compte de trois temporalités (problèmes, identités,
professions) qui rendent impossible toute régulation de type hiérarchique ou verticale. Il serait néanmoins abusif de considérer, comme
l’affirment Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig, que les pouvoirs
publics se contentent de créer « des fenêtres d’opportunité pour de
l’action collective »1. Certes, les comités de pilotage mis en place par
le contrat de Ville de Lyon, tout comme les Neighboroughs Forums
de Birmingham permettent aux professionnels et aux minorités ethniques de « s’asseoir ensemble, de procéder à des tours de table, de
négocier des enjeux ». Mais ces derniers s’inscrivent dans des procédures relativement contraignantes qui favorisent des formes particulières de communication et un traitement divers de l’information,
selon qu’elles reconnaissent la différenciation sociale (utilisation de
la négociation ou de la délégation) ou s’emploient au contraire à pal-
1. Duran Patrice, Thoenig Jean-Claude, « L’État et la gestion publique territoriale », in Revue française de science politique, XXXXVI, 4, août 1996, p. 602.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
lier les effets de cette différenciation (mise en place de procédures de
coordination ou d’expertise)1.
Lyon : délégation et coordination
À Lyon, l’offre sportive est largement déléguée à des structures de
type associatif qui bénéficient d’une relative indépendance à l’égard
des pouvoirs publics. Ces associations ne manquent pas de se disputer
le « marché des jeunes en difficulté » de manière à affirmer leurs
poids, en termes d’adhérents, auprès des pouvoirs publics. Elles se
livrent, dans ce but, à une guerre sans merci (guerre des tarifs, désinformation, démagogie…). Une telle situation présente évidemment
des menaces pour l’ordre social, notamment parce que ces associations obtiennent des rentes aux dépens des groupes inorganisés. Les
jeunes en difficulté ont finalement le choix entre adhérer aux structures existantes, qui ne répondent pas toujours à leurs attentes spécifiques et qui tentent bien souvent de les « capturer » à leur profit,
s’orienter vers des métiers de l’animation dont les exigences (financières et réglementaires) sont souvent inaccessibles (sans parler des
débouchés, au mieux précaires, le plus souvent incertains), et se
« structurer » en association pour obtenir des moyens dans le cadre
du contrat de ville.
Pour les autorités politiques, la question principale reste, en
tout cas, de coordonner l’activité de ces associations qui demeurent
un relais incontournable entre les habitants et la municipalité : elles
doivent s’assurer que leurs modes de fonctionnement et leurs programmations répondent bien aux exigences du contrat de ville et aux
financements que celui-ci déploie en leur faveur. Mais à trop vouloir
les contrôler, les autorités lyonnaises s’exposent cependant au risque
de voir resurgir les particularismes par la petite porte des réactions
sur le terrain : certaines associations manifestent régulièrement leur
hostilité à l’égard de la « réunionite » qui caractérise, selon elles, le
fonctionnement du contrat de ville de Lyon, et revendiquent davantage de temps, de moyens et d’autonomie. Toute l’astuce du pilotage
politique consiste alors à déclencher des processus d’autorégulation,
susceptibles de contourner l’hostilité des structures, à la manière de
ces chartes d’animation pilotées par le service DSU (développement
social urbain) de la ville de Lyon, qui tentent de responsabiliser les
associations en les appelant à se concerter régulièrement. Le recours
à la contractualisation permet ainsi de développer un « projet » susceptible de traduire « un objectif d’ensemble qui puisse relier diffé-
1. Voir Papadopoulos Yannis, Complexité et politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1995.
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
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rents dossiers couramment traités de manière sectorielle et appelant
une hiérarchisation entre des priorités »1.
Birmingham : expertise et négociation
À Birmingham, la question est moins de coordonner les activités des
différentes structures – celles-ci dépendent directement du Department of Leisure and Community Services (DLCS) – que d’assurer une
programmation sportive conforme aux attentes du public en général,
et des minorités ethniques en particulier. Cette situation est renforcée
par une offre sportive de plus en plus soumise à des contraintes budgétaires et électorales qui obligent la municipalité à optimiser au
mieux ses animations et ses installations. La mise en place d’une
expertise sur ces questions, avec la création de la Race Relations Unit
puis de l’Equalities Divison, et la nomination d’un Race Relations
Officer au sein même de la DLCS, participe ainsi d’une volonté
d’objectivation de la question ethnique susceptible de garantir une
lutte « rationnelle » contre la discrimination.
C’est sans doute le sens que l’on peut prêter à la « nouvelle
politique » (new policy) engagée dès son arrivée en 1996 par le nouveau responsable de la Sports Section, dans la mesure où ce dernier
entend bien imposer l’usage du sport à tous les professionnels de la
DLCS par le biais d’une négociation préalable censée dépasser les
querelles de système. Le recours aux techniques du management est
finalement assez significatif d’un « nouveau langage » et d’une
« nouvelle culture », pour reprendre les expressions utilisées par ce
responsable, qui envisagent de se débarrasser de tout jugement moral
pour se concentrer uniquement sur « l’efficacité » et la « satisfaction »
des publics. Que ce soit par la constitution d’un marché de fournisseurs de services sportifs (privatisation de l’offre sportive dans le
cadre du CCT2), la création de mécanismes où les minorités ethniques peuvent exprimer leurs préférences et faire leur choix (études de
marché, consultation marketing), l’utilisation de contrats pour définir
et gérer les relations au sein du secteur public (avec le Pakistan Sports
Forum par exemple), ou l’établissement d’un lien plus fort entre le
1. Gaudin Jean-Pierre, Les nouvelles politiques urbaines, Paris, PUF, 1993, p. 97.
2. Dans le cadre des restrictions budgétaires imposées aux gouvernements locaux par les conservateurs, un certain nombre de biens et de services publics ont été privatisés à partir de la fin des
années 1980. Le secteur sportif a été particulièrement concerné dans la mesure où l’introduction du
Compulsory Competitive Tendering (littérallement : appel d’offre obligatoire) a obligé dès 1989 les
municipalités à confier la gestion de leurs équipements sportifs (essentiellement les Sports Centers,
jugés trop coûteux) à des entreprises privées, selon les lois de la libre concurrence. Concrètement,
si la municipalité reste en mesure de contrôler les prix et les programmes de ces centres, c’est
désormais l’entreprise contractante qui gère la maintenance et la qualité de l’accueil du public.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
paiement d’un service et sa satisfaction, ce modèle suggère qu’en
établissant des mécanismes de quasi-marché, la gestion des besoins
des minorités ethniques peut être améliorée.
LA CONSTRUCTION
D’UN RÉFÉRENTIEL SPORTIF
De part et d’autre de la Manche, la crise structurelle traversée par les
sociétés françaises et britanniques invite donc les gouvernements à
repenser le rôle de l’État et ses relations avec les populations. On assiste
à un transfert du public vers le privé de la gestion sociale des populations, et notamment des minorités ethniques. Sous couvert de « démocratisation », l’appel au marché ou aux structures « privées » (entreprises
ou associations), voire à la responsabilité individuelle, est une manière
d’éviter une définition globale du problème, au profit d’une gestion
pragmatique des différences culturelles, voire de substituer l’auto-contrainte aux régulations d’ordre étatique et institutionnel. Au-delà des
procédures néanmoins, le problème posé aux pouvoirs publics reste
d’assurer la cohésion des différentes dynamiques mentionnées plus
haut, dont l’articulation n’est pas toujours évidente. La mobilisation de
l’idéologie sportive, en tant qu’intériorisation méconnue de l’ordre
social recodé en catégories de perception, opère dès lors une mise en
ordre symbolique qui permet non seulement d’unifier les acteurs entre
eux, mais également de remettre bien plus insidieusement « à leur
place » les acteurs subordonnés que sont les minorités ethniques1.
Le sport pour « cartographier » la réalité
De part et d’autre de la Manche, le regard porté sur les pratiques
sportives des jeunes des quartiers, et en particulier des minorités ethniques, apparaît comme essentiellement normatif : il serait plus normal de jouer au football en club que dans la rue ou sur un terrain de
proximité, le premier relevant du lien sociétaire, le second du lien
communautaire2. Associé au système de valeurs sportif, ce postulat
contribue à tracer des repères de type symbolique qui permettent aux
1. Voir, Neveu Érik, Une société de communication ?, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs/Politique », p. 140.
2. Cet aspect a été clairement mis en évidence par Garnier Pascale, « Critiques des théories de la
socialisation », in Du Stade au Quartier, actes du colloque « Le rôle du sport dans l’intégration
sociale des jeunes », Paris, Syros/Alternatives, 1993, p. 43-59. Voir. également : Chantelat Pascal,
Fodimbi Michel, Camy Jean, Sports de la cité, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces et Temps du
Sport », 1996.
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
119
minorités ethniques, mais aussi aux professionnels et aux hommes
politiques, de s’orienter dans une réalité sociale particulièrement
complexe et incertaine1. Tout se passe comme si en luttant contre les
décalages qui menacent le fonctionnement du système d’allocation
des ressources, les élus, les minorités ethniques et les professionnels
étaient conduits à sélectionner la vision du monde dont l’intérêt practico-social apparaissait comme le plus évident. Ils se mettent dès lors
à penser l’intégration des minorités ethniques dans les limites tracées
par l’idéologie sportive. Mais si l’intégration des minorités ethniques
doit se faire par le sport, elle ne se confond pas pour autant avec lui
tant il est vrai que les finalités de l’animation socio-éducative et de la
prévention spécialisée ne peuvent reproduire des démarches et des
techniques pédagogiques qui ne répondent pas strictement à ses
attentes… Autant dire qu’en matière d’intégration, on fait moins souvent du sport que de l’animation sportive. Distinguo subtil, mais qui
marque bien le processus d’idéologisation mis en œuvre par les politiques socio-sportives : les acteurs que nous avons rencontrés s’appuient
sur des valeurs et des principes qui n’ont d’autres fonctions que celle
d’orienter, de « cartographier » (pour eux, comme pour les acteurs
extérieurs) la réalité sur laquelle ils interviennent. Un « découplage »
avec la réalité qui n’a finalement d’autre fonction que de garantir la
stabilité, la légitimité et le niveau de ressources des acteurs2.
Dans cette perspective, si l’enchevêtrement des référentiels
favorisé par l’ouverture des politiques publiques au débat local ne
manque pas de multiplier les désajustements et les dissonances au
sein des différents « forums » mis en place par les pouvoirs publics,
l’usage du sport inscrit ces derniers dans un système d’interprétation
du réel qui favorise un processus d’alignement entre les problèmes,
les ressources et les acteurs.
L’analyse des systèmes d’action publique lyonnais et brummie
fait en effet apparaître l’existence de réseaux où les acteurs se connaissent ou se reconnaissent progressivement autour de l’idée que les
principes du sport ont joué et peuvent encore jouer un rôle en
matière d’intégration. De part et d’autre de la Manche, les stratégies
des professionnels et des minorités ethniques postulent l’efficacité du
sport comme appareil régulateur ou comme vecteur identitaire. Le
1. Selon l’ethnologue américain Clifford Geertz, « La fonction de l’idéologie est de rendre la politique possible en lui fournissant des concepts dotés d’autorité et capables de lui donner sens, ainsi
que des images évocatrices à l’aide desquelles la réalité politique puisse être saisie de façon
sensible ». Cité par Boudon Raymond, L’idéologie ou l’origine des idées reçues (1986), Paris, Seuil,
coll. « Points/Essais », 1992, p. 74.
2. Voir notamment les analyses psycho-cognitives de Lipiansky Marc E., « Représentations sociales
et idéologies. Analyse conceptuelle », in Aebischer « Verena », Deconchy Jean-Pierre, Lipiansky
Marc E., Idéologies et représentations sociales, Fribourg, Delval, 1992, p. 35-63.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
caractère « organique » du sport, au sens où Gramsci qualifiait d’organique les idéologies qui rendent possible le « consentement actif » des
minorités et l’hégémonie du groupe social dominant1, apparaît clairement dans cette capacité à être accepté – et légitimé – tout autant par
les dominants que les dominés, les hommes que les femmes, les blancs
ou les noirs, les racistes ou les antiracistes, de droite comme de gauche. Or, si chacun est en mesure de donner sa propre définition du
sport, tous agissent à l’intérieur d’un cadre référentiel hérité de l’olympisme qui borne les limites de la réflexion et les place « sous la
coupe » d’un certain nombre de postulats et d’axiomes qui vont sans
dire, même si leur univers pluriel et multiculturel se présente comme
une « boîte noire » dans laquelle aucun consensus ne paraît possible.
Le sport comme cheval de Troie néo-libéral ?
La capacité d’action des minorités ethniques ne saurait donc être uniquement déduite des procédures : elle est également liée aux composantes symboliques, c’est-à-dire aux dimensions proprement culturelles de la mobilisation, qui consistent en symboles d’identification et
en modèles de références2. En ce sens, le référentiel sportif participe
au modelage et au remodelage des identités collectives et sert à définir les orientations pour l’action. L’analyse des discours des professionnels français et britanniques, des publications officielles et scientifiques sur le sport comme « moyen d’intégration » montre que
toutes ces institutions opèrent un travail de traduction du référentiel
sportif à l’usage des politiques sociales, de leurs problématiques et de
leurs objectifs particuliers, qui favorise clairement sa sédimentation
dans le sens commun des acteurs.
On constate tout d’abord une nationalisation de l’idéologie
sportive aux conceptions françaises et britanniques en matière d’allégeance politique. Outre-Manche, le sport est considéré comme un
élément central du patrimoine national ; il est chargé de diffuser les
bonnes manières du « British Way of Life » (self-control, self-government, fair-play…) indispensables à la cohabitation harmonieuse de
communautés juxtaposées (colons et indigènes hier, anglais et minorités ethniques aujourd’hui). En France, le sport est surtout vanté pour
ses qualités socialisatrices et pacificatrices ; il doit favoriser l’intégration docile des minorités ethniques en gommant les particularismes
les plus ostentatoires.
1. Gramsci Antonio, Gramsci dans le texte (textes choisis), Paris, éditions Sociales, 1975, p. 131239.
2. Chazel François, « La mobilisation politique : problèmes et dimensions », Revue française de
science politique, XXV, 3, juin 1975, p. 516.
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
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Mais la mobilisation des valeurs et des principes du sport au
service de l’intégration participe surtout à la rationalisation d’un certain nombre de problématiques contemporaines. Dans un contexte
de fortes pressions structurelles ou électorales qui, du néo-libéralisme
au néo-racisme, militent pour une remise en question du droit à
l’égalité, le recours aux principes et aux valeurs du sport permet de
légitimer, voire de normaliser, une certaine forme d’action publique
fondée sur l’indifférenciation et la responsabilisation des publics, et
de résoudre la contradiction entre un droit à l’égalité légalement proclamé de part et d’autre de la Manche et la pénétration progressive
d’idéologies fondées sur la sélection.
Tout se passe en fait comme si les pouvoirs publics lyonnais et
brummies utilisaient les valeurs et les principes sportifs pour surmonter les contradictions d’une intégration qui cherche à la fois à favoriser l’allégeance et la citoyenneté des minorités ethniques à l’État et à
la Nation sans pour autant inhiber leurs capacités d’initiative individuelle. On peut dès lors comparer l’influence de l’idéologie sportive
sur la question du multiculturalisme à celle que Danilo Martuccelli
attribue à l’idéologie libérale : l’une et l’autre exigent que l’on cesse
de penser l’égalité à l’intérieur d’une conception globale de l’injustice renvoyant à une situation structurelle de domination et d’exploitation, pour se déplacer vers une conception de la justice sociale en
tant qu’égalité de chances. « Dès lors, la société cesse d’être conçue
comme un lieu de conflit pour devenir le lieu d’une « course »
sociale. Désormais il s’agit d’assurer une participation égalitaire au
sein de la compétition sociale »1. À la différence de l’idéologie néolibérale néanmoins, le discours sportif ne connaît pas de frontières
sociale, culturelle ou politique, et son envahissement progressif des
politiques sociales permet d’agir directement sur la façon dont les inégalités sont perçues par les professionnels et les minorités ethniques :
de la même manière que les règles sportives sont aujourd’hui reconnues comme les alliées principales de la civilité, la technique sportive
indifférenciée devient celle de la libre concurrence, et le culte de la
performance celui de la compétition économique généralisée.
*
*
*
1. Martuccelli Danilo, « Les contradictions politiques du multiculturalisme », in Wieviorka Michel
(dir.), Une société fragmentée ?, Paris, La Découverte, coll. « Poche/Essais », 1997, p. 65. Sur
l’influence du sport sur les représentations sociales, voir, Ehrenberg Alain, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991. Pour une analyse plus radicale, voir les ouvrages classiques de
Brohm Jean-Marie, notamment, Les meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan,
coll. « Nouvelles études anthropologiques », 1993.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Le caractère composite de l’idéologie sportive permet de fabriquer de l’ordre social par un jeu de « frottements » entre des dynamiques et des systèmes de représentations et de normes différents, rassemblés autour de principes et de valeurs consensuels et sans doute
historiquement nécessaires, qui ont pour principal mérite de les faire se
tenir ensemble. L’analyse des modalités de mobilisation des minorités
ethniques montre clairement que c’est en tentant de contrôler les pressions exercées par les politiques socio-sportives de manière à poursuivre leurs propres orientations que ces dernières s’inscrivent dans un
processus d’apprentissage intellectuel qui les conduit à réinterpréter,
puis à intégrer, les images du changement social définies par les pouvoirs publics. Dans cette optique, et de même qu’elles n’hésitent pas à
« ethniciser » ou à « urbaniser » leurs revendications, les minorités ethniques se « sportivisent » pour accéder aux ressources publiques,
comme en témoignent la création du Birmingham Pakistan Sports
Forum et de la National Kabaddi Association ou l’orientation massive,
à Lyon, d’un certain nombre de jeunes maghrébins vers les métiers de
l’animation sportive, voire leur volonté de se constituer eux-mêmes en
associations socio-sportives. Loin d’être neutre, ce processus engage
une relation hégémonique dans la mesure où la valorisation et la diffusion du modèle sportif traditionnel par les pouvoirs publics français et
britanniques traduit leur volonté d’avoir prise sur les minorités ethniques et de définir à leur place le sens de leur intégration. Ainsi, et
comme l’expriment clairement les termes de « nouveau langage » ou
de « nouvelle culture », le recours au sport dans les politiques d’intégration des minorités ethniques s’apparente à un processus de définition sociale de la réalité qui contribue à baliser cognitivement le débat
sur l’intégration et réduit la capacité des minorités ethniques à maîtriser et à contrôler le développement de la société.
On peut dès lors supposer que ce qui distingue les activités
sportives traditionnelles d’autres types de mobilisations qui font du
corps un support de leurs revendications, c’est leur capacité à maintenir dans le temps et dans l’espace un certain nombre de repères et
de valeurs : là où la danse, le théâtre ou encore la parade carnavalesque peuvent valoriser des stigmates sexuels ou ethniques en revendiquant des relations qui échappent à la rationalité calculatrice et
quantitative du capitalisme moderne, le modèle sportif traditionnel
requiert au contraire une « programmation » beaucoup plus rigoureuse des comportements individuels1. En rassemblant les éléments
1. Entre autres exemple, et pour illustrer le caractère fondamentalement conservateur du sport
moderne, la Fédération internationale de patinage artistique a refusé d’homologuer les Jeux homosexuels d’Amsterdam parce que ses nouvelles règles excluent la pratique du patinage par couples
du même sexe. Voir Libération, 10 août 1998.
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L’IDÉOLOGIE SPORTIVE COMME FACTEUR D’ORDRE
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les plus transposables de la culture universaliste, c’est-à-dire la technique moderne et la compétition, qui ne prêtent apparemment guère
à contestation culturelle, l’idéologie sportive se présente comme une
alliée efficace de l’ordre établi et, plus fondamentalement, des logiques de développement de nos sociétés modernes.
Références bibliographiques
ARNAUD Lionel, Politiques sportives et minorités ethniques, Paris,
L’Harmattan, coll. « Logiques Politiques », 1999, 312 p.
ARNAUD Lionel, « Le sport, entre citoyenneté et assujettissement culturel. Ethnicité et politiques sportives municipales à Lyon et à
Birmingham », in Les Annales de la Recherche Urbaine, 79,
1998, p. 134-141.
EHRENBERG Alain, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy,
1991, 323 p.
VERMA Gajendra K. and DARBY Douglas S., Winners and Losers. Ethnic
minorities in Sport and Recreation, Londres, The Falmer Press,
1994, 170 p.
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Troisième partie
LA GESTION
DES RISQUES
DANS LE MONDE
DU SPORT
■
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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LA VIOLENCE
DES SUPPORTERS
AUTONOMES DE FOOTBALL :
À LA RECHERCHE
DE CAUSALITÉS
■
Williams NUYTENS
Résumé : traversé par des logiques qui le structurent de plus en plus, le
spectacle du football mobilise une population qui rassemble de nombreux
profils de supporters. Bien que l’hétérogénéité des publics fasse mentir les
interprétations globalisantes mettant l’accent sur la généralisation du phénomène hooligan, elle contribue en revanche à alourdir la tâche des services d’ordre dans les stades. Il s’agit, ici, de mesurer le rôle des forces de
l’ordre à l’intérieur des enceintes sportives et de tenter de démontrer que le
recours à l’interprétation des statistiques, considérées isolément, est insuffisant pour saisir la portée de l’action policière. Par ailleurs, la distinction
nette élaborée entre supporters et hooligans, supportérismes atypiques et
instincts belliqueux, provocations et agressions vise à convaincre que le
désordre public autour du football n’est pas le fait des supporters mais de
groupes dont il faut saisir la dynamique propre.
L’étude des publics du Racing club de Lens (RCL) permet de
proposer une « étiologie » des violences entourant les rencontres de
football. Celle-ci vise à identifier deux sortes de déterminants liés aux
relations qu’entretiennent entre eux les différents acteurs du
spectacle sportif : d’une part, le rôle joué par les agents des forces de
l’ordre pendant les matchs (peut-on croire, par exemple, qu’ils participent au désordre public ?) ; d’autre part, l’histoire plus ou moins
récente des rencontres entre supporters de différentes équipes laisset-elle surgir des contentieux passés qu’il conviendrait de régler ?
(autrement dit, les groupes de supporters ont-ils une mémoire ?).
DE TOUS LES SPORTS,
LE FOOTBALL EST LE PLUS ATTRACTIF
Le phénomène social du football est un objet de recherche pluriel. Il
est à la fois une pratique récréative pour une population massive et
l’occasion de s’engager plus ou moins dans une compétition. Depuis
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
les « pratiquants sauvages » d’un jour jusqu’aux professionnels considérés comme les rouages essentiels des techniques de mercatique, il
n’y a pas de sport qui soit plus populaire que le football. Son degré
de spectacularisation le distingue également des autres disciplines
sportives.
Si la plupart des sports modernes sont doubles, pratique et spectacle1, le spectacle du football correspond à ce qu’il y a de plus abouti
parce qu’il est, sans doute, le mieux fabriqué. Nombreux sont les facteurs qui font de lui un pôle d’attraction pour des dizaines de millions
de personnes à travers le monde : ses caractéristiques organisationnelles facilitent les mobilisations collectives, l’incertitude sur laquelle il
repose stimule les émotions, le mécanisme de l’identification des
spectateurs à une équipe maintient les engagements, le contenu événementiel qu’il dégage brasse même au-delà des passionnés… Sa
réussite est telle que l’assistance moyenne des grands stades français
atteint un niveau jamais égalé2. En outre, la consommation des produits dérivés du football explose sur le modèle des situations anglaise
et allemande, tandis que se créent des chaînes de télévision entièrement consacrées à la retransmission des matchs. Afin de satisfaire une
demande sociale en nette expansion, des clubs mettent en place de
véritables supermarchés dont l’activité se concentre sur le produit
« football ». Quant à la presse axée sur ce sport, son état de santé
s’améliore d’années en années. Si un quart des hebdomadaires sportifs
diffusés en France se rapporte exclusivement au football, il en est de
même en ce qui concerne le nombre de titres spécialisés dans le traitement de ce que l’on appelle parfois une « passion planétaire »3.
De plus, la combinaison de plusieurs indicateurs atteste que la
popularité du football dépasse aisément les frontières des enceintes
architecturales vouées au spectacle sportif. Et parce que rien ne serait
plus mobilisateur que le football, parce qu’il offre une occasion de se
mettre en scène socialement, parce que plusieurs événements footballistiques ont été le cadre d’affrontements entre spectateurs, toute
rencontre de haut niveau pose des problèmes en matière d’ordre
public.
Au-delà d’un bilan comptable des heurts enregistrés lors des
matchs de football, et nous gardant bien, par ailleurs, de stigmatiser
1. Cette ambivalence a été relevée par Marc Augé, « Football : de l’histoire sociale à l’anthropologie religieuse », Le Débat, n° 19, février 1982, p. 61.
2. Parmi les éléments qui participent à cette progression, la rénovation récente des enceintes sportives françaises constitue un accélérateur remarquable. C’est là une situation déjà signalée pour
rendre compte des affluences dans les stades anglais. Sur ce point, Bozonnet Jean-Jacques, « Le
football séduit les femmes », Le Monde, 27 septembre 1995.
3. Pour des données chiffrées plus précises, Bourg Jean-François, « Le marché de la presse
sportive », Problèmes économiques, n° 2503, 15 janvier 1997, p. 19-26.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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les groupes de supporters « autonomes » souvent présentés comme
responsables de tous les maux affectant le spectacle sportif1, nous
souhaitons dégager une explication des violences se déroulant dans
et autour des stades de football2. Deux raisons principales ont motivé
notre travail : d’une part, les débordements des supporters signalent
l’existence de « dysfonctionnements » suffisamment importants et
complexes pour être traités par la sociologie ; d’autre part, les violences affectent un système des sports traditionnellement peu amène à
l’égard de qui l’interrogent sans en faire partie.
VIOLENCES DANS LES STADES :
UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE
La violence des supporters est devenue, au même titre que la présence des médias, un élément du spectacle footballistique contemporain. La population des partisans du RC Lens fait figure de référence
dans le monde du supportérisme : on lui prête les conduites les plus
sportives, le soutien le plus indéfectible qui lui a valu à plusieurs
reprises le titre symbolique de « meilleur public de France ». Pourtant, au stade Bollaert (qui accueille les matchs « à domicile » du
club de Lens) comme ailleurs, des événements viennent écorner
l’image consensuelle et entretenue d’un public que tous les dirigeants de clubs souhaitent posséder.
Pour satisfaire aux exigences d’une « étiologie » des violences des supporters, nous nous sommes mêlés à certaines associations les regroupant et les avons côtoyés au stade de Lens et lors de
plusieurs déplacements. Riche de cette expérience3, nous proposons de mettre à jour les arcanes du supportérisme lensois. Le premier enseignement qu’il convient de retenir malmène l’idée selon
laquelle la présence individuelle dans un stade garni noierait la
1. Ce qualificatif appelle quelques précisions : la population des supporters n’étant pas homogène,
on trouve, d’un côté des partisans isolés, de l’autre des groupes aux supportérismes variés. Si la plupart des supporters sont affiliés au réseau officiel de soutien, les supporters autonomes s’en éloignent et composent divers groupes que l’on qualifie encore d’indépendants. Leur mode de pratique
peut s’inscrire dans les courants ultra, hooligan ou encore casual… Voir, à ce sujet : Le Noé Olivier,
« Football et violence », Regards sur l’actualité, n° 243, juillet-août 1998, p. 55-70 ; Mignon
Patrick, La violence dans les stades : supporters, ultras et hooligans, Paris, Les Cahiers de l’INSEP,
n° 10, Institut national du sport et de l’éducation physique, 1995.
2. Le présent article est une version partielle et synthétique de Nuytens Williams, L’insécurité dans
et aux abords des stades de football. Analyse sociologique à partir du cas des supporters autonomes
à Lens, rapport de recherche (suivi par Jean-Charles Basson), Institut des hautes études de la sécurité
intérieure, Paris, 1998.
3. Concrétisée notamment par la participation à : Carpentier Catherine, Demazière Didier, Maerten Yves, Nuytens Williams, Roquet Pascal, Le peuple des tribunes, Béthune, Musée d’ethnologie
régionale de Béthune, documents d’ethnographie régionale du Nord-Pas-de-Calais, n° 10, 1998.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
conscience individuelle1. Des analyses contemporaines invalident
les conséquences supposées du processus de « massification » sur
le déclenchement des violences2.
Vérifié empiriquement, le principe de l’hétérogénéité des supporters conduit à rechercher avec exactitude les types de partisans
responsables du désordre public dans les stades. À ce titre, les supporters autonomes méritent une attention particulière. Ils forment une
population bigarrée à la gestuelle codifiée, au répertoire de chants
fourni, aux affinités politiques plus ou moins marquées et aux symboles identitaires variés. Ils participent activement au spectacle des tribunes qu’ils animent et s’inscrivent dans un réseau de concurrence
composé des différents groupes indépendants accompagnant les
clubs en déplacement. Le fait est que la compétition entre les groupes déborde parfois les frontières de l’admis, du licite et de l’acceptable dans un stade de football, ou en ville. Et, si bien souvent les scènes d’excitation vont de l’échange de « douceurs chantées » à une
surprenante pantomime, ce manège de provocations débouche parfois sur un affrontement au corps à corps.
Pourquoi les supporters autonomes lensois pratiquent-ils la
violence en certaines occasions ? Compte tenu du caractère irrégulier
des manifestations violentes au stade Bollaert, nous nous sommes
demandé si elles n’étaient pas liées aux types de supporters adverses
rencontrés ainsi qu’à la nature de leurs précédentes confrontations.
Autrement dit, existe-t-il une histoire des contentieux entre les groupes de supporters susceptible d’expliquer les violences enregistrées à
Lens lors des rencontres de football ? Et, dans la mesure où certains
membres de ces groupes sont chargés d’entretenir l’histoire de leur
mouvement, représentent-ils un vecteur d’entretien de la mémoire
des associations auxquelles ils appartiennent3 ? Cette question concerne directement l’ordre public dans la mesure où, rarement vierge
de heurts, l’histoire des confrontations entre supporters de différentes
équipes est jonchée de contentieux d’importance variable.
Par ailleurs, partant du principe que les supporters ne sont pas
les seuls à occuper l’espace du spectacle footballistique, nous nous
sommes tourné vers un autre déterminant possible des déborde1. On reconnaît là l’influence des travaux de Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, PUF,
coll. « Quadrige », 1991 (1895 pour la première édition).
2. Bien qu’il y ait effectivement « une incorporation du spectateur dans la masse », il ne faut pas
confondre incorporation et massification. Sur ce point : Sofsky Wolfgang, Traité de la violence,
Paris, Gallimard, coll. « Essais », 1996, p. 100.
3. Les entretiens menés avec les membres des groupes de supporters autonomes confirment l’existence d’une véritable répartition des tâches. On note, par exemple, la présence d’un « spécialiste »
du mouvement chargé de se documenter, de collectionner les symboles des « groupes de
légende », d’entretenir plusieurs correspondances avec d’autres supporters, de diffuser un journal
interne (le fanzine) dans lequel il rappelle ce qu’est l’histoire du groupe et ce qu’elle représente.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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ments. Alors que certaines analyses voient dans les médias de possibles « responsables indirects » des violences, nous nous interrogeons
sur l’éventuel caractère déclencheur joué par la présence des forces
de l’ordre dans et aux abords des stades. Qu’il s’agisse des agents de
la police urbaine (PU) ou de ceux des compagnies républicaines de
sécurité (CRS), les soirs de matchs sont tout autant rythmés par le
spectacle des foules partisanes que par la mobilisation d’un corps
dont la mission reste le maintien de l’ordre public. Pour légitime
qu’elle soit, une telle mobilisation doit être discutée par une sociologie dont la finalité est d’identifier les divers déterminants qui concourent au développement des violences dans un stade. Alors que la
tâche des forces de l’ordre oscille entre prévention et répression, il
est possible de se demander si elles n’influencent pas négativement
les conduites des supporters autonomes. Tout comme les particularités de l’univers carcéral attiseraient la solidarité entre les détenus1, le
relatif coudoiement entre les forces de l’ordre et certains supporters
encouragerait l’organisation de ces derniers.
À PROPOS DE LA NATURE
DES DONNÉES RECUEILLIES
Si les hypothèses de ce travail placent sur un pied d’égale responsabilité les agents de maintien de l’ordre et les supporters, c’est à
l’empirie de départager le rôle et l’importance des principaux acteurs
des scènes de débordement dans les stades. On se base ici sur le
recensement de l’ensemble des contentieux survenus au stade de
Lens depuis la saison 1993-1994 (S1 pour première saison) jusqu’à
l’exercice 1997-1998 (S5 pour la cinquième saison). Le choix de ces
cinq saisons est d’ordre pragmatique mais suffit pour profiter des
enseignements produits par une analyse longitudinale. Nous ajoutons que les événements pointés relèvent tous des matchs joués dans
le cadre de la compétition appelée « Championnat de France de première division ». Par « ensemble des contentieux » il faut comprendre à la fois les heurts enregistrés dans et aux abords du stade ainsi
que dans la ville de Lens, le tout avant, pendant et après les rencontres de football. Enfin, depuis les violences entre supporters jusqu’aux
agressions des agents des forces de l’ordre, le traitement saisit toutes
les formes de débordement.
1. Encore faut-il qu’il y ait un contexte favorable à cet effet. Cela étant, l’analogie paraît pertinente
dans le cadre de l’hypothèse proposée. Sur ce point Foucault Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 269 et suivantes.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Les archives officielles exploitées correspondent aux matériaux
diffusés par les principaux acteurs des services d’ordre mobilisés à
Lens. C’est la raison pour laquelle les données produites par la gendarmerie mobile ne figurent pas parmi nos sources qui regroupent :
– toutes les notes de service issues du commissariat de Lens
ainsi que quelques messages ou rapports de service émis par la sécurité générale de Lens. L’ensemble a permis de comptabiliser les
moyens en service d’ordre affectés lors des quatre-vingt-douze
matchs de l’échantillon, d’en dresser la distribution et d’identifier les
contentieux ;
– les rapports techniques de service (RTS) diffusés par les commandements des CRS mais limités aux seules pièces archivées au
commissariat central de Lens. Nous avons ainsi pu profiter des vingt
RTS les plus significatifs concernant notre objet1 ;
– une quinzaine de documents (notes et notes de service) provenant du dépouillement des archives de la Direction départementale des renseignements généraux. Ces éléments sont intéressants
parce qu’ils fournissent des informations qui vont au-delà des cinq
saisons de l’échantillon. Grâce à une telle composition de données,
nous allons tenter de montrer comment les conduites des supporters
sont conditionnées par celles de l’appareil policier. C’est par le
même cheminement que nous explorons l’hypothèse de l’histoire des
contentieux entre les groupes de supporters2.
VIOLENCES DES SUPPORTERS
ET APPAREIL POLICIER :
INFLUENCE CASUELLE OU NÉCESSITÉ ?
Afin de lire clairement l’influence des forces de l’ordre sur les conduites de supporters, nous avons recours à l’analyse longitudinale.
C’est-à-dire qu’on ne se préoccupe pas ici du type de rencontre, ni
même de l’identité des supporters adverses (on neutralise ainsi la
variable « enjeux sportifs »). La question qui nous guide est simple :
peut-on croire à l’existence d’un système policier à la fois maladroit
et mal utilisé ? Pour le savoir, nous allons tout d’abord examiner les
1. Il ne faut donc pas s’étonner de l’absence d’exhaustivité. Il était en effet inopportun de rassembler tous les RTS puisque le travail ne concerne pas toutes les violences dans tous les stades français. À propos de la notion d’exhaustivité dans le traitement des RTS Fillieule Olivier, Les
déterminants du recours à la manifestation dans les années 80, Paris, IHESI, coll. « Études et
Recherches », 1994.
2. Que le lecteur ne se méprenne pas sur nos méthodes de travail. Bien que les données utilisées
ici soient d’ordre quantitatif, nous nous sommes, par ailleurs, attaché à l’interprétation du discours
des acteurs et à l’observation.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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moyens en service d’ordre (quelle est la catégorie d’agents la plus
représentée, par exemple ?) et leur répartition dans l’espace (la présence au stade est-elle privilégiée, par exemple ?). Enfin, nous confronterons ces variables avec le nombre de rencontres avec violences
ayant eu lieu au cours des quatre-vingt-douze matchs retenus dans
l’échantillon.
Première constatation, la mobilisation des services d’ordre
fluctue d’une saison à l’autre en raison de plusieurs paramètres. En
premier lieu, les équipes visiteuses changent d’une saison à l’autre au
gré des résultats sportifs. Avec elles, c’est tout un cortège de modifications qui apparaît : l’arrivée de nouveaux supporters adverses
compte parmi les plus sensibles1. En second lieu, selon que la rencontre est classée « à risque » ou pas, la mobilisation des services
d’ordre varie. D’une saison à l’autre, il faut tenir compte du nombre
fluctuant de ce type de matchs particulièrement surveillés. À Lens,
sur cinq saisons, 9 583 agents de la police urbaine et trente-sept CRS
ont été affectés au maintien de l’ordre dans le cadre des matchs de
championnat. Par rapport à un total de quatre-vingt-douze matchs et
compte tenu d’un effectif moyen de quatre-vingt-un agents par CRS,
« l’ordre public moyen » est assuré par cent quatre agents de la
police urbaine et trente-deux agents des CRS pour une affluence au
stade dépassant régulièrement les 20 000 spectateurs. Selon les données collectées, deux saisons ont été le cadre de présences policières
fortes. Alors que les effectifs de la police urbaine dépassaient les
1 600 agents en S1 et S2 (respectivement 1 677 et 1 611 agents), les
chiffres se rapportant aux deux saisons suivantes attestent une nette
augmentation des effectifs : 2 348 et 2 415 agents en S3 et S42. Pourtant, dans le même temps, les moyens des CRS ont régressé de huit
compagnies en S1, à six en S2 et cinq en S3, avant de doubler la saison suivante (dix CRS en S4). L’évolution est encore plus surprenante
si l’on se fie au nombre de rencontres jouées lors de ces différentes
saisons : dix-neuf matchs pour les trois premières saisons, contre dixhuit matchs pour la saison au cours de laquelle la présence des forces
de l’ordre était la plus marquée. Quant à la dernière saison de
l’échantillon (1997-1998), on comptabilise la mobilisation de 1 532
agents de la police urbaine et de huit CRS pour un total de dix-sept
matchs. Comment peut-on expliquer le « pic » de mobilisation en S3
et en S4 ?
1. Cet élément est très important puisque chaque déplacement d’une équipe est précédé de l’envoi
d’un portrait type des futurs supporters visiteurs. On le doit aux services de police de la ville dans
laquelle se trouve le club qui est appelé à se déplacer. Aussi, plus une équipe fréquente le stade de
Lens par exemple, plus les services de sécurité présents au stade de Lens connaissent ses supporters.
2. Nous rappelons que S1 (la première saison de notre échantillon) correspond à la saison 19931994.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
D’une part, à la veille d’une manifestation sportive de l’ampleur
de la Coupe du monde de football, il est possible que les autorités
aient souhaité mettre au point les services d’ordre1. Aussi, les saisons
1995-1996 et 1996-1997 offraient-elles de réelles opportunités en
matière de « rodage » des structures organisationnelles. Du même
coup, on rassure la conscience collective en faisant du stade de Lens
un espace où règne la sécurité. D’autre part, la forte présence policière répondait au développement d’un supportérisme autonome
français, encore à l’état de pratique isolée. Les groupes se sont multipliés sur le modèle des pratiques ayant cours à Paris ou à Marseille,
même si les partisans autonomes lensois revendiquent leur singularité. En ce qui concerne la faible présence des forces de l’ordre lors
de la saison 1997-1998, il est possible d’avancer un élément de
réponse. Depuis le mois d’octobre 1997, le club de Lens se charge
de plusieurs niveaux de sécurité et d’accueil. Aussi, les « stadiers » du
RCL ont permis d’économiser une quarantaine d’agents issus principalement de la police urbaine. Néanmoins, compte tenu du nombre de
rencontres enregistrées lors de cette saison, l’idée souvent avancée
d’un « système sécuritaire lâche » n’est pas recevable. Si l’on compare, en les ramenant sur des bases équivalentes, les saisons 1 et 5,
on constate même une légère progression de la mobilisation des forces de l’ordre.
Si l’on regarde, à présent, la distribution des agents de la PU et
des CRS, on constate, qu’en moyenne et sur les cinq saisons de
l’échantillon, un peu moins des trois quarts des effectifs sont affectés
à la sécurité au stade. Si la circulation en ville constitue toujours le
pôle d’affectation le moins pourvu, la répartition des effectifs au stade
et en ville varie d’une saison à l’autre. De façon générale, plus la présence policière est forte plus les effectifs se concentrent dans le stade.
Que constate t-on, maintenant, si l’on croise les variables « répartition »
et « niveau de mobilisation » des forces de l’ordre avec le nombre de
violences commises dans le stade ?
Premièrement, il faut remarquer qu’entre les deux extrêmes de
l’échantillon (S1 et S5) le nombre de rencontres avec violences a
chuté de cinq à quatre tandis que les effectifs de services d’ordre se
sont stabilisés. Les supporters seraient-ils devenus, en l’espace de
cinq ans, des spectateurs plus raisonnables ? Pour mieux comprendre
les corrélations supposées, nous proposons de nous arrêter sur le
tableau qui suit. Il présente les effectifs moyens des forces de l’ordre
1. Nous rappelons que le stade de Lens figurait parmi les enceintes retenues pour accueillir des
rencontres de la Coupe du monde de football qui s’est déroulée en France au cours de l’été 1998.
Pour un bilan de la sécurité de cet événement, voir infra, la contribution de Jean-Charles Basson,
Olivier Le Noé et Frédéric Diaz.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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par match et par saison, de 1993-1994 à 1997-1998, au stade de
Lens, lors du championnat de première division de football. Ces données sont rapprochées du nombre de rencontres au cours desquelles
se sont déroulées des violences.
Saisons
1993-1994 (S1)
1994-1995 (S2)
1995-1996 (S3)
1996-1997 (S4)
1997-1998 (S5)
Ensemble (moyen)
Effectif
Effectif moyen
moyen d’agents
d’agents de
des CRS
la police urbaine
88
84
123
134
91
103
34
25
21
44
38
32
Nombre
de rencontres
avec violences
de supporters
5
7
5
7
4
Total : 28
À première vue, les données ne corroborent ni n’invalident
l’hypothèse d’un appareil policier maladroit. Si une progression de la
mobilisation des forces de l’ordre participe du rétablissement de la
« sécurité » (S3 par rapport à S2), la statistique démontre qu’elle peut
produire un effet tout à fait contraire (S4 par rapport à S3). En outre, si
l’on se réfère à la saison cinq, on constate que la baisse des effectifs
de maintien de l’ordre s’accompagne d’une chute du volume des violences de supporters (on passe de sept à quatre). La vérité est qu’un
constat fondé sur la simple lecture d’un bilan chiffré peut présenter
des biais. Nous proposons donc d’enrichir ces chiffres par de nouvelles informations.
OÙ LE FACTUEL VIENT AU SECOURS
DES MOYENNES CHIFFRÉES
Si l’on isole les trois premières saisons, on remarque un lien entre
l’état de la mobilisation des agents de la PU et des CRS et le nombre
de rencontres avec violences. Pourtant, en élargissant le bilan d’une
saison on note une recrudescence des violences alors que la présence policière progresse. Le fait est que l’exercice 1996-1997 a
coïncidé avec l’ultime année d’existence d’un groupe de supporters
autonomes lensois dont le mode d’organisation et les pratiques
étaient proches du mouvement hooligan. Bien que le groupe des
« North Warriors » ait été officiellement dissout lors de la saison
1996-1997, en raison d’une agression sur un arbitre, cette année a
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
constitué « l’apogée » du groupe. Pour ne pas partir sans marquer
une ultime fois leur territoire imaginaire, ces partisans autonomes ont
multiplié les opérations d’agression et de dégradation.
La disparition officielle des « North Warriors » contribue, dans
une large mesure, à expliquer la régression du nombre de rencontres
avec violences lors de la saison 1997-1998. D’autres facteurs ont
également participé de l’amélioration de la sécurité au stade cette
année-là. D’une part, nous l’avons dit, le RCL a mis en place son propre service de sécurité un an plus tôt1. D’autre part, l’absence du Lille
Olympique sporting club (LOSC) du championnat 1997-1998 de première division a également contribué à la réduction du nombre des
violences au stade Bollaert. En raison du caractère houleux des rencontres opposant le LOSC et le RC Lens (il s’agit d’un derby), une
compétition ne mettant pas aux prises les deux équipes présente, de
fait, moins de risques de connaître des débordements violents. Au
bout du compte, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre à la
lecture des moyennes présentées dans le tableau, l’hypothèse d’un
appareil policier inefficace n’est dont pas confirmée.
Un autre exemple atteste l’importance des paramètres factuels
sur le nombre de matchs entachés de violence. L’effectif des forces
de l’ordre mobilisées au cours de la saison 1994-1995 étant en
régression par rapport à la saison précédente, on est tenté de voir là
la raison majeure de la hausse des rencontres au cours desquelles des
actes délictueux ont été commis. Pourtant, c’est moins l’évolution
proprement quantitative qu’une nouvelle distribution des effectifs
qu’il faut interroger. Sous le poids de contraintes municipales réclamant davantage de sécurité en ville (à la suite d’une saison 19931994 entachée de multiples échauffourées s’étant déroulées au centre de Lens), l’organisation du système sécuritaire a été modifiée. On
a pris la décision, à la fois, de réduire le nombre de CRS et d’augmenter la présence d’agents en ville2. Ayant ainsi tenter de satisfaire
la population du centre ville voyant dans les matchs l’origine de tous
ses maux3, les autorités publiques ont abandonné un schéma organisationnel qu’elles se sont apparemment empressées de restaurer un
an plus tard.
1. Nous ne nous attardons pas sur ce point, mais le travail confirme toute l’efficience d’une organisation bien pensée : les responsables du service de sécurité travaillent sur le long terme, ils sont suffisamment proches des supporters autonomes pour être à leur écoute et ils ne confondent pas les
provocations avec les débuts d’une rixe.
2. Plus précisément, la part des effectifs affectés au stade est passée de 69 % en 1993-94 et 68 % la
saison suivante.
3. Le dépouillement des archives des Renseignements généraux met à jour les nombreuses missives adressées à la municipalité par les commerçants entendant maintenir le calme dans les rues
abritant leur boutique.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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Bien que le terrain lensois ne rassemble pas les caractéristiques
propres à chaque situation supportériste française, on est tenté de formuler quelques conclusions pouvant s’avérer utiles en d’autres cas.
Premièrement, il n’y a pas de dépendance automatique entre l’état
des services d’ordre mobilisés (effectifs, moyens, répartition dans
l’espace) et le nombre de rencontres avec violences se produisant
pendant une saison. En revanche, si on base le raisonnement sur cinq
saisons, on remarque une amélioration de l’ordre public au stade tandis que la présence policière se stabilise. En réalité, on doit la réfutation de l’hypothèse de la maladresse policière à l’apport d’éléments
complétant les données chiffrées. L’interprétation statistique a seulement permis d’entrevoir les risques d’une utilisation parfois inadaptée
des forces de l’ordre. En mésestimant la capacité d’adaptation des
supporters autonomes, ces derniers se sont trompés de terrain d’opération. Pour autant, le constat d’une année « maladroite » ne doit pas
laisser supposer que la police urbaine et les CRS sont sans effet sur
les actes déviants. Finalement, à Lens tout au moins, il semble que
l’efficacité du système de sécurité dépende de la collaboration de
plusieurs types de services d’ordre. Agents publics et privés doivent
poursuivre leurs efforts sachant que le moindre relâchement est susceptible d’être exploité par les supporters les plus audacieux. Enfin,
l’expérience lensoise montre que l’on ne gagne rien à sous-estimer
l’intelligence des supporters « émancipés » et les ressources dont ils
disposent, depuis leur organisation jusqu’à ce qui les amène à se venger après coup : la mémoire.
LES GROUPES DE SUPPORTERS
AUTONOMES N’AURAIENT PAS
LA MÉMOIRE COURTE
De même que la première hypothèse ne signifiait pas que la présence
policière dans un stade était fortuite, il n’est pas question ici d’attribuer aux supporters autonomes un bon sens généralisé. Penser que
les groupes ultras et hooligans cultivent leur histoire n’a rien de complaisant. Ce n’est ni une manière d’éviter le piège des indignations
répétées, ni une façon d’escamoter les travers d’une analyse trop
froide1. Nous le précisions en début d’article, la recherche des causalités des violences supportéristes repose sur l’interprétation des inte1. Pourtant, comme le note Pierre Bourdieu, « on a beaucoup de profits sociaux, dans le milieu
scientifique lui-même, à donner (et à se donner) les apparences de la neutralité (qui est prise pour
de l’objectivité) », in « L’État, l’économie et le sport », Sociétés et représentations, n° 7,
décembre 1998, p. 13.
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138
SPORT ET ORDRE PUBLIC
ractions qui existent entre les différents acteurs du monde des tribunes. Aussi, après avoir entrepris de mesurer le caractère déterminant
de l’action policière, nous nous proposons maintenant d’étudier la
nature des relations que les supporters entretiennent entre eux.
Si certains débordements demeurent imprévisibles et sont liés
au déroulement d’une compétition en cours, d’autres en revanche ne
lui doivent rien1. La plupart des conduites violentes ne sont pas entièrement spontanées. Précisément, nous avançons que les conduites
agressives représentent bien souvent une réponse à des contentieux
passés. Aussi, il faut fouiller dans l’histoire des rencontres entre les
groupes de supporters autonomes lensois et les autres associations
françaises du même type.
Pour commencer, nous nous arrêtons sur les supporters ayant
fréquenté le stade de Lens à cinq reprises en cinq saisons. La liste des
situations est suffisamment fournie pour en extraire une interprétation
significative ; de plus, il n’existe pas de coupure susceptible d’effacer
d’anciennes agressions entre les groupes de supporters. Sur un total
de douze clubs ayant disputé des rencontres de football à Lens pendant cinq années de suite, quatre sont accompagnés de partisans
n’ayant jamais suscité de violences au stade. Il s’agit des supporters
des formations de Montpellier, de Nantes, de Strasbourg et de
Cannes. Dans ces cas, les deux hypothèses sur lesquelles repose ce
travail ne trouvent aucun fondement. Que la présence policière soit
forte ou pas, que les supporters soient nantais ou cannois, aucune agitation n’a été enregistrée. Donc, sur un total de quatre-vingt-douze
matchs, on dénombre vingt confrontations pour lesquelles la sécurité
n’est pas compromise.
Observons à présent les clubs (et leurs supporters) qui n’ont
connu, sur cinq saisons, « qu’un » seul déplacement avec violences à
Lens. Il s’agit des « militants » de Bordeaux et d’Auxerre2. En matière
de supportérisme « libre », il est difficile de comparer des ultras bordelais qui comptent parmi les « références » en France et les rares
Auxerrois. En ce qui concerne les violences recensées, le poids d’une
histoire des contentieux pouvant expliquer le déclenchement des
violences n’est pas vérifié. Puisqu’aucun heurt n’a précédé les violences signalées à Lens, on peut se tourner vers l’état des services
d’ordre mobilisés. Or, là encore, rien ne semble expliquer les désordres exceptionnels. C’est à partir de la consultation des archives des
1. Ce qui revient à relativiser l’influence qu’exerce la compétition sur les relations entre les supporters de deux clubs qui se rencontrent. Sur ce point, Mignon Patrick, op. cit., p. 18-20.
2. Sur les significations et les formes du « militantisme » supportériste, voir Bromberger Christian,
« La passion partisane chez les ultras », Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 26, quatrième trimestre 1996, p. 33-46.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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Renseignements généraux qu’il nous a été possible de mettre à jour
les problèmes s’étant déroulés à l’occasion des déplacements des
partisans lensois à Bordeaux et à Auxerre.
Premier élément, les attaques dont les supporters auxerrois ont
été victimes au début de la saison 1994-1995 précèdent de nouvelles
violences survenues lors du match Auxerre-Lens du 21 mai 1995.
Lors de cette rencontre, la police d’Auxerre a interpellé une vingtaine
de « North Warriors » (directement responsables des heurts lors du
match Lens-Auxerre quelques mois plus tôt). Elle saisit tout un arsenal d’armes blanches (couteaux, battes de base-ball, poings américains…), et relève la dégradation du local des supporters auxerrois. Si
l’on ne peut prétendre expliquer ici les violences au stade de Lens,
on peut supposer en revanche qu’elles répondent, pour partie, au
désordre public enregistré dans le stade d’Auxerre. Quant à la situation des sympathisants bordelais et des brutalités dont ils sont responsables, un contentieux vieux de plus d’une année et six mois fournit
des informations intéressantes. Le 10 septembre 1994, peu de temps
avant le match Bordeaux-Lens, un joueur lensois est agressé par un
supporter bordelais. La scène se passe sous les yeux d’un membre
d’un groupe de supporters autonomes lensois, le « Kop Sang et Or ».
La question du lien entre les deux événements mérite d’être posée et
légitime l’influence qu’exercerait un contentieux passé sur les conduites agressives des supporters.
En dehors du cas particulier des supporters du Paris-Saint-Germain (PSG), aucune situation ne confirme directement le poids des
contentieux passés. En effet, aucune série de violences ne s’établit de
façon continue sans qu’une saison « morte » ne s’immisce entre deux
années troublées. On peut d’ailleurs supposer que ce laps de temps
constitue un moyen pour des supporters revanchards de faire croire
que « l’affaire est classée ». Toutefois, sachant qu’une forte mobilisation policière répond invariablement à une saison avec violences, on
ne peut se satisfaire d’une telle interprétation.
OÙ RIEN N’ENTAME
LA DÉTERMINATION DE QUELQUES
SUPPORTERS AUTONOMES
Lorsque les clubs de Lille (LOSC) et de Paris (PSG) se déplacent au
stade Bollaert, ils sont invariablement accompagnés de supporters
qui sont impliqués dans les violences enregistrées par les forces de
l’ordre. Chaque année le derby Lens-Lille ou la rencontre Lens-PSG
sont le cadre de nombreuses confrontations entre supporters autono-
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
mes. Des agents du maintien de l’ordre sont agressés, le déroulement
des matchs est entrecoupé de jets de projectiles divers, des biens
municipaux sont dégradés… Et bien que l’on constate une progression de la mobilisation des effectifs d’agents de la PU ou des CRS, le
désordre public semble s’enraciner un peu plus d’année en année.
Au mieux, les violences se déplacent, elles s’éloignent du stade et ne
concernent que la population des supporters autonomes. Ainsi, si un
appareil policier efficace assure la sécurité de la plupart des spectateurs du stade, il ne parvient pas à empêcher les membres des
« Dogues Virage Est » (DVE), affranchis du club officiel des supporters du LOSC, de satisfaire leurs motivations guerrières.
Quant aux rencontres entre supporters parisiens et lensois, les
chiffres sont éloquents. Quel que soit l’état de la mobilisation des forces
de l’ordre lorsque le PSG évolue à Lens, les violences demeurent. Bien
que celles-ci changent de forme en fonction de la répartition des services d’ordre, elles visent autant les personnes que les biens1. À quoi ressemblerait le stade de Lens si, lors des visites parisiennes ou lilloises, les
services d’ordre n’étaient pas mobilisés ? En empêchant des supporters
autonomes de s’entre-déchirer, les agents de la PU et des CRS sont indistinctement les victimes de conduites violentes. Que représentent-ils
donc pour les plus téméraires des supporters autonomes ? De communes cibles de substitution, comme ces gendarmes lors du match Allemagne-Yougoslavie de la dernière Coupe du monde ? Ici, les forces de
l’ordre ressemblent à des remparts que certains ne se contentent pas de
contourner. Les entretiens auprès de quelques partisans autonomes le
confirment, dans des strates particulières du supportérisme indépendant
des réseaux officiels de soutien, on a tout à gagner lorsque l’on défie les
agents de la PU, des CRS ou même des gardes mobiles de la gendarmerie. Le sens de la violence n’est pas le même pour tous puisque ce qu’il
convient de nommer déviance ou inconscience ici, signifie bravoure ou
supportérisme authentique ailleurs.
LA VIOLENCE DES UNS
POUR SATISFAIRE
LA VENGEANCE DES AUTRES
Si la plupart du temps les différends entre supporters inscrivent leurs
relations futures dans la violence, quelques cas particuliers ne
1. Sur cinq confrontations ayant opposé ces deux clubs au stade de Lens, on comptabilise de multiples dégradations ainsi qu’un nombre important d’agressions. Le fait est que, bien souvent, la responsabilité de tels heurts est partagée.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
141
semblent pas corroborer l’hypothèse des contentieux passés comme
déterminant du désordre public. Parmi ceux-là, nous choisissons de
traiter les visites à Lens des supporters du club de Saint-Étienne (trois
saisons d’affilée, de S1 à S3). Alors qu’aucun problème n’a affecté les
deux premières rencontres, diverses violences se sont déroulées en
1995-1996. La particularité de la situation relève de l’identité des responsables des débordements : stéphanois et lensois ne figurent pas
parmi les supporters impliqués. L’enregistrement de la PU signale la
responsabilité de partisans belges pour la totalité des violences survenues lors de cette rencontre. Selon les archives, des casuals d’un club
de Liège seraient intervenus afin de régler quelques différends entre
des supporters de Saint-Étienne (les « Green Angels ») et de Lille (les
« Dogues Virage Est »)1. On le voit, la réalisation de « vengeances
croisées » confirme l’hypothèse du poids des interactions conflictuelles passées pour rendre compte des violences supportéristes. Parce
que les DVE ont mobilisé une ressource atypique, le capital social à
l’intérieur de leur réseau de partisans autonomes, ils doivent être considérés comme les responsables des violences. Cette situation prouve,
une nouvelle fois, combien certains supporters autonomes s’adaptent
au système de maintien de l’ordre, pour mieux le contourner.
LA VIOLENCE N’EST PAS UNE VALEUR
INTRINSÈQUE AU SUPPORTÉRISME
AUTONOME
Les supporters autonomes correspondent à la fois à ce qu’il y a de
plus visible dans le spectacle des tribunes mais aussi à son côté le
plus inquiétant. Pourtant, rares sont les commentateurs ou les analystes qui ne se contentent pas du dernier trait dégagé. Certes, le mouvement hooligan n’a jamais su se signaler autrement que par la brutalité
(et le groupe des « North Warriors » de Lens en est un parfait représentant). Toutefois, les groupes ultras, par exemple, constituent la
frange la plus créative d’une population partisane tout à fait hétérogène. Ils se définissent tantôt comme irréductibles, tantôt comme des
passionnés que leurs favoris ne duperont pas. Dans la plupart des
cas, ce que beaucoup interprètent comme de la violence ne constitue
qu’une forme de provocation. La majorité des supporters autonomes
présents dans les stades affichent leur appartenance à un groupe et
1. Les casuals sont des supporters rattachés au mouvement hooligan mais qui ne portent aucun signe
distinctif. Sur les formes du supportérisme belge, voir infra, la contribution de Manuel Comeron.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
apprécient le jeu de la provocation. C’est un jeu sérieux dans lequel
les uns et les autres peuvent aisément passer de la joie à la peine, de
l’excitation au défi. Il convient d’insister sur l’idée de provocation
comme levier de l’activité partisane tant elle contribue à lever le
voile sur une pratique sociale loin d’être essentiellement motivée par
le goût du combat.
Quels sont les enseignements qu’il convient de tirer d’une analyse portant sur un terrain particulier ? En premier lieu, on doit reconnaître le rôle déterminant joué par les forces de l’ordre pour endiguer
la montée des violences dans le stade, au risque de voir les débordements se déplacer jusque dans la ville pour aboutir à de multiples
dégradations matérielles. Pour efficace qu’il soit, le service de maintien de l’ordre ne parvient toutefois pas nécessairement à pacifier
l’ensemble des groupes de supporters en déplacement au stade Bollaert. Et si les irréductibles forment une minorité, ils signalent les limites d’un système sécuritaire auquel s’est pourtant associé un service
d’ordre dirigé par le club de Lens. Par conséquent, il convient de
poser l’histoire des contentieux entre les groupes de supporters
comme un puissant déterminant des violences dans le football, une
réalité habilement entretenue par certains leaders des groupes pour
amener leurs membres à décaler leurs desseins vindicatifs, ou pour
déléguer la réalisation de leurs penchants belliqueux.
L’UNIFORMISATION D’UN PUBLIC :
AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS
Le terrain lensois le confirme, la population des partisans autonomes
n’est pas homogène. Si tous sont plus ou moins des acteurs du
« militantisme sportif », ils ne sont que quelques-uns à menacer
l’ordre public. Les autorités le comprennent puisqu’elles constituent
des « fiches d’identification » de chaque association. En collaborant
avec les clubs, les services d’ordre du domaine public composent un
système de sécurité efficace, mais pas infaillible. Des groupes de supporters autonomes font du réseau auquel ils appartiennent une ressource qu’ils peuvent, en certaines occasions, mobiliser pour atteindre leurs objectifs. Plutôt que de céder au « tout répressif » provoquant
de probables effets pervers1, la situation lensoise a vu s’ouvrir une
1. Ce qui ne veut pas dire que la méthode a toujours été délaissée. Ainsi, le groupe des « North
Warriors » a-t-il été démantelé afin d’éliminer le principal foyer des violences au stade de Lens et
lors des déplacements du club. Pourtant, aujourd’hui encore, d’anciens membres de ce groupe participent à quelques déplacements et poursuivent des actions dont d’autres supporters autonomes
sont accusés.
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LA VIOLENCE DES SUPPORTERS
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voie préventive ayant notamment tenté (sans succès) une meilleure
répartition des forces de l’ordre dans l’espace urbain. Par ailleurs, les
dirigeants du club ne stigmatisent pas le supportérisme autonome
sous prétexte qu’il faut étouffer l’idée d’une contre-culture partisane
en nette expansion. Toutefois, en la rapprochant d’un supportérisme
classique qu’ils contrôlent totalement, les responsables du RCL
jouent un « double jeu » préoccupant. Contribuant à effacer la distinction des styles supportéristes dans la conscience du public afin de
promouvoir leur manière de soutenir leur équipe, ces derniers
découragent les affiliations au réseau autonome lensois et ainsi
tentent de limiter les débordements. Mais ce faisant, ils laissent le
champ libre à l’émergence de nouveaux groupes plus virulents
encore.
Puisque la motivation première du supportérisme autonome
est de se dégager d’un réseau officiel de soutien dont les membres
sont qualifiés de « moutons » ou de « bouffons », que va-t-il se passer, à terme, si le club force un rapprochement incohérent ? Si les
enjeux économiques de la manœuvre se lisent aisément, que dire des
effets pervers qu’elle peut engendrer ? Pour l’instant, l’uniformisation
artificielle du public contribue à maintenir l’ordre public à un niveau
appréciable. C’est-à-dire que les attitudes des supporters autonomes
lensois montrent que leurs responsables s’accommodent fort bien de
la situation. Mais puisque le spectacle du football est un système qui
fonctionne à partir des relations entre plusieurs types d’acteurs, puisque des groupes de supporters participent à un réseau de concurrence fondé sur l’affirmation d’une indépendance, nous sommes tentés d’inviter à la plus grande vigilance. Qu’adviendra-t-il, en effet,
lorsque les supporters autonomes lensois, eux mêmes, seront régulièrement qualifiés de « moutons » ou de « bouffons » par des partisans
plus déterminés et pressés d’en découdre ?
Références bibliographiques
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match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, éd. de la MSH, 1994, 406 p.
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CARPENTIER Catherine, DEMAZIÉRE Didier, MAERTEN Yves, NUYTENS Williams,
ROQUET Pascal, Le peuple des tribunes, Béthune, Musée d’ethnologie régionale de Béthune, documents d’ethnologie régionale
du Nord-Pas-de-Calais, n° 10, 1998, 239 p.
ÉLIAS Norbert, DUNNING Éric, Quest for excitement, sport and leisure
in the civilizing process, Oxford, Basil Blackwell, 1986 (traduction française, Sport et civilisation. La violence maîtrisée,
Paris, Fayard, 1994, 393 p).
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144
SPORT ET ORDRE PUBLIC
FILLIEULE Olivier, Les déterminants du recours à la manifestation dans
les années 80, Paris, Institut des hautes études de la sécurité
intérieure, collection « Études et recherches », 1994.
MIGNON Patrick, « La violence dans les stades : supporters, ultras et
hooligans », Paris, Les Cahiers de l’INSEP, n° 10, Institut national du sport et de l’éducation physique, 1995, 90 p.
NUYTENS Williams, L’insécurité dans et aux abords des stades de
football ; Analyse sociologique à partir du cas des supporters
autonomes à Lens, Paris, rapport de recherche, Institut des
hautes études de la sécurité intérieure, 1998, 107 p.
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POUR UNE GESTION SOCIOPRÉVENTIVE
145
POUR UNE GESTION
SOCIOPRÉVENTIVE
DU HOOLIGANISME
■
Manuel COMERON
Résumé : la violence dans les stades de football se caractérise par sa
large diffusion géographique et son profond enracinement historique.
L’évolution d’une violence dite « spontanée » vers une violence dite
« préméditée » pose d’incontournables problèmes de sécurité urbaine à
l’occasion des compétitions nationales et des tournois internationaux de
football. Les mesures policières s’avèrent indispensables et efficaces
dans la gestion de l’événement, cependant elles doivent être complétées par des stratégies sociopréventives réalisant un travail de fond
visant la résolution du phénomène à long terme.
Le terme « hooliganisme » recouvre, dans son acception large,
des comportements de violence manifestés par les supporters dans
les stades de football1. Au sein du grand public, ce terme véhicule un
sens en rapport avec des bandes de supporters se livrant à des actions
de violence aveugle défrayant la chronique, voire avec des catastrophes aux conséquences mortelles dont les origines se situent pourtant
le plus souvent dans des dysfonctionnements organisationnels ou
infrastructurels (voir Bastia, Sheffield, Bradford, etc.). Plus techniquement, les experts s’accordent à désigner par cette appellation des
comportements d’agression physique (violence contre les personnes)
et de vandalisme (violence contre les biens) produits par les spectateurs d’une manifestation sportive spécifique, le match de football, et
se déroulant dans une zone géographique spécifique, le stade de
football et ses alentours urbains.
Le hooliganisme se caractérise par un profond enracinement
historique. Depuis que le football est mis en spectacle (c’est-à-dire la
fin du XIXe siècle), on recense, en effet, des incidents impliquant les
spectateurs, quel que soit le niveau de compétition : invasion du terrain avec attaque des joueurs ou de l’arbitre, bagarres entre supporters, destructions matérielles autour de l’aire de jeu. À titre illustratif,
1. Le terme anglais hooligan signifie voyou, vandale. Il existe en russe sous la forme khouligan qui
signifie « jeune jugé coupable de comportements asociaux et d’hostilité au régime ». À l’origine, le
terme désignait, au lendemain de la révolution d’octobre 1917, de jeunes vagabonds qui circulaient en bande et commettaient des exactions.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
en 1899, le Liverpool Echo relate une violente rixe entre supporters
rivaux dans une gare ferroviaire après un match opposant Nantwich et
Crewe1. En Belgique, en 1908, le quotidien Le Soir fait état d’une violente bagarre ayant opposé des supporters de Bruges et d’Anderlecht.
Le phénomène de violence dans les stades se traduit, par ailleurs,
par une importante diffusion géographique : hooligans en Angleterre,
en Allemagne et dans le nord de la France ; siders en Belgique et aux
Pays-Bas ; ultras en Espagne, en Italie, au Portugal et en France méridionale etc. En Amérique latine, des groupes (dits barras), composés
de jeunes issus des favelas, copient les modèles occidentaux et se
livrent à des violences lors des matchs de football2. De même, sur le
continent africain, des violences éruptives (souvent issues d’une violence ancrée dans la société civile) jalonnent les compétitions de
football3.
UN PHÉNOMÈNE PLURICAUSAL
Ce phénomène humain, qui prend sa source dans les mouvements de
foule spontanés et meurtriers des supporters du début du siècle et
s’actualise dans les exactions préméditées et guerrières des groupes
de hooligans contemporains, interpelle simultanément le grand
public et les spécialistes. Malgré les difficultés d’appréhension théorique, les scientifiques se sont régulièrement penchés sur l’étude de
cette thématique spécifique. Cependant, les résultats des recherches
se caractérisent par une disparité des tentatives d’explications. Ce qui
peut entraîner une certaine confusion dans la compréhension du processus. En effet, la violence dans les stades de football adhère à ces
phénomènes de délinquance qui apparaissent simultanément comme
psychologiques et sociaux.
Le football représente le sport le plus populaire et le plus médiatisé de l’ère contemporaine. Ses antécédents historiques remontent au
moyen âge4. Vers le XIIIe siècle, on trouve les traces d’un jeu jouissant de la double paternité du football et du rugby : la soule. Ce
jeu se caractérise par une violence extrême. Mais on situe l’origine du football actuel dans les îles britanniques, d’où il fut diffusé
1. Ponthir Carine, Approche historique de la violence dans les stades de football, Mémoire, service
de criminologie, université de Liège, 1999.
2. Burgos H., Del Mastro M., « Tribunas desatadas : muerto el gol nace el vandalismo », Revista
Que Hacer, n° 71, 1991.
3. Ebong Bonguen Austin, La violence autour du football en Afrique : le cas du Cameroun,
Mémoire, service de criminologie, université de Liège, 1999.
4. Gillet B., Histoire du sport, Paris, PUF, 1949 ; Mercier J., Le Football, Paris, PUF, 1973.
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POUR UNE GESTION SOCIOPRÉVENTIVE
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à travers le monde. C’est dans les collèges anglais que se développèrent le football et le rugby. La légende veut que la séparation
définitive fût l’œuvre de W. Ellis au College of Rugby en 1823. Le
football passionna la Grande-Bretagne avant de s’étendre au
monde entier avec la fondation des différentes fédérations nationales de football à la fin du XIXe siècle. À cette époque, il est
décrit comme un sport très violent avec des joueurs d’une grande
brutalité. La codification et l’uniformisation des règles entraînent
toutefois une pacification du jeu. Le football acquit une grande
popularité dans le premier tiers du XXe siècle avec le début des
grands tournois internationaux.
De la soule au Heysel, un constat historique atteste que l’évolution du « sport-roi » est parsemée d’incidents et de drames. En effet,
ce sport qui passionne, enthousiasme et émeut, présente un revers
moins glorieux : l’insécurité et la violence. Historiquement, le hooliganisme a subi une évolution considérable. Cette violence existe,
sous une forme spontanée, depuis le début du siècle. Elle est liée à la
mise en spectacle du football et s’avère universelle. Elle a évolué vers
une violence préméditée et relativement organisée, avec l’apparition
des noyaux durs de supporters aux environs des années 1960 en
Grande-Bretagne. Elle fut importée sur le continent par l’intermédiaire des compétitions européennes et de la médiatisation croissante
du phénomène dans les années 1970. En Belgique, la violence préméditée est le propre des sides1. Ces groupes de jeunes constituent le
noyau dur des supporters d’un club. Ils se caractérisent par des comportements extrémistes et des violences régulières à l’occasion des
matchs.
Le groupe social
À partir des années 1960, on observe la formation progressive d’un
sous-groupe particulier au sein de chaque entité de supporters : le
« Kop »2. Celui-ci rassemble les plus inconditionnels, les plus fidèles
1. Les siders occupent les pourtours ou ends du stade (tribune située derrière les buts) et constituent
des « groupes à risque ». En Belgique, ils se sont baptisés du nom de leur tribune : X-side (bloc X du
stade de l’Antwerp), O-side (à Anderlecht), East-side (à Bruges). Le Hell-side du Standard de Liège
(stade où les tribunes sont anonymes) s’est dénommé de la sorte en référence à la légendaire réputation de « l’Enfer de Sclessin » caractérisant le stade du club.
2. Le terme rappelle le nom d’un champs de bataille (en référence à « Spion Kop ») où les troupes
britanniques furent battues par les Boers, malgré le combat héroïque d’un régiment de Liverpool.
On usa de ce terme hollandais pour désigner les supporters les plus dévoués au club. Historiquement, ils furent introduits sur le continent vers les années 1960 lors des rencontres de coupe européenne. Les supporters anglais du « Kop » de Liverpool portaient les couleurs de leurs favoris,
soutenaient leur équipe par des chants improvisés et créaient des mouvements de vague impressionnants. Cette ambiance jeta les bases des premiers kops européens.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
et les plus déterminés des supporters. Le « Kop » se rassemble à un
endroit déterminé du stade (le plus souvent, debout, dans la tribune
qui fait face à la ligne médiane tracée sur la pelouse) et il crée
l’ambiance lors des matchs par des chants, des encouragements puissants et continus. Ce groupe se caractérise également par une forte
identification à l’équipe. Dès cette époque, les premiers incidents
impliquant des groupes de supporters font leur apparition : rixes,
vandalisme… Cependant cette violence reste liée au match et aux
événements relatifs au jeu proprement dit.
Sous l’influence des supporters anglais et à travers les coupes
d’Europe, cette violence préméditée de groupe se diffuse sur le continent. À partir de cette époque naît une véritable compétition, parallèle à la compétition sportive, qui implique les supporters des noyaux
durs des différents clubs dans une forme de « guerre des gangs » où
la violence est relativement organisée et planifiée (avec l’apparition
de l’usage des armes). Le processus de mimétisme inter-groupes
démultiplie le nombre de noyau durs et augmente la détermination
de chacun d’eux, de même que le phénomène de réaction et contreréaction à la violence des groupes rivaux1.
Ce groupe, qui se réunit dans un espace donné, à un moment
donné, rassemble des membres permanents qui partagent des objectifs implicites communs. Les pouvoirs judiciaires leur accordent,
d’ailleurs, une reconnaissance institutionnelle formelle en leur attribuant le statut juridique « d’association de malfaiteurs ». Outre cette
« stigmatisation judiciaire », on observe une focalisation des médias
sur ces sides de supporters qui renforce le sentiment d’identité.
Christian Bromberger assimile ces groupes à des crews (que
l’on peut comparer à des bandes) dont l’Angleterre est la référence
première et dont le modèle s’est diffusé dans les pays d’Europe du
Nord (Belgique, Hollande et Allemagne principalement)2. Il les distingue des ultras omniprésents dans les stades des pays latins (Italie,
France, Espagne) qui sont des groupes aux effectifs importants formant des associations rigoureusement structurées (hiérarchie interne
formelle, cartes d’adhérents, cotisations, etc.) et planifiant avec soin
les actes de supportérisme (chants, spectacles, animations et tifos
dans le stade lors des matchs). L’auteur explique, par ailleurs, que le
passage à l’acte violent n’est pas le but premier de ces groupes aux
formes institutionnalisées et que les débordements, parfois meur-
1. Sur le jeu des « vengeances croisées » entre groupes de supporters, voir, supra, la contribution
de Williams Nuytens.
2. Bromberger Christian, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille,
Naples et Turin, Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1995.
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POUR UNE GESTION SOCIOPRÉVENTIVE
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triers, surviennent lorsque les membres échappent au contrôle de
l’association. Il différencie les styles culturels de ces deux types de
groupements sociaux. Les crews sont en rupture avec les modes dominants de sociabilité et se caractérisent par une coupure avec toute
forme institutionnelle d’organisation symbolisant le fossé qui sépare
« eux » et « nous » sur la base d’un fonctionnement dual des pratiques
et des représentations sociales. Les ultras, par contre, sont en phase
avec les modes dominants de sociabilité et s’inscrivent dans la continuité du tissu social en participant, de façon juvénile, tumultueuse et
critique, à une institution assimilable à un club de supporters adultes.
Le niveau sociétal
Différentes analyses abordent le processus du hooliganisme en mettant à jour une pluricausalité sociétale.
Football et classes sociales
Selon Patrick Mignon, la nouvelle forme de violence des supporters
anglais apparue dans les années 1960 peut être liée à l’évolution de
la situation socio-économique et à la spécificité culturelle de l’Angleterre1. En effet, à la fin du siècle passé, soit en pleine industrialisation,
Taylor souligne que le football devient rapidement le sport de la
classe ouvrière et se professionnalise2. Il permet à des ouvriers de
sortir de l’usine mais, jusqu’en 1950, les footballeurs sortis du rang
restent proches du monde ouvrier dont ils conservent le mode de vie.
Le plus souvent, les stades sont construits à proximité des usines et
dans les cités ouvrières, tandis que les clubs sont créés et soutenus
par les employeurs. Le public est surtout composé d’ouvriers et le
football constitue un type de loisirs propre à la classe ouvrière.
L’organisation et la manière de jouer traduisent deux valeurs centrales des hommes de la classe ouvrière : la virilité et la victoire collective. En conséquence, les attitudes dépourvues de fair-play (insultes,
jets de bouteille, bousculades, etc.) sont vues comme normales, car
le football n’est pas considéré comme un simple sport de spectacle. Il
nécessite un engagement et une véritable action du public.
Le hooliganisme s’appuie sur cette tradition, tout en la modifiant. À partir des années 1950, le football subit une baisse de fré-
1. Mignon Patrick, La passion du football, Paris, Odile Jacob, 1998.
2. Taylor I., « Football Mad : a Speculative Sociology of football Hooliganism », in Dunning Éric.
(éd.), The Sociology of Sport, London, Cass 1971 ; Taylor I., « On the Sports Violence Question :
Soccer Hooliganisme Revisited », in Hargreaves J. (éd.), Sport, Culture and Ideology, Londres, Routledge et Kegan Paul, 1982.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
quentation en raison de la concurrence d’autres loisirs. En réponse, il
devient plus professionnel et plus spectaculaire et le confort des stades est amélioré. Parallèlement, le spectacle attire un public socialement plus hétérogène : les classes moyennes et aisées font leur apparition dans les stades. De plus, le salaire des joueurs est en nette
augmentation, si bien que ces derniers perdent leurs liens avec la
communauté ouvrière en adoptant le mode de vie du star-system.
C’est dans cette situation qu’émerge le hooliganisme. Il représente
une tentative des jeunes supporters de la classe ouvrière, constituant
une sous-culture particulière dont un des traits est la survalorisation
de la violence virile, de se réapproprier cette « expression de démocratie participative ». C’est la seule forme de contrôle qu’ils croient
encore pouvoir exercer sur leur sport et qui se caractérise par un
déplacement de la compétition vers les gradins. C’est donc de cette
under-class désorganisée que proviennent les « football gangs », et la
violence de leur comportement doit être considérée comme une
réponse à leurs frustrations psychiques et matérielles.
Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi nuancent cette approche1.
Ils soulignent qu’à l’origine les joueurs de football ne sont pas issus
des milieux populaires, mais que la pratique footballistique (impliquant de la distinction et trahissant l’appartenance à une classe
aisée) fut d’abord celle des couches élevées, désireuses de se distinguer du reste de la société. En effet, les aristocrates et les bourgeois
de l’époque, jugeant la gymnastique trop statique et peu stimulante
pour la formation des jeunes, préconisent l’adoption du football,
école de fair-play et moteur de l’apprentissage de la concurrence
loyale et de l’esprit d’initiative. Les clubs de football constituent
alors des cercles regroupant l’élite d’une ville et les après-matchs
réunissent les « gentlemen footballeurs » issus de la bourgeoisie
urbaine ou de la grande bourgeoisie dans des réceptions agrémentées de dîners et de discours. Les joueurs participant aux compétitions amicales paient eux-mêmes leurs équipements, chaussures et
déplacements à l’étranger.
L’instauration de compétitions régulières et officielles induit,
petit à petit, l’esprit de concurrence, attire un nombre croissant de
spectateurs et entraîne une démocratisation progressive du jeu. La
Première Guerre mondiale favorise la diffusion du football parmi les
ouvriers et les paysans du front dont la pratique est encouragée par
les officiers supérieurs. Par la suite, les jeunes issus des classes populaires demandent au club de prendre en charge le paiement de leurs
1. Wahl Alfred, Lanfranchi Pierre, Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours,
Paris, Hachette, 1995.
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POUR UNE GESTION SOCIOPRÉVENTIVE
151
équipements, le remboursement de leurs déplacements et (pour les
meilleurs éléments) le versement d’une indemnité, qui au fil des
années devient de plus en plus importante. Les anciens joueurs,
désormais investis de fonctions élevées dans la société, deviennent
les premiers mécènes d’un sport en pleine évolution.
Dans la première moitié du XXe siècle, les instances dirigeantes
des fédérations décident de conformer le droit au fait et accordent le
droit aux clubs d’utiliser des joueurs salariés : l’amateurisme cède officiellement la place au professionnalisme. Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi indiquent qu’à partir des années 1970 le football professionnel
évolue vers le football business avec un apport illimité de capitaux
provenant des entreprises, des chaînes de télévision et des collectivités locales, ainsi qu’un accroissement démesuré des dépenses liées
aux transferts et salaires des joueurs. Les footballeurs professionnels
sont désormais des nantis fréquentant les notables, et apparaissent
fortement isolés des masses populaires qu’ils abordent de façon
paternaliste et condescendante. Une étude menée par ces auteurs en
1990 sur les footballeurs professionnels français montre que la majorité sont issus des classes populaires (milieux ouvriers urbains, couches moyennes – représentants, employés, petits commerçants – à
faible capital culturel). Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi assimilent le
rôle du joueur (jeune de condition modeste ayant accédé à un destin
exceptionnel) à celui d’un médiateur social, rapprochant fictivement
les pauvres des riches et incarnant la revanche des premiers sur les
seconds.
La « stratégie du paraître »
Selon Alain Ehrenberg, le hooliganisme est une « stratégie du
paraître » visant à briser l’anonymat et s’appuyant sur des comportements déviants1. En effet, rester anonyme ou se faire voir désigne la
différence majeure entre un supporter et un hooligan dont la violence
déplace le pôle d’intérêt de la pelouse vers les gradins où se joue une
compétition parallèle à celle du terrain. Le hooliganisme doit donc
être situé dans la perspective globale d’une société individualiste qui
ne fournit plus de repères pour indiquer à chacun qu’elle est sa place
et son identité. Il exprime le dilemme de groupes sociaux situés en
bas de la hiérarchie et condamnés à y rester, alors que notre culture
exalte la possibilité de réussir par le mérite individuel et non par
l’action collective. Inégalité et invisibilité vont donc de pair : les plus
défavorisés socialement sont les moins visibles. Selon l’auteur, les
1. Ehrenberg Alain, « La rage de paraître », Autrement, n° 80, 1986, p. 148-158.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
hooligans ont institué un système de spectacularisation d’euxmêmes. Ils sont les metteurs en scène d’un spectacle qui est, avant
tout, destiné à les tirer de l’anonymat. La bagarre est un moyen de
devenir plus visible que les autres spectateurs, et parfois que les
joueurs. Lors du drame du Heysel, pour la première fois dans l’histoire
du football, des spectateurs ont occupé totalement la scène à la place
des joueurs, devant des multitudes de téléspectateurs. Pour la première fois en Europe, un match aux enjeux considérables a été relégué à une place subalterne dans l’histoire des événements sportifs.
L’auteur avance que la violence des hooligans est l’expression
du rêve individualiste contemporain qui pousse chacun à être
l’acteur de sa propre vie plutôt que celle des autres. Provenant pour
la plupart de la classe ouvrière et destinés à l’occupation de postes
subalternes et anonymes, ces « outsiders de l’individualisme » se
fabriquent une identité sociale monstrueuse qui les rend uniques et,
privilège fort rare, différents du monde entier. Alain Ehrenberg rejoint
ainsi les théories du strain et du « sub-culturel » dans ses conclusions :
« faute de disposer des ressources nécessaires pour échapper à la
masse des obscurs, des moyens qui permettent d’accéder à la visibilité professionnelle ou sportive, ils cherchent à l’obtenir d’une autre
manière en forçant le destin, en construisant eux-mêmes l’événement. Ils le déplacent du terrain vers les gradins et l’authentifient par
leur seule présence […]. Transformant l’inégalité qui exclut en différence qui personnalise, les hooligans symptomatisent ce monde
pressé où l’on veut être quelqu’un tout de suite, ici et maintenant »1.
La « vulnérabilité sociétale »
Les chercheurs de Leuven se basent sur l’idée que des rapports sociostructurels et culturels influencent négativement les expériences et les
perspectives d’un groupe de jeunes socialement vulnérables qui, de la
sorte, se transforment en êtres potentiellement violents2. La théorie de
la vulnérabilité sociétale explique la délinquance juvénile persistante
à partir d’une accumulation sociale et psychologique d’expériences
négatives lors des contacts avec les institutions sociales. Ainsi la plupart des hooligans du noyau dur ont-ils connu une scolarité courte et
frustrante. Ils sont surtout d’origine ouvrière et appartiennent souvent
à des familles instables. Peu d’entre eux ont un emploi stable et régulier, et les chômeurs ne sont pas en état de recevoir des allocations.
Matériellement, ils sont pauvres. Les casuals (hooligans ne portant
1. Ibidem, p. 50.
2. Van Limbergen Kris, Walgrave Lode, Sides, fans en hooligans : voetbalvandalisme, feiten, achtergronden en aapak, Leuven, Acco, 1988.
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POUR UNE GESTION SOCIOPRÉVENTIVE
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aucun signe distinctif) volent leurs vêtements de marque ou les paient
en recourant à d’autres formes de délit. Une majorité est connue des
organismes judiciaires pour des raisons ne concernant pas le hooliganisme. Les membres les plus durs ont perdu tout lien avec la société
conforme et sont immunisés contre toute sanction pénale.
Les hooligans compensent leurs pauvres perspectives sociales
par l’excitation et l’identification. Psychologiquement, ils investissent
tout dans leur équipe et dans leur side. Ils gagnent du prestige en
s’identifiant à un club qui prospère (« We are the champions »), mais
également en s’identifiant à un groupe de supporters qui impressionne,
qui suscite l’intérêt de la presse, qui mobilise les forces de l’ordre, etc.
(« We are the X-side »). L’excitation atteint son point culminant au
cours d’actions de violences réussies, où ils se sentent plus forts que
d’autres sides et plus rusés que la police. En conclusion, les criminologues belges avancent que ces jeunes, plutôt que n’avoir aucune identité sociale, préfèrent l’identité négative et provocatrice des hooligans.
Ces éclairages théoriques mettent en évidence que les phénomènes conjoints de compétition et d’identification propres au spectacle footballistique entraînent une structuration des supporters en
groupes, selon leur degré de détermination. Les groupes les plus
structurés sont les plus déterminés et présentent les comportements
les plus radicaux. Chez eux, le passage à l’acte violent se traduit progressivement en mode d’action groupal. Un consensus implicite établi sur des règles internes gouverne le fonctionnement intergroupe et
formalise une compétition parallèle à la compétition sportive. Cette
agression ritualisée permet de maintenir le processus dans des limites
acceptables pour la société, et en retour l’environnement social constitué par les médias, les clubs, les forces de l’ordre… contribue à
accorder une reconnaissance sociale formelle aux supporters les plus
« démonstratifs ». Une identité sociale, qu’ils acceptent avec avidité
malgré sa connotation négative, leur est alors attribuée.
Les plus dangereux de ces noyaux durs sont intégrés, en douceur, dans des structures sociopréventives qui parachèvent l’édification de ces « gangs » informels en groupes sociaux formels. Mais ces
groupes aux comportements radicaux font partie intégrante d’un phénomène collectif qui les dépasse (physiquement et psychologiquement) : la foule. Celle-ci, par le puissant processus de « désindividuation » qui régit les personnes la composant, entraîne les individus les
plus communs à adopter collectivement et ponctuellement des comportements d’une violence destructrice, voire létale. L’histoire sportive le démontre à souhait. Nous sommes donc confronté à un double processus interdépendant d’apparence contradictoire. D’une
part, des noyaux durs qui radicalisent et concentrent de façon perpétuelle les attitudes ponctuelles de la foule dont ils font partie ; d’autre
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
part, la masse des spectateurs qui désapprouve et stigmatise les comportements du groupe radical, alors qu’elle-même accouche périodiquement de ces mêmes comportements.
Ces comportements de masse incontrôlables, autrefois ponctuels, que les noyaux durs ont modélisés pour en faire un mode de
fonctionnement permanent (un véritable way of life pour certains)
apparaissent comme la facette la plus visible du phénomène. Cette
visibilité devient le moteur de ces jeunes supporters au sein d’un
contexte sociétal qui les favorise peu. Les raisons sociales du recours
à la violence sont, en effet, nombreuses. Elles peuvent s’expliquer
d’abord, pour certains d’entre eux, en raison d’une existence caractérisée par un cumul de critères défavorables (familles déstructurées,
scolarité en rupture, emplois dévalorisants, pour ceux qui travaillent)
et une absence de perspectives futures ; ensuite, pour beaucoup
d’entre eux, par une difficulté de positionnement identitaire face au
brouillage actuel des normes et des valeurs ; enfin, pour tous, par le
fossé déresponsabilisant qui les sépare inexorablement des structures
du football, sport sur lequel ils sont venus se greffer, moins par hasard
que par nécessité…
LA GESTION
DU PHÉNOMÈNE HOOLIGAN
Le hooliganisme :
un phénomène de violence urbaine
Le hooliganisme constitue un phénomène de violence spécifique
assimilable aux crises urbaines classiques mais caractérisé par :
– un moment de crise délimité dans le temps et se déroulant
de façon répétitive et prévisible : le match de football ;
– un lieu de crise permanent et localisable dans l’espace
urbain : le stade. Ce lieu de crise circonscrit s’étend à d’autres zones
urbaine : la gare, les itinéraires empruntés par les supporters, les
quartiers commerciaux et le centre ville ;
– des acteurs de crise d’origine urbaine constituant des groupes permanents et polarisés sur un club de football : les supporters.
Ces acteurs de la crise expriment au stade et durant les matchs des
problèmes vécus à l’extérieur (dans leurs quartiers, par exemple).
Nous sommes donc confronté à une problématique répétitive, caractérisée par une unité d’espace et de temps et une hétérogénéité
d’acteurs permanents. Les mesures mises en place doivent donc être
recontextualisées en regard de ces éléments.
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POUR UNE GESTION SOCIOPRÉVENTIVE
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Mesures de sécurité et réaction sociale
En Belgique, depuis 19851, d’importantes mesures de sécurité ont été
mises en place afin de limiter les effets du phénomène hooligan. Les
forces de police déploient d’imposants effectifs supérieurement organisés afin d’encadrer les supporters et de maintenir l’ordre public
dans et autour des stades. La justice, longtemps accusée de laxisme,
applique des peines lourdes et sévères aux supporters tombant dans
les mailles des instances judiciaires. Les infrastructures des stades
sont sévèrement contrôlées et de nombreux clubs se sont vus imposés des travaux d’amélioration afin de satisfaire aux normes de sécurité très strictes. Stade ultime du contrôle social : la plupart des stades
sont équipés de caméras de surveillance. Parallèlement, des projets
sociopréventifs ciblés sur les noyaux durs, dits Fan Coaching, se sont
développés dans les clubs comportant des supporters « à risques ».
Soulignons que l’insécurité des stades est souvent l’objet d’une
médiatisation alarmiste. À ce sujet, la vigilance et la prudence s’imposent à tous les intervenants et décideurs concernés par le phénomène. Car le hooliganisme semble faire couler plus d’encre que de
sang, plus de salive que de larmes. Cet état de fait n’est pas nouveau
et il est, par ailleurs, généralisable à d’autres formes de délinquance,
en vertu de l’adage selon lequel l’appel à la répression du bouc émissaire resserre les rangs2.
Les mesures sociopréventives
Le programme Fan Coaching réalise un travail éducatif en profondeur ciblé directement sur les spectateurs à risques (prévention offensive) et assure l’encadrement des supporters des noyaux durs à
l’occasion des manifestations sportives. Ce programme fut initié par
le ministère de l’Intérieur, avec l’aide de la Fondation roi Baudouin,
fin 1988 à Anvers et début 1990 à Liège (avec le soutien de la Communauté française et de la région Wallonne). Vu le succès rencontré
par ces actions pilotes, démarrées à titre expérimental, de nouveaux
projets se sont développés depuis auprès d’autres clubs. Actuellement, dix actions Fan Coaching sont opérationnelles en Belgique et
font partie des contrats de sécurité et de prévention que le ministère
de l’Intérieur a lancé en 1993 en collaboration avec les villes et
communes : Anderlecht, Anvers, Charleroi, Gand, RTC Liège, Liers,
1. Année du drame du Heysel qui provoqua une prise de conscience collective et une responsabilisation politique dans le domaine.
2. Kellens G., « Comment peut-on être délinquant ? », Revue d’Action Sociale, n° 6, 1983, p. 7-12.
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156
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Molenbeek, Ostende, Seraing, R. Standard C. Liège sont concernés.
Ces actions de terrain opérées par des intervenants spécialisés (éducateurs et assistants sociaux) se réalisent dans le cadre d’une démarche intégrée en partenariat avec les clubs de football, la police, la
gendarmerie, les universités, les instances judiciaires, les institutions
sociales, le réseau associatif, etc.
Le programme s’articule autour de quatre axes principaux :
1) L’encadrement préventif et l’accompagnement physique du
noyau dur de supporters par les éducateurs à l’occasion de tous les
matchs. L’objectif est d’assurer une présence institutionnelle au sein
du side et de constituer ainsi un canal de communication entre les
supporters et l’autorité (incarnée par les forces de l’ordre et les responsables des clubs). Cet encadrement permet aussi, par une position privilégiée au cœur des événements, de désamorcer certains
incidents dans leur genèse. De même, par leur simple présence, les
fan coaches induisent un contrôle social informel qui engendre un
comportement positif chez le chef des supporters.
2) L’organisation d’activités pédagogiques et sportives. L’objectif est d’apporter une alternative à l’inactivité urbaine des siders, ainsi
qu’une plus-value socioculturelle. Une des idées centrales du projet
est que le sport constitue, non seulement, un moyen idéal pour les
éducateurs afin d’établir un premier contact et développer une relation de confiance avec le groupe-cible, mais aussi, un vecteur d’intégration sociale et d’épanouissement pour ces jeunes. Ces activités doivent également répondre à leur besoin d’action, d’excitation et de
prestige sur un terrain positif. Outre le sport traditionnel (foot, minifoot), le sport-aventure constitue un outil éducatif performant : escalade, canyoning, spéléologie, rafting, parachutisme, etc.
3) Le Fan-home (maison des supporters) situé sur le site du stade
accueille les supporters la semaine en soirée et le jour de matchs. Il
constitue ainsi une alternative à leur fréquentation de quartiers ou de
cafés « criminogènes » et permet aux jeunes de vivre en groupe sous
encadrement socio-éducatif. Sous la tutelle des éducateurs, les jeunes assurent la gestion pratique du Fan-home qui comporte du matériel pédagogique et ludique. Par ailleurs, les contacts informels que
les éducateurs entretiennent avant et après les matchs avec les supporters dans le Fan-home sont aussi l’occasion de réaliser un travail
éducatif de fond et prévenir certains actes de violence ou de vandalisme. De même, les rencontres organisées entre les jeunes et les dirigeants, les entraîneurs et les joueurs du club ont pour objectif de responsabiliser les supporters vis-à-vis de leur club, et vice versa.
4) La réinsertion sociale représente un volet important du programme via la prise en considération des conditions de vie et des
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POUR UNE GESTION SOCIOPRÉVENTIVE
157
perspectives d’avenir des jeunes supporters en situation de vulnérabilité sociale. Dans ce contexte, une aide est accessible à tous les supporters qui le souhaitent et en font la démarche. Des assistants
sociaux les aident à régulariser leur situation et assurent un travail de
relais pour les cas les plus lourds vers les institutions sociales compétentes. Ils interviennent aussi comme médiateurs vis-à-vis des instances policières ou judiciaires. Parallèlement, des actions menées en
concertation avec la justice permettent, dans certains cas, aux jeunes
hooligans de bénéficier de mesures alternatives à l’incarcération.
D’abord, dans la gestion de l’urgence, le Fan-coaching mène
une intervention ponctuelle en relation avec le match de football et
caractérisée par un travail régulier, centré sur les manifestations extérieures, voire épidermiques, du phénomène. Les fan-coaches
œuvrent, à ce titre, à côté des autres acteurs de la sécurité (club,
police, etc.), et leur dispositif préventif est complémentaire aux dispositifs répressifs et organisationnels classiques. Ensuite, en ce qui concerne la gestion de fond, le Fan-coaching mène une intervention permanente axée sur le long terme et polarisée sur les causes internes du
phénomène. L’objectif est d’amener un changement progressif en
s’assurant que ce dernier structure de nouveaux comportements chez
les acteurs concernés.
*
* *
La présentation de quelques pistes de travail internationales
peut conclure ce tour d’horizon des stratégies sociopréventives du
hooliganisme. À ce titre, une voie d’avenir encourageante est exploitée dans le cadre du « Programme hooliganisme » du Forum européen pour la sécurité urbaine. Elle vise à formaliser, au niveau international, des processus déjà expérimentés et s’appuie sur la mise en
relation des structures de gestion du phénomène existantes dans les
différents pays. Le premier objectif est la création au sein des clubs
européens possédant des supporters « à risques » de micro-cellules
d’intervention sociopréventive insérées dans l’environnement local et
comprenant des intervenants qualifiés. Ces dernières possèdent des
capacités d’adaptation, de réactivité et de mobilité élevées car elles
ciblent directement, ainsi qu’activement, les acteurs moteurs de la
crise. Ces cellules travaillent en partenariat concerté avec les autres
intervenants impliqués dans la gestion de la crise (clubs, forces de
l’ordre, justice, etc.) auxquels des liens opérationnels les unissent.
Elles apportent une réponse à la crise tant au niveau de l’intervention
ponctuelle (gestion de l’urgence) que de l’intervention permanente
(gestion de fond).
Le deuxième objectif réside dans le développement de commissions locales regroupant, d’une part, les intervenants opération-
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
nels directement concernés au quotidien par le hooliganisme et, d’autre
part, des représentants institutionnels concernés de façon plus périphérique. Les premiers font profiter de leur connaissance précise du
problème et font preuve d’une volonté de résolution concrète de la
crise ; les seconds disposent du recul nécessaire à l’analyse stratégique visant à la résolution positive du phénomène.
Enfin, le troisième objectif est tourné vers la « solidification »
d’un réseau international centré sur la gestion et l’analyse du hooliganisme et caractérisé par une transversalité des intervenants et des
compétences (intervenants sociopréventifs, forces de l’ordre, magistrats, gestionnaires de municipalités, universitaires, etc.). Ces réseaux
internationaux permettent la circulation de savoir-faire et d’expériences spécifiques (corpus théorique et méthodologie de travail), et leur
finalité repose sur l’échange de technologie préventive et sécuritaire
en matière de gestion du phénomène hooligan. Son importance justifie, sans doute, un tel dispositif.
Références bibliographiques
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Anthropologie culturelle et sociologie du phénomène sportif »,
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CHATARD Roland, La violence des spectateurs dans le football européen, Paris, Lavauzelle, 1994.
COMERON Manuel (dir.), Quels supporters pour l’an 2000 ?, Bruxelles,
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de recherche pour le compte du ministère de l’Intérieur, université de Liège, 1998.
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hooliganisme », Sport, n° 165-166, 1999.
MIGNON Patrick, « Profession de foi : supporter », Esprit, no 104-105,
août-septembre 1995.
Ministère de la Communauté Française, « Stades et supporters : de la
violence à la prévention des dérives passionnelles », Sport,
no 165-166, 1999.
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
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LA GESTION POLICIÈRE
DU HOOLIGANISME :
ANGLETERRE, ITALIE,
PAYS-BAS
■
Anastassia TSOUKALA
Résumé : les dispositifs de lutte contre le hooliganisme mis en place par
plusieurs polices européennes sont en grande partie déterminés par la
perception dominante du phénomène au sein de chaque société donnée. Plus cette perception est axée sur la dangerosité du hooliganisme,
plus la gestion policière du phénomène diverge de celle des foules en
général, notamment en excluant l’option de la négociation et en établissant un large contrôle de la déviance. Cette logique sécuritaire est
d’autant plus contestable que, loin d’assurer une maîtrise satisfaisante
du hooliganisme, elle a fini par contribuer à son aggravation.
Depuis les années 1980, l’évolution de la gestion policière du
hooliganisme dans plusieurs pays européens est marquée par deux
tendances majeures. D’une part, elle fait l’objet d’une homogénéisation croissante, qui ne saurait être uniquement attribuable à l’influence
des instances communautaires. D’autre part, elle coïncide avec la
gestion policière des foules en général : dans la mesure où, comme
cette dernière, elle se caractérise par la volonté d’éviter au maximum
le recours à la violence, par l’importance accordée au rassemblement
de renseignements et par la tolérance de certains délits mineurs, afin
d’éviter le déclenchement d’incidents éventuels1. Néanmoins, en
même temps, elle s’en différencie sensiblement car elle écarte un des
principes actuellement dominants en matière de gestion des foules, à
savoir la négociation, et constitue un domaine d’application de pratiques qui, auparavant, étaient essentiellement réservées à la lutte contre des phénomènes criminels particulièrement graves.
Par ailleurs, force est de constater que non seulement les dispositifs de lutte contre le hooliganisme mis en place par la plupart
des polices européennes ne sont pas parvenus à assurer une maîtrise
satisfaisante du phénomène, mais que l’application de leurs volets
1. Sur les tendances actuelles de la gestion policière des foules, voir : D. della Porta, H. Reiter, The
Policing of Protest in Contemporary Democracies, Florence, European University Institute, Working
Paper n° 97/1, 1997.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
préventifs a provoqué de nombreux effets pervers. En effet, d’une
part, le hooliganisme continue à menacer en permanence le déroulement des rencontres internationales et à constituer un important problème d’ordre public dans plusieurs pays européens1. D’autre part, la
mise en œuvre de certaines mesures préventives a considérablement
contribué à l’aggravation du phénomène, puisqu’elle a provoqué le
déplacement spatio-temporel, la radicalisation et la planification
extrême des activités des hooligans, tout en impliquant l’établissement d’un large contrôle de la déviance.
Le renforcement actuel du contrôle de la déviance n’étant qu’un
des aspects qui différencie la gestion policière du hooliganisme de
celle des foules en général, nous tâcherons de saisir les causes de cette
divergence en étudiant les principales formes de contrôle de la
déviance et les facteurs qui ont permis son instauration, dans trois pays
jugés représentatifs en la matière : l’Angleterre, l’Italie et les Pays-Bas.
Nous nous focaliserons sur les formes les plus manifestes de ce contrôle, à savoir la surveillance électronique, l’infiltration des groupes de
hooligans par des policiers et la création de centres de renseignements
spécifiques, ainsi que sur la perception du hooliganisme par les agents
de sécurité concernés, ce dernier point semblant jouer un rôle primordial dans l’élaboration des stratégies d’action policières.
LE CONTRÔLE DE LA DÉVIANCE
Les mesures de surveillance, qui consistent essentiellement en la surveillance électronique et en l’usage de policiers infiltrés, se sont
généralisées dans les années 1980 et, dans les pays dotés d’un système de police décentralisé, elles sont allées de pair avec la création
de centres de renseignements spécifiques. Bien que rencontrée dans
les trois pays examinés, cette politique préventive se différencie sensiblement d’un pays à l’autre, tant quant à l’étendue de son application que quant au degré de légalité du rassemblement et de l’usage
des renseignements recueillis. Mais, dans tous les cas, l’adoption de
telles mesures a, par définition, impliqué l’établissement d’un ample
contrôle de la déviance qui, comme nous verrons plus loin, s’explique en grande partie par l’importance de la place accordée au proactive policing.
1. Il faudrait préciser à cet égard que son récent recul en Angleterre résulte plutôt d’une nouvelle
politique commerciale, qui a fini par modifier profondément la composition sociologique des spectateurs de matchs de football, que des mesures policières adoptées à son encontre. Ceci semble,
d’ailleurs, confirmé par le fait que les hooligans anglais continuent à être régulièrement impliqués
dans des incidents à l’étranger.
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
161
Les mesures de surveillance des supporters
La forme la plus développée des mesures de surveillance des supporters se rencontre en Angleterre. En Italie, où la surveillance électronique des spectateurs de matchs de football n’est obligatoire que pour
les stades d’une capacité supérieure à 30 000 spectateurs, cette
mesure ne s’applique en fait qu’en cas de match à risque élevé, la
police évitant par ailleurs la pratique de l’infiltration. Cette pratique
est également absente aux Pays-Bas, malgré que la surveillance électronique y soit largement appliquée.
En Angleterre, la surveillance électronique a été rendue obligatoire, dans les années 1980, pour tous les clubs de première et de
deuxième divisions. Aux circuits de contrôle-vidéo couvrant les tribunes se sont rapidement ajoutés des caméras-vidéo portables et, en
cas de match à risque élevé, des véhicules équipés de caméras-vidéo
sillonnant la foule aux abords du stade avant, pendant et après le
match, tout en étant en liaison permanente avec les policiers placés à
l’intérieur et à l’extérieur du stade. En outre, dans le cas des stades
connaissant un taux élevé d’incidents, la surveillance électronique
couvre également les parkings et les bâtiments environnants.
Mais, malgré le caractère dissuasif qu’on lui prête, la surveillance électronique reste d’une efficacité assez limitée. Ainsi, dès
le milieu des années 1980, la police anglaise a infiltré les groupes de
hooligans afin d’identifier leurs principaux membres. Jusqu’alors,
cette pratique, essentiellement réservée à la lutte contre le terrorisme,
n’avait été utilisée que durant la grève des mineurs en 1984, et lors
d’émeutes urbaines déclenchées au début de la décennie. Son application systématique à l’encontre des hooligans a permis à la police
de procéder rapidement à des arrestations massives, dès qu’elle
jugeait avoir suffisamment de preuves. L’efficacité de cette pratique a
pourtant été vite discréditée, suite au classement pour vice de forme
de nombreuses poursuites, dont certains éléments de preuve de la
culpabilité des hooligans avaient été recueillis par des policiers infiltrés. Bien que ce discrédit ait été ultérieurement renforcé par de nombreuses dénonciations (selon lesquelles les policiers infiltrés auraient
agi comme agents provocateurs, en incitant les jeunes surveillés à
« s’organiser en des groupes plus importants afin de créer des
incidents »1, ou en essayant d’organiser des rencontres avec des hooligans rivaux afin de provoquer des rixes), cette pratique reste toujours courante.
1. G. Armstrong, D. Hobbs, « Tackled from behind » in R. Giulianotti et al., Football, violence and
social identity, London, New York, Routledge, 1994, p. 213-214.
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162
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Si l’usage de l’infiltration en matière de lutte contre le hooliganisme constitue une transposition de pratiques appliquées auparavant
dans la lutte contre certaines formes graves de criminalité, la surveillance électronique était prévue par l’Union des associations européennes de football (UEFA), en 19831, alors que le renforcement de la
surveillance des supporters, en général, était un des principaux points
de la Convention européenne de 1985. Cela illustre bien la diversité
de l’origine de l’homogénéisation actuelle des dispositifs de lutte contre le hooliganisme en Europe. En effet, quoique l’uniformisation
croissante des stratégies d’action policière résulte, en grande partie,
de la conformité aux normes énoncées par l’UEFA et les instances
communautaires2, l’application de ces politiques met parfois en
lumière une homogénéisation autre, située au niveau des pratiques.
Cette dernière s’intègre dans une logique sécuritaire beaucoup plus
large, qui a été mise en œuvre suite à la création, dès le milieu des
années 1970, des premiers réseaux européens de coopération policière. Chargés initialement de la lutte contre certains phénomènes criminels particulièrement menaçants pour la sécurité intérieure des
pays européens (tels que le terrorisme et le trafic de stupéfiants), ces
réseaux policiers ont progressivement élargi leur champ d’action en y
intégrant un grand nombre de comportements délictueux, dessinant
ainsi un « continuum sécuritaire » couvrant l’ensemble des pays européens3. Mettant l’accent sur l’existence d’une « menace » plutôt que
sur la diversité de la nature de cette « menace », cette idéologie unificatrice a sensiblement affaibli les politiques spécifiques à chaque phénomène criminel et a, de la sorte, largement contribué à l’homogénéisation de la gestion policière de nombreuses questions de sécurité
intérieure en Europe. Il faudrait, toutefois, rappeler que, dans le cas
particulier du hooliganisme, les trois niveaux d’influence précités ne
fonctionnent pas en vase clos. Par conséquent, les étapes entre la conception et l’application d’une mesure ne sont pas toujours linéaires.
Ainsi, certaines mesures de coopération policière prévues par la Convention européenne de 1985 (comme l’établissement d’un réseau
d’officiers de liaison, par exemple) avaient-elles été appliquées, dès
les années 1970, dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et, depuis,
se sont développées sous l’impulsion du Trevi4.
1. UEFA, Ordre et sécurité dans les stades. Instructions impératives et recommandations pour éviter
des troubles provoqués par la foule, Berne, UEFA, 1983.
2. Cette uniformisation, qui jusqu’à présent a notamment résulté de l’adoption de la Convention
européenne de 1985, sera sans doute renforcée suite à l’adoption d’une nouvelle réglementation
relative à la coopération policière (Journal Officiel des Communautés européennes, C-196/99).
3. D. Bigo (dir.), L’Europe des polices et de la sécurité intérieure, Bruxelles, éd. Complexe, 1992,
p. 27-33.
4. M. Massé, « L’espace Schengen. Développement de l’entraide répressive internationale », Revue
de science criminelle et de droit pénal comparé, 1992, p. 805.
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
163
Focalisées ainsi sur l’élimination de la menace du hooliganisme, les mesures de surveillance des supporters ont, inévitablement, fini par rompre l’équilibre entre la quête d’efficacité dans la
lutte contre la criminalité et le respect des libertés et des droits fondamentaux. Cela résulte essentiellement du fait que cette politique, tout
en restant de finalité répressive (dans la mesure où elle facilite l’identification des fauteurs de troubles), obéit également à une logique
proactive, qui implique un net contrôle de la déviance, puisque
l’action policière est déterminée par des objectifs préalablement fixés
selon une certaine évaluation de la dangerosité d’une partie de la
population. Il faut rappeler à cet égard que l’installation d’un système
de surveillance électronique aboutit inévitablement à la constatation
d’actes répréhensibles : mieux surveillés, les spectateurs sont, de fait,
plus vulnérables aux yeux des agents de sécurité. L’infiltration des
groupes de hooligans aboutit au même résultat : les membres d’un
groupe considéré comme déviants et faisant, pour cette raison, l’objet
d’une surveillance très poussée auront davantage de « chances » de
faire l’objet d’une action répressive que n’importe quel autre groupe
n’ayant pas suscité le même degré d’encadrement. La mise en œuvre
de ces mesures facilitant la répression des actes de hooliganisme, les
pratiques policières peuvent alors s’avérer très efficaces, tout au
moins à court terme. Nous estimons, pourtant, que ces options pragmatiques choisies par le corps policier entraînent en réalité une certaine confusion des pouvoirs exécutif et législatif, le législateur
n’ayant pas « confié à une autorité particulière le droit de sélectionner les infractions qui seront recherchées »1. En outre, l’application
de ces mesures entraîne une deuxième confusion entre la réalité et la
réalité virtuelle, car « il n’y a plus un avant et un après l’accomplissement d’un délit, mais un avant ou un après « l’indice » qu’un délit
pourrait, le cas échéant, être accompli »2.
Aux questions soulevées par l’expansion de ce contrôle de la
déviance s’ajoutent, enfin, celles soulevées par la constatation de nombreux effets pervers, provoqués notamment par la mise en place du
dispositif de surveillance électronique dans les trois pays examinés. En
effet, d’une part, celui-ci a nettement contribué au déplacement spatiotemporel des activités des hooligans, les incidents se déclenchant de
plus en plus souvent avant ou après les matchs, aux abords des stades,
au centre des villes ou ailleurs. D’autre part, il a incité les hooligans à
1. C. De Valkeneer, « Les nouvelles stratégies policières : aux confins des criminalisations primaire
et secondaire » in Tulkens F., Acteur social et délinquance. Hommage à Christian Debuyst, Liège,
Bruxelles, Mardaga, 1990, p. 323.
2. D. Bigo, « La recherche proactive et la gestion du risque », Déviance et Société, n° 4, 1997,
p. 424.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
mieux organiser et planifier leurs actions et à recourir souvent à l’usage
d’armes, afin d’atteindre le résultat souhaité dans le minimum de
temps possible. Cette transformation de la manifestation du hooliganisme a, à son tour, impliqué une planification de plus en plus élaborée des interventions policières. Mais, comme la police a adopté une
logique de réaction plutôt que d’action, en calquant ses réponses sur
les modalités de manifestation du phénomène hooligan, sa politique a
fini par générer une véritable « lutte de cerveaux », laquelle a vite
entraîné tous les acteurs concernés dans un processus en spirale, les
uns élaborant leurs actions en fonction de celles des autres et les confrontations ressemblant de plus en plus à une guérilla urbaine.
Les centres de renseignements
Le caractère controversé de ces mesures et les dangers qui en découlent ne deviennent évidents que lorsque nous examinons le fonctionnement des centres de renseignements sur le hooliganisme existant
actuellement en Angleterre et aux Pays-Bas. Créé en 1989, le National Criminal Intelligence Service-Football Unit (NCIS/FU)1 est chargé
de rassembler, au niveau national, tous les renseignements sur le hooliganisme provenant des polices locales et de coordonner l’échange
de renseignements en cas de participation d’un club anglais ou de
l’équipe nationale à une rencontre internationale. Ses responsables
reçoivent, en principe, leurs renseignements des officiers de chaque
police locale concernée, mais à ces renseignements s’ajoutent ceux
transmis, à titre informel, par des agents de sécurité privés2, par des
indicateurs ou par toute autre personne considérée comme digne de
foi. En 1992, après que les renseignements recueillis aient été
envoyés à toutes les polices locales, le fichier du NCIS/FU contenait
les noms et les photos d’environ 6 000 fauteurs de troubles, avérés
ou potentiels. Durant la Coupe du monde de 1998, ce fichier contenait des données sur environ 4 000 personnes.
Nous devons remarquer que la constitution d’un tel fichier
entre à plusieurs égards en rupture avec la tradition légaliste de la
police anglaise. D’abord, le mode de recueil de ces renseignements
laisse, par définition, un grand pouvoir discrétionnaire à la police,
puisque d’une part il n’y a pas de critères d’évaluation de la crédibilité des informateurs informels et, d’autre part, les renseignements
portent sur des fauteurs de troubles « potentiels ». Le fait que ce
fichier constitue, en grande partie, un contrôle de la déviance plutôt
1. De 1989 à 1992, ce service s’appelait National Football Intelligence Unit.
2. Chargés du contrôle des supporters à l’entrée et à l’intérieur des stades.
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
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que de la délinquance devient manifeste lorsque nous constatons
que, parmi les 6 000 personnes enregistrées en 1992, 4 000 l’étaient
pour avoir commis des délits dans un contexte sportif (usage de stupéfiants, vente de billets de matchs au marché noir…)… ou pour
avoir fréquenté des hooligans. L’ampleur, potentiellement illimitée,
de ce contrôle est révélée en 1998 : suite à une demande de la Football Association, le NCIS/FU a recueilli des renseignements sur tous
les supporters qui, pour suivre la Coupe du monde, étaient susceptibles de répondre positivement aux offres des agences officielles de
voyage.
En outre, la collecte même des photographies alimentant ce
fichier semble être souvent entachée d’irrégularités. En effet, le ministère de l’Intérieur avait déclaré, en 1984, que la police avait le droit
de photographier toute personne gardée à vue, même contre son gré,
mais avait précisé que, en cas de non poursuite, ces photos seraient
détruites. En réalité, ces photos alimentent le fichier du NCIS/FU et
toutes les polices locales ont à leur disposition des photos tant des
condamnés que des suspects de hooliganisme1. Certains chercheurs
ont même dénoncé le fait que la police procède, de manière arbitraire, à des arrestations massives de supporters en déplacement, qui,
une fois conduits au poste et photographiés, sont relaxés sans que la
moindre charge soit retenue contre eux2. Cet aspect arbitraire du
mode de collecte des photos a été aussi observé en 1996, lorsque,
pendant le Championnat Européen, des policiers en civil photographiaient des « fauteurs de trouble potentiels » partout en ville, dans
les trains et dans le métro, fichant ainsi un nombre important de supporters. Constitué ainsi sans réelle visée d’efficacité, il n’est guère
surprenant de constater que la majorité des supporters anglais arrêtés
pour hooliganisme, lors de la Coupe du monde 1998, n’avaient pas
été enregistrés par le NCIS/FU sur ce type de fichier.
Il faudrait, enfin, souligner que le fonctionnement du NCIS/FU
reste également opaque en matière de durée de conservation des données enregistrées et d’accès à celles-ci. En effet, d’une part, les données sont conservées jusqu’à ce que la police le juge nécessaire ;
d’autre part, l’accès au fichier est interdit aux personnes concernées3.
Bien que l’accès à ce fichier soit réservé à certaines catégories de fonctionnaires, en vertu des dispositions du Data Protection Act 1984, le
1. G. Armstrong, D. Hobbs, art. cit., p. 215-225.
2. S. Greenfield, G. Osborn, « England’s Dreaming : The Legal Regulation of the Space(s) and
Place(s) of Football and Cricket », intervention au colloque Identités collectives et représentations
symboliques, Paris, 1996, (texte non publié).
3. Les personnes intéressées ont seulement le droit de savoir si elles figurent dans le fichier du
NCIS/FU.
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166
SPORT ET ORDRE PUBLIC
NCIS/FU jouit d’un grand pouvoir discrétionnaire, pouvant transmette
officieusement une partie ou l’ensemble de son fichier à qui lui semble
bon.
Le lien établi entre le contrôle de la déviance et la création de
centres de renseignements sur le hooliganisme semble beaucoup plus
atténué aux Pays-Bas où, en 1986, a été créé un service chargé du
recueil de renseignements et de la coordination de la coopération internationale, le Centraal Informatiepunt Voetbalvandalisme (CIV). Cependant, même si le fonctionnement du CIV obéit à une réglementation
plus rigoureuse, qui réduit sensiblement le risque de glissement vers le
contrôle de la déviance, ce danger n’est pas complètement écarté.
La volonté d’éviter tout contrôle de la déviance est manifeste
tant en matière de collecte qu’en matière d’usage des renseignements
obtenus. Ainsi, la majorité écrasante des renseignements vient-elle
des officiers de police ayant assisté à un match donné. Ceux-ci, après
la fin du match, remplissent un formulaire contenant des questions
sur les mesures de sécurité adoptées par la police et par les instances
dirigeantes des clubs concernés, sur les supporters des deux clubs
(nombre, moyens de transport utilisés, degré de dangerosité…), et sur
le déclenchement éventuel d’incidents. Les renseignements nominatifs ne doivent porter que sur les supporters arrêtés. Le CIV recueille
aussi des renseignements par la police des trains et par les instances
judiciaires (pour les personnes faisant l’objet d’une condamnation).
Enfin, il peut obtenir des renseignements informels par le personnel
des agences de sécurité privées (chargé du contrôle des supporters à
l’entrée et à l’intérieur des stades, ainsi que lors de leur déplacement), par les dirigeants des clubs et par l’Association néerlandaise
de football. Au milieu des années 1990, ce fichier contenait des données sur 2 000 hooligans néerlandais, ainsi que sur les hooligans
étrangers arrêtés aux Pays-Bas. Ces données sont conservées jusqu’à
trois ans après le dernier enregistrement et peuvent être consultées
par des policiers, des juges et les personnes concernées. Les précautions prises afin de limiter le fonctionnement du CIV au seul contrôle
de la délinquance ont provoqué la modification de certaines pratiques policières. Ainsi, contrairement à leurs homologues anglais, les
responsables du CIV ont-ils rapidement cessé d’envoyer à l’étranger
les noms des hooligans néerlandais fichés par leurs soins, car ils
avaient constaté que cette pratique entraînait un net contrôle de la
déviance par les polices des pays voisins.
Mais, bien qu’intégré dans un cadre de légalité satisfaisant, le
fonctionnement du CIV finit par impliquer un certain contrôle de la
déviance. En effet, en cas de jugement d’une affaire de hooliganisme,
les juges peuvent, avant le prononcé de la peine, déroger aux règles
procédurales en se renseignant auprès du CIV sur le nombre d’arres-
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
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tations préalables de l’accusé. Il est donc clair que les peines qu’ils
prononcent à l’encontre des hooligans sont en partie déterminées par
le degré de la dangerosité présumée des accusés. À cet égard, les
juges néerlandais se rapprochent sensiblement de leurs homologues
anglais, puisque cette sanction de la dangerosité de l’acteur caractérise aussi les arrêts des tribunaux anglais, qui, dès les années 1970,
tendent à condamner les hooligans à des peines plus graves que celles infligées à des auteurs de délits identiques, mais commis dans des
contextes non sportifs1.
Le fait que c’est cette notion de dangerosité se trouve à l’origine
de l’instauration du contrôle de la déviance est confirmé par l’adoption de mesures répressives à l’encontre de hooligans… même lorsque ces derniers n’ont pas commis de délits. Ainsi, plusieurs hooligans identifiés par des spotters2, lors des Coupes du monde de 1990 et
de 1998, ont-ils été immédiatement expulsés, respectivement, d’Italie
et de France, en raison de la menace potentielle qu’ils représentaient
pour l’ordre public. Dans le cas français, en particulier, les autorités
ont eu recours à la procédure d’urgence absolue, sans que cela ne
soulève la moindre protestation. Toutefois, le fondement légal de ces
arrêtés d’expulsion reste bien fragile, car la procédure d’urgence
absolue, jusqu’alors réservée à des terroristes présumés, ne saurait être
appliquée à titre préventif, puisqu’elle est censée porter sur des faits
précis et imputés à une personne déterminée. Facteur aggravant : ces
arrêtés d’expulsion ont frappé des ressortissants communautaires.
Cette association indirecte du hooliganisme au terrorisme, déjà
observée dans le cas de l’infiltration des groupes de hooligans, apparaît également lors de l’adoption par le National Football Intelligence
Unit, à la veille de la Coupe du monde de 1990, d’une autre mesure
calquée sur celles appliquées depuis longtemps en matière de terrorisme. Il s’agissait de l’installation d’une ligne téléphonique pour recevoir, en toute confidentialité, des informations sur d’éventuels incidents
et leurs auteurs, ainsi que des témoignages facilitant l’identification des
fauteurs de troubles. Implicitement justifiée par la dangerosité du hooliganisme, cette mesure n’a pas soulevé de critiques. Lorsque, dans la
même année, certaines polices locales anglaises ont voulu lutter contre
la conduite en état d’ivresse, à l’origine de centaines de décès par an,
en envoyant des policiers infiltrés aux pubs et en créant une ligne télé-
1. E. Trivizas, « Sentencing the football hooligan », The British Journal of Criminology, n° 4, 1981,
p. 344-348 ; M. Salter, « The Judges vs the Football Fan : A Sporting Contest ? », Northern Ireland
Legal Quarterly, 1985, p. 351-356 ; M. Salter, « Judicial Responses to Football Hooliganism », Northern Ireland Legal Quarterly, 1986, p. 281-290.
2. Policiers en civil chargés de suivre des groupes de hooligans afin de mieux connaître leur comportement et de pouvoir identifier leurs membres en cas de match à haut risque à l’intérieur de leur
pays ou à l’étranger.
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168
SPORT ET ORDRE PUBLIC
phonique pour le public, l’opinion publique a réagi très violemment,
en considérant que ces pratiques constituaient une violation de la vie
privée, qu’elles étaient dangereuses pour la démocratie, et qu’elles
présageaient l’avènement d’une société policière…1
LES PERCEPTIONS
DU HOOLIGANISME
Ceci étant, il apparaît clairement que l’établissement et l’acceptation
implicite du contrôle de la déviance s’appuient essentiellement sur
une seule base justificatrice, la dangerosité du hooliganisme. Nous
n’avons guère l’intention de minimiser ici l’importance du nombre
de victimes et des dégâts matériels provoqués par les hooligans.
Nous estimons, pourtant, que la logique sous-tendant la mise en
place de nombreuses mesures policières n’a pas été déterminée tant
par la dangerosité réelle du hooliganisme que par deux facteurs liés,
respectivement, à la manifestation du phénomène et aux motifs attribués aux hooligans. D’abord, l’aspect répétitif et la forte visibilité,
voire l’ample médiatisation des incidents, ont vite mis en cause la
capacité de la police à assurer le maintien de l’ordre, l’incitant ainsi à
adopter toute mesure présentée comme susceptible d’éliminer un
phénomène criminel portant atteinte à son image. Ce facteur étant
pourtant commun aux trois pays examinés, il semble que l’intensité
du contrôle de la déviance et l’adoption éventuelle du principe de la
négociation sont davantage liées au deuxième facteur, à savoir la
perception des hooligans par chaque société respective.
La prédominance de la notion de dangerosité
La perception du hooliganisme en tant que phénomène criminel dangereux est dominante en Angleterre, assez répandue en Italie, mais
pratiquement absente aux Pays-Bas. Cette perception est le produit
de deux processus distincts, mais interdépendants. Le premier consiste à dénuder le hooliganisme de tout support rationnel, en dissociant ses acteurs tant de leur contexte socio-économique que du
milieu sportif (il est, en effet, de plus en plus souvent souligné que
ceux-ci ne sont pas de « vrais supporters ») et en enveloppant leurs
actes d’une aura irrationnelle, voire pathologique. Élaboré notamment par les médias, ce processus a été largement suivi par les autorités publiques et sportives.
1. G. Armstrong, D. Hobbs, art. cit., p. 226.
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
169
Ainsi, en Angleterre, les hooligans sont-ils habituellement présentés soit comme des « voyous » et des « tumeurs » du corps social,
soit comme des « alcooliques », des « brutes », des « idiots » et des
« malades mentaux »1. Dominante également au sein de la police,
cette perception coexiste parfois avec une autre, pourtant diamétralement opposée, selon laquelle les hooligans sont très dangereux car ils
sont extrêmement organisés et n’agissent que pour le plaisir de
s’impliquer dans des bagarres. Une fois présentée comme irrationnelle ou comme le fruit d’une forte organisation à des fins gratuites,
la manifestation de cette forme de violence conduit au deuxième
processus, celui de la genèse d’une panique morale. En effet, dans
tous les cas, la manifestation du hooliganisme se réduit à l’aspect
apparent d’une violence qui, ne pouvant être intégrée dans un contexte familier, est considérée comme particulièrement dangereuse,
une véritable « menace sociale », justifiant alors l’adoption de toute
mesure présentée comme appropriée en la matière. Cette perception
du phénomène a d’ailleurs légitimé, aux yeux de l’opinion publique,
l’usage de policiers infiltrés et le recours aux nouvelles techniques de
surveillance. Comme nous l’avons déjà souligné, bien que l’adoption
de ces mesures ait établi un large contrôle de la déviance, la société
civile n’a pas protesté, puisque celui-ci ne s’appliquait pas à des personnes appartenant aux catégories traditionnelles d’acteurs sociaux
ou politiques, mais à des personnes irresponsables, génératrices de
désordre social. Il importe, d’ailleurs, de souligner que la prédominance de ce stéréotype ne se trouve pas seulement à l’origine de
l’établissement d’un large contrôle de la déviance, mais aussi à celle
de l’exclusion du principe de la négociation de la gestion policière
du hooliganisme, puisque la police anglaise n’a, jusqu’à présent,
réservé cette option qu’aux seuls acteurs intégrés, à ses yeux, au système institutionnel en vigueur2.
Le lien entre la perception du hooliganisme et l’exclusion du
principe de la négociation devient davantage clair lorsque nous examinons le cas italien. Malgré le nombre important et la gravité des
incidents, jusqu’au milieu des années 1980 le hooliganisme italien
était considéré comme un problème d’ordre public commun, et les
médias l’attribuaient à des facteurs socio-économiques, politiques ou
psychologiques. Ceci résultait du fait que, la société italienne traversant alors une période d’agitation sociopolitique intense, d’une part
la gravité des incidents de hooliganisme était relativisée et, d’autre
1. Pour une analyse de la présentation du hooliganisme par les médias anglais, voir A. Tsoukala,
Sport et violence, Athènes/Bruxelles, Sakkoulas/Bruylant, 1995, p. 144-152.
2. P. Waddington, Controlling Protest in Contemporary, Historical and Comparative Perspective,
Florence, European University Institute, n° 97/6, 1997, p. 4-6 et p. 16-17.
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170
SPORT ET ORDRE PUBLIC
part, il semblait normal d’attribuer à ce comportement des causes
semblables à celles attribuées aux comportements violents de la jeunesse politisée de l’époque. Cette perception a pourtant changé dans
la deuxième moitié des années 1980, ce qui coïncide avec la hausse
de la gravité des incidents, mais aussi avec la pacification de la
société italienne, le hooliganisme étant dès lors considéré comme
particulièrement menaçant car ne s’intégrant plus dans un contexte
de violence sociale généralisée. À partir de ce moment, la perception
du phénomène commence à se rapprocher de celle déjà observée en
Angleterre, et à produire les mêmes effets.
La prédominance de cette perception au sein de la police italienne reflète, d’une part, l’impossibilité de comprendre et d’accepter
une forme de violence collective non politique (ou perçue comme
telle) et, d’autre part, le refus, ou l’incapacité, de voir dans les leaders
des groupes de hooligans des acteurs sociaux et des interlocuteurs
dignes de faire l’objet d’un dialogue, voire d’une négociation. En
effet, nombre de policiers s’accordent sur le fait que, alors que les
agissements des manifestants des années 1970 étaient motivés par
des mobiles politiques, les hooligans « ne veulent qu’être impliqués
dans des rixes, soit dans les stades, soit contre les immigrés », qu’ils
« aiment se bagarrer avec la police, car ils veulent [la] provoquer ;
bref, ils cherchent à s’opposer aux institutions, à l’État »1. Ainsi, alors
que l’adoption d’un comportement violent par un manifestant formulant des réclamations sociales ou politiques est acceptable, car
venant des « gens qui ont de bonnes raisons d’être en colère »,
l’adoption d’un comportement semblable par un hooligan « est une
autre histoire »2. La prédominance de cette mentalité est si déterminante qu’elle finit par empêcher l’élaboration de toute politique alternative. Cette réticence devient manifeste lorsqu’on peut établir
qu’une seule réelle tentative de prise de contact et de relations suivies a été tentée par la police italienne. Plus précisément, suite à l’initiative d’un officier de police, la police a écarté ses préjugés moraux
et a cherché à négocier avec les leaders des groupes de hooligans du
club de Gènes en les incitant à assumer eux-mêmes le contrôle de
leur groupe. En cas d’incident dans le stade, deux policiers en civil
contactaient ces leaders et rétablissaient l’ordre par l’intermédiaire de
ceux-ci. Malgré son succès, cette expérience a été abandonnée dès
que cet officier de police fut transféré et elle n’a jamais été répétée3.
1. D. della Porta, Police Knowledge and Public Order : Some Reflections on the Italian Case, Florence, European University Institute, Florence, n° 97/11, 1997, p. 20.
2. Ibidem, p. 23.
3. R. de Biasi, « The policing of hooliganism in Italy », intervention au colloque The policing of
mass demonstrations in contemporary democracies, Florence, European University Institute, 13-14
octobre 1995 (texte non publié).
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
171
Le refus de l’approche sécuritaire
En revanche, aux Pays-Bas, dès l’apparition du hooliganisme, le
phénomène a été attribué, tant par les médias que par les autorités,
à des facteurs socio-économiques. Cela a contribué à la formation
d’une autre perception du phénomène par la police et, par conséquent, a conduit à la planification d’une autre politique policière
qui se différencie de celles observées en Angleterre et en Italie à
deux égards.
D’abord, l’adoption de mesures de prévention situationnelle est
allée de pair avec l’élaboration d’une politique de prévention primaire. La police utilise à cette fin des agents en civil qui, tout en fonctionnant comme les spotters anglais, tâchent d’établir un champ de
communication avec les jeunes afin de créer un climat de confiance
leur permettant de mieux se connaître. Ils fréquentent les supporters
autant que possible, même dans des contextes non sportifs (cafés, salles de billard, etc.) visant, dans un premier temps, à briser leur anonymat et, dans un deuxième temps, à affaiblir l’influence de leurs chefs,
en les sensibilisant sur leurs actes et les conséquences juridiques de
ceux-ci. En cas d’incident, l’intervention policière basée sur le contact
humain plutôt que sur une logique de confrontation permet l’apaisement des tensions, ceci d’autant plus facilement que, aux yeux des
policiers, les supporters sont des citoyens ordinaires auxquels un simple rappel de la loi exerce, en principe, un effet dissuasif suffisant.
Il importe de souligner que cette politique semble être efficace,
non seulement à l’intérieur du pays mais aussi à l’étranger, comme
l’indique l’absence d’incidents impliquant des hooligans néerlandais
lors des rencontres internationales des années 1990. Nous devons
tout de même remarquer que cette efficacité ne saurait être dissociée
du fait que la police néerlandaise jouit, en général, de la confiance
d’une grande partie de la population, et qu’elle n’est pas particulièrement discréditée auprès des jeunes.
Le deuxième effet de cette perception du phénomène devient
manifeste lorsque nous examinons les objectifs de la police néerlandaise. Contrairement à leurs homologues anglais et italiens, les policiers néerlandais ne cherchent pas à éliminer le hooliganisme, mais à
le contenir, afin d’éviter les délits les plus graves. Considérant que les
racines du phénomène sont socio-économiques, politiques, psychologiques ou autres, ils estiment que, tant que les causes génératrices
du phénomène continuent à exister, toute tentative d’élimination du
hooliganisme par la force pourrait, certes, aboutir à une baisse des
incidents, mais conduirait, inévitablement, à l’émergence d’autres
formes de violence collective qui, par définition, seraient plus imprévisibles et donc plus menaçantes pour le corps social.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Il faut toutefois rappeler que, bien que rejetant l’approche
sécuritaire, cette perception n’exclut pas le contrôle de la déviance,
puisque celui-ci apparaît tant en matière de surveillance électronique
qu’en matière de coopération des instances judiciaires avec le CIV. Il
semble, donc, que les effets de la perception du hooliganisme par les
agents de sécurité des pays étudiés portent notamment sur l’opportunité de l’adoption du principe de la négociation. Cette conclusion
paraît, d’ailleurs, confirmée par le cas italien, dans lequel l’acceptation de la notion de dangerosité du hooliganisme a exclu la négociation, sans provoquer pour autant un large contrôle de la déviance.
Cela ne devrait pourtant pas minimiser l’importance du lien entre
une perception donnée du hooliganisme et l’établissement éventuel
d’un contrôle de la déviance, le cas anglais nous montrant clairement
que l’instauration et l’acceptation générale de ce contrôle sont indissociables de la place prépondérante qu’occupe la notion de dangerosité du hooliganisme au sein de la société et, notamment, au sein des
forces de l’ordre du pays.
*
* *
Vu que le recours fréquent à la négociation en matière de gestion des foules a largement contribué, dès les années 1980, à une
baisse notable des incidents liés à ce type de comportements, l’exclusion de cette option de la gestion du hooliganisme ne révèle pas seulement les limites subjectives de l’applicabilité de cette mesure, mais
rend également évidents les dangers qui peuvent découler de la mise
en œuvre de politiques policières essentiellement déterminées par la
perception d’un phénomène criminel donné. Certes, ces dangers
multiples, situés tant aux niveaux social et juridique qu’au niveau
institutionnel des sociétés concernées, sont provoqués involontairement, mais ils ne sont pas moins réels. En effet, d’une part, les politiques préventives ont fini par mettre en jeu l’ordre public au nom
duquel elles avaient été adoptées, en contribuant sensiblement à
l’aggravation du phénomène criminel à combattre. D’autre part, elles
ont porté atteinte à l’ordre juridique et institutionnel des sociétés
qu’elles étaient censées protéger, en établissant un large contrôle de la
déviance, incompatible avec les principes d’un régime démocratique.
Si le rôle joué par la prédominance de la notion de dangerosité
du hooliganisme paraît incontestable, il est beaucoup moins aisé de
tracer l’origine de cette perception sécuritaire. Il nous semble, toutefois, plausible de supposer que celle-ci reflète, en réalité, une certaine vision de la structure d’un corps social donné et du rôle des forces de l’ordre au sein de celui-ci. La société serait ainsi conçue, de
manière plutôt statique, comme un ensemble de structures et de
règles impersonnelles, lequel n’atteindrait son équilibre maximal et,
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LA GESTION POLICIÈRE DU HOOLIGANISME
173
par conséquent, son fonctionnement optimal que lorsqu’il serait intégré dans un cadre d’ordre. Le maintien de cet équilibre, menacé en
permanence, nécessiterait alors une protection constante contre
toute forme de désordre résultant de l’accomplissement d’actes délictueux. Une fois considéré comme condition indispensable au maintien de l’équilibre social, le maintien de l’ordre public tendrait à
devenir une fin en soi et les agents de sécurité publics se transformeraient en véritables gardiens des conditions de survie et d’épanouissement de leur société. Le fait que cette vision ne s’appuie pas principalement sur le facteur humain impliquerait, par ailleurs, que tout
comportement portant atteinte à l’ordre public finirait par être considéré, de manière impersonnelle, voire indifférenciée, comme une
menace sociale à éliminer, incitant ainsi les agences de sécurité
publiques à adopter une logique de pure confrontation.
D’après ce schéma, une perception du hooliganisme semblable à celle observée aux Pays-Bas refléterait une autre vision, plutôt
dynamique, selon laquelle la société serait conçue comme un tissu
d’interactions, de conflits et de relations dialectiques, lequel déterminerait à tout moment, au sein d’un cadre institutionnel donné, le
degré d’équilibre et le mode de fonctionnement du corps social en
question. La fluidité des éléments constitutifs de ce tissu supposant,
par définition, l’existence d’un certain désordre, non seulement
l’équilibre maximal de celui-ci ne nécessiterait pas forcément le strict
maintien de l’ordre public, mais, jusqu’à un certain point, il en serait
indépendant. D’ailleurs, le rôle des citoyens en matière de maintien de
l’ordre public ne serait pas a priori positif ou négatif, selon leur volonté
initiale de respecter de la loi ; il serait sans cesse redéfini, car il dépendrait de leur aptitude à adopter, dans un contexte donné, le comportement qui porterait la moindre atteinte à l’équilibre social. À cet
égard, les agents de sécurité publics provoquant, suite à une gestion
inappropriée d’un phénomène délictueux, l’aggravation ou le déplacement non souhaitable du problème, pourraient être considérés comme
aussi menaçants pour l’équilibre de l’ensemble social que les délinquants eux-mêmes. Enfin, suivant cette logique, du moment que cet
équilibre social résulterait d’un ensemble d’interactions entre des
acteurs multiples, son maintien ne saurait être assuré que par la quête
de solutions consensuelles apportées aux conflits éventuels, ce qui
inciterait les agences de sécurité publiques à adopter une politique
basée sur le dialogue et la négociation plutôt que la confrontation.
Bien évidemment, le schéma ci-dessus étant purement théorique, les deux logiques qui le composent influencent, certes, mais ne
déterminent jamais complètement la gestion policière du hooliganisme dans les pays concernés. Ainsi, la tolérance des délits mineurs
commis par des supporters (option relevant de la deuxième logique)
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
se rencontre-t-elle aussi bien aux Pays-Bas qu’en Angleterre. La
coexistence de ces deux logiques dans chaque politique nationale
étudiée semble, alors, indiquer que l’importance des dangers que
peut représenter pour une société démocratique la gestion policière
du hooliganisme dépend du degré de sa relative conformité avec
chacune de ces deux logiques et avec les perceptions respectives qui
en découlent.
Références bibliographiques
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University Institute, no 97/10, 1997, 23 p.
DELLA PORTA D., REITER H., The Policing of Protest in Contemporary
Democracies, Florence, European University Institute, no 97/1,
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social identity, London, New York, Routledge, 1994, 268 p.
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LA SÉCURITÉ DE LA COUPE DU MONDE
175
LA SÉCURITÉ DE LA COUPE
DU MONDE DE FOOTBALL
DE 1998 : BILAN
Jean-Charles BASSON
■ Olivier LE NOÉ
■
avec la collaboration de
■
Frédéric DIAZ
Résumé : la sécurité de la Coupe du monde de football de 1998 reposait
sur deux ressorts principaux. La gestion des risques à l’intérieur et aux
abords des stades était le premier d’entre eux. Supposant la « mise en
conformité » du dispositif français aux règles internationales en la
matière, elle impliquait l’élaboration d’un cadre légal approprié, la
modification des installations sportives concernées par l’événement, la
mise au point d’une nouvelle politique d’accueil des supporters dans les
stades et, plus encore, la définition d’une politique de sécurité conçue
pour l’occasion. La construction du stade de France faisait figure de
second argument. Conçu comme un modèle de sécurité, il était présenté, d’une part, comme la vitrine du dispositif matériel, technologique
et humain et, d’autre part, comme le terrain privilégié d’application de
la politique de sécurité.
Trente-deux équipes nationales disputant soixante-quatre rencontres, pendant trente-trois jours de compétition, dans dix stades
répartis sur l’ensemble du territoire français (à Bordeaux, Lens, Lyon,
Marseille, Montpellier, Nantes, Paris, Saint-Denis, Saint-Étienne et
Toulouse), le tout devant 12 000 représentants des médias, 2,5 millions
de spectateurs et 41 milliards de téléspectateurs en audience
cumulée : les paramètres principaux déterminant la sécurité de la seizième Coupe du monde de football se déroulant en France du
10 juin au 12 juillet 1998 laissaient clairement apparaître l’ampleur
du défi à relever pour assurer le bon déroulement d’un tel événement.
La tâche était d’autant plus ardue que les délais étaient courts
et que la France n’était pas dotée d’un système de sécurité suffisamment élaboré1. En effet, relativement moins exposée que ces principaux voisins européens (tels que l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgi-
1. La catastrophe de Furiani, survenue en 1992, était par ailleurs dans tous les esprits.
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176
SPORT ET ORDRE PUBLIC
que ou les Pays-Bas, par exemple) aux troubles à l’ordre public
accompagnant les rencontres de football et, par ailleurs, privée
d’enceintes sportives susceptibles de proposer plus de 50 000 places
assises aux spectateurs1, il lui fallait, pour soutenir la comparaison,
consentir des efforts importants. Dégager un mode de gestion des risques à l’intérieur et aux abords des stades à la hauteur de l’événement, d’une part, construire une enceinte permettant à 80 000 amateurs de football d’assister à la compétition dans des conditions
sécurisées, d’autre part, étaient les deux conditions qui s’imposaient
à elle et qu’elle s’est appliquée à satisfaire2.
LA GESTION DES RISQUES
À L’INTÉRIEUR
ET AUX ABORDS DES STADES
À la veille de la Coupe du monde de football, la France connaissait
incontestablement un retard dans sa préparation. Si d’ajustements en
adaptations elle est parvenue, petit à petit, à s’aligner sur les autres pays
européens (en premier lieu, l’Angleterre)3, seule la définition d’une politique de sécurité conçue pour l’occasion lui a permis de prétendre assurer la gestion des risques à l’intérieur et aux abords des stades destinés à
accueillir les rencontres de la compétition internationale.
La « mise en conformité » du dispositif français
L’accueil d’un tel événement supposait, en effet, d’agir sur trois domaines particulièrement sensibles et stratégiques de la gestion de la sécurité des enceintes sportives : il s’agissait, d’une part, de se doter d’un
cadre légal suffisamment élaboré afin d’anticiper, ou par défaut de
traiter à chaud, les situations les plus difficiles ; il fallait, d’autre part,
réviser sérieusement les installations sportives elles-mêmes et envisager, au besoin, de redéfinir la logique de leur conception ; enfin, la
politique d’accueil des supporters devait également être repensée.
1. Seul le stade Vélodrome de Marseille disposait alors d’une telle capacité.
2. Pour une présentation plus complète de la sécurité dans les stades, voir Le Noé Olivier,
« Football et violence », Regards sur l’actualité, 243, juillet-août 1998, p. 55-70 et Diaz Frédéric,
Sécurité privée et sécurité publique, une nouvelle forme de contrôle social : logique et gestion des
risques à l’intérieur et à l’extérieur du stade de France pendant la Coupe du monde de football de
1998, Paris X-Nanterre, mémoire de DEA de politique comparée et de sociologie politique,
septembre 1998. L’article emprunte à ces deux sources.
3. Cette dernière a organisé avec succès le Championnat d’Europe des nations en 1996 alors
qu’elle était touchée par le hooliganisme.
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LA SÉCURITÉ DE LA COUPE DU MONDE
177
L’élaboration d’un cadre légal approprié
Avant même la préparation de la Coupe du monde, les affrontements
violents ayant opposé certains supporters aux forces de police à
l’occasion des rencontres de football des saisons précédentes ont
sensibilisé les pouvoirs publics et les autorités sportives françaises à
la nécessité de faire évoluer les dispositions légales sanctionnant ce
type de troubles à l’ordre public1. Quatre textes font alors références :
– la loi n° 93-1282 du 6 décembre 1993 (dite « loi Alliot-Marie »
relative à la sécurité des manifestations sportives) définit notamment le
régime de sanctions pénales appliquées aux personnes qui commettent
ou tentent de commettre certaines infractions dans les enceintes sportives (état d’ivresse, introduction de boissons alcooliques, actes de violence, incitation à la haine ou à la violence, port de signes ou symboles
rappelant une idéologie raciste ou xénophobe, introduction de fusées,
artifices ou objets susceptibles de constituer une arme, jet de projectiles
ou utilisation des installations mobilières ou immobilières du stade
comme projectiles). Outre des peines d’amende et de prison, une interdiction de pénétrer dans une ou plusieurs enceintes sportives pendant
une durée de cinq ans au plus et, pour les étrangers, une interdiction du
territoire français pour deux ans au plus peuvent être prononcées ;
– la circulaire 94403IIC du 9 décembre 1994 du ministère de
l’Intérieur concerne la sécurité dans les enceintes sportives à l’occasion des rencontres de football. Elle réaffirme en particulier la responsabilité des organisateurs des matchs en ce qui concerne le maintien
de l’ordre à l’intérieur des stades, l’État restant pour sa part responsable du maintien de l’ordre à l’extérieur et pouvant aussi intervenir
dans les stades lorsque les circonstances l’exigent. Elle pousse, par
ailleurs, à la création et à la généralisation de la fonction de stadier,
sensibilisant ainsi les organisateurs au développement d’une approche préventive mettant l’accent sur la qualité de l’accueil et la fluidité des déplacements à l’intérieur du stade ;
– la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 (dite « loi Pasqua » d’orientation et de programmation relative à la sécurité), n’est pas spécifiquement consacrée aux problèmes de sécurité dans les stades mais
comporte des dispositions (sur la vidéosurveillance, l’ordre public,
les interventions de police) qui peuvent les concerner. C’est ainsi que
son article 23 stipule que « les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d’y
assurer un service d’ordre lorsque leur objet ou leur importance le
justifie ». Concrétisée par le décret no 97-646 du 31 mai 1997, cette
loi stipule, également, l’obligation du dépôt en mairie, ou en préfec-
1. Pour une comparaison européenne, voir, supra, l’article d’Anastassia Tsoukala.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
ture, d’une déclaration préalable (un mois avant le début de la manifestation) précisant les dispositions prises en matière de sécurité et
rendant pénalement responsables les personnes morales et les dirigeants ou organisateurs qui n’auraient pas respecté ces dernières ;
– la loi n° 98-146 du 6 mars 1998 (relative à la sécurité et à la
promotion d’activités sportives) modifie et complète la loi n° 84-610
du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Elle précise notamment que seules des
places assises peuvent être prévues dans les tribunes, ces dernières
ne pouvant accueillir plus de spectateurs que de places, et étend la
peine d’interdiction de stade à des faits commis à l’extérieur des
enceintes sportives. Un tel cadre légal supposait la modification des
installations existantes.
La modification des installations sportives
Créés à des époques, dans des contextes et selon des logiques très
différentes, les stades destinés à accueillir les rencontres de la Coupe
du monde de football se sont vus appliquer un traitement architectural inspiré des principes de la prévention situationnelle. Ainsi, selon
le modèle de gestion des risques sportifs dans les grandes enceintes
ayant alors cours en Angleterre, les stades français ont été modifiés
afin de répondre à quatre préoccupations principales. La première
consistait à diviser le stade en un certain nombre de secteurs séparés
les uns des autres afin d’éviter les déplacements de foule, les rencontres inopportunes de supporters adverses envisageant d’en découdre
et, plus simplement, de mieux gérer et contrôler le flux des spectateurs. Par ailleurs, deuxième décision importante modifiant l’intérieur
même des stades, chacun des secteurs ainsi délimités a été doté d’un
niveau d’équipement suffisant lui conférant un certain agrément.
Ainsi, la création d’espaces d’accueil et de services et la généralisation des places assises (jusqu’à la suppression complète des emplacements susceptibles d’être occupés par les spectateurs souhaitant rester debout), la multiplication des équipements de confort (toilettes,
buvettes, « zones familiales »…) ont sensiblement fait évoluer
l’ambiance dans les gradins, au bénéfice d’une hausse du prix des
places et d’une transformation, de fait, de la composition sociologique du public.
Par ailleurs, la mise en place d’une assistance technologique
de pointe a complété le dispositif : gestion informatisée des flux,
vidéosurveillance… le tout contrôlé par un véritable poste de commandement « sécurité ». Regroupant les différents responsables des
services de sécurité et de secours, il a permis une coordination centralisée et, en cas de besoin, une intervention rapide et efficace des
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LA SÉCURITÉ DE LA COUPE DU MONDE
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forces de police1. Enfin, dernière modification hautement symbolique : les barrières fixes séparant le public du terrain ont été remplacées par des barrières mobiles ou, comme dans huit des dix stades
accueillant la Coupe du monde de football, abaissées.
Une nouvelle politique d’accueil des supporters
Également inspirée du modèle anglais, cette dernière reposait en
grande partie sur le recours aux stewards, requalifiés pour l’occasion
« stadiers ». Visant à prévenir la violence dans les stades, leur mission était double : d’une part, ils contrôlaient les billets et les accès
aux tribunes, accueillaient les spectateurs et géraient les flux occasionnés par ces derniers ; d’autre part, ils étaient chargés d’assister les
supporters dans leur placement, de leur préciser toute information
utile et surtout de leur rappeler, au besoin, quelques règles élémentaires de bonne conduite. Ils représentaient ainsi le premier maillon
de la chaîne de la sécurité qui comptait également la police et la gendarmerie, d’une part, et l’armée, d’autre part. Ils assuraient donc le
rôle stratégique d’intermédiaires entre les spectateurs et les forces de
l’ordre. Volontaires et bénévoles pour deux tiers d’entre eux, ils
étaient 5 000 (dont 20 % de femmes) dans l’ensemble des stades et
pendant toute la durée de la Coupe du monde2, auxquels s’ajoutaient
1 850 professionnels de la sécurité recrutés au sein d’agences privées.
Le gage de la réussite du recours aux stadiers reposait, sans
doute, sur la formation qui leur a été dispensée3. Harmonisée à celle
des forces de l’ordre classiques, elle abordait notamment les thèmes
suivants : la fouille à l’entrée du stade, le contrôle des titres d’accès, les
positions à adopter aux différents moments du match, ou bien encore
les modalités d’une transmission rapide et efficace des informations
recueillies dans les tribunes à leur hiérarchie. Il reste que la loi ne leur
conférait aucun pouvoir de coercition ou de police susceptible d’être
exercé à l’encontre des fauteurs de troubles. Ils se trouvaient, en quelque sorte, dans une position de scrutateurs éclairés, spécialisés et formés à réduire les probabilités de déclenchement d’incidents graves.
Leur aptitude au dialogue et à l’encadrement des foules constituait leur
principal atout. En liaison permanente avec le poste de sécurité, les
1. Le rapport du commissaire divisionnaire Philippe Swiners-Gibaud, remis au ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, à la fin de l’année 1993, préconisait, de surcroît, que chaque enceinte soit
dotée d’une tribune réservée aux supporters adverses et que les travées voisines soient condamnées
afin de créer une sorte de no man’s land entre les visiteurs et le public local.
2. Le stade de France mobilisant à lui seul 800 stadiers pour chacun des matchs qu’il a accueillis,
soit un pour cent spectateurs.
3. Sous le contrôle du ministère de la Jeunesse et des Sports, une étude est menée sur la mise en
place d’une formation au métier de stadier et la création des diplômes correspondants par la commission nationale mixte de sécurité et d’animation dans les stades.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
stadiers étaient enfin les premiers à percevoir les signes avant-coureurs
d’une dégradation de l’ordre public et pouvaient, à ce titre, adapter la
réponse policière au plus près de la réalité du trouble.
La définition d’une politique de sécurité
conçue pour l’occasion
Au-delà des dispositions, somme toute légères, décrites précédemment et consistant, finalement, en une simple « mise en conformité »
du dispositif français, garantir la sécurité d’un événement de
l’ampleur de la Coupe du monde de football supposait la définition
d’une véritable politique de sécurité. En effet, le « cocktail » des
menaces potentielles et des risques à couvrir était tel (protection des
personnes, sécurisation du système de billetterie, double circuit d’alimentation en énergie, sauvegarde des réseaux informatiques et de
télécommunication, gestion des volontaires, organisation des transports, garantie de l’hygiène alimentaire, lutte contre les vols à la tire,
le trafic de drogue ou les tentations terroristes…) qu’il impliquait de
dégager une série d’axes majeurs régissant l’action publique. Présentés au Conseil des ministres du 1er avril 1998, ils étaient au nombre
de quatre :
1) La sécurité est d’abord l’affaire de la police et de la gendarmerie. Placé sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur,
l’ensemble du dispositif relevait de la responsabilité du préfet (du
préfet de police dans le cas de Paris). Pour sa part, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), transformé pour l’occasion
en directeur du service d’ordre (DSO) avait la responsabilité du maintien de l’ordre. En cas de troubles graves dans et aux abords des stades, c’est à lui que revenait la charge de faire appel à des renforts de
compagnies républicaines de sécurité (CRS) ou de gendarmerie
mobile (GM). En effet, la responsabilité de chaque site était, suivant
les villes, à la charge de la gendarmerie ou de la police (cette dernière était maître d’œuvre à Paris et à Saint-Denis), elles-mêmes
aidées par les services de secours et de santé. La protection des équipes et des délégations étrangères était également à la charge de la
police et de la gendarmerie. Dès leur entrée sur le territoire français,
les unités d’élite de la police nationale – le RAID et le GIPN
(respectivement : recherche, assistance, intervention, dissuasion et
groupement d’intervention de la police nationale) – et le groupement
de sécurité et d’intervention de la gendarmerie nationale (GSIGN)
assuraient leur sécurité.
2) La sécurité est coordonnée par deux postes de commandement. Situé à Asnières (Hauts-de-Seine), le premier assurait la responsabilité nationale de la sécurité civile : à savoir, les secours, les éva-
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LA SÉCURITÉ DE LA COUPE DU MONDE
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cuations et les réanimations. Le second (mis en fonction à partir du
1er juin 1998 et installé à proximité du ministère de l’Intérieur) supervisait le maintien de l’ordre public. Appelé poste de coordination de
l’ordre public (PCOP), il était en liaison directe avec le ministre de
l’Intérieur, le directeur général de la police nationale et le directeur
de la défense et de la sécurité civile. Il regroupait, notamment, les
personnels de la Direction de la sécurité publique, de la Direction de
la police judiciaire et de la deuxième section des renseignements
généraux (RG) spécialisée dans les violences urbaines. Associés aux
officiers de liaison des services de sécurité des trente et un pays
étrangers participant à l’événement, leur action était, principalement,
centrée sur les supporters dits « à risque ».
3) Le Comité français d’organisation (CFO) a la charge de la
sécurité à l’intérieur et aux abords des stades à l’occasion des
matchs, les forces de l’ordre ne devant intervenir dans les enceintes
sportives qu’à la demande de l’organisateur ou à l’initiative de la
police. Conformément à la délimitation d’un périmètre de sécurité, le
CFO assurait l’accueil, le contrôle et l’assistance aux spectateurs
avec l’aide des stadiers professionnels et volontaires. Il supervisait, en
outre, un dispositif d’assistance médicale composé de plus de cent
dix médecins et infirmiers et de près de mille secouristes. Par ailleurs,
il était assisté, sur chaque site, par un magistrat du parquet chargé de
traiter en direct les infractions relevées dans les stades : expulsion en
urgence absolue, peine de prison ferme, interdiction de stade… les
réponses aux diverses infractions se voulaient adaptées et, surtout,
rapides. La sécurité à l’extérieur des stades était, quant à elle, assurée
par la police et la gendarmerie, selon un dispositif défini étroitement
avec le CFO.
4) Enfin, certains sites stratégiques font l’objet d’une attention
particulière. Ainsi, le centre international des médias, le centre des
accréditations, le « village d’hospitalité », ou bien encore les hôtels
accueillant les membres de la Fédération internationale de football
association (FIFA) et les arbitres étaient surveillés de près. Par ailleurs,
dans le cadre du plan « Vigipirate », le nombre de militaires sur le terrain a été porté de 800 à 1 800 dans les points sensibles tels que les
gares, les centres téléphoniques, les centrales électriques et nucléaires… Si on ajoute à cette liste non-exhaustive, l’ensemble des espaces
accueillant, en marge de la compétition sportive, des manifestations
festives ou culturelles, on comprend pourquoi plus de 6 000 hommes
complétaient les effectifs locaux de police, de gendarmerie et les services de secours, l’ensemble des forces de l’ordre atteignant 25 000
hommes pendant toute la durée de la Coupe du monde. Mais c’est au
stade de France que se concentrait le gros des effectifs.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
LE STADE DE FRANCE :
UN MODÈLE DE SÉCURITÉ ?
Conçu pour l’occasion (après une longue période d’atermoiement),
inauguré moins de six mois avant le début de la compétition (avec
toutes les réserves exprimées alors : risques de pollution souterraine,
état très moyen de la pelouse, difficultés d’accès…), devant soutenir
la comparaison avec le parc des Princes dont la réussite est probante
et, plus largement, avec les grandes enceintes sportives européennes
existant de plus longue date1, et destiné, enfin, à accueillir les rencontres les plus prestigieuses de la Coupe du monde de football2, le
stade de France (dont le nom résume à lui seul le statut qu’on lui confère et le prestige qu’on lui prête a priori) faisait figure de vitrine
nationale et devait, à ce titre, incarner la réussite de l’organisation de
l’événement. Celle-ci passait, prioritairement, par une gestion ferme
et assurée (en même temps que point trop pesante) de la sécurité.
Deux points étaient particulièrement observés : la qualité et la performance du dispositif matériel, technologique et humain de sécurité,
d’une part ; la pertinence et la cohérence de la politique de sécurité,
d’autre part. Le stade de France a, en effet, ceci de particulier qu’il
associe et pousse à leur comble ces deux dimensions stratégiques.
Vitrine du dispositif matériel,
technologique et humain de sécurité
Cœur du dispositif et fleuron technologique, le poste central de commandement était l’argument essentiel de la sécurité du grand stade.
Son efficacité n’en demeurait pas moins servie par deux paramètres
essentiels : la conception de l’enceinte sportive qui a intégré les préoccupations sécuritaires dans la configuration même du bâtiment et
de son environnement direct, et un maillage fin du réseau de transport qui a contribué à faciliter l’accès au stade.
Le poste central de commandement
Accueillant à lui seul neuf rencontres et plus de 700 000 spectateurs
(sur les 2 500 000 reçus dans l’ensemble des dix stades concernés par
la compétition), le stade de France trouvait dans l’événement l’occasion
1. À titre de comparaison, on compte en Europe, depuis 1960, seize stades de plus de 80 000 places, dont dix avaient une capacité d’accueil d’au moins 100 000 spectateurs.
2. Sur l’ensemble de ces points, voir Lemoine Bertrand, Les stades en gloire, Paris, Gallimard, coll.
« Découvertes », n° 355, 1998 ; De Gravelaine Frédérique, Le stade de France, Paris, Le Moniteur,
1997 ; et, par un des architectes, Regembal Michel, Le stade, Paris, éditions Binôme, 1997.
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LA SÉCURITÉ DE LA COUPE DU MONDE
183
de démontrer la rigueur et l’efficacité de son système de sécurité. Celuici reposait essentiellement sur le poste central de commandement
(PCC) situé dans l’enceinte du stade. Dispositif de coordination des différents services de sécurité et de secours, le PCC regroupait en son sein,
sous l’autorité du préfet (ou le plus souvent du directeur de cabinet de
la préfecture de Bobigny, ou par défaut du sous-préfet), les responsables
publics de la sécurité ainsi que le responsable sécurité du CFO. Il était,
par ailleurs, en liaison constante avec d’autres organes généraux de
coordination : le PC-circulation routière, les trois cellules de coordination installées dans les gares B et D du RER et dans le métro, le PC opérationnel de défense de la préfecture de police de Paris, le PCOP du
ministère de l’Intérieur pour l’ordre public et, enfin, le PC à Asnières,
responsable national de la sécurité civile et des secours.
Cette unicité de commandement avait pour objectif « d’optimiser la cohésion opérationnelle » des différents services. Le PCC
coordonnait ainsi l’action des effectifs de la Direction départementale de la sécurité publique, des CRS, de la gendarmerie, de l’armée
(dans le cadre du plan « Vigipirate »), des pompiers de Paris, du service d’aide médicale d’urgence (SAMU) et des autres secouristes1.
La surveillance générale du secteur était mise en place la veille des
matchs et renforcée le matin-même. Le stade était ainsi inspecté
avant l’entrée des spectateurs pour détecter tout objet suspect. Pour
sa part, le service d’ordre proprement dit se mettait en place quelques heures avant la rencontre sportive : il avait pour tâche de renforcer la surveillance des abords du stade et étendait son domaine
d’intervention aux communes limitrophes ainsi qu’à l’ensemble du
département de la Seine-Saint-Denis et Paris.
Le PCC était enfin servi par un système de vidéosurveillance très
élaboré. Pour prévenir tout mouvement de foule susceptible de dégénérer, près de 180 caméras permettaient de visualiser les différents espaces du stade : parkings, gradins, vomitoires et déambulatoires, notamment, étaient ainsi observés de près. Il est vrai que l’architecture de
l’enceinte sportive a intégré ce mode de prévention situationnelle
dans sa conception : c’est en ce sens, sans doute, que le stade de
France fut qualifié de « modèle de sécurité ». Divisé en quatre grands
secteurs géographiques correspondant aux points cardinaux, il a fait
de la sectorisation un argument essentiel de la prévention des risques.
Autonome et disposant d’espaces d’accueil et de services, chaque
secteur a permis une gestion fine des mouvements de population :
1. En effet, si l’organisateur était tenu d’avoir son propre service médical, les représentants des services publics étaient également présents pour activer des moyens supplémentaires. En outre, la
police pouvait neutraliser deux itinéraires en provenance de Paris (la RN 1 et la RD 24) pour acheminer des secours plus importants encore.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
c’est ainsi, par exemple, que moins de quinze minutes sont nécessaires pour évacuer le public des tribunes vers le parvis1.
Un maillage fin du réseau de transport
La qualité du maillage du réseau de transport fut l’autre atout essentiel à la réussite du travail de coordination supervisé par le PCC. À ce
titre, le RER et le métro ont fait l’objet d’un traitement important : une
nouvelle gare a été construite sur la ligne D du RER, la gare La plainestade de France a été rapprochée de ce dernier et la station Porte de
Paris a été réaménagée. De nombreux moyens humains ont également été sollicités. Ainsi la RATP et la SNCF ont-elles renforcé leurs
équipes : cinq cents jeunes ont été embauchés pour contribuer à un
meilleur accueil et une meilleure information du public et deux cents
agents ont pris en charge la régulation du flux des voyageurs se rendant au stade les jours de match. La sécurité proprement dite était
assurée par les sept cent vingt agents du service de protection et de
surveillance du métropolitain (SPSM) auxquels se sont joints plusieurs
centaines de policiers et de militaires venus aider dans les gares de la
SNCF et les stations de la RATP les équipes en place dans le cadre du
plan « Vigipirate ». Enfin, soixante adjoints de sécurité complétaient
le dispositif. Un tel effectif s’explique par l’afflux des voyageurs :
60 000 personnes ont utilisé les transports en commun pour se rendre
au stade de France à l’occasion des différentes rencontres de la Coupe
de monde (25 000 par les lignes B et D du RER, 10 000 par le métro).
Parallèlement, un effort important était consenti en direction
de la circulation routière : la campagne d’information (sur la bande
FM) menée conjointement par le centre national d’information routière de Rosny-sous-Bois et par la coordination routière de Créteil et
les panneaux à messages variables de la Direction régionale de
l’équipement et de la ville de Paris ont, sans doute, contribué à éviter
les embouteillages craints avant la compétition. Le réseau autoroutier
(A1 et A86) à l’approche du stade a par ailleurs été amélioré, notamment par le passage de deux à trois voies de circulation.
Terrain privilégié d’application
de la politique de sécurité
Exemple de perfectionnement technologique, le stade de France
fut également le terrain privilégié d’application de la politique de
1. Nous ne détaillons pas ici le concours de l’architecture à la gestion de la sécurité. Voir, infra,
l’article de Paul Landauer.
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LA SÉCURITÉ DE LA COUPE DU MONDE
185
sécurité définie à l’occasion du Mondial de football. A posteriori,
la pertinence de cette dernière peut être mesurée prioritairement
par la capacité à prendre en compte les dispositions matérielles
déployées dans le nécessaire ajustement des moyens humains aux
risques encourus. Elle est, par ailleurs, nuancée par la mise à jour
des limites qu’elle a présentées et des biais qu’elle a éventuellement induits.
L’ajustement des effectifs de sécurité
aux risques encourus
Le bilan de la sécurité de la Coupe du monde est incontestablement
positif. Sans taire le drame survenu à Lens et les débordements ayant
notamment eu lieu à Marseille, il faut reconnaître, a posteriori, la
grande efficacité du dispositif mis en place. Et sans doute est-il, à ce
titre, malvenu de relever qu’aucun match considéré comme « à
risque » ne s’est déroulé au stade de France et que la venue des équipes d’Angleterre ou bien encore d’Allemagne aurait pu plus sérieusement éprouver son système de sécurité jusqu’à faire apparaître ses
éventuelles limites ou failles. Ne reposant sur aucun élément tangible, cette argumentation est d’autant moins recevable qu’on ne peut
que se féliciter d’avoir évité le pire.
Toutefois, la pertinence d’une politique de sécurité se mesure
également à sa propension à évaluer les risques présents ou supposés. Si l’ampleur des enjeux liés à l’organisation de la Coupe du
monde de football peut imposer l’absolue nécessité de prévenir tout
risque de trouble à l’ordre public, la question des moyens (matériels,
technologiques et surtout humains) déployés en ce sens mérite d’être
posée. En effet, que sait-on véritablement de leur adéquation à la réalité des risques encourus ? Privés d’éléments comparatifs fiables et de
tout système d’étalonnage qui permettrait de répondre à cette question difficile1, nous notons que si les responsables de la sécurité, et
l’État au premier chef, ont sans aucun doute estimé qu’en la matière
« abondance de biens ne nuit pas »2, la réussite de la Coupe du
monde de football n’a pas affiché, pour contrepartie, le déballage
ostentatoire et inconsidéré de forces de l’ordre pléthoriques et d’un
arsenal répressif surdimensionné.
1. Des tentatives de mise à jour des paramètres favorisant l’éclosion de la violence dans les stades
existent pourtant, voir De Vreese Stéfan, « Pour une statistique des matches de football : l’exemple
belge », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 26, quatrième trimestre 1996, p. 68-74.
2. Pourtant, un an avant la Coupe du monde, lors d’un match de préparation à Lyon, un certain
nombre de spectateurs s’étaient plaints du dispositif de sécurité qui, avec de trop nombreuses vérifications de billets, des fouilles prolongées et de grands périmètres interdits aux voitures, avait considérablement retardé l’accès aux tribunes. Le président du CFO avait alors souligné la difficulté de
persuader l’État qu’il n’y aurait pas soixante-quatre matchs « à risque » durant la compétition.
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186
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Ainsi les effectifs de sécurité firent-ils preuve d’une certaine
capacité à s’ajuster aux risques encourus. Pour une rencontre dont le
risque était qualifié de « moyen », les forces publiques de sécurité
comprenaient environ 1 800 hommes répartis de la façon suivante :
970 d’entre eux étaient issus de la sécurité publique, 480 des CRS
(soit six compagnies), 150 de la gendarmerie mobile (soit deux escadrons), vingt des RG, auxquels s’ajoutaient cinquante responsables
du commandement et du soutien logistique, quatre-vingt-deux personnes chargées des secours… et quelques fonctionnaires (en civil)
des services de l’identité judiciaire se mêlant aux supporters afin de
fournir sur le champ, grâce à leurs mini-caméras, les preuves des
actes malveillants. Un tel dispositif était élargi à dix-sept unités de
CRS et de gendarmerie mobile lorsque le match était considéré
comme risqué (ce fut le cas de celui qui opposa les Pays-Bas à la Belgique). En comparaison, une rencontre de rugby du Tournoi des cinq
nations ne mobilise « que » neuf de ces mêmes unités de sécurité.
Limites et biais induits par la politique de sécurité
Plutôt que céder à la tentation de voir dans le stade de France l’illustration parfaite d’un univers concentrationnaire d’autant plus sophistiqué et pervers qu’il est bien vécu par les spectateurs remplissant ses
travées1, mieux vaut, sans doute, relever deux biais principaux semblant induits par son système de sécurité. Le premier fait de la modification sociologique du public accueilli dans l’enceinte sportive une
des conditions du maintien de l’ordre en son sein. En effet, les spectateurs font l’objet d’une sorte de sélection opérant par le prix des places (celles-ci étant désormais toutes assises, leur coût s’en trouve
augmenté) et par un système de réservation complexe et souvent présenté comme opaque.
Également liée au dispositif de sécurité mis en place à l’occasion de la Coupe du monde, la seconde limite voit évoluer la localisation des troubles à l’ordre public. Maintenus à l’extérieur de l’enceinte
sportive conçue (et vécue) comme un sanctuaire inaccessible, certains supporters en viennent à rechercher des territoires plus propices
à leurs exactions. Aidés en cela par la concentration des forces de
l’ordre sur un périmètre restreint (et sur les voies principales d’accès
à celui-ci), ils trouvent au centre des villes (comme ce fut le cas à
Lens) ou sur des espaces situés à leur marge (sur les plages de Marseille par exemple) la possibilité de laisser éclater leur violence et
ainsi de se rendre, à leur tour, maîtres d’un territoire donné. Mais il
1. Nous pensons, en particulier, aux analyses de Marc Perelman (Le stade barbare, Paris, éditions
Mille et une nuits, coll. « Les petits libres », 1998).
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LA SÉCURITÉ DE LA COUPE DU MONDE
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est aujourd’hui acquis pour les professionnels de la sécurité que la
gestion des risques vise davantage à les connaître, les contrôler, les
endiguer, les confiner ou les canaliser (quitte à ne faire que les déplacer) plutôt qu’à les annihiler. La sécurité de la Coupe du monde de
football de 1998 n’a sans doute pas fait exception.
*
*
*
Fondée conjointement, on l’a vu, sur la mise en place d’un dispositif de surveillance de haute technologie, sur la mise en application
d’une politique publique au caractère exceptionnel et exemplaire et
sur la mise à disposition d’une enceinte conçue selon les principes de
la prévention situationnelle, la sécurité de la Coupe du monde a pu
générer des inquiétudes chez qui se soucie du sort réservé aux libertés
publiques fondamentales. D’autant qu’une interrogation demeure : la
gestion de la sécurité du stade de France constituait-t-elle une expérimentation de ce qu’il est convenu d’appeler la « coproduction » de la
sécurité ? En effet, l’efficacité de l’organisation née de la répartition des
compétences entre l’État et les organisateurs de l’épreuve (le CFO)
n’est-elle pas l’illustration, grandeur nature, que contrevenir au principe weberien du « monopole de la violence légitime »1 exercée par
l’État n’est pas générateur de chaos et, de surcroît, permet de déboucher sur une conception dynamique et partagée de la sécurité ?
Le soutenir revient d’une part à oublier que Max Weber poursuit
son propos en précisant que « le propre de notre époque est qu’elle
n’accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de
faire appel à la violence que dans la mesure où l’État le tolère »2 ; or
c’est bien sous l’égide de la délégation interministérielle pour la Coupe
du monde (DICOM) du 21 mai 1997 que fut décidée la répartition des
compétences et des domaines d’intervention des forces (publiques et privées) de maintien de l’ordre3. D’autre part, un certain nombre de gardefous semblent avoir été posés qui garantissaient « l’unique source du droit
à la violence »4. Ayant signé un protocole financier avec l’État et compor-
1. Selon Max Weber, en effet, « il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté
humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé […], revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime », Le savant et le politique, Paris, Plon,
coll. « 10/18 », 1982, p 100-101). Dominique Monjardet rappelle, pour sa part, (en introduction de
Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, éditions La découverte, coll. « Textes à
l’appui », série « sociologie », 1996, p. 7) que c’est cette revendication qui justifie « la création,
l’entretien et le commandement […] d’une force publique plus communément dénommée
police ».
2. Max Weber, idem.
3. La DICOM regroupait les ministères suivants : Intérieur, Défense, Justice, Affaires étrangères, Jeunesse et Sports, Industrie, Équipement, Transports, Poste et Télécommunications, Santé et Tourisme.
4. Selon une autre expression de Max Weber, idem.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
tant à sa tête deux anciens hauts fonctionnaires1, le CFO évoluait dans un
cadre très balisé2. Par ailleurs, l’État tirait profit de son existence : c’est, en
effet, par l’entremise du CFO qu’il a pu jouir de la mise à disposition de
volontaires, bénévoles, compétents et motivés. Autant dire que plus
qu’une marque du désengagement de l’État d’un domaine hautement
stratégique, la gestion de la sécurité au stade de France pendant la dernière Coupe du monde de football semble illustrer une forme nouvelle,
en partie réticulée, de l’exercice du monopole de la violence légitime
dont il n’entend pas prendre le risque de se défaire.
Références bibliographiques
BAUER Alain et al., Grands équipements urbains et sécurité, Paris, Institut des hautes études de la sécurité intérieure, coll. « Études et
recherche », février 1997, 75 p.
Cahiers de la sécurité intérieure, Football, ombres au spectacle, 26,
quatrième trimestre 1996.
Cahiers de la sécurité intérieure, Les technologies de la sécurité, 21,
troisième trimestre 1995.
LEMOINE Bertrand, Les stades en gloire, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », n° 355, 1998, 112 p.
LE NOÉ Olivier, « Football et violence », Regards sur l’actualité, 243,
juillet-août 1998, p. 55-70.
MIDOL André, La sécurité dans les espaces publics, Paris, Institut des
hautes études de la sécurité intérieure, coll. « Études et recherche », juin 1996, 144 p.
OCQUETEAU Frédéric, Les défis de la sécurité privée, protection et surveillance dans la France d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, coll.
« Logiques sociales », 1997, 183 p.
1. Directeur général du CFO, Jacques Lambert est un ancien élève de l’École nationale d’administration. Chef de cabinet du Premier ministre de 1983 à 1986, directeur de cabinet du secrétaire
général du gouvernement de 1986 à 1988, préfet de la Nièvre de 1988 à 1990, il était préfet de la
Savoie de 1990 à 1993 et, à ce titre, responsable de la sécurité des seizièmes Jeux olympiques
d’hiver d’Albertville en 1992. Pour sa part, directeur de la sécurité et des accréditations du CFO,
Dominique Spinosi, était auparavant directeur du cabinet du préfet de la Nièvre puis de celui de la
Saône-et-Loire.
2. L’adoption, le 4 juin 1998, en première lecture à l’Assemblée nationale de la création de la
Commission nationale de déontologie de la sécurité chargée, notamment, de se pencher sur le cas
de la sécurité privée semble confirmer cette mise sous tutelle.
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LA SÉCURISATION DES GRANDES ENCEINTES
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LA SÉCURISATION
DES GRANDES ENCEINTES
SPORTIVES : LA PART
DE L’ARCHITECTURE.
L’EXEMPLE DU STADE
DE FRANCE
■
Paul LANDAUER
Résumé : le stade de France intègre la sécurité et la prévention des
éventuels débordements de supporters à un degré encore jamais atteint
dans la construction d’enceintes sportives. Que ce soit du point de vue
du montage d’opération, de l’organisation interne du stade ou de ses
conséquences urbaines, il annonce l’avènement d’un nouveau type
d’équipement de loisirs, non plus fondé sur une distinction entre le
« dedans » et le « dehors » mais sur un partage des responsabilités entre
une surveillance continue des flux et un contrôle local des accès.
La construction du stade de France ne peut être assimilée à
la vaste entreprise de créations monumentales que permet le sport
ailleurs dans le monde : sous le label du football, de nombreux
pays ont su accoler une valeur emblématique de l’architecture à
une représentation idyllique de la fête populaire. Le stade de
Wembley à Londres (inauguré en 1923), le San-Siro de Milan
(1926), le stade de Maracana à Rio de Janeiro (1950), le Camp
Nou de Barcelone (1957), le stade Astèque à Mexico (1970) ou
l’Olympiastadion de Munich (1972) ont tous pour point commun
d’être à la fois des enclos majestueux, séparés du reste de la ville et
des lieux d’intense activité urbaine lors des rencontres sportives ou
culturelles. Cette situation paradoxale est une des caractéristiques
du sport moderne qui, depuis la fin du XIXe siècle en Angleterre,
est devenu un événement social payant1. C’est pourquoi, jusqu’à
une date récente, l’architecture des stades participait d’un équilibre entre deux spectacles : le premier, caché derrière les tribunes
et réservé à certains et le second, ouvert sur la ville et partagé par
1. Voir à ce sujet la description que fait Bertrand Lemoine des premiers stades en Angleterre, Les
stades en gloire, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1998.
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190
SPORT ET ORDRE PUBLIC
tous1. Cet équilibre a été récemment rompu par l’apparition d’une
nouvelle contrainte dont le stade de France se devait de tenir
compte : la sécurisation des enceintes sportives et de leurs environs. De fait, la nécessité de fermer les terrains de manière à sélectionner l’accès aux spectateurs munis de billets s’est vue contredite
par l’exigence de protection de ces mêmes spectateurs, cette contrainte supposant, à l’inverse de ce qui caractérisait jusqu’à présent
le spectacle sportif, une continuité de regard entre le dehors et le
dedans.
Aucun grand stade n’avait encore intégré, dans les principes
même de son édification, la prévention des éventuels débordements
de hooligans. Certes, de nombreuses tribunes existantes ont été transformées pour satisfaire à de telles exigences – ainsi le Maracana de
Rio de Janeiro dont la capacité fut ramenée de 200 000 à 125 000
places – mais personne n’avait encore tiré les conclusions de ce que
les dispositifs de contrôle et de protection impliquaient dans la conception spatiale. C’est chose faite avec le stade de France dont la singularité tient autant à son architecture qu’à la nature de son programme. En instaurant, au même titre que les autres contraintes de
fonctionnement ou de convivialité, la nécessité de protéger les spectateurs et les habitants des villes de la violence de certains supporters, l’État a contraint le concessionnaire à développer un nouveau
modèle2. Le consortium Bouygues-Dumez-SGE, société privée chargée de la construction, de l’exploitation et d’une grosse partie du
financement a ainsi mis au défi les architectes Michel Macary, Aymeric Zublena, Michel Regembal et Claude Costantini, désignés le
5 octobre 1994 lauréats du concours pour la réalisation de l’édifice,
de résoudre l’équation formée par les deux exigences contradictoires
que sont la distinction des spectacles « extérieurs » et « intérieurs » et
le contrôle ininterrompu du mouvement des spectateurs entre l’un et
l’autre.
1. « Par l’expression de sa façade, la conception de ses tribunes ou sa composition avec le tissu
urbain, le stade a pu devenir à certaines époques récentes, comme pendant l’Antiquité, un lieu de
représentation de la puissance d’une nation et/ou de son pouvoir. Ainsi, “intérieurement”, les tribunes réalisées en une seule volée (sans balcon) permettent à chacun d’embrasser du regard l’ensemble de l’assistance et, réciproquement, de se considérer comme partie intégrante d’une foule (stades
olympiques de Los Angeles, Rome, Munich, Moscou…). “Extérieurement”, le stade et son parvis
peuvent “mettre en scène” le mouvement de la foule qui converge, voire servir de cadre à des défilés
ou des parades militaires (stade olympique de Berlin) ». François Vigneau, « Les équipements
sportifs : quels référents architecturaux ? Pour quelles fonctions ? ». Sport, relations sociales et action
collective, Talence, éditions de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1995, p. 457.
2. À propos des procédures hors-normes et du montage singulier de l’opération, voir le livre de Frédérique de Gravelaine, Le stade de France, Paris, Le Moniteur, 1997.
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LA SÉCURISATION DES GRANDES ENCEINTES
191
LA DÉFINITION DES CONTRAINTES
DE SÉCURITÉ
Les raisons d’une évolution aussi affirmée dans la programmation et
la conception des stades sont multiples et ne peuvent être comprises
indépendamment des réglementations appliquées à la construction
des enceintes sportives et du montage spécifique de l’opération
« stade de France ».
L’évolution de la réglementation
sur la sécurité des stades
Un an après la tragédie du Heysel en Belgique qui fit trente-neuf morts
en 1985, la Direction des affaires juridiques du conseil de l’Europe fit
paraître une « Convention européenne sur la violence et les débordements des spectateurs lors des manifestations sportives et notamment
les matchs de football »1. Faute de référence dans le domaine sportif, la
convention fit appel aux théories anglo-saxonnes de la prévention situationnelle, développées jusque-là dans les quartiers d’habitat social. Ces
théories consistaient, pour l’essentiel, à adapter l’espace de manière à
limiter les opportunités de passages à l’acte d’éventuels délinquants.
Fondée sur l’hypothèse qu’il existe un déterminisme des formes architecturales et urbaines sur les comportements, elles poursuivaient trois
objectifs en particulier : réduire les « cibles » potentielles, compliquer
l’action criminelle et favoriser un contrôle partagé des lieux. Ces trois
objectifs ont été repris tels quels dans la Convention. Ainsi, la description des moyens à mettre en œuvre par la police et les clubs de supporters pour surveiller les enceintes sportives ou « l’interdiction pour les
supporters d’introduire des boissons, notamment alcoolisées contenues
dans des récipients dangereux »2 ont été mis sur le même plan que les
contraintes propres à la conception spatiale des stades.
Entre 1986 et 1994, les autorités britanniques entreprirent une
série de travaux destinés explicitement à éviter les débordements des
supporters hooligans. Il s’agissait le plus souvent de l’installation de
système de télésurveillance, de la suppression des places debout et
du remplacement des trois premières rangées de gradins par une haie
de lanières de 3 m de large sur 1,50 m de profondeur. Ces travaux
1. Voir annexe n° 2 du mémoire de DEA de politique comparée et sociologie politique de Frédéric
Diaz, Sécurité privée et sécurité publique, une nouvelle forme de contrôle social : logique et gestion des risques, à l’intérieur et à l’extérieur du stade de France pendant la Coupe du monde de
football 1998, université de Paris X-Nanterre, sous la direction de Philippe Robert, septembre 1998.
2. Art. 3, al. 4b, c et e.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
ont été suivis de près par les responsables du football français qui,
suivant les instructions de la Fédération internationale de football
(FIFA), imposèrent peu à peu des mesures semblables, quoique simplifiées – telles les grilles séparant les tribunes du terrain. Il faut attendre la circulaire du 9 décembre 1994 pour que l’État décide de tirer
les conclusions de ces expériences. La publication de cette circulaire
annonce le début d’une normalisation spatiale de la sécurité dans le
milieu du sport : elle définit un certain nombre de prescriptions qui
ne portent plus tant sur le stade proprement dit que sur la définition
d’une enceinte « interdite à la circulation des véhicules et des piétons
afin de permettre aux forces de l’ordre de gérer l’espace ainsi dégagé
en facilitant notamment le cheminement des spectateurs et l’accès
des seuls véhicules autorisés. »1 Deux mois plus tôt, le concours pour
la construction du stade de France était jugé…
Le montage de l’opération « stade de France »
Il est surprenant de constater combien le premier projet présenté par
les architectes Macary-Zublena et Regembal-Costantini comportait
déjà un certain nombre de prescriptions en terme de sécurité. Bien
qu’il restait encore à définir les dispositifs matériels et technologiques, tels que la présence ou non de grilles séparant les tribunes du
terrain ou les caractéristiques d’un éventuel poste central de commandement (PCC) coordonnant les différents services responsables
de la sécurité, les grands principes de gestion des flux étaient déjà
présents. À ce titre, le projet lauréat se distinguait de ses concurrents.
À l’inverse de ce que demandait le programme du concours, il ne
cherchait pas tant à « inscrire le stade […] dans un projet d’aménagement urbain qui intègre la construction de logements, bureaux, commerces, y compris à l’intérieur du périmètre de l’enceinte »2 qu’à
spécifier un accès et un espace clos pour chaque fonction distincte,
appliquant ainsi un des principes fondamentaux de la prévention
situationnelle3.
Ce principe d’organisation séparée laissait tout loisir aux partenaires privés et publics engagés dans la construction du stade de
France de négocier le partage des périmètres de responsabilité. Mais il
fallait également, pour ce faire, une instance de coordination. En
1. In circulaire du 9 décembre 1994 ayant pour objet la sécurité des enceintes sportives à l’occasion des rencontres de football, suite à la loi 93-1282 du 6 décembre 1993.
2. Extrait du programme, cité par Frédérique de Gravelaine, op. cit., p. 40.
3. Au sujet des rapports entre les formes architecturales et urbaines et le traitement de l’insécurité,
voir les articles et interviews de Jean-Pierre Duport, Jacqueline Domenach et Jean-Charles Froment,
Paul Landauer, Paul Virilio, Alice Coleman et Bruno Vayssière parus dans le dossier « Espace et
Sécurité », Les cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n° 1, mai 1999.
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LA SÉCURISATION DES GRANDES ENCEINTES
193
1993, le Premier ministre Édouard Balladur crée une petite société
d’économie mixte, la SANEM, destinée à conduire efficacement, en
dehors des administrations existantes, le projet d’un grand stade à
Saint-Denis. Cette petite équipe dirigée par Jacques Perrilliat met en
place une procédure de concours originale, associant chaque équipe
d’architectes à une entreprise et un exploitant. L’objet d’une telle procédure n’était pas seulement de garantir le délai impératif de trois ans
– le groupement des concepteurs et des constructeurs aurait suffit
pour éviter le risque d’un appel d’offre infructueux1 – mais également
de permettre l’adaptation progressive du projet aux exigences encore
peu définies des organisateurs. Ainsi, les travaux de fondation commencèrent alors que le fonctionnement du stade, en terme de sécurité
notamment, n’était pas encore arrêté2. C’est bien plus tard que les dispositifs et les périmètres répartissant les compétences entre l’État et le
Comité français d’organisation (CFO) furent définis : la « Convention
sur la sécurité », formalisant les liens entre ces deux instances, ne fut
signée que le 21 mai 1997, soit six mois avant la fin des travaux.
LES DISPOSITIFS DE SÉCURITÉ
MIS EN ŒUVRE
DANS LE STADE DE FRANCE
Après la réception des travaux, le 30 novembre 1997 et au terme des
contrôles de sécurité réalisés les deux mois suivants par les commissions sportives des fédérations françaises de football, de rugby et
d’athlétisme, les dispositifs de sécurité du stade de France furent validés par les pouvoir publics. Cohérents dans leur fonctionnement,
nous pouvons en distinguer quatre grands principes.
Premier principe : le spectateur non-assis
doit toujours être en mouvement
Afin de limiter les regroupements et de favoriser la fluidité des
entrées et des sorties, les accès sont répartis au sein de dix-huit postes
d’entrée, de dimension équivalente et disposés régulièrement tout
1. Cette procédure, dite de « conception-construction », est beaucoup plus connue et continue
d’être pratiquée régulièrement par les maîtres d’ouvrages publics. Voir à ce sujet le livre de Florent
Champy, Les architectes et la commande publique, Paris, PUF, coll. « Sociologies », 1998.
2. À propos de « l’antériorité du projet par rapport à la demande qu’il doit satisfaire », voir l’article
de Florent Champy, « Comment conduire un grand projet ? Bibliothèque François Mitterrand, stade
de France, hôpital Georges Pompidou », Les cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n° 1,
mai 1999, pp. 87-100.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
autour du stade. Pour bien fonctionner, cette répartition nécessite une
orientation du public avant qu’il ne pénètre dans l’enceinte : dès les
abords de celle-ci, de longs mails ont été plantés de manière à permettre au public de trouver facilement son guichet d’accès et à passer les
contrôles sans désordre. De même, une fois à l’intérieur, aucun doute
ne doit subsister quant au parcours à emprunter : de larges escaliers
monumentaux droits disposés dans l’axe de chacun des postes
d’entrée orientent chacun des spectateurs1, tandis qu’un important
débord de toiture protégeant des intempéries permet d’éviter leur précipitation. L’architecture du stade est d’autant mieux adaptée au mouvement des flux que les grillages séparant la pelouse des tribunes peuvent s’adapter aux changements de situations (1 m 10 ou 2 m 20) et
que des portails escamotables, commandés à distance depuis le PCC,
permettent des « décompressions » en cas de mouvement de foule.
Deuxième principe : les spectateurs
ne doivent jamais se croiser
Les trois niveaux des tribunes disposent d’accès différenciés depuis le
parvis : un « glacis » en pente douce qui ceinture l’ensemble du
stade dessert les 25 000 places mobiles situées au niveau de la
pelouse, des passerelles légèrement inclinées distribuent les loges et
une partie des tribunes médianes de 32 000 places tandis que les tribunes hautes de 23 000 places sont accessibles depuis les dix-huit
escaliers monumentaux2. Cette organisation, qui privilégie les déplacements longitudinaux au détriment des déplacements concentriques
– même le réseau d’éclairage nocturne converge vers le centre du
stade –, permet de limiter les croisements et les rencontres entre
spectateurs. Les quarante-huit compartiments de gradins répartis en
quatre grands secteurs, disposant chacun de leurs propres équipements et services, sont ainsi étanches les uns par rapport aux autres.
Parmi eux, quatre compartiments de gradins situés au nord-est et au
sud-est ont été spécialement équipés pour accueillir 1 600 supporters
« agités » de façon à ce qu’ils ne puissent ni se voir, ni se lancer des
projectiles. Quant aux angles du parvis, ils ont été exclus du périmètre afin que la surface dégagée autour de l’ellipse du stade reste la
plus homogène possible3 : aucune tribune n’est plus éloignée qu’une
1. Ce principe d’escalier droit n’a pratiquement jamais été mis en œuvre dans l’architecture des
stades. Aucun des projets concurrents du concours pour le stade de France n’en proposait.
2. Afin d’amoindrir les effets de sa présence sur le quartier, le stade fut partiellement enterré : la
pelouse est située 11 mètres au-dessous du niveau du sol, les gradins les plus élevés montent à
25 mètres tandis que la toiture est placée à 35 mètres.
3. Les règles de sécurité imposent à l’extérieur du bâtiment un espace libre de 4 m2 par spectateur,
soit 5 hectares pour l’ensemble, afin de pouvoir dégager le public sans bousculade entre les grilles.
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LA SÉCURISATION DES GRANDES ENCEINTES
195
autre des postes d’entrée, limitant ainsi les « risques » de passages
d’un compartiment à un autre.
Les cheminements des non-spectateurs ont également été
« sectorisés » : chaque visiteur ou utilisateur possède une
« route » définie en fonction de sa fonction : sportifs, VIP, professionnels des médias, fournisseurs, détaillants et autres commerces, personnel de sécurité… Pour ce faire, trois anneaux ont été
différenciés : il s’agit, de bas en haut, de la voie de desserte intérieure (VID) de 1 km de long distribuant en sous-sol toutes les
fonctions techniques, médicales et sportives ; du « belvédère »
réservé aux journalistes et aux personnalités extérieures à l’arrière
duquel sont accessibles les salons et les salles de travail et, enfin,
du « chemin de ronde », situé en haut des gradins les plus élevés
et permettant aux stadiers de surplomber l’ensemble des tribunes
et des environs. La seule « zone mixte » du stade est le lieu où les
journalistes et les sportifs se rencontrent : les joueurs l’empruntent obligatoirement tandis que les vestiaires restent totalement
isolés.
Troisième principe : le spectateur
doit toujours être visible
Contrairement aux réseaux de télésurveillance habituels, le stade
de France ne dispose pas de caméras positionnées en des points
fixes : celles-ci se déplacent sur des rails placés au niveau de la toiture-auvent. L’objet d’une telle mobilité est de filmer des déplacements et non des points de passage obligés ou des champs fixes. Le
système permet même de suivre en continu, depuis le PCC, le parcours d’un spectateur allant de la station Châtelet du RER jusqu’à sa
place assise dans les tribunes. Cette volonté de limiter les « angles
morts » a été renforcée par l’organisation spatiale : en de multiples
points, les architectes ont pris soin de préserver des vues, tant vers
la pelouse que vers le parvis, en particulier à l’étage des loges, qui
risquait d’être le plus fermé : le couloir qui dessert celles-ci s’élargit
régulièrement en des points de rencontre, augmentant ainsi le
champ de visibilité de part et d’autre des tribunes. De même,
depuis le parvis, le passant perçoit la pelouse, grâce à l’enfouissement du stade. D’autre part, l’absence de contremarches des escaliers monumentaux laisse le loisir aux visiteurs de percevoir tous les
accès à la fois. L’ensemble de ces dispositifs permet de connaître à
tous moments l’emplacement de chacun des spectateurs, à l’instar
du système de tickets, infalsifiables et munis de codes barres,
permettant de calculer en temps réel le taux de remplissage des
gradins.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Quatrième principe : les spectateurs
ne disposent d’aucun élément mobilier
Afin de limiter les risques liés aux jets de projectiles, les architectes
ont pris soin de rendre les éléments de leur projet aussi solidaires les
uns des autres que possible. Ainsi, les sièges des tribunes possèdentils des dossiers inamovibles tandis que le mobilier urbain et l’éclairage nocturne sont encastrés dans le sol et ne disposent d’aucun
assemblage visible.
LES CONSÉQUENCES URBAINES
DU STADE
Une nouvelle poliorcétique
À ces principes s’ajoute une volonté d’inclusion, à l’intérieur de
l’enceinte, d’activités urbaines : en dehors des manifestations sportives, l’édifice inclut, en effet, un restaurant panoramique de trois cent
vingt places ouvert à midi, un restaurant plus populaire au niveau bas
et un véritable centre des congrès avec bureaux et salles de conférence. Il est difficile de savoir si l’avenir du stade de France dégagera
les conditions d’une autarcie fonctionnelle. Là n’est pas l’objet1 : la
principale vertu d’un centre commercial associé à une enceinte sportive n’est-elle pas de contribuer à la sécurisation de la seconde en
maintenant une activité continue, cette même sécurisation constituant un argument de poids pour convaincre les commerçants (et
leurs compagnies d’assurance) du bien-fondé d’une telle implantation ? Ce faisant, le stade de France ne démontre pas seulement sa
capacité à évacuer 80 000 spectateurs en un temps-record, mais également sa faculté à laisser pénétrer l’ordre public au sein de son périmètre2.
1. Nous proposons ici une interprétation du stade de France sensiblement différente de celle de
Marc Perelman qui écrit : « Le stade correspond à cet édifice urbain de rassemblement, de regroupement grégaire de la communauté dispersée ; comme les gratte-ciel américains qui sont la forme
coagulée, verticale d’une planification urbaine déréglée, le stade est ce bloc homogène de concentration humaine animé de la principale fonction sportive. Mais le stade – loin d’être seulement un
objet, une œuvre, la mise en forme technique d’un projet qui se veut humain, en l’occurrence celle
du sport – est également l’utopie réalisée de la grande civilisation du loisir que l’on nous promet
depuis longtemps, son anticipation visible. », (Le stade barbare, Paris, Mille et une nuits, coll. « Les
petits libres », 1998, p. 23).
2. Cette intrusion physique est relayée par le nouveau rôle des pouvoirs publics au sein des organisations du sport, régi jusque là par des règles qui lui étaient propres. Voir, supra, l’article de Colin
Miège.
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LA SÉCURISATION DES GRANDES ENCEINTES
197
Le stade de France n’a pas été conçu comme une citadelle fortifiée et souveraine mais comme un ouvrage en état de siège1. Aucun
mur ni aménagement défensif, pas même la ronde discrète d’agents de
sécurité. La clôture qui ferme l’enceinte sportive sur ses quatre côtés n’a
rien d’une muraille : son rôle se limite ici à répartir les « élus » qui disposent de billets d’entrée – ou d’un droit de passage – et à les distinguer
de ceux qui en sont « exclus ». L’architecture de cet équipement met
davantage en scène une force d’assaut qui vient de l’extérieur – tels ces
dix-huit escaliers monumentaux qui prolongent les portiques d’entrée
et se projettent en porte-à-faux vers la façade des tribunes, l’effleurant à
peine, à la manière de « catapultes » placées tout autour d’une place
forte pour l’assiéger2. Autant les stades privilégiaient, jusqu’à présent,
une logique de conception qui les séparait du territoire sur lesquels ils
étaient implantés, autant le stade de France privilégie un contrôle du
passage de l’un à l’autre. La poliorcétique a pris le pas sur la conception
architecturale. La démonstration de la force et du pouvoir se réfère ainsi
davantage à la conduite des sièges qu’à l’art des fortifications : la figure
de l’ordre social n’appartient plus à la scénographie de l’espace ; c’est
davantage la fluidité des flux, associant la sécurité des équipements à
celle des transports qui assume aujourd’hui ce rôle3.
Du fer à cheval…
Malgré une constante de forme et de dimension – qu’imposent les
règles spécifiques du sport – l’architecture des stades n’a cessé d’évoluer depuis la fin du XIXe siècle4. Le premier édifice construit afin
d’accueillir un événement sportif d’importance fut le stade des Jeux
olympiques de 1896 à Athènes. De forme allongée, explicitement
inspirée du modèle antique, il est ouvert à l’une de ses extrémités et
dispose de gradins en pierre. Construit par l’architecte Anastasio
Metaxas, il restera un modèle pendant un demi-siècle : qu’il s’agisse
du stade de Turin édifié pour l’Exposition universelle de 1911 ou du
Memorial Coliseum de Los Angeles construit pour les Jeux olympiques de 1929, les enceintes sportives sont conçues comme des monu-
1. Quand bien même Claude Guéant, directeur général de la Police nationale, déclarait peu avant
la Coupe du monde de football : « Notre intention n’est pas de mettre les stades en état de siège. »,
Le Monde, 19 septembre 1997.
2. « Ces escaliers en forme d’étrave de navire traitent la foule comme un flux, pour que le public
soit naturellement séparé et conduit, sans bousculade. » Frédérique de Gravelaine, op. cit., p. 66.
3. Le poste central de commandement du stade de France demeure en liaison constante avec le
PC-circulation routière ainsi qu’avec les responsables sécurité du RER et du métro. Sur la coordination entre les responsables de la sécurité, voir, supra, l’article de Jean-Charles Basson, Olivier Le
Noé et Frédéric Diaz.
4. Voir à ce sujet l’article de Jean-François Pousse, « Histoires de stades », Techniques et Architecture, n° 393, 1991, pp. 36-39.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
ments – au même titre que les édifices institutionnels – et disposent,
pour la plupart, d’une entrée traitée sous forme de porte de ville ou
d’arc de triomphe interrompant la continuité des gradins.
Cette forme de fer à cheval des tribunes induit deux modes d’intégration urbaine sensiblement différents selon que l’édifice était inclu
dans un projet de ville moderne ou dans la démonstration spectaculaire
d’un régime totalitaire. Ainsi, le dessin d’un stade monumental de
116 000 places, ouvert sur la Seine au pied de la colline de Passy réalisé
par les architectes modernes Rob Mallet-Stevens, Jacques Greber, Georges-Henri Pingusson et Maurice Rotival pour l’Exposition internationale
de 1937, de même que le projet de parc national olympique dans le bois
de Vincennes conçu en 1943 par l’apôtre du béton armé, Auguste
Perret, ont-ils pour point commun d’orienter le spectacle du sport sur de
vastes parvis autonomes, accessibles exclusivement aux piétons et sur
lesquels s’ouvrent d’autres installations de loisirs. Le stade s’inscrit ici
dans une logique de zoning, où la fonction du sport prend une place
équivalente à celle du travail ou du logement. Différente est la conception du Deutsches Stadion, colossale arène en pierre capable de recevoir
400 000 personnes qui constitue une pièce essentielle dans la représentation du pouvoir. Imaginée à Nuremberg par l’architecte nazi
Albert Speer, ce stade est l’élément central d’une composition urbaine
monumentale parfaitement inscrite dans la ville : l’échancrure des tribunes sert ici à magnifier une cour d’honneur avec péristyle, véritable
champ de parade voué aux manifestations de masse1.
…au périmètre de sécurité
Après 1945, les stades se referment et tendent à effacer l’ancienne hiérarchie entre un portique d’entrée principal et des accès annexes sur le reste
de la périphérie : le Stadio Flaminio conçu par l’ingénieur Luigi Nervi en
1960 pour les Jeux olympiques de Rome dispose d’une seule tribune ininterrompue recouverte par une série de béquilles en béton tandis que le
stade olympique de Munich dessiné par Frei Otto en 1972 dispose d’une
toiture légère en textile, ouverte et continue, rompant ainsi explicitement
avec l’image monumentale du néo-classicisme de l’Allemagne nazie. Cette
absence de différenciation entre les façades du stade renforce une autre
forme de distinction : celle qui sépare l’intérieur de l’extérieur2. Le spectacle du sport prend désormais une autonomie par rapport au spectacle
1. Seules les fondations de cet ensemble furent réalisées. Le même principe de composition monumentale fut toutefois réalisé dans le Reichssportfeld de Berlin construit par l’architecte Werner
March pour les Jeux olympiques de 1936. Sa position n’est cependant pas inscrite dans un axe
urbain.
2. Ce qu’exprime d’une autre manière Jean-François Pousse en écrivant : « Le football en se suffisant à lui-même, tend à l’excès, se regarde. Le stade se ferme », art. cit., p. 39.
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LA SÉCURISATION DES GRANDES ENCEINTES
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urbain du quotidien. Ce changement est dû, notamment, au développement, à partir de la fin des années 1950, des activités de loisirs. Selon
Nobert Élias, ces activités « fournissent, dans certaines limites, des occasions d’éprouver des expériences émotionnelles qui sont exclues des
moments très routiniers de la vie : dans une société où la plupart des activités se routinisent en fonction d’une interdépendance irrésistible entre de
grands nombres d’individus et en fonction d’objectifs, personnels et impersonnels, qui nécessitent une subordination élevée des besoins immédiats
par rapport aux autres ou par rapport à une tâche impersonnelle, les activités de loisirs représentent une classe d’activités où, plus que nulle part
ailleurs, on peut – jusqu’à un certain point – relâcher, publiquement et
avec l’approbation de tous, la contrainte routinière des émotions »1.
Jusqu’à ces dernières années, l’architecture des stades était très
imprégnée de cette volonté de séparer le spectacle sportif de la coercition
sociale propre aux autres sphères de la vie. Le parc des Princes, construit
par l’architecte Roger Taillibert en 1968-1972, en est un bon exemple :
couvert par un monumental auvent en forme d’œuf, il tourne le dos au
périphérique parisien, protégeant ainsi les 50 000 places assises de l’agitation des réseaux du monde contemporain. Cette symbolique du « stadechaudron » fut rejetée d’emblée par les architectes du stade de France2.
Considérée comme dangereuse et inquiétante, ils préférèrent lui opposer
l’image d’un stade ouvert sur son environnement : à la différenciation des
régimes – favorables a priori aux débordements de supporters – répond un
contrôle social qui s’exerce désormais avec la même intensité à l’intérieur
comme à l’extérieur de l’enceinte sportive. Le programme du stade allait
lui-même dans ce sens : les concepteurs devaient, en effet, composer
avec la nécessité d’un « périmètre de sécurité ». La fonction de cette
immense zone ménagée entre la clôture de l’enceinte et la façade
des tribunes – baptisée « glacis » par les architectes du stade de
France – est tout autant de favoriser le déploiement des forces de
l’ordre placées autour de l’enceinte que de permettre l’évacuation
rapide et sans heurts des 80 000 spectateurs assis dans les tribunes.
Au-delà de l’emprise supplémentaire que requiert la constitution
d’un tel périmètre, celui-ci a essentiellement pour effet de fondre les
deux registres du loisir et du quotidien au sein d’un même espacetampon : les deux vecteurs de pénétration de l’extérieur et d’expulsion de l’intérieur se neutralisent ici en un même lieu. Il est donc difficile de dire s’il appartient à la ville ou à l’enceinte sportive. Mise à
1. Norbert Élias et Éric Dunning, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Fayard, Paris, 1994
(1986), p. 134.
2. Ainsi qu’en témoigne cette citation de l’architecte Michel Macary : « Nous avons voulu le contraire du Parc des Princes même si nous en apprécions l’architecture : plutôt qu’une coquille de
noix en béton refermée sur elle-même, un stade qui appartienne au quartier et à la région, pas seulement à ceux qui y pénètrent ». Cité par Frédérique de Gravelaine, op. cit, p. 76.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
part le maintien d’une clôture ponctuée de dix-huit postes d’entrée,
plus aucune distinction ne sépare le dedans du dehors : la coercition
sociale s’exerce désormais jusqu’au siège des spectateurs.
*
* *
Pour avoir pris en compte les risques liés à la violence des supporters à un niveau encore jamais atteint dans l’architecture sportive,
le stade de France nous met sur la voie du devenir des nouveaux
équipements de loisirs. Celui-ci dépend de trois grandes caractéristiques. La première concerne le montage d’opération de ces équipements. Les polémiques qui ont entouré le concours du stade de France
montrent, indirectement, combien les structures habituelles de conduite de tels projets sont inadaptées aux modes actuels de sécurisation1. Le maintien d’une possibilité d’utiliser l’architecture pour
négocier la répartition entre les forces publiques et les responsables
privés des équipements est donc nécessaire dans le contexte actuel.
De fait, le cadre législatif de partage des rôles auquel la loi d’orientation et de programmation sur la sécurité (LOPS) du 21 janvier 1995
soumet les architectes, déplace le statut des limites proposées par les
concepteurs. Cette contrainte apparaît contradictoire avec la procédure de concours qui oblige, au contraire, les parties en présence à
s’adapter aux formes et aux contours induits par le projet lauréat.
Le deuxième aspect porte sur l’organisation interne des équipements de loisirs, dont nous avons vu qu’elle dépend fortement des
contraintes de sécurité. En privilégiant la fluidité des flux – les lieux
de station (debout ou assis) demeurant visibles depuis un poste unique de contrôle –, les architectes tendent à alléger le poids physique
des clôtures. Celles-ci se distinguent désormais des façades pour
n’assumer plus qu’une seule fonction : le contrôle des accès. L’autonomie des équipements, où se déroulaient des activités fondées sur
d’autres affects que ceux de la vie quotidienne, cède le pas à l’insertion, soit une nouvelle manière d’inclure les loisirs au sein d’un
réseau ininterrompu de surveillance, liant la voirie, les espaces
publics et les transports en commun.
La troisième caractéristique concerne la dimension urbaine.
Bien que sa taille constitue en soi une particularité qui le rend incomparable à toute autre forme d’équipement, le stade de France met en
1. Marc Perelman (op. cit. p. 9) rappelle les enjeux de la controverse lancée par l’architecte Jean
Nouvel, finaliste perdant du concours pour le stade de France : « Via la commission européenne de
Bruxelles, ce dernier avait attaqué le gouvernement français le 4 mai 1995, soit cinq jours après la
signature du contrat de construction et d’exploitation, et ce pour non-respect du code d’attribution
des marchés publics prévue par l’article 169 du traité de Rome, ainsi que pour le manque de clarté
concernant le système d’exploitation du site. L’avocat de l’architecte avait par ailleurs précisé dans
sa plainte que, lors du déroulement du concours, des modifications “substantielles” avaient été
apportées au projet vainqueur induisant une "rupture d’égalité" entre les concurrents ».
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LA SÉCURISATION DES GRANDES ENCEINTES
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jeu un rapport avec son quartier dont tout porte à croire qu’il sera
décliné prochainement dans des opérations de plus faible importance.
Conditionnée par la mise en œuvre d’un périmètre de sécurité – exigée sous une autre forme dans certaines banlieues réputées difficiles
où les riverains réclament une distance toujours plus grande entre les
équipements et leurs lieux d’habitation –, le stade de France se caractérise par sa capacité à neutraliser toute l’épaisseur de territoire qui
l’entoure. Il s’ensuit une certaine difficulté à prolonger aujourd’hui ce
nouveau quartier de Saint-Denis. S’ils ont prouvé là leur capacité à
intégrer dans l’architecture ce qu’ils considèrent comme une pacification du sport et de ses supporters, les nouveaux responsables, concepteurs et exploitants d’équipements de loisirs doivent encore apprendre
à composer avec cette conversion du traditionnel parvis en « soupape
de sûreté ». Il y va de l’avenir du sport comme de celui de nos villes.
Références bibliographiques
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Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 21, 1995, p. 101-103.
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VERSPOHL Franz-Joachim, Stadionbauten von der Antike bis zur Gegenwart,
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Quatrième partie
AFFAIRISME
ET CORRUPTION
DANS LE MONDE
DU SPORT
■
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU MARCHÉ
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LE SPORT À L’ÉPREUVE
DU MARCHÉ
■
Jean-François BOURG
Résumé : brutalement converti au marché et instrumentalisé pour des
finalités qui lui sont extérieures, le sport perd progressivement sa spécificité. En devenant une activité économique comme une autre, il est
soumis à des principes d’organisation et à des règles de droit qui ignorent ses particularités et altèrent son identité.
Au mois de septembre 1998, le groupe de Rupert Murdoch
déposait une offre d’achat du club de football de Manchester United
pour un montant de 6,2 milliards de francs. Au même moment, l’action
Nike chutait de 5,2 % à Wall Street le jour de l’annonce de la retraite
de Michael Jordan dont la notoriété avait généré un chiffre d’affaires de
2,6 milliards de francs pour la firme américaine. Le 31 janvier 1999,
lors de la diffusion en vingt-quatre langues du super Bowl, finale du
championnat des États-Unis de football américain, Coca-Cola, Pepsi,
Mc Donald’s et Reebok achetaient des dizaines d’espaces publicitaires
au tarif de 9 millions de francs les 30 secondes. Le lundi 22 février
1999, et avant la suspension de sa cotation pour excès de hausse,
l’action de la Lazio de Rome grimpait de 50,4 % à la bourse de Milan
par rapport à son cours de clôture le vendredi précédent. Entre-temps,
le club avait pris la tête du championnat d’Italie de football.
Avec une telle actualité, le Financial Times consacre désormais deux pages de son édition du vendredi au sport. Et il n’est pas
surprenant d’apprendre que les personnalités considérées comme les
plus puissantes du sport mondial en 1998 appartiennent aux secteurs
des médias, de la publicité ou de l’industrie : Murdoch (News Corp),
Eisner (Disney-ABC), Turner (Time Warner), Knight (Nike) ou
Mc Cormack (IMG). Selon ce classement établi par la revue spécialisée The Sporting News, le président du Comité international olympique (CIO), Juan-Antonio Samaranch, n’apparaît « qu’en » vingt-neuvième position.
En fait, le mouvement sportif n’est pratiquement plus que le
dépositaire et le gestionnaire avisé d’un idéal reposant sur quelques
mythes fondateurs associés à des vedettes identifiées à des héros.
Progressivement, la stratégie du CIO et des fédérations internationales a consisté à exploiter ce gisement de droits financiers ouvert par
le spectacle sportif plutôt qu’à en protéger les valeurs originelles
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
(morale, éducation, désintéressement) devenues de simples alibis qui
légitiment encore l’ensemble1. Avec cette conversion brutale du
sport au marché, en cette fin de siècle, la réalité du pouvoir s’est
déplacée et ce nouvel ordre impose une rationalité marchande
autour de laquelle le champ sportif se recompose. En raison de
l’accélération de ce processus, le sport est instrumentalisé pour des
finalités qui lui sont extérieures. Et en devenant une activité économique comme une autre, il est soumis à des principes d’organisation
qui ignorent ses particularités et altèrent son identité2.
LE SPORT SAISI PAR LE MARCHÉ
Au XIXe siècle, l’Angleterre a codifié et exporté de nombreux jeux
issus du Moyen Âge en les adaptant aux nouvelles valeurs de
l’époque : la compétition et la concurrence. Inspiré par la tradition
hellénique des jeux antiques, Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux
olympiques (JO) en 1896, s’est appuyé aussi sur cette culture anglosaxonne pour imposer un pari humaniste destiné à réconcilier le
corps avec l’esprit, le muscle avec la pensée.
Depuis le milieu des années 1980, un ordre sportif marchand et
mondialisé est apparu. Qu’il s’agisse de l’objet du sport de haut niveau
(commerce, communication, finance), de l’aire territoriale de compétition (mondiale) ou du mode principal d’exploitation du mythe sportif (la
télévision), le contexte et la société dans lesquels le sport évolue ont profondément changé. Son excellente adaptation aux effets cumulés d’une
triple mutation – sociologique, avec une dilution des identités
nationales ; technologique, avec les possibilités offertes par les bouquets
de la télévision numérique ; économique, avec la globalisation – explique que le chiffre d’affaires mondial de la filière sportive soit estimé à
2 500 milliards de francs en 1997, soit 2,5 % du commerce international.
Partout, en cette fin de siècle, le sport occupe une place centrale dans l’imaginaire collectif. Partout, les émissions sportives fédèrent un large public : en audience cumulée, les seize grands prix de
Formule 1 ont rassemblé 45 milliards de téléspectateurs en 1998
dans cent trente pays ; la dernière Coupe du monde de football,
41 milliards dans deux cents pays et les JO d’Atlanta en 1996, vingt
dans deux cents pays également. La télévision donne à chacun de
ces spectacles une dimension universelle et la confrontation sportive
offre un monde d’appartenance, d’identité et de mythes.
1. À ce sujet, voir infra, le texte de Jean-Loup Chappelet.
2. Ce texte a fait l’objet d’une première publication, Géopolitique, n° 66, juillet 1999, p 51-58.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU MARCHÉ
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De tels succès d’audience, conjugués avec la dérégulation du
secteur de l’audiovisuel et la création concomitante de nombreuses
chaînes privées, ont engendré depuis une dizaine d’années une lutte
acharnée entre diffuseurs pour acquérir les droits de ces retransmissions. Le réseau américain ABC avait obtenu l’exclusivité des Jeux de
Los Angeles en 1984 pour 225 millions de dollars. NBC a dû payer
715 millions pour ceux de Sydney en 2000. Les droits de la Coupe
du monde de football subissent des hausses supérieures encore :
0,86 milliard de francs en 1998, 5,38 milliards pour la prochaine
édition qui doit se dérouler au Japon et en Corée du Sud. Le CIO
détient les droits de propriété des JO, comme la Fédération internationale de football association (FIFA) détient ceux de la Coupe du
monde. Ce monopole absolu renforce leur pouvoir de négociation
face à des chaînes en concurrence, d’autant plus qu’il s’agit d’événements uniques en leur genre.
De grands groupes multinationaux interviennent également
dans le financement du sport comme sponsors. Les marques qui
bénéficient des taux de notoriété les plus élevés parrainent les principaux événements ou athlètes de la planète. Coca-Cola est partenaire
de la Coupe du monde de football et de rugby, des Jeux olympiques,
des championnats du monde d’athlétisme, du Tour de France et du
championnat de Russie de football. Pepsi soutient le cricket en Inde
et le football en Chine. Ces deux boissons, commercialisées respectivement dans deux cents et cent soixante-dix-sept pays, entendent
ainsi bénéficier du changement de mode de vie des populations des
pays développés ou émergents pour y installer de nouvelles habitudes de consommation. Marlboro (Ferrari) et Gauloises (Prost) versent
respectivement 500 et 100 millions de francs chaque année à des
écuries de Formule 1 pour avoir accès à une visibilité planétaire
grâce à un sport qui constitue le dernier support publicitaire encore
autorisé pour les marques de tabac.
Depuis quelques années en Europe, le sport professionnel
devient un terrain privilégié d’investissement pour des entreprises de
taille internationale désirant prendre le contrôle de clubs prestigieux,
notamment de football. La holding Fininvest de Berlusconi, en 1985
avec le Milan AC, le groupe alimentaire Parmalat, en 1986 avec
Parme, Canal Plus, en 1991 avec le Paris-Saint-Germain, avaient mis
en mouvement ce type de rapprochements capitalistiques et stratégiques. Une nouvelle étape dans la restructuration financière du football a été franchie avec la multiplication des prises de participation et
l’introduction en bourse de trente-trois clubs dans plusieurs pays1. La
1. Lors de la saison 1998-1999, six pays européens ont des clubs de football cotés en bourse :
Grande-Bretagne (22), Danemark (6), Portugal (2), Italie (1), Pays-Bas (1), Suisse (1).
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
première agence mondiale de marketing sportif, Intenation Management Group (IMG), s’est associée récemment à la Chase Capital Partners pour lever 1,2 milliard de francs nécessaire à sa politique
d’acquisition de clubs (Strasbourg en 1997) et prendre position sur le
marché du football, premier gisement de droits au monde avec
1 200 milliards de francs de chiffre d’affaires pour 1997. La société
English National Investment Company (ENIC) détient depuis 1997 un
portefeuille d’actions dans quatre équipes : 25 % des Glasgow Rangers, 30 % de Vecenza, 54 % du Slavia de Prague, 79 % de l’AEK
Athènes. Pathé, présent dans le cinéma et actionnaire de plusieurs
télévisions payantes (BSkyB, Canal Satellite, AB Sports), a acheté
34 % de l’Olympique de Lyon.
Aux États-Unis, depuis une quinzaine d’années, les principaux
groupes de communication contrôlent la plupart des clubs des quatre
ligues majeures (baseball, basket, football américain, hockey sur
glace), soit en détenant la majorité de leur capital, soit en étant propriétaire des droits commerciaux (télévision, produits dérivés). News
Corporation de Rupert Murdoch a ainsi racheté la franchise de
l’équipe de baseball des Los Angeles Dodgers, détient des participations minoritaires des New York Rangers (hockey) et des New York
Knicks (basket) et possède les droits de retransmission de soixanteneuf franchises sur cent neuf. Déjà propriétaire des images du football anglais avec BSkyB, Murdoch voulait développer la même stratégie en devenant l’actionnaire majoritaire de Manchester United.
Avec cet afflux massif de capitaux dans le football, le spectacle
sportif est directement mis au service de la rentabilité financière de
ces nouveaux opérateurs dont les investissements recouvrent toutefois des choix différents. Les sociétés dont les activités concernent la
communication (Murdoch, Berlusconi, CLT-UFA, Pathé, Canal Plus)
mettent en œuvre une politique d’intégration verticale pour maîtriser
l’ensemble de l’industrie du spectacle sportif, de la production à la
commercialisation des images et des produits dérivés. D’autres, en
revanche, investissent dans des actifs d’ores et déjà rentables (ENIC) ;
ils visent des clubs sous-évalués et faciles à acheter, spéculant sur
leur rapide développement et les perspectives d’augmentation des
droits de télévision et dérivés et d’introduction en bourse (IMG). De
ce point de vue, Manchester United constitue la référence :
+ 1 150 % du cours de l’action au London Stock Exchange depuis
son entrée en 1991 jusqu’au 30 mars 1999, 17 % de taux de rentabilité pour la saison 1997-1998, une valorisation boursière de 5 500 MF
en janvier 1999, soit six fois son chiffre d’affaires.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU MARCHÉ
209
LE MARCHÉ CONTRE L’ÉTHIQUE
Désormais, les clubs soumis à une logique financière en raison de la
structure de leur capital n’ont plus un objet simplement sportif. Ils
répondent en priorité à la stratégie de leurs actionnaires majoritaires.
La cotation en bourse et le retour sur investissement modifient les
priorités. Il convient, comme aux États-Unis, d’optimiser avant tout
les gains financiers en rentabilisant l’image du club car les actionnaires attendent qu’on leur rende des comptes… et des dividendes ;
ceux de Manchester United ont ainsi reçu l’équivalent de 40 millions
de francs à l’issue de la saison 1996-1997. C’est une rupture majeure
avec la tradition européenne qui, depuis la création du sport
moderne il y a un siècle, privilégiait la victoire sportive, objectif premier et ultime de la compétition.
Cette dérégulation économique altère l’éthique du sport tout à
la fois dans son fondement objectif, la règle sportive comme norme
régulatrice, et dans son fondement subjectif, le système des valeurs
communément associées au sport1. Qu’il s’agisse du choix du site
d’accueil des compétitions, de l’ordonnancement des épreuves, de la
transformation des règles de jeu et de la création d’événements ou de
nouvelles disciplines, l’organisation et l’évolution du sport obéissent
désormais à une pure logique de conquête de chiffre d’affaires,
d’audience et de profits.
Certes, le sport, comme l’art ou la culture, ne peut échapper
à l’emprise des relations monétaires qui caractérisent les économies
contemporaines, qu’elles soient capitalistes ou socialistes, développées ou sous-développées. Reconnaître les mérites du marché dans
la satisfaction de la demande de sport, c’est prendre acte de sa
force et de sa fécondité : il a permis une démocratisation des pratiques et des spectacles en leur fournissant des moyens matériels et
financiers, contribuant ainsi à l’élévation du niveau des performances des athlètes grâce à la professionnalisation de leur préparation
et de leur statut. Ce qui n’empêche pas de considérer qu’il ne doit
pas déborder de sa fonction et tout régir. Un sport soustrait à l’économie constituerait une source de discrimination et d’élitisme et
serait condamné dans sa dimension compétitive car il ne peut vivre
sans apports extérieurs. Mais le marché ne doit constituer qu’un
moyen. Le sport n’a pas été créé pour dégager des flux monétaires.
Il a sa propre logique : la victoire sur le temps et sur l’adversaire
1. Nous ne développons pas ici ce second type de dénaturations (corruption, triche, dopage) dont
le mobile est de réduire l’incertitude du résultat, principe central et fondateur du sport. Pour en
savoir plus, lire : Jean-François Bourg, L’Argent fou du sport, Paris, La Table Ronde, 1994 ; « Le
dopage », Encyclopædia Universalis, avril 1999.
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210
SPORT ET ORDRE PUBLIC
dans laquelle l’athlète recherche aussi sa satisfaction personnelle,
l’incertitude du résultat faisant précisément la spécificité du spectacle sportif.
De cette singularité, il tire son caractère unique et l’intérêt qui
s’en dégage justifie la valeur marchande de l’événement. En effet, la
qualité du spectacle sportif dépend de l’enjeu, mais aussi du potentiel des forces en présence et de leur équilibre. Si, dans un championnat, les vainqueurs utilisent leurs gains pour se renforcer en achetant
des joueurs, alors que dans le même temps les perdants s’affaiblissent, l’inégalité des équipes en lice réduira l’incertitude du résultat,
ce qui fera chuter le nombre de spectateurs, l’audience télévisée des
rencontres, les recettes des clubs et de la ligue. Cette interdépendance entre les clubs exige la mise en place de mécanismes de solidarité sur le marché du spectacle sportif. Car, et le paradoxe n’est
qu’apparent, afin que la concurrence sportive entre les clubs soit la
plus ouverte possible, la compétition économique doit être la plus
encadrée possible.
Pour y parvenir, divers moyens ont été mis en œuvre aux ÉtatsUnis grâce au Sport broadcasting Act de 1961 qui a accordé au sport
professionnel un statut dérogatoire à la loi anti-trust de 1910. Ainsi,
les clubs ont pu se regrouper selon leur discipline dans une ligue,
laquelle peut négocier les droits de retransmission télévisuelle et
commerciaux pour l’ensemble de ses membres. Chaque ligue fonctionne à l’abri de toute concurrence et organise l’incertitude au sein
d’une compétition fermée. Les clubs y accèdent en achetant une
franchise, et non en se qualifiant sur le terrain, ce qui est contraire à
un principe éthique fondamental du sport : l’accession et la rétrogradation en fonction de la performance. Pour corriger les déséquilibres
de niveau, un système de régulation permet aux clubs les moins bien
classés de s’adjuger par la draft, sorte de droit de « pioche » ou de
choix, les meilleurs nouveaux talents et organise, en outre, sur le
plan financier, la péréquation des revenus des clubs.
Sur le marché du travail également, la concurrence ne peut
réguler de façon efficace la compétition entre clubs. Si chacun d’eux
est libre de recruter les meilleurs joueurs, la surenchère entre les
clubs aura pour conséquence la hausse des salaires, des primes et
des transferts, dans des conditions de faibles gains de productivité
entraînant des risques de déficit, d’endettement et de faillite. La
liberté salariale des clubs accroîtra aussi les inégalités entre les
potentiels sportifs et nuira à la préservation de l’incertitude du résultat. C’est pourquoi, dans plusieurs sports professionnels, les ÉtatsUnis ont instauré le salary cap, c’est-à-dire une masse salariale plafonnée, identique pour chaque équipe (basket-ball, base-ball) afin
d’égaliser les forces en présence.
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU MARCHÉ
211
Cette double régulation du marché du spectacle et du travail
sportifs est fondée sur l’incompatibilité des règles de la compétition
sportive avec celles de la concurrence économique. Ce modèle américain est contestable dans ses finalités – mettre le sport au service
d’une logique financière –, mais certains de ses moyens d’action sont
pertinents et pourraient faire école pour organiser le fonctionnement
des championnats en Europe. Or, c’est précisément le principe d’une
telle régulation grâce à des procédures de négociation en cartels
(ligues), de mutualisation des recettes et de restrictions à la circulation des sportifs professionnels que le droit communautaire européen
remet en question1.
Le fait que les groupements sportifs, pourvu qu’ils soient considérés comme des entreprises de spectacle, soient soumis au régime
général de la concurrence (articles 85 et 86 du traité de Rome contre
les cartels et abus de position dominante) contrevient à la nécessité
d’une gestion centralisée des droits de retransmission télévisée ou
des droits commerciaux. C’est ainsi que le contrat collectif entre la
ligue nationale de football et Adidas a été jugé contraire au principe
de libre concurrence ; chaque club, étant propriétaire de son image,
doit négocier lui-même ses contrats. Pourtant, une exemption à ce
régime concurrentiel, justifiée par l’exception sportive analysée précédemment, permettrait aux ligues de redistribuer les revenus d’une
manière équilibrée et de garantir aux équipes faibles une couverture
télévisuelle comparable à celle des équipes plus fortes.
À l’issue de la saison 1998-1999, le champion de France de
football recevra 39 millions de francs (et le dernier 27) provenant de
la ligue au titre des droits télévisuels jusqu’à présent vendus de façon
collective. Mais plusieurs dirigeants de clubs, dont Robert Louis
Dreyfus (Olympique de Marseille), également PDG de Adidas, et
Patrick Proisy (Racing de Strasbourg), également directeur de
IMG Europe, menacent d’engager une action devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) pour obtenir le droit de
vendre eux-mêmes les images de leur club. L’exemple italien leur
sert de référence : depuis juillet 1999, chaque club peut traiter directement avec les chaînes. Dans cette optique libérale, l’écart entre les
montants obtenus va de 90 MF pour le plus mal classé à 310 MF
pour la Juventus de Turin, l’Inter ou l’AC Milan (1999/2000). Dans
cette perspective, les investisseurs se concentrent sur les meilleures
équipes afin de réaliser un rendement optimal. De tels mécanismes
débouchent sur un dualisme sportif et financier au sein de la compétition dont l’équilibre et l’incertitude disparaîtront à terme.
1. À ce sujet, voir supra l’article de Colin Miège.
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212
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Se fondant sur l’article 48 du traité de Rome qui pose le principe
de libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté,
l’arrêt de la CJCE du 15 décembre 1995 (l’arrêt Bosman) constitue une
étape décisive vers la formation d’un marché unique des sportifs professionnels en s’opposant à toute entrave (indemnité de transfert,
clause de nationalité) à leur mobilité. Aussitôt les instances sportives
ont souligné les dangers de cette liberté nouvelle : creusement des inégalités sportives par une concentration des vedettes dans quelques
clubs fortunés, déclin des politiques de formation lié à l’absence
d’indemnité lors du départ des joueurs en fin de contrat, accroissement
des inégalités de revenus entre joueurs, évasion du circuit du sport professionnel de sommes considérables versées sous forme de salaires aux
joueurs (+ 27 % en 1997-1998 par rapport à la saison précédente en
France) au lieu des indemnités de transfert perçues par les clubs, augmentation du chômage des joueurs nationaux dans certains pays.
Cet alignement de la règle sportive sur le droit communautaire
d’essence libérale peut nuire à l’intégrité de la compétition dans
l’hypothèse où deux ou plusieurs clubs disputant une même épreuve
peuvent être contrôlés par le même actionnaire : c’est le cas du
groupe ENIC, majoritaire dans le capital de trois clubs ou celui de
Canal Plus qui est l’opérateur du PSG et du Servette de Genève. Un
conflit d’intérêts ne manquerait pas de surgir si deux de leurs équipes
devaient s’affronter. Certes, l’Union européenne de football (UEFA)
interdit à deux clubs détenus par la même personne physique ou
morale de participer à la Coupe d’Europe. Mais, au nom de la liberté
du commerce, ENIC a engagé un recours devant le tribunal arbitral
de sport. Si la multipropriété était admise, comment garantir que le
résultat sportif acquis soit indépendant des intérêts financiers en jeu ?
Un autre danger menace l’éthique sportive : la gestion du sport
professionnel par une société privée, en dehors du système fédéral.
Le dernier commissaire européen chargé de la concurrence, Karel
Van Miert, était favorable à cette liberté d’entreprendre qui consiste,
pour un groupement non sportif, à créer une nouvelle compétition
dans un secteur monopolistique. Tel est le projet de Media Partners,
groupe italien soutenu par la banque américaine Morgan Stanley et
les groupes de communication allemand Kirch, anglo-saxon Murdoch et italien Berlusconi. Cette ligue européenne de football (EFL)
assurerait une présence parmi l’élite, durant trois saisons au moins, à
dix-huit clubs invités sur des critères de notoriété, et sans qu’ils aient
besoin de se qualifier. Elle représenterait une source de revenus considérables provenant des chaînes de télévision payante.
La suppression de tout aléa sportif séduit les investisseurs dont
le souci spéculatif s’accommode de plus en plus mal des risques de
non-accession à la ligue des champions. Cette stabilité de plein droit
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LE SPORT À L’ÉPREUVE DU MARCHÉ
213
améliorerait notablement la visibilité financière des clubs à moyen
terme pour leurs actionnaires, inquiets du caractère imprévisible de
la compétition sportive. Un avis favorable à la création de cette super
ligue indépendante par la Commission européenne, saisie le 3 février
1999 par Media Partners d’un recours contre l’UEFA pour « entrave à
la concurrence », ferait jurisprudence en ouvrant la possibilité de
créer des épreuves sportives en dehors des fédérations et des ligues,
détentrices jusqu’à présent d’un monopole d’organisation.
Dans cette hypothèse, apparaîtraient plusieurs risques : une
dévaluation des championnats nationaux désertés par leurs principaux
clubs, un déclin, voire une disparition à terme, des compétitions internationales en raison de l’indisponibilité des joueurs retenus par leur
calendrier de matchs très lucratifs dans les clubs, une menace pour la
survie du lien entre sport et nationalité, une rupture avec le modèle
européen, fondé sur la qualification, la promotion ou la relégation, au
profit du système américain sur invitation, une rupture, enfin, entre le
sport de haut niveau et le sport amateur ou le sport pour tous, censé
être porteurs de valeurs culturelles, éducatives et sociales1.
*
* *
De la réponse de l’Union européenne à une demande d’exemption partielle de certaines dispositions des traités communautaires présentée par le mouvement sportif fédéral dépendent l’avenir et la crédibilité
de nombreuses disciplines dont l’identité a été fondée jusqu’à présent sur
la primauté accordée à la compétition sportive. Face à l’ultralibéralisme,
il appartient aux instances sportives de reconquérir le pouvoir et de refonder leur légitimité sur une véritable éthique qui s’est trouvée pervertie par
la pénétration incontrôlée de la finance dans le sport professionnel,
laquelle répond, certes, à un besoin de capitaux, mais dont le caractère
hégémonique a fait perdre tout « sens » à l’activité sportive.
Références bibliographiques
ANDREFF Wladimir, NYS Jean-François, Économie du sport, Paris, PUF,
coll. « Que sais-je ? », 3e édition, 1997, 128 p.
BOURG Jean-François, L’économie du sport, Paris, Encyclopaedia Universalis, CDRom, Version 5.0, 1999.
BOURG Jean-François, GOUGUET Jean-Jacques, Analyse économique du
sport, Paris, PUF, 1998, 380 p.
BOURG Jean-François, GOUGUET Jean-Jacques, Économie du sport, Paris,
La Découverte, coll. « Repères », à paraître.
SCYMANSKI Stefan, KUYPERS Tim, Winners and losers. The business strategy of football, Londres, Viking, 1999.
1. Sur les limites de ces valeurs, voir supra la deuxième partie.
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
ET LES POUVOIRS PUBLICS
FACE AU DOPAGE
ET À LA CORRUPTION :
PARTENARIAT
OU CONFRONTATION ?
■
Jean-Loup CHAPPELET
Résumé : en tant que dépositaire d’une certaine idée du sport, datant
pour l’essentiel de Pierre de Coubertin, le Comité international olympique et les organismes qui forment avec lui le système olympique ont été
particulièrement touchés par les dérives du sport qui reçoivent, en cette
fin de siècle, une attention médiatique soutenue. Ces dérives sont suffisamment graves pour que les pouvoirs publics nationaux et internationaux s’en préoccupent. Leurs réactions, parfois brutales et inattendues,
posent la question des relations entre le système olympique et l’ordre
public. Ces relations et leur évolution sont examinées à la lumière des
problèmes du dopage et de la corruption. Un cadre juridique pour de
meilleures relations est esquissé.
Depuis quelques années, le système olympique, avec à sa tête
le Comité international olympique (CIO), doit de plus en plus faire
face à des questions d’ordre public. Autrement dit, l’ordre sportif
qu’il a constitué au cours du XXe siècle se trouve régulièrement confronté depuis deux décennies environ aux pouvoirs publics nationaux et internationaux et aux ordres juridiques qu’ils engendrent.
L’Union européenne (UE) et ses États membres ont été particulièrement actifs depuis 1995, date à laquelle la Cour de justice des
Communautés européennes a rendu son fameux arrêt Bosman 1. Les
années 1998 et 1999 se sont révélées capitales à cause de la recrudescence des problèmes du dopage et de la corruption dans le sport.
Ces problèmes ont directement touché le CIO qui a réagi en convoquant une conférence mondiale sur le dopage et en créant une Commission de réforme intitulée « CIO 2000 ».
1. Mattera A. (dir.), « L’arrêt Bosman : la suppression des frontières sportives à l’intérieur de l’Union
européenne », numéro spécial de la Revue du marché unique européen, Paris, Juglar, 1996.
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216
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Cet article présente brièvement l’ordre sportif constitué par le
système olympique et les nouveaux acteurs qui s’y intéressent, notamment les États dont les relations actuelles avec ce système sont précisées. Il examine ensuite comment les problématiques du dopage et de
la corruption interpellent l’arrangement des acteurs olympiques actuels
et tout particulièrement le CIO. Il propose enfin un aménagement du
statut juridique du système olympique propre à rendre ses relations
plus harmonieuses avec l’ordre public national et surtout international.
LE SYSTÈME OLYMPIQUE
Les organismes contribuant à la préparation et au déroulement des Jeux
olympiques peuvent être répartis en cinq types d’acteurs entretenant
des relations étroites qui en font un système bien charpenté, connu
aussi sous l’appellation plus large de « mouvement olympique »1.
Le Comité international olympique, fondé en 1894, constitue à lui
tout seul le premier acteur, au sommet du système, car il reconnaît les
autres acteurs et les finance en partie. Bien que son rôle s’élargisse progressivement à tout le sport, il reste fortement centré sur les Jeux olympiques dont il possède tous les droits juridiques grâce à l’enregistrement
mondial de nombreuses marques qui y sont associées (symbole, drapeau,
flamme, devise, etc.). Ces droits génèrent des revenus importants.
Les comités d’organisation des Jeux olympiques (COJO) sont
un deuxième type d’acteurs. Bien qu’éphémères, puisque leur durée
de vie ne dépasse pas une dizaine d’années (y compris la phase de
candidature), ils sont au centre du système olympique et lui permettent de s’autofinancer grâce aux revenus que procurent les Jeux d’été
ou d’hiver. Un COJO est généralement en étroites relations avec les
pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux de son pays pour de
nombreuses questions organisationnelles (constructions, sécurité,
transports, diplomatie, etc.).
Les fédérations internationales sportives (FI) constituent un troisième type d’acteurs. Elles se répartissent entre celles (trente-cinq en
2000) dont le sport figure au programme des Jeux d’été ou d’hiver et
qui sanctionnent leurs épreuves olympiques, et celles (vingt-six) dont
le sport n’y figure pas encore mais qui sont reconnues par le CIO. Les
FI olympiques touchent une partie des droits de retransmission télévi-
1. Le CIO englobe dans le mouvement olympique les personnes morales et physiques (athlètes,
entraîneurs, dirigeants, etc.) qui acceptent d’être guidés par la charte olympique édictée par luimême (principe fondamental 5). Toutefois, il ne reconnaît que des personnes morales (article 4). Il
se fixe comme premier rôle de renforcer l’unité du mouvement olympique (article 2).
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
217
sée des Jeux. Les FI reconnues reçoivent des subventions. Depuis
1967, les FI olympiques et reconnues se regroupent avec d’autres FI
dans l’Association générale des fédérations internationales de sports
(AGFIS) dont le siège est à Monaco. Les activités des FI ne se limitent
nullement aux Jeux. Quelques rares FI, comme la Fédération internationale de football association (FIFA), ont des championnats du
monde qui rivalisent en ampleur avec les Jeux.
Les comités nationaux olympiques (CNO) forment un quatrième type d’acteurs du système olympique. Ils sont les représentants
territoriaux du CIO et les seuls à pouvoir engager une équipe olympique
aux Jeux. Ils reçoivent des aides du CIO à travers la solidarité olympique,
un organisme basé à Lausanne et financé par une partie des droits de
télévision des Jeux. Les CNO sont souvent subventionnés par leur gouvernement, parfois se sont des organismes (para-)gouvernementaux. De
plus en plus, ils constituent également la confédération des fédérations
nationales sportives (les principales exceptions européennes sont l’Allemagne et la Grande-Bretagne). Depuis 1980, les CNO se sont regroupés
dans une Association (mondiale) des CNO (ACNO), dont le siège est à
Paris et qui chapeaute cinq associations continentales répartissant les
fonds de la solidarité olympique. Trois d’entre elles régissent des Jeux
continentaux (panaméricains, asiatiques, africains).
Les fédérations nationales sportives (FN) sont le cinquième et
dernier type d’acteurs du système olympique. Elles regroupent pour
un sport donné les clubs de leur pays et à travers eux leurs athlètes.
Les FN peuvent être reconnues, au niveau national, par le CNO de
leur pays et/ou, au niveau international, par la FI de leur sport. Il
arrive que la double reconnaissance ne soit pas obtenue, ce qui
empêche la participation des athlètes concernés aux Jeux.
Ces cinq types d’acteurs peuvent être représentés sous la forme
de cinq anneaux, mais disposés différemment des anneaux olympiques (cf. figure 1). La charte olympique, élaborée par le CIO, est leur
texte fondateur ; les athlètes leur principale raison d’être.
La quasi-totalité des organismes du système olympique sont
des associations sans but lucratif au sens de la loi du pays de leur
siège, y compris le CIO en Suisse. Depuis une vingtaine d’années, ce
mouvement associatif est de plus en plus confronté à quatre autres
types d’acteurs d’une nature juridique différente.
Ce sont d’abord les États et les organisations intergouvernementales, organismes de droit public dont nous examinerons plus
longuement dans cet article les relations particulières avec le système
olympique.
Ce sont deuxièmement les entreprises multinationales pratiquant le parrainage (sponsors internationaux) et qui entretiennent
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218
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Charte
olympique
CIO
CNO
(200)
COJO
(3 ou 4)
FI
(35)
FN
Clubs
athlètes
Figure 1 : le système olympique.
une relation commerciale avec le CIO et les FI. Ce sont par exemple
la douzaine de sociétés participant au programme de marketing TOP
(The Olympic Partners) du CIO (Coca-Cola, Kodak, Visa, etc.), ainsi
que les grandes chaînes et unions de télévision (National Broadcasting Corporation, Union européenne de radiodiffusion, etc.) qui sont
des sponsors primordiaux pour en attirer d’autres.
Leurs homologues au niveau national (sponsors nationaux)
sont un troisième type de nouveaux acteurs, en relation avec les
CNO et les FN au travers de contrats de parrainage limités à un territoire national. Par exemple, en Suisse, le limonadier Rivella soutient
depuis de longues années aussi bien l’Association olympique suisse
que plusieurs fédérations sportives helvétiques qui en font partie. Les
sponsors nationaux et internationaux sont généralement des sociétés
anonymes.
Enfin, un quatrième type d’acteurs émerge avec force depuis
une dizaine d’années en coopération ou en concurrence avec les FN
et les FI. Ce sont les ligues d’équipes ou de sportifs professionnels.
Cette catégorie comprend des groupements d’athlètes tels que : Association of Tennis Professionals (ATP), Women Tennis Association
(WTA), Professionnal Golf Association (PGA), Association of Surfing
Professionnals (ASP), Association of (Beach) Volley-ball Professionnals (AVP), etc. Elle comprend également les ligues de football pro-
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
219
fessionnel, ou d’autres sports d’équipe, que l’on retrouve dans la plupart des pays européens ou qui tentent de se créer entre grands clubs,
ainsi que les ligues pro américaines : National Basket-ball Association (NBA), National Hockey League (NHL), National (American)
Football League (NFL), Major League Base-ball (MLB), etc. Bien que
très hétéroclites, y compris de par leurs statuts juridiques, ces nouveaux acteurs ont un objectif commun : le profit de leurs membres,
propriétaires et/ou actionnaires. Ils coopèrent parfois avec le système
olympique pour la participation de leurs athlètes aux Jeux (Dream
Team de basket-ball à Barcelone, joueurs de la NHL à Nagano, etc.)
États
CNO
Sponsors
nationaux
Charte
olympique
CIO
COJO
FN
Clubs
athlètes
Sponsors
internationaux
FI
Ligues
d’athlètes
ou
d'équipes
Figure 2 : les nouveaux acteurs encerclant le système olympique.
La position de ces quatre nouveaux types d’acteurs aux frontières du système olympique est illustrée par la figure 21. La suite de cet
article se concentre sur le quadrant supérieur gauche de cette figure.
1. Ce nouveau système qui se met en place sera présenté en détail dans l’ouvrage à paraître
Chappelet Jean-Loup, Morath Pierre, La gouvernance du sport mondial.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
L’ÉVOLUTION DES RELATIONS ENTRE
LE SYSTÈME OLYMPIQUE ET LES ÉTATS
Contrairement aux apparences parfois trompeuses, le CIO n’est pas
une « vraie » organisation internationale, mais une organisation non
gouvernementale (ONG) sous la forme juridique d’une association
de droit suisse selon les articles 60 à 79 du Code civil helvétique, son
siège étant à Lausanne depuis 1915. Ce statut est clairement affirmé
dans la charte olympique depuis les années 1970 et lui donne la personnalité juridique. De plus, dans de nombreux pays dont la France, le
CIO est cité dans des lois sur le sport comme le gardien de l’idéal olympique et/ou comme organisme établissant la liste des produits dopants.
À partir de 1980, sous la présidence de Juan-Antonio Samaranch, le
CIO n’a eu de cesse d’améliorer sa reconnaissance internationale1.
En 1981, le Conseil fédéral (gouvernement) suisse reconnaît
par arrêté au CIO un « caractère spécifique d’institution internationale » tout en confirmant deux privilèges acquis de longue date :
l’exonération d’impôts directs sur ses revenus et la possibilité de
recruter pour son administration sans limitation de nationalité
(l’obtention de permis de travail pour étrangers étant très limitée en
Suisse). La même année, le CIO est désigné comme le détenteur des
droits sur les anneaux olympiques par un traité de droit international
signé à Nairobi sous l’égide de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Ce traité a été ratifié par une quarantaine
de pays, mais pas par la plupart de ceux commercialement importants qui ont souvent confié ce droit très lucratif à leur CNO.
En 1989, à la suite des problèmes de boycott et de dopage des
Jeux de Séoul l’année précédente, l’Assemblée générale de
l’UNESCO adopte trois résolutions invitant ses États membres à coopérer avec le mouvement olympique, à lutter contre le dopage et à
défendre les Jeux olympiques. Ces résolutions sont les premières à
offrir une forme de reconnaissance internationale au CIO,
quoiqu’assez faible. Elle est légèrement renforcée par l’adoption
quelques mois avant les Jeux de Lillehammer en 1994, Atlanta en
1996 et Nagano en 1998 de résolutions de l’Assemblée générale des
Nations unies appelant les États membres à respecter une « trêve
olympique » pendant les Jeux. C’est ainsi que les États-Unis renoncèrent à lancer des bombardements sur l’Iraq durant les Jeux de
Nagano et que le drapeau de l’ONU flotta sur tous les sites de compétitions à côté du drapeau olympique.
1. À ce sujet, voir supra l’article de Dominique Maliesky.
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
221
Dans les années 1990, le CIO a multiplié les accords de coopération et les conférences avec les organisations onusiennes telles
que l’UNESCO, le Fond des Nations unies pour l’enfance (UNICEF),
le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), l’Organisation mondiale
de la santé (OMS), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). Mais ces relations privilégiées ne lui
confèrent pas pour autant un vrai statut international.
En Suisse même, le CIO n’a toujours pas d’accord de siège
alors que des organisations non gouvernementales comme l’Association internationale du transport aérien (IATA) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en disposent. Le gouvernement helvétique veut éviter de créer un précédent qui pourrait être évoqué par la
vingtaine de FI dont le siège est en Suisse, même si la plupart n’ont
pas cette prétention.
En 1999, le CIO a préféré retirer une demande d’exemption de
la taxe à la valeur ajoutée (TVA) qui risquait d’être refusée par le parlement suisse à la suite du scandale de la corruption. De plus, l’examen de cette demande provoqua la suppression d’une légère exemption d’impôts sur les revenus pratiquée de longue date pour ses
employés. Il est intéressant de comprendre l’argumentation du CIO
vis-à-vis de la TVA. Ce dernier ne réclamait pas, en effet, son exemption pour des motifs financiers, puisqu’il aurait pu récupérer la taxe
sur les montants versés aux FI et aux CNO. Mais une telle récupération aurait nécessité l’établissement de factures, voire de contrats,
entre les acteurs du système olympique qui s’y refusent par principe.
Parallèlement aux démarches visant à améliorer sa reconnaissance par les pouvoirs publics, le CIO qui assume des pouvoirs exécutifs et législatifs a soutenu, à partir de 1983, la création d’un pouvoir
judiciaire autonome sous la forme du Tribunal arbitral du sport (TAS)
pour éviter les recours souvent lents et onéreux au juge étatique1. Ce
tribunal est composé de deux chambres. La chambre d’arbitrage ordinaire examine tous les litiges en matière de sport qui lui sont soumis
directement et volontairement par des parties. La chambre arbitrale
d’appel sert de tribunal suprême pour toutes les juridictions organiques
des FI et des CNO qui veulent bien la reconnaître comme tel (la principale exception restant la FIFA qui souhaiterait une chambre spécialisée
pour le football). Le siège du TAS est à Lausanne, mais des chambres
décentralisées sont prévues en Océanie et en Amérique. Le droit appliqué est le droit suisse sauf accord contraire entre les parties. L’arbitrage
se base sur la loi suisse sur le droit international privé (chapitre 12) et
1. TAS, Guide de l’arbitrage, Lausanne, circa 1996.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
un code de l’arbitrage en matière de sport. Ses sentences ont la même
force que des jugements rendus par des tribunaux civils.
Depuis 1994, à la suite de l’appel exceptionnel d’une de ses
sentences auprès du Tribunal fédéral suisse (plus haute cour helvétique), le TAS est supervisé par un Conseil international de l’arbitrage
sportif (CIAS) formé de vingt personnalités nommées par le CIO, les
FI, les CNO et les athlètes. Le CIAS nomme les quelque deux cents
juges du TAS parmi lesquels les parties peuvent choisir leurs représentants. Cette structure assure une bonne indépendance vis-à-vis du
CIO. Le TAS a d’ailleurs pris des sentences cassant des décisions du
CIO en matière de dopage lors des Jeux d’Atlanta et de Nagano. On
peut donc affirmer que le CIAS et le TAS constituent une solution particulièrement adaptée aux litiges nationaux et surtout internationaux
en matière de sport qui a permis d’établir un partenariat dans le
domaine judiciaire civil entre les pouvoirs sportifs et publics, déchargeant efficacement ces derniers. L’arbitrage se répand d’ailleurs au
niveau des CNO (USA et Belgique).
LES NOUVEAUX DÉFIS DU CIO
FACE À L’ORDRE PUBLIC
Alors que les FI, les CNO et les FN ont été fortement affectés dans les
années 1990 par les implications économiques de leurs activités, en
particulier dans l’Union européenne (UE), le CIO n’a que peu été
touché jusqu’à présent. Les règles communautaires de libre circulation des personnes, des marchandises et des services, ou de libre
concurrence ne sont pas (encore) vraiment rentrées en collision avec
les règles olympiques. L’UE a même subventionné les Jeux d’Albertville et de Barcelone, en 1992, pour que le symbolisme européen
soit présent pendant les cérémonies d’ouverture et de clôture (faute
d’obtenir que les athlètes des pays membres défilent ensemble).
Pour ce qui est des droits de télévision, le CIO a signé en 1995
des accords à long terme portant sur quatre éditions des Jeux (2000 à
2008) pour la plupart des territoires économiquement importants.
Pour l’Europe, il a signé avec l’UER, le groupement des chaînes publiques non cryptées du continent. Cela le met pour quelques années à
l’abri de la directive européenne « Télévision sans frontières » qui permet à chaque État membre de s’assurer que les grands événements,
dont bien sûr les Jeux, sont accessibles à tous sans péage. Ce contrat
exclusif a pourtant une très longue durée.
Pour étudier ces questions d’économie sportive, le CIO a
fondé en 1998, et préside, un groupe de travail composé des prési-
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
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dents des associations des FI de sports d’été (ASOIF), des FI de sports
d’hiver (AIWSF), des Comités olympiques européens (COE) et de la
Fédération internationale de l’automobile (FIA), ainsi que de représentants de l’UER et de l’Union européenne de football association
(UEFA). Ce groupe suit de près les discussions sur l’introduction de la
notion d’exception sportive dans les traités européens1.
Par contre les problèmes éthiques (dopage, corruption), qui
secouent intensément le sport depuis le Tour de France 1998 et les
révélations sur la candidature de Salt Lake City aux Jeux d’hiver quelques mois plus tard, frappent le CIO de plein fouet et posent la question de sa relation à l’ordre public.
Le problème du dopage
Le problème du dopage a plus de trente ans puisque le CIO pratique
des tests aux Jeux olympiques depuis 1968. Mais il connaît une attention renforcée depuis le Tour de France 1998 qui fut fortement perturbé par plusieurs interpellations de coureurs, soigneurs et dirigeants
par la police. Curieusement l’Union cycliste internationale (UCI), la
FI directement concernée et présidée par un membre du CIO, ne réagit pas immédiatement à ces événements inédits. Par contre, le CIO
organisa dès le mois d’août 1998 une réunion extraordinaire de sa
Commission exécutive où il invita à s’exprimer Jean-Claude Killy,
membre français du CIO et patron du Tour. Il décida alors de convoquer une grande conférence mondiale sur le dopage pour
février 1999, à Lausanne, avec la participation de tous les milieux
concernés y compris les gouvernements et les organisations intergouvernementales.
Le CIO prenait ainsi à bras le corps un problème qui n’affectait
pas seulement les Jeux, mais tout le sport. De cette façon il évitait
que d’autres s’en saisissent comme après la disqualification de
Ben Johnson pour dopage des Jeux de Séoul, dix ans plus tôt. C’est
en effet à la suite d’une résolution de la deuxième conférence des
ministres des Sports tenue sous l’égide de l’UNESCO à Moscou en
octobre 1988, qu’il dû rapidement adopter l’année suivante une
Charte internationale de lutte contre le dopage. Cette charte résultait
en partie de pressions gouvernementales, notamment celle du
Canada qui avait institué sous la présidence du juge Dubin une Commission d’enquête nationale autour du cas Ben Johnson. Elle faisait
également écho à la Convention contre le dopage adoptée la même
année par le Conseil de l’Europe.
1. Voir, supra, l’article de Colin Miège.
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224
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Il est clair aujourd’hui que ni cette charte ni cette convention
n’empêchèrent le dopage de se développer considérablement dans le
sport, y compris aux Jeux olympiques et ceci malgré l’absence de cas
positifs aux Jeux d’Albertville, de Lillehammer, d’Atlanta et de
Nagano. Ce développement est notamment dû à l’apparition de produits dopants difficilement décelables comme l’EPO et l’hormone de
croissance, mais aussi au relatif désintérêt des pouvoirs publics pour
cette question jugée purement sportive jusqu’en 1998. Parallèlement,
de nombreuses FI refusaient de prendre en main le problème malgré
des résolutions prises à cet effet au fil des ans lors de plusieurs réunions à Lausanne sous l’égide du CIO.
Quelques semaines après les événements du Tour de France,
l’entraîneur d’une équipe romaine de football faisait des déclarations
fracassantes sur l’étendue du dopage dans ce sport en Italie. Il
déclenchait ainsi des enquêtes judiciaires que les journalistes résumèrent rapidement sous l’appellation « pieds propres », en référence
aux opérations « mains propres » conduites par des juges italiens
contre les hommes politiques corrompus. Un procureur turinois convoqua ainsi de nombreux athlètes et dirigeants, ainsi que le président
et le directeur de la Commission médicale du CIO. Ces enquêtes
entraînèrent la fermeture du laboratoire antidopage de Rome (qui
n’analysait sérieusement qu’un petit nombre des échantillons qui lui
était soumis) et à la démission du président du Comité olympique
national italien (CONI) dont il dépendait. Dans la foulée, un nouveau
gouvernement italien décidait une réforme en profondeur du CONI,
dans le sens d’un meilleur contrôle étatique sur cet organisme.
Les événements de l’été 1998 sur le front du dopage montraient que l’intervention musclée des pouvoirs publics (français et
italiens, en l’occurrence) changeait considérablement les données du
problème. L’ordre sportif – directement à travers le CONI, l’UCI, les
FN concernées et indirectement avec le CIO – se trouvait quasiment
pour la première fois confronté à l’ordre public, représenté par ses
policiers et ses juges. Sous l’impulsion des ministres français et allemand chargés du Sport, leurs collègues européens s’intéressèrent au
problème et à ses implications de santé publique. Les gouvernements
australien et américain se sentirent également concernés du fait de
l’organisation des Jeux à Sydney, en 2000, et à Salt Lake City, en
2002, dont ils ne voulaient pas voir l’image entachée par le dopage.
L’invitation des gouvernements à la conférence de Lausanne était
donc judicieuse, mais s’annonçait délicate à gérer.
Quatre groupes de travail se réunirent durant l’automne pour
préparer la conférence sous la direction des quatre vice-présidents du
CIO. Ils étaient chargés des thèmes suivants : protection des athlètes,
aspects juridiques, prévention et éducation, aspects financiers. Le
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
225
CIO se déclarait d’emblée prêt à créer et financer une Agence internationale antidopage (AIA) chargée de procéder à des contrôles dans
tous les sports. Il se faisait fort de rassembler tout le système olympique, en particulier les FI, derrière une définition commune du dopage
et des sanctions uniformes. Un projet de laboratoire volant avait
pourtant été abandonné par le CIO en 1990 pour des raisons de faisabilité, alors qu’un fabriquant d’appareils d’analyse était prêt à le
financer.
Pour le malheur du CIO, la conférence de Lausanne se
déroula, en février 1999, après la révélation de pratiques douteuses à
l’occasion de l’attribution des Jeux olympiques, à un moment donc
où le CIO était attaqué de toutes parts. Les ministres invités à Lausanne critiquèrent l’action du CIO en matière de dopage et ses plans
pour l’AIA qu’ils jugeaient inféodée au CIO. Par ailleurs, trois FI
importantes (football, cyclisme et tennis) émirent de fortes réserves
sur le principe de sanctions uniformes proposé par le CIO qui dû être
aménagé.
Toutefois, la déclaration finale de la conférence donne la définition suivante du dopage qui est intéressante dans la mesure où elle ne
le limite pas uniquement à des substances ou méthodes citées dans
une liste : « Le Code antidopage du mouvement olympique est accepté
comme base de la lutte contre le dopage, défini comme l’usage d’un
artifice (substance ou méthode) potentiellement dangereux pour la
santé des athlètes et/ou susceptible d’améliorer leur performance, ou la
présence dans l’organisme de l’athlète d’une substance ou la constatation de l’application d’une méthode qui figure dans une liste annexée
au Code antidopage du mouvement olympique. »
Le paragraphe de la déclaration finale concernant la collaboration entre le mouvement olympique et les pouvoirs publics fut fortement amendé. Le CIO avait cru pouvoir affirmer que : « Les pouvoirs
publics assument la responsabilité de déterminer les sanctions contre
les trafiquants de substances dopantes interdites, et de réprimer les
infractions passibles de sanctions non-sportives. » Cette phrase fut biffée pour ne plus laisser qu’une déclaration de principe : « La collaboration dans la lutte contre le dopage entre les organisations sportives
et les pouvoirs publics sera renforcée en fonction des responsabilités
de chaque partie. Ensemble, ils se préoccupent aussi de l’éducation,
de la recherche scientifique, des mesures sociales et de santé protégeant les athlètes et de la coordination des législations relatives au
dopage. »
En fait, l’essentiel était renvoyé à un groupe de travail chargé
d’imaginer les missions, statuts et budget de l’AIA. Ce groupe se réunit à
six reprises en 1999 sous l’égide du CIO avec la participation d’un patchwork d’organisations sportives et intergouvernementales : l’ASOIF,
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
l’AIWSF, l’ACNO, la Commission des athlètes et la Commission
médicale du CIO, le TAS, la Confédération arabe des sports, le Conseil suprême du sport en Afrique, l’OMS, Interpol, le PNUCD, l’UE,
le Conseil de l’Europe et son groupe de suivi de la Convention contre
le dopage.
Ce groupe de travail proposa que les missions de l’AIA soient,
dès le début de l’an 2000 de : coordonner un programme international antidopage basé sur des contrôles d’urines inopinés hors compétitions dans tous les sports, en accord avec les États et organisations
sportives concernés ; accréditer les laboratoires spécialisés ; proposer
une liste de substances interdites ; soutenir des programmes de
recherche et de prévention en la matière. L’AIA est une fondation de
droit suisse dont le conseil comprend des responsables olympiques et
gouvernementaux. Ce conseil décide du directeur de l’AIA et de son
siège selon un appel d’offres auprès des villes intéressées. Le CIO
souhaitait que ce siège soit à Lausanne, alors que les représentants de
l’UE trouvaient cela inacceptable pour l’indépendance de l’AIA, malgré le contre-exemple du TAS basé à Lausanne. Le financement
immédiat de l’AIA est assuré par le système olympique qui a promis,
dans la déclaration finale de Lausanne, un capital de fondation de
25 millions de dollars. Les gouvernements pourraient y participer
plus tard.
En septembre 1999, après consultation des FI et CNO, le CIO
publie un nouveau Code antidopage du mouvement olympique
reconnu dans la déclaration de Lausanne comme base de la lutte
contre le dopage1. Il y intègre l’AIA, mais réserve à la Commission
exécutive du CIO le droit de modifier ce code sur recommandation
du conseil de l’AIA, en particulier la liste des substances et méthodes
interdites, ainsi que les procédures de prélèvement, d’analyse et
d’accréditation qui en font partie. Il contrôle ainsi le cadre de travail
de l’AIA. Pour la première fois, ce Code prévoit pour les athlètes des
amendes jusqu’à un maximum de 100 000 dollars en plus de suspensions de compétition pour un minimum de deux ans. Des pénalités
supérieures sont prévues pour des circonstances graves et des substances très dangereuses. Le trafic est également sanctionné, mais sa
poursuite pénale reste typiquement une tâche étatique. Les appels
sont prévus exclusivement auprès du TAS. Dès sa publication, ce
Code est critiqué par le CNO australien qui le trouve trop timide et
inadéquat sur certains points, notamment en vue des Jeux de Sydney.
Il regrette en particulier son silence sur les contrôles sanguins.
1. Code Antidopage du mouvement olympique (édition bilingue français-anglais), Lausanne, CIO,
1999.
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
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Parallèlement à ces travaux menés par le CIO, les responsables
de l’International Anti-Doping Arrangement (IADA) déposaient, en
juillet 1999, auprès de l’Organisation internationale de normalisation
(ISO) à Genève un projet de normes sur les procédures de contrôles
antidopage afin de les harmoniser dans tous les pays membres de
cette organisation. En effet, l’absence de procédures normalisées a
souvent conduit les tribunaux à invalider des tests positifs. Or l’IADA
est un accord intergouvernemental entre l’Australie, le Canada, la
Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la
Suède. Pour la première fois, des gouvernements prenaient l’initiative
dans un domaine jusque-là régulé par le CIO et les FI à travers leurs
commissions médicales définissant les procédures et accréditant les
laboratoires antidopage officiels. La cohérence entre ce projet de
normes et celles qui seront adoptées par l’AIA pour le code antidopage n’est pas assurée.
Il est désormais évident que le problème du dopage ne pourra
être résolu que grâce à un partenariat entre l’ordre sportif et l’ordre
public qui permettrait une répartition des tâches correspondant aux
compétences et pouvoirs de chacun, à l’instar de ce qui est pratiqué
dans les pays scandinaves1. La difficulté de mise au point d’un tel
partenariat vient du fait que le sport de haut niveau est un phénomène mondial, alors que les pouvoirs publics ne disposent de lois
antidopage que dans vingt-sept pays sur les deux cents qui ont un
CNO2. La Suisse, par exemple, ne possède de tels articles de loi que
depuis 1999. Auparavant seul le dopage des chevaux était interdit ! À
cet égard, l’intervention de l’Europe unie, sur la base du travail effectué par le Conseil de l’Europe depuis vingt ans, pourrait être décisive
pour la réussite de ce partenariat.
Le problème de la corruption
Les dérives provoquées par l’argent dans le sport ont été dénoncées
depuis de nombreuses années3. Jusqu’au mois de décembre 1998,
elles avaient rarement touché le cœur du système olympique, c’est-àdire le CIO et les COJO. Lors d’une réunion de la Commission exécutive du CIO tenue ce mois-là à Lausanne, un de ses membres émérites, le Suisse Marc Hodler, fit des déclarations sensationnelles au
sujet du processus d’élection des villes olympiques. Il accusait plusieurs comités de candidatures d’avoir influencé le vote à bulletin
1. Chappelet Jean-Loup, « Un partenariat public-privé contre le fléau du dopage », Le Temps,
20 août 1998, p. 9.
2. Rogge Jacques, Sport Europe, n° 45, juillet 1999, p. 28-33.
3. Voir par exemple, Bourg Jean-François, L’argent fou du sport, Paris, La Table Ronde, 1994.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
secret des membres du CIO à l’aide de moyens anormaux tels que
des versements d’argent, des cadeaux importants, des avantages
divers pour eux même ou leur famille.
Ces déclarations faisaient suite à la découverte d’un document
indiquant que le Comité de Salt Lake City 2002 avait offert une
bourse d’étude à la fille d’un membre du CIO, entre temps décédé.
Marc Hodler se sentait directement concerné en tant que président
de la Commission de coordination CIO-COJO pour 2002 et aussi responsable des Directives aux villes candidates en matière de limitation des dépenses. Ces Directives avaient été élaborées à la suite de
la campagne pour les Jeux de 1992 et régulièrement renforcées. Elles
interdisaient notamment les réceptions inutiles, les visites exagérées
et des cadeaux dont le total de la valeur dépasserait 200 dollars1.
Ce n’était pas la première fois que des rumeurs de trafic
d’influence touchaient le processus de sélection des villes organisatrices des Jeux. La candidature de Toronto s’en était plainte dans un rapport confidentiel à la suite de la campagne pour les Jeux d’été 1996 et
des livres avaient souligné ces problèmes à la suite des candidatures
suédoises de Falun (1994) et Östersund (2002)2. Mais le CIO n’y avait
pas donné suite faute de véritables preuves. Le document en provenance de Salt Lake se révéla finalement être un faux, pourtant il déclencha plusieurs enquêtes qui mirent à jour toute une série de pratiques
douteuses tant de la part du Comité de candidature que des membres
du CIO. Diverses recherches furent également entreprises au sujet des
candidatures de Sydney (2000), Nagano (1998) et Atlanta (1996).
Face à une réaction médiatique considérable, le CIO institua
immédiatement une Commission d’enquête dirigée par un de ses
vice-présidents, le Canadien Richard Pound. Cette Commission examina les cas de vingt-trois membres mentionnés à divers titres sur
cent quatorze. Quatre membres démissionnèrent ; six furent exclus
par une session extraordinaire convoquée en mars 1999 ; dix autres
reçurent des avertissements plus ou moins sévères pour conduite non
appropriée. Les autres furent innocentés.
À aucun moment le CIO n’employa le terme de « corruption ».
En effet, ses membres sont des personnes privées, tout comme en
général les comités de candidature. Ils ne représentent pas un gouvernement, au contraire ils sont, selon la charte olympique, les représentants du CIO auprès de leur pays. Or, si aucune loi n’est violée,
1. Manuel des villes candidates à l’organisation des XIXe Jeux olympiques d’hiver, Lausanne, CIO,
1994, p. 19.
2. De Persson Christer, The Process of Host Selection for the 2002 Olympic Winter Games,
mémoire de licence, Lulea University of Technology, 1997, p. 10.
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
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rien n’interdit à deux personnes privées de conclure un arrangement
à l’amiable. De plus, si un tel arrangement portait sur un vote en
faveur d’une ville candidate, il serait impossible à prouver puisque le
vote est secret. En invoquant la corruption pour exclure un membre,
le CIO aurait donc risqué de se faire attaquer en justice pour diffamation. Il invoqua plutôt un comportement inadéquat au vu de l’éthique
prônée par sa charte. Cette notion relativement floue fut précisée par
l’adoption d’un Code d’éthique, en juin 1999, beaucoup plus vaste
que les Directives aux villes candidates1.
À la suite d’une enquête parallèle à celle menée par le CIO, le
CNO des États-Unis (United States Olympic Committee : USOC) proposa toute une série de mesures pour réformer le CIO, en particulier
d’y inclure des représentants des pouvoirs publics (ce qui est contraire à l’idée même que le CIO se fait de ses membres, comme on l’a
vu ci-dessus). Il était aussi suggéré que le CIO soit cité dans la liste
des « organisations internationales publiques » mentionnées dans la
fameuse loi américaine votée après le scandale Lookheed dans les
années 1970 (Foreign Corrupt Practices Act). Il est également fait
référence à cette liste dans une Convention contre la corruption dans
les transactions commerciales internationales, préparée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et
adoptée en 1997 par une trentaine de pays, dont presque tous ceux
qui ont organisé des Jeux. Ainsi les membres du CIO pourraient être
poursuivis pour corruption dans tous les pays qui citeraient expressément le CIO dans cette liste, c’est-à-dire le reconnaîtraient comme
« organisation internationale publique ».
Paradoxalement, l’USOC reposait ainsi la question du statut
privé du CIO, alors que lui-même est créé par une loi américaine
(Amateur Sports Act). Cette loi lui confère notamment les droits sur les
anneaux olympiques aux États-Unis, ce qui oblige le CIO à être très
attentif aux desideratas tant de l’USOC que du Congrès américain. Un
sénateur a d’ailleurs profité de l’occasion pour tenir des auditions
(hearings) au sujet de Salt Lake City et de la déductibilité d’impôt des
montants versés par les nombreux sponsors américains des Jeux2.
Pour couronner cette série d’enquêtes, mentionnons également
celle du Bureau fédéral d’investigations (FBI) qui a abouti à l’inculpation
d’un homme d’affaire de l’Utah et du fils d’un membre du CIO. L’inculpation de membres du CIO n’est pas exclue et ce dernier leur a fourni
des conseils pour répondre à d’éventuels interrogatoires du FBI lorsqu’ils
sont sur le territoire américain.
1. Voir ce code à l’adresse : www.olympic.org/ioc/f/org/ethics/ethics-code-f.html
2. Voir à ce sujet, infra, l’article de Andrew Jennings.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
À la suite de l’affaire de Salt Lake City, un des trois groupes de
travail de la Commission de réforme CIO 2000 a été chargé de
proposer une refonte du processus d’élection de la ville organisatrice
des Jeux. Ce processus est renforcé par l’introduction d’une phase
d’acceptation plus sévère des candidatures par la Commission
exécutive du CIO et par la présélection – à la suite d’une visite
d’évaluation – d’un nombre réduit de candidatures. Ces finalistes
sont toujours soumises au vote de tous les membres du CIO. Les
visites des villes candidates ne sont autorisées qu’en groupe. Ces
mesures, quoiqu’intéressantes, n’empêcheront pas des trafics
d’influence. Pour cette raison, un membre du CIO a suggéré qu’un
tirage au sort soit effectué entre les villes présélectionnées qui sont
toutes réputées capable d’organiser les Jeux. Il serait également
possible d’envisager entre les villes une sorte d’appel d’offre public
international selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), comme quand une organisation importante choisit un
nouveau siège. Ainsi la ville « mieux offrante » l’emporterait dans un
processus plus transparent.
Au-delà de l’attribution des Jeux, il est indispensable de reconnaître que leur organisation nécessite de plus en plus une étroite coopération des pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux du pays
concerné1. (Il en va de même pour de grandes manifestations sportives comme la Coupe du monde de football ou le Tour de France.)
Les COJO sont désormais des organismes semi-publics. Le COJO de
Nagano était une fondation d’utilité publique ; celui de Sydney a été
créé par une loi de la province de Nouvelle Galles du Sud et il est
présidé par un ministre ; de même, il est envisagé que le COJO de
Turin 2006 soit l’objet d’une loi italienne ad hoc. À Salt Lake City, le
nombre de représentants des pouvoirs publics au conseil d’administration du COJO a été renforcé à la suite du scandale. Dans l’histoire
olympique récente, seul le COJO d’Atlanta 1996 était un organisme
purement privé, ce qui posa des problèmes organisationnels importants notamment en matière de sécurité et de transports. Il s’est
d’ailleurs prévalu de cette nature non publique pour refuser pendant
un certain temps d’ouvrir les archives de sa candidature aux enquêteurs du Congrès, prétention qu’il dût finalement abandonner, ce qui
conduisit à la révélation de pratiques très douteuses.
En attribuant les Jeux à une ville, le CIO signe un épais contrat
avec cette ville et son CNO. Il exige également, sous forme de lettres,
de multiples engagements des pouvoirs publics régionaux et natio-
1. Chappelet Jean-Loup, « Dimensions publiques et privées de l’organisation des Jeux
olympiques », Revue économique et sociale, vol. 54, n° 3, septembre 1996, p. 163-176.
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LE SYSTÈME OLYMPIQUE
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naux, en particulier celui de respecter la charte olympique. Ce contrat et ces engagements n’ont finalement que peu de valeur, autre
que morale, car la seule sanction que peut imposer le CIO est de retirer les Jeux, sans doute au risque de procès en dommages et intérêts
faramineux, y compris de la part de certains athlètes. Les COJO de
Salt Lake City et de Sydney l’ont bien compris quand ils proposent
des réductions démagogiques aux prérogatives contractuelles du CIO
qui doit les accepter. Tout puissant lors du choix de la ville hôte des
Jeux, le CIO redevient un simple organisme privé pour leurs organisateurs, sans prérogatives particulières vis-à-vis des États.
VERS UN NOUVEAU CADRE JURIDIQUE POUR LE SYSTÈME OLYMPIQUE ?
Les problèmes du dopage et de la corruption développés ci-dessus
ont montré les limites du statut actuel du CIO vis-à-vis des pouvoirs
publics. De par leurs conséquences négatives sur l’image olympique
qui est vendue aux sponsors et aux chaînes de télévision, ils peuvent
à terme mettre à bas une institution centenaire qui a jusqu’ici permis
d’organiser quasiment sans interruption des rassemblements pacifiques connus sous le nom de Jeux olympiques qui, quoiqu’on en dise,
font partie du patrimoine de l’humanité et sont un des rares symboles
forts de coopération internationale.
Aujourd’hui le sport, que l’on compare souvent à une forme
civilisée de guerre, met ses dirigeants et pratiquants de haut niveau
dans une situation morale comparable à celle des généraux et soldats
du XIXe siècle qui devaient combattre dans des guerres où tout était
permis. Ayant été témoin du carnage inhumain de la bataille de Solferino, Henri Dunant entreprit en 1863 de créer le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour protéger les victimes civiles et
militaires de conflits armés. Il inaugurait ainsi le droit humanitaire
international qui vise à « civiliser » la guerre. Il semble qu’il faille
désormais veiller à ce que le sport reste le facteur de civilisation souligné par Élias et Dunning1.
Les structures actuelles du Mouvement international de la
Croix-Rouge et du Croissant-Rouge peuvent servir d’inspiration à un
nouveau cadre juridique pour le système olympique. Elles comportent trois composantes unies par des « Principes fondamentaux »
communs : le CICR, les sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du
1. Élias Norbert et Dunning Éric, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1994.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
Croissant-Rouge et la Fédération internationale de ces sociétés (FISCRCR). Une Conférence internationale réunit en principe tous les
quatre ans ces trois composantes avec les États parties aux Conventions de Genève (1949). Cette Conférence adopte et modifie les statuts du mouvement.
Le CICR est une simple association selon le droit suisse, mais il
est investi de responsabilités officielles spécifiques définies dans les
conventions de Genève et dans leurs protocoles additionnels. Il
s’acquitte de mandats qui lui sont confiés par la Conférence internationale. Ses quinze à vingt-cinq membres sont tous citoyens suisses. Il dispose d’accords de siège avec plus de cinquante États y compris, à
Genève, avec la Suisse (depuis seulement 1993 !). Ces accords précisent sa personnalité juridique internationale sur leurs territoires et accordent des immunités et privilèges dont bénéficient normalement les
organisations intergouvernementales et leurs fonctionnaires. Le CICR est
notamment exempté de la TVA depuis son introduction en Suisse.
Des sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du CroissantRouge sont reconnues en 1999 par le CICR dans 175 pays. Elles agissent comme auxiliaires des pouvoirs publics nationaux pour toutes
sortes de services sanitaires en temps de paix et de guerre, ainsi que
de secours en cas de catastrophe. À l’instar de la Croix-Rouge française, elles disposent très souvent de statuts publics ou semi-publics
et/ou reçoivent des subventions de leur gouvernement.
La FISCRCR a été fondée en 1919 sous le nom de Ligue. C’est
une association pour coordonner l’assistance internationale aux victimes de catastrophes provenant des sociétés nationales et leur servir
d’organe de liaison, de soutien et d’étude. Son siège est à Genève.
Le CICR, la FISCRCR et les sociétés nationales se réunissent
tous les deux ans dans le cadre d’un conseil des délégués. Le tableau
suivant permet d’établir un parallélisme entre le système olympique
et le mouvement de la Croix-Rouge, même si les responsabilités ne
sont pas du tout de même nature.
Système olympique
Charte olympique (y compris
principes fondamentaux)
CIO
200 CNO
ACNO
FI
Congrès olympique
–
Mouvement de la Croix-Rouge
Statuts (y compris principes fondamentaux)
CICR
175 sociétés nationales CRCR
FISCRCR
ONG humanitaires
Conseil des délégués
Conférence internationale CRCR
2248_21_C2 Page 233 Lundi, 14. mai 2001 2:39 14
LE SYSTÈME OLYMPIQUE
233
Le CICR et son mouvement jouissent d’un bien meilleur cadre
juridique que le CIO et le mouvement olympique. Au-delà de
l’accord de siège dont ne dispose pas le CIO, la principale différence
vient de la reconnaissance internationale du CICR par les conventions de Genève, des actes de droit public international ratifiés par
186 pays.
À la suite d’une proposition émise lors du Congrès olympique
de 1981 à Baden-Baden (Allemagne), le CIO avait entrepris des
démarches auprès l’ONU pour le passage d’une convention de protection des Jeux olympiques. Elles furent interrompues de peur que
les États membres en profitent pour réclamer des modifications structurelles, comme celles souhaitées par les pays socialistes dans les
années 1950 et 1960, à savoir la désignation des membres du CIO
par leurs gouvernements sur le principe un pays = une voix. Finalement, le CIO se contenta d’une reconnaissance limitée à travers les
résolutions successives sur la trêve olympique et notamment la première qui proclamait 1994 comme l’année internationale du sport et
de l’idéal olympique.
Un vaste et nouveau partenariat entre le système olympique et
les pouvoirs publics peut être imaginé dans le cadre de ce qui pourrait s’appeler les Conventions de Lausanne. Seuls les pays ayant signé
ces conventions pourraient être candidats à l’organisation des Jeux,
voire y participer.
Ces conventions devraient aborder tous les problèmes actuels du
sport comme la corruption, le dopage et la violence. Elles incorporeraient les codes éthique et antidopage. Elles devraient étroitement associer le TAS, l’AIA et les FI qui n’ont pas vraiment d’équivalent dans le
modèle de la Croix-Rouge si ce ne sont les multiples organisations
humanitaires non gouvernementales. Les deux conventions européennes (sur la violence lors de manifestations sportives et contre le dopage),
qui reconnaissent les responsabilités complémentaires des pouvoirs
publics et des organisations sportives volontaires, peuvent servir
d’exemples. Elles ont été signées par une quarantaine d’États européens.
Le CIO, comme le CICR, garderait un rôle central. Ses membres ne seraient pas nationaux d’un seul pays comme c’est le cas du
CICR, mais pourraient provenir, par exemple, des pays ayant organisé les Jeux et de la présidence d’une FI. La représentation mondiale
serait assurée par l’ACNO. Des congrès olympiques renforcés réuniraient tous les huit ans les délégués du CIO, des CNO, des FI et des
États signataires des Conventions de Lausanne.
*
*
*
2248_21_C2 Page 234 Lundi, 14. mai 2001 2:39 14
234
SPORT ET ORDRE PUBLIC
À titre de conclusion, il convient de reconnaître que les obstacles sont nombreux pour l’établissement d’un véritable partenariat
entre le système olympique et les pouvoirs publics, par exemple dans
le sens de celui esquissé ci-dessus. L’heure est plutôt à la confrontation, comme on a pu le constater lors de la conférence mondiale sur
le dopage à Lausanne et lors des discussions sur la mise en place de
l’AIA. Malgré quelques forums ponctuels, le système olympique et
l’UE semblent emprunter des voies qui ne se recoupent pas. Certes
l’UE n’est pas le monde entier, mais sa dynamique est importante sur
les questions d’économie sportive et de dopage. S’il veut éviter sa
marginalisation progressive, le système olympique serait bien inspiré
de proposer lui-même une forme institutionnelle de partenariat intelligent avec l’ordre public plutôt que de se bloquer sur des rentes de
situation désuètes.
Références bibliographiques
CHAPPELET Jean-Loup, Le système olympique, Grenoble, PUG, 1991,
264 p.
COLLOMB Pierre (dir.), Sport, droit et relations internationales, Paris,
Économica, 1988, 302 p.
LECONTE Bernard, VIGARELLO Georges (dir.), « Le spectacle du sport »,
Communications n° 67, 1998.
LANDRY Fernand, VERLES Magdeleine, Un siècle du Comité International Olympique, volume III, Lausanne, CIO, 1997, 431 p.
HILL Christopher, Olympic Politics, Manchester, University Press,
1996, 283 p.
HUSTING Alexandre, L’Union européenne et le sport : l’impact de la
construction européenne sur l’activité sportive, Lyon, éditions
Juris Service, 1998, 260 p.
HOULIHAN Barrie, Dying to win : Doping in sport and the development of anti-doping policy, Strasbourg, Council of Europe
Press, 1999, 219 p.
2248_22_C3 Page 235 Lundi, 14. mai 2001 2:41 14
DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
235
DE L’AVANTAGE
DE DÉNONCER
L’AFFAIRISME SPORTIF
■
Gildas LOIRAND
Résumé : la dénonciation de la commercialisation du sport et des dangers
que cette dernière est censée faire courir à la morale sportive atteint, en
France, le rang d’affaire d’État. L’évocation des formes diversifiées de cette
dénonciation met à jour les fondements historiques et sociaux qui ont conduit la France à s’ériger en chef de file européen de la lutte contre l’affairisme sportif. C’est, en particulier, l’existence d’un « encodage » éducatif
des activités sportives qui permet, au terme d’un arbitraire d’État, d’expliquer la force du consensus national condamnant l’emprise des forces du
marché sur le sport. Par ailleurs, la critique de l’affairisme sportif semble
d’autant plus médiatisée qu’elle autorise à masquer nombre de pratiques
courantes, également condamnables mais laissées dans l’ombre.
Intégrant les résultats des travaux publiés depuis le début des
années 1990 sur le professionnalisme sportif, le bénévolat et sur les
relations typiquement françaises existant entre le sport et l’État, nous
nous proposons d’éclairer la genèse sociale et historique des résistances qui s’expriment, en France, pour condamner l’emprise croissante
de l’économie et des médias sur le sport. Il s’agit de se demander
pourquoi la France se présente aujourd’hui comme le chef de file
européen de la lutte contre la commercialisation du sport alors que
dans le reste de l’Europe la cotation en bourse des clubs professionnels, par exemple, ne semble pas poser de problèmes particuliers1.
Par ailleurs, et sans minimiser les conséquences perverses de
l’application au sport des règles du libéralisme économique, nous
interrogeons certaines fonctions sociales, particulièrement occultées,
que remplit la critique systématique et fortement médiatisée de
l’affairisme sportif. En polarisant l’attention sur les dérives les plus
saillantes du sport-business, cette critique semble former un écran
propre à dissimuler nombre de pratiques qui, abritées derrière l’alibi
du sport éducatif, n’en contreviennent pas moins, dans l’univers
amateur contrôlé par les fédérations, aux principes généraux de la
morale publique, voire aux règles imposées par le droit commun.
1. Ne pouvant, ici, développer ce point, nous nous contentons de prendre acte du poids prépondérant des initiatives et des arguments français dans la rédaction des résolutions et communiqués qui,
depuis 1990 environ, entourent l’élaboration progressive d’un « modèle sportif européen ».
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236
SPORT ET ORDRE PUBLIC
LA MÉFIANCE FRANÇAISE
À L’ÉGARD DE L’EMPRISE
DES FORCES ÉCONOMIQUES
SUR LE SPORT
Une menace pour l’autorité fédérale
Contrairement à ce que l’on tend à croire spontanément, en France,
la méfiance à l’égard du développement du commerce de la performance athlétique et de son spectacle n’est pas récente. Ainsi, en
1932, au lendemain de la création du championnat professionnel de
football, Jules Rimet n’hésitait-il pas à annoncer sur le ton de la
victoire : « Le professionnalisme a été créé par des amateurs et restera entre leurs mains. Ce sont les clubs qui encaisseront les bénéfices et ils resteront soumis à toutes les obligations des associations. Le
but de la Fédération française de football association (FFFA) est resté
pur : nous avons empêché la commercialisation du football »1. Pardelà leur contribution au travail d’anamnèse indispensable à toute
analyse sociologique du sport national contemporain, les propos de
Jules Rimet ont une autre vertu2. Ils permettent de rappeler qu’indépendamment de la perversion de la morale et des valeurs sportives à
laquelle il semble conduire au premier abord, l’investissement accru
des forces économiques privées dans l’univers du sport constitue
aussi une menace sur l’autorité statutaire des dirigeants de clubs et de
fédérations amateurs.
A fortiori quand ces derniers se trouvent légalement investis
d’une mission de service public, comme c’est le cas en France. Au
point que le rejet de toute idée de commercialisation du sport affiché
par les hiérarques amateurs du moment, comme par ceux du passé,
peut toujours s’expliquer (du moins pour une part) par leur volonté
de conserver une position de monopole (garantie par les lois françaises) dans le contrôle du sport et de son organisation. C’est d’ailleurs
là ce qui permet de justifier la propension des instances fédérales à
stigmatiser comme « dérive maffieuse », c’est-à-dire comme atteinte
1. Propos cités par Guillain Jean-Yves, La Coupe du monde de football. L’œuvre de Jules Rimet,
Paris, Amphora, 1998, p. 67. Jules Rimet était, à cette date, président de la Fédération internationale
et de la Fédération française de football. Il fut le principal initiateur, à partir des années 1920, de la
Coupe du monde de football, inaugurée en 1930.
2. L’ouvrage de Gérard Bruand sur l’athlétisme (Anthropologie du geste sportif. La construction
sociale de la course à pied, Paris, PUF, 1992) montre également que les premières courses apparues
en France sont initialement des courses « commerciales » pour lesquelles les athlètes sont rémunérés ; ceci jusqu’à ce qu’une fédération dirigeante contrôlée par des aristocrates et des membres de
la bourgeoisie anglophile finisse par imposer, vers 1906, une conception strictement amateur de
l’athlétisme.
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DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
237
caractérisée à l’ordre public, toute nouvelle tentative d’annexion du
sport par les forces économiques ; ceci pour mieux en appeler à
l’intervention et aux subventions de l’État pour contrer « la pression
des initiatives privées sur le système fédéral »1, mais aussi pour maintenir en l’état l’ordre sportif et les sommets des hiérarchies qui en
sont les gardiens.
Aspects d’une résistance consensuelle
Toutefois, cette explication partielle ne saurait suffire à expliquer
l’intensité avec laquelle le mouvement sportif français tend à refuser
et à condamner l’intrusion des forces du marché dans l’univers du
sport. En effet, dans les années 1990, et alors que ce type de réactions apparaît inconcevable dans les pays anglo-saxons2, on ne
compte plus les articles et les discours autorisés dénonçant avec une
vigueur toute particulière, et au nom de l’exception sportive, les
méfaits de l’argent dans le sport. Tel ce numéro de l’Équipe-Magazine qui, après avoir déploré l’expatriation des meilleurs sportifs français (ces « mercenaires » attirés par l’appât du gain), en allait jusqu’à
exiger une « riposte » immédiate sous forme de « dispositions
légales » propres à entraver la libre circulation des sportifs professionnels pourtant imposée, à l’échelon européen, par l’arrêt Bosman3. Au-delà des rubriques de la presse sportive nationale et du cercle restreint des dirigeants fédéraux, la condamnation de l’affairisme
sportif s’exprime aussi dans les prises de positions publiques de membres du personnel politique pour affirmer notamment, à la manière de
Jacques Delors, « qu’il n’y a pas que le fric qui compte » et que le
sport doit « rester avant tout éducatif et populaire »4. Plus largement,
à l’échelon national, c’est à un véritable consensus auquel on assiste
autour de l’idée selon laquelle sport et argent ne sauraient en aucune
1. Callède Jean-Paul in collectif, Les cahiers de l’université sportive d’été, n° 6, Bordeaux, Maison
des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1991, p. 160.
2. Hugh Dauncey et Geoffrey Hare (« La commercialisation du football », Sociétés et représentations, décembre 1998, p. 278) signalent, en effet, que, bien que traités « comme de la chair à guichet, [les supporters des clubs cotés en bourse] se soucient assez peu de se savoir ainsi
exploités ».
3. L’Équipe-Magazine, n° 79, mars 1997. Dans la même veine, on peut signaler le « Rapport
Sastre » sur le football qui, constatant une « emprise croissante de la composante économique »
et postulant une « dénaturation des finalités du sport par l’argent excessif », posait au secrétaire
d’État de la Jeunesse et des Sports les questions suivantes : « Comment empêcher que les impératifs financiers ne l’emportent sur le respect de l’éthique sportive ? Comment éviter que le footballeur professionnel ne se transforme en mercenaire et que ses préoccupations commerciales ne
gâtent son esprit d’homme et d’athlète ? ». Voir : Sastre Fernand, Rapport sur la situation du football de haut niveau, Paris, secrétariat d’État de la Jeunesse et des Sports, 1989, p. 106.
4. Propos recueillis au cours de l’émission télévisée France-Europe-Express, mars 1998, France 3.
C’est d’ailleurs au nom de cette conviction que Jacques Delors avoue, lors de cette émission, avoir
à plusieurs reprises refusé d’appuyer, alors qu’il présidait l’exécutif européen, toute formule de
championnat européen de football regroupant les clubs les plus prestigieux.
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238
SPORT ET ORDRE PUBLIC
manière faire bon ménage. Un sondage, publié en décembre 1997,
indique ainsi qu’en France, on prête plutôt à la politique sportive
nationale un rôle de « limitation de l’influence de l’argent dans le
sport » (65 % des répondants) qu’un rôle « d’amélioration des performances sportives de la France » (38 %). Ce qui justifie sans doute
que, portées par la même logique, 61 % des personnes interrogées se
montrent « peu favorables » ou « pas favorables du tout » à la cotation en bourse des clubs professionnels pour seulement 26 % de
« tout à fait » ou « assez favorables »1.
La prohibition instituée du profit
économique en matière sportive
Très présente dans les convictions des pratiquants et des passionnés
de sport, la crainte d’une dénaturation de ce dernier et de ses finalités
par les forces économiques s’exprime également dans le droit français qui encadre l’organisation des activités physiques et sportives. À
la lumière des prises de position de Frédérique Bredin (alors ministre
de la Jeunesse et des Sports), cette crainte doit être vue comme l’un
des principaux fondements des dispositions légales aujourd’hui en
vigueur en matière de sport. Ainsi, en 1992, les modifications qui
furent apportées par ses soins à la loi du 16 juillet 1984 n’avaient pas
d’autre but que de « favoriser, dans l’intérêt du sport et des sportifs, le
développement des pratiques […] loin des surenchères ruineuses et
des dérives gestionnaires »2.
De fait (et ce depuis le début des années 1960), la France n’a
cessé de se doter de dispositifs légaux et conventionnels propres à
entraver (à défaut de pouvoir formellement interdire) toute avancée
des initiatives économiques marchandes et privées dans l’offre de
spectacles ou de pratiques sportives. Ainsi, depuis la promulgation
de la loi du 6 août 1963 « réglementant la profession d’éducateur
physique ou sportif », la règle générale est-elle l’interdiction d’exercer contre rémunération l’encadrement des activités physiques
(l’exception consistant à l’autoriser contre détention d’un diplôme
délivré par l’État ou à défaut, depuis 1992, d’une carte professionnelle accordée par les services déconcentrés de la Jeunesse et des
Sports). Dans la même veine, l’exploitation d’un établissement privé
1. Sondage CSA des 29 et 30 décembre 1997 sur commande du ministère de la Jeunesse et des
Sports dont les principaux résultats ont été publiés dans le quotidien Libération du 12 janvier
1998.
2. Frédérique Bredin (au nom de Pierre Bérégovoy, Premier ministre), Projet de loi modifiant la loi
n° 84-610 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, Paris,
Assemblée nationale, document n° 2614, 17 avril 1992, p. 3.
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DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
239
proposant des activités physiques ou sportives, l’exercice de la profession « d’intermédiaire » (l’équivalent sportif de l’impresario), ou
encore l’organisation de compétitions et d’événements sportifs en
dehors du cadre fédéral agréé doivent impérativement faire l’objet
d’autorisations administratives spécifiques. En outre, l’État est seul
habilité à fixer, par arrêté en Conseil d’État, le montant des primes
susceptibles d’être versées à un sportif amateur au terme d’une
compétition sportive. Pour clore cet inventaire non-exhaustif, on
retiendra encore que l’invention de la Société anonyme à objet
sportif (SAOS), qui a introduit dans le droit commun une sorte
d’exception sportive relativement au droit des sociétés, fournit une
attestation supplémentaire du refus de voir traiter le sport de haut
niveau et son spectacle comme des marchandises ordinaires. Les
actions des SAOS ont en effet pour particularité majeure d’être normatives, de faire l’objet d’une autorisation d’achat et d’émission par
les préfets et surtout de ne pas donner lieu au versement de dividendes à ceux qui les détiennent. Autrement dit, le point de vue de
l’État objectivé dans la loi se révèle particulièrement clair : sauf
exceptions dûment contrôlées, le sport ne saurait être une source
d’enrichissement.
Dans ces conditions, tout porte à confirmer que le sport se
trouve en France défini (dans les structures juridiques) et pensé (dans
l’esprit de la plupart des Français) comme une activité sociale devant
être soustraite au marché1, ou, à tout le moins, comme un ensemble
de pratiques et d’institutions exigeant des protections particulières
contre les forces économiques sur lesquelles les dirigeants sportifs
n’ont pas prise. Reste alors à savoir ce qui justifie, à la fois, la force
du consensus national autour de l’idée selon laquelle « l’argent pourrit le sport » et l’attitude de la puissance publique qui, depuis le
début des années 1960, n’a jamais abdiqué sa propension à encadrer
moralement, économiquement et juridiquement un sport envisagé
avant tout comme « un facteur important d’équilibre, de santé,
d’épanouissement de chacun, [comme] un élément fondamental de
l’éducation »2.
1. C’est en ce sens qu’il a été historiquement construit comme un service public d’intérêt général.
2. Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984, chapitre premier, article premier.
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240
SPORT ET ORDRE PUBLIC
L’INSTITUTION DU SPORT NATIONAL
COMME DISCIPLINE ÉDUCATIVE
Le sport : une apparence universelle
Si l’influence croissante de l’argent dans le sport est, en France, à ce
point problématique, c’est en premier lieu parce qu’est fortement ressentie la nécessité de « défendre, pour reprendre les mots d’un dirigeant, l’essence même du sport » à un moment où l’on estime « que
ce qui est bon pour le show-business du sport est antinomique des
pratiques permettant une meilleure insertion des jeunes dans la
société des adultes »1. Toutefois, pour comprendre les ressorts d’une
résistance qui apparaît comme une singularité nationale, il convient
de rompre avec la vision postulant l’existence universelle d’une éthique ou de valeurs éducatives censées constituer l’assise principale de
l’unité et de la cohérence interne du monde sportif. Une telle vision
des choses s’apparente davantage à une conception proprement française du sport et de ses finalités qu’à une définition de la nature ou
de l’identité même du sport.
Certes, le sport a pour lui toute l’apparence de l’universel :
quel que soit le point géographique où l’on se situe, il se présente
invariablement comme une activité de groupe organisée, qui engage
plus ou moins le corps et qui repose sur une compétition réglée et
réglementée entre au moins deux parties. L’enjeu de cette compétition, lui-même invariable, est alors la désignation d’un vainqueur,
sachant que la victoire sportive ne s’obtient que dans le respect des
règles qui visent explicitement à limiter le recours à la violence physique contre l’adversaire, à empêcher toute tricherie, en un mot, à
codifier ce que l’on nomme couramment le fair-play.
Structuré par une même loi fondamentale, dirigé, le plus souvent, par des fédérations internationales, le sport n’en reste pas moins
organisé et pensé dans le cadre des États-Nations. Et selon la Nation
considérée, le sens même accordé au sport et à ses finalités peut considérablement varier. En atteste, pour prendre un seul exemple, la
manière très différente dont les États-Unis, en 1994, et la France, en
1998, ont respectivement organisé la Coupe du monde de football.
Dans le premier cas, le football était considéré comme un spectacle
médiatique et économiquement rentable pour toute firme privée
engagée dans l’événement, alors que dans le second, le caractère
généreux, éducatif et socialisateur de ce sport était mis en avant. En
1. Martin Jean-Michel, Lucarne, Lille Université Club, n° 97, février 1996, p. 2-3.
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DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
241
résumé, aux intérêts économiques privés, la France semblait opposer
l’intérêt général que le sport revêt prioritairement aux yeux des dirigeants1. Dans cet esprit, le recours au financement public et le bénévolat des 12 000 volontaires recrutés pour l’occasion sont régulièrement réaffirmés, avant, pendant et après la Coupe du monde de
football pour démontrer que, dans le sport français, « le volontariat
est un pilier, une tradition, un fil rouge »2.
Autrement dit, plutôt que postuler (et revendiquer) l’universalité
du sport, il convient de reconnaître que les différentes entités nationales entretiennent des conceptions particulières, plus ou moins unifiées
selon la force et le poids des institutions qui, à l’échelle de chaque territoire, ont en charge d’organiser le sport. Envisager alors l’existence
d’une conception universellement partagée du sport et de ses valeurs
revient, de fait, à reprendre à son compte les discours que le sport tend
à tenir sur lui-même et par lesquels il s’auto-légitime aux yeux des
populations. Dans un cas spécifiquement français, une telle option
entretient et garantit la définition de « l’orthodoxie sportive » à dominante éducative progressivement imposée par l’État à mesure que le
sport s’instituait comme un service public délégué aux fédérations3.
Une discipline concurrente
de l’éducation physique nationale
En effet, la définition dominante du sport comme discipline d’éducation physique et morale de la jeunesse et comme facteur d’insertion
sociale est, pour une bonne part, le produit historique d’une volonté
dictée par l’État et consistant à introduire dans l’univers fédéral – et à
inculquer dans les esprits – des conceptions éducatives héritées des
traditions républicaines (en vertu desquelles tout commerce doit être
proscrit des activités dirigées vers la jeunesse). Si la crainte d’une
dénaturation du sport sous l’influence des forces économiques est en
France ressentie plus vivement qu’ailleurs, c’est avant tout parce que
cette crainte s’exprime dans un pays où les structures sportives et les
structures mentales ont été historiquement façonnées de telle sorte
que la conviction selon laquelle le sport constitue en premier lieu
une discipline éducative y atteint le rang de véritable croyance.
1. Sur cette comparaison, voir Loirand Gildas, « L’argent du foot », Sociétés et représentations,
décembre 1998, p. 341-351.
2. Sastre Fernand, Le Monde, 7 novembre 1997.
3. Sur les étapes proprement juridiques de la construction de sport français comme service public,
voir supra, les contributions de Colin Miège et Gérald Simon.
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242
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Indépendamment de l’action codificatrice et unificatrice de
l’État, le premier fondement de cette croyance tient, pour partie, à la
force de l’héritage culturel issu des conditions par lesquelles la pratique du sport s’est développée sur le territoire national1. Au début du
siècle, une fois sorti du cercle restreint de l’aristocratie oisive et de la
bourgeoisie progressiste, le sport s’est vu explicitement pensé par
nombre de ses promoteurs comme une alternative privée à l’éducation physique « publique » à dominante gymnaste et directement
contrôlée par l’État dans le cadre du système scolaire ou de la conscription. D’ailleurs, en affirmant que « le sport est la discipline des
forts ou de ceux qui veulent le devenir », Pierre de Coubertin, ne manquait pas de laisser entendre, en filigrane, qu’il concevait probablement comme « discipline des faibles » la gymnastique collective alors
proposée par l’État comme mode dominant d’éducation physique du
citoyen. Quoi qu’il en soit, même si le camp des laïcs s’y est associé
dès ses débuts pour cause de concurrence dans l’éducation de la jeunesse, l’extension de la pratique des sports (notamment les plus populaires) doit essentiellement aux patronages catholiques et patronaux.
Dans une France aux 36 000 communes, ces derniers détenaient plus
que d’autres les ressources nécessaires à la construction des lieux de
pratique et de spectacle sportif. Les objectifs étaient alors l’éducation
et le bonheur du peuple par une mise à sa disposition de « joies
saines » et par le renforcement des identifications communautaires
locales. De petites sociétés sportives, envisagées sur le mode de la
famille, étaient fréquemment soumises au pouvoir personnel de présidents de club qui trouvaient là matière à rétributions symboliques.
Comme en témoignent encore aujourd’hui le type de recrutement social et les propos récurrents des cadres bénévoles locaux qui
constituent l’électorat des dirigeants également bénévoles des directions fédérales, cet aspect des choses est encore très présent dans l’univers du sport national. De même, la conviction qu’ont, pour leur part,
les animateurs associatifs du mouvement sportif (souvent issus de catégories moyennes et populaires en ascension) de participer à une œuvre
éducative et au maintien d’un patrimoine local davantage qu’à un travail de production de victoires sportives reste une caractéristique
majeure du sport français. Associée à une représentation spontanée du
club sportif considéré comme une famille disposée à exclure tout
esprit de calcul au profit de relations d’entraide désintéressée2, et fon-
1. À ce sujet, voir supra l’article de Jacques Defrance et, plus généralement, Hubscher Ronald (dir.),
L’histoire en mouvement : le sport dans la société française (XIXe et XXe siècles), Paris, Armand
Colin, 1992.
2. On peut remarquer que les dirigeants du football affectionnent particulièrement l’évocation de
la « grande famille du football ». De même, la fédération de judo n’hésitait pas à affirmer sur une
affichette publicitaire : « Le club de judo est le prolongement de la famille ».
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DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
243
dée sur des expériences sensibles éprouvées dans la pratique amateur, la vision indigène du sport éducatif et populaire contribue très
largement à refuser la mise en équivalence directe d’une valeur athlétique individuelle avec un prix mesurable en francs.
« Encodage » éducatif
Le second fondement de la croyance qui voit dans le sport une discipline éducative au sens fort (même empreinte de plaisir ; du plaisir
de participer plus que de vaincre, d’ailleurs) tient aux raisons et à la
manière dont l’autorité de l’État, à partir des débuts de la Ve République, s’est peu à peu insinuée dans le fonctionnement des organisations sportives, au point de transformer la doxa éducative héritée des
diverses espèces de patronages en une orthodoxie juridiquement
encadrée tendant à dénier au sport toute autonomie fondée sur la
quête prioritaire, voire exclusive, de victoires sportives. Tenus devant
de nombreux présidents de fédérations, les propos de Maurice
Herzog, qui fut en 1963 le premier secrétaire d’État à la Jeunesse et
aux Sports (rattaché, alors au ministère de l’Éducation nationale),
sont à ce titre révélateurs : « Le sport total conduit à une impasse.
Nous appartenons à un pays qui entend conserver aux valeurs une
hiérarchie basée sur l’intérêt profond de l’homme. Nous considérons
le résultat sportif comme un but louable ; la réussite d’une vie
d’homme comme un idéal supérieur »1. Du reste, et conforme à la
tonalité de ce discours qui entendait la justifier et l’expliquer, l’action
du haut-commissariat, puis du premier secrétariat d’État à la Jeunesse
et aux Sports, a essentiellement consisté à imposer au sport national
qu’il abdique sa propre loi fondamentale (la compétition) pour y
substituer une conception proprement éducative de l’activité sportive. Le constat, déjà établi en 1945, est le suivant : « Le sport tel que
l’administrent les fédérations [ne saurait assurer] l’épanouissement
physique des adolescents [car] il est inspiré par l’esprit de
compétition »2. Ce même constat est à nouveau avancé, près de
20 ans plus tard, pour imposer le brevet d’État d’éducateur sportif aux
instances fédérales : « [l’action des fédérations] risque d’être incomplète et de s’orienter davantage vers l’amélioration des qualités techniques des jeunes gens et leur spécialisation sportive plutôt que vers
la surveillance, la préservation de leur santé, ce qui constitue un
1. Herzog Maurice, allocution prononcée au colloque international de Vichy, le 27 avril 1964.
Dans sa préface à l’Essai de doctrine du sport, Maurice Herzog ajoute en 1965 : « [Le sport] est surtout un exceptionnel moyen d’éducation, un précieux facteur d’épanouissement de la personnalité
et un moyen de promotion humaine ».
2. Ministère de l’Éducation nationale, circulaire n° 45-9 /EPS, 30 mai 1945.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
grave danger. C’est pourquoi [on] vous demandera d’adopter ce projet de loi »1. L’affirmation des risques que la compétition et l’exploitation commerciale font peser sur la santé physique et morale de la
jeunesse contribuèrent ainsi à inscrire dans les lois de l’État l’indifférenciation de la fonction compétitive et de la fonction éducative du
sport, réalisant par là même ce que l’on peut appeler une annexion
du sport à l’éducation physique.
Cette dernière tient, pour une part, au fait qu’à partir des débuts
de la IIIe République, l’État a progressivement déterminé le corps physique et biologique des citoyens comme une sorte de propriété publique. Confisquant peu à peu à l’église catholique son monopole dans
la gestion curative et normative des corps, il s’institue lui-même
comme le gardien et le garant légitime de la santé corporelle de tout
individu : la mise en œuvre d’une politique d’hygiène publique,
l’imposition d’un droit du travail (qui visait, à l’origine, à protéger les
corps des risques industriels) ou encore l’imposition, dès la fin du
XIXe siècle, d’une éducation physique à caractère national fondée sur
la gymnastique servent cet objectif. C’est assurément là ce qui permet
de comprendre pourquoi la France fut l’un des premiers pays au
monde, en 1965, à se doter d’une loi anti-dopage, ou à soumettre
tout entraîneur professionnel ou rémunéré à l’obligation légale de
détenir un diplôme délivré sous le contrôle de l’État (soit, en l’occurrence, par les agents de l’éducation physique scolaire dépositaires,
en tant que fonctionnaires, du « monopole de la manipulation légitime des corps »).
La seconde explication de l’annexion du sport à l’éducation
physique qui s’opère à partir des années 1960 ne saurait être dissociée du monopole que l’État s’est progressivement accordé en matière
de définition légitime du « bon gouvernement des corps ». Et l’on
peut d’emblée poser que l’engouement suscité par le sport dans les
rangs de la jeunesse des années 1950 a abouti à renforcer la concurrence très vive déjà évoquée entre éducation physique « publique »
(scolaire ou extra-scolaire) à dominante gymnaste et éducation corporelle associative « privée » à dominante sportive. Au point, qu’incapable d’entraver les séductions exercées par le sport et peu désireux
d’abdiquer son monopole de la responsabilité des corps, l’État s’est
vu contraint d’imposer aux disciplines athlétiques les mêmes finalités
éducatives et socialisatrices que celles qu’il avait antérieurement conférées à la gymnastique. Symbolisant la fusion de la solidarité
citoyenne dans l’unité nationale et se caractérisant par le refus de
célébrer l’exploit et la valeur individuelle, cette dernière apparaît
1. Journal officiel, débats du Sénat, séance du 19 juillet 1963.
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DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
245
comme la seule technique légitime d’éducation physique. Si bien que
c’est en 1967 seulement (soit 84 ans après la création de la première
union sportive française) que le sport finit par intégrer les programmes
officiels de l’éducation physique scolaire. On lui confère, du même
coup, des vertus éducatives pourtant antérieurement contestées au
nom de la nécessaire protection publique des corps.
LES PARADOXES
DE LA DÉNONCIATION
État et fédérations :
une récente convergence de vue
À la lumière de ce retour sur les fondements socio-historiques de la
constitution du sport comme service public, on espère avoir convaincu que les résistances françaises qui s’expriment face à l’intrusion accrue des forces du marché n’ont pas à leur principe la défense
d’une prétendue essence du sport mais bien plutôt la défense d’une
conception éducative nationalement unifiée du sport par l’action de
l’État. Aussi, renforcée par les traditions bénévoles locales héritées du
sport de patronage, la légalisation dans les années 1960 du statut
éducatif du sport doit être vue comme une forme de conformisme
qui, en France, tend à refuser de considérer le spectacle sportif
comme une marchandise banale et la pratique de haut niveau
comme un travail professionnel rémunérateur.
Cela dit, il reste sans doute à interroger la forte convergence de
vue qui s’observe dans les années 1990 entre l’opinion fédérale et la
pensée d’État à propos de la nécessité de défendre le caractère éducatif du sport contre les appétits des marchés financiers. D’autant
qu’au moment où s’opérait l’annexion du sport à l’éducation physique, les directions fédérales n’avaient pas manqué de s’opposer à
tout contrôle public. De ce point de vue, les propos tenus en 1963
par le député Hervé Laudrin (qui défendait au parlement les intérêts
des fédérations fortement opposées à l’imposition de la profession
d’éducateur sportif) sont particulièrement éloquents. Face à
Maurice Herzog venu défendre son projet de loi, il s’emportait ainsi :
« On voit poindre votre doctrine dont je crois devoir dénoncer les
dangers. Cette doctrine, vous l’énonciez [récemment] en déclarant
que le sport était un service public et que l’État devait le prendre en
charge. Je suis obligé de dire que c’est une conception quelque peu
périlleuse pour l’avenir de notre jeunesse. Elle menace le pluralisme
de nos mouvements et le caractère d’entière liberté que nous tenons à
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246
SPORT ET ORDRE PUBLIC
garder aux jeux du stade. […] N’intervenez pas avec les instituteurs, ni
avec les maîtres de l’éducation physique pour donner des conseils à
des entraîneurs qui sont la gloire de notre pays. [Car] nous entrons ici
dans le cadre du jeu et de la performance pour les meilleurs. Chaque
discipline est une véritable spécialisation. […] Ce sont des spécialités
qui n’ont rien de commun avec le professorat d’éducation physique.
Nos grands entraîneurs – on leur donne d’ailleurs ce nom – ne sont pas
des éducateurs de la santé et de l’harmonie »1.
À consulter le rapport présenté en 1986 par Nelson Paillou,
alors président du Comité national olympique français (CNOSF), on
mesure aisément l’ampleur des changements qui ont affecté les positions du mouvement sportif en moins d’une trentaine d’années. Soucieux de « préserver l’entreprise éducative qui anime le sport
français », Nelson Paillou ne manque pas de demander aux pouvoirs
publics : « Comment pourrait-on concevoir que l’État n’ait pas
d’impérieux devoirs dans un secteur qui concerne essentiellement la
jeunesse ? »2.
Une hypocrisie structurale
La mise en perspective de ces deux discours, séparés par vingt-trois
années, permet d’entrevoir le sens des stratégies fédérales actuelles.
En condamnant les forces du marché et leurs ambitions de contrôle
du sport, en invoquant l’essence éducative de celui-ci, en s’appuyant
sur la légitimité conférée par la délégation de service public, il s’agit,
pour les instances dirigeantes du sport, d’obtenir de l’État qu’il dresse
des barrières légales contre l’emprise de l’économie. Étant entendu
qu’il contribue du même coup à maintenir en situation une autorité
et des hiérarchies fédérales qui ne perdurent que grâce à la protection que leur accorde la puissance publique à travers le monopole de
l’organisation du sport et de la gestion des divers fonds publics qui,
en France, assurent l’essentiel du financement des activités sportives.
Si de telles stratégies ne sont sans doute pas illégitimes, il reste que
les enquêtes que l’on peut conduire sur le mouvement sportif actuel
montrent clairement que ce n’est pas toujours là où l’argent du marché est le plus fortement engagé que s’observent les décalages les
plus flagrants entre l’idéal sportif proclamé et la réalité des pratiques.
En effet (et en écartant volontairement la question du dopage),
est-on toujours dans le domaine du sport éducatif lorsque dans cette
1. Journal officiel, débats de l’Assemblée nationale, 3e séance du 19 janvier 1963.
2. Conseil économique et social, Sport et économie. (Rapport présenté au nom du CES par Nelson
Paillou), Paris, Journal officiel, 1986, p. 5.
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DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
247
amicale laïque organisant le basket on s’attache à offrir la licence à
tout enfant de 10-12 ans qu’on a repéré parce qu’il dépasse d’une
tête la taille des enfants de son âge ? Le président de ce club de tennis
croit-il en l’intégration sociale par le sport lorsqu’il donne pour consigne aux jeunes licenciés qu’il charge de la publicité de son club de
ne pas distribuer de prospectus dans tel quartier voisin réputé pour sa
population majoritairement d’origine étrangère ? Ce club de natation
s’inscrit-il dans la mission de service public dont il se réclame par
ailleurs lorsqu’il refuse l’adhésion d’une femme de 42 ans en prétendant qu’elle est trop âgée pour la natation et que la piscine propose
des créneaux horaires « grand public » pour l’usage ludique que
cette pratiquante occasionnelle entend faire de la natation ? La fédération française de gymnastique a-t-elle été respectueuse de la santé
et du bien-être corporel dans le cas de « l’affaire Élodie Lussac »1 ?
Ce club amateur de football s’inscrit-il dans la logique du désintéressement économique quand on observe qu’il est condamné par la justice à verser des impayés de cotisations sociales concernant vingtquatre joueurs rémunérés clandestinement à hauteur de 8 000 francs
mensuels ? Ces dirigeants de différents clubs de l’Ouest de la France
ont-ils été respectueux de la loi commune en rémunérant de manière
occulte, pendant quatre ans, ce jeune footballeur ivoirien dépourvu
de tout titre de séjour et de tout permis de travail, et finalement condamné à l’expulsion immédiate par la justice administrative après un
banal contrôle d’identité ?
On peut arrêter là cette évocation peu glorieuse pour le mouvement sportif tant un tel inventaire atteste que la morale sportive
n’est pas inscrite dans la nature humaine2. Or, si les contrôles publics
voués à limiter les dérives économiques et les appétits des marchés
financiers sont aujourd’hui relativement efficaces à l’échelle du pays,
ceux qui permettraient, comme dit Pierre Bourdieu, « d’élever le coût
de l’effort de dissimulation nécessaire pour masquer l’écart entre
l’officiel et l’officieux, l’avant-scène et les coulisses » semblent largement faire défaut3.
1. Du nom de cette jeune sportive de haut niveau dont les parents ont assigné en justice la Fédération française de gymnastique en raison des graves blessures qu’elle avait contractées lors
d’entraînements et aggravées par le refus des entraîneurs de déclarer forfait lors d’une épreuve
européenne.
2. L’ensemble de ces pratiques, relevées parmi d’autres, ont été mentionnées récemment dans la
presse nationale ou locale.
3. Bourdieu Pierre, « Un acte désintéressé est-il possible ? », Raisons pratiques, Paris, Le Seuil,
1994, p 149-167.
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248
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Les effets de l’autonomisation
de la performance comme valeur en soi
Quoi qu’il en soit, le sociologue ne peut que constater que le sport, y
compris amateur, porté par sa propre dynamique de transformation
n’a cessé, depuis les années 1960, de s’autonomiser relativement à
ses fonctions éducatives. Au point qu’en se polarisant sur la victoire
athlétique envisagée par et pour elle-même, le sport tend de plus en
plus (certes, de manière variable selon les disciplines et les fédérations) à passer du statut d’activité multifonctionnelle au statut d’activité unifonctionnelle. Et si l’offre privée de pratiques physiques et
sportives de loisirs s’est à ce point développée ces dernières années,
ce n’est pas tant en raison de l’offensive commerciale que l’on
dénonce spontanément, qu’en raison du fait qu’en s’orientant prioritairement vers la compétition, nombre de clubs fédérés en sont venus
à renoncer de facto à certaines fonctions sociales qu’ils assumaient
par le passé. Ainsi les fonctions d’intégration, de sociabilité, d’éducation physique et morale se sont bien souvent effacées au profit de
l’hyper-sélection des sportifs, de la relégation des moins bons, des
primes et des rémunérations occultes…
*
* *
Dans ces conditions, on ne saurait imputer l’ensemble des dérives du sport au seul engagement accru des forces économiques. Tout
au plus amplifient-elles, en donnant un prix et une valeur marchande
à la performance, un mouvement entamé bien avant l’ère du sport
médiatique et qui voit ce dernier se délester de ses anciennes fonctions sociales. Du reste, et en dernière analyse, on ne peut que prendre acte du fait que l’accroissement de l’emprise de l’économie sur le
sport s’est accompagné, comme le confirme l’arrêt Bosman, d’un
triomphe du droit sur les usages et les coutumes de l’univers sportif. À
ce titre, on peut déjà constater que l’argent des investisseurs privés, si
décrié en France, en s’imposant dans le sport de haut niveau prétendument amateur contribue peu à peu à généraliser le contrat de travail au détriment du contrat moral, du contrat « d’homme à homme »
et des fidélités et dépendances d’essence paternaliste qui lient les
sportifs aux dirigeants. À terme, cet argent pourrait aussi favoriser
l’accès du sport de haut niveau au statut d’activité économique et professionnelle ordinaire, tant dans le droit que dans les esprits, et avoir
pour effet remarquable d’ouvrir la possibilité pour les inspecteurs du
travail d’exercer un contrôle dans les clubs. Ils trouveraient ainsi
l’occasion de s’enquérir de la santé physique et morale d’une partie
de la jeunesse et de lutter contre les formes illégales de travail et les
trafics de main-d’œuvre affectant le domaine sportif.
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DE L’AVANTAGE DE DÉNONCER L’AFFAIRISME
Références bibliographiques
249
Actes de la recherche en sciences sociales, « L’espace des sports »,
n° 79, septembre 1989 et n° 80, novembre 1989 ; « Les enjeux
du football », n° 103, juin 1994.
FAURE Jean-Michel, SUAUD Charles, Le football professionnel à la française, Paris, PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 1999,
262 p.
LOIRAND Gildas, Une difficile affaire publique. Sociologie du contrôle
de l’État sur les activités physiques et sportives et sur leur encadrement professionnel, thèse de sociologie, université de Nantes, 1996.
LOIRAND Gildas, « L’argent du foot », Sociétés et représentations, n° 7,
décembre 1998, p 341-351.
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SPORT, ENJEUX ÉCONOMIQUES
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SPORT, ENJEUX
ÉCONOMIQUES
ET CORRUPTION :
CRÉPUSCULE
OU RENAISSANCE
DE L’UTOPIE SPORTIVE ?
■
Pascal CHANTELAT
Résumé : les années 1990 marquent un tournant dans la révélation des
dérives du sport. Pour la première fois, les affaires financières qui concernent à la fois la base (clubs, joueurs) et le sommet (dirigeants internationaux) de l’édifice sportif semblent révéler que la corruption constitue
un véritable système organisé. Et le mouvement sportif semble subir la
plus grave crise de son histoire. Or, paradoxalement, nous soutenons
que cette nouvelle donne ne fait que réanimer l’idéal sportif. Cela tient
à trois phénomènes interdépendants. D’abord l’exigence de transparence partagée par l’ensemble des acteurs du sport fait croire à la réalisation imminente de l’utopie sportive. Ensuite, la stratégie des dirigeants
du mouvement sportif en dénonçant et en expulsant les éléments
« malsains », démontre qu’un retour à la « pureté originelle » de l’univers sportif est possible. Enfin, la stigmatisation des effets néfastes de la
logique marchande permet de renforcer la croyance dans l’autonomie
de la sphère sportive vis-à-vis de la société.
Jamais l’idéal olympique et les institutions sportives n’auront
autant été ébranlés que dans les années 1990. Jamais les affaires de
dopage, de violence, de corruption, les scandales financiers n’auront
autant été à l’ordre du jour. Et toutes les disciplines majeures (football, athlétisme, cyclisme…) semblent touchées, partout dans le
monde. Mieux encore, et même si les phénomènes de corruption
(ou autres dérives) ne sont sans doute pas récents, pour la première
fois, des preuves sont apportées de façon incontestable, des sanctions sévères sont prises à la fois par le pouvoir sportif et par le pouvoir juridique. Les rumeurs et les soupçons de dopage ou de corruption se transforment en autant d’évidences, la vérité des pratiques
illégales (du point de vue sportif et juridique) éclate au grand jour.
Deux « affaires », au cours des années 1990, éclairent par leur
exemplarité les phénomènes de corruption dans le sport : le match
de football arrangé entre l’Olympique de Marseille (le corrupteur) et
le club de Valenciennes (le corrompu) et la corruption de certains
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
membres du Comité international olympique (CIO) lors de l’attribution des Jeux olympiques à la ville de Salt Lake City.
Ces cas exemplaires montrent que l’univers sportif doit faire
face à deux types de corruption. Le premier concerne les sportifs et
les arbitres et relève de la tricherie sportive, c’est-à-dire de l’arrangement des rencontres, du trucage des matchs. Le second renvoie aux
organisations sportives détentrices d’un quasi-monopole sur l’organisation des rencontres sportives nationales et internationales (championnats du monde, jeux olympiques…) et concerne l’enrichissement personnel via les « dessous de table » nécessaires à l’obtention
de certains contrats (droits de retransmission télévisée, sponsorisation…) ou l’achat de voix lors de l’élection des villes candidates à
l’organisation des grands événements sportifs.
Les principes de l’incertitude des résultats et de l’égalité des
chances et, au-delà, l’idéal humaniste du sport et le devoir d’honnêteté se trouvent plus que jamais menacés. Le mouvement sportif semble subir sa plus grave crise aujourd’hui. L’ordre sportif voit en effet
son autonomie de plus en plus discutée. D’un côté, l’ordre juridique
tend à se substituer, notamment dans les affaires liées au dopage et à
la corruption, aux règles sportives qui, pour le coup, révèlent leurs
limites1. De l’autre, l’ordre économique (l’économie de marché et la
logique marchande), via la médiatisation et l’internationalisation
croissante des événements sportifs, tend à imposer sa propre loi à
l’organisation et à la gestion du sport en modifiant l’espace, le temps
et la réglementation des rencontres ainsi que la nature et le volume
des transactions financières2. La légitimité du pouvoir sportif est donc
gravement remise en cause.
De plus, l’opinion publique ne voudrait plus être dupe et exigerait
plus de transparence. Elle n’aurait plus confiance, elle ne croirait plus au
mythe du sport sans exiger la vérité sur les déviances, sur la « propreté des
athlètes » et sur la gestion des institutions sportives. Les spectateurs ou téléspectateurs menaceraient tout bonnement de bouder les compétitions sportives, de ne plus suivre les événements sportifs majeurs. Bref, ils annonceraient la mort prochaine du sport de compétition et de ses institutions.
Cependant, des solutions sont envisagées pour sauver l’idéal
sportif. Le monde sportif aurait besoin de plus de contrôles (médicaux et financiers) et de sanctions (sportives et juridiques) pour
« redresser la tête » nous dit-on. Telle est finalement la vision la plus
communément partagée et telle est la tendance qui se dessine sous
nos yeux. D’autre part, de nombreux dirigeants sportifs, athlètes,
1. Voir supra, la première partie.
2. Alaphilippe François, « Le pouvoir fédéral », Pouvoirs, 61, 1992, p. 71-84.
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SPORT, ENJEUX ÉCONOMIQUES
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journalistes, économistes et sociologues dénoncent en cœur les effets
pervers de la loi du marché qui a envahi le phénomène sportif. En
transformant le sport en spectacle marchand, l’économie de marché
ferait de l’argent la finalité ultime du sport alors qu’il n’était traditionnellement qu’un moyen au service d’un bien commun. La marchandisation du sport serait donc à l’origine des dérives du sport et il conviendrait de lutter contre les forces économiques externes afin de
redonner le contrôle du sport au mouvement sportif.
En fait, l’idéal sportif n’en est pas à sa première crise et il a su,
au cours de son histoire contemporaine, s’adapter aux transformations
socioéconomiques et sociopolitiques et perdurer. Ni ses compromis
ou compromissions avec les régimes dictatoriaux, ni le renoncement à
l’amateurisme et l’avènement du professionnalisme moderne, ni la
violence dans les stades… n’ont réussi à remettre en cause l’utopie
sportive. Pourquoi la révélation des affaires de dopage et de corruption
réussirait-elle là où d’autres dérives manifestes ont échoué ? le mythe
du sport n’est-il pas, comme l’écrit Georges Vigarello, inusable1.
C’est à trois questions simples auxquelles nous souhaitons apporter quelques éclaircissements :
– Quelles sont les conséquences des corruptions avérées et
révélées sur l’avenir des institutions sportives et sur l’idéal dont elles
se réclament ?
– En quoi les solutions envisagées pour faire face aux affaires
de corruption sont-elles en mesure de réanimer le mythe sportif ?
– Dans quelles mesures les enjeux économiques liés au sport
spectacle favorisent-ils l’apparition de la corruption ?
On soutiendra (première « thèse ») que la révélation des dérives ou des « perversions » constitue l’une des conditions d’existence
du mythe du sport. Autrement dit, l’idéal sportif a besoin de ces dérives pour exister. Accepter ou croire qu’il existe bien des dénaturations, c’est affirmer l’existence d’une « essence » du sport, la possibilité d’un monde pur et parfait. Le fait même de parler de corruption
indique que le sport est pensé comme un univers a priori incorruptible, honnête et sain. On soutiendra également (deuxième « thèse »)
que l’exigence de transparence, loin de remettre en cause l’idéal
sportif, ne fait que le réanimer en lui superposant une nouvelle
croyance : celle d’une « contre-société » parfaitement transparente
(sous le contrôle de l’opinion publique, des médias, de la médecine,
de l’État et de la justice). On soutiendra enfin (troisième « thèse »)
que la croyance selon laquelle les enjeux économiques liés au sportspectacle constituent la cause des déviances du sport renforce, in
1. Vigarello Georges, « L’inusable mythe du sport pur », Le Monde, 22 juillet 1999.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
fine, le mythe de l’autonomie de la sphère sportive vis-à-vis de la
société.
CRÉPUSCULE DE L’IDÉAL SPORTIF
OU PERTURBATION PASSAGÈRE ?
Les deux formes de corruption évoquées plus haut ne produisent pas les
mêmes effets sur l’image et l’idéal du sport. La première ébranle l’édifice sportif « par le bas » en bafouant les principes d’égalité des chances
et d’incertitude du résultat. La seconde fissure l’édifice « par le haut » en
remettant en cause l’utopie démocratique des institutions sportives.
L’affaire VA-OM : une corruption « d’en bas »
Les affaires de corruption de joueurs ou d’arbitres dans le sport, et en
particulier dans le football professionnel, ne datent pas d’aujourd’hui.
En effet, et en ne considérant que la période de l’après Deuxième
Guerre mondiale, on peut repérer, dans l’histoire récente du football,
plusieurs cas marquants de corruption. En 1955, le Red Star est
déclassé et interdit d’accession en première division par les instances
dirigeantes du football, suite à la corruption de joueurs. Entre 1974
et 1981, l’AS Saint-Étienne avait constitué une « caisse noire » visant
à acheter des arbitres. Les Girondins de Bordeaux font de même
entre 1986 et 1991. Les présidents de ces deux clubs ont été condamnés pour abus de bien sociaux1.
Pourtant, l’affaire Valenciennes-Olympique de Marseille (VAOM) semble marquer un tournant dans le traitement sportif et judiciaire
des affaires de corruption. En effet, ce qui change c’est la volonté de briser « la loi du silence » et de sanctionner rapidement et sévèrement les
corrompus, actifs ou passifs, dirigeants ou joueurs. Autrement dit, les
dossiers de corruption ne sont plus sinon étouffés du moins ralentis. Audelà de l’affaire elle-même, les enquêtes judiciaires semblent montrer,
comme dans le cas de Saint-Étienne (1974-1981) ou de Bordeaux
(1986-1991), que le système de fausses factures mis en place par l’OM
entre 1987 et 1993 servait à acheter des matchs de football et des arbitres2. Il ne s’agit plus de cas isolés ou individualisés mais d’un véritable
système mettant en relation un ensemble d’acteurs.
1. Nys Jean-François, « Compétition sportive et éthique : une difficile conciliation ? », Revue juridique et économique du Sport, 32, 1995, p. 5-37.
2. Gatteno Hervé, « L’enquête sur l’OM de Bernard Tapie dévoile des faits de corruption », Le
Monde, 3 janvier 1997.
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SPORT, ENJEUX ÉCONOMIQUES
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Alors que l’OM gagne sa première Coupe d’Europe en 1993
et acquiert une popularité sans précédent, c’est non seulement le
club phocéen qui perd de son aura, mais les soupçons de corruption se diffusent à l’ensemble du football français et européen. La
compétition sportive serait faussée et le public dupé. « Ils nous
prennent pour des cons, prenons-les pour ce qu’ils sont : des
menteurs, des tricheurs… »1, telle risque d’être la réponse du public
vis-à-vis des clubs et des athlètes. Alors que le match de football
représente et se présente comme le symbole majeur de l’aléa sportif
dans la juste concurrence2, il ne générerait pas plus d’incertitude
qu’un match de catch. Cette corruption « d’en bas » met donc à
mal l’idée d’égalité des chances et surtout le principe d’incertitude
du résultat sur lequel repose en grande partie l’attraction du spectacle sportif.
L’affaire des Jeux olympiques de Salt Lake City :
une corruption « d’en haut »
Les premiers soupçons de corruption du CIO lors de l’attribution des
Jeux à Salt Lake City apparaissent dans la presse en décembre 1998.
Un certain nombre de membres du Comité auraient vendu leur voix
lors du vote pour l’attribution des Jeux d’hiver de 2002. Trois mois
plus tard, la corruption est avérée. Six membres du CIO sont accusés
d’avoir reçu une somme d’environ 400 000 dollars de 1992 à 1997.
Cette somme a été versée sous forme de bourses « humanitaires » en
échange des voix des membres du CIO3. Mais ces faits de corruption
ne concernent pas uniquement les Jeux de Salt Lake City. L’attribution des Jeux d’été de Sydney (2000) ou des Jeux d’hiver de Nagano
(1998), où la ville aurait dépensé plus de 14 millions de dollars pour
corrompre soixante-deux membres (sur cent quatorze) du CIO4, a
également été marquée par l’achat de voix au sein de l’exécutif
olympique. En Suède, le procureur chargé d’examiner la candidature
de Stockolm (2004) a annoncé qu’il était « très possible que les comités de candidature soient utilisés comme canaux pour blanchir de
l’argent »5.
1. « Dopage : après le Tour, nos lecteurs s’indignent », Libération, 31 juillet-1er août 1999.
2. Bromberger Christian, « Le révélateur de toutes les passions », Le Monde Diplomatique-Manière
de voir, 39, mai-juin 1998, p. 32-36.
3. Miquel Paul, « Salt Lake City aurait ”acheté” les Jeux olympique d’hiver de 2002 », Le Monde,
13-14 décembre 1998.
4. Le Cœur Philippe, « Le CIO doit faire face à de nouvelles accusations de corruption », Le
Monde, 24-25 janvier 1999.
5. Cité par Potet Frédéric, « Les dignitaires olympiques font bloc derrière J.-A. Samaranch », Le
Monde, 19 mars 1999.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
On découvre alors que la corruption fait en quelque sorte partie des mœurs du CIO, qu’il ne s’agit pas d’un simple accident mais
d’une pratique courante. Le républicain Fred Upton, président de la
sous-commission chargée du dossier de la corruption lors de l’attribution des Jeux olympiques d’Atlanta et de Salt Lake City, n’hésite
pas à parler de la « culture de corruption » régnant au sein du CIO1.
L’enquête sur la corruption de Salt Lake City va-t-elle donner lieu
« au premier véritable procès de l’histoire olympique »2 ? En tout cas
cette corruption « d’en haut » (des institutions sportives elles-mêmes)
atteint directement les gardiens de l’ordre et de l’esprit sportifs. Elle
remet en cause leur capacité à promouvoir et à protéger l’idéal du
sport. Elle met à mal l’idée d’une démocratie au sein des organisations sportives alors que l’associationnisme sportif est pensé politiquement comme l’une des voies majeure de l’accès à la citoyenneté.
Les indices d’un effondrement du mythe sportif
L’édifice sportif serait donc « gangrené » à la fois au niveau de sa
base et de son sommet. Le véritable visage du sport et de ses institutions se dévoile et la menace d’une désaffection du public et des
sponsors semble peser lourdement sur l’avenir du sport-spectacle.
Comment le public sportif (pratiquant ou non) peut-il encore croire
en l’honnêteté des dirigeants sportifs de la base (les clubs) ou du sommet (le CIO) de l’édifice sportif ? Un sondage de l’Institut Louis Harris
(réalisé en novembre 1993) ne révélait-il pas que 94 % des Français
acceptaient l’idée que le football est corrompu par l’argent3 ? Comment les spectateurs et téléspectateurs peuvent-ils continuer à croire
que les rencontres sportives se fondent sur les principes de l’égalité
des chances et de l’incertitude du résultat ?
Les bénévoles de la base ou du sommet, censés défendre « corps
et âme » l’éthique du désintéressement, dévoilent leurs faiblesses pour
l’« appât du gain ». C’est l’hypocrisie du système qui transparaît et
finalement l’impossibilité de construire une société sportive qui renoncerait à l’intérêt matériel pour défendre des valeurs morales. C’est le
mythe du sport qui semble lui-même profondément et durablement
atteint. Les masques tombent et le voile d’illusion se lève pour laisser
apparaître une triste réalité longtemps masquée par le mensonge collectif du milieu sportif : le sport est « pourri » depuis longtemps.
1. Miquel Paul, « Le Congrès américain stigmatise la “culture de corruption” du CIO », Le Monde,
24 septembre 1999.
2. Potet Frédéric, « J.-A. Samaranch joue son avenir et celui de l’olympisme », Le Monde, 16 mars
1999.
3. Bourg Jean-François, L’argent fou du sport, Paris, La Table ronde, 1994, p. 43-59.
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SPORT, ENJEUX ÉCONOMIQUES
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Que les hommes d’affaires ayant investi la gestion du sport
soient corrompus, passe encore : leur recherche « naturelle » de la
maximisation des profits semble les prédisposer à la corruption. Jusque-là l’utopie du monde sportif se défend aisément puisqu’il ne
s’agit que d’une importation de valeurs étrangères à la sphère sportive. Il suffirait de chasser les « marchands du temple » pour que la
corruption disparaisse. Mais les bénévoles n’ont pas de circonstances
atténuantes. Ils constituent le cœur et le moteur de l’éthique sportive.
La faute est moralement plus grave, à l’image de l’affaire du « sang
contaminé » ou de l’affaire « Crozemarie », et risque de provoquer
une désillusion et un désengagement général des bénévoles.
Du côté des financeurs marchands, un certain nombre de grandes firmes (la société d’assurance John Hanonck, le groupe DaimlerChrysler, le groupe Samsung par exemple) ont émis des doutes quant
à la poursuite de leur partenariat avec le CIO1. L’entreprise US West
(télécommunications) décide de geler une participation de 5 millions
de dollars2. Bref, les sponsors qui apportent plus de 600 millions de
dollars (sur un budget global de 1,4 milliard) menacent de se retirer
du financement des Jeux de Salt lake City et le Comité d’organisation
peine à réunir tous les fonds nécessaires3. Au-delà des Jeux olympiques, c’est tout le système de financement du sport-spectacle basé
depuis vingt ans sur la logique marchande qui risque de s’effondrer et
de mettre à mal l’organisation des grands événements sportifs internationaux. Conséquences désastreuses, les révélations sur les dérives
et les excès du sport de compétition et du spectacle sportif pourraient
donc, à plus ou moins long terme, avoir raison du mythe sportif. S’agirait-il de l’ultime crise du sport ? Se transformer radicalement ou
disparaître : telle semble être l’alternative.
Et si tout le monde y croyait encore (plus)
Malgré la présence d’indices révélateurs de la crise du mouvement
sportif, il n’est pas certain que cette crise annonce le déclin du mythe
sportif. En effet, les révélations des affaires de corruption (et de
dopage) n’ont pas provoqué la désaffection des spectateurs et des
téléspectateurs. Le Tour de France 1999, malgré la controverse qui
l’a animé, n’a pas subi de baisse d’audience et les spectateurs étaient
toujours aussi nombreux le long des routes. Le prologue a réalisé près
1. Potet Frédéric, Le Monde, 19 mars 1999.
2. Miquel Paul, « Le péché olympique de Salt Lake City », Le Monde, 14-15 février 1999.
3. Potet Frédéric, « Pour sauver la face, le mouvement olympique sacrifie six des siens », Le
Monde, 26 janvier 1999.
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de 45 % de taux d’audience et, après une semaine de course, ce taux
dépassait toujours les 40 %1. Les sponsors ne se sont pas désengagés,
contrairement à ce qui avait été annoncé2. Le phénomène est identique pour les coupes d’Europe de football ou les championnats du
monde d’athlétisme.
Tout se passe comme si, malgré l’évidence des dérives (corruption, dopage…), le public et l’ensemble des acteurs qui gèrent le
sport voulaient continuer à y croire. La « vérité » sur la réalité du système sportif ne débouche pas sur un renoncement à l’utopie. La
lumière sur les affaires, loin d’aboutir à une dénonciation du système
lui-même, apparaît comme l’occasion de se remobiliser pour sauver
le mythe. Tout le monde semble se porter au chevet du malade. Et
cette représentation de la crise en termes de « maladie » présuppose
et confirme que le sport est originellement sain, qu’il est possible
d’organiser le retour du système à l’état initial, c’est-à-dire non pathologique. Comme l’écrit Georges Vigarello, « contre-société vertueuse, le sport fait croire au modèle, entretenant la légende dans des
sociétés qui n’en ont plus. D’où d’inévitables obscurcissements : la
société sportive protège l’illusion, mais chacun veut y croire malgré
lui. Autant dire que le mythe ne saurait s’effondrer. Il a largement
démontré son adaptabilité »3. La révélation des dérives constitue donc,
en même temps, une figure repoussoir et la preuve sans cesse renouvelée que le pur doit lutter contre l’impur et, dans cette lutte, chaque
génération déplace « les frontières de la pureté pour mieux s’y
reconnaître »4.
LA RÉANIMATION
DU MYTHE SPORTIF
Cette fois encore, le mouvement et l’idéal sportifs sauront s’adapter et
sortiront de la crise. Mieux encore, le troisième millénaire, loin de
mettre fin à l’utopie sportive, s’annonce comme celui de sa réalisation et de son achèvement. Et c’est l’entrée dans l’ère de la transparence du sport qui constitue la condition de la renaissance du mythe.
En effet, tout semble se précipiter dans les années 1990. On n’a
jamais autant exigé de « faire toute la lumière » sur les affaires du
1. Psenny Daniel, « Drôle de Tour pour France-Télévision », Le Monde, 11-12 juillet 1999.
2. Hopquin Benoît, « Le cyclisme professionnel se prépare à des lendemains difficiles », Le
Monde, 20 octobre 1998.
3. Vigarello Georges, art. cit.
4. Idem.
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sport, on n’a jamais autant proposé de procédures de contrôle
(qu’elles soient financières ou sportives, qu’elles relèvent de l’ordre
public ou de l’ordre sportif). Le public lui-même revendique le droit
de savoir et de dénoncer les dérives du sport. Ce désir collectif de
transparence révèle paradoxalement que l’on y croit davantage, que
la lumière est la condition de la réalisation de l’utopie sportive. Mais
cette injonction constitue un nouveau mythe, celui d’une société parfaitement transparente où toute opacité aurait disparu.
L’exigence de transparence
Le maître-mot de la lutte contre la corruption dans le sport est devenu
celui de « transparence ». Aucun des acteurs du sport-spectacle
n’échappe à cette injonction. Il faut plus de transparence et de
contrôle ! Les médias dénoncent en cœur les « dérives » du sport et
n’hésitent pas (ou plus) à parler des « affaires », à informer l’opinion
publique sur une certaine réalité du phénomène sportif. Les spectateurs ne veulent plus être dupes1. Ils exigent que les sportifs soient
« propres » que les matchs ne soient pas truqués, que les dirigeants
bénévoles soient honnêtes… Mais c’est justement cette exigence de
transparence qui démontre qu’ils y croient encore, voire qu’ils y
croient davantage car ils ont le sentiment de pouvoir agir sur le système. N’a-t-on pas vu, au cours du Tour de France 1999, des spectateurs brandissant des pancartes dénonçant le dopage ou interpellant
directement les coureurs pour les accuser de dopage ? C’est moins la
perte de confiance synonyme de retrait ou d’abandon qui prime, que
le sentiment de devenir un acteur de la construction de la société
sportive idéale. Autrement dit, plus il y a d’affaires révélées et avérées, plus la possibilité de réaliser l’utopie sportive semble proche.
Tant que nous restions dans l’ère du soupçon et de la rumeur, c’est le
sentiment d’impuissance qui prédominait parce que le doute paralysait l’action.
Mais l’État et la justice participent également à la production
du nouveau mythe. En France, le ministère de la Jeunesse et des
Sports, en partenariat avec le mouvement sportif, met en place le
« suivi longitudinal » des athlètes dans la lutte contre le dopage. La
Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) surveille attentivement l’évolution de la gestion des clubs professionnels. La justice
n’hésite pas (ou plus) à mettre en examen les dirigeants corrompus et
participe, malgré elle, à la réanimation du mythe. Au niveau européen, les États membres tentent d’harmoniser leurs politiques de lutte
1. Dalloni Michel, « Le sport au risque de la transparence », Le Monde, 28 juillet 1999.
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contre le dopage et proposent un modèle sportif qui se construirait
contre le modèle commercial américain, indiquant ainsi que l’on
peut préserver l’éthique sportive.
Les sponsors eux aussi exigent la transparence. Eux aussi font
pression sur le monde sportif pour que les valeurs du sport soient préservées. Non pas dans une perspective philanthropique mais parce
que l’image positive du sport sur le plan international assure des
retombées médiatiques importantes aux multinationales qui sponsorisent les événements. Il serait en effet regrettable pour les financeurs
privés du sport de « tuer la poule aux œufs d’or ». Dans cette perspective, certains économistes du sport réclament également plus de
transparence afin d’éviter la faillite du financement du sport-spectacle, voire de sauver le sport par les vertus de la transparence du marché1. Selon l’équation « plus de marché = plus de transparence des
contrats = moins de corruption », le marché serait en mesure d’éradiquer les pratiques maffieuses ou clandestines pour imposer la vertu
de l’honnêteté.
La stratégie du mouvement sportif
Bien que tout le monde participe à la création du nouveau mythe, la
réaction des pouvoirs sportifs nationaux ou internationaux est certainement celle qui illustre le mieux le mécanisme par lequel la
croyance se renforce. Ce mécanisme relève d’une stratégie qui combine des sanctions sévères et rapides vis-à-vis des éléments « malsains », la démonstration de la preuve de la perfectibilité et l’annonce
d’un retour imminent à l’état initial du système.
Dans l’affaire VA-OM, contrairement aux affaires précédentes
(Saint-Étienne, Bordeaux, par exemple…), les sanctions sportives et la
mise en route de la procédure judiciaire ont été relativement rapides2. Alors que le match arrangé s’est déroulé le 19 mai 1993, le dossier de tentative de corruption est transmis par le pouvoir sportif à la
justice le 4 juin de la même année, en grande partie grâce à Noël
Le Graët, président de la ligue nationale de football. En septembre
1993, le Comité exécutif de l’UEFA (Union européenne de football
association) exclut l’OM de la Coupe d’Europe 1993-1994. Le
1. Andreff Wladimir, « Les finances du sport : l’éthique sportive à l’épreuve de l’argent », Finance
and Common good, printemps 1999, p. 42-43 ; Bourg Jean-François, « Économie du sport et
éthique », Problèmes économiques, no 2267, 18 mars 1992, p. 1-5 ; Simmonot Philippe, « De la
corruption », in 39 leçons d’économie contemporaine, Paris, Gallimard, coll. « Folio Actuel »,
1998, p. 442-474.
2. Bourg Jean-François, op. cit. ; Fenoglio Jérôme, « Les sanctions sportives dans l’affaires Valenciennes-OM », Le Monde, 24-24 avril 1994 ; Gattegno Hervé, art. cit.
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22 avril 1994, le conseil fédéral de la Fédération française de football
conclut qu’il y a bien eu tentative de corruption et rétrograde l’OM
en deuxième division pour la saison 1994-1995. Du côté des dirigeants, Bernard Tapie, président du club, est interdit de toute fonction officielle au sein du football français pour une durée indéterminée et Jean-Pierre Bernès, ancien directeur général, est radié à vie.
Du côté des joueurs, trois personnes sont suspendues jusqu’au premier juillet 1996. Bref, les instances nationales ou internationales du
football n’hésitent plus à sanctionner rapidement, sévèrement et
durablement les clubs et les joueurs mêlés à des affaires de corruption. De son côté, la justice a également agi rapidement puisque Bernard Tapie est condamné le 15 mai 1995 à deux ans d’emprisonnement, dont un ferme, pour « corruption ».
Dans « l’affaire Salt Lake City », ce phénomène est encore plus
accentué. En effet, ce qui est remarquable, c’est la rapidité avec
laquelle l’ensemble du mouvement sportif a sanctionné ses membres
convaincus de corruption et a mis en scène son désir de transparence :
« Si c’est nécessaire, nous expulserons des membres. S’il faut nettoyer, nous nettoierons » déclarait J.-A. Samaranch, avant même que
les preuves de corruption aient été révélées1. Au Salt Lake City Organisation Commitee (SLOC), on pense « également que toute la vérité
doit être révélée »2. En France, le directeur du groupement d’intérêt
public créé pour soutenir le projet de candidature de la ville de Paris
à l’organisation des Jeux olympiques de 2008 déclare « que Paris ne
part pas favorite mais que la réussite du projet passera par des critères
de transparence »3.
Loin de menacer les fondations du mouvement olympique,
l’affaire de Salt Lake City représente une opportunité pour relancer le
mythe. En réalité, le passage du soupçon à la preuve de corruption
représente la condition d’amélioration du monde sportif. Tant que
nous n’avions pas de preuves, nous ne pouvions pas lutter contre « la
gangrène » disent les dirigeants du sport international. « Nous manquions de preuves » dit Henri Sérandour, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), pour justifier un certain
retard pris par son organisation dans la lutte anti-dopage4. D’où les
hésitations à sanctionner.
1. Cité par Dalloni Michel et De Changy Florence, « L’affaire de Salt Lake City ternit l’image
olympique », Le Monde, 16 décembre 1998.
2. Miquel Paul, Le Monde, 14-15 février 1999.
3. Miquel Paul, Le Monde, 24 septembre 1999.
4. Mathieu Bénédicte, « Trois questions : Henri Sérandour », Le Monde, 24-25 janvier 1999.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
De l’ère du soupçon à l’ère de la transparence
L’ère du soupçon ne faisait que diffuser l’idée d’un sport « pourri »
contre l’idée d’un sport « pur ». L’ère de la transparence démontre la
perfectibilité de l’univers sportif. Sans attendre, tout a été mis en place
pour donner des preuves que la transparence n’est pas un vain mot.
Comme le dit J.-A. Samaranch lui-même « Il faut rapidement crever
l’abcès »1. Déjà, des réformes sont envisagées, à commencer par la
révision du mode de désignation des villes candidates. Une Commission de seize experts composée à parité de membres indépendants et
de membres du CIO élus par leurs pairs assurerait la sélection des deux
villes candidates finalistes. Le choix final serait effectué par vote de
l’ensemble des membres, qui ne pourront se rendre dans les villes candidates. On propose également la modification du système d’élection
des membres du CIO reposant jusqu’à présent sur la cooptation. Quatre collèges seraient alors formés ainsi qu’une Commission d’éthique
composée de membres du CIO et de personnalités extérieures2. Et les
hommes politiques ne peuvent qu’emboîter le pas à cette volonté de
respecter la démocratie (sportive) et les principes de la méritocratie :
aux États-Unis, le républicain Fred Upton déclarait qu’il « faut que les
règlements soient respectés à la lettre afin que les villes candidates
soient choisies sur leurs mérites et non sur la qualité des cadeaux
offerts »3. Au-delà de l’enquête menée de l’intérieur par le SLOC, quatre enquêtes sont en cours : au niveau du CIO, du Comité olympique
américain, du procureur général de l’Utah et même du FBI pour le
département de la justice4. Bref rien ne semble laissé au hasard et toutes les procédures, qu’elles relèvent du pouvoir sportif ou du pouvoir
judiciaire, semblent avoir été mises en place. Tout laisse espérer que
« la lumière sera faite ».
L’aurore d’un monde sportif meilleur
Mais la volonté de transparence s’accompagne également d’une stratégie qui vise à mettre en scène la lutte du « pur » (le système) contre
« l’impur » (les « brebis galeuses »). Comme l’écrit Georges Vigarello, la contre-société sportive offre « une garantie mythique de
pureté, la certitude de valeurs définitives et protégées, la toute puissance donnée aux procès en hérésie et au rejet des faillis. Le sport
1. Cité par Dalloni Michel et De Changy Florence, art. cit.
2. Potet Frédéric, Le Monde, 16 mars 1999.
3. Cité par Miquel Paul, « Une commission d’enquête américaine dénonce la culture malsaine des
petits cadeaux », Le Monde, 16 mars 1999.
4. Miquel Paul, Le Monde, 14-15 février 1999.
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SPORT, ENJEUX ÉCONOMIQUES
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serait préservé puisqu’une une perfection existerait, constamment
réaffirmée, constamment reprécisée, grandissant les intègres par le
rejet de quelques parjures, fabriquant des bannis dont l’exclusion
renforcerait l’institution »1. Si la société sportive, comme on nous le
promet, devient transparente, nous serions capables de mesurer
objectivement l’ampleur des déviances du sport. S’il s’avérait que les
dérives constituent « l’état normal » du système sportif, son véritable
visage, comme le pense la théorie critique du sport2, et non son véritable « état pathologique », alors nous pourrions condamner définitivement l’utopie sportive et tout reprendre à zéro. Au contraire, si les perversions ne sont qu’un épiphénomène, une simple « imperfection »,
nous serions en mesure d’éradiquer toute forme de dérive en la tuant
dans l’œuf. Nous entrerions (enfin) dans l’ère du sport définitivement
« propre » et plus rien ne viendrait perturber la trajectoire de l’idéal
sportif.
Mais la transparence totale n’est qu’un mythe3, voire une
tyrannie4. Jamais nous ne ferons toute la lumière sur les dérives du
sport, jamais nous ne saurons si la corruption n’est qu’un dérapage
ou une contradiction interne fondamentale du système sportif. À
l’image de ce qui se passe dans les affaires de dopage, la frontière
entre le corrompu et le sain se déplace sans cesse. Quelle est la frontière entre les « cadeaux » à usage symbolique et les « cadeaux » à
visée corruptrice, entre le lobbying des agences financées par les villes candidates et la corruption ? Bien sûr, on peut fixer une limite en
indiquant à partir de quelle valeur monétaire les cadeaux se transforment en tentative de corruption. Bien sûr, on peut fixer des règles de
bonne conduite dans le processus de décision des villes candidates
au Jeux olympiques. Mais cette frontière ne sera jamais fixe et définitive, elle se déplacera en fonction de l’évolution des valeurs et de la
définition de l’éthique dans la société.
Dans un univers qui se pense comme originellement pur et
moral, toute manifestation négative est directement interprétée en termes de dérives, de perversions, de dénaturations… directement provoquées par des éléments malsains qui gangrènent le monde sportif
de l’intérieur (ou de l’extérieur). On assiste à un renversement de
l’accusation qui se transforme en éloge de la pureté originelle. Ce
n’est plus l’institution dans son ensemble qui est visée mais un ensemble d’individus minoritaires. C’est un « abcès » qu’il faut crever et non
1. Vigarello Georges, « Le sport dopé », Esprit, janvier 1999, p. 75-91.
2. Laguillaumie Jean-Pierre, Vaugran Henri (dir.), L’Opium sportif. La critique radicale du sport de
l’extrême gauche à quels corps ? Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces et temps du sport », 1996.
3. Simmel Georges, Secret et sociétés secrètes, Circé coll. « poche », première édition 1908.
4. Sennet Richard, Les tyrannies de l’intimité, Paris, le Seuil, 1979.
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une remise en cause radicale du système. Lorsque J.-A. Samaranch
déclare qu’il faut « nettoyer » le CIO, le vocabulaire utilisé est explicite. Il s’agit d’une purge au sens premier du terme. Henri Sérandour,
président du CNOSF, interrogé sur les affaires de corruption ne
déclarait-il pas que J.-A. Samaranch « doit rester à la barre pour apurer la situation et éliminer les brebis galeuses »1. Et les sanctions sont
rapidement tombées. Six personnes, « coupables d’avoir violé le serment prêté lors de leur cooptation et d’avoir terni la réputation du
CIO »2, ont été expulsées du CIO (sans compter trois démissionnaires
et un blâmé). Dès lors, on assiste à une auto-confirmation et à une
auto-célébration du mythe sportif. Le monde sportif à besoin d’une
publicité sur ses « imperfections » pour mieux faire croire à la réalisation imminente de l’utopie sportive. Le président du Comité olympique américain déclare en effet « [qu’]il est temps de traquer les
imperfections, de corriger les défauts et de créer un système qui ne
permettra plus ce genre de dérives »3.
Le mythe sportif n’est donc pas près de s’effondrer. Et il est
étonnant que Jean-Marie Brohm, l’un des fondateurs de la théorie critique du sport, se félicite de la dénonciation collective des
« dérives », des « excès » ou des « dénaturations » de l’idéal olympique. Même si ces dernières sont, selon lui, largement édulcorées par
les médias ou les sociologues du sport, « la théorie critique a obligé
les médias à reconnaître l’évidence, au moins partiellement »4. Or,
cette dénonciation semble au contraire donner raison aux tenants de
l’autonomie de la sphère sportive, de sa pureté originelle. Rien ne
permet d’affirmer que la vision développée par la théorie critique a
acquis le statut de représentations sociales, qu’elle forme une sorte
de culture commune et qu’elle menace les fondements de l’illusion
sportive. C’est l’inverse qui se produit et l’idée que les dérives sont
inhérentes aux institutions sportives ne sort pas des débats confidentiels de la sociologie du sport. Finalement c’est J.-A. Samaranch qui
semble avoir raison lorsqu’il déclare que le CIO sortira grandi de
cette crise : « Nous avons connu d’autres situations difficiles […]. À
chaque fois, nous en sommes sortis plus forts. J’ai confiance. Ce sera
encore le cas cette fois »5.
1. Cité par Mathieu Bénédicte, Le Monde, 24-25 janvier 1999.
2. R.W. Pound cité par Potet Frédéric, Le Monde, 26 janvier 1999.
3. Cité par Miquel Paul, « une commission d’enquête dénonce une culture malsaine de petits
cadeaux », Le Monde, 16 mars 1999.
4. Brohm Jean-Marie, « Critique sans fin ou fin de la critique ? », postface à Laguillaumie JeanPierre et Vaugran Henri (dir.), op. cit., p. 363-367.
5. Cité par Dalloni Michel et De Changy Florence, art. cité.
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LES RACINES DU MAL : LA LOGIQUE
MARCHANDE À L’ORIGINE
DE LA CORRUPTION ?
La détermination de la corruption
par le marché comme croyance et idéologie
On n’en finirait pas de citer les chiffres « mirobolants » de l’économie du sport-spectacle, à commencer par les revenus des joueurs
professionnels (golf, football, basket-ball…). Il ne se passe pas un
mois sans que les médias nous informent sur « l’indécence » des
salaires (plusieurs millions de francs par an) de ces travailleurs sportifs d’un nouveau type. L’économie du spectacle sportif est inflationniste, qu’il s’agisse des salaires, du budget des clubs professionnels,
des droits de retransmission télévisée, du budget d’organisation des
grands événements sportifs ou encore des droits d’accès au statut de
sponsor lors des compétitions d’envergure internationale1.
Et pourtant, le montant du financement du sport-spectacle
représente moins de 10 % du financement total du sport en Europe2.
Mais peu importe, ce qui compte ici, c’est la portée symbolique de
ces annonces. En effet l’hypertrophie des discours sur « l’argent marchand » ne fait qu’entériner l’idée qu’il y aurait trop d’argent dans le
sport. Et le public y croit. Un sondage du CSA (de décembre 1997)
indiquait que pour 65 % des Français la politique publique en
matière sportive doit jouer un rôle « de limitation de l’influence de
l’argent dans le sport »3.
De la lutte contre les effets de l’argent dans le sport à l’idée que
cet argent se trouve à l’origine des maux du mouvement sportif, il n’y
a qu’un pas. Et, à en croire un certain nombre de commentateurs
(journalistes, sociologues ou économistes) du phénomène sportif,
c’est l’argent d’origine marchande qui est à la source des dérives du
sport-spectacle. Un quotidien de Tokyo n’estimait-il pas que
« l’importance de plus en plus grande de l’argent dans l’olympisme est
la racine de tous les problèmes »4 ? Plus près de nous, Christian
de Brie, rédacteur au Monde Diplomatique, estime que les scandales
financiers du football des années 1990 sont « révélateurs […] de la
soumission du ballon rond aux logiques du marché et à l’idéologie
1. L’Expansion, « Sport business », 506, 24 juillet-3 septembre 1995, p. 50-94.
2. Andreff Wladimir, Halba Bénédicte, Les enjeux économiques du sport en Europe : financement
et impact économique, Conseil de l’Europe, Dalloz, 1995.
3. Loirand Gildas, « L’argent du foot », Sociétés et représentations, 7, 1998, p. 347.
4. Le Cœur Philippe, Le Monde, 24-25 janvier 1999.
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
ultra-libérale […]. Fausses factures, caisses noires (double billetterie)
destinées à la corruption des adversaires ou des arbitres […] : à l’origine de ces perversions, la marchandisation du sport »1.
Ces discours, qui tendent à se diffuser au niveau de l’opinion,
représentent une véritable aubaine pour les dirigeants du mouvement
sportif. L’idée « qu’il y a trop d’argent dans le sport et que l’argent tue
le sport » a acquis le statut d’évidence partagée par le sens commun.
Comme le rappelle Gildas Loirand, dans les années 1990, les dirigeants de la fédération française de football « ne cessent d’afficher une
attitude franchement hostile à l’égard de l’emprise croissante de la
composante économique […] » qui, par son excès, dénaturerait les
finalités du sport2. Plus récemment, Henri Sérandour affirmait, à propos de l’affaire de corruption de Salt Lake City, qu’il faut « éviter que
l’économie prenne le pas et dicte sa loi aux comités d’organisation »3.
Cette injonction est d’ailleurs reprise par le ministère de la Jeunesse et
des Sports. Marie-Georges Buffet s’efforce en effet, à partir d’un
ensemble de propositions et de mesures (refus de l’accès à la cotation
en bourse des clubs professionnels, projet de taxation sur les droits de
retransmission des manifestations sportives en vue d’une redistribution
verticale de l’élite vers la masse, pression sur l’Union internationale
cycliste (UCI) pour plus de transparence dans la lutte contre le
dopage…), de contenir les effets de la logique marchande dans le
sport4. Lors de la représentation de son projet de loi, la ministre affirmait que « dans un contexte de mondialisation du sport, sous la pression d’intérêts financiers et commerciaux de plus en plus élevés, des
phénomènes comme le dopage, le culte de la performance à tout prix
ou la course à l’argent portent atteinte au sens même du sport, à son
éthique […] »5. Et Jacques Delors, ancien président de la Commission
européenne déclarait à propos des premières révélations sur le dopage
du Tour de France : « Faisons en sorte que ni le fric ni les remèdes
miracles ne viennent décourager ou polluer le vaste monde du
sport6. » L’idée que la logique marchande est la cause fondamentale
des dérives du sport accède donc au statut de véritable croyance,
voire d’idéologie lorsqu’elle est mise au service des intérêts des dirigeants du mouvement sportif.
1. De Brie Christian, « Le marché de la corruption », Le Monde Diplomatique-Manière de voir, 30,
1996, p. 54-57.
2. Loirand Gildas, art. cit, p. 343.
3. Cité par Mathieu Bénédicte, art. cit.
4. Le Cœur Philippe, « Le football professionnel français contre la taxation sur les droits de
retransmission », Le Monde, 17 septembre 1999.
5. Cité par Potet Frédéric, « Marie-Georges Buffet lance la troisième étape de sa politique du
sport », Le Monde, 30 septembre 1999. Voir également Bordenave Yves, Hopquin Benoît, Potet Frédéric, « Marie-Georges Buffet déplore le manque de courage de l’UCI », Le Monde, 2 juillet 1998.
6. Delors Jacques, « Pour une véritable communauté sportive », Le Monde, 2-3 août, 1998.
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SPORT, ENJEUX ÉCONOMIQUES
267
Qu’en disent les sciences sociales ?
Il y a bien sûr une part de vérité dans ce discours. Mais il serait
réducteur de considérer qu’à lui seul l’argent d’origine marchande
constitue la cause ultime de la corruption dans le sport. Ce n’est
qu’une part de la vérité parce que fondamentalement, dans une
société capitaliste, « l’incertitude est l’ennemi du profit »1, et le capital est tenté de réduire les aléas du sport afin d’assurer un retour sur
investissement sans risque. Cependant le constat d’une progression
parallèle dans les années 1980-1990 des enjeux économiques liés au
sport et des affaires de corruption ne constitue qu’une corrélation
apparente entre deux phénomènes. Rien ne permet d’affirmer que la
pénétration de la logique marchande dans le sport constitue la cause
unique ou majeure des phénomènes de corruption (et autres dérives).
Bien évidemment, la logique marchande génère des effets sur
l’évolution du sport en général et du sport-spectacle en particulier.
Mais il ne faudrait pas confondre influence et détermination causale.
Et Georges Vigarello a raison d’écrire qu’il n’est plus à démontrer
« que les exigences économiques du sport favorisent le dopage »2. Il a
raison d’avancer que la logique marchande ne constitue qu’un déterminant parmi d’autres des perversions du sport. Si l’on accepte l’interprétation sociologique selon laquelle le sport est co-déterminé par les
facteurs politiques, économiques, scientifiques, socioculturels…, il
n’y a pas de raison pour que la sphère économique n’influence pas le
phénomène sportif. Il n’y a pas plus de raison pour que les forces économiques soient la cause majeure de l’évolution du sport.
Or, on assiste à une sorte de glissement dans la plupart des discours sur les relations entre sport et argent. On passe de la simple
liaison concomittante entre deux phénomènes (sport et argent) à
l’explication des dérives du sport par une cause économique. Ce qui
fait le jeu des dirigeants du mouvement sportif. Or, la logique marchande ne détient pas le monopole de la tentation à l’excès. Ce qui
est pensé en termes de dérives relève d’une multitude de déterminations à la fois économiques, médiatiques, politiques et… sportives.
Car l’excès est au cœur du sport de compétition, dans son rapport
naturel à la performance3. Et si, comme le soutient la théorie critique
du sport, la corruption était inhérente à la compétition et au spectacle sportif4 !
1. Calvet Jacques, Di Ruzza Rénato, Gerbier Bernard, « Profit, risque et incertitude dans le sport »,
in Andreff Wladimir, (dir.), Économie politique du sport, Paris, Dalloz, 1989, p. 173.
2. Vigarello Georges, art. cité, Esprit, janvier 1999.
3. Nys Jean-François, art. cit.
4. Quel corps ? L’empire football, 2-4, 1982.
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268
SPORT ET ORDRE PUBLIC
On comprend aisément pourquoi les dirigeants du mouvement
sportif évitent de reprendre à leur compte ce type d’analyse. La stigmatisation de l’ennemi extérieur constitue la seule stratégie de survie
du mouvement olympique, sa seule voie pour entretenir l’utopie de
l’autonomie de la sphère sportive vis-à-vis de la société. Les dérives
sont en quelque sorte au sport, ce que le monde communiste était au
capitalisme, c’est-à-dire le principe moteur de son identité. L’idéal
sportif se construit contre les perversions de la société. Supprimer ces
déviances et l’idéal perd une grande partie de sa raison d’être.
*
* *
Les trois « thèses » que nous avons soutenues ici sont liées
entre elles. Le passage de l’ère du soupçon à l’ère de la transparence
est une condition essentielle de la réanimation du mythe sportif parce
qu’il permet d’identifier les éléments « malsains » qui gangrènent le
système de l’intérieur. On assiste alors à l’auto-célébration de la
pureté originelle et de la perfectibilité de l’univers sportif. Mais les
corrompus ne font que subir les pressions externes de la logique marchande qui, en dernière instance, générerait les phénomènes de corruption et dénaturerait le sport. Dès lors, reconquérir l’autonomie de
la sphère sportive passe par une lutte acharnée contre les effets du
marché, faisant oublier que le sport de compétition contient en luimême une incitation aux excès et à la recherche de l’efficacité. Les
sciences sociales ont beau affirmer que l’autonomie du sport n’est
qu’une illusion, tout le monde veut y croire encore (et davantage)
parce ce que chaque acteur du sport se voit doter d’une capacité
d’action sur le système. Finalement, jamais le sentiment d’une réalisation immédiate de l’utopie sportive n’a été aussi fort.
Les révélations concernant les affaires de corruption, loin de
menacer le mythe sportif, le renforcent en lui superposant une nouvelle croyance propre aux sociétés démocratiques : celle d’un monde
transparent où toute opacité aurait disparu. Nouvelle dialectique de
l’opacité et de la transparence qui redouble celle du pur et de
l’impur, de l’intérieur et de l’extérieur et qui réanime le mythe. Nous
n’en avons donc pas encore fini avec l’utopie sportive. On assiste
non seulement au déplacement des frontières entre le pur et l’impur
(que l’on pense, par exemple, à la variabilité au cours du temps de la
notion de dopage), mais une nouvelle dialectique relance pour longtemps l’idéal sportif. L’illusion sportive se maintient dans le va-etvient incessant entre l’ombre et la lumière, elle échappe à la clarté et
à la connaissance objective. Plus le système sportif est opaque et plus
nous faisons la lumière sur les affaires du sport ; plus nous croyons
être près de la « vérité » du système sportif, plus celle-ci risque de
s’obscurcir.
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SPORT, ENJEUX ÉCONOMIQUES
Références bibliographiques
269
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1999, p. 37-43.
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économiques, 2267, 18 mars 1992, p. 1-5.
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incertitude dans le sport », in Andreff Wladimir (dir.), Économie politique du sport, Paris, Dalloz, 1989, p. 170-192.
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conciliation ? », Revue juridique et économique du sport, 32,
1995, p 5-37.
VIGARELLO GEORGES, « Le sport dopé », Esprit, janvier 1999, p. 75-91.
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CIO, 1999
271
CIO, 1999 : CHRONIQUE
D’UN SCANDALE
ANNONCÉ
■
Andrew JENNINGS
Résumé : l’actualité récente semble se précipiter quant aux révélations
de corruption affectant le Comité international olympique, dressant ainsi
la chronique d’un scandale annoncé. C’est de l’extérieur du mouvement
sportif lui-même que proviennent les menaces les plus sérieuses.
En ce mercredi 14 avril 1999, la Commission du commerce du
Sénat s’apprête à siéger, présidée par le sénateur John McCain1. Cet
ancien pilote de l’armée de l’Air est de belle humeur. La séance, consacrée aux moyens de réformer le Comité international olympique (CIO),
fera l’ouverture des journaux télévisés. Et, ce matin-là, ses collaborateurs vont annoncer qu’il est candidat à l’investiture républicaine à
l’élection présidentielle. Trois semaines auparavant, James Easton, l’un
des deux membres américains du CIO, a attaqué les sénateurs pour
avoir méconnu leurs responsabilités à l’égard du sport aux États-Unis.
Le but de son audition par la Commission est, a-t-il affirmé, « d’en tirer
un avantage politique et ne bénéficie à nul autre qu’à elle-même ». Les
hommes politiques, a-t-il souligné, « ont quotidiennement à gérer des
conflits d’intérêt ». Dans son esprit, ce ne sont que des hypocrites.
Dans la vaste salle, on remarque, tournés vers la table du
témoin, quatre pupitres d’écoliers insolites en ce lieu. Sur chacun, un
panneau bleu sur lequel sont inscrits en lettres blanches les règlements sénatoriaux en matière de conflits d’intérêt et les limites imposées aux cadeaux, voyages et hébergements. Nul besoin aux sénateurs de dire ce qu’ils pensent de James Easton, membre d’une
organisation accusée de corruption à large échelle. Les panneaux
parlent pour eux. En novembre 1998, la chaîne de télévision de
Salt Lake City, KTVX, a produit à l’écran une lettre du Comité d’organisation des Jeux d’hiver de 2002, révélant que ses membres ont
secrètement payé les frais d’études à l’université de la fille d’un membre camerounais du CIO. Un vote avait donc été acheté. Après cette
fuite, les Jeux olympiques ne pourraient plus jamais être les mêmes.
1. L’article a fait l’objet d’une première publication : « Le CIO dans la tourmente », Géopolitique,
n° 66, juillet 1999, p 89-93.
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272
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Le Comité olympique américain constitua alors une Commission d’enquête indépendante dirigée par l’ancien leader de la majorité démocrate au Sénat, George Mitchell, qui avait supervisé le processus de paix en Irlande. De son côté, le CIO mena une enquête
interne et confidentielle. Des révélations sur des faits de corruption
au CIO se firent quasi quotidiennes, plongeant les sponsors dans la
perplexité. Les hommes politiques réclamèrent un changement des
dirigeants, les dessinateurs humoristiques s’en donnèrent à cœur joie.
Partout, c’était la stupéfaction : comment une institution modèle pouvait-elle se révéler aussi malhonnête ?
Des rumeurs de corruption dans le choix des villes olympiques
étaient pourtant apparues au début des années 1980. Les autorités de
Séoul avaient offert à chaque membre du CIO deux billets d’avion
aller-retour en première classe, billets pouvant être remboursés en
liquide… et beaucoup l’ayant été. Un mécanisme de corruption en
série était ainsi enclenché. Comme dans le cas d’un fusible qui, lentement, se consume, il fallait bien qu’un jour, l’explosion se produise. Il s’est écoulé quatorze jours entre le moment où le contenu de
la lettre accusatrice a été dévoilé à Salt Lake City et celui où un membre de la Commission exécutive du CIO, Marc Hodler, a lâché le
morceau aux journalistes. Les plombs avaient bel et bien sauté,
l’explosion secouait Lausanne et le monde entier.
Depuis 1991, Hodler, après chaque session des « enchères »
olympiques, tenait des réunions privées, où gagnants et perdants lui
confiaient les noms de ceux qui avaient fait des demandes
« inconvenantes ». La direction du CIO n’avait, néanmoins, pas
réagi. Les nouvelles de l’Utah – l’histoire de la lettre de Salt Lake
City – parvinrent en Suisse pendant une réunion de la Commission
exécutive, suscitant l’appétit des journalistes. Hodler sortit de la réunion et se mit à dénoncer la corruption et le refus de Juan Antonio
Samaranch d’y remédier. Jamais un membre du CIO n’avait admis –
et en termes aussi peu dénués d’ambiguïtés – que l’Organisation
était minée par une malhonnêteté endémique.
La première réaction du président fut de menacer Hodler
d’expulsion. Le jour suivant, Hodler prétendit être bâillonné. Samaranch fit même passer sur internet un communiqué de presse désolidarisant le CIO des déclarations de Hodler. Ce communiqué constitue aujourd’hui un acte d’accusation du CIO, mettant en cause la
réponse qu’il a donnée initialement au scandale.
Le torrent s’enfla. Hodler avait légitimité la révélation de faits
de corruption au CIO. De Manchester à Sydney, de Québec à Ostersund, d’anciennes villes candidates dénonçaient la façon dont elles
avaient été exploitées par le CIO. Particulièrement dommageable en
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CIO, 1999
273
la matière fut la publication d’un rapport secret datant de 1991 où
Toronto dévoilait comment elle avait été battue sur le poteau par
Atlanta pour l’accueil de Jeux du Centenaire de 1996. Ce rapport
révélait que vingt-six des soixante-neuf membres qui s’étaient rendus
à Toronto n’avaient pas respecté les règles du CIO : à savoir ne visiter
la ville qu’une seule fois, n’y venir qu’accompagné d’une seule personne, et n’y séjourner qu’un temps limité. Le pire était encore à
venir : dix-huit membres au moins s’étaient livrés à une forme de racket sur les billets d’avions. Ce qui avait coûté à Toronto une bonne
part des 800 000 dollars que la ville avait perdus dans l’affaire.
Vers le milieu de l’année 1998, le CIO avait décidé de réunir
une convention pour discuter de la mise en œuvre de nouvelles règles
anti-dopage. Année calamiteuse, s’il en est, puisque des nageurs chinois furent convaincus d’utiliser l’hormone de croissance et que le
désastre du Tour de France fut suivi d’autres scandales dans le football. Cette convention mondiale sur le dopage s’ouvrit à Lausanne au
début de 1999, portant quelques coups supplémentaires au CIO. Les
ministres des Sports présents ignorèrent superbement les prétentions
affichées par le CIO – celui-ci affirmait avoir combattu le dopage – et
réclamèrent la création d’une institution indépendante du CIO.
Le mois suivant, le CIO s’occupa du cas de ses membres convaincus de corruption : quatre avaient démissionné, six furent expulsés, dix firent l’objet de blâmes. La majorité de ces coupables étant
issue du Tiers-Monde, on cria au racisme, à la discrimination. Non
sans raison. Ces coupables n’avaient pas accès aux plus subtiles tricheries pratiquées par leurs collègues du « premier monde ». Les
appels à la démission du président, venus de toutes parts, furent ignorés par un vote écrasant en sa faveur. M. Samaranch annonça la mise
en chantier d’une série de réformes : élection démocratique des
membres du CIO, limite de la durée des mandats, transparence.
Le sénateur McCain, un « faucon » en matière de dépenses
publiques, avait déjà jeté un regard indiscret par-dessus le mur olympique vers le milieu des années 1990, demandant des comptes sur
les 350 millions de dollars qu’avait dépensés l’État pour assurer la
sécurité des Jeux d’Atlanta, par ailleurs source de profits juteux. Son
intervention inattendue, en mars 1999, annonçant la décision de réunir la Commission du commerce et de procéder à des auditions pour
faire la lumière sur les scandales olympiques, n’avait sans nul doute
pas manqué de créer un choc à Lausanne. Cinq communiqués de
presse mirent, encore, au cours de ce mois de mars, de l’huile sur le
feu. À la mi-mars, McCain « mettait en doute que le CIO ait compris
la gravité de la situation », indiquant que si le CIO ne faisait pas le
ménage, le Congrès s’en chargerait. Lorsque Samaranch annonça
qu’il superviserait lui-même le processus d’assainissement, sa propo-
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274
SPORT ET ORDRE PUBLIC
sition fut rejetée comme « une incapacité à saisir les concepts les
plus élémentaires d’éthique et de réforme ». Lorsque Samaranch
refusa de venir témoigner devant la Commission, McCain exprima sa
« profonde tristesse ». Ses collaborateurs firent comprendre que lorsque ce dernier convoque à des auditions, les grands dirigeants américains eux-mêmes ne s’y dérobent pas.
Le Congrès a le pouvoir de détruire le CIO tel qu’il est. Environ
70 % de son financement proviennent de sponsors et de chaînes de
télévision américaines. Le CIO jouit d’un statut d’exemption fiscale
aux États-Unis. Les sponsors peuvent récupérer auprès du Trésor près
de 35 % de leurs dépenses. Les sénateurs ont aussi brandi une autre
menace : réattribuer au Comité olympique américain les quelque
3 millions et demi de dollars de droits de retransmission télévisée qui
vont actuellement au CIO. La « culture de corruption » du CIO a
terni l’image pour laquelle les sponsors américains ont tant dépensé.
Les scandales ne peuvent que les dissuader d’apporter leur concours
aux Jeux de Salt Lake City. Les contribuables auront peut-être à combler le trou et la fierté de voir les Jeux financés par la libre-entreprise
aura vécu. Ce qui apparaît comme une hérésie dans les États libertaires de l’Ouest-américain, et particulièrement dans l’Utah, où ce n’est
qu’au prix de grandes difficultés que l’État a réussi à imposer une loi
lui permettant d’exiger des porteurs d’armes qu’ils les déposent à
l’entrée lors des épreuves des Jeux en 2002. Les sénateurs avaient,
tout bien considéré, de bonnes raisons d’être en colère.
La contre-attaque fut tiède. Le matin de la séance de la Commission du Sénat, une agence de presse allemande, DPA, livra une
curieuse information, sans donner ni sources ni preuves. Elle faisait
cependant état d’un document secret qui se serait trouvé entre les
mains du CIO ; émanant du Comité olympique américain, il expliquait « comment les États-Unis cherchaient à mettre la main sur le
CIO ». Un tel document portait visiblement l’empreinte du CIO.
Samaranch avait bien fait de ne pas venir. Pendant plus de trois heures, les sénateurs réclamèrent sa démission, menacèrent de prendre
des sanctions et traitèrent avec mépris les propositions de réforme du
CIO, le démocrate Ernie Hollings n’y allant pas par quatre chemins :
« Qu’ils démissionnent tous et désignons un nouveau groupe de gens
honnêtes ». Le sénateur Wyden lui faisait écho : « Ce bourbier doit
être nettoyé au plus vite ».
Six jours plus tard, McCain frappa de nouveau. Dans une lettre
à Samaranch, il exprimait « sa déception qu’il n’ait pu venir témoigner
devant la Commission ». Il ajoutait : « Le scepticisme est grand au sein
de la Commission, comme du peuple américain, quant à l’engagement du CIO de mettre en œuvre des réformes significatives ». Allant
plus loin encore, il écrivait : « Le manque apparent d’indépendance
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CIO, 1999
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du processus de réforme entrepris par le CIO et la lenteur du rythme
de sa mise en œuvre illustrent l’absence de conviction de la volonté
de réforme ». Venait, enfin, le coup de grâce : « En conséquence, je
vous demande, à vous personnellement comme responsable du CIO,
de fournir à la Commission un état mensuel de l’avancée de ce processus de réforme ».
La lettre fut diffusée à la presse américaine en fin de journée.
Trop tard, pour qu’il en soit fait mention en Amérique ou en Europe,
c’est en Australie que fut recueillie la réaction d’un membre de la
Commission exécutive du CIO, Kevan Gosper : « La réforme du CIO
n’a pas été qu’une manœuvre de relations publiques comme certains
membres de la Commission sénatoriale présidée par le sénateur
McCain l’on laissé entendre de façon insultante », ajoutant : « Il
n’entre pas dans le cadre de nos responsabilités d’adresser des rapports à une Commission sénatoriale ». Depuis, le CIO n’a fait aucun
autre commentaire sur la requête du sénateur McCain, feignant
même d’ignorer la séance de la Commission au cours de laquelle son
directeur de la communication, venu tout exprès à Washington, avait
pourtant pris des notes.
Les comités olympiques européens, avec à leur tête des membres du CIO, se sont réunis à Murcie le lendemain de la séance de la
Commission sénatoriale. Sans y faire une quelconque allusion, ils ont
choisi d’agir par la bande en dénonçant « toute interférence politique
susceptible de menacer l’indépendance du mouvement olympique ».
Poursuivant dans cette ligne, et reconnaissant l’importance des sponsors, ils décidaient de coopérer avec le CIO pour établir « un programme de marketing pan-européen ». C’était une façon de rejeter
les sponsors américains que les scandales, et aussi la menace d’une
action gouvernementale, avaient déjà rendus réticents. C’était également un rejet implicite de Coca-Cola, essentiel à tout programme de
marketing sportif. Alors que certains sponsors prennent prudemment
leurs distances pour Sydney et Salt Lake City, les comités européens
n’ont cependant pas désigné les sociétés susceptibles de leur donner
publiquement leur soutien.
*
*
*
1999 est une année intéressante pour ce qui concerne le CIO.
McCain est déterminé à obtenir que ses membres se mettent d’accord
sur un vaste plan de réformes avant la fin de l’année. Samaranch
osera-t-il parler de bluff ?
Nous avons eu l’occasion de nous entretenir, à Washington,
avec un collaborateur de longue date de McCain : « On ne trouvera
pas chez nous une once de sympathie pour le CIO. Il ne représente
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276
SPORT ET ORDRE PUBLIC
rien pour le Congrès. Il a commis des actes illégaux ici, aux ÉtatsUnis, et il ne s’en tirera pas comme ça. Le sénateur McCain s’est
efforcé de souligner le besoin d’un processus de réforme indépendant
mais pas nécessairement américain. Il serait stupéfiant que le CIO
continue à croire qu’il lui suffit d’accomplir un effort symbolique pour
couper aux réformes indispensables ou tenter d’écarter la tempête ».
On peut s’étonner que les membres européens du CIO critiquent l’ingérence d’hommes politiques dans une affaire qui concerne
le sport. Ces mêmes personnes mettront pourtant leur bulletin dans
l’urne lors d’élections locales, nationales ou européennes. Le cri de
« laissons les hommes politiques hors de tout cela » sert d’écran de
fumée pour dissimuler des comportements, qui ne sont ni démocratiques ni moraux et sont parfois criminels, de la part des administrateurs du sport. Le CIO ne voit pas l’intérêt de perdre son statut actuel
de club privé se recrutant par cooptation. Il veut être totalement autonome mais recherche parallèlement des faveurs fiscales de la part des
gouvernements et s’accommode de la participation des contribuables
au coût d’événements sportifs dont il tire d’énormes profits.
La propagande du CIO laisse entendre que les manœuvres du
Sénat préludent à une prise de contrôle des Jeux olympiques par
l’Amérique. Il n’existe aucune preuve à l’appui de ces insinuations. Si
le CIO se démocratise, le capitalisme américain continuera à dominer les Jeux. C’est le système que le CIO lui-même a mis en œuvre
dans les années 1980. Si le CIO s’entête, les sponsors américains
réduiront ou supprimeront leur engagement, au détriment de
l’influence américaine. Les sénateurs, en tout cas, ont clairement fait
savoir qu’ils n’étaient nullement impressionnés par les deux organes
mis en place aux fins de réforme par le CIO. L’un est la Commission
d’éthique, présidée par un francophone, le Sénégalais Keba Mbaye et
dans laquelle siège Robert Badinter. Elle est chargée de faire des
recommandations à la Commission exécutive. Un second organe est
chargé des propositions de réforme. L’un de ses membres, à titre
d’invité, est Henry Kissinger. Il est intéressant de savoir qu’il est un
ami très proche du sénateur McCain.
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CORRUPTEURS, CORROMPUS
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CORRUPTEURS,
CORROMPUS ET ACTES
DE CORRUPTION
DANS LE SPORT :
LE POINT DE VUE
DE LA POLICE JUDICIAIRE
■
Didier DUVAL
Résumé : le sport contemporain est, plus que jamais, sujet à la corruption. Devenu une activité économique à part entière, les enjeux financiers considérables qu’il est amené à gérer constituent autant de sources
potentielles de dérives délictuelles. Pourtant, la police judiciaire éprouve
les pires difficultés à établir les actes de corruption et à identifier corrupteurs et corrompus.
Si la corruption n’est pas un phénomène nouveau, le sport, à
notre époque, est particulièrement exposé aux risques de déviances.
Étant devenu une source d’investissements économiques très importants, il subit dès lors les mêmes contraintes que les autres activités
du même type, à savoir la productivité et la rentabilité. Ainsi, au-delà
de l’activité d’un club, le phénomène sportif représente une formidable attraction économique. L’organisation d’une grande compétition
internationale, telle que les Jeux olympiques ou la Coupe du monde
de football pour ne citer que les plus prestigieuses, donne une idée
de l’enjeu commercial que le sport représente pour une ville, une
région, un État. Le choix du site destiné à accueillir un tel événement
est ainsi sujet à bien des dérives potentielles. L’actualité récente
impliquant des hauts responsables du Comité international olympique (CIO) en fournit d’ailleurs la preuve. C’est donc l’enjeu financier
qui constitue la source principale des dérives affectant le monde
sportif contemporain. La tentation de fausser la compétitivité technique des « entreprises » concurrentes est, à ce titre, tellement grande
que le moyen idéal (mais illégal) pour y parvenir est la corruption et
les infractions pénales dérivées que nous rencontrons dans le traitement répressif du droit pénal des affaires et des marchés publics (trafic d’influence, détournement de fonds publics, abus de biens
sociaux et recel de toutes ces infractions).
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
La corruption est, sur le plan pénal, l’acte par lequel une personne (dite « le corrupteur ») offre, ou accepte de donner, à une autre
personne (dite « le corrompu ») un avantage quelconque pour obtenir de celle-ci, en retour, l’octroi d’une décision ou d’un acte que
seule sa fonction lui permet de dispenser. Nous distinguons, en droit
pénal français (comme dans beaucoup d’autres droits nationaux),
deux types de corruption : la corruption publique et la corruption privée. La première implique, par définition, une personne publique (à
savoir un élu, un fonctionnaire ou une personne chargée d’une mission de service public) ; la seconde est partiellement réprimée en
France dans la mesure où seuls sont poursuivis les salariés indélicats,
mais non les dirigeants d’entreprise ayant, par exemple, qualité de
gérant (SARL) ou de PDG (SA). Ces deux types de corruption sont
qualifiés de « délits » : la corruption publique, considérée comme un
acte grave au regard des institutions nationales, est réprimée de dix
années d’emprisonnement et 1 MF d’amende ; la corruption de salarié est, pour sa part, réprimée de deux années d’emprisonnement et
200 000 F d’amende. Corrupteurs et corrompus sont réprimés en termes identiques dans chacun des deux types de corruption.
La pratique du sport en France relève soit d’un statut amateur,
soit d’un statut professionnel. Ce dernier entraîne l’application des
règles de droit social dans les rapports d’employeur à employé. En
cas de corruption, des poursuites pénales sur la base de l’article
L.152-6 du Code du travail peuvent être déclenchées. Par la loi Avice
de 1982, renforcée par la loi Bredin de 1992, le législateur a entériné
l’idée que l’activité sportive professionnelle était devenue une activité économique à part entière en créant une nouvelle forme juridique de société, à savoir les sociétés anonymes à objet sportif (SAOS).
Le sport professionnel est donc soumis aux règles d’un ordre public
économique et social imposé par le législateur.
Sur le plan de l’enquête judiciaire, la corruption est particulièrement délicate à établir. Ces difficultés sont de trois ordres : la première consiste, tout d’abord, à mettre en évidence les éléments juridiques spécifiques à l’infraction de corruption ; la deuxième vise,
ensuite, à établir la matérialité de l’acte illégal objet de la corruption ;
la troisième, enfin, tente de démontrer l’avantage octroyé par le corrupteur au corrompu, le plus souvent de nature financière au travers
de prestations de plus en plus immatérielles.
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CORRUPTEURS, CORROMPUS
279
REMARQUES PRÉALABLES
SUR LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
SPÉCIFIQUES À L’INFRACTION
DE CORRUPTION
L’article L.152-6 CT, réprimant la corruption de salarié, oblige,
comme dans les cas de corruption publique prévus et réprimés aux
articles 432-11 et 433-1 du Code pénal, que soit démontré l’accord
de corruption entre les deux protagonistes de l’affaire (corrupteur et
corrompu), ce que l’on nomme communément le « pacte de
corruption ». Il est nécessaire, en outre, de démontrer son antériorité
par rapport à l’action ou l’abstention du corrompu au profit du corrupteur. Le pacte de corruption est une sorte de contrat délictueux
passé entre le corrupteur et le corrompu, directement ou par le jeu
d’intermédiaires, par lequel ceux-ci s’entendent sur le contenu de
leurs engagements réciproques. Pour le corrupteur, il s’agit généralement de promettre au corrompu la remise d’une somme d’argent,
mais tout autre avantage ayant une valeur pécuniaire peut entrer
dans le schéma pénal de la corruption. Pour le corrompu, l’engagement consiste à réaliser, par action ou par abstention, ce que lui a
demandé le corrupteur.
Il est en outre juridiquement nécessaire de démontrer que ce
pacte de corruption est le fruit d’un accord antérieur à l’action ou
l’abstention du corrompu au profit du corrupteur. Cette antériorité du
pacte est toujours analysée par la Cour de Cassation comme un élément constitutif de l’infraction de corruption, sauf cas avéré d’infractions de corruption répétitives entre deux mêmes acteurs. L’habitude
est alors un élément de présomption de l’antériorité du pacte, le corrompu sachant, par la répétition des actes malveillants qu’il commet
au profit du corrupteur, qu’il fait systématiquement l’objet d’une
rémunération compensatrice. Il faut encore, pour poursuivre juridiquement la corruption, que l’acte délictueux qui la caractérise ne soit
pas prescrit. La corruption étant classée dans la rubrique des délits, la
prescription de l’action publique est de trois ans à compter du jour
qui la matérialise (c’est-à-dire, à compter de l’action ou de l’abstention du corrompu ou de la remise par le corrupteur de l’avantage promis au corrompu).
On sait par expérience que ce délai de trois années de prescription est très court et qu’il paralyse généralement les possibilités
de poursuites sur la base de cette qualification pénale (d’où les fréquentes poursuites en ce domaine sous les qualifications d’abus de
biens sociaux et de recel d’abus de biens sociaux). La raison en est
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
essentiellement que l’infraction de corruption est une infraction dite
« occulte » et donc difficilement détectable. Ces paramètres juridiques préalables étant posés, il convient à présent d’examiner le problème de la matérialité de l’acte de corruption et de l’avantage mercantile nécessaire pour la caractériser.
LA MATÉRIALITÉ DE L’ACTE
DE CORRUPTION
L’acte de corruption de la part du corrompu recouvre une décision
prise personnellement et au regard de sa sphère personnelle de compétence. Cet acte est le plus souvent l’expression d’une décision
(choix d’un candidat à un marché public, choix d’une ville candidate
à l’organisation d’une grande compétition sportive) ou le fruit d’une
abstention coupable consistant à laisser passer un délai de recours
dans le cadre d’un contentieux, à omettre de délibérer dans le délai
imparti afin de rendre caduque une procédure de choix d’un candidat à une quelconque sélection, par exemple.
Il est délicat d’établir la matérialité d’un acte de corruption au
cours d’un événement sportif. Il est, en effet, très difficile de démontrer qu’un athlète corrompu commet ou a commis, dans l’exercice de
son activité sportive, l’acte de corruption pour lequel il a reçu une
gratification quelconque. Le sportif est, par définition, soumis non à
une obligation de résultat mais de moyen. Il est certes incité par son
encadrement technique au meilleur résultat possible, mais les paramètres pour y réussir sont soumis à différents aléas basés à la fois sur
l’athlète lui-même (performance technique et physique) et sur la
valeur de son ou ses adversaires. Si un athlète, aussi brillant soit-il
dans l’exercice habituel de sa discipline sportive, se trouve à l’occasion d’une compétition un peu ou très en deçà de ses performances,
il est très difficile d’en tirer des conclusions quant à une éventuelle
pratique de corruption, sachant que les baisses de forme ou les fautes
d’inattention font partie intégrante de l’activité sportive. Ce sont
d’ailleurs ces aléas inhérents à l’acte sportif lui-même qui rendent si
captivant le spectacle sportif. À supposer que cet aléa soit commandé
par la corruption, nous nous trouvons matériellement face à deux
attitudes possibles caractérisant juridiquement l’infraction : l’action
ou l’abstention coupables. L’action consiste à commettre sciemment
une faute de jeu pour provoquer une réaction arbitrale très défavorable à sa propre équipe, l’abstention se résumant à « laisser passer les
occasions » par manque de dynamisme physique apparent ou par
faute d’attention et de justesse technique. Mais ces « bévues » ne suffisent pas à caractériser, à elles seules, la corruption. Ces défaillances
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CORRUPTEURS, CORROMPUS
281
ne peuvent que faire naître une suspicion qu’il reste à confirmer ou à
infirmer en s’attachant à rechercher l’avantage octroyé par un corrupteur potentiel au corrompu éventuel.
LES FLUX FINANCIERS
DE LA CORRUPTION
Aujourd’hui, que l’on se place sous l’angle de la corruption publique
ou privée, il est particulièrement difficile d’apporter la preuve d’un
flux financier à caractère corrupteur. Cette difficulté résulte de deux
évolutions marquantes : d’une part, la mondialisation de l’économie
et son corollaire, la libre circulation des capitaux ; d’autre part, le
caractère de plus en plus immatériel des prestations servant de support à un flux financier dont la valeur intrinsèque est, de fait, très difficile à apprécier.
L’un des problèmes majeurs auquel la police judiciaire et la
justice se trouvent aujourd’hui confrontées dans les enquêtes de corruption (où il est nécessaire d’apporter la preuve de l’avantage le plus
souvent financier transmis par le corrupteur au corrompu) réside
dans la mise à jour de la « traçabilité » des fonds suspects. En effet,
certains pays dits offshore présentent un attrait considérable pour le
placement de capitaux et tout particulièrement de capitaux illicites,
dans la mesure où leur législation offre une quasi-défiscalisation de
leurs revenus et une garantie très efficace du secret bancaire. Ces
pays, qui ne connaissent pas ou très peu l’impôt direct (impôt sur le
revenu des personnes physiques, impôt sur le bénéfice des sociétés
commerciales, impôt en matière de succession), tirent argument de
cette position juridique de nature fiscale pour refuser de signer avec
les pays à taux d’imposition plus élevés des conventions d’assistance
fiscale et judiciaire. Aussi, le principe, de plus en plus reconnu au
niveau international, de la liberté de circulation transfrontière des
capitaux est-il en inadéquation avec celui de la souveraineté juridique des États. Cette situation est bien évidemment génératrice de
nombreuses déviances car elle paralyse la nécessaire transparence
qui doit entourer la circulation des flux financiers. Cette notion de
transparence est d’ailleurs celle qui est reprise dans la loi du
29 janvier 1993 dite « loi anticorruption ».
Des organisations internationales se sont impliquées dans la
lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent sale. L’Organisation du commerce et du développement économique (OCDE), le
Conseil de l’Europe et l’Organisation des Nations unies (ONU)
comptent, notamment, parmi celles-ci. Des conventions ont été éta-
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
blies, d’autres sont en gestation, mais le constat est pour l’heure que
le décalage entre l’économique et le juridique est particulièrement
flagrant. Dès lors, si des sommes à finalité corruptrice quittent
l’espace national, il est particulièrement difficile de les suivre dans
les pays étrangers à fiscalité réduite et à secret bancaire, le plus souvent, érigé au rang d’intérêt national. Or, faute pour les enquêteurs
d’établir le ou les bénéficiaires de flux suspects, l’élément constitutif
fondamental de l’infraction de corruption ne peut être mis en évidence. En effet, pour établir l’infraction de corruption, il faut à la fois
identifier le flux corrupteur et le compte du bénéficiaire corrompu.
Généralement, ce second élément n’est que l’aboutissement de la
recherche du premier.
En définitive, la rémunération du corrompu via des virements
bancaires étrangers sécurise plus encore l’acte de corruption que le
versement en espèces, dans la mesure où ces dernières trouvées en
possession d’un corrompu présumé ont pour effet de renverser la
charge de la preuve (comme dans le cas de « l’affaire Olympique de
Marseille/Valenciennes », par exemple) alors que le virement bancaire rémunérateur à l’étranger n’est qu’un simple jeu d’écriture inaccessible, dans la plupart des cas, à toutes investigations. Il est, en
effet, d’autant moins aisé d’identifier les flux financiers suspects que
le sport brasse aujourd’hui des sommes d’argent considérables et,
principalement, dans des secteurs économiques liés à des prestations
immatérielles. C’est le cas, notamment, de la publicité, des droits de
retransmission radio/télévision, des droits à l’image, du « marchandisage », mais aussi des sommes versées au titre des transferts de sportifs professionnels, voire au titre des options sur ces mêmes sportifs.
La difficulté rencontrée alors par les enquêteurs tient à la quasiimpossibilité d’en établir l’exécution effective et, par là même, de
mesurer la valeur dite « de transfert ».
La publicité
La publicité fait, aujourd’hui, partie intégrante du domaine sportif à
tel point qu’une interactivité semble s’opérer entre ces deux
phénomènes : le sport dégage une image positive que le publicitaire
va utiliser comme vecteur du produit qu’il a en charge de médiatiser.
Cette médiatisation est décuplée grâce à la couverture télévisuelle
des grandes compétitions sportives nationales et internationales.
Chacun peut, au regard des chiffres avancés par la presse spécialisée
à l’occasion de ces grandes compétitions, imaginer le volume
d’argent brassé par les clubs, ou entités sportives, au titre des droits
d’affichage publicitaire dans les enceintes sportives et sur les sportifs
eux-mêmes. Ceux-ci atteignent des montants considérables et circu-
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CORRUPTEURS, CORROMPUS
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lent en outre à travers toute la planète, venant télescoper l’attrait
(évoqué plus haut) des placements dans les paradis fiscaux. Ces prestations à caractère publicitaire sont très difficiles à évaluer dans leur
effectivité et peuvent donc être source de flux financiers à finalité
corruptrice. La loi du 29 janvier 1993 consacre d’ailleurs plusieurs
articles au commerce publicitaire et a souhaité, dans un souci de
plus grande transparence, réduire le risque d’une telle déviance.
Les droits de retransmission radio/TV
Un deuxième domaine, lié par bien des égards à la publicité, est
celui des droits de retransmission radio/télévision versés à l’occasion
d’événements sportifs. Ils atteignent, là encore, des sommes considérables, dans la mesure où le spectacle sportif, qui garantit le plus souvent un audimat important, permet aux grands médias (surtout télévisuels) de rentabiliser les coupures publicitaires qui accompagnent
ces retransmissions. La traçabilité des flux versés au titre de ces droits
de retransmission demeure floue, surtout lorsqu’ils sont versés à
l’étranger et hors de portée de tout contrôle fiscal ou judiciaire.
Les droits à l’image
Un troisième domaine échappe, partiellement, à la transparence :
celui des droits à l’image. Les acteurs sportifs, sur le modèle des
acteurs de cinéma et du show-business, sont devenus des vedettes
entendant gérer leur image comme des artistes. Les flux financiers qui
découlent de ces droits peuvent atteindre, là encore, des sommes
considérables. Virées le plus souvent sur des comptes à l’étranger,
elles assurent une confidentialité certaine à la fois sur l’exhaustivité
de leur montant et la réalité de leur support.
Le « marchandisage »
Le marchandisage est l’appellation donnée à la commercialisation
des articles divers, le plus souvent textiles, supportant le logo d’une
manifestation sportive, d’un club sportif ou d’un pays. Les clubs de
football, tout particulièrement en Europe et plus spécifiquement en
Grande-Bretagne et en Italie, sont réputés pour le commerce de tels
produits. Fabriqués pour la plupart en Asie, à des coûts de production très modiques, importés et voyant leur valeur initiale multipliée
par 10, 20 ou 30 par la simple imposition d’une griffe, d’un dessin ou
d’un logo, ils dégagent des marges bénéficiaires très importantes. À
nouveau, la traçabilité des flux liés à ces transferts de marchandises
et aux marges bénéficiaires qui découlent de leur commercialisation
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
n’est pas évidente à dresser. Plus encore, l’autorisation de commercialisation de ces produits par différents partenaires commerciaux
donne lieu à versement de droits portant le nom de « licences » (à
l’exportation et à la distribution). Le paiement de ces licences n’est
pas, lui non plus, d’une totale transparence dans son exhaustivité et
son affectation réelle.
Les transferts de joueurs
Un volume d’argent considérable est consacré aux transferts sportifs.
Il est d’ailleurs très difficile d’en connaître le montant exact, car la
transparence n’est pas de mise dans ce type d’opération. De fait, ces
opérations de transferts permettent de sortir de la trésorerie d’un club
au profit d’un autre les sommes contractuellement prévues. Il y a
ainsi, sur un plan formel, une exacte concordance entre la facturation
et le décaissement. La manipulation possible se situe à un autre
niveau : l’affectation effective des fonds au profit du bénéficiaire de
la prestation. Pour s’en assurer, il convient de vérifier si, sur le plan
bancaire, l’intégralité des fonds ont été effectivement virés sur le ou
les comptes du club vendeur. Cette opération de traçabilité des flux
dans un cadre procédural adapté à ce type d’investigation ne pose
aucun problème lorsque le ou les comptes bancaires du bénéficiaire
se trouvent sur le territoire national. Il n’en est pas de même lorsqu’ils
sont virés sur un ou des comptes de pays à fiscalité réduite et au
secret bancaire très hermétique. Un certain nombre d’enquêtes réalisées depuis quelques années, notamment sur de grands clubs de football en France et en Europe, ont permis d’établir des manipulations
financières, mais là encore de grandes difficultés entravent l’accès à
l’intégralité des pièces comptables et bancaires.
Les options prises sur les joueurs
Enfin, une dernière source de flux financiers suspects peut être
avancée : les options prises sur les jeunes joueurs les plus prometteurs. L’option faisant l’objet d’un contrat entre le joueur (ou ses
représentants légaux), le club et « l’acheteur », prévoit un transfert et
justifie la sortie de fonds des caisses du club auteur de l’option. Il est
alors parfois surprenant de constater que l’argent versé au titre de
cette option ne s’est pas concrétisé, à l’échéance prévue, par un
transfert et qu’aucun acte juridique n’est venu solder l’opération.
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CORRUPTEURS, CORROMPUS
285
CORRUPTION ET DOPAGE
Ainsi cette liste non-exhaustive d’actes de commerce permet-elle de
cerner la source de différentes manipulations financières susceptibles
d’habiller, sous l’angle du formalisme comptable, des actes à finalité
délictuelle. Les flux ainsi dégagés servent à alimenter le plus souvent
une « caisse noire » à l’étranger qui est utilisée, le moment venu,
pour commettre des fraudes de nature fiscale ou des infractions. À la
corruption peut alors s’ajouter le dopage, qui n’est d’ailleurs qu’une
forme chimique et scientifique de corruption. Le produit dopant
coûte cher et les « conseillers en dopage » tout autant, voire plus. Si
l’argent, base indispensable au dopage, est déjà à disposition du club
ou du sportif dans un pays étranger à l’abri des contrôles financiers
de toute sorte, c’est un avantage décisif dans la décision du recours
au dopage. Il permet d’acquérir le produit avec le maximum de
garanties quant à l’origine de son financement et de rémunérer les
meilleurs spécialistes nationaux ou internationaux en la matière afin
de préserver, comme pour la corruption, la non traçabilité du produit
chimique dans l’organisme soumis à contrôle. Reste alors à trouver le
sportif à l’éthique la plus « souple » possible qui accepte la proposition corruptrice. Le « relationnel » joue alors beaucoup (par la technique des réseaux), les intermédiaires en tout genre étant indispensables pour estimer le « degré de corruptibilité » de tel ou tel acteur
sportif. Le terme « d’acteur sportif » est utilisé à dessein dans la
mesure où il exprime l’idée que ce ne sont pas seulement les sportifs
eux-mêmes qui sont visés par la corruption mais également ceux que
nous pouvons appeler « les collatéraux du spectacle sportif » : à
savoir les juges ou les arbitres, ainsi que les conseillers techniques ou
les entraîneurs des athlètes.
LES RÔLE DES « COLLATÉRAUX »
DANS L’ACTE DE CORRUPTION
Les arbitres et les juges des activités sportives ont quasiment tous un
statut amateur, au moins en Europe. Cela signifie, par définition, que
leur activité dans le cadre sportif n’est qu’accessoire par rapport à
leur activité professionnelle. En dehors de quelques indemnités dites
« de déplacement » et de quelques gratifications compensatrices versées par la fédération de tutelle, le juge ou l’arbitre ne peut tirer de sa
contribution au fonctionnement du monde sportif un revenu lui permettant de vivre décemment. Ce statut amateur, intervenant dans un
environnement de plus en plus affairiste, peut sembler perméable à la
corruption. En effet, la compromission d’un acteur aussi important
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SPORT ET ORDRE PUBLIC
qu’un juge ou un arbitre dans le déroulement d’une compétition et
de son résultat peut paraître, dans ces conditions, relativement aisée
pour un corrupteur potentiel. La tentation pour le juge ou l’arbitre risque alors d’être très grande, au regard de l’importance de la somme
pouvant être proposée. De plus, le risque d’être découvert est potentiellement très faible. Et à supposer qu’une telle corruption soit mise à
jour, ce n’est que l’activité annexe de ce juge ou de cet arbitre qui
s’arrêtera. Enfin, il est permis de penser que le risque de corruption
est à son paroxysme lorsque cet arbitre ou ce juge est un ressortissant
d’un pays économiquement faible et, par ailleurs, plus ou moins
laxiste en matière de lutte contre la corruption. Un statut professionnel organisé par les instances internationales des disciplines sportives
les plus médiatiques aurait pour avantage de cadrer juridiquement
l’activité d’un corps arbitral de plus en plus sollicité techniquement
et physiquement, mais aussi de donner à ses membres une rémunération en corrélation avec la qualité de leurs prestations.
L’environnement technique d’un athlète est lui aussi sujet à
des tentations illégales. Un sportif a, en théorie, une grande confiance dans son encadrement. Et ses conseillers techniques ou entraîneurs exercent sur lui un ascendant psychologique et matériel important. Au regard de l’ensemble de ces paramètres, nous pouvons
considérer, dans le cadre d’une « analyse de risque », que la corruption d’un membre du « staff » technique d’un athlète a une influence
plus que certaine sur celui-ci. S’il est « conseillé » au sportif, par son
entraîneur, de « lever le pied » celui-ci se trouvera en position très
délicate s’il refuse de s’exécuter. À supposer qu’il s’y oppose, le risque de représailles, habillées sous des considérations techniques,
n’est pas à écarter.
*
*
*
À l’issue de cet article sur l’environnement économico-financier actuel des activités sportives, nous pouvons en déduire que les
facteurs de risques de corruption sont réels car la transparence des
activités commerciales et financières du sport n’existe que de façon
très partielle. Le sport, au-delà du facteur d’épanouissement qu’il
peut représenter, doit également être perçu et analysé comme une
activité économique à part entière. Son environnement international
et le caractère parfois irrationnel du spectacle sportif le rendent structurellement très vulnérable. Il est, dès lors, important que l’éthique
sportive soit sans cesse entretenue car elle constitue, faute de mieux,
le meilleur rempart à toutes formes de déviances sportives et parasportives.
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CORRUPTEURS, CORROMPUS
Références bibliographiques
287
DUVAL Didier, « Les abus de biens sociaux : enjeux de Société ou de
société ? », Entreprise éthique, n° 7, 7 octobre 1997, p. 41-51.
DUVAL Didier, « La corruption et le réseau bancaire », Rapport moral
sur l’argent dans le monde, Caisse des dépôts et consignations,
1998, p. 101-107.
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CONCLUSION
289
CONCLUSION : DOPAGE
SPORTIF ET RECOMPOSITION
DES POUVOIRS
DE CONTRÔLE. JALONS
POUR UNE RECHERCHE
EN COURS
■
Jean-Charles BASSON
■
Jérôme FERRET
■
Catherine LOUVEAU
■
Anne-Marie WASER
Nous ne pouvons clore cet ouvrage sans évoquer le cas du
dopage tant il semble aujourd’hui incarner le point d’intersection
entre le sport et l’ordre public. S’il affleure dans certaines contributions présentées précédemment, il ne fait pas l’objet d’un développement propre. La raison en est simple : d’une part, il convient sans
doute en la matière de se défaire de l’emprise de l’actualité directe ;
d’autre part, un tel objet semble appeler une recherche en soi. Telle
est d’ailleurs notre ambition, résumée dans la problématique qui suit.
DOPAGE SPORTIF
ET STRATÉGIES D’OCCULTATION
Phénomène ancien, parfois inhérent à l’histoire de certaines pratiques et disciplines sportives (le cyclisme, par exemple), le dopage a
longtemps été nié en dépit des nombreuses et accablantes évidences.
La nature du sport semblait, de fait, interdire le recours à toute espèce
de substituts et d’interventions diverses susceptibles de peser sur sa
« glorieuse incertitude » et sur le principe d’égalité régissant les compétitions. Mettre à jour et divulguer des cas avérés de dopage revenait
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290
SPORT ET ORDRE PUBLIC
alors à saper les fondements même du sport, et ceux qui – appartenant
au mouvement sportif, aux milieux médicaux ou à la sphère médiatique – étaient tentés de se livrer à cet exercice risquaient le « bannissement professionnel ». En dernier recours, si un sportif était indubitablement reconnu comme dopé, il était toujours possible d’invoquer
l’exception pitoyable, l’entorse inqualifiable à l’universalité de l’éthique sportive…
Si ce type de comportement est encore largement partagé dans
l’ensemble du mouvement sportif (tout sportif dopé est considéré
comme sain tant qu’il n’a pas été convaincu de dopage), la donne a
évolué depuis quelques années. En effet, la multiplication et la généralisation à toutes les disciplines sportives des cas de dopage, associées à la difficulté de plus en plus évidente à les masquer (le Tour de
France 1998 est à ce titre symptomatique), semblent donner jour à
deux nouveaux types de réactions, apparaissant comme autant de
parades propres à voiler la réalité. L’alternative est la suivante : soit
on verse dans la tentation du fait divers consistant, par exemple, à
insister sur le caractère crapuleux de l’activité de tel « vrai-faux
médecin » ou à déplorer la mort subite, inexpliquée et fatalement
prématurée de tel ou tel ancien (et encore très jeune) sportif de haut
niveau ; soit on délaisse les cas individuels au profit du macro-sociologique et on met en exergue le problème de santé publique que
constitue le recours généralisé au dopage.
De nombreux témoignages, aveux et « enquêtes » alimentent la
première option1. Des travaux de recherche privilégiant une approche
clinique, chimique ou épidémiologique nourrissent la seconde2. Par
ailleurs, certaines analyses anthropo-sociologiques semblent conforter
cette dernière option en mettant l’accent sur l’émergence de « pratiques de dopage quotidien et ordinaire » suivies par des acteurs sociaux
soucieux de « se dépasser » dans leur environnement professionnel ou
au sein de leur groupe d’appartenance : c’est « la singularisation de
l’individu quelconque » qui se jouerait là3. Tantôt flirtant avec le sensationnel au prix d’une personnalisation d’un phénomène pourtant
global ; tantôt tenté de prophétiser une forme de « dégénérescence
sanitaire » alliant le dopage à l’ensemble des drogues et psychotropes
1. Les suites du Tour de France 1998 et de « l’affaire Festina » voient fleurir les livres racoleurs. À
titre d’exemple, Nicolas Guillon, Jean-François Quénet, Un cyclone nommé dopage, les secrets du
dossier Festina, Paris, Solar, 1999 ; Erwann Menthéour, Secret défonce, ma vérité sur le dopage,
Paris, Jean-Claude Lattès, 1999 ; Willy Voet, Massacre à la chaîne, révélations sur 30 ans de tricheries, Paris, Calman-Lévy, 1999.
2. Basé sur une perspective historique, le livre de Patrick Laure (Le dopage, Paris, PUF, 1995)
compte parmi les plus sérieux.
3. Nous pensons plus particulièrement à : Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991 ; David Le Breton, La sociologie du risque, Paris, PUF, 1995.
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CONCLUSION
291
de toute sorte1 – quand l’analogie n’est pas faite avec les autres dangers contemporains que sont le SIDA, le sang contaminé, la vache
folle, les organismes génétiquement modifiés et autre poulet à la
dioxine… –, les deux lectures répertoriées laissent l’essentiel dans
l’ombre.
DOPAGE SPORTIF ET ORDRE PUBLIC
En effet, les motifs de la résurgence actuelle de la question du dopage
sportif et de son traitement sont ailleurs. Nous formulons l’hypothèse
que ce sont des enjeux d’affirmation et de garantie de l’ordre public
qui expliquent le regain d’intérêt présent pour cette question. La
compréhension des nouvelles réalités du dopage et de leurs incidences sur la société française implique un retour sur l’histoire afin de
tenter de qualifier la façon dont les sportifs ont construit leur rapport
à la performance et aux institutions qui ont la charge de la production et du contrôle du sport de haut niveau. Dans le cas français
(mais on pourrait citer d’autres exemples plus symptomatiques
encore), l’État est en première ligne. Élément constitutif de la culture
et de l’identité nationale, le sport jouit d’une sorte d’impunité qui voit
le dopage, sinon favorisé, du moins banalisé : ne sert-il pas la bonne
cause ?
Pourtant, si cette justification par défaut permet de fermer les
yeux, elle interpelle également les pouvoirs publics dans la mesure
où le lien est fort, en France, entre sport et service public. De telle
façon que la circulation de produits illicites dans les structures reconnues et largement subventionnées par l’État ou par les collectivités
territoriales pose la question du rapport que les sportifs entretiennent
aux normes et aux règles. Plus que la faillite d’une éthique et d’un
ordre moral sacralisé – que l’État entretient contre vents et marées
avec quelques succès : le discours sur la France plurielle, colorée et
victorieuse lors de la dernière Coupe du monde de football est
encore dans tous les esprits –, le dopage sportif atteste d’une remise
en cause de l’ordre public : contraire aux règles du sport, et de surcroît illicite, il devient acceptable, affaire d’opportunité et, au bout
du compte, enviable.
1. Il est maintenant admis que le dopage s’inscrit dans le champ d’étude général des toxicomanies : nouvel espace intermédiaire de consommation de drogue, facteur de confusion entre les
pratiques visant à se soigner et celles consistant à se droguer, le dopage reproduit également le
mode d’organisation régissant d’économie souterraine de la drogue (laboratoires clandestins de
production, filières d’approvisionnement, trafic, réseaux d’écoulement de la marchandise, dealers,
accointances parmi les milieux délinquants ou criminels, pratiques de pluri-consommation, dépendance…).
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292
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Il est en effet tentant, dans un contexte d’évanouissement des
principes d’autorité et des lignes de frontière entre le permis et l’interdit, de voir dans le sport un lieu par lequel se fragilise le rapport à la
règle, et pour tout dire à la loi. L’acceptation sociale, et à terme la légitimation, du dopage sportif dépasse largement cet univers et atteste,
par l’exemple, de la perméabilité d’un système de contraintes connaissant des failles évidentes. Pourquoi, aux yeux des jeunes en particulier,
en irait-il autrement d’autres domaines plus sensibles que le sport ? Le
risque de contagion existe dans l’esprit des pouvoirs publics.
Mais, si le problème du dopage est aujourd’hui plus volontiers
abordé sous l’angle de son rapport à la loi que comme facteur perturbant de la santé publique ou comme perversion de la compétition
sportive, c’est que sa formulation est d’abord et avant tout le produit
d’un jeu d’acteurs divers entretenant des formes de régulation complexes, variables dans le temps et dans l’espace.
DOPAGE SPORTIF
ET RECOMPOSITION
DES POUVOIRS DE CONTRÔLE
Nous proposons, en effet, de montrer que l’actualité du dopage sportif résulte d’une recomposition de différents pouvoirs de contrôle.
Pour ce faire, nous faisons l’hypothèse que ces derniers sont historiquement, et chronologiquement, au nombre de trois : le mouvement
sportif, le corps médical et les pouvoirs publics représentés par ses
instances répressives. Si l’histoire atteste la complexité de leur rapport – les jeux d’alliance, de concurrence, de conflit, de rupture, de
repositionnement, de confusion des rôles entre ces trois principaux
pouvoirs intervenant dans le domaine du sport rythment l’histoire du
dopage, du caractère dangereux qu’on lui confère et du traitement
qu’on lui réserve –, il est des périodes où une des trois sources de
légitimité de lutte contre le dopage prime sur les deux autres. Un tel
schéma interprétatif a notamment pour avantage de permettre de
répondre à la seule question qui vaille : pourquoi, sachant que le
dopage est connu de longue date, la crise éclate-t-elle aujourd’hui ?
Le pouvoir sportif
Instance de régulation de la vie sportive, le pouvoir sportif n’avait
naturellement pas intérêt à voir révéler les pratiques de consommation des produits dopants. Assurant jusqu’à une date récente une forme
d’autorégulation du mouvement sportif, les instances dirigeantes
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CONCLUSION
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étaient, de fait, chargées de minimiser la réalité du dopage et de tenter
d’éviter la publicité du phénomène : rôle ingrat que nulle autre institution n’entendait lui contester, préférant ne pas savoir. Mais l’ampleur
des pratiques de dopage dans le monde sportif, la banalisation et
l’acceptation par le grand public de la prise de produits illicites posent
aujourd’hui la question de la légitimité du pouvoir sportif et illustrent,
en partie, sa faillite. De deux choses l’une : soit, il remplit la fonction
qui lui revient et il parvient à endiguer les révélations et la mise au jour
du système du dopage ; soit, il échoue et toute autre tentative est vaine
dans la mesure où elle implique, à terme, l’introduction d’un élément
étranger (le médecin, le juge…) à la régulation interne.
En effet, le propre du pouvoir sportif est de cumuler dans une
seule main le droit de dire la règle, de contrôler les infractions éventuelles et de les sanctionner. Une telle posture n’est tolérable que
dans la mesure où elle est propre à un univers clos, situé en quelque
sorte en retrait de la société civile. Dès lors qu’un « problème
professionnel » tel que le dopage sort des arènes du sport pour devenir une question sociale, le pouvoir sportif est incompétent pour le
traiter. L’autorité fédérale affaiblie est alors tentée de faire appel à un
substitut qu’elle côtoie de longue date : le médecin.
Le pouvoir médical
Le statut du médecin évoluant dans le mouvement sportif est si complexe qu’il fait, sans doute, de lui la figure centrale de l’histoire du
dopage. Il jouit, en premier lieu, de cette liberté de pouvoir se présenter tantôt comme lié au pouvoir sportif (il travaille pour une
équipe, pour une fédération, dans un laboratoire placé sous contrôle…), tantôt comme indépendant de ce dernier (il n’est guidé que
par la science, il est contraint par le secret médical, il agit en conformité avec l’Ordre des médecins…). Cette posture lui permet de jouer
sur de nombreux tableaux et l’autorise, en dernier recours, à asseoir
sa légitimité sur des compétences et une indépendance garanties par
son extériorité. Or, les faits sont nombreux qui attestent de la connivence entretenue entre les médecins et les dirigeants du pouvoir
sportif : ils sont aux origines de l’encadrement du mouvement sportif
(contestant, à l’époque, successivement la tutelle militaire puis
scolaire) ; le secret médical leur permet de s’assurer du contrôle de la
circulation des informations (dossier médical des athlètes, réseau de
distribution parallèle des produits interdits…) ; ils interviennent encore
à tous les échelons de la chaîne du dopage : ils fabriquent, prescrivent, pourvoient, écoulent, vendent… et sanctionnent.
Véritables entrepreneurs de morale, les médecins ont définitivement assuré leur légitimité à intervenir sur le champ sportif en fai-
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294
SPORT ET ORDRE PUBLIC
sant du dopage un problème de santé publique. Ainsi ont-ils réussi à
imposer leur point de vue sur la question du dopage (définition, instruments de mesure, moyens de lutte, politiques de prévention…) et
sont-ils parvenus à occuper une place centrale dans les agences
« indépendantes » de lutte contre ce phénomène au sein desquelles,
il leur revient de dire la loi, au nom de la science. Enfin, ils assurent
également des passerelles avec les pouvoirs publics.
Les pouvoirs publics
La perte de l’autonomie relative du mouvement sportif profite en premier lieu aux pouvoirs publics qui jusque-là restaient en retrait. C’est
ainsi que par le jeu, notamment, des subventions accordées aux seules fédérations agréées, l’État transforme petit à petit des activités qui
relevaient de la sphère privée en des activités qu’il reconnaît d’utilité
publique. De même, en faisant du dopage une forme d’atteinte à
l’ordre public, les pouvoirs publics contribuent à assurer leur prédominance sur un secteur qui bénéficie encore d’une sorte de « régime
d’exception ». À ce titre, il est intéressant de constater que le mouvement sportif présentant jusqu’alors peu d’intérêt immédiat a été investi,
en premier lieu, par les douanes ; un corps professionnel traversant
une crise d’identité – ouverture des frontières européennes oblige – et
qui a trouvé là l’occasion de se relégitimer, de se donner à voir du
point de vue médiatique et de s’assurer de nouvelles prérogatives.
Mais les acteurs publics pénétrant le champ de sport sont nombreux et d’origine professionnelle diverse : les douanes certes, la police
judiciaire, les polices spécialisées ou la justice contribuent, chacune à
leur manière, à modeler un nouveau mode d’intervention publique correspondant à leur culture d’origine et suscitant des réactions parfois
outrées de sportifs s’estimant, visiblement, au-dessus des lois.
*
*
*
Au-delà des particularismes professionnels, il s’agit d’estimer si
nous sommes face à un mouvement de fond visant à dessiner une action
publique de lutte contre le dopage se jouant des carences du pouvoir
sportif et des duplicités du corps médical. Tout semble, en effet, se passer
comme si se mettait en place un processus de codification de l’action
publique qui, d’une part, ne pourrait plus se satisfaire de la gestion aléatoire assurée en interne par le mouvement sportif lui-même et qui, d’autre
part, estimerait que la simple évocation des enjeux de santé publique
passe par pertes et profits certains délits commis au nom du sport.
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■ Jean-Charles BASSON
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avec la collaboration de
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Cette bibliographie ne prétend pas à l’exhaustivité. Elle est,
d’une part, constituée d’une sélection de références publiées dans
Sociétés et Représentations (« Football et sociétés », n° 7, décembre
1998, pp. 421-446) et, d’autre part, actualisée et enrichie de travaux
portant principalement sur le sport et l’ordre public. Elle couvre les
livres, articles et thèses parus après 1980, pour l’essentiel, et traitant
des questions abordées dans le présent ouvrage sans reprendre les
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2248_28_SITES Page 305 Lundi, 14. mai 2001 2:45 14
SITES INTERNET
305
SITES INTERNET
■
Anne-Marie WASER
■
Jérôme FERRET
Cette liste est constituée d’une sélection de sites spécialisés sur
le sport et les déviances qui lui sont liées. Institutions gouvernementales et instances internationales d’une part, bibliothèques, centres de
recherche et librairies d’autre part, constituent, en effet, autant de
sources d’informations à investiguer.
Institutions gouvernementales
et instances internationales
Comité International Olympique
http ://www.olympic.org/
Ministère de la Jeunesse et des Sports
http ://www.jeunesse-sports.gouv.fr/
European monitoring center for drugs and drugs addiction
http :www.emcdda.org
Centre de toxicomanie du gouvernement basque espagnol
http ://www.euskadi.net/
Bibliothèques et centres de recherche
The Library of congres
http ://lcweb.loc.gov/
Catalogue des bibliothèques francophones
http ://enssib.fr
Les bibliothèques d’Europe
http ://minos.bl.uk/gabriel/fr/welcome.html/
Bibliothèque nationale de France
http ://bnf.fr
British Library
http ://www.bl.uk
2248_28_SITES Page 306 Lundi, 14. mai 2001 2:45 14
306
SPORT ET ORDRE PUBLIC
Université Pierre Mendès France de Grenoble
http ://www.dodge.upmf-grenoble.fr
Institut national du sport et de l’éducation physique
http ://www.online.fr/insep/welcom.html
Centre de droit et d’économie du sport de Limoges
http ://www.unilim.fr/cdes/index.html
British Society of sports history
http ://www.umist.ac.uk/UMIST-Sport/index2.html
International Sports Sciences Associations
http ://www.issaonline.com/
Sport Information Resource Centre SIRC
http ://www.sirc.ca
Sport Discus
http ://www.sportdiscus.com/
Sport Quest
http ://www.sportquest.com
Librairies
FNAC
http ://www.fnac.fr/
Sport Pages
http ://www.sportpages.co.uk
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LES AUTEURS
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LES AUTEURS
Lionel ARNAUD est docteur en STAPS et diplômé de l’Institut d’études politiques de Grenoble. Nommé maître de conférences en sociologie au département « Carrières Sociales » de l’IUT de Rennes
depuis le 1er septembre 1999, il travaillait auparavant au Centre de
recherche et d’innovation sur le sport (CRIS) de l’université Lyon 1 et
au Departement of Leisure Management de l’Université de Loughborough. Il a publié Politiques sportives et minorités ethniques, Paris,
L’Harmattan, 1999, et en collaboration avec Jean-Pierre Augustin,
« L’État et le sport. Construction et transformation d’un service
public », in Le sport, Paris, La Documentation française, 1999.
Adresse : Lionel Arnaud c/o IUT de Rennes, Département « Carrières
Sociales », Campus de Beaulieu, Rue du Clos Courtel, BP 1144,
35014 Rennes Cedex 7.
Tél. : 33 (0) 2 99 84 41 66 – Fax : 33 (0) 2 99 84 40 91
Jean-Charles BASSON est depuis 1998, maître de conférences et
chercheur au Centre d’études des transformations des activités physiques et sportives (CETAPS) de la faculté des sciences du sport de
l’université de Rouen. Il y anime le séminaire « Sport et ordre
public » du DESS « Marketing et management du sport professionnel ». Par ailleurs, docteur en science politique de l’Institut d’études
politiques de l’université Pierre Mendès France de Grenoble (sa
thèse Le tarissement du militantisme est à paraître aux éditions
L’Harmattan), il est, depuis 1990, chercheur associé au Centre de
recherche sur le politique, l’administration, la ville et le territoire
(CERAT) de cette université. Il est également, depuis 1998, chercheur associé au Centre d’étude et de recherche sur la police
(CERP) de l’Institut d’études politiques de Toulouse où il intervient
dans le cadre du DESS « Sécurité, police, société ». Enfin, chargé de
recherche à l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure
(IHESI) de 1997 à 1998, ses orientations actuelles de recherche portent sur le sport dans son rapport à l’ordre public.
Adresse : 16 rue des Carmélites, 76000 Rouen.
Tél. : 02 35 07 61 22
Jean-François BOURG est chercheur au Centre de droit et d’économie du sport (CDES-CNRS) de l’université de Limoges. Il est auteur et
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308
SPORT ET ORDRE PUBLIC
coauteur de dix ouvrages et de cinquante articles en économie du
sport ainsi que d’une expertise pour le ministère de la Jeunesse et des
Sports et le Conseil de l’Europe.
Adresse : Centre de droit et d’économie du sport, Faculté de droit et
des sciences économiques, 4 place du Présidial, 87031 Limoges
Cedex.
E-mail : jean-franç[email protected]
Pascal CHANTELAT est maître de conférences à l’université Claude
Bernard-Lyon 1 (UFR-STAPS) et membre du Centre de recherche sur
l’innovation et le sport. Ses recherches se situent dans le champ de la
sociologie et de l’économie des organisations sportives.
Adresse : université Claude Bernard, UFR-STAPS, 27-29 boulevard
du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne.
Tél. : 04 72 43 26 91
Jean-Loup CHAPPELET est, depuis 1993, professeur de management
public à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP)
associé à l’université et à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.
Cadre du Comité international olympique de 1982 à 1987, il a eu
l’occasion de connaître de l’intérieur le fonctionnement du mouvement
olympique au début de la présidence Samaranch. Il a assisté, en diverses capacités, à presque tous les Jeux olympiques d’été et d’hiver depuis
ceux de Munich, en 1972, et a donc pu apprécier leur évolution considérable au fil des olympiades. Il a fortement contribué aux deux candidatures de la ville de Sion aux Jeux d’hiver. Il est l’auteur de plusieurs
livres et articles sur l’organisation du système olympique et le management du sport. Il est titulaire d’un doctorat de l’Université de Montpellier et d’un master of science de Cornell University (NY).
Adresse : IDHEAP, Route de la Maladière 21, CH-1022 ChavannesLausanne (Suisse).
E-mail : [email protected]
Manuel COMERON est coordinateur du service Fan-coaching de la
ville de Liège. Il est maître de conférences à l’université de Liège où il
exerce également des fonctions d’assistant et de chercheur au sein du
service de criminologie. Il assure la coordination du « Programme
prévention du hooliganisme » auprès du Forum européen pour la
sécurité urbaine. Il a réalisé plusieurs publications sur le thème du
hooliganisme (notamment Foot et violence, De Boeck, 1995 ; et
Quels supporters pour l’an 2000 ?, Labor, 1997) et organisé plusieurs
colloques et séminaires internationaux sur la gestion du phénomène.
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LES AUTEURS
309
Jacques DEFRANCE est professeur de l’université de Paris X-Nanterre, directeur du laboratoire « Sport et culture » et chercheur au
Centre de sociologie européenne de l’Institut de recherche sur les
sociétés contemporaines (IRESCO-CNRS). Il est, par ailleurs, membre
du comité de rédaction des revues suivantes : Actes de la recherche
en sciences sociales, International review for the sociology of sport et
Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). Il
a publié notamment : L’excellence corporelle. La formation des activités physiques et sportives modernes. 1770-1914, Rennes-Paris,
PUR-STAPS, 1987 et Sociologie du sport, Paris, La Découverte, 1995.
Ses articles portent sur la sociologie de Bourdieu et celle d’Élias, sur
la formation des « voies de salut » par l’activité physique et le sport,
sur l’abstinence d’excitants et la vie au contact de la nature. Enfin, il
a traduit des textes de Norbert Élias et Éric Dunning.
Adresse : 8 rue de Châtillon, 75014 Paris.
Tél. : 01 45 41 59 73
E-mail : [email protected]
Frédéric DIAZ est, depuis 1998, doctorant en science politique de
l’université de Paris X-Nanterre où, sous la direction de Philippe
Robert, il prépare une thèse intitulée Coproduction de la sécurité : un
nouveau mode de régulation sociale. La gestion du risque dans les
espaces privés lors des manifestations sportives et culturelles. Il est,
par ailleurs, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).
Adresse : Forum européen pour la sécurité urbaine, 38 rue Liancourt,
75014 Paris.
Tél. : 01 40 64 49 00
Didier DUVAL est commissaire principal de police, chef de la division de logistique opérationnelle à la Direction centrale de la police
judiciaire (sous-direction des affaires économiques et financières). Il
fut, de 1994 à 1998, chargé de mission dans le service central de prévention de la corruption, placé auprès du Garde des sceaux.
Adresse : Direction centrale de la police judiciaire, sous-direction
des affaires économiques et financières, 101 rue des trois Fontanot,
92000 Nanterre.
Tél. : 01 40 97 82 01 – Fax : 01 40 97 88 59
Jérôme FERRET est chargé de recherche à l’Institut des hautes études
de la sécurité intérieure (IHESI) et chercheur associé au Centre d’étu-
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310
SPORT ET ORDRE PUBLIC
des et de recherches sur la police (CERP) de l’Institut d’études politiques de Toulouse.
Adresse : IHESI, 19, rue Péclet, 75015 Paris.
Tel. : 01 53 68 20 51
E-mail : [email protected]
Andrew JENNINGS est écrivain et journaliste. Il est, notamment
l’auteur de The new lords of the rings. Olympic corruption and how
to buy gold medals, Londres, Pocket Books, 1996, 360 p.
Adresse : 20 Wesley Square, Ladbroke Grove, London, W11.1.TP.
Tel. : 00 44 171 221 34 23 – Fax : 00 44 171 221 17 41
Paul LANDAUER est architecte DPLG. Il est, depuis 1995, chercheur
contractuel au Laboratoire d’histoire d’architecture contemporaine
(LHAC) de l’École d’architecture de Nancy et prépare une thèse de
doctorat sur l’habitat collectif dans les années cinquante à l’université de Paris I. Il a notamment publié sur le thème des rapports entre
espace et sécurité : « Paysages sous surveillance », Les espaces
publics modernes, situations et propositions, Paris, éditions du Moniteur, 1997 et « Petite histoire d’un grand ensemble, la cité des Courtillères à Pantin », Les cahiers de la recherche architecturale et
urbaine, n° 1, mai 1999, ainsi que de nombreux articles sur l’actualité architecturale dans plusieurs revues françaises et étrangères.
Adresse : 28 rue Danton, 92130 Issy-les-Moulineaux.
Tél. : 01 41 90 04 32
Olivier LE NOÉ, ancien élève de l’École normale supérieure de
Cachan (1990) et agrégé de l’université (1993), est actuellement professeur agrégé au département de sciences sociales de l’ENS de
Cachan. Après y avoir encadré le séminaire « Corps et société », il y
anime un séminaire sur les formes de l’engagement en collaboration
avec les Archives de la ville de Paris. Il rédige actuellement une
thèse, sous la direction de Michel Offerlé, intitulée Sociologie historique des politiques sportives (1940-1975). Genèse d’un corps de spécialistes de l’administration des activités sportives et structuration du
service public du sport.
Adresse : École normale supérieure de Cachan, département de
sciences sociales, 61 avenue du Président Wilson, 94235 Cachan
Cedex.
Tél. : 01 47 40 29 72
2248_29_AUTEURS Page 311 Lundi, 14. mai 2001 2:46 14
LES AUTEURS
311
Gildas LOIRAND est l’auteur d’une thèse de sociologie portant sur
les relations entre le sport et l’État en France. Maître de conférences à
l’UFR-STAPS de l’université de Nantes et chercheur au Centre nantais de sociologie-Maison des sciences de l’homme Ange Guépin
(CENS-MSH), il a publié plusieurs articles sur le sport dans différentes
revues. Ces travaux de recherche actuels portent sur la construction
étatique des corps et sur les formes de professionnalisation qui ont
cours dans l’univers du sport.
Catherine LOUVEAU est sociologue, professeur à l’université Paris
XI-Orsay et chercheuse à l’Unité de recherche sur les cultures sportives du Centre de recherche en sciences du sport. Coauteur avec
Annick Davisse de Sport, école et société. La différence des sexes,
L’harmattan, 1998, ses travaux actuels portent sur les processus de
différenciation sociale et culturelle des pratiques sportives et plus
particulièrement sur les problématiques articulant masculin, féminin
et pratiques sportives.
Adresse : Université Paris XI-Orsay, division STAPS, bâtiment 335,
91405 Orsay cedex.
Tél. (professionnel) : 01 69 15 43 12
Tél. (personnel) : 01 43 04 44 98
Dominique MALIESKY est docteur en science politique : elle a soutenu en 1989 à l’université de Paris I une thèse intitulée Sport et politique. Le boycott des Jeux de Moscou (198O) : une crise multidimensionnelle. Elle est depuis 1991 maître de conférences en science
politique (relations internationales) à l’Institut d’études politiques de
Rennes et membre du Centre de recherches administratives et politiques (CNRS-ESA 6051). Elle a publié dans la revue Pouvoirs ( n° 61,
1992) un article portant sur la diplomatie du CIO (de Coubertin à
Samaranch) et s’intéresse depuis lors aux questions liées à la construction de l’identité nationale.
Adresse : Institut d’études politiques, 104 boulevard de la Duchesse
Anne, 35700 Rennes.
Tél. 02 99 84 39 22
E.mail : d.malieskyàrennes.iep.fr
Colin MIEGE est, depuis le 1er septembre 1999, chef de cabinet du
directeur général de la police nationale. Il a été successivement, de
1979 à 1992, inspecteur puis directeur départemental de la Jeunesse
et des Sports. Sorti de l’École nationale d’administration en 1995, il
est, de 1995 à 1997, sous-préfet chargé de mission pour la politique
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312
SPORT ET ORDRE PUBLIC
de la ville auprès du préfet de Seine-et-Marne et, de 1997 à 1999,
secrétaire général de la préfecture de la Mayenne. Spécialiste du
droit du sport, il a publié deux « Que sais-je ? » aux Presses universitaires de France : Les institutions sportives (1993) et Le sport européen (1996).
Adresse : ministère de l’Intérieur, Direction générale de la police
nationale, 11 rue des Saussaies, 75800 Paris.
Tél : 01 49 27 30 97
Williams NUYTENS est, depuis le 1er septembre 1999, attaché temporaire d’enseignement et de recherche et membre du Laboratoire
d’analyses multidisciplinaires sur les activités physiques et sportives
(LAMAPS) de l’université d’Artois, UFR STAPS, pôle de Liévin. Il termine une thèse (à l’université de Lille 1, sous la direction de JeanPierre Lavaud) proposant une explication du supportérisme contemporain et des mobilisations collectives autour du spectacle footballistique. L’étude porte sur les publics du Racing club de Lens et du Lille
Olympique sporting club. Il est l’auteur d’un rapport sur ce thème
pour le compte de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure.
Adresse : 80 rue de Dunkerque, 59540 Caudry.
Tél. : 03 27 76 44 98
Frédéric POTET est journaliste au service des sports du journal Le
Monde.
Adresse : Le Monde, 21 bis rue Claude Bernard, 75242 Paris cedex 05.
Tél. : 01 42 17 20 00 – Fax : 01 42 17 21 21
E-mail : http ://www.lemonde.fr
Gérald SIMON est agrégé des facultés de droit, professeur à l’université de Bourgogne et directeur du Laboratoire de droit du sport. Il est,
notamment, l’auteur de Puissance sportive et ordre juridique étatique, Paris, LGDJ, 1990.
Adresse : Faculté de droit et de science politique, 4 boulevard
Gabriel, 21000 Dijon.
Tél. : 03 80 39 53 69
E-mail : [email protected].
Andy SMITH est chargé de recherche à la Fondation nationale des
sciences politiques (FNSP). Il travaille actuellement au Centre d’étude
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LES AUTEURS
313
et de recherche sur la vie locale (CERVL) de l’Institut d’études politiques de Bordeaux sur le rapport entre l’intégration européenne et le
phénomène du supportérisme.
Adresse : CERVL-Institut d’études politiques de Bordeaux, avenue
Ausone, domaine universitaire, BP 101, 33405 Talence Cedex.
Tél. : 05 56 84 42 60
Anastassia TSOUKALA docteur en droit et diplômée en criminologie,
est chargée d’enseignement à l’Université de Paris X-Nanterre et
chercheur au Centre d’études sur les conflits, ainsi qu’à l’Institut de
relations internationales de l’université Panteion d’Athènes. Elle est
l’auteur des ouvrages Sport et violence, Athènes/Bruxelles, Sakkoulas/Bruylant, 1995 et Iastinomefsi ton athlitikon ekdilosseon [Police
et manifestations sportives], Athènes, Sakkoulas, Komotini (à paraître). Ses recherches en cours portent sur l’évolution actuelle des missions confiées aux agences publiques de sécurité en Europe.
Adresse : 15, rue Jean-Jacques Rousseau, 75001 Paris.
Tél. : 01 40 26 44 42
E-mail : [email protected]
Anne-Marie WASER est chargée de recherche au Centre de sociologie européenne (CNRS – EHESS) sur un poste « d’accueil ». Elle a été
maître de conférences à l’université de Caen, puis à l’université de
Rouen.
Adresse : Centre de Sociologie Européenne (CSE), École des hautes
études en sciences sociales, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris.
E-mail : [email protected]
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Impression : EUROPE MEDIA DUPLICATION S.A.
53110 Lassay-les-Châteaux
N° XXXX - Dépôt légal : XXXXXX 2000