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Dossier I Les frontières du sport I
Combats
pour l’émancipation
Une histoire des organisations
sportives “communistes” de France
(1923-2010)
Par Fabien Sabatier, MCF, université Victor-Segalen, Bordeaux-2,
LACES (Laboratoire cultures, éducation, sociétés) EA 4140
Délégation française de la FST (Fédération sportive du travail) aux spartakiades de Moscou,
été 1928, archives privées © Gérard Chatron
Nées au début du XXe siècle, les fédérations sportives ouvrières
ont fait de la pratique sportive un outil de lutte contre de nombreuses
formes de domination. Revendiquant clairement leur filiation
communiste, des organisations comme la Fédération sportive
et gymnique du travail n’ont cessé de porter leurs engagements militants
sur la scène internationale, aux côtés des colonisés, contre l’apartheid
ou plus récemment en soutenant les sportifs palestiniens.
Développé dans le même temps auprès des classes populaires, le sport
affinitaire continue d’affirmer son pouvoir émancipateur.
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hommes & migrations n° 1289
L’historiographie française des organisations ouvrières s’est principalement intéressée
à l’histoire des partis politiques(1) et des syndicats de gauche(2). Certaines organisations
perçues comme secondaires ont depuis peu été l’objet de travaux remarqués, à l’instar
des Amis de l’URSS(3), des Jeunesses Socialistes(4) ou tout récemment de l’Union de la
Jeunesse Républicaine de France(5) ou de Tourisme et Travail(6). Au sein de ce corpus, un
certain nombre de recherches se sont appliquées à écrire depuis deux décennies(7)
l’histoire des Internationales et des fédérations sportives ouvrières ; le sport étant
longtemps resté un objet d’histoire illégitime dans le domaine de l’histoire
contemporaine.
Pourtant des fédérations sportives “communistes(8)” ont indéniablement une facture
militante. Porteuses de projets révolutionnaires ou réformistes au gré du temps, ces
dernières se sont impliquées dans les grands débats idéologiques,politiques et sociétaux
du siècle. En effet, en France à la charnière des XIXe et XXe siècles, le sport affinitaire
est né “du filet des idéologies”,et à la fondation d’une fédération d’obédience catholique
en 1898,nouveau creuset social d’un culte en situation défensive,répond la formation
d’un premier embryon de sport socialiste en 1907. Toutefois, ce second courant
affinitaire ne s’affichera comme réel contrepoids à l’influence catholique qu’au temps
de la création de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail) en décembre
1934. Née de la fusion de deux petites entités sportives socialiste et communiste, cette
fédération sportive de la gauche “unifiée” inaugure une période de Rassemblement
populaire, dont l’historiographie a principalement souligné la réunification du
syndicalisme cégétiste en 1935 et le soutien communiste aux gouvernements Blum
entre 1936 et 1938.
De l’entre-deux-guerres à nos jours, la place de la FST (Fédération sportive du travail)
et de la FSGT dans l’histoire politique et sociale de la France révèle une longévité
militante très dissonante au sein d’un monde du sport plus enclin à promouvoir la
tonalité apolitique du sport. En ce début du XXIe siècle, ce “vieil” engagement contre
l’apolitisme, même s’il a amplement dû se redéfinir au fil du temps, ne s’est guère
démenti malgré les vicissitudes parfois marquées liées à sa longue allégeance au
Communisme français. Certes, la chute du mur de Berlin, l’effondrement du bloc
soviétique et l’étiage communiste français actuel ont nécessité une mise à distance
accélérée des anciens dogmes, mais sans réduire un centre de gravité militant fondée
sur la recherche de l’émancipation des dominés.
Dans le cadre de cette publication, l’adjectif “communiste” renverra à une triple
réalité. D’une part, à l’acte de naissance en 1923 de ce courant sportif amplement lié
à l’activisme des Jeunesses communistes et du PCF pour prendre le contrôle de la FST,
fédération socialiste du sport.La deuxième racine communiste provient de l’espérance
nourrie chez nombre de cadres de ces fédérations par l’expérience soviétique.
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Dossier I Les frontières du sport I
De “La grande lueur à l’Est” née de la révolution bolchevique, à la défense
inconditionnelle de l’URSS en plein cœur de la Guerre froide,puis au choix de l’option
tiers-mondiste ; les militants de ces organisations ont souvent cru ou voulu croire en
un monde fondé sur l’émancipation et l’égalité réelle. Souvent avec dogmatisme et
parfois irrigué par une forte culture stalinienne(9), doublée parfois d’un aveuglement
face au système totalitaire, un nombre non négligeable d’entre eux n’en a pas moins
milité pour contester la condition ouvrière, coloniale ou post-coloniale(10). Enfin
“communiste” signale également une des sensibilités affinitaires toujours présente
aujourd’hui chez un nombre non négligeable de militants.
Nous souhaitons montrer ici que ces organisations ont durablement vitalisé la
militance et l’expérimentation en matière de défense des dominés. Si dans un
registre politique les cas des italiens anti-fascistes(11) et des républicains espagnols(12)
ont principalement retenu l’attention, certaines figures de la domination d’hier et
d’aujourd’hui furent également un de leurs cœurs de cible. La FST, mais
principalement la FSGT, ont en effet écrit une page d’histoire singulière en matière
coloniale et post-coloniale. Elles ont contribué à réduire les frontières en société
par le biais de campagnes parfois virulentes d’opposition à la condition “indigène”,
ou en nouant des contacts interculturels par le sport pour dessiner un monde moins
fracturé dans l’Empire ou en métropole. Les configurations historiques particulières
dans lesquelles ces fédérations sportives ont évolué et la transformation avec le
temps de leur sociologie expliquent pour l’essentiel leurs choix en matière
d’émancipation des “subalternes”.
“L’émancipation politique et nationale”,
un militantisme premier
La vocation internationaliste des organisations sportives communistes est constitutive
de leur formation.L’internationalisme prolétarien(13) des “origines”se combine dans les
discours fédéraux et locaux à la valorisation de l’expérience soviétique comme source
d’émancipation des peuples d’Asie centrale. Ainsi lors des Spartakiades de Moscou en
1928,première et unique olympiade soviétique d’ampleur internationale,la valorisation
de l’entente entre les peuples est au cœur de l’évènement sportif. L’iconographie des
défilés des délégations affiche la diversité des cultures(14) et le journal L’Humanité au
cours de l’été offre en France une caisse de résonance à la manifestation. En 1934, la
réorientation de la politique internationale de l’URSS vers des alliances de Front
populaire en Europe ouvre un second temps du militantisme des organisations sportives
communistes. Le cas français est symptomatique du virage pris. La formation d’une
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nouvelle fédération sportive ouvrière unitaire et la défense d’un internationalisme
républicain, incarné par la lutte antifasciste et symbolisé par les contre-jeux de
Barcelone(15), dessinent alors le nouveau visage du militantisme sportif communiste.
Au bolchevisme et à l’antifascisme s’associe un anticolonialisme forgé dès les années
vingt.La FST prend modestement part aux grandes campagnes d’opposition à la guerre
du Rif(16) en sollicitant ses adhérents en faveur de l’appel à la grève générale d’octobre
1925.Dans la presse rouge,les figures coloniales de Lyautey,puis de Pétain sont décriées,
au même titre que les banquiers français et hollandais accusés d’être à la source du
conflit ouvert entre Abd el Krim et la France. Ainsi, la lutte contre le capitalisme, le
colonialisme et le fascisme façonne dans cette
première partie du siècle l’identité militante
L’iconographie des défilés
des organisations sportives “communistes”.
des délégations affiche
Dans les décades suivantes, les luttes
la diversité des cultures et
d’émancipation se poursuivent ; les critiques
le journal L’Humanité offre
ouvertes contre la guerre d’Indochine symboen France, au cours de l’été,
lisées, par exemple, par la défense d’Henri
une caisse de résonance
Martin(17), ou bien encore la dénonciation de
à la manifestation.
la Guerre d’Algérie sous la forme d’exigences
de multiples fois répétées d’arrêt du conflit et
d’autodétermination pour le peuple algérien, ponctuent la vie militante de la FSGT
comme celle naguère de la FST. Mais d’autres fronts s’ouvrent, en particulier celui du
combat contre l’apartheid en Afrique du Sud, version renouvelée de la critique du
racisme colonial, complété par la défense du peuple palestinien “sous le joug”de l’État
Israélien. Cette défense des dominés prend parfois une forme strictement discursive,
mais les engagements concrets existent toutefois bel et bien.
“L’émancipation sociale”, un militantisme
d’Empire puis post-colonial
Le cas du sport “rouge” dans le Maghreb colonial est un exemple représentatif(18) de la
promotion de l’émancipation sociale.Un réseau ouvert aux colonisés y est structuré dès
l’entre-deux-guerres, distinguant en cela la FSGT de la majeure partie des fédérations
sportives impliquées(19).Le monde de l’entreprise a drainé un certain volant d’affiliation
de clubs,et il est probable que la proximité idéologique et organique avec la CGT a joué
un rôle non négligeable dans cette dynamique sportive. L’ambition de promouvoir
sincèrement un sport populaire ouvert à tous et celle de fournir les rangs des
organisations communistes ont sans aucun doute justifié cette politique d’ouverture.
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Dossier I Les frontières du sport I
La FSGT se trouve de nos jours dans une situation particulière au même titre que
l’ensemble des organisations affinitaires. Néanmoins si la Fédération sportive et
culturelle de France (FSCF) a en partie renoncé au projet cultuel de son fondateur(20)
dans la seconde moitié du XXe siècle, le sport “rouge” préserve encore aujourd’hui
partiellement l’ambition d’agir pour le développement d’une culture travailliste et
populaire, de lutter pour la paix et de s’opposer au racisme.
Au plan national et local, la promotion d’un sport émancipateur irrigue aujourd’hui
nombre d’expériences souvent insérées dans les dispositifs des politiques de la ville.
Au-delà de son fief parisien, un certain nombre de cadres FSGT de la génération
des années trente et quarante sont toujours à la manœuvre pour développer des
projets imprégnés d’une culture militante passée, mais dépouillée de ses accents les
plus dogmatiques. De longue date impliqué en banlieue, “nouveau banc d’essais des
modernités(21)”, le communisme municipal, là où il a pu s’implanter, a historiquement
défendu les positions de la Fédération affinitaire. Des années trente à la fin du siècle,
l’activité sportive travailliste s’est appliquée à offrir un accès au sport au monde
ouvrier et plus largement aux classes populaires, puis sous les effets de l’immigration
de travail et du processus d’installation des
migrants dans les grands ensembles érigés à
Sur le plan national
partir des années cinquante et soixante, aux
et local, la promotion
“Francétrangers(22)”, par ailleurs souvent issus
d’un sport émancipateur
des anciennes colonies françaises d’Afrique
irrigue aujourd’hui
subsaharienne et d’Afrique du Nord. En
nombre d’expériences
région parisienne ou en PACA, anciens fiefs
souvent insérées dans
les dispositifs
communistes, mais également dans des
des politiques de la ville.
régions de culture politique plus socialiste,
telles Midi-Pyrénées ou l’Aquitaine, se
déploient toujours des actions en faveur d’un sport émancipateur. Sur ce dernier
territoire, des militants FSGT mettent à profit auprès du “précariat(23)” des dispositifs
sportifs vecteurs d’intégration sociale “communautaire”. Ainsi, avec la Communauté
sportive et gymnique travailliste de Pessac(24), (CSGTP) dans le quartier SaigeFormanoir composé de dizaines de nationalités différentes,une politique active d’accès
à la vie sociale par le sport est menée.Nourrie des apports sur le loisir éducatif de Joffre
Dumazedier, des stages Maurice Baquet et des savoirs développés au sein du Centre
Action Formation de la FSGT (CRAF), la vie associative de la communauté vise à
constituer “une forme d’économie sociale solidaire(25)” autour de la participation sportive.
À sa manière et sans s’inscrire dans un militantisme de facture post-coloniale, ce type
de militantisme de l’émancipation entend par la formation d’une communauté
sportive contrer l’hégémonie culturelle d’un sport de facture libérale(26).
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Le mouvement sportif travailliste international,
un nouvel outil en faveur de la lutte pour la paix
et contre le racisme
L’international reste un espace privilégié d’intervention aux travers de campagnes
d’opinion, mais plus essentiellement par la participation de la FSGT aux activités du
Comité sportif international du travail(27) (CSIT).
Depuis trois ou quatre décennies, le militantisme reste vivace et les engagements
internationaux omniprésents. La lutte contre l’apartheid sportif en Afrique du Sud a
repris par certains aspects les évocations par la FSGT du social-racisme au cœur de la
condition “indigène” en Algérie. La ségrégation raciale (territoriale) principalement
instituée à partir du Native Land Act de 1913,a offert à la FSGT l’occasion de façonner
son identité militante plus d’un demi siècle plus tard. Le cas palestinien revêt dans un
registre quasi-similaire un autre front favorable à l’affirmation du militantisme FSGT.
La crise ouverte depuis 1948 entre l’État hébreu et la Palestine a caractérisé pour cette
dernière une autre forme d’oppression. Ainsi en 1982 le bombardement de Beyrouth
par l’armée israélienne, provoque une réaction de la FSGT.Elle manifeste sa solidarité
avec le peuple palestinien, s’adresse à la Fédération sportive travailliste Israélienne
(HAPOEL) pour lui signifier sa solidarité à l’égard du Sport palestinien, demande
l’arrêt des bombardements et souhaite que l’HAPOEL contribue à une issue pacifique
dans “l’intérêt du sport et des sportifs de tous les peuples de la région”.Dès lors,la coopération
sportive FSGT avec le sport palestinien s’intensifie, et s’inscrit dans le projet d’asseoir
une politique de solidarité avec les sportifs discriminés. L’action internationale, sans
être en opposition sur l’essentiel avec le Parti à cette époque, n’en n’est pas moins
conduite au sein du sport travailliste international dans un esprit d’indépendance. Ce
mouvement dont la fédération est membre depuis sa création en 1946, représente un
nouvel espace de gestion des évènements internationaux.Les déboires de l’organisation
affinitaire sur ce terrain, tout particulièrement lors des évènements de Budapest en
1956, ont favorisé une stratégie de communication et d’implication d’un “type
nouveau” dorénavant opérée, pour l’essentiel, par un strict canal sportif.
L’arrière-plan politique des combats
pour l’émancipation (1923-1976)
Une lecture de “surface” des combats pour l’émancipation dessine une trajectoire
homogène du militantisme des organisations sportives “communistes”. En outre, la
pluralité des figures de la domination laisse entrevoir dans ces combats tous azimuts,
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le souci premier de l’émancipation dans configurations historiques et géographiques.
Ces militantismes nécessitent néanmoins d’être historicisés pour permettre de saisir
l’arrière-plan politique de ces différents engagements.
La défense de la République du Rif est imposée à l’organisation sportive, courroie de
transmission en matière d’agit-prop du PCF. C’est Jacques Doriot, un temps président
de la fédération affinitaire, qui amène à cette époque le PCF et les JC à se préoccuper
du sport comme outil politique(28). Expression première d’un “doriotisme sportif”, la
FST, initialement d’obédience socialiste, passe sous le contrôle communiste au cours
de l’année 1923. Son implication dans la question coloniale est, pour l’essentiel,
inexistante avant l’année 1925,au même titre d’ailleurs que celle de l’appareil du PCF
principalement mobilisé à partir de l’année 1924. L’une des raisons principales à cette
position provient de la défense par les communistes français d’une thèse
européocentrique(29) stipulant que l’émancipation des colonisés ne peut provenir que
de la libération première des peuples européens de la domination capitaliste. Pour
exemple le “manifeste”, du futur Hô chi Minh, dans L’Humanité du 25 mai 1922 qui
souligne l’attentisme des communistes français en l’espèce(30). Le changement de pied
des organisations communistes de France résulte de l’engagement de Lénine au cours
du deuxième congrès de l’Internationale Communiste en 1920, au cours duquel il
prononce son “appel de Moscou” en faveur d’une voie révolutionnaire périphérique.
Dès lors injonction est faite au PCF de militer activement contre le colonialisme
français en organisant en particulier un front anti-impérialiste. Après des années
d’attentisme, le 1er juin 1924 le Conseil national du PCF fait son autocritique et la
Campagne FST contre la guerre du Rif peut s’engager dans le cadre de l’activation
d’une ébauche de “conglomérat(31)”militant en métropole et sur le territoire algérien(32).
Ce premier temps de l’engagement anticolonial est suivi par d’autres prises de
positions au cours du siècle toujours en adéquation avec la ligne du PCF.Le recentrage
du Parti sur la Nation à partir des années de Front populaire et l’acceptation du projet
impérial nécessitent un revirement politique du sport rouge. Dorénavant
l’antifascisme prévaut sur tous les combats anti-coloniaux, même si la mutation fut
présentée dans un esprit de continuité. Rapidement le projet “d’une Algérie libre et
heureuse” sans référence à l’indépendance devient le nouveau credo politique du Parti
comme de la FSGT.Ce choix entérine pour deux décennies le projet de développement
d’un réseau sportif communiste en Afrique du Nord au bénéfice des “indigènes”,dont
l’objectif affiché est celui de l’intégration socioculturelle du colonisé(33) et où
l’acculturation sportive prépare à l’intégration civile par “l’adoption du droit à la gestion
des clubs, comités et fédérations(34)”. Cette politique de développement sportif s’efface au
moment du déclenchement du conflit algérien. La FSGT milite alors pour la paix,
puis l’autodétermination dans le strict respect du positionnement officiel du PCF(35).
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Si, dans le discours communiste, la “Toussaint rouge” est justifiée par les profondes
inégalités qui traversent la société algérienne, la thèse de la “Nation en formation”
officialisée à la fin des années trente est remplacée en 1957 par celle de la “Nation
forgée dans les combats” impliquant dès lors “la reconnaissance du fait national algérien”.
Ce changement de cap ouvre la voie à la demande de l’autodétermination pour le
peuple algérien, même si elle n’en laisse pas moins la question de l’indépendance en
suspens. À partir de l’été 1962 s’amorce le temps d’un rapprochement avec la nouvelle
Nation algérienne dont Maurice Baquet, figure emblématique de la FSGT, fut un des
artisans. Une fois clos le temps des “Pieds rouges(36)”, une coopération plus étroite
destinée à formaliser un projet sportif et éducatif se développe entre la FSGT et l’État
algérien sous la présidence Boumediene.. L’expertise de la FSGT, par ailleurs en plein
développement en France, sert à formaliser une doctrine sportive pour l’Algérie
socialiste.
La voie marxiste dépouillée de la tutelle
communiste (1976-2010)
Les années soixante-dix sont également celles de la marche vers une réelle autonomie,
incarnée par l’abandon du centralisme démocratique et l’affirmation du projet
d’autogestion, véritable charte d’Amiens du sport “rouge”. Dans un registre politique
puis sportif, la non signature du programme commun de la gauche en 1972 et le rejet
du boycott des Jeux olympiques de Los Angeles en 1984 symbolisent la mise à distance
de la tutelle organique du PCF. Ainsi des années vingt à aujourd’hui, des premiers feux
anti-colonialistes de la FST au projet de la CSGTP, la trajectoire militante du sport
rouge présente de profondes césures. Toutefois des militants porteurs de “mémoires
défaites et de mémoires victorieuses(37)” poursuivent leur engagement en forgeant une
culture militante dépouillée des injonctions du passé. À la différence du Parti
communiste et de nombre d’organisations de masse, la FSGT conserve toujours un
statut reconnu dans son domaine spécifique d’intervention et perpétue ces
engagements militants fondés sur la critique de la société contemporaine.
L’histoire du Communisme croise ici une histoire coloniale et postcoloniale en pleine
effervescence et soumise à d’intenses polémiques(38). La tradition d’un sport marxiste
dépouillé du dictat de l’appareil communiste irrigue toujours les combats pour
l’émancipation aux côtés d’autres mouvements militants(39) optant potentiellement
pour une représentation postcoloniale de la société française. Le sport affinitaire dans
son registre contemporain reproduit en somme cette partition intellectuelle, politique
et associative entre la promotion de l’égalité et celle de la diversité(40).
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Dossier I Les frontières du sport I
Pour conclure
La militance des organisations sportives “communistes” au cours du siècle s’est
construite sous le signe d’une allégeance politique puis de sa rupture. À l’image de
nombreux mouvements de jeunesse, confessionnels et laïques, elles ont adopté des
positions évolutives au cours du siècle. À l’entrecroisement du politique et du sportif,
les enjeux qui prévalent à leurs engagements, répondent, d’une part, à l’affichage
d’une appartenance au mouvement ouvrier qu’une relation un temps organique
et idéologique avec le communisme français(41) a rendu en effet incontournable,
mais également par la nécessaire formation d’une identité sportive propre, celle
d’organisations qui ne souhaitent pas dissocier combats sportifs et luttes politiques.
L’exemple du traitement de la question coloniale par le sport “communiste” montre
toutefois combien les combats pour l’émancipation s’insèrent dans deux cultures
militantes finalement distinctes, l’une marxiste(42) toujours opérante aujourd’hui et
l’autre d’“appareil” depuis peu révolue.
Notes
1. Nous n’évoquerons pas ici la somme de travaux réalisés sur ce sujet. Soulignons seulement l’ouvrage
collectif récent : Becker Jean-Jacques, Candar Gilles, Histoires des gauches en France, 2 volumes, Paris, La Découverte
2004 tome 1 et 2005 tome 2.
2. Dans le même esprit que précédemment notons : Andolfatto Dominique et Labbé Dominique Histoire des syndicats
en France, Paris, Seuil, 2006.
3. Mazuy Rachel, Croire plutôt que voir ? Voyages en Russie soviétique (1919-1939), Paris, Odile Jacob, 2002.
4. Bouneau Christine, “Les Jeunesses socialistes et l’action internationale durant l’entre-deux guerres”, in Le Mouvement
social, n° 233, 2008.
5. Quashie-Vauclin Guillaume, L’Union de la Jeunesse Républicaine de France. Entre organisation de masse et Mouvements
d’avant-garde communiste, Paris, L’Harmattan, 2009.
6. Pattieu Sylvain, Tourisme et Travail. De l’éducation populaire au secteur marchand (1945-1985), Paris,
Presses de Sciences Po, 2009.
7. Relevons les travaux remarqués, d’André Gounot, de Marianne Borrel, soulignons également les nombreuses
publications de Nicolas Kssis et de Karen Bretin.
8. La Fédération sportive du travail (1923-1934) et la Fédération sportive et gymnique du travail fondée en 1934.
9. Annie Kriegel et Michel Winock ont produit des typologies du militant et de l’intellectuel communistes.
Pour une première approche du cas des organisations sportives communistes, cf. “Les militantismes FSGT :
les idéaux-types militants face au projet fédéral (1945-1972)”, in Louveau Catherine (dir.), Sociologie du sport, débats
et critiques, l’Harmattan, 2007, pp. 173-183.
10. Dans cette contribution, nous envisagerons “post-colonial” dans sa dimension strictement chronologique, comme
ce qui vient après la période coloniale, et par “postcolonial” les effets du “colonial” dans la société française aujourd’hui.
11. Favero Jean-Pierre, Immigration et Intégration par le sport. Le cas des immigrés Italiens du bassin de Briey, “Fin XIXedébut des années quarante”, Paris, L’Harmattan, 2008.
12. Relevons les productions de l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT, au sein duquel des militants FSGT ont
contribué à l’écriture du Sport travailliste en Région Midi-Pyrénées, en particulier, soulignons le travail conduit par
Montaubrie Marcel, ancien responsable régional, “Le mouvement sportif et la guerre d’Espagne”, in Guerre d’Espagne
et immigration espagnole, Toulouse VO éditions, octobre 1997, pp. 146-148.
13. Gounot André, “Les Spartakiades internationales, manifestations sportives et politiques du communisme”,
in Cahiers d’Histoire, revue d’Histoire critique, n° 88, 2008, pp. 59-75.
14. Carnet de voyage Rose Guérard, Spartakiades de Moscou, août 1928, Archives privés, Gérard Chatron.
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15. Sabatier Fabien, “Regards du Sport Ouvrier Français sur l’Olympisme au cours du siècle (1928-1980)”, in C. Boli
(Dir.) Les jeux olympiques. Fierté nationale, enjeu mondial, Biarritz, Atlantica, 2008, pp. 107-116.
16. Sport Ouvrier, octobre 1925.
17. Henri Martin symbolise la propagande anti-guerre d’Indochine du PCF. Jeune militant communiste ayant
distribué des tracts en faveur de la cessation des hostilités en Indochine au cours de l’année cinquante, condamné
à cinq ans de prison, il purgera sa peine jusqu’en août 1953, cf., Robrieux Philippe, Histoire intérieure du Parti
communiste, tome IV, Fayard, 1984, pp. 414-415.
18. Bretin Karen, Sabatier Fabien, “Regards sur l’histoire politique de la Fédération sportive et gymnique du travail
face à l’immigration coloniale et européenne (1920-1970)”, in Green Nancy L. et Poinsot Marie, Histoire de l’immigration
et question coloniale en France, Paris, La Documentation française, 2008.
19. Bancel Nicolas, Denis Daniel, Fates Youssef, (Dir.), De l’Indochine à L’Algérie, la jeunesse en mouvement des deux côtés
du miroir colonial, 1940-1962, Paris, La Découverte, 2003.
20. Munoz Laurence, Lecocq Gilles, Des patronages aux associations. La Fédération Sportive et Culturelle de France face
aux mutations socioculturelles. Regards croisés (1898-2008), Paris, L’Harmattan, 2009.
21. Fourcaut Annie, “Banlieue rouge, 1920-1960. Années Thorez, années Gabin : archétype du populaire, banc d’essai
des modernités”, in Autrement, série mémoire, n° 18.
22. Viet Vincent, Histoire des Français venus d’ailleurs de 1850 à nos jours, Paris Perrin, collection Tempus, 2004.
23. Castel Robert, “La citoyenneté sociale menacée”, in Y-C Zarka( dir.), Cités, Hors série “Voyages inédits dans
la pensée contemporaine”, PUF 2010, pp. 195-203.
24. Pessac est une commune limitrophe de la ville de Bordeaux.
25. Document d’avant projet CSGTP, p. 2, Décembre 2009.
26. Entretien avec Yves Baloup, ancien responsable régional de la FSGT, “animateur” du CGSTP, avril 2009.
27. Le CSIT d’orientation social-démocrate, héritier de l’Internationale sportive ouvrière socialiste (ISOS)
fondée en 1920 correspond à un des ancrages internationaux de la FSGT aux côtés de celui de la Fédération mondiale
de la jeunesse démocratique (FMJD) qui favorisait une implication sportive en direction des pays de l’Est.
28. Gounot André, “Jacques Doriot : l’impact sportif d’un homme politique”, in Jean-Michel Delaplace, Histoire
du sport, histoire des sportifs. Le sportif, l’entraîneur, le dirigeant, XIXe et XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 61-76.
29. Ageron Charles-Robert, De l’Algérie “française” à l’Algérie algérienne, Paris, Bouchène, 2005, p.316.
30. Ruscio Alain, La question coloniale dans l’Humanité, La Dispute, 2004, p. 84.
31. Brodiez Axelle, Le secours populaire français (1945-2000). Du communisme à l’humanitaire, Paris, PSCPO 2006
qui reprend une notion développée par Jacques Ion.
32. Galissot René, La République française et les indigènes. Algérie colonisée et Algérie algérienne (1870-1962), Paris,
Les éditions de l’Atelier, 2006, p.77.
33. À l’image de l’équipe de football de “La Renaissance travailliste de Settat” championne du Maroc en 1946/1947
exclusivement composée de Marocains, La vie de la FSGT, n° 29, Novembre 1947.
34. “Le statut du sport applicable en Afrique du Nord ?”, La vie de la FSGT, janvier 1947. Noter qu’en Tunisie,
la direction fédérale est dirigée presque uniquement par des tunisiens (15/13), dont 4 sont musulmans,
La vie de la FSGT, n° 95.
35. Comme le souligne René Moustard, ancien co-président de la FSGT, “Il n’y a pas eu une feuille de papier à cigarette
entre la position du PCF et celle de la FSGT”, entretien avec R. Moustard, avril 2007.
36. Simon Catherine, Algérie, les années pieds rouges. Des rêves de l’indépendance au désenchantement (1962-1969),
Paris, La Découverte, 2009.
37. Pudal Bernard, “Le communisme français : mémoires défaites et mémoires victorieuses depuis 1989”,
in Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson (Dir.), Les guerres de mémoires. La France et son histoire,
Paris, La Découverte, pp. 117-125.
38. Pour exemple, Jean-François Bayart, Les études postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010.
39. Des travaux ont été réalisés sur ces questions depuis quelques années, mais ceux-ci s’attachent principalement à
déconstruire le rôle intégrateur du sport. L’intensification en cours des recherches sur l’ethnicité sportive et ses
fonctions spatiales, culturelles, sociales et politiques permettra de mieux cerner la dynamique française actuelle.
Relevons l’abondante production historique d’Yvan Gastaut et l’équivalent sociologique de William Gasparini. Pour
exemple W. Gasparini, A. Cometti (Dir.), Le sport à l’épreuve de la diversité culturelle. Intégration et dialogue interculturel,
Éditions du Conseil de l’Europe, coll. “Pratiques et politiques sportives”, 2010.
40. Les controverses dans la presse et dans différentes revues en sciences sociales relatives à l’ouvrage de Walter B.
Michaels, La Diversité contre l’Egalité, Raisons d’agir, 2009, attestent de l’acuité du débat contemporain sur cette question.
41. En particulier au cours de l’entre-deux guerres et des années cinquante-soixante.
42. Les dominations sont en effet dans la plus grande tradition du mouvement communiste pour l’essentiel pensées
en terme de classe, même si la question de la “race” ou de “l’ethnie” a connu quelques développements chez Lénine
en particulier au travers de la figure du juif. Par ailleurs, le combat pour “L’émancipation de la race nègre” fut soutenu
par la ligue contre l’impérialisme (1927).
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