B.A-Ba de la communciation, extrait.
Transcription
B.A-Ba de la communciation, extrait.
Extrait du B.A.-Ba de la Communication, Pierre Guilbert, Edipro, 2007 Mettons-nous dans la peau du boss qui doit appeler son collaborateur Gérard dont les mauvaises odeurs incommodent tous les collègues. Sympa ! N’avez pas des missions plus agréables à me faire jouer, les gars ? Vous pouviez pas lui dire vous-mêmes à Gérard ? C’est quand même votre collègue, non ?!... Peut-être. Mais c’est sur vous que ça retombe. Parce que justement vous êtes le chef. C’est auprès de vous qu’on est venu se plaindre. Il y a un conflit, du moins latent. Vous ne pouvez pas l’ignorer. Assertivité ! C’est avant tout le refus de la passivité. Ah si Gérard pouvait s’en rendre compte lui-même !... Mais le problème est là : il sent mauvais justement parce qu’il n’y accorde pas d’importance. Donc vous avez convoqué Gérard. Il va arriver d’une minute à l’autre, et ne sait pas pourquoi vous voulez le voir. Sachez donc une chose, comme on l’a vu dans le chapitre précédent : il ne met pas pour autant ses trois cerveaux en stand by. Méfie-toi, lui dit son reptilien qui du coup rend triste son mammalien alors que le néocortex échafaude des scénarios qu’il ne comprend pas vraiment. Il ne sera donc pas vierge de toute idée préconçue. Ça travaille dans sa tête, dans ses tripes, dans ses émotions. Que lui dire et comment lui dire ? Première question à se poser dès lors : quel est votre objectif ? Pourquoi l’avez-vous convoqué ? Ou qu’avez-vous à lui dire ? Qu’il sent mauvais. De deux choses l’une sur ce plan : soit vous savez que c’est vrai, soit vous n’en savez rien. Dans le premier cas, c’est génial : vous avez votre intime conviction, vous pouvez y aller. Dans le second… eh bien jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas vos oignons. Je ne dis pas qu’il faut jouer l’autruche. Il y a un signe : la plainte des autres ? Mais si vous l’attaquez d’emblée sur quelque chose dont vous ne maîtrisez pas la réalité, vous vous prêtez peut-être à un jeu malsain. Investiguez donc avant de vous mouiller. Et forgez-vous votre intime conviction. Mais revenons à notre première hypothèse : vous savez qu’il sent mauvais et vous allez le lui dire. Mais pourquoi ? On ne dit pas à quelqu’un qu’il sent mauvais comme ça, comme on dirait il est 10h43… Et encore, on ne dit « il est 10h43 » que pour deux raisons : soit parce qu’on nous a demandé l’heure ; soit parce que l’on veut signifier qu’il est déjà ou seulement 10h43. Dans ce deuxième cas, il y a un objectif caché derrière l’affirmation. « Accélère, dépêche-toi ! » Ou « Ralentis !... » Donc la question est : pourquoi faut-il lui dire qu’il sent mauvais ? La réponse est simple : pour qu’il ne sente plus mauvais. Voilà votre objectif. Il n’y en a pas d’autre. Vous voulez qu’il adopte un comportement adéquat, qui fasse que dorénavant il ne sente plus mauvais. Vous allez lui dire qu’il sent mauvais pour qu’il ne sente plus mauvais. Ça peut paraître bizarre ces circonvolutions que l’on fait en l’attendant. On pourrait tout aussi bien jouer avec un élastique ou se boire un café. Mais non, c’est crucial. Cela veut dire qu’à partir du moment où on sait ce qu’on doit dire et pourquoi, tout le reste doit être évité. En fait, « tout le reste ne vous regarde pas ». Par exemple : - Pourquoi sent-il mauvais ? Ça n’est pas votre problème. Votre problème est le résultat, pas la raison. Que Gérard ait été mal éduqué, qu’il vive avec 45 chats et 3 cochons, qu’il joue tout son salaire au tiercé, qu’il ait l’eau en phobie, que sa religion lui interdise le savon ou encore – j’y reviendrai – qu’il ait perdu tout odorat à la suite d’une maladie… tout ça fait partie de la sphère privée dans laquelle vous n’avez pas à entrer. Pire : vous ne pouvez pas ! Ce serait de l’intrusion. Une porte ouverte même au harcèlement moral. - Que cachent ses mauvaises odeurs ? Et allons-y, jouons au psy de supermarché, mettez-le sur le divan et qu’il raconte son enfance, ce traumatisme d’avoir été tout nu devant sa grande-tante qui le savonnait avec de la brique pilée. Explorons un peu cette tendance au masochisme, Gérard, qui vous amène à tout mettre en œuvre pour être rejeté par vos collègues, de manière à être la victime permanente… Stop ! Même réponse que pour la première question : ce n’est pas votre domaine. Chacun ses problèmes. Le vôtre ce sont les conséquences : ce gars-là pue et ne doit plus puer. - Que peut-il mettre en œuvre pour ne plus sentir mauvais ? Eh quoi ? Vous allez l’initier à l’art de la douche et du gant de toilette ? Vous allez lui faire la réclame des derniers déodorants anti-transpirants testés tout spécialement pour lui ? Lui offrir une formation en accéléré sur l’art de lessiver des sous-vêtements sans en altérer les couleurs ? Stop également ! La solution, c’est son truc à lui. La seule chose qui vous importe, c’est qu’il ne sente plus mauvais, quoi qu’il fasse ! - Et si on le changeait de service ? Dans un service où il serait seul et n’incommoderait personne ? Ou si on coupait le chauffage dans le paysager qu’il partage, de manière à ce qu’il transpire moins ? Ou que l’on installe la clim afin de garder une température permanente de 18 degrés ?... Stop, stop, stop ! Rien ne sert de partir dans cette voie-là. Elle est illégitime. Une entreprise n’a pas à tenir compte des mauvaises ou bonnes odeurs de ses employés pour structurer son organigramme et son fonctionnement. C’est au contraire à tout un chacun de se conformer aux règles de fonctionnement. En l’occurrence, en ce qui concerne Gérard, aux simples règles de savoir-vivre. 1 Finalement c’est donc simple, extrêmement simple : vous savez ce que vous avez à dire et pourquoi. Vous n’en démordrez pas. Vous avez en vous cette intime conviction que vous avez raison de le dire, qui est la première condition de l’assertivité. Et donc vous êtes prêt. Ça tombe bien, parce que justement Gérard arrive. - Entre, Gérard, j’ai quelque chose à discuter avec toi… Suit éventuellement un petit rituel, comme on l’a vu en fin de chapitre précédent. Mais ne l’éternisez pas. Parce que tant que vous n’avez pas dit clairement ce que vous voulez dire, l’autre interprète, fantasme. Et peut croire que vous le menez en bateau. Son cerveau reptilien a déjà activé tous ses signaux d’alarme. Les préliminaires, en communication, peuvent nuire à la qualité de la relation. N’oubliez pas notre onzième leitmotiv : « Cessez d’être gentil, soyez vrai ! ». Et allez-y, dites-le. Tout de suite. - Vois-tu Gérard, j’ai un problème à évoquer avec toi. Ça n’est pas facile. Ni à dire, ni – j’imagine – à entendre. Alors voilà, je ne vais pas prendre des gants : il y a un problème avec tes odeurs corporelles… - … 1 Ne croyez surtout pas que ces questions soient exagérées. Elles le sont peut-être dans leur forme, mais sur le fond, elles sortent régulièrement lors des exercices que j’organise sur ce thème. - Tes collègues s’en plaignent. Ils m’en ont parlé. Et je sais que… malheureusement… ils ont raison. Et donc je t’en parle. Tu dois le savoir. A toi donc de faire quelque chose… Voilà. C’est simple. Déjà vous vous « sentez » (!) mieux. Soulagé. D’emblée. Tout est dit. Ou plutôt : tout ce que vous aviez à dire a été dit. Et ce qui ne devait pas être dit ne l’a pas été. Bien sûr l’autre, en face, n’est pas une machine. Il ne va pas nécessairement filer se refaire une petite beauté, pas plus qu’il n’aurait levé le doigt le plus haut possible tout simplement parce que vous le lui auriez demandé. Ses réactions seront éloquentes. Elles peuvent être de plusieurs ordres. Aucune ne peut être ignorée. 2 3 - Il nie. Vous avez le droit – et le devoir, hum, hum… – de refuser sa négation. Hé ! Vous savez que c’est vrai ! Pourquoi nier l’évidence ? Ecoute, Gérard, je peux supposer que ce ne soit pas facile à entendre, mais … euh… entre nous… on sait bien que c’est vrai… - Il est vexé, et se fâche. Eh là, il n’en a pas le droit ! Vous ne pouvez pas accepter cela. Déjà que ce n’est pas agréable à dire, mais si en plus il se fâche sur vous, alors là !... Ecoute, Gérard, que ça soit clair : je n’ai pas besoin d’en parler plus avec toi. Je l’ai dit : si ce n’est pas agréable à entendre, ça ne l’est pas non plus à dire. Aussi, je te prie de ne pas compliquer les choses davantage. Si je t’ai convoqué, c’est pour te dire cela, mais surtout pour que ça change .J’espère dès lors que tu comprendras le message, au point que l’on n’ait plus jamais à en parler. OK ? - Ça le paume complètement et il pleure. Magnifique ! Il est touché, le montre, et vous offre ses émotions. Ne les fuyez pas. C’est signe qu’il entend. L’important n’est pas ce qui est dit, mais bien ce qui est compris. Ne faites surtout pas comme certains le feraient en relativisant, allez c’est pas si grave, et tu sais, tu ne pues que de temps en temps… Non, non ! Entendez son émotion, comprenez-la, respectez-la ! Je comprends ta réaction, Gérard… Et je te remercie de me faire partager comme ça ton émotion. Je la respecte. Je peux supposer en effet que ce ne soit pas facile à entendre. Mais bon, maintenant tu le sais… Peut-être que ça peut expliquer un certain nombre de choses, que tu ne t’expliquais pas. Tes collègues ont essayé de te le faire comprendre, oh certainement maladroitement. Dès lors, maintenant, je crois que les choses sont dans tes mains. Autant le savoir. Il n’y a que toi qui puisses changer cela. La balle est dans ton camp… - Il est d’accord mais invoque des raisons médicales. S’il est recommandé de ne pas commettre d’intrusions inutiles en jouant au psy illégitime ou au sauveur du « triangle dramatique », 2 la situation devient différente si l’autre lui-même met sur la table ce qui touche à sa vie privée. Il en a le droit, mais ne le fera que s’il se sent en confiance, et que la qualité du dialogue, sans agressivité, le lui permet. Relisez les deux réparties qui démarrent le dialogue : elles le permettent. S’il arrive avec de tels arguments, il faut évidemment les entendre. 3 Ne pas se montrer désemparé, et démontrer à son interlocuteur qu’il a bien fait d’oser en parler. « Dramatique » vient ici de dramaturgie, dans le sens où dans ce « triangle dramatique », on est trois à jouer un rôle : le bourreau, la victime et le sauveur. Ce dernier exerce un rôle infiniment pervers, dans la mesure où sa fonction de sauveur n’existe que par le fait qu’il y ait une victime. Il renforce donc la victime dans son statut de victime. Pour sortir de ce triangle, il faut entrer dans un « cercle vertueux », où la victime reconnaît sa vulnérabilité, et se responsabilise. Le sauveur devient alors « personne aidante », qui n’agit que parce qu’il y a une demande de la personne vulnérable. Sans pour autant les lui souffler ou suggérer. C’est une tentation, pour soigner son confort d’émetteur, d’envoyer le récepteur chez le toubib pour qu’il ne sente plus mauvais. Mais il faut savoir qu’il y a plus de deux fois plus de personnes qui disent ne jamais se laver (3,8 %) que de personnes qui souffrent de troubles graves de l’odorat (1,7 %). (Portrait insolite de la France en 24 heures, Editions Tallandier, Paris, 2005) Je te remercie de m’en parler, et je comprends que ce soit délicat. Je comprends aussi le phénomène dont tes collègues se plaignent. Ça n’est pas facile, j’imagine. Leur en as-tu parlé ? Et crois-tu que ce soit une solution ?… En même temps, il faut garder à l’esprit l’objectif de la communication : lui faire adopter un comportement plus adéquat, quelles que soient les causes et les circonstances du problème constaté. Il peut y avoir énormément de solutions. A la communication établie entre Gérard et son chef de faire avancer la solution. Mais dans tous les cas, c’est à Gérard de la suggérer. Mais, je suis désolé de revenir là-dessus, il faut que l’on trouve une solution… Comment vois-tu les choses ? www.edipro.info/