Les défis de la justice pénale internationale

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Les défis de la justice pénale internationale
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L’avenir à ceux qui luttent
Une deuxième décennie pour la CPI
Les défis de la justice pénale internationale
Sébastien Jodoin
Jayne Stoyles
Sébastien Jodoin est chercheur au
Centre canadien pour la justice internationale (CCJI) et un Boursier de la
Fondation Trudeau à l’Université Yale.
Jayne Stoyles est la directrice exécutive
du Centre canadien pour la justice
internationale (CCJI).
PHOTO DE COURTOISIE
À bien des égards, la CPI représente une grande avancée dans la lutte contre l’impunité pour les crimes de
guerre, actes de génocide et crimes contre l’humanité. La Cour fait toutefois face à des défis de taille.
CPI nécessite un financement
constant et adéquat de la part
de la communauté internationale. Or, le budget de l’organisation risque d’être la victime
des compressions budgétaires
de ses États membres en cette
période d’austérité alors que de
nouvelles enquêtes ont cours en
Libye et en Côte d’Ivoire. Considérant le bouillonnement politique mondial de la dernière
année, les nécessaires interventions à venir et le mandat
dynamique de la CPI, ses États
membres doivent s’engager à
supporter financièrement la CPI
et ainsi assurer sa capacité à
s’attaquer aux enquêtes et procès présents et futurs.
Par ailleurs, ne disposant d’aucune force militaire autonome,
la CPI doit pouvoir compter
sur la coopération de ses États
membres pour imposer son autorité comme instance judiciaire.
Avec le président du Soudan,
Omar Al-Bashir, toujours en
liberté près de quatre ans après
sa mise en accusation, la coopération déficiente de certains
États est un véritable enjeu qui
mine la crédibilité de la Cour.
En effet, plusieurs de ces États
membres n’ont pas offert leur
pleine coopération pour faciliter
les efforts d’enquête de la Cour
ou de mise en œuvre des mandats d’arrestation qu’elle émet à
l’égard d’individus soupçonnés
de crimes internationaux.
En plus de rencontrer leurs
propres obligations de coopération avec la CPI, il est primordial
que les États membres utilisent
leurs ressources diplomatiques
et matérielles pour favoriser
une plus grande coopération de
À VOUS LA PAROLE
Un contrat social
LeDroit nous apprend que la CLASSE se
prépare à la rentrée scolaire (LeDroit,
13 juillet). Peut-être que nous, les débonnaires et silencieux contribuables,
devrions-nous nous y préparer aussi.
Puisque nous payons en moyenne 87 %
du coût réel d’une année d’étude universitaire, pourquoi ne pas exiger que chaque
étudiant admis à cette année signe un
contrat ? Dans ce contrat, en contrepartie
de notre généreuse contribution, l’étudiant s’engagerait à rembourser cette
somme s’il abandonnait ses études, sauf
pour des raisons hors de son contrôle. Et,
comme le fabuliste, je suis tentée d’ajouter que cette leçon d’économie vaudrait
bien la supposée « grève », sans doute.
Marthe Laflamme, Lochaber Ouest
[email protected]
Faire la CLASSE aux autres…
Sous le couvert d’une cause tout à fait
légitime en soi – la baisse des frais de
scolarité – la CLASSE se donne soudainement pour mission de changer la société
dans laquelle on vit et de prôner un nouveau mode de démocratie populaire.
C e s u p p o s é m o u ve m e n t à d i m e n sion humaine, selon son porte-parole
Gabriel Nadeau-Dubois, veut porter son
message à toutes les régions du Québec
et ailleurs au Canada, et faire croire à
la population que l’on peut arriver, à
force de démonstrations et de coups de
gueule, à effrayer un premier ministre
(LeDroit, 13 juillet), à faire fi des lois
légitimement adoptées par nos élus et
à se moquer des injonctions émises par
l’appareil judiciaire.
Ce sont ces mêmes personnes qui
incitent des étudiants à intimider leurs
confrères qui veulent entrer en classe,
qui fomentent des actes de violence
à l’endroit des politiciens et chroniqueurs bien connus, qui banalisent la
violence lors des manifestations et qui
profèrent des menaces aux organisateurs d’événements culturels et sportifs
d’envergure.
En agissant ainsi, ces gens-là
confondent démocratie et anarchie.
Si encore nous connaissions les véritables dirigeants de ce mouvement, les
mobiles qui les habitent, leurs visées
politiques à plus ou moins long terme,
voire le modèle de démocratie populaire
qu’ils désirent mettre de l’avant, plutôt
que de se cacher derrière des supposés
congrès à huis clos et de se contenter
de réclamer à hauts cris la défaite du
gouvernement.
Sachez, messieurs, dames, que lorsque
l’on veut changer le monde, il faut
avoir des couilles, avancer des idées
constr uctives, savoir les débattre
ouvertement, apprendre à faire des
compromis, au besoin et, plus encore,
avo i r l e c o u r a g e d ’ a f f r o n t e r l a
population à visage découvert. C’est
à ce prix que l’on en vient à se faire
respecter.
Descendre dans la rue, taper sur des
casseroles, se cacher le visage derrière
des cagoules, perturber l’ordre social,
c’est peut-être amusant pour certains,
mais ce n’est pas très inspirant.
Pierre Couture, Gatineau
LEDROIT, LE MARDI 17 JUILLET 2012
Aujourd’hui, la Cour pénale
internationale (CPI) entame sa
deuxième décennie à un moment
clé de son essor. Le premier tribunal pénal international permanent de l’histoire compte
maintenant 121 États membres
représentant toutes les régions
du globe et traite actuellement
quatorze dossiers avec des mises
en accusation en Ouganda,
République Démocratique du
Congo, République Centrafricaine, Soudan, Kenya, Libye et
Côte d’Ivoire.
La CPI vient tout juste de prononcer son premier jugement
depuis son entrée en fonction,
ayant condamné le Congolais
Thomas Lubanga à quatorze
ans de prison pour l’enrôlement
d’enfants soldats. De plus, la
Gambienne Fatou Bensouda
vient d’assumer les fonctions
comme deuxième procureure en
chef de la CPI et sera peut-être
plus à même de répondre aux
critiques africaines de la CPI que
son flamboyant prédécesseur
Luis Moreno Ocampo.
À bien des égards, la CPI représente une grande avancée dans
la lutte internationale contre
l’impunité pour les crimes de
guerre, actes de génocides et
crimes contre l’humanité. Tout
même, il faut également reconnaître que la CPI et ses États
membres sont confrontés à plusieurs défis de taille qui menacent l’efficacité, l’autorité et la
crédibilité du système de justice
pénale internationale.
D’abord, la mise en œuvre de
la justice pénale internationale
n’est pas donnée et la conduite
des enquêtes et des procès à la
la part des pays ayant négligé
leurs obligations à cet égard
(pensons aux États qui ont laissé
le président soudanais voyager
librement sur leur territoire
sans procéder à son arrestation).
Enf in, les États membres
doivent également en faire plus
pour intenter des poursuites
contre des criminels de guerre
présents sur leurs propres territoires. Le contre-exemple du
Canada est frappant.
Depuis que la Loi sur les
crimes contre l’humanité et les
crimes de guerre a été adoptée
en 2000, le gouvernement canadien n’a intenté des poursuites
que contre deux individus. En
fait, le gouvernement opte plutôt
pour déporter ou dénaturaliser
les présumés responsables de
crimes internationaux présents
au Canada, et ce, sans aucune
garantie qu’ils seront poursuivis
pour leurs crimes. Or, en vertu
du Statut de Rome, qui a créé la
CPI, la responsabilité première
pour la mise en œuvre de la
justice pénale internationale
incombe justement aux États.
Des pays comme le Canada, qui
possèdent le cadre juridique, les
ressources et l’expertise pour
poursuivre les responsables de
crimes internationaux présents
sur leur sol, doivent faire leur
part pour répondre de leurs obligations en vertu du droit pénal
international.
À l’aube de sa deuxième décennie, la CPI demeure une institution internationale fondamentale, mais fragile qui mérite un
appui de taille de la communauté internationale, dont le
Canada. Ce soutien n’est pas
seulement d’ordre financier ou
politique, il passe également par
un recours accru aux poursuites
nationales pour les crimes internationaux. Malgré l’importance
des procès qui vont se tenir à
La Haye au cours des prochaines
années, l’avenir de la justice
pénale internationale demeure
plutôt à Kinshasa, Bogotá et
même… Ottawa.