Dix choses sur Roger Federer … pour dix sortes de lecteurs

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Dix choses sur Roger Federer … pour dix sortes de lecteurs
Roger Federer :
Dix choses sur Roger
Federer … pour dix
sortes de lecteurs
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1.Vous ne savez pas qui il est ; dans le fond, ca
vous est un peu égal mais vous voudriez bien
savoir quand-même … du moment que ça ne
prenne pas trop de temps Roger Federer est un
joueur de tennis de nationalité suisse. Il a 28 ans.
Pour beaucoup, il est sans aucun doute le plus
grand joueur de tous les temps. S’il y avait un sens
à comparer les sports et leurs champions entre
eux, seules des têtes aussi couronnées que le roi
Pelé ou « his Airness » (Michael Jordan) pourraient
lui faire concurrence. Dans l’histoire du tennis,
Federer est le joueur qui a remporté le plus grand
nombre de tournois du Grand Chelem (Australian
Open, Roland Garros, Wimbledon, US Open) : 16
au total, soit deux de plus que Pete Sampras. Il est
également l’un des rares a s’être adjugé au moins
une fois chacun de ces trophées. Il est surtout,
performance invraisemblable, le seul joueur a avoir
atteint 23 fois d’affilée le stade des demi-finales
(ou mieux) dans ces mêmes tournois Grand
Chelem. Au total Federer a remporté 62 titres du
circuit professionnel. Il est également le joueur qui
a gagné le plus d’argent grâce a des victoires en
tournoi. Le total de ses gains ou « prize money »
au 26 avril 2010 s’élevait a plus de 55 millions de
dollars. Son jeu est le plus naturel, le plus élégant
qui soit. Il a développé un tennis tout en « timing ».
Chez lui, l’apparence est celle de la simplicité, de la
facilité ; la beauté du geste est indicible, presque
chorégraphique. Il a tous les coups du tennis. Un
grand service qu’il ne frappe pas deux fois de la
même manière. Un des plus grands coups droits du
circuit, en manière de « coup de patte de lion ». Un
jeu de volée qui lui a permis de décrocher une
médaille d’or aux J.O., en double. Un revers
multiforme. Enfin, il a tous les coups qui ne portent
pas de nom, qui arrachent des cris d’admiration et
donnent des souvenirs inoubliables aux publics du
monde entier. 2. Vous ne vous intéressez pas au
tennis mais les stars vous intriguent : vous voudriez
vraiment savoir de quoi il a l’air de près C’est en
2005 que j’ai vu Roger Federer pour la première
fois. A la suite d’un concours de circonstances,
j’avais pu me glisser dans le lounge des joueurs au
tournoi de Dubai. Rien ne ressemble d’avantage à
une salle de restauration qu’une autre salle de
restauration. Celle-ci était plutôt confortable, garnie
de gros fauteuils bruns. Un buffet de protéines y
accueillait les sportifs. Dans ce décor tranquille de
salon d’aéroport, Roger, assis près d’une grande
fenêtre, enroulait un morceau d’étoffe protectrice
autour du manche de sa raquette. Ce qui frappe
immédiatement, c’est la jeunesse. On oublie
facilement que ces champions qui ont remporté en
quelques années plus de récompenses que nous
n’en gagnerions en quarante vies consécutives,
sont plus jeunes que le dernier stagiaire engagé au
bureau … La télévision, ça veillit terriblement. Ce
qui frappe ensuite, c’est la taille, haute et les
épaules, amples. Lorsqu’on est assis juste derrière
lui sur le banc des photographes, c’est également
ce qui surprend: un tronc en « V » montant sur une
envergure de condor … rien de trapu, de ramassé,
un corps fait pour la vitesse, la durée … La
télévision, ça grossit terriblement.Très souvent, en
dehors des courts, un sourire large et bienveillant
lui traverse le visage. Il a clairement pris
conscience de son rôle d’ambassadeur du sport et
se prête avec beaucoup de douceur à la figure
imposée des photographies et des autographes. Il
sait que les grands sont épiés, que leurs attitudes
sont grossies vingt fois pour devenir des sujets
d’actualités.
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3. Vous suivez le sport de manière générale et
pensez qu’il s’agit d’un grand champion sur le
déclin
Un grand champion sur le déclin, voilà qui
prête à sourire. Admettons-le, certains feraient
volontiers d’un tel « déclin » leur apothéose … La
vérité, c’est que la domination exercée par Federer
a pris de la patine … elle est moins insolente, plus
noble qu’avant. Roger a choisi son sommet … il se
trouve dans le dernier tronçon de l’ascension …
tous les autres sont derrière. Il n’a plus d’autre
adversaire que lui-même. Chaque pas
supplémentaire sera un pas « dans la légende » et
non plus « vers la légende » …Il suffit d’imaginer
un autre Roland Garros, un autre Wimbledon, une
victoire en Coupe Davis, une médaille en simple
aux jeux Olympiques de 2012 … Chaque nouveau
trophée contribuera a placer Roger Federer,
toujours davantage, hors de portée de ses
successeurs, à un endroit de plus en plus unique
dans l’histoire du tennis. Comment dans ces
conditions parler de déclin ? Il ne peut plus y avoir
de déclin. Seulement le chapitre final d’une épopée
glorieuse ... 4. Vous avez autre chose a faire que
de lire l’Equipe a tout bout de champ mais tenez
pour certain que Federer est incapable de battre
Nadal Nous devons nous sentir comblés d’être
les témoins de la rivalité entre Federer et Nadal.
Espérons que celle-ci survive encore quelques
années a la réussite du premier et aux blessures
du second. Nadal fait à la fois figure de malédiction
et d’aubaine pour Federer. Sans l’homme de
Manacor, Federer aurait sans doute realisé
plusieurs fois le Grand Chelem. Le tennis mondial
se serait trouvé à sa merci des années durant.
Mais voilà, non seulement Federer a-t-il eu jusqu’ici
la carrière à laquelle son prodigieux talent le faisait
aspirer, mais en plus, il a trouvé sur sa route
l’adversaire qu’il méritait : un adversaire grandiose,
dépositaire du tennis défensif le plus beau et le
plus inspiré qui se pût concevoir … un tennis qui
s’est diversifié au fil des ans pour devenir un jeu
chatoyant et spectaculaire d’attaquant de fond de
court. Qu’aurions-nous fait d’une compétition a
sens unique, sans opposition et sans âme ? A ce
jour, Federer a été battu 13 fois par l’Espagnol
alors qu’il ne l’a lui-même vaincu qu’à 7 reprises.
Nous aurions pu avoir une comptabilité plus
équilibrée, voire favorable au Suisse ... Si celui-ci
n’était pas passé à côté de toutes ces occasions ou
les deux hommes ont été si proches et où le sort …
et Nadal ont choisi Nadal. J’ajoute « et Nadal » car
s’il est bien une chose qu’il faut reconnaître a ce
champion, c’est la capacité presque surnaturelle
qu’il a eue d’élever son niveau de jeu dans tous les
moments ou Federer le « menaçait de mort » …
Ses victoires au corps a corps, Nadal ne les a
jamais attendues. Jamais il n’a tournoyé dans le
ciel en attendant que sa proie succombe … Il a
conquis ses succès les uns après les autres, a
force de passing shots invraisemblables … Il s’est
couvert de gloire au filet, a ressuscité des balles
que personne ne comptait revoir. Il a forgé son
destin et a contribué a rendre celui de Federer plus
phénoménal, plus émouvant qu’il n’eût été sans lui.
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5. Vous avez depassé le stade des considérations
superficielles et vous demandez pourquoi aucune
statue de Federer n’existe aujourd’hui en Afrique
du Sud. Voilà un sujet intéressant et qui ne
concerne pas que Federer. Chacun sait que Roger
est né de père suisse et de mère sud-africaine.
Que Roger se considère suisse et non sud-africain
est parfaitement naturel. Ce qui étonne, c’est qu’il
n’y ait personne en Afrique du Sud pour se
l’approprier davantage. Avez-vous déjà rencontré
des Sud-Africains revendiquant les succès de
Federer ? Moi non. Cela dit, je n’ai pas rencontré
beaucoup plus de Français qui revendiquaient le
génie de Frederic Chopin. Il faut croire que le public
respecte le droit des artistes a l’auto-détermination
... 6. Vous suivez le tennis a travers les journaux
et parfois a la télévision : pour vous, Federer est
tout sauf un joueur de terre battue. Par ailleurs,
vous doutez de la qualité de son revers. Avec un
palmarès comme celui de Federer, n’importe quel
Argentin serait vu comme un virtuose de la terre
battue. Jugez plutôt : un titre, trois finales et une
demi-finale aux Internationaux de France, quatre
titres et une finale a Hambourg, un titre à Madrid, un
à Estoril, trois finales a Monte-Carlo, deux finales a
Rome ...Peut-être Roger est-il même le plus grand
joueur de l’histoire sur terre battue … après Rafael
Nadal, son contemporain. Un Nadal dont la
capacité à lever à hauteur d’épaule des balles
lourdes comme la fonte fait merveille au printemps
… Un Nadal, surtout, dont la capacité à survivre
dans l’échange confine à l’invincibilité sur cette
surface. Le revers de Federer est un sujet
autrement complexe. On a tous en mémoire les
revers boisés spectaculaires du Bâlois. Pour être
spectaculaires, ils ne sont pas fréquents … on ne
reste pas numéro un mondial 237 semaines
d’affilée avec un coup médiocre dans son arsenal.
Si l’on observe bien le jeu du Suisse, on voit qu’il
n’a pas un revers mais vingt, trente ... Il lifte, coupe,
frappe à plat, vers l’avant, en reculant, stable sur
son pied droit ou en déséquilibre … Dans un
sifflement, il envoie des « slices » mourir aux pieds
des géants. D’un geste du bras, croisant au carré
de service, il égare son adversaire dans les gradins
… il amortit, lobe, smashe en suspension, abrège
un mouvement pour dérouter, ajuste une trajectoire
à la dernière seconde … Enfin, il y a le revers
parfait, expérience « mystique » au sens d’«
approche expérimentale du divin » … Wimbledon
2008, Nadal obtient une balle de match contre
Federer, sur son service, au tie-break du quatrième
set. Federer l’écarte grâce a un sublime passing
shot le long de la ligne. Ce revers, Federer le
conduit pleinement, partant de l’arrière et décrivant
la boucle basse d’un huit aérien dans un grand
mouvement qui se poursuit à la verticale, la
raquette s’élevant vers le ciel comme un cantique.
A ce moment, c’est certain, couvert par les
hurlements du stade, un ange a chanté sur le
Central de Wimbledon. 7. Vous êtes coureur de
marathon et pour vous, le tennis n’est pas un sport
exigeant (tout juste davantage que le baseball, le
curling et la belote). Dans ce contexte, vous vous
demandez parfois pourquoi tout ce foin … Et moi,
je me demande comment on peut courir le
marathon …
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8. Vous vous y connaissez. Selon vous, Federer
est un très grand joueur. « Dommage que le mental
ne suive pas… » Wimbledon 2009 : Andy
Roddick est en état de grâce. Pas une fois dans ce
match le Suisse ne lui prendra son service, pas une
fois avant … le 30ème jeu du 5ème set. Sans
broncher, pendant plus de quatre heures, le Suisse
assiste au spectacle de l’invulnérabilité de
l’Américain ... Il prend des coups, est mené 2/6
dans le tie-break du second set avant de remporter
la manche, combat pour « rester en vie » tout au
long de la partie jusqu’à cette première balle de
break convertie … qui est aussi la balle de match,
celle qui lui offre un 15ème trophée et le record de
victoires en Grand Chelem. Vous disiez ? 9. Vous
rendez hommage au talent … le problème, selon
vous, c’est que Federer n’est pas « fun ». A vous
écouter, on doit regretter la grande époque des «
animateurs de stades », genre Nastase ou Mc
Enroe. Sommes-nous certains que nous
sommes venus chercher au tennis une « distraction
» ? Ne sommes-nous pas venus, au contraire,
nous « concentrer » pour profiter pleinement du
spectacle ? Et d’où vient la qualité du spectacle
tennistique ? Du talent et de l’inspiration des
joueurs, de leur engagement physique et mental,
de la tension créée par une lutte serrée ...Tout cela
nous est offert par le Suisse dans les grandes et
parfois les moins grandes occasions. Ses très
grands coups procurent l’émerveillement, sous une
forme difficile à répliquer. La réjouissance offerte
par les facéties d’un joueur sera, quant à elle,
presque toujours de moindre qualité que celle
qu’on peut s’offrir au théâtre, au cabaret ou au
cinéma. Enlevez leur talent de joueur à Nastase et
à Mc Enroe et il ne reste que votre oncle Armand
en train de jurer sur le terrain le dimanche quand
son service « ne passe pas ». 10. Vous êtes bien
renseigné sur le joueur, sa carrière, le contexte
dans lequel il évolue mais vous vous demandez
comment il est possible que tant de personnes
aient versé des larmes de joie lorsqu’il a gagné
Roland Garros Elle est mystérieuse, la capacité à
générer l’empathie … Federer est plus qu’un sportif
exceptionnel. C’est devenu un héros. Tous les
ingrédients sont là : c’est un grand champion,
élégant côté court et côté ville. Courtois, souriant,
attentionné, il se consacre également à de nobles
causes. Son talent et son fair-play ont été
également récompensés par des prix de toutes
sortes. En un mot, Federer est, de longue date, un
modèle pour des millions d’admirateurs. Pour en
faire un héros, il fallait qu’il connaisse une véritable
épreuve, une terre inhospitalière, un combat à la
dimension de son génie. Il fallait Roland Garros, sa
quête épuisante, sa conquête interminable … Grâce
à cette épreuve, à tort ou à raison, la morale s’est
placée du côté de Federer. Il n’était plus seulement
« beau » que Federer l’emportât, c’était devenu «
juste ». Le 15ème jour du tournoi, Dieu créa la
légende du tennis. Federer y entra pour toujours ...
et tous en furent émus.