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8ème festival du film documentaire engagé (part 2+3) / 22, 23 et 24 octobre 2010
La parole a le geste / [email protected] / leliencommun.org/festdoc
Jeunesses et Afriques
Jeunesse et Afrique nous renvoient à nos origines.
Origine de l’homme / Origine de chaque homme...
Notre origine nous serait donc étrangère?
Pour l’Afrique, cela a été vrai pendant longtemps : nous
ne savions pas que l’espèce humaine venait d’Afrique et
les théories scientifiques de la Mal-Mesure de l’homme1
faisaient de l’homme africain un sous-homme.
Mais même en acceptant une origine commune, on
peut tout aussi bien considérer que les Africains sont
inférieurs aux Européens comme on peut considérer que
les jeunes sont inférieurs aux adultes. Ce mode de pensée évolutionniste ne prend pas en compte de manière
positive la différence.
En dehors de cette question des origines, quelles relations établir entre Afrique(s) et jeunesse(s) ?
2 / Chaque jeune s’éveille du rêve de ses parents
Est-ce que, comme l’écrivait Walter Benjamin, chaque
jeune se réveille du rêve de ses parents ?
Les parents nous rêvent un avenir, mais cet avenir, lorsque
nous le vivons, est très différent du rêve de nos parents bien
qu’il ait un lointain rapport.
Cependant en nous réveillant, nous faisons un nouveau
rêve dont se réveilleront à leur tour nos enfants. Et ainsi de
suite à l’infini. Il n’y a pas, si l’on suit ce modèle, de réalité
ultime, il n’y a que des rêves qui s’engendrent l’un l’autre, on
se réveille toujours pour entrer dans un nouveau rêve.
1 / Le rejet
Vous n’aimez pas parce que vous ne connaissez pas,
bandes de cons ! Cette phrase de Picabia, poète et peintre
surréaliste, peut caractériser aussi bien l’attitude du « Français
moyen » vis à vis de « l’Africain moyen » comme vis-à-vis du
« Jeune moyen ».
Français, Jeune et Africain « moyens » n’existent pas, ils
existent uniquement dans la méconnaissance, ou plus exactement dans la connerie de celui qui l’imagine ou le fantasme. Mais il y a des cultures africaines et des cultures de la
jeunesse. Si nous sommes des bandes de cons, si comme le
dit Brel « plus on devient vieux , plus on devient con », c’est
que l’on devient peu à peu étranger à notre jeunesse. Ceci
dit, pour opposer un chanteur à un autre : qu’on aie vingt
ans, qu’on soit grand-père, quand on est con, on est con…
Mais n’est-ce pas la civilisation et son cortège de réformes
qui brouillent les pistes pour nous rendre étranger à notre
jeunesse ?
La jeunesse est spontanément révoltée, bordélique, irrespectueuse, transgresseuse… et nous la voulons obéissante,
disciplinée, organisée, respectueuse des normes et des
règles. Elle est spontanément révoltée, bordélique, irrespectueuse, transgresseuse… parce que adulte et jeune sont trop
souvent des étrangers l’un pour l’autre.
Certes le jeune est en construction mais il l’est d’autant
plus que l’adulte est déconstruit ou refuse de remettre en
question sa construction. Le jeune a besoin de cadre mais
la société d’aujourd’hui est décadrée/décalée… Comment
peut-elle donc lui donner ces cadres dont il a besoin ?
Y a-t-il une société capable d’entendre les messages de
la jeunesse ?
Et quels messages la jeunesse veut-elle nous délivrer ?
Après avoir fait mille et une bêtises, Sarakewo, l’enfant
terrible, réussit à s’échapper une fois de plus. Arrivant
dans un village, il y trouve une femme en train de cultiver
et lui dit : « Je cherche un endroit où faire griller mon criquet ! » La maman qui était avec son bébé lui dit : « Entre
et fais-le griller. Tu en donneras au petit ! »
Sara entre, fait griller le criquet et le donne au bébé ;
le bébé ne veut pas le croquer. Il fait griller le bébé et le
donne au criquet : le criquet ne veut pas le croquer. Il
prend ensemble le criquet et l’enfant et les croque tous
les deux…2
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1 - D’après le titre de l’ouvrage de Stephen Jay Gould, traduction française
de The Mismeasure of Man (1981), paru aux éditions Odile Jacob en 1997.
3 / Histoire d’enfants terribles
L’enfant terrible est un héros caractéristique d’un certain
type de contes d’Afrique de l’Ouest.
Cet enfant présente les caractères extrêmes de la jeunesse : Soyez terrible, les enfants… chante Ferrat3, il transgresse, trompe, vole et tue sans aucun remord… et à la fin
de l’histoire il court encore… ou bien monte au ciel pour
devenir le soleil ou la lune.
La morale de l’enfant terrible est celle d’un créateur : tout
créateur doit être transgresseur…
Je trangress’, je transgresse En tous lieux, à toute heure !
Transgression quand j’agresse
Ou mon frère, ou ma sœur…4
Cependant, si en France nous n’avons pas de contes d’enfants terribles, nous avons un ensemble de récits qui s’en
rapprochent étrangement, et qui nous sont d’ailleurs familiers, même si, généralement, nous ne les racontons qu’entre
enfants. Ce sont les histoires de Toto. Toto est à la fois bête et
rusé, malin et naïf … et ses histoires ne sont pas morales.
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2 - Conte peul du Fouta Djalon
(République de Guinée, anciennement royaume peul et musulman)
3 - Les enfants terribles, chanson de Jean Ferrat
4 - Roméo Boccara (15 ans), Le transgresseur, extraits.
Si, en Afrique, les contes sont pris au sérieux par les adultes, en France, seuls les enfants se les racontent encore. Si en
Afrique l’enfance est présente au cœur des traditions adultes, en France, elle est refoulée dans le ghetto des traditions
enfantines.
Zéro de conduite, le film de Jean Vigo, nous présente cette
jeunesse désireuse et terrible et, à quatre vingt ans de distance, les adultes sont souvent gênés lorsqu’ils regardent ce
film. Quel regard porte-t-on aujourd’hui sur la jeunesse mise
en scène par Vigo ?
Le film de Vigo a été d’ailleurs frappé par la censure d’une
interdiction totale qui ne sera levée qu’après la seconde
guerre mondiale.
4 / Rêve et mythe
Quel regard porter sur les utopies des jeunes d’aujourd’hui,
sur leurs rêves, leurs révoltes et leurs projets d’avenir ?
Si en Afrique, ou du moins dans certains pays africains,
on transmet un mythe et que ce mythe s’insère ensuite dans
la structure sociale. Si en Afrique, l’enfant peut être reconnu
comme le retour d’un ancêtre et, à ce titre, respecté au même
titre que l’ancêtre, accordant ainsi du crédit à la pensée paradoxale de la jeunesse, en France et en Occident, à en croire
Benjamin, nous transmettons un rêve.
Quelle différence entre le rêve et le mythe ?
Le rêve, dans sa version occidentale, est un affaiblissement du réel. Il représente, pour la conscience commune,
quelque chose de déformé, d’inconscient, à la différence des
sociétés traditionnelles où il est réel, et souvent considéré
comme au fondement du réel. Ce qui ne veut pas dire qu’il
doit être confondu avec les autres vécus.
Chez les Australiens, par exemple, avant de ‘voter’ une loi,
il faut la rêver puis la mettre en forme, dans un travail qui
peut durer des années.
Fondamentalement, on peut considérer le rêve comme une
variété de mythe mais dans en Occident, la relation entre rêve
et mythe est perturbée puisque nous confondons le mythe
avec un récit alors qu’il est, comme le rêve , d’abord un vécu
dont nous pouvons, accessoirement, donner un récit.
5 / Le déni d’une société multiculturelle
En France – restons en France même si ce que nous disons
peut être valable pour d’autres sociétés occidentales – on
assiste, semble-t-il, au déni d’une société multiculturelle.
Nous n’arrivons pas à intégrer les étrangers. Même Français,
ils restent des Étrangers.
Nous ne connaissons pas les codes des autres parce que
nous sommes prisonniers d’une société mono-culturelle qui
considère que la culture française est une et indivisible. Et
nous revenons à la formule de Francis Picabia : Vous n’aimez
pas parce que vous ne connaissez pas, bandes de cons !
Et la jeunesse ? peut-on parler d’une culture propre à la
jeunesse ? Au sens d’une sous-culture, puisqu’il y a des jeunes dans chaque culture.
Qu’est-ce qui serait propre à cette culture de la jeunesse
française à qui nous demandons l’obéissance5, c’est-à-dire
d’abdiquer pour devenir ce que les adultes souhaitent qu’elle
devienne ?
Cette culture de la jeunesse ne peut-elle s’exprimer que
par l’opposition, la révolte, ou peut-on la penser positivement ?
Quelles écoles, quels professeurs permettent aux jeunes
d’exprimer leur culture sans que l’on veuille la calibrer à
l’aune de la culture adulte ?
Comment accepter ce qui nous est transmis si « l’autre »
n’écoute pas ce que nous avons à dire ?
Aujourd’hui, la transmission semble être un écueil commun aux sociétés africaines et françaises.
Dans les sociétés africaines, tout au moins une bonne partie, les anciens ont de plus en plus de mal à transmettre aux
jeunes car ceux-ci ont souvent coupé leur relation avec le
« village » où résidaient la plupart des parents et surtout des
grands-parents, et vivent dans un monde qui n’a plus grand
chose à voir avec celui de leurs parents.
En Europe , tout change tellement vite que l’avenir devient
cette étrangeté absolue que seule la science fiction semble
en mesure de nous décrire.
Et les mondes virtuels deviennent des refuges d’autant
plus sûrs qu’ils n’existent pas.
Autrefois, en Europe, on transmettait par le travail, mais
aujourd’hui, pour une grande partie de la population tout au
moins, cette transmission n’est plus possible.
On ne transmet plus un métier, on laisse le choix… Mais
que faire ?
Il semble que la plupart des jeunes ne peuvent pas faire ce
qu’ils veulent. A cela plusieurs réponses et/ou constatations
possibles, qui peuvent être complémentaires :
- Il y a trop de choix
- Le déterminisme est trop fort, les filles deviennent infirmières ou hôtesses de l’air pas pilotes ou chirurgiens.
- L’avenir est bouché
- Le rêve est devenu un cauchemar : le jeune ne s’éveille pas
du rêve de ses parents, il le cauchemarde ! et pour oublier
son angoisse, il boit ou il se drogue (variante très noire)
- Le jeune n’a plus rien à faire de ce que ses parents font
et pensent, car les anciens métiers ont disparu et le fossé
entre les mentalités « adulte » et « jeune » s’est élargi.
Quelques chiffres récents :
En 1990, 6% des jeunes français estimaient que « il faut
changer radicalement toute l’organisation de la société par
une action révolutionnaire », en 2008, ils étaient presque
un quart (Enquête européenne sur les valeurs (European
Values Survey), 2008, source Le Monde, 16-10-2010) et
aujourd’hui ?
Si les adultes pensaient comme les jeunes…
Imaginer l’avenir…
La jeunesse doit inventer le futur… Elle a ce point commun avec l’Afrique : elle doit apprendre, aujourd’hui, à ne
plus compter sur les autres mais d’abord sur elle-même.
Alors, les jeunes pourront éduquer les éducateurs et
l’utopie aura une chance de devenir réalité.
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5 - Nous faisons référence ici aux travaux de Cécile Van de Velde, notamment Autonomie
et insertion des jeunes adultes, une comparaison France-Danemark (La documentation
française, Horizons stratégiques, 2007-2, n°4, p. 32-42) ou encore Devenir adulte : sociologie comparée de la jeunesse en Europe. L’auteur relevait, notamment, qui relevait qu’en
France le pourcentage de jeunes qui avait confiance en l’avenir était le plus bas (26%
contre 62% au Danemark) et que la principale qualité demandée aux jeunes Français était
l’obéissance (et aux jeunes Danois, l’autonomie).
La Parole a le geste, le 16 octobre 2010
Texte mis en forme par Michel Boccara

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