#1 « Sait-on construire beau et pas cher ?

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#1 « Sait-on construire beau et pas cher ?
 Lundi 13 octobre 2014, chez MAP #1 « Sait‐on construire beau et pas cher ? La qualité dans le logement social Les restrictions budgétaires des bailleurs sociaux ainsi que les budgets en baisse des particuliers incitent les architectes à innover pour construire des logements collectifs à des prix abordables sans toutefois sacrifier l’aspect esthétique. Afin de relever ce qui s’apparente parfois à un défi, les participants à la première session des Ateliers Métropolitains de l’Architecture chez MAP ont échangé leurs solutions. Construire à un prix abordable est devenu indispensable afin que tous les français trouvent à se loger. L’ensemble des acteurs de la construction : entreprises du bâtiment, promoteurs, architectes, s’efforcent ainsi de trouver des solutions pour limiter les coûts. « Chez Eiffage, il s’agit d’un effort constant. Et nous arrivons à des solutions de construction très intéressantes en utilisant des technologies nouvelles et en optimisant la structure, explique Christian Dal Santo, directeur commercial et des études, car nous sommes conscients que le coût de la construction est l’une des composantes importantes du prix final ». ALLEGER UN PEU LES NORMES Mais le coût de la construction, c'est‐à‐dire les matériaux et la main d’œuvre, n’est pas le seul facteur des prix élevés du logement. Les participants de l’atelier Map ont tous évoqué l’importance des normes, au nombre de 4000 environ dans le bâtiment, comme un des problèmes majeurs. Même si la plupart de ces normes sont salutaires, tout le monde partage l’idée qu’une simplification ou du moins un ralentissement du rythme de leur entrée en vigueur doit intervenir car on considère généralement qu’elles sont responsables d’un renchérissement de 15% du prix de la construction. De plus, certaines nuisent à la qualité du logement comme les normes handicapés qui nécessitent l’augmentation de la taille des salles de bain, des toilettes et empiètent sur la taille du séjour. Le rapport du député Patrick Bloche du juillet 2014 sur l’architecture suggère d’ailleurs dans ses 36 propositions que les logements neufs soient conçus de façon à être rapidement adaptables si une personne handicapée vient l’habiter plutôt que d’équiper systématiquement tous les appartements. 1 L’une des pistes permettant de réduire le coût du logement serait de commercialiser une partie des m2 moins chers comme par exemple les pièces obscures. Ce type de pièce est une tradition dans le midi de la France : elles sont fraîches en été, Les fameuses cuisines américaines
servent de réduit pour la machine à coudre de la Depuis quelques années, les cuisines ouvertes sur le grand‐mère ou encore de salle de jeu pour les salon, aussi appelées cuisines américaines, se sont enfants. Or, ces pièces parfois peu prisées des imposées. « Cela permet de gagner un peu de place acheteurs mais rendues parfois nécessaires par en agrandissant l’espace et c’est aussi une formule le projet pourraient subir une décote. Même si imposée par l’application des normes. Mais un cette solution proposée par François Guy peut certain nombre de personnes n’en veulent pas et sembler marginale, elle permet néanmoins cela uniformise les logements de façon très importante », estime Amandine Thomas, architecte d’explorer une piste nouvelle. « Même chose chez Map. Dans un quartier difficile de Marseille, lorsque nous concevons un logement avec des un habitant interrogé par Unicil, un grand bailleur hauteurs sous plafond différentes. « Il faudrait social, expliquait d’ailleurs son désarroi face à ces pouvoir vendre les appartements au m3 et non fameuses cuisines américaines : « ici il y des au m2 ! », propose Renaud Tarrazi, architecte comoriens, des algériens mais il n’y a pas associé chez Map. d’américain » ! AGIR SUR LE FONCIER Mais agir sur les normes a ses limites et ne réglerait pas le problème du coût du logement. Il faut donc tenter d’agir sur le coût du foncier : il représente environ 25% du coût final du logement mais ce pourcentage peut atteindre 40% dans les hyper centres. Il faut donc parvenir à créer du foncier à un prix raisonnable surtout dans une ville comme Marseille où les terrains libres sont rares. Pour Laurent Méric, directeur adjoint de l’urbanisme à la ville de Marseille, c’est la mission de la puissance publique. Celle‐ci engage des opérations d’aménagement puis propose des terrains aux opérateurs à des prix répondant à leur destination. Cela n’est pas toujours facile car il faut négocier avec les propriétaires fonciers mais aussi avec les promoteurs qui ont des idées parfois très précises de ce que devrait être l’utilisation du terrain dont ils ont fait l’acquisition. Dans ce travail, l’architecte conseil a un rôle très important aux côtés de la ville notamment pour négocier des opérations moins denses auprès des promoteurs, surtout lorsque ceux‐ci ont négocié des prix élevés avec les propriétaires en amont de l’opération. Dans ce cas, la ville et l’architecte conseil doivent faire beaucoup de pédagogie pour expliquer le but de l’opération au propriétaire. En achetant les terrains plusieurs années à l’avance et en assurant le portage foncier en attendant que les communes réalisent les opérations, les établissements publics fonciers permettent aussi de réduire les coûts du foncier. Laurent Méric reconnaît que leur tâche est ardue. Une des pistes de baisse du foncier pourrait être aussi la dissociation de la propriété du sol par rapport à la propriété du bien : aux Pays Bas ou en Grande Bretagne, on est rarement propriétaire du sol et un bail emphytéotique est conclu pour une durée longue (une centaine d’années). Cela diminue le prix du bien et permet d’accéder à des logements plus grands et de meilleure qualité. Cette idée a été reprise en France avec le principe du pass foncier qui permet de rembourser d’abord le logement puis de commencer à payer le terrain par la suite. 2 DEFINIR LE BEAU Construire à moindre coût est donc un impératif. Mais impossible de sacrifier l’esthétique. Il faut donc construire « beau et pas cher ». Car concevoir des logements sans se préoccuper de leur aspect revient à condamner des habitants ainsi que les passants à s’accommoder de bâtiments laids, ce que personne ne souhaite. « Encore faut‐il se mettre d’accord sur ce qu’est le beau, car cela recouvre des choses tout à fait différentes pour chacun d’entre nous », estime François Guy. Un bâtiment peut être un beau geste architectural, un bel objet, mais s’il n’est pas adapté à l’usage, il ne peut pas être considéré comme beau car il n’est pas habitable et n’offre pas d’intérêt. « Il faut absolument étudier au plus près les souhaits, les façons de vivre des gens qui vont habiter le logement et ensuite concilier beauté architecturale et façon de vivre », pense Vittorio Leone, architecte chez Map. Tous les intervenants ont estimé qu’il fallait à tout prix sauvegarder les surfaces des appartements autant qu’il était possible car le vrai luxe, « la vraie beauté », c’est l’espace. Même si les budgets contraints des acheteurs ainsi que les normes acoustiques, thermiques, handicapées imposent des surfaces réduites, il faut mettre en œuvre toutes les solutions pour agrandir les espaces à vivre. La superficie des logements est un véritable problème soulevé par tous : « en raison des coûts, on conçoit des séjours de 15m2 et des T3 de 60 m2, tout cela est très juste et les logements ne sont pas agréables à vivre », explique Cédric Jobart, architecte chez Map, qui rappelle que les logements sociaux plus anciens des immeubles des années 1970 et décriés sont parfois de meilleure qualité. Ils sont, en effet, souvent plus spacieux mais aussi plus adaptables aux évolutions de la famille dans le temps alors que les logements récents avec leur petite taille risquent d’être vite obsolètes. « Ne va‐t‐
on pas se retrouver avec des petites boites inutilisables dans quelques années si la structure de la famille change et si ses goûts et ses besoins se modifient également », s’interroge Jean‐Luc Bondon, directeur de la maîtrise d’ouvrage locative chez Unicil. La recomposition des familles, le développement du télétravail ou tout simplement le vieillissement de la population impliquent de nouveaux besoins et notamment de pouvoir modifier la disposition du logement. Il faut essayer aussi de répondre à certaines fausses demandes, comme les terrasses. « Toutes les familles demandent des terrasses. Pourtant, leur utilisation n’est pas toujours celle qui était prévue : la terrasse sert souvent à mettre des objets, du linge et cela n’est pas idéal car cela réduit d’autant les surfaces habitables. Il faudrait peut‐être plutôt prévoir des séchoirs ou des loggias qui seraient plus adaptées aux usages réels », propose Vittorio Leone. Construire beau est aussi synonyme de construire simple. Pas la peine de faire des innovations très importantes. Et pourtant, il faut toujours chercher à innover et tester de nouvelles idées. « Le succès de certains logements un peu atypiques peut être parfois surprenant », explique Denis Eisenlohr, associé chez Map qui a réalisé quelques logements atypiques dans un programme plus classique à Perpignan « ces logements se sont vendus les premiers à la vitesse de l’éclair, il ne faut pas abandonner toute recherche de nouveauté ». Tous les intervenants de l’atelier Map estiment d’ailleurs que de se contraindre à avoir un plafond à 2,5 mètres de hauteur dans tous les logements est une mauvaise habitude car des volumes différents, des décrochements, des mansardes peuvent fournir un logement de qualité. LE BEAU S’INSCRIT AUSSI DANS LA PERENNITE Le beau est aussi ce qui dure dans le temps. Aussi beau que soit un bâtiment, si les enduits se désagrègent au bout de quelques années, si la façade s’abime prématurément, on ne peut pas parler de beauté du bâtiment. Le choix des matériaux et des procédés de construction doivent donc être liés à cette nécessité de pérennité du bâtiment de logements dans le temps. « C’est d’autant plus 3 important que tous les futurs occupants ; qu’ils soient acquéreurs ou locataires accordent une grande attention à l’aspect de la façade et aux impressions qu’ils ont du bâtiment », explique Jean‐
Luc Bondon. Même sentiment pour Catherine Brisse, directeur de la maîtrise d’ouvrage à l’office public de l’habitat du Pays d’Aix. Cette responsable précise néanmoins que les habitants accordent leur attention en priorité à la disposition du logement et à l’intérieur de celui‐ci plutôt qu’à la façade. Cette nécessité d’utiliser des matériaux pérennes et utilisés depuis longtemps afin d’être certain qu’ils tiennent dans le temps rend compliquées la mise en œuvre de matériaux innovants et l’utilisation de nouvelles techniques de construction. «Dans ce cas, Il faut que la commande publique exige cette innovation, car sinon nous avons des propositions architecturales qui se ressemblent toutes », estiment Bernard Oliver, président de HLM Paca/ famille et Provence ainsi que Grégoire Charpentier, directeur de la production chez Erilia. La commande publique dépend pour une grande part des désidératas des élus locaux et ceux‐ci ont parfois peu d’appétence au risque et à l’innovation en matière d’architecture. En effet, il n’est pas toujours simple pour les élus d’être audacieux dans ce domaine de peur du regard de leurs administrés mais parfois aussi par manque de « Attention de ne pas tout sacrifier à formation dans ce domaine. « Ils nous faut parfois l’innovation » : Nicolas Manfiotto, de nombreuses explications et beaucoup de directeur technique régional Bouwfonds persuasion auprès des élus locaux pour faire Marignan Immobilier accepter des formes architecturales qui changent « Si l’innovation est très importante, attention de l’ordinaire », rappelle Camille Richard‐Lenoble, tout de même de ne pas tout sacrifier à cette idée architecte associée chez Map. La gouvernance car, globalement, nous fournissons des logements politique est donc très importante. La présence de qui répondent aux attentes des gens il faut donc y l’architecte‐conseil est ainsi très utile aux cotés aller à petits pas. De plus, même si la des élus pour les aider à choisir et à innover sans préoccupation de léguer à ses héritiers un bien se tromper. Le souhait d’innover ou pas dépend immobilier est moins importante que les aussi de la culture de chacune des villes. décennies précédentes, cette idée existe toujours lors de l’achat d’un bien et cela implique une Montpellier est ainsi généralement citée comme audace moindre dans le choix des logements. La une ville qui recherche cette innovation. Même multiplicité de programmes innovants au sein chose pour Bordeaux. Marseille, pour sa part, d’une même ville apaise cette angoisse. C’est la prend peu à peu cette habitude. La construction notion de masse critique des opérations du Mucem, l’intervention d’architectes de renom innovantes et qualitatives à atteindre qui entraine notamment dans le périmètre Euroméditérannée, ensuite toute la production et la demande».
le statut de capitale européenne de la culture mettent Marseille dans une logique d’excellence architecturale. Alors qu’elle était plutôt en retrait jusqu’alors, l’administration ainsi que les élus font de la qualité architecturale une priorité. Les marseillais de leur côté comprennent aussi de plus en plus l’intérêt de cette architecture plus contemporaine et pourraient qualifier de « beau » un bâtiment qui pourtant ne leur paraissait pas, à priori, mériter ce qualificatif. Il faut donc construire beau et pas cher mais aussi bien adapté aux usages et pérenne. Voilà un programme bien chargé pour tous les acteurs de la construction qui ont convenu unanimement que l’acte de construire est un travail d’équipe impliquant dialogue, écoute… et concessions ! Nathalie Coulaud 4 

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