Trois jeunes Pieds-Noirs, qui avaient fait al

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Trois jeunes Pieds-Noirs, qui avaient fait al
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LÉGENDES ET TRADITIONS
III
L’HISTOIRE DES TROIS AMANTS PIEDS-NOIRS
Trois jeunes Pieds-Noirs, qui avaient fait alliance ensemble, se présentèrent, un jour, chez
un vieillard de la nation des Ninnax qui possédait trois filles, toutes trois charmantes, toutes
trois bonnes à marier, et les lui demandèrent en
mariage.
- Ah! mes gendres, répondit ce vieillard, je
consens volontiers à vous octroyer mes filles en
mariage; mais vous savez que vous devez les
payer. Or, mes filles sont des filles de vingt chevaux la pièce; car je suis un grand chef, et
résolu de ne marier mes filles qu’aux guerriers
DES PIEDS-SOIRS OU NINNAX
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qui m’apporteraient ce tribut en échange. Revenez avec soixante chevaux et vous aurez mes
trois filles.
Ainsi parla le vieillard.
Les trois jeunes guerriers engagèrent leur parole, que les trois filles reçurent avec joie. Ils
firent promettre à celles-ci de ne point se donner
à d’autres hommes avant leur retour; ils se peignirent le corps en rouge, placèrent des plumes
teintes en rouge dans leur touffe de guerre, et
partirent ensemble pour leur expédition chez leurs
voisins du Sud, les Corbeaux et les Serpents ou
Chochones.
D’un an on n’entendit plus parler des trois
guerriers.
Quand l’époque qu’ils avaient fixée pour leur
retour probable fut passée, et que les trois belles
eurent perdu toute espérance de voir revenir
leurs amants, elles se parèrent des couleurs et des
atours du deuil, se peignirent la face en blanc, et
pendant neuf jours elles pleurèrent sur la montagne ceux qu’elles aimaient.
Ce laps de temps écoulé, comme aucun des
jeunes guerriers ne reparaissait, les trois filles
jugèrent qu’ils avaient péri en combattant pour
elles. Elles résolurent donc de ne point rester en
arrière en générosité, et décrétèrent leur trépas
commun.
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LÉGENDES ET TRADITIONS
Elles avertirent leur tribu de ce dessein, et en
demandérent la permission à leur père, qui jugea
leur résolution très louable. Elles se parèrent
alors de leurs atours de noces, montèrent sur un
rocher dont la paroi verticale forme un précipice,
et là, se tenant toutes trois par la main et chantant leur chant de mort, elles se précipitèrent
courageusement dans l’abîme, où elles trouvèrent
la mort.
Mais, le lendemain même de ce jour fatal, on
vit venir de loin, sur le dos verdoyant de la
prairie immense, un tourbillon de poussière, qui
annonça aux Pieds-Noirs l’arrivée d’un escadron
de guerriers.
Tout fut en émoi dans le camp et l’on se préparait à une résistance opiniâtre, lorsque, des
flancs de ce nuage poudreux, on vit sortir un
troupeau de soixante beaux chevaux écumants et
frémissants devant trois jeunes guerriers qui les
pourchassaient.
Ces guerriers étaient peints et parés comme
pour une noce, et ils chantaient l’hymne de la
victoire en entrant dans le camp, où ils croyaient
retrouver leurs amours.
C’étaient les trois amants, fidèles à leur parole
jusqu’au bout et qui accouraient tout brûlants
pour rappeler au grand chef des Pieds-Noirs sa
promesse de l’année précédente.
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Mais, quand ils arrivérent au Napiwoyés du
chef, leurs chants de joie furent accueillis par des
chants de deuil; leur enquête fut reçue avec
des larmes et des regrets cuisants; leur joie ne
rencontra qu’un sombre désespoir.
Ils comprirent tout. Mais lorsqu’ils surent que
leurs amantes s’étaient suicidées par amour pour
eux, qu’elles leur étaient restées fidèles jusque
dans la mort, les trois jeunes hommes jurèrent
de les suivre dans leur destin, de ne point demeurer en arrière de générosité.
Sans rien dire de leur dessein, ils serrèrent silencieusement les mains du vieillard, chassèrent
devant eux le troupeau de soixante chevaux qu’ils
avaient capturé sur leurs ennemis, le conduisirent au sommet du rocher escarpé, où leurs
amantes éplorées s’étaient donné la mort, et le
forcèrent de se jeter en bas. Puis ils entonnèrent
tous trois leur chant de mort, et se tenant par la
main, ainsi qu’avaient fait les jeunes filles, ils se
précipitérent, comme elles, dans l’abîme.
Ainsi finit la véritable histoire des trois amants
Pieds-Noirs (1).
Racontée, en I879, au fort Pitt,
par le même.
-
I l y a, dans cette histoire ou légende, une foule de sentiments tout à fait inconnus aux Indiens Peaux-Rouges; elle
accuse des idées et une résolution asiatiques. Des Hindo-Chinois
ou des Japonais pourraient seuls étre capables d’actions aussi
héroiques.
(I)