Et si vous deveniez juré(e) d`un prix littéraire?

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Et si vous deveniez juré(e) d`un prix littéraire?
EXE page liminaire Prix du polar:Mise en page 1
26/10/10
Et si vous deveniez juré(e)
d’un prix littéraire ?
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Bryan Gruley
UN MORT À
STARVATION LAKE
R O M A N
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Benjamin Legrand
Le Cherche Midi
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Une première édition de cet ouvrage a paru au Cherche Midi,
sous le titre Starvation Lake, en 2009.
TEXTE INTÉGRAL
TITRE ORIGINAL
Starvation Lake
ÉDITEUR ORIGINAL
Simon & Schuster, Touchstone
© original : Bryan Gruley, 2009
978-2-7578-1523-6
(ISBN 978-2-7491-1530-6, 1re publication)
ISBN
© Le Cherche Midi, 2009, pour la traduction française
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collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé
que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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PROLOGUE
La rambarde en fer oscilla dangereusement dans sa
main quand il grimpa les marches du perron. Il manqua tomber. Après trois essais, il décréta que la sonnette ne fonctionnait pas. La porte grillagée ne voulait
pas s’ouvrir, alors il ôta un gant et frappa sur le cadre
en aluminium. De la peinture couleur de soupe aux pois
cassés s’écaillait sur la surface de la porte d’entrée.
Une goutte de pluie glaciale tomba de l’auvent sur sa
tête et coula le long de sa nuque. Il s’essuya d’une
main, regarda vers le haut et reçut une autre grosse
goutte sur la joue. « Merde », dit-il. Il recula d’un pas
en resserrant sa veste de camouflage autour du paquet
qu’elle protégeait.
Il examina la rue. Personne en vue. Deux Ford, une
Chrysler, et son pick-up Chevrolet garés le long du
trottoir. Sous un porche, une unique lampe tremblotait
tristement dans la pénombre. Deux portes plus loin, un
incendie avait noirci de suie le flanc d’une maison et
le vent agitait des rideaux là où il y avait eu une
fenêtre. Il regarda à ses pieds. Des taches brunâtres
constellaient le perron de béton, descendaient les trois
marches jusqu’à la petite allée cimentée menant à la
rue. Les taches semblaient devenir de plus en plus
grosses en se rapprochant du trottoir. Il espéra que ce
n’était pas du sang.
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Il frappa de nouveau. Bon sang, se dit-il, je savais
que j’aurais dû me contenter de l’expédier comme
d’habitude. Quatre heures pour descendre dans cette
ville de merde, et maintenant je dois poireauter, en
plus ? Comment ce mec fait pour travailler dans ce trou ?
Il a une chambre noire là-dedans ? Il regarda sa montre.
S’il arrivait à régler ça dans l’heure qui suivait, il aurait
encore le temps de se rendre dans l’un des clubs de
Windsor avant de rentrer chez lui.
Il entendit quelque chose remuer à l’intérieur, puis
des pas de l’autre côté de la porte. Il déglutit avec difficulté et recula. C’est rien qu’une livraison, se dit-il.
Tu laisses le truc et tu t’en vas.
La porte grinça en s’entrouvrant à peine. Il sentit une
odeur de chou et de cigarettes. Le visage pâle et rond
d’une femme apparut au-dessus de la main qui tenait
la porte. Elle semblait ne rien porter d’autre qu’une
chemise de flanelle qui lui tombait jusqu’aux genoux.
« Qu’est-ce que c’est ? dit-elle.
– Riddle. J’ai quelque chose pour Charley. »
Il sortit l’épaisse enveloppe kraft de sous son manteau.
« Riddle ? Z’êtes un blagueur 1 ? »
Elle avait un accent qu’il n’arrivait pas à identifier.
Mon Dieu, songea-t-il, est-ce qu’elle va au moins comprendre un mot de ce que je dis ?
« C’est mon nom. Est-ce que Charley est là ? »
L’enveloppe était entourée de bande adhésive et d’élastiques. Elle la regarda avec dédain.
« Y a pas de Charley. On veut pas d’livraison.
– C’est l’adresse qu’il m’a donnée. »
Il regarda le numéro sur la plaque clouée dans la
brique.
1. Jeu de mots sur le nom du personnage : Riddle, en anglais,
signifie « devinette », « énigme », « blague ». (.d.T.)
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« Cecil Avenue, c’est bien ça ? »
De l’intérieur, une voix d’homme appela : « Magda ! »
Elle lui cria quelque chose dans sa langue. Il aboya
quelque chose, se rapprocha, et la femme disparut subitement, laissant la porte entrebâillée. L’homme l’ouvrit
en grand. Pieds nus, il portait un pantalon de survêtement taché de peinture et un tee-shirt gris où on
pouvait lire : « Property of Detroit Lions ». Un sourcil
continu surplombait ses yeux caves et noirs. Il tenait la
porte d’une main et gardait l’autre derrière son dos.
« Vous voulez quoi ?
– Normalement, je dois livrer ça à Charley.
– Charley ? »
L’homme faillit sourire, puis décida de ne pas le
faire.
« Jarek.
– Jarek ? »
Riddle gloussa nerveusement.
« Jarek. Charley. Pigé. Je peux laisser ça pour lui ? »
L’homme fit passer son poids de son pied gauche
vers le droit, gardant toujours une main cachée dans
son dos. Riddle essayait de ne pas la regarder.
« Vous venir du Nord ? demanda le type.
– Oui, m’sieur. À quatre heures de route. »
L’homme fixa Riddle pendant un moment.
« Pourquoi vous porter veste de l’armée ? demandat-il. Vous militaire ? »
Riddle se surprit à regarder sa veste de camouflage.
« Oh, non, m’sieur. C’est pour la chasse. Daims,
lièvres, vous savez...
– Aha. Vous être tueur, alors. Vous amener fusil ?
– Mon fusil ? Oh, non, m’sieur. Il est dans une armoire
chez moi. »
L’homme releva légèrement la tête.
« Vous entrer ?
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– Merci, mais non, il faut vraiment que je parte. J’ai
un long trajet de retour. D’autres livraisons à faire,
vous voyez. Désolé.
– Autres livraisons ? »
L’homme se pencha en avant.
« Quelles autres livraisons ? »
Riddle jeta de nouveau un coup d’œil vers la rue.
Toujours pas une âme en vue. L’après-midi touchait à
sa fin.
« Rien, dit-il. Il faut juste que je rentre.
– Jarek pas là.
– Non ?
– Non. Plus ici.
– Je vois. Bien. »
Riddle tenta ce qu’il imaginait être un sourire commercial.
« Vous savez où je peux le trouver ? »
À la seconde où cette question franchissait ses lèvres,
il souhaita ne pas l’avoir posée.
« Jarek reviendra pas. Vous pouvoir me laisser enveloppe. »
L’homme poussa la porte grillagée avec la main qu’il
dissimulait. Elle ne tenait qu’une cigarette. Riddle lui
donna l’enveloppe.
« OK, alors, dit Riddle, vous la renverrez à l’adresse
habituelle ? »
L’homme claqua la porte sans ajouter un mot.
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Février 1998
1
Il ne faut jamais les regarder dans les yeux. Pas une
fois. Pas une demi-seconde. Pas si vous êtes gardien,
comme moi. Parce que le mec qui va frapper le palet
veut précisément que vous regardiez ses yeux. Et alors
il va regarder d’un côté, et tirer de l’autre, ou alors il va
attirer votre regard juste à l’instant où il fera filer le
palet entre vos jambes. Ou bien il va le bloquer juste
assez longtemps pour vous rappeler qu’il sait exactement ce qu’il va faire et pas vous, vous qui ne faites
que souhaiter et espérer que vous allez deviner correctement. Alors que vous ne contrôlez absolument rien.
Et juste après, vous êtes mort.
Il n’était pas loin de minuit. Je gardais ma cage du
côté sud de la patinoire Memorial John D. Blackburn.
Et je criais à l’aide. Soupy 1 pédalait en marche arrière
pour m’en apporter. Il semblait qu’il allait arriver juste
à temps pour couper la route de l’ailier de l’autre équipe,
quand la lame de son patin chopa un accroc dans la
glace et qu’il s’envola. Son casque, un vieux Cooper en
trois parties maintenues par des lacets et du chatterton,
tomba de sa tête et partit valser sur le sol.
« Putain de merde ! » hurla-t-il.
Boynton évita Soupy et le casque, et vira vers le
centre de la glace, fonçant vers moi, seul. Il était grand
1. Surnom signifiant : « sentimental », voire « larmoyant ». (.d.T.)
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et mince, entièrement vêtu de noir, et gardait la tête
haute en passant la ligne bleue, cherchant mon regard.
Je me concentrai sur le palet, qu’il faisait glisser
d’un côté à l’autre, de l’arrière de sa crosse jusqu’à
l’avant. Mon équipe menait, 2 à 1. Plus qu’une minute
à jouer dans le dernier tiers-temps. Ma main gauche,
bouillante dans ma mitaine, vint cogner une fois contre
mon ventre, involontairement, avant de repartir sur le
côté, ouverte et prête. Mon bras droit pressait le bas de
ma crosse de gardien contre le papier de verre de la
glace. Je me ramassai sur moi-même de quelques centimètres, enfonçai l’intérieur de mon patin droit dans
la glace et glissai en arrière de 20, 30 centimètres.
J’enfonçai ma tête dans mes épaules. La fine couche
de sueur sous mon masque me piquait les joues. Je plissai les yeux, fort.
J’aurais voulu ne pas être là. Dans une patinoire de
hockey ouverte à tous les vents et puant le réfrigérant.
Très tard le soir. Dans une ville à deux feux rouges,
accrochée à l’extrémité sud-est d’un lac gelé, dans la
partie nord du bas Michigan. J’avais quitté cet endroit
des années auparavant sur un échec, avec l’intention
de ne jamais y revenir. Et maintenant j’étais de retour,
contre ma faible volonté, et après avoir misérablement
échoué, ailleurs. Le jour, j’étais rédacteur en chef adjoint
du Pine County Pilot, 4 733 abonnés, paraissant tous
les jours sauf le dimanche. La nuit, je gardais les buts
de la Ligue des vétérans de minuit, entouré d’hommes
que j’avais connus enfants. Entre les deux, j’attendais
que quelque chose vienne changer ma vie, vienne me
sortir à nouveau de Starvation Lake. C’est ce que font
les gardiens. Ils attendent.
Quand Boynton fut à 5 mètres, je sentis qu’il laissait
tomber son épaule droite comme s’il allait tirer. Juste
à cet instant, le palet rebondit sur quelque chose – une
excroissance de glace, un éclat de bois – et se mit à
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tourner sur la tranche. Le temps d’un clin d’œil, j’aperçus un logo peint en écarlate sous le palet. Je me laissai tomber sur un genou et balançai ma crosse en avant,
touchant juste assez le palet titubant pour le faire passer au-dessus de la crosse de Boynton. Il disparut derrière lui et Soupy, tête nue, déboula et l’emporta au
loin.
Mais Boynton continuait à glisser. J’essayais de me
remettre sur pied quand sa crosse vint me frapper sous
l’oreille gauche, juste au bord du casque. La douleur
me déchira la mâchoire et descendit jusque dans mon
cou. Le genou de Boynton éperonna ma poitrine et je
m’écrasai en arrière, ma tête venant rebondir sur la
glace pendant qu’il me dégringolait dessus. Des odeurs
de tabac, de bière, de sueur et de sparadrap emplirent
mes narines. J’entendais l’arbitre siffler, encore et
encore. Je rouvris les yeux. Le visage de Boynton était
à 10 centimètres du mien, tout sourire, me fixant de
ses yeux sombres.
« Putain de veinard », cracha-t-il avant que je ne
m’évanouisse.
Mon attente était finie.
L’aiguille trouait ma peau le long de la mâchoire, et
j’enfonçais mes doigts dans le bois tendre de l’établi
de Leo pendant qu’il me recousait. J’avais essayé d’engourdir le côté gauche de mon visage avec une poignée de neige, mais les points de suture piquaient
quand même. Il en fallut six pour refermer la coupure.
« Merci, Leo », dis-je. Dans le grand abri d’acier
derrière la Blackburn Arena, l’air était empreint d’une
douce odeur de gasoil. Je bus une gorgée de bière,
assis sous le cercle de lumière que répandait une
ampoule suspendue au plafond. Leo passa dans la
pénombre pour jeter son aiguille dans une poubelle.
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Elle fit pling en rebondissant sur l’une de ses cannettes
de 7Up vides.
« Essaye de faire plus attention, dit Leo, en émergeant de nouveau dans la lumière. Vous, les garçons,
vous n’êtes plus des gamins. »
Pendant quelque chose comme trente ans, Leo Redpath s’était occupé de la maintenance du compresseur
de la patinoire, des racloirs à glace et de la machine
Zamboni qui fabriquait la glace. Il s’occupait de la
menuiserie, de la plomberie et de tout ce qui permettait aux vestiaires, au snack-bar et aux toilettes de
fonctionner correctement. La plupart du temps, il restait dans son coin, se contentant de bricoler dans sa
remise et de veiller sur la Zamboni qu’il appelait affectueusement Ethel. Et même si Leo n’était pas médecin,
son établi se transformait parfois en table d’opération
pour des joueurs qui ne voulaient pas s’embêter à aller
à la clinique locale. Il faisait ça depuis si longtemps
qu’il ne laissait quasiment plus de cicatrices visibles.
« T’as regardé la partie ce soir ? demandai-je.
– Je ne regarde jamais », dit Leo.
Son mensonge me fit sourire. Les points de suture
me tiraient le menton. Je distinguais sa large silhouette
penchée comme un bossu évoluant dans l’ombre autour
d’Ethel.
« C’est pas souvent qu’on voit du hockey comme ça
à Starvation Lake.
– Je suis certain qu’aucune parole aussi vraie n’a
jamais été prononcée, dit-il.
– C’est cette vitesse trompeuse, hein, Trap ? »
La voix venait de l’autre bout de l’abri. Soupy entra
avec une bière à la main et deux de plus sous le bras,
vestiges d’un pack de six.
« On est même plus lent qu’on n’en a l’air. »
C’était une de ses répliques favorites, et il en rigola
tout seul.
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Leo sortit de derrière Ethel.
« Tiens, mais voilà Sonja Henie, dit-il. C’était un
triple salto qui t’a fait retomber sur ton derrière 1 ?
– Derrière? fit Soupy. Derrière, putain ! On t’a pas
déjà dit 8 millions de fois de ne pas parler français
ici ? Je pense que le mot que tu cherchais, mon pote,
c’est cul. Et d’ailleurs, c’est qui, cette Sonja Henie 2 ?
– Leo n’a pas regardé le match », dis-je.
Parler me faisait mal.
« Exact, dit Leo. Mais j’en ai aperçu un brin en allant
porter un carton de bonbons à la menthe au snack-bar. »
Je sautai de l’établi. Mes dents s’entrechoquèrent
quand mes pieds atterrirent.
« Eh bien, t’as peut-être remarqué si Soupy a poinçonné le ticket de Boynton en le laissant passer ?
– Tu charries, Trap », dit Soupy.
Il faisait une tête de plus que moi, grand et maigre
dans son pardessus en jean avec les mots « Starvation
Lake Marina » encerclant une ancre brodée sur sa
poitrine. D’épaisses boucles blondes dépassaient de sa
casquette de laine rouge.
« Je t’ai donné une chance de briller. Tu devrais me
remercier pour ça.
– Je l’aurais bien fait, mais j’étais dans les vapes. »
Je finis ma bière, balançai la boîte vers la poubelle,
la ratai et me dirigeai vers le stock que Soupy avait
apporté. Leo ramassa la cannette vide.
« L’ultime agression de Terry Boynton, dit Soupy.
Tu le mets en échec, il te fonce dedans. »
Pendant que j’étais dans les vapes, m’expliqua Soupy,
Boynton avait menacé de cogner un arbitre, qui l’avait
exclu du match.
1. En français dans le texte.
2. Sonja Henie (1912-1969), médaillée d’or de patinage artistique en 1928.
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« Cet enfoiré ne voulait probablement pas te mettre
K-O. Ou peut-être que c’est ce qu’il cherchait, va
savoir. »
Soupy prit une longue gorgée de bière.
« Il a probablement pas aimé ton éditorial. »
J’ignorais complètement que Soupy lisait les éditoriaux.
« Probablement pas, oui. »
Je regardai autour de moi. Leo avait de nouveau disparu derrière Ethel.
« On a un rendez-vous demain.
– Avec le p’tit Teddy ? demanda Soupy.
– Et son avocat.
– Son trou du cul d’avocat, Trap.
– Bien sûr. »
Soupy mit sa bière contre sa tempe.
« Essaye de garder la tête froide, cette fois, hein ?
– Silence, s’il vous plaît. »
Leo était en train d’essayer d’écouter le scanner de la
police. Il était posé sur une pile de caisses de lait et
lui tenait compagnie lors de ses longues nuits de
veille. Nous entendîmes quelques grésillements suivis
de quelques bips, puis la voix de la dispatcheuse, Darlene Esper. Elle parlait avec un adjoint en route vers
Walleye Lake. Une motoneige était remontée à la surface.
« Bon Dieu », dis-je. Ce n’était probablement rien.
Mais chaque habitant du coin âgé de plus de 50 ans
avait un scanner, pour écouter la police, placé près de
son lit, sur l’établi de son garage, ou sur l’étagère audessus de la machine à laver, et tout le monde allait
parler de cette motoneige de Walleye Lake le lendemain matin au Audrey’s Diner. Je pris le vieux téléphone à cadran de Leo et composai le numéro du
bureau du shérif. Une des caractéristiques du poste de
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rédacteur en chef adjoint du Pilot était de connaître ce
numéro par cœur. Darlene répondit.
« Adjointe Esper, dis-je, Gus Carpenter. »
J’espérais un rire. Darlene et moi avions grandi dans
deux maisons voisines. Nos mères avaient finalement
abandonné l’idée de nous marier. Darlene aussi.
« Gussy, dit-elle, tu as entendu le truc de la moto ?
– Ouais.
– Tu ferais mieux de te pointer là-bas. Le shérif y est.
– Dingus ? Pourquoi ? Y a un buffet à volonté là-bas
ou quoi ?
– Vas-y, Gus. »
Je restai collé au téléphone – sa voix me faisait toujours cet effet-là – mais elle avait déjà raccroché.
Je fermai mon parka, sortis les clés de mon pick-up.
« Merci pour la broderie, Leo », dis-je.
Il ne répondit pas.
« T’arrives pas à rester loin d’elle, pas vrai ? dit
Soupy.
– Bonne glisse, Soup », fut tout ce que je répondis.
Alors que je m’enfonçais dans la nuit, je l’entendis
crier :
« Mrs. Darlene Esper... les plus doux adieux de Starvation Lake. »

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