Histoire - memoria.dz
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Lettre de l'Editeur Pour une vive mémoire AMMAR KHELIFA [email protected] es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance. [email protected] LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE (3) www.memoria.dz Supplément offert, ne peut être vendu Supplément N°30. Décembre. 2014 P.08 P.09 P.10 Fondateur Président du Groupe AMMAR KHELIFA Direction de la rédaction Zoubir Khélaïfia Coordinatrices Meriem Khelifa Chahrazed KHELIFA Reporter - Photographe Abdessamed KHELIFA Rédaction Adel Fathi Boualem TOUARIGT Dr Boudjemaâ Haïchour Hassina AMROUNI Dr Mahmoud AIT MEDDOUR Zoubir Khélaïfia Direction Artistique Halim BOUZID Salim KASMI Contacts : SARL COMESTA MEDIA N° 181 Bois des Cars 3 Dely-Ibrahim - Alger - Algérie Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 + 213 (21) 360 915 Fax : + 213 (21) 360 899 E-mail : [email protected] [email protected] Ali khodja commando Ali khodja commandant azzedine commando ali khodja P.07 Histoire une épopée algérienne P.25 P.11 Portrait ali khodja la légende incarnée P.13 Témoignage Hocine Aït Idir Le témoignage d’un ancien fidaï P.17 Histoire face a la psychose de la «bleuïte» mustapha blidi P.13 P.21 Histoire en mission dans les aurès P.25 Témoignage Témoignage de mustapha blidi (1) le mouvEmement révolutionnaire dans la Mitidja avant le 1er novembre 1954 P.29 Témoignage Témoignage de mustapha blidi (2) ali khodja, une école de formation de l'aln hocine ait idir P.47 guerre de libération www.memoria.dz P.33 Témoignage témoignage du moudjahid Ahmed Gadda Les maquisards des Aurès d’avant le 1er novembre chaabane laghrour P.33 P.39 P.44 Supplément du magazine ELDJAZAIR.COM Consacré à l’histoire de l'Algérie Edité par : Le Groupe de Presse et de Communication gadda Ahmed P.44 grine belgacem P.48 P.46 khélaifia rebai beghou abdelhamid P.41 Témoignage Secteur 2, zone 4, wilaya I, aures-nemenchas La famille Beghou, au cœur de la révolution P.45 P.51 Histoire barbacha un bref aperçu historique P.57 Histoire rezkia n'bouzid infirmière en guerre de libération P.71 Histoire COLLOQUE INTERNATIONAL A EL KHROUB « MASSINISSA OU L’éPOPéE GLORIEUSE DE LA NUMIDIE » la ferme des beghou P.66 chansons du terroir constantinois P.77 El BOUGHI OU NEDJMA SUR POEME ROMANESQUE la moudjahida Rezkia n'bouzid P.92 Salah Bey Constantine Hadj Mohamed Tahar FerganI SOMMAIRE Si El Ayachi beghou Mostefa ben boulaid Dépôt légal : 235-2008 ISSN : 1112-8860 Commando Ali Khodja Une épopée algérienne Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire C Ali Khodja C’est l’histoire d’une unité d’élite baptisée au nom d’un vaillant combattant qui s’appelle Ali Khodja dit Si Lakhdar, qui, à trente ans, se trouve à la tête d’un commando qui fera longtemps parler de lui pour avoir ébranlé les états-majors de l’armée coloniale, comme jamais aucune unité de l’Armée de libération nationale ne l’avait fait auparavant. et ancien sergent de l’armée française qui a déserté, en octobre 1955 en compagnie de deux compagnons en emportant quelques armes, est à l’origine de la première unité d'élite de l’ALN, le commando qui portera son nom jusqu'à la fin de la guerre de libération. Repéré et recruté par le colonel Amar Ouamrane, alors chef de la zone IV (l’Algérois, future Wilaya IV à l’issue du congrès de la Soummam), qui le nomma avec le grade de lieutenant à la tête de la zone de Palestro (actuellement Lakhdaria), Ali Khodja organise le 18 mai 1956 la célèbre embuscade de Palestro, où, à la tête d'une quarantaine de combattants, il anéantit la 2e section du 9e régiment d’infanterie locale, composée de 21 soldats. Bilan de la bataille : 17 morts dans les rangs de l’ennemi. Activement recherché par le général Massu qui lança aussitôt un arsenal d’hélicoptères et de bataillons blindés, Ali Khodja sera neutralisé (ainsi que 17 de ses compagnons) le 23 mai 1956 Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . au lieu dit Haouch Ben M'rabet, dans les environs de Bordj El-Kiffan, ex-Fort-de-l’eau. Son corps ne sera jamais retrouvé. Le commandant Azzedine lui succéda à la tête de ce légendaire commando à partir de janvier 1957. Le commando a mené plusieurs attaques contre l'armée ennemie, dont celles d'Aïn Defla et du village d'Ouled Moussa. Il était de tout temps composé de 110 à 120 combattants, parce que ceux qui tombaient au champ d'honneur étaient toujours remplacés par d'autres moudjahidine aussi bien aguerris et dévoués au combat. C’était la règle respectée par tous les successeurs d’Ali Khodja. Les hauts faits d’armes cumulés par ce commando légendaire, en dépit du manque d’armes et de munitions, à une époque où les maquis de l’intérieur commençaient à s’en plaindre ouvertement aux membres du CCE, puis au GPRA installés en Tunisie, étaient la preuve que grâce à une bonne organisation, l’ALN était capable de se surpasser pour créer des exploits et acculer l’ennemi dans ses positions les plus protégées. (8) Amar Ouamrane Ancien combattant de la Wilaya IV et auteur d’un ouvrage de référence sur cet épisode charnière de la lutte contre l’occupation française, Hocine Aït Idir retrace son parcours au sein de ce commando de- Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire Etat-major Wilaya IV, debout de dr. à g. : Colonel Ouamrane, Rachid dit Max, Ali Khodja (en médaillon), Si Smain Mokrani, Si Lakhdar, Si M’hamed, Si Salah. puis son adhésion à l’ALN, en 1957. Il raconte comment les membres de cette unité d’élite ont réussi à préserver la cohésion de groupe grâce à une parfaite organisation, à une discipline insoupçonnable et à une conduite semblable à celle de soldats appartenant à une armée régulière, au point que, dit l’auteur, «l’on peut facilement les confondre avec ceux de l’armée adverse», de par leur tenue toujours impeccable, le maniement des armes, les moyens LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE de communication, notamment les transmissions, etc. Après la mort du mythique Ali Khodja au combat, le commando, qui portait désormais son nom, poursuivit son épopée, et eut d’abord comme chef le commandant Azzedine (Rabah Zerari), qui a consolidé davantage cette unité, en parvenant à multiplier par dix le total des effectifs – de 120 à 1 200 hommes, d’après certains écrits. Après la nomination du comman- (9) dant Azzedine à la tête de l’organisation militaire de la Wilaya IV, en 1958, alors sous le commandement du colonel M’hammed Bouguerra, puis son arrestation par l’armée d’occupation, au cours de la même année, la relève sera assurée par Larbi Bouyahiaoui dit Si Abdennour avec pour adjoint Si Kada, Mohamed Outiba dit Boucif. Ce dernier reprendra provisoirement le flambeau à la suite de la maladie de Si Abdennour. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Commandant Azzedine Pourchassés par les parachutistes du colonel Bigeard, qui voulaient resserrer l’étau sur eux, les hommes du commando Ali Khodja ont non seulement réussi à les semer dans les massifs de l’Ouarsenis et de Zbarbar, ses fiefs traditionnels, mais ils sont surtout parvenus à étendre leur champ d’actions aux wilayas limitrophes, à savoir notamment les Wilayas I (Aurès) et III (Kabylie), où ils sont très souvent envoyés en mission commandée. Unité exemplaire, le commando Ali Khodja se distingua également par le niveau de dévouement de ses éléments et un esprit de communion exceptionnel qui les unissait. A telle enseigne, rapportent des témoignages, que tous ceux qui combattirent sous sa bannière, ne voulurent jamais le quitter. Alors que beaucoup d’entre eux étaient tombés au champ d’honneur. Sens élevé du sacrifice, niveau d’organisation inégalé, discipline à toute épreuve, le commando Ali Khodja est surtout reconnu, même par l’ennemi, pour les qualités morales de ses hommes et responsables qui forcent le respect. Traqués inlassablement par les troupes ennemies qui usaient de tous les moyens légaux et illégaux pour anéantir cette structure, ses hommes se sont toujours imposés, notamment sous le règne du commandant Azzedine, une sorte de code d’honneur, en s’interdisant des méthodes dégradantes dans le traitement de ses prisonniers, telles que les sévices corporels, ou des exécutions sommaires. Des pratiques qui étaient monnaie courante chez l’ennemi, surtout à cette période où la guerre arrivait à son apogée. Alors qu’ils pouvaient faire valoir la loi du Talion que leur imposait la conduite de la soldatesque française. Cette réputation valut aux éléments du commando une plus grande sympathie au sein des populations civiles et de l’opinion publique en général. Adel Fathi Moudjahidine du commando Khodja Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 10 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Ali Khodja la légende incarnée Par Adel Fathi Guerre de libération L e nom et le parcours héroïque d’Ali Khodja demeureront à jamais confondus avec la renommée légendaire du plus puissant commando que l’ALN ait jamais connu et qu’il dirigea jusqu’à sa mort : le commando Ali Khodja. De son vrai nom Mustapha Khodja, Ali Khodja est né à Alger le 12 janvier 1933. Issu d’une famille modeste, il constate très tôt les inégalités qui existent, à l’école, entre les fils d’Européens et les petits Algériens, dont il fait partie. En 1953, il est convoqué pour le service militaire obligatoire, dont il passera une partie à la caserne de maintenance de Belcourt, à Alger. Il a le grade de sergent. Il déserte durant la nuit du 17 octobre 1955, en compagnie de deux compagnons, dont Ali Souag, en emportant quelques armes. Les forces armées coloniales sont en état d’alerte et se lancent aussitôt à la recherche des évadés. Les patrouilles sillonnent toute la région pour tenter de les retrouver, en vain. Ali Khodja et son compagnon se sont réfugiés pendant une semaine dans une maison près de l’hôpital Verdun (actuellement Aïssat Idir). Dès que la situation s’est relativement accalmée, ils sont descendus à la place Port-Saïd, escortés par deux fidayine, Ali Timizar et Ahmed Laghouati, et d’où ils seront conduit, en voiture, jusqu’à Béni Amrane, près de Palestro (actuellement Lakhdaria). Arrivés à Béni Amrane, ils sont accueillis par des moudjahidine qui les conduisent jusqu’au colonel Ouamrane, alors chef de la zone IV (l’Algérois, future Wilaya IV) qui le nomme au grade de lieutenant à la tête de la zone de Palestro. Aussitôt, il se met à réorganiser les troupes. Dynamique et surtout audacieux, il propose, dès la fin juin 1956, à Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Portrait ses supérieurs l’idée de créer une unité d’élite composés de 110 hommes bien équipés. Les rangs de l’ALN étaient à cette époque renforcés par une nouvelle vague de jeunes combattants aussi dévoués que motivés. Il pose comme condition que les nouvelles recrues soient de bonne condition physique et ayant une longue expérience militaire, notamment en Indochine. Sa proposition est rapidement acceptée. Ce qui lui permet de mettre sur pied un commando qui restera dans l’Histoire, grâce à ses innombrables exploits qui ont ébranlé les états-majors de l’armée française pendant des années. Le chef du commando met au point une nouvelle tactique d’embuscade et d’assaut : il informe les membres de son unité de l’opération programmée, mais ne leur en livre pas tous les détails, avant le moment de l’exécution. Il se rend, en compagnie de ses adjoints, sur les lieux de l’opération pour faire un état des lieux et étudier le plan d’attaque, puis revient une deuxième fois avec les autres membres du commando pour leur expliquer, patiemment, le plan sur les lieux mêmes où est prévue l’attaque. Grâce à cette méthode, il a pu réaliser tant de hauts faits d’arme. Dans certains cas, il s’est appuyé sur des Algériens travaillant dans des casernes de l’ennemi après les avoir convaincus de servir la cause de leur peuple. Après une série de succès, il est nommé chef de la zone 1 de la Wilaya IV, proche de la forêt de Bouzegza. Ce qui est surtout à retenir du parcours épique du commando Ali Khodja c’est que cette unité a non seulement survécu à son précurseur, mais son rayonnement s’est étendu à d’autres wilayas historiques. ( 12 ) Parmi les batailles qu’il a conduites à la tête de son commando contre l’armée ennemie, on peut citer notamment l’attaque de la base militaire de Ain Defla et du village de Ouled Moussa. Mais la plus retentissante restera l’embuscade de Palestro, appelée aussi embuscade de Djerrah. Cette embuscade a lieu le 18 mai 1956, à proximité du village de Djerrah dans la région de Palestro, au cours de laquelle une section d'une quarantaine d'hommes de l’ALN, commandée par le lieutenant Ali Khodja, a surpris une section de vingt et un hommes du 9e régiment d'infanterie de l'armée française, commandée par le sous-lieutenant Hervé Artur. Ce régiment était composé d’appelés et de rappelés réalisant une opération de reconnaissance. L'affrontement s’est soldé par l'anéantissement de presque toute l'unité française, un seul soldat ayant eu la vie sauve ; les pertes de l'unité algérienne sont, elles, estimées à un ou deux morts. Les témoignages sur ce bilan sont divergents. Aussitôt après, les états-majors de l’armée coloniale déclarent l’état d’alerte et engagent une vaste opération de recherches, sous le commandement du général Massu. Celui-ci mobilise des forces héliportées et plusieurs bataillons blindés. Au bout de cinq jours de poursuite ininterrompue, l’armée française neutralise Ali Khodja, ainsi que 17 de ses compagnons moudjahidine, au lieu dit Haouch Ben M'Rabet, dans les environs de Fort-de-l’Eau (aujourd’hui Bordj El-Kiffan). Ils s’étaient réfugiés dans une maison transformée par les moudjahidine en clinique. Des traces de cet ultime combat ont été retrouvées, mais pas son corps. Avec la mort d’Ali Khodja, la révolution algérienne a perdu l’un de ses combattants les plus vaillants et les plus valeureux. Adel Fathi Supplément N° 30 - Décembre 2014. Hocine Aït Idir Le témoignage d’un ancien fidaï Par Adel Fathi Guerre de libération A uteur de Commando Ali Khodja. Wilaya IV – Zone 1. Souvenirs d’un combattant, ouvrage dédié au célèbre commando de l’ALN, paru en 2011, Hocine Aït Idir est un ancien fidaï d’Alger qui, recherché par la police coloniale, décida, au milieu de l’année 1957, de rejoindre le maquis. Recruté dans la région de Palestro (actuellement Lakhdaria) relevant de la Wilaya IV, il sera aussitôt affecté à l’infirmerie de la zone 1. Au bout de quelques semaines, il reçoit, avec son ami Hocine Oldache, un infirmier comme lui, un message leur enjoignant de rejoindre le commando Ali Khodja. Dans son livre, il raconte toutes les péripéties qu’il a traversées, lui et son compagnon, avant d’arriver au lieu, tenu secret, où était stationné le commando. L’endroit, une dechra, s’appelle Loubaha. « A notre arrivée, raconte Hocine Aït Idir, nous nous mêlons aux djounoud du commando. Nous avons été charmés et agréablement surpris par la formidable ambiance qui règne au point que nous n’en croyons pas nos yeux.» Cette description se recoupe avec les nombreux témoignages qui attestent tous de la rigueur exemplaire et rare qui caractérise cette unité d’élite de l’ALN. «D’une gentillesse insoupçon- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Témoignage nable, les djounoud se montrent avenants. Grands et bien portants, ils sont tous proprement habillés de tenues de combat et portent un chapeau de brousse. Une troupe d’élite que l’on confondrait avec celle de l’armée adverse», note-t-il encore. A cette époque, le commando Ali Khodja était commandé par Larbi Yahiaoui dit Si Abdenour, qui venait de succéder au commandant Azzedine, rappelé au commandement des opérations militaires de la Wilaya IV. Les trois sections qui composaient le commando étaient encadrées par Rabah Harchaoua, Rabih, Rabah El-Ghiat, Mohamed Outiba dit Boucif et Moh ( 14 ) Slimane. L’auteur rappelle que le commando Ali Khodja s’était constitué de la fusion de trois compagnies de combats qui activaient au niveau de la zone 1 de la Wilaya IV, à savoir la compagnie Ali Khodja, la compagnie commandée par Rabah Mokrani dit Si Lakhdar (le célèbre baroudeur qui donnera ensuite son nom à la ville de Lakhdaria) avec Si Azzedine, et celle de cheikh Messaoud. Cette unité se reconstitue en janvier 1957 et c’est à partir de cette date qu’elle porta le nom d’Ali Khodja. Son commandement fut confié au commandant Rabah Zerari dit Si Azeddine. Selon le moudjahid Hocine Aïd Idir, le commando est composé de trois sections, et chaque section se divise en trois groupes de 11 à 13 djounoud. Il compte également dans ses rangs un à trois infirmier, un coiffeur, deux secrétaires, un intendant et, enfin, un morchid. Pour échapper à la grande offensive de l’opération « Jumelles » lancées par l’armée coloniale, en 1959, le commandement de la Wilaya IV décide de confier la tête du commando à Saïd Hazama, qui le scinde en trois sections puis, plus tard. Ces petites unités se sont plusieurs fois accrochées avec l’ennemi et ont dressé des embuscades qui se sont soldées par des succès retentissants, témoigne Aït Idir. «En 1958, raconte-t-il, un vio- Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage lent accrochage qui a opposé notre commando sous le commandement de Larbi Yahiaoui dit Si Abdenour, à des forces françaises sorties, ce jour-là, en opération, se solde par la récupération de plusieurs armes, dont deux mitrailleuses 30, par Amar Bensalah dit Nachet et de nombreux tués dans les rangs ennemis. Pendant la bataille, je me remémore le film L’Enfer des hommes que j’avais vu au cinéma Le Bijou avant de rejoindre le maquis, et qui m’a singulièrement impressionné de par les scènes horribles et atroces des parachutistes tuant et massacrant tout sur leur passage», se souvient l’auteur qui décrit la bravoure dont ont fait preuve les membres du commando face aux parachutistes du colonel Bigeard. « Sans exagération, j’ai vu, ce jour-là, pour la première fois, des soldats ennemis fuir à toutes jambes devant nous, malgré leurs équipements modernes et les appuis aériens dont ils bénéficiaient. Cette image, faisant disparaitre la peur qui gagne tout combattant, avant les premiers coups de feu, me galvanisa et me donna des ailes au point de me sentir invincible et prêt à courir derrière eux, comme mes compagnons, en criant Allahou Akbar. (…) » Résultat de cet accrochage, les effectifs du commando ont augmenté au bout de quelques jours, d’une vingtaine de djounoud, ancien Belhadjistes (messalistes) venus des autres compagnies. Parallèlement à l’action et aux combats, un morchid (une sorte LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Hocine Aït Idir dédicaçant son livre de guide religieux) suivait toujours les combattants pour leur prodiguer, durant leurs moments de détente ou de repli, des enseignements religieux. Le moudjahid Aït Idir consacre des paragraphes entiers à sa rencontre avec le légendaire commandant Azzedine, l’ancien chef du commando Ali Khodja, qui portait encore des blessures. « (…) Si Azzedine a la réputation de quelqu’un bien proche de la population et très sensible à ses malheurs. Il est aimé et estimé par tout le monde et plus particulièrement par les djounoud du com- ( 15 ) mando qui ont été témoins de son courage devant l’ennemi, de son abnégation dans le combat et de son affection à l’égard de ses éléments. Sa présence parmi nous est un moment de joie, créant une atmosphère de fête tant au sein des groupes que dans les dechras. » L’auteur fut témoin d’une histoire rocambolesque qui amena le chef par intérim du commando, Si Boucif, désigné après la maladie de Si Abdenour, à faire condamner puis exécuter un djoundi accusé de tentative de viol sur deux femmes. Après l’intervention du commandant Azzedine, celles-ci www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage Evacuation de blessés de l’armée française lors de l’embuscade dans les gorges de Palestro le 18 mai 1956 montée par le commando de Ali Khodja (une dame et sa fille) avouèrent l’innocence du djoundi et reconnurent qu’il s’agissait, en fait, d’un coup monté par la SAS, qui les récompensait généreusement, chaque fois qu’elles parvenaient à faire exécuter un membre de l’ALN. D’après ce témoignage, le commandant Azzedine ordonna, après cet aveu, l’exécution des deux coupables, puis la mutation par mesure disciplinaire de Boucif et de son adjoint pour cette grave erreur qui a coûté la vie à un djoundi innocent. Adel Fathi Commando Ali Khodja. Wilaya IV – Zone 1. Souvenirs d’un combattant de Hocine Aït Idir. Alger- Livres-Edition, 2011. Azzedine Zerrari dit commandant Azzedine Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 16 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Face à la psychose de la « bleuïte » Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire D Colonel Amirouche Aït Hamouda irectement touché par les folles rumeurs faisant état de l’infiltration d’agents manipulés (les bleus) par les services de renseignements français dans les rangs de l’ALN, bien qu’à un degré moindre que ce qu’a vécu la Xilaya III, le commandement de la Wilaya IV a très tôt pris des dispositions pour se prémunir, mais la mission s’est avérée aussi complexe que périlleuse. Et pour cause. D’illustres Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . dirigeants ont failli être sacrifiés sur l’autel de la suspicion. Il faut dire que les purges avaient d’abord commencé dans le territoire de cette wilaya dont dépendait Alger, où «le complot» avait été tissé avant de s’étendre peu à peu vers les régions avoisinantes. Depuis le démantèlement de la Zone autonome d’Alger, à la suite de la mise en échec de la bataille d’Alger en octobre 1957, les services de l’action psychologique commandés par le capitaine Alain Léger, obéissant aux ordres du colonel Godard, ont réussi à retour- ( 18 ) ner certains responsables du FLN, dont l’adjoint de Yacef Saadi, Ahcène Guendriche. Se sentant particulièrement ciblée par cette machination diabolique orchestrée à partir d’Alger, la Wilaya III, sous le commandement du colonel Amirouche, fut la première à réagir et à se mobiliser pour endiguer ce qui était considéré comme un «complot». Et ce fut la première wilaya à organiser des purges, y compris en Wilaya IV. C’est ainsi que la première arrestation a eu lieu dans la région de Boudouaou (wilaya de Boumerdes), à la sortie d’Alger. Ce moudjahid a, selon des témoignages, été remis à la Wilaya III à la demande de ses responsables. Plus tard, le commandement de la Wilaya III dépêchera, fin 1958, le capitaine Ahcène Mahiouz, connu pour être le «spécialiste de la question» (certains l’ont accusé de conduire les sévices infligés aux personnes arrêtées dans le cadre de cette campagne) en zone 1 de la Wilaya IV pour procéder à des arrestations. C’est le début d’une longue période de psychose dans les maquis. A cette période, le commando Ali Khodja était resté soudé, nonobstant les pertes parfois importantes subis lors des accrochages de plus en plus meurtriers avec l’armée ennemie. Mais il arrivait toujours à se reconstituer grâce aux nouvelles recrues qui ne cessaient de renforcer ses rangs pour atteindre son effectif habituel. Ces événements coïncidaient avec la désignation de Mohand Oubelaïd Lazizi dit Si Belaïd, avec comme Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire Le colonel Godard adjoint Abderrahmane Nahnah dit El-Hadj Loubaha, en remplacement de Si Abdenour. Confrontées au rouleau compresseur de l’opération « Courroie » déclenchée dès 1958 dans toute la région de l’Ouarsenis, les unités relevant de la Wilaya IV étaient davantage fragilisées par l’opération d’épuration qui se répandait dans leurs rangs sans savoir comment y mettre un terme, ni comment se réorganiser. Les enquêtes menées sur instigation du colonel M’hammed Bouguerra, qui était pourtant au début sceptique sur la réalité de la «bleuite », assisté par le spécialiste Mahiouz, allaient déboucher sur de nombreuses arrestations parmi les membres de l’ALN dans les maquis de cette Wilaya IV charnière. Pour crédibiliser leur action auprès des combattants désarçonnés, les instigateurs avaient présenté au début la prétendue «reddition» du commandant Azeddine (arrêté en novembre 1958) à l’armée française, et les accusations convergentes LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE dans les interrogatoires contre Omar Oussedik, comme des preuves de l’étendue du complot. Or, on sait que les deux hommes ont fini par être habilités : le commandant Azeddine a pu regagner le maquis en parvenant même à adresser un message signé de sa main aux moudjahidine de sa wilaya leur expliquant sa démarche auprès des militaires français : une ruse qui lui aurait permis d’échapper à l’ennemi, alors qu’il était blessé. C’est dans ce climat pesant, où la paranoïa le disputait aux petits règlements de comptes, que le colonel Si M’hammed ordonna aussi l’élimination des «Belhadjistes», soldats ayant fui, armes et bagages, le camp du collaborateur de sinistre renom Belhadj dit Kobus, dans l’Ouarsenis, pour Capitaine Paul Alain Léger intégrer les unités de l’ALN. Tout le travail accompli par les officiers de l’ALN dans le cadre de ce qui est appelé la «Force K», avec le ralliement de centaines de combattants messalistes, a été gâché par cette opération de «nettoyage» des rangs. De dr. à g. : le colonel Amirouche, Dr. Laliam Mustapha et Ahcene Mahiouz ( 19 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Omar Oussedik De dr. à g. : capitaine Maghni Mohamed Salah dit Si Abdellah Ibeskriene, Hocine Benmaâlem et colonel Amirouche Beaucoup de combattants intègres ont été emportés par cette espionite, comme en témoignent aujourd’hui nombre d’acteurs de la Révolution, sans aller, toutefois, jusqu’à en reconnaitre la res- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ponsabilité des chefs, qui, selon eux, auraient agi en leur âme et conscience. Ce qui n’est peut-être pas faux, mais des fautes irréparables ont été commises, sans qu’il y ait eu aucune réparation. ( 20 ) C’est donc un miracle que le commando Ali Khodja ait pu survivre à cette bourrasque qui s’est abattue sur toute la wilaya et même au-delà. Presque aucune inculpation n’a été enregistrée dans ses rangs, à en croire les différents témoignages et écrits d’historiens. Est-ce parce que cette unité vivait quasiment en autarcie, et ses chefs successifs étaient désignés parmi ses membres ? Insoupçonnables, ces derniers se voyaient, au contraire, confier des missions en dehors de la Wilaya IV, notamment en Wilaya III, et surtout en Wilaya I. Loin d’être affectés par les purges liées à la «bleuite», ces hommes sont chargés d’implanter à nouveau l’ALN dans la région des Aurès, après la débandade qui a eu lieu à la mort de Mostefa Benboulaïd et qui durera jusqu’à 1959. Adel Fathi Supplément N° 30 - Décembre 2014. En mission dans les Aurès Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Membres du CCE D ébut 1959, le commando Ali Khodja reçut l’ordre du commandement de la Wilaya IV l’ordre de se rendre dans les Aurès (Wilaya I) pour une mission délicate : assurer un redéploiement de l’ANP dans cette région pionnière livrée au chaos et aux guerres intestines depuis la disparition précoce de Mostefa Benboulaïd. Toutes les initiatives prises par les dirigeants de la Révolution (CCE, réunion des colonels en 1958), dont celle conduite par le colonel Amirouche, chef de la Wilaya III, n’ont eu aucun résultat probant sur le terrain. Au contraire, elles n’ont fait qu’envenimer davantage la situation, d’après tous les écrits ayant traité à cet épisode douloureux dans l’histoire de la Wilaya I. C’est dans le souci de restaurer l’ordre et surtout de reconstituer les maquis de l’ALN dans les AurèsNememchas que cette décision a été prise par le colonel M’hammed Bouguerra, à son retour de la célèbre réunion d’Oued Asker tenue en Wilaya II du 6 au 12 décembre 1958, en présence des autres chefs de Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Le colonel Amirouche Aït Hamouda ( 22 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire wilayas. C’est tout naturellement que son choix se porta sur le commando Ali Khodja, fleuron de l’ALN et dont la renommée avait déjà franchi les frontières de la Wilaya IV. La responsabilité des unités de combats devant se rendre dans la Wilaya I fut confiée à Mohand Oubelaïd Lazizi, nouveau chef du commando promu au grade de capitaine. Il y avait aussi avec lui le capitaine Moussa Chérif. Composé d’une centaine d’hommes aguerris, le commando prit le départ pour traverser la Wilaya III (la Kabylie), en marchant la nuit en file indienne pour éviter de se faire intercepter par les patrouilles de l’armée française. Les consignes étaient strictes. L’itinéraire était préalablement établi par le chef. Malgré toutes les précautions, l’armée d’occupation arriva à repérer leur présence et les suivait partout ils passaient. Ce qui obligea les hommes à accélérer la cadence et à faire, parfois, dans la diversion pour semer l’ennemi. C’est ainsi que, informé d’une opération militaire qui se préparait dans la région, le chef du commando ordonna, à leur arrivée au Sud de la Wilaya III, au village dit Tamellaht, de rebrousser chemin pour se diriger vers le nord. Arrivés au village d’El-Hamra, après une marche exténuante par les Bibans, les membres du commando rencontrèrent le colonel Amirouche qui, lui, à ce moment-là, se dirigeait vers le Sud (sans doute pour se rendre en Tunisie). Très vite, le commando gagna le territoire de la Wilaya I. La première étape fut le village Zitouna, où les hommes du commando tombèrent sur un groupe de dissidents (dits «mouchaouichine» par oppositions LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Les opérations de l’armée française se succèdent dans les Aurès aux moudjahidine). Etant parfaitement instruits des mouvements de dissidence dans cette région, ils restèrent sur leurs gardes, en surveillant le moindre faux geste de ces combattants auréssiens. Après un bref échange, les moudjahidine de la Wilaya IV mesurèrent la complexité de ( 23 ) leur mission, qui était de mettre fin aux rivalités tribales et claniques qui minaient l’ALN dans cette région. Ce groupe qui se montra plutôt avenant, mais ignorant tout de leur mission, conduira les membres du commando jusqu’au djebel Boutaleb, où ils furent reçus par des offi- www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Youcef Yaâlaoui en tenue blanche (de son vrai nom Youcef Lalaoui) dans le maquis des Aurès ciers de cette zone (la Zone 2), à leur tête Youcef Yaalaoui. Quelques jours plus tard, un de ses adjoints demanda au chef du commando Ali Khodja de l’aider à «arrêter» les «mouchaouichine» au motif qu’ils devenaient «dangereux» et qu’ils auraient l’intention de déserter pour se rendre à l’ennemi. La première tentative se solda par la mort de quatre djounoud dans les rangs du commando, à la suite d’un violent accrochage avec les «dissidents». Certains récits rapportent que ces derniers sont allés ensuite au poste ennemi le plus proche. Cette scène rappelle étrangement le ralliement «forcé» d’un des chefs des Aurès, Adjal Adjoul, qui, se sentant persécuté par les hommes du colonel Amirouche, qui a été dépêché par le CCE pour la même mission, n’eut d’autre choix que se rendre à l’armée française. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . N’empêche que les responsables du commando Ali Khodja poursuivirent leur mission et prirent le soin de contacter les dirigeants locaux et de se réunir avec eux. Entretemps il fallait aussi faire face aux opérations militaires de l’armée ennemie, même si elles étaient beaucoup moins intenses et fréquentes que celles auxquelles ils avaient l’habitude de voir sur les montagnes de Palestro. Trois mois plus tard, les membres du commando Ali Khodja apprirent la mort des colonels Amirouche et Si El-Houès. Cette nouvelle déstabilisa fortement l’unité, car ses chefs commençaient déjà à songer à retourner à la Wilaya IV. Peu avant, ils rencontrèrent Abderrahmane Mira, de retour de Tunisie, qui avait fait une halte dans la Wilaya I avant de rejoindre la Wilaya III. ( 24 ) Oubliant la première mission pour laquelle ils étaient venus, car manquant peut-être de visibilité et se sentant dépassés par les conflits fratricides qui y faisaient rage, les hommes du commando ne tardèrent pas à reprendre le combat contre l’ennemi, le vrai et le seul. C’est ainsi qu’ils organisèrent des embuscades jusqu’aux confins de la Wilaya II, à Aïn Oulmane, où ils réussirent un coup de main mémorable. C’est aussi une manière de marquer la présence de l’ALN dans cette vaste région et de rappeler aux états-majors de l’armée coloniale que la peur régnera désormais dans leur camp. Et c’était bien la grand et noble mission pour laquelle ils sont là et pour laquelle, beaucoup d’entre eux, y ont laissé leur vie ! Adel Fathi Supplément N° 30 - Décembre 2014. Témoignage de Mustapha Blidi (1) Le mouvement révolutionnaire dans la Mitidja avant le 1er novembre 1954 Par Boualem Touarigt Guerre de libération Témoignage Mustapha Blidi est originaire du douar Sid el Fodhil à la hauteur de Chréa, au-dessus de Blida. Son père, originaire du douar Ars, arch Ouled Mokhtar, près d’Aïn Ousséra, était venu jeune à Blida. Il a travaillé comme maçon traditionnel chez son futur beau-père. Il a ensuite été ouvrier saisonnier dans des domaines de colons. Mustapha avait un frère et une sœur. Il se souvient que sa mère travaillait chez Ricci, une petite usine de fabrication de couscous. Elle partait tous les matins très tôt, vers trois heures. Il arrivait que son père s’absente pendant de longs mois, pendant les périodes de vendange et de récolte. De dr. à g. au 2e rang : Yacef Saâdi, Colonel Bencherif, Ould Hocine Chérif officier ALN, Mustapha Blidi, Salah El Houaoui. Assis : Berkani Mohamed, Moussaoui Mohamed. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 26 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération A l’âge de douze ans, Mustapha Blidi a commencé à travailler dans la coopérative de Boufarik, montée par les colons. Il était chez Bozartini où on fabriquait les emballages pour les fruits et légumes. Leur chef d’équipe était Mohamed Daaïbi ; c’était lui qui recrutait dans la coopérative. C’est parmi les travailleurs de cette coopérative agricole que Mustapha Blidi se forma au mouvement nationaliste. Il se rappelle que parmi les ouvriers de la coopérative, il y avait Tayeb Djoghlali, Ali et Tayeb Berzani, Souidani, Benyoucef de Soumaa, El Kinaâ, Kaddour El Maâsacri, Mustapha el Guerouaoui et bien d’autres. C’est là-bas qu’il a rencontré celui avec lequel il est monté plus tard au maquis, Ali Benkerbane. Il raconte que celui-ci était allé quelques années plus tôt en Libye dans l’espoir de rejoindre la Palestine pour combattre au sein des forces arabes. On apprend ainsi que les militants nationalistes de la Mitidja étaient dans leur majorité des ouvriers agricoles, employés par la coopérative agricole de Boufarik, une sorte d’entreprise coopérative qui fournissait la main-d’œuvre nécessaire à ses adhérents les colons pour faire face aux différentes tâches : labours, semailles, récoltes, vendanges, tailles. Cette coopérative était un foyer nationaliste. Mustapha Blidi se souvient des discussions qui avaient lieu discrètement au moment des courts moments de déjeuners entre militants avertis. Ceux-ci se tenaient au courant des différentes actions menées alors par les nationalistes, notamment LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Témoignage Mustapha Blidi en médaillon des quelques actions de sabotage et des accrochages qui avaient eu lieu. Parmi les anciens responsables de l’époque, il se souvient aussi de Mustapha Sbaïti qui était en contact avec les élèves du lycée de Blida avec qui il tenait des réunions discrètes dans un jardin public, qu’on appelait le « jardin des eaux ». Parmi les lycéens il y avait M’hamed Yazid et Saad Dahlab. Mustapha Blidi se souvient que les militants nationalistes avaient une attitude marquée par le secret et se méfiaient des fuites et des infiltrations des services de police. Les discussions se limitaient à des cercles d’initiés et avaient lieu exclusivement lors des repas pour ne pas éveiller les soupçons. Les militants limitaient les contacts. Même au sein d’une même famille, le cloisonnement était total. Son témoignage apporte un éclairage intéressant sur la stratégie du mouvement national avant le déclenchement de la guerre de libération nationale. Les militants savaient qu’une lutte armée se pré- ( 27 ) parait, mais très peu étaient au courant. Encore moins nombreux ont été ceux qui y avaient été impliqués. La leçon des mouvements révolutionnaires avaient été bien assimilée, en particulier les massacres de mai 1945. L’OS avait servi à préparer les militants à la lutte armée. On développa le maniement des armes et la confection des explosifs. Il y eut aussi de la préparation physique avec des épreuves dans des zones montagneuses à accès difficile. La préparation politique occupa une grande place. On apprit aux futurs combattants des règles simples : approcher les populations, constituer des réseaux, organiser des surveillances, assurer l’hébergement et les déplacements de jour et de nuit. Dans la région de Blida, avant le déclenchement de la Révolution, les militants s’étaient engagés dans la préparation politique de la lutte armée. Mustapha Blidi nous apprend que l’action a été centrée sur le soutien populaire. On faisait ce qu’on appelait la « pénétration politique ». Les militants contactaient les popu- www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage Mustapha Blidi en médaillon lations pour les convaincre de l’idée d’indépendance. « Notre objectif principal était de nous implanter dans la population et de créer notre logistique. Il était important pour nous d’avoir des liens solides avec les habitants qui allaient nous protéger, nous héberger, nous nourrir quand l’action serait déclenchée. » C’est ce qu’il explique longuement : « Nous impliquions des citoyens connus à qui nous demandions de réunir les habitants. Nous cherchions à impressionner les populations. Le jour prévu pour la réunion, nous installions des militants sur les crêtes au-dessus des douars et nous leur demandions d’allumer des feux et de bouger pour faire croire qu’ils étaient très nombreux. Nous faisions très attention à notre apparence. Nous prenions des bains avant de rentrer dans les maisons des militants. Nous étions rasés de près et même parfumés. Ce qui était étrange pour nous qui n’y étions pas habitués. Ceux qui se présen- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . taient devant les citoyens portaient des semblants d’uniformes, plutôt des tenues militaires disparates mais bien propres qui impressionnaient beaucoup. Les rares armes étaient astiquées et portées bien en évidence. Nous donnions l’impression de soldats réguliers bien disciplinés. » Les militants désignés pour ces opérations de contact avec les populations devaient être bien connus des habitants. Ils devaient inspirer confiance. Ainsi les populations qui étaient approchées par les militants devaient l’être par des personnes connues pour leur moralité, proches des habitants et dignes de confiance. Mustapha Blidi raconte les premières démarches qu’il avait effectuées avant le déclenchement du 1er novembre. Les militants désignés se présentaient la nuit chez des personnalités connues dans un douar. Ils les abordaient avec beaucoup de respect. Le discours était très mesuré. Les militants expliquaient la répression exercée par ( 28 ) le système colonial et annonçaient pour bientôt le déclenchement d’une lutte armée pour libérer le pays. L’habitant qui était visité devait se tenir prêt à apporter sa contribution. Dans un premier temps, une cotisation variable selon les revenus. Le citoyen était informé qu’il pouvait être sollicité dans l’avenir pour apporter son soutien en hébergeant et en informant les militants quand ceux-ci auraient décidé de déclencher la lutte armée. Mustapha Blidi explique la vision qu’avaient les militants de la lutte armée : « Une guerre populaire ne pouvait réussir que si les combattants avaient une bonne logistique et pouvaient se fondre dans la population. Quelques militants décidés pouvaient déstabiliser une ville complète à condition d’avoir le soutien de la population qui les protégerait et les entretiendrait. Notre objectif, avant le déclenchement de lutte armée pour l’indépendance sur laquelle nous n’étions pas informés, était de préparer les conditions de succès de cette lutte. Nos responsables parlaient alors de « pénétration politique ». » Mustapha Blida raconte que les citoyens à qui on aurait pu reprocher leur sympathie ou leur « mollesse » visà-vis de l’administration coloniale n’étaient pas spécialement inquiétés. Les militants se montraient compréhensifs et cherchaient plus à persuader. Beaucoup de citoyens furent ainsi récupérés et même « mouillés » par les militants qui les avaient fait passer pour des partisans actifs du mouvement qui se préparait. Mustapha Blidi affirme : « Quand le 1er novembre est arrivé, il nous trouva prêts ». Boualem Touarigt Supplément N° 30 - Décembre 2014. Témoignage de Mustapha Blidi (2) Le commando Ali Khodja une école de formation de l’ALN Par Boualem Touarigt Guerre de libération Témoignage Au déclenchement de la guerre de libération nationale, Mustapha Blidi était déjà dans les maquis. Comme il le dit, la révolution l’avait trouvé prêt. Il avait rejoint le groupe des militants nationalistes de la Mitidja constitué par les ouvriers agricoles de la coopérative coloniale de Boufarik. Il y avait côtoyé Ali Boukerbane qui sera son responsable par la suite, un des tout premiers combattants de la Mitidja, et aussi Tayeb El Djoghlali, Ali et Tayeb Berzani, Souidani, Benyoucef de Soumaa, El Kinaâ, Kaddour El Maâsacri, Mustapha el Guerouaoui et bien d’autres. C’est au sein de ce groupe de militants qu’il a été formé. Il se souvient des strictes règles de sécurité que les militants respectaient pour éviter toute infiltration et pour ne pas attirer l’attention des indicateurs. Il a ensuite participé aux actions entreprises par les militants pour préparer la logistique du futur mouvement armé pour l’indépendance dont il savait que la date du déclenchement était proche sans avoir d’indications précises. I l se souvient très bien du colonel Ouamrane, chef de la Wilaya IV, qu’on surnommait Si Rezki. « Je connaissais de nom Si Rezki, sans l’avoir jamais rencontré. J’avais eu un premier contact avec lui à Béni Chebla en compagnie d’Ali Boukerban, Tayeb Djoghlali, Mustapha Guerouaoui, Mohamed El Kinaâ. Un jour il m’a demandé de ramener une arme. » Il relate sa première action armée, dont il a gardé un souvenir intense plein d’émotions. C’était en février 1955. Il devait ramener une arme de guerre. Il jeta son dévolu sur le tribunal de Blida, dont la grande porte était surveillée par deux sentinelles armées de mitraillettes : « Je Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . suis resté deux journées à surveiller le mouvement des sentinelles. Je n’avais rien mangé. J’avais pris juste une bouteille d’eau avec moi. C’était un mercredi. Je m’en souviens parce que j’avais rencontré Mustapha Deleci de Boufarik qui m’avait rappelé son invitation à déjeuner pour le lendemain jeudi. Les deux soldats étaient au poste de garde à l’entrée. Derrière eux, il y avait une grande cour, et un bâtiment où il y avait au rez-de-chaussée un couloir donnant sur plusieurs cabinets de toilettes. J’avais remarqué que les citoyens qui venaient au tribunal pouvaient y accéder. J’ai surveillé les deux soldats et j’avais remarqué qu’ils s’y rendaient l’un après l’autre. J’ai vu le premier y aller et j’ai remarqué qu’il ( 30 ) Tayeb El Djoghlali Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage avait gardé sa mitraillette avec lui. Je l’ai vu en revenir et j’ai attendu que le deuxième qui était moins corpulent s’y rende. Je suis alors entré directement dans la cour me dirigeant vers le bâtiment où il y avait les toilettes. J’ai sauté sur le soldat dès qu’il est rentré dans le cabinet de toilettes. Je l’ai coincé dès qu’il a ouvert la porte. Je l’ai étouffé et il est tombé. Il n’a pas pu crier. Je ne sais pas si je l’ai tué. J’ai tout de suite ramassé la mitraillette. Je l’ai mise sous la blouse d’épicier que je portais. Je me suis tout de suite rappelé ce que les combattants racontaient dans les maquis sur la nécessité d’avoir le plus de munitions possible. J’ai eu la présence d’esprit de ramasser précipitamment la cartouchière qui contenait les chargeurs et je l’ai glissée dans le pantalon. Il n’y avait personne dans le couloir. Je tremblais d’émotion et de peur. Tout s’était passé très vite. Je suis sorti du bâtiment en prenant un air ordinaire. J’ai remarqué que le deuxième garde regardait ailleurs. Personne n’avait rien remarqué. On n’avait pas fait attention à moi. Je suis sorti au milieu d’un groupe de paysans, comme quelqu’un qui était venu régler une affaire de justice. En sortant, je suis remonté précipitamment vers l’hôpital militaire pour me diriger vers la « place des Arabes ». Sur le chemin, un passant a remarqué la mitraillette qui dépassait de dessous ma blouse de travail. Il a tout de suite pris peur et s’est mis à courir. Je me suis fait remarquer et j’étais moi aussi affolé. Je crois que personne d’autre n’avait fait attention à moi. Je suis arrivé en courant près d’un lieu appelé Mimeche où j’ai traversé l’oued Sidi el Kébir qui était à l’époque en crue. J’ai continué vers Hamleli puis Béni Chebla. De LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE là, je suis monté ensuite à Boughedou. J’avais pu retrouver mes esprits. J’ai trouvé Si Rezki dans la maison de Mohamed Sebti, un parent qui devait tomber en martyr plus tard à Palestro. Il y avait des maquisards connus dont Ali Boukerbane. J’ai raconté mon exploit. Mes compagnons avaient voulu m’enlever la mitraillette pour l’utiliser eux-mêmes dans des opérations. Moi, je ne savais pas m’en servir. Les mitraillettes étaient très rares à l’époque. Ouamrane luimême n’avait qu’un colt. Il ordonna de me laisser l’arme : « C’est lui qui l’a ramenée, c’est lui qui la garde ». C’est un de mes compagnons de combat, un moudjahid qui avait fait la guerre d’Indochine, Boualem Moussaoui, qui m’a montré comment utiliser la mitraillette, la monter, la démonter, la charger. Il m’a appris des trucs sur le mécanisme de sécurité. » J’ai été ensuite envoyé dans la région de Palestro, chez Cheikh Messaoud. Je me rappelle que par mesure de sécurité, les moudjahidine ne sortaient que la nuit. Certains étaient des citadins, venus de la ville tels Omar Hamadi et Rachid Bsikri. La situation militaire était très tendue. L’ALN s’était renforcée et les moudjahidine qui avaient une arme de guerre étaient dirigés vers les lieux les plus exposés. J’ai été affecté à Zbarbar où le responsable de la dechra était Kara. J’étais fier de mon équipement. J’avais une arme de guerre et je portais une tenue de soldat avec une veste militaire. Je participais aux sorties qu’organisaient les moudjahidine pour impressionner la population et remonter leur moral. Il m’était arrivé de prêter mon arme à des compagnons qui l’exhibaient à leur tour durant leurs sorties. ( 31 ) « Ali Khodja est alors arrivé. Alors qu’il était sergent-chef dans l’armée française, il avait déserté en octobre 1955 avec quelques compagnons emmenant avec eux un stock d’armes de guerre. C’est lui qui a eu l’idée de constituer son commando ». Mustapha Blidi a gardé un souvenir précis du jour où il leur avait présenté son plan : « Je l’ai entendu expliquer son idée : il voulait parfaire la formation des combattants et monter une sorte d’école militaire pour apprendre les techniques de guerre aux combattants. Il pensait à une sorte d’école de cadres où les moudjahidine les plus expérimentés formeraient les autres ». Ali Khodja était exigeant vis-à-vis de ses combattants : ceuxci étaient bien armés, bien vêtus, suivaient un entraînement intensif. Leur point fort était la préparation des embuscades. Pour Mustapha Blidi, les combattants avaient appris à choisir les emplacements des armes lourdes, à positionner les combattants qui devaient s’en prendre aux soldats et récupérer les armes, et surtout organiser les chemins du repli avec la protection qu’il fallait. Les membres du commando étaient passés maîtres dans l’art de l’embuscade. Les attaques étaient minutieusement préparées et conduites. Tous les détails étaient pensés avec une grande précision. Plus tard, les soldats français avaient ramené dans leurs différents témoignages, le caractère organisé des attaques menées par les membres du commando, leur grand sang-froid. Même encerclés, face à un ennemi plusieurs fois supérieur en nombre et en puissance de feu, ils ne s’affolaient jamais et avaient une technique éprouvée pour briser l’encerclement par des attaques précises www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage Bachir Rouïs debout à droite et persévérantes sur les points faibles de l’ennemi. Des officiers français ont rapporté que plusieurs fois, les combattants avaient pu échapper aux encerclements grâce à leur sang-froid et à leur ténacité. Même quand des combattants tombaient au combat, les armes et les munitions n’étaient pas retrouvées. Elles étaient selon les témoignages d’autres moudjahidine enterrées dans des lieux sûrs pour être récupérées plus tard. Mustapha Blidi se souvient que le chahid Ali Khodja tenait à recruter des combattants instruits qu’il répartissait dans les différentes sections : « Il avait enrôlé trois lycéens dans une même section : Bachir Rouïs qu’on appelait Nehru, Mahmoud qui est mort dans la Wilaya V, Bekhoucha qui a été ensuite envoyé en Irak pour suivre une formation de pilote. Ali Khodja avait ramené des armes et avait choisi les hommes de son commando. Il avait Mustapha Lekhal comme adjoint. Il y avait aussi Si Lakhdar qui était un ancien militant et moudja- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . hid de la première heure de la région d’Aïn Bessam avec Ali Yahi dit Ali Baryanou. J’étais dans un groupe avec Azzedine, Ali Yahi, Si Lakhdar, Cheikh Messaoud, Ahmed Bira. » Le commando était composé de 110 combattants aguerris et bien armés. De nouvelles recrues remplaçaient celles qui tombaient en martyrs. Ali Khodja avait eu l’idée de faire sortir les combattants en plein jour. Le chemin était sécurisé et surveillé par des maquisards. Les membres du commando se déplaçaient en file de village en village. Ils étaient dans une tenue stricte, bien habillés et bien propres. Ils étaient précédés par des militants qui prévenaient les populations de leur passage. Mustapha Blidi s’en souvient : « C’étaient de véritables fêtes dans les villages. Les populations se pressaient pour les voir passer. C’étaient des youyous à n’en plus finir. Ali Khodja avait insisté pour organiser de tels défilés dans des conditions de sécurité très strictes. L’effet sur les populations était extraordinaire. » Mustapha Blidi avait participé à l’opération de Bouskène de la fin 1955. Le commando y avait récupéré une grande quantité d’armes. Si Lakhdar y avait été blessé. Il évoque le souvenir de Si Laïd, un ancien de l’armée française qui était devenu chef moudjahid : « Il était un grand tireur au fusil mitrailleur 24/29. Nous en avions récupéré un à Bouskène et Si Laïd nous avait initiés à son maniement durant les rares moments de liberté que nous avions. C’était lui qui avait porté Si Lakhdar blessé. Deux autres anciens de l’armée française nous avaient alors rejoints ce jour-là et avaient ensuite fait partie du commando : Bezzaz et Boularbah ( 32 ) qui sont tombés plus tard en martyrs. Si Laïd avait été versé dans la section de Cheikh Messaoud qui lui, avait derrière lui une longue carrière de combattant depuis 1945. Il était enseignant du côté de Tablat, à Bouaroussa. Il avait tué le caïd et pris le maquis. Si Lakhdar dirigeait alors deux compagnies, une sous le commandement d’Azzedine et une autre dont le chef était un officier venu de la Wilaya III, Si Mohamed Améziane. Celui-ci est mort dans l’explosion de Mcief où sont tombés Chalane et aussi un des Brakni qui était plombier et affecté à Palestro. Dans cette bataille, il y avait aussi Rachid Bahloul dit Othmane qui a fait ensuite carrière dans l’ANP et qui a été blessé à cette occasion, ainsi que Mohamed Salembi. Nous avions aussi perdu Bouzenad un étudiant originaire de Aïn Bessam. A la mort de ce dernier, cheikh Messaoud l’a remplacé. C’était Azzedine qui supervisait la compagnie dirigée alors par cheikh Messaoud. Nous avons mené d’importantes opérations. Nous avions alors deux fusils mitrailleurs. Azzedine avait une « 30 » qu’il avait ramenée de Kabylie. » Mustapha Blidi a ensuite participé à une autre embuscade à Gueblia. Le commando avait visé un convoi composé d’une jeep, de trois camions et d’un half track. La préparation avait été assurée par cheikh Messaoud et Si Laïd qui avaient déterminé les emplacements des pièces, la position des soldats chargés de récupérer les armes, les voies de repli des combattants. A cette occasion le commando avait réussi à récupérer les grosses pièces avec leurs stocks de balles. Boualem Touarigt Supplément N° 30 - Décembre 2014. témoignage du moudjahid Ahmed Gadda Les maquisards des Aurès d’avant er le 1 novembre Par Boualem Touarigt Guerre de libération Témoignage Dans un témoignage, le moudjahid Ahmed Gadda nous donne un éclairage sur les premiers moudjahidine des Aurès qui avaient pris les armes avant le 1er novembre 1954. Cette période de l’histoire du mouvement de libération nationale reste mal connue. Ce témoignage confirme que ces combattants obéissaient aux ordres de Ben Boulaïd qui avait organisé la région en application des résolutions de l’OS et que certains d’entre eux étaient tombés en martyrs avant le 1er novembre 1954. O Ahmed Gadda n sait que dans les montagnes de Kabylie, Belkacem Krim et Amar Ouamrane avaient constitué les premiers maquis dès 1948. Globalement, les situations avaient beaucoup de ressemblances. Le rejet du colonialisme avait atteint un paroxysme dans ces régions difficiles d’accès où les populations avaient été traditionnellement rebelles à toute forme Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Colonels de l'ALN. De g. à dr. : Krim Belkacem, Mohamedi Said, Si Sadek Dehiles et Amar Ouamrane ( 34 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage d’oppression. Ce rejet avait été canalisé par le mouvement national et la volonté d’indépendance avait franchi de grands pas. Le témoignage du moudjahid Ahmed Gadda apporte des rectifications importantes sur ce qui avait été rapporté par quelques récits qui faisaient de ces combattants des sortes de « bandits d’honneur », sans dessein politique et qui agissaient d’une manière totalement indépendante, vivant même sur le dos des populations dont les citoyens les plus aisés étaient rackettés. Ahmed Gadda donne les noms de ces premiers combattants. Il en a recensé quatorze. Selon son témoignage, qui resterait éventuellement à recouper, certains de ces combattants étaient présents au 1er novembre 1954 et avaient participé au déclenchement de la Révolution. Il s’agirait de Hocine Belhaïl, Messaoud Benzelmat (un homonyme du héros des Aurès mort en 1921), Sadek Chebchoub, Lakhdar Zermati, Ahmed Gadda. Les historiens français ont retenu le nom de celui qu’ils ont rendu célèbre Belkacem Grine, considéré par eux à tort comme un « bandit d’honneur », totalement apolitique et non affilié au mouvement national et qui aurait rejoint la lutte pour l’indépendance par volonté de révolte contre un ordre établi et refus de toute autorité. Il rend un hommage particulier à ceux qui étaient tombés au champ d’honneur avant le LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Ahmed Gadda 1er novembre 1954. Il évoque le souvenir de Beladjel Mohamed de Sidi Oqba, de Mohamed Ben Amar Ben Salem décédé du côté de Tkout, d’un certain Mostefa à Kimel. Il parle avec admiration du chahid Aïssi Mekki décédé dans un combat où participèrent Abdeslam Habachi (militant de l’OS réfugié dans les Aurès) et Ahmed Gadda en novembre 1953. Gadda est formel : les combattants ( 35 ) prenaient leurs ordres de Mostefa Ben Boulaïd directement. Stratégiquement, l’objectif principal était d’entraîner les combattants pour les préparer à la lutte armée. Ils devaient vivre avec la population, l’organiser et la préparer à la Révolution. Les contacts directs avec les forces françaises devaient être évités. Mostefa Ben Boulaïd était membre de la direction du MTLD et très engagé dans www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage Sadek Chebchoub et son épouse Aïda au milieu de combattants de la Wilaya VI les luttes qui divisaient alors le mouvement. Il était considéré comme un des chefs de file des « radicaux » partisans du recours à brève échéance à la lutte armée pour l’indépendance. Il était en quelque sorte la « vitrine » légale du mouvement dans la région des Aurès. En 1948, il dirige la campagne du MTLD aux élections, ce qui lui valut une grande popularité. L’administration coloniale le priva de la victoire en truquant les résultats. Ayant participé aux Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . rencontres du PPA et aux réunions clandestines de l’OS dont il était membre, il suivait les recommandations des partisans de la lutte armée qu’il avait mises en pratique dans les Aurès : constitution de noyaux de combattants armés, organisation des populations, accentuation de la lutte politique pour renforcer les rangs des partisans de l’indépendance. Ces quatorze révolutionnaires de la première heure dont parle Ahmed Gadda étaient les membres ( 36 ) de ces groupes armés dont l’OS avait secrètement décidé la constitution et ils se préparaient à la lutte armée. Parmi les objectifs politiques des militants de l’OS, la lutte contre les Algériens partisans de l’ordre colonial était une priorité. Gadda était formel : Ben Boulaïd recevait des rapports des militants qui lui signalaient les agissements des opposants à l’indépendance. C’était lui qui ordonnait aux combattants d’aller vers ces individus, de les intimider et Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage de les neutraliser. Les individus cessaient alors leurs méfaits et les pressions qu’ils exerçaient sur les populations s’arrêtaient. Gadda raconte que plusieurs d’entre eux étaient imposés et avaient fini par devenir des cotisants réguliers. Il cite l’exemple d’un agent de l’administration coloniale qui s’appelait Hakem Tadi d’Arris qui avait accepté de cotiser régulièrement et qui était devenu un sympathisant de la lutte pour l’indépendance. Ahmed Gadda parle de la constitution des premières caches d’armes qui avaient servi à la guerre de libération. Il existait alors un véritable marché parallèle des armes de guerre alimenté par les surplus de la Seconde Guerre mondiale. Ben Boulaïd avait ordonné aux militants de récolter des armes dont les premières avaient été payées sur ses propres deniers. Par la suite, les militants y avaient consacré les produits des cotisations et des amendes. Gadda se souvient du rôle joué par Adjel Adjoul et Mustapha Boussebsa. Il parle de plusieurs caches d’armes dont la plus connue était celle d’Oued Labiodh chez Ali Bazi ainsi que celle de Hriq du côté d’Inoughissen chez Tigheza Mohamed Seghir. Ahmed Gadda confirme l’action politique des premiers révolutionnaires. Il a participé à des campagnes d’explication menées par Ben Boulaïd dans différents lieux ; à Hara, Ouled Moussa, El Houdjadj, Ahmar Khaddou, Beniane, LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Khenchela. Vers 1949, des contacts avaient été pris avec des militants de Zéribet El Oued et de la zone d’Ouled Souf. A la dissolution de l’OS, les combattants des Aurès avaient recueilli des militants qui étaient recherchés : Abdelhafid Boussouf, Mourad Didouche, Rabah Bitat, Lakhdar Bentobbal, Youcef Zighoud, Abdeslam Habbachi, Mostefa Benaouda. Ils furent hébergés par la population des Aurès et échap- ( 37 ) pèrent à la police coloniale. L’année 1948 est capitale dans le récit fait par Ahmed Gadda. Il parle de l’élection de Mostéfa Ben Boulaïd, à partir de laquelle celui-ci fut reconnu légitimement comme leader par les populations des Aurès. Il s’agit en fait des élections d’avril 1948 qui ont vu la victoire de Ben Boulaïd aux élections à l’Assemblée algérienne sur la liste du MTLD. En 1947, déjà, les candidats du www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage Ahmed Gadda avec le docteur Abdelhak Benboulaid, fils de Mostefa Benboulaid Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 38 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage Belkacem Grine MTLD étaient arrivés en tête des élections municipales. Cette année fut aussi celle de la création de l’OS, cette organisation spéciale clandestine créée par le MTLD pour préparer la lutte armée pour l’indépendance. La victoire électorale du mouvement indépendantiste allait donner une dimension politique à la réaction des révoltés des Aurès. Les actions qui auraient pu être considérées jusque-là comme des soulèvements spontanés, individuels ou tribaux, ou des réactions violentes contre des injustices prennent une expression politique et s’inscrivent dans la remise en cause politique de l’ordre colonial. Il y a un objectif mobilisateur et un idéal qui donnent un sens profond à la révolte. A sa création, le FLN a canalisé tout naturellement ce profond mouvement de révolte. Bentobal qui avait été un temps affecté comme LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE contrôleur dans les Aurès avant le 1er novembre pour échapper à la répression policière apportera plus tard son témoignage sur les combattants qui avaient pris le maquis, évoquant Messaoud Benzelmat, Aïssi El Mekki, Sadek Chebchoub dit « Gouzir » et Belkacem Grine. Messaoud Benzelmat était le descendant d’un combattant qui s’était révol- ( 39 ) té et avait été tué en 1921 et qui avait vécu à la même période que Salah Boumesrane. Il en portait le nom. On attribue à Mahieddine Bekkouche la création des premières cellules du PPA dès 1943. Mostefa Ben Boulaïd allait donner une dimension politique à la révolte des premiers révoltés des Aurès qui se fondra dans la guerre de libération. www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage Ahmed Gadda en uniforme Ahmed Gadda Sadek Chebchoub, surnommé « Gauzer » ou « Gouzir », occupe une place particulière dans le récit de Gadda. Ce combattant issu de la région de Zellatou de la tribu des Beni Slimane, pays d’origine de Benzelmat, a une histoire particulière. Il a été syndicaliste dans une mine de la région de Tlemcen Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . et militant du Parti communiste. De retour dans sa région natale, il prend le maquis en 1952. Son épouse Aïda le rejoint et prend les armes à ses côtés. Affecté à la Wilaya VI, il tombera en martyr dans la Wilaya I le 20 octobre 1961. Boualem Touarigt ( 40 ) Sadek Cheboub et Aida son épouse Supplément N° 30 - Décembre 2014. Secteur 2 zone 4, wilaya 1 Aurès-Nemenchas La famille Beghou au cœur de la Révolution Par Zoubir Khélaifia Guerre de libération Témoignage Lorsqu’il dévide ses souvenirs, il sanglote, verse des larmes puis se reprend pour ne pas perdre le fil d’une histoire passionnante qui débute en 1954, avant même que la première balle soit tirée dans les Aurès. Du haut de ses quatre-vingts ans, Si Layachi Beghou relate avec véhémence et profusion la rencontre avec la Révolution, ses peines, ses joies, la prison, la perte de valeureux combattants qu’il a côtoyés et le parcours de sa famille, engagée corps et âme pour la juste cause. En fait, les destins de cette famille et de la Révolution se sont croisés en octobre 1954 pour ne plus se séparer jusqu’au recouvrement de l’indépendance. Les Beghou de Ain Diss dans la wilaya d’Oum El Bouaghi, ancien- nement secteur 2 de la zone 4 de la wilaya I (Aurès-Nemenchas) représentent l’une des familles qui ont tout donné à la Révolution, y compris les êtres les plus chers. Si Layachi a tellement attendu cette opportunité qu’il se lâche aujourd’hui, ne laissant rien au hasard. Les moindres détails sortent par miracle d’une mémoire heureusement encore intacte bien que la maladie commence à faire son effet. Il commence son long récit par sa famille, propriétaire terrienne au douar Mouellah, mechta Taghribt : « Nous possédions 80 chameaux et plus de 500 têtes de moutons que nous avions mis à la disposition de l’ALN. » Cette parenthèse fermée, l’octogénaire replonge dans ses souvenirs et évoque les premiers contacts établis La rencontre avec la Révolution Mechta Taghribt, douar Mouellah dans la région d'Oum El-Bouaghi Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 42 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage avec les émissaires des Aurès pour entreprendre l’organisation de cette région, plus tard érigée en secteur 2 de la zone 4 à l’issue du congrès de la Soummam. « Quelques semaines avant le début des actions armées, quatre hommes sont arrivés dans notre ferme pour nous informer que la Révolution est en marche et que nous devons être prêts. » Ce jour est resté gravé dans la mémoire du vieil homme, ragaillardi comme s’il retrouve une seconde jeunesse. La guerre de libération représente une époque vitale pour cette famille qui a vu son fils, Abdelhamid Beghou, tombé héroïquement au champ d’honneur et son frère Hanafi rejoindre le maquis alors que Layachi, Mosbah, Lamine, Khemissi et Nouar ont tous Chaâbane Laghrour LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE d’une manière ou d’une autre activement participé aux côtés de l’ALN. Leur ferme est par la force des choses devenue une plaque tournante de l’ALN dont les groupes se relayaient pour se nourrir, se reposer ou se réunir. Elle a même abrité pendant plus de trois années la famille de l’officier de l’ALN, Khélaifia Rebaï, dit Ammi Rebaï dont des enfants y sont nés et allaités par les femmes des Beghou. En parlant de ces dernières, il faut avouer qu’elles ont rempli les tâches les plus dures quand la situation l’exigeait. Hommes et femmes de la famille Beghou ont, comme un seul être, répondu à l’appel de la patrie et accompli leur devoir pour le recouvrement de l’indépendance. A peine les hostilités enclenchées à Batna, Khenchela, Biskra et dans d’autres localités des Aurès que des émissaires sont envoyés dans la région de Canrobert (Oum El Bouaghi) avec pour mission d’y installer le maquis et de procéder à une campagne de sensibilisation. Chaâbane Laghrour, frère de Abbas, Si M’hamed Remili, El-Hadi Rézaïmia, Mohamed Salah Hedroug et une vingtaine d’autres combattants, tous des Nemenchas, sont désignés par le haut commandement des Aurès pour diriger les combats, entraîner les nouvelles recrues et organiser le maquis. « Pour l’histoire, ce sont les premiers moudjahidine à se présenter à notre ferme et ce sont les premiers combattants à y avoir transité », se remémore Si Layachi qui les a accompagnés jusqu’à Fedj Edderriès du côté de Tamlouka, aujourd’hui relevant de la circonscription ( 43 ) www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage C’est vous dire tout le poids de la Révolution qui pesait sur notre famille. Mais nous le faisions par conviction, par amour pour notre pays et pour son indépendance. » Tous ces mouvements de l’ALN ne pouvaient évidemment échapper à la vigilance de la soldatesque française qui opérait des récurrentes descentes dans cette ferme où elle faisait subir les pires sévices aux Beghou sans jamais tirer le moindre renseignement. Si Layachi, devenu agent de renseignement de l’ALN, écumait la région, notamment celle d’Ain Beida où le magasin de Si Ammar Tamrabet, situé en plein centre-ville, servait de boîte postale. Il est même envoyé en France où il a séjourné pendant plus de 3 mois pour dresser un constat sur le FLN dans l’Hexagone. Plus tard, en 1958, il connaîtra les affres Si Layachi Beghou de la wilaya de Guelma. « Ils avaient pour mission de contacter des familles connues pour leur militantisme pour la cause », raconte encore l’octogénaire qui voue une admiration sans limite à ces maquisards de la première heure. Depuis cette date, la ferme des Beghou ne désemplissait jamais. Pour l’anecdote, raconte encore Si Layachi « en une seule nuit, pratiquement tous les membres de l’ALN de la région se sont relayés chez-nous. Larbi Ouachène et 18 autres combattants y sont venus. Je leur ai servi de guide jusqu’à Kef Agab. A mon retour, j’ai trouvé le groupe de Bouguerra et pour boucler la boucle, j’ai dû égorger un mouton à 2h30 du matin pour un troisième contingent de moudjahidine dirigé par Boukhedena et Hassani Aissa. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . 1 4 2 3 Photo rare prise en 1954. 1- Abbas Laghrour. 2- Mostefa Ben Boulaid. 3- Sidi Henni. 4- Mamoun Khaldi ( 44 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage de la prison de la ville d’Ain Beida où il a croupi 17 mois durant. « Notre ferme a été encerclée et j’ai été embarqué et dirigé vers le sinistre 5e Bureau où j’ai subi les sévices les plus horribles ». Si Layachi ne dira pas plus et c’est son neveu Abdellah, dit Khemissi qui prend le relais. Chaâbane Laghrour tombe au champ d’honneur, Abdelhamid Beghou rejoint l’ALN Alors que la guerre faisait rage et que l’ALN enregistrait des victoires sur l’ennemi, l’étau se resserrait autour des chefs. Filés à la trace, ils ont fini par être débusqués par l’ennemi un jour du mois de juin de l’année 1956. Chaâbane Laghrour et son groupe sont encerclés et pilonnés par les bombardiers de l’aviation française. « L’information est tombée tel un couperet », raconte Khemissi, un autre Beghou qui, à l’image de ses frères et oncles, a épousé la cause depuis son début. Le premier chef, Si Chaâbane, Bougueffa, Si Tayeb ElMeskani ainsi que plusieurs autres moudjahidine venaient de tomber au champ d’honneur dans les gorges de Chebka au lieu dit Djehfa, situé à l’ouest de Tamlouka. Un coup dur pour la Révolution qui jusquelà tenait en respect l’ennemi et lui infligeait des pertes considérables. « Non encore habitués à perdre des chefs, nous nous interrogions sur le devenir de la guerre, sur les capacités de l’ALN à redresser la situa- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE La ferme de la famille Beghou La ferme de la famille Beghou Maisonnette ayant abrité la famille du chef Khélaifia Rebai dit Ammi Rebai ( 45 ) www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage Chahid Beghou Abdelhamid et Chahid Djermane Lahcène tion, mais ni les bombardements ni les exactions encore moins les tueries n’ont eu raison du courage des hommes et de leur détermination à chasser l’ennemi. » La suite donnera raison à Khemissi puisque le chahid Chaâbane Laghrour est remplacé par El-Hadi Rezaïmi, période durant laquelle Abdelhamid Beghou a rejoint les rangs de l’ALN avec son ami Djermène Lahcène. L’année 1956, date de la tenue du congrès de la Soummam, est une date charnière de la Révolution puisque désormais le découpage géographique des wilayas, l’instauration des zones et des Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . secteurs allaient faciliter beaucoup plus la tâche aux moudjahidine, alimentés, il faut le souligner, en armements comme ne l’a jamais été la Révolution auparavant. « El-Hadi Rézaïmia n’est pas resté longtemps. A l’issue du congrès de la Soummam, il est rappelé par le haut commandement des Aurès. » Mohamed Fantazi, dit Hoggas prend le témoin pour devenir le chef incontesté du secteur deux de la zone 4 qui englobait, Ain M’lila (secteur 1), Oum El Bouaghi (secteur 2), Ain Beida (secteur 3) et enfin la Meskiana (secteur 4). ( 46 ) La bataille de Taghribt La guerre était à son apogée et l’ALN tenait tête à l’ennemi. Elle le harcelait, lui tendait des embuscades et lui portait des coups très sérieux. Les batailles se multipliaient et les pertes étaient enregistrées d’un côte comme de l’autre. L’un des chefs les plus redoutables et le plus craint par les Français est indiscutablement Hoggas. Guerrier, celui-ci faisait voir de toutes les couleurs aux soldats français. « Pendant son règne, il a fait subir les pires pertes à l’enne- Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage Khemissi Beghou Lamine Beghou à sa droite Nadji, fils de Si El Ayachi mi. En plus, il dirigeait d’une main de maître son secteur qu’il a réussi à organiser d’une manière impeccable », dit encore Khemissi. Relayé par son oncle, Si Layachi reconnaît en ce combattant, sa bravoure et son courage : « Hoggas était un valeureux chef, il va au charbon avant ses subordonnés. Il était juste et accordait à la Révolution une importance capitale. » Au moins de Ramadhan de l’année 1957, il est assiégé au douar Mouellah alors qu’il se reposait avec ses compagnons. Il a ordonné le repli vers une région plus accidentée, située à quelques encablures de la ferme Beghou. Eclatait alors la fameuse bataille qui a vu les meilleurs fils de la région tomber au champ d’honneur. A cette époque, Hoggas était même chef intérimaire de la zone 4. « Les hostilités ont débuté dans la matinée au lieu dit Chebka et ne se sont arrêtées qu’en LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Assis de g. à dr. : Si El Ayachi, son fils Zamane et Khemissi. Debout : Nadji. De g. à dr. : Khemissi, Lamine et Nadji ( 47 ) www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage début de soirée quand tous les armes se sont tues », se remémore Khemissi cette journée qu’il compare à l’enfer tellement les combats étaient intenses mais inégaux sur le plan de la logistique. Mohamed Fantazi dit Hoggas, Lakhdar Bouchoucha, Bekakra Bouzid, Kalli Ammar, Si Khelil, Zidane, Mimisse et Si Maâmar sont tous morts dans cette bataille alors que le seul rescapé, toujours en vie d’ailleurs, n’est autre que Brahim Titel. « La région a beaucoup pleuré ces moudjahidine qui ont tenu la dragée haute à l’armée coloniale qui a utilisé des moyens colossaux pour les anéantir. J’ai été embraqué de force dans un hélicoptère pour procéder à l’identification de ces martyrs », souligne Khemissi. Khélaifia Rebaï, dit Ammi Rebaï chef du secteur 2 « Un autre chef charismatique, courageux et redoutable », dit Si El Ayachi en sanglotant quand il énumère les noms des valeureux chefs qui ont tous transité par la ferme. « L’histoire de Si Rebaï est particulière. Pas du tout comme les précédentes puisque non seulement, il était désigné chef de notre secteur mais nous avons aussi l’insigne honneur d’avoir abrité sa femme et ses enfants pendant plus de trois années. C’est-à-dire jusqu’à sa mort dans la bataille d’El-Fedjoudj en 1960 », confie Lamine qui était son confident et son homme de confiance. « Un jour, il a demandé à voir notre mère Rebaïa. Une Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 48 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Témoignage Stèle commémorative érigée à la mémoire du Chahid Khélaifia Rebaï, chef de la zone 4 fois devant elle, il l’a enlacée et lui a demandé de prendre soin de ses enfants et de les considérer comme les siens ». Depuis 1958, date de sa promotion à ce rang, Ammi Rebaï a mené plusieurs batailles, y compris dans les régions les plus reculées de cette vaste zone. Il l’écumait de Tamlouka jusqu’à la frontière de Batna. Avec ses compagnons d’armes, il a mené la vie dure aux Français qui, à leur tour, le traquaient partout. Trois années durant, il était la cible principale de l’ennemi qui a tout déployé pour le tuer. « Il aimait le combat, il ne se dérobait jamais et était surtout magnanime. Même LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE son salaire, il le donnait aux pauvres », raconte Lamine dont la femme a allaité les fils de cet officier de l’ALN dont toute la famille était au maquis. « Il y en a même qui sont nés chez-nous », ajoute Lamine pour expliquer la confiance dont jouissait la famille Beghou auprès de l’ALN. Adelhamid Beghou et Djermène Lahcène étaient très proches de Si Rebaï qui leur accordait toute sa confiance autant qu’à son secrétaire particulier Laouissi. Tous les quatre vont ultérieurement tomber héroïquement au champ de bataille. Bien d’autres moudjahidine, à l’image de Si Mahmoud Kebaïli, Amara Chaâ- ( 49 ) bane, Lahcène Cidre et Causalota connaîtront le même sort. « La bravoure de si Rebaï l’a même empêché d’acheter une maison à ses enfants malgré mon insistance », affirme aujourd’hui Lamine Beghou. C’est en 1960 que Ammi Rebaï connut sa fin dans une rude bataille qu’il a menée seul contre un contingent de soldats français au lieu dit El-Fedjoudj, a miparcours entre Oum El Bouaghi et Batna. « Encerclé avec son groupe, il est descendu seul pour faire diversion et permettre à ses compagnons de s’enfuir. La bataille a duré toute l’après-midi et il a fallu utiliser les armes lourdes pour le tuer. Son corps sans vie a été une première fois exposé en plein centre-ville de la ville de Canrobert (Oum El Boaughi) où le sergent-chef du nom de Machevot a dit de lui devant l’assistance « je n’ai jamais vu un tireur d’élite comme ce fellagha », et une seconde à la caserne du boulevard du sud de la ville d’Ain Beida. Un grand chef venait de mourir quelque temps seulement après sa promotion au rang de chef de la zone 4. » Abdelhamid Beghou tombe au champ d’honneur, Hanafi monte au maquis La mort de Si Rebaï a laissé un grand vide. Les combattants étaient abattus à l’idée de continuer à faire parler les armes en son absence. Le choix s’est porté sur Amara Chaâbane pour lui succéder. La guerre tirait à sa fin mais les combats n’ont jamais cessé. Au contraire, ils ont doublé d’inten- www.memoria.dz Guerre de libération Témoignage sité. L’ALN maintenait la pression sur les troupes françaises et, sporadiquement, elle leur portait des coups très durs. Les batailles, notamment dans les alentours de Taghribt font parfois rage et les moudjahidine, mal équipés parfois, trouvent tout de même des ressources pour infliger de lourdes défaites à l’ennemi. Abdelhamid, devenu officier de l’ALN se rendait de temps à autre à la ferme pour rendre visite aux siens : « On dirait qu’il sentait la mort venir. Il pleurait ses compagnons tombés au champ d’honneur. Il ne cessait jamais de les évoquer et de prier pour eux », dira Khemissi qui, à son tour, loue le courage de son frère. Même si la France était sur le point de perdre la guerre, elle n’en redoublait pas moins de férocité envers les civils, les femmes, les enfants et les vieillards qu’elle considérait, à juste titre d’ailleurs, comme la colonne vertébrale de l’ALN. Des casemates, creusées par ces mêmes civils, servaient de refuge aux combattants et c’est justement dans l’une d’elles que le groupe de Amara Chaâbane va être décimé. Nul ne sait comment il a été repéré, mais assiégés aux gaz toxiques, sept moudjahidine, dont Abdelhamid Beghou, ont été arrêtés alors que leur chef, Amara Chaâbane est mort asphyxié. Cette opération s’est déroulée à Ain Diss, à quelques centaines de mètres de la ferme. Transférés à Oum El Bouaghi, les prisonniers ont subi les pires sévices ayant entraîné leur mort. On raconte que malgré les souffrances, Abdelhamid n’a jamais bronché ni donné le moindre renseignement préjudiciable à l’ALN. Une mort ressentie par sa famille, notamment Hanafi qui a décidé de rejoindre le maquis pour honorer la la mémoire de son frère. Ainsi a vécu la famille Beghou qui, aujourd’hui, raconte fièrement son dévouement pour la partie et sa contribution pour la libération du pays. Zoubir Khélaifia Les chefs du secteur 2. Avant le Congrès de la Soummam Les chefs de la zone 4. (Aurès-Nemenchas) Avant le congrès de la Soummam - Chaâbane Laghrour - Chaâbane Laghrour - Mohamed El-Hadi Rezaïmia - Mohamed El Hadi Rézaïmia Après le Congrès de la Soummam Après le congrès de la Soummam - Hamdi Ali - H’Mida Ferhati - Redjaï Ammar dit Fertouhi - Fantazi Mohamed dit Hoggas - Fantazi Mohamed dit Hoggas - Khélaifia Rebaï dit Ammi Rebaï - Hadi Mahmoud di Mahmoud Kébaïli - Bougadi Djemoï - Amara Chaâbane - Bennoun Saïd dit Saïd 86 - Khélaifia Rebaï dit Ammi Rebaï - Mohamed Hadjar - Mohamed Haba Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 50 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Barbacha Un bref aperçu historique Dr Mahmoud AIT MEDDOUR Maître de conférence, Facultés des sciences humaines et sociales. Université de Béjaia. Guerre de libération Histoire Barbacha, culminant à une altitude de 850 mètres et située à une qua- rantaine de kilomètres de Bejaia (ex-Bougie), appartenait autrefois à la section Dra Larba qui faisait partie, à partir de 1880, de la commune mixte de Sidi Aich1 . Celle-ci, par arrêté du gouverneur général de l’Algérie daté du 5 mars 1888, est fusionnée avec la commune mixte de Fenaîa pour former une seule commune : celle de la Soummam2. En 1888, la section de Dra Larba, se composait de trois tribus : Barbacha, Guifcer et Beni Khateb. D’après le recensement de 1886, la tribu de Barbacha comptait 562 maisons réparties entre ses 23 villages3. O n ne sait que Français remonte à la période qui a de Bougie Cabarrus en se portant à peu de choses suivi la campagne du maréchal Bu- la tête de ses goums, et avait causé sur l’histoire geaud en Kabylie de la Soummam des blessures à cinq officiers et vingtde Barbacha. en 1847. En 1849, la tribu des Beni deux soldats4. Mais la défaite fut du Tour à tour Slimane prit le chemin de la révolte. côté des autochtones. Les Français soumises aux Deux colonnes françaises furent brulèrent quelques villages avant de Romains, aux Vandales, aux Byzandépêchées sur les lieux : le général se retirer après la soumission des tritins et aux Arabes, les populations de la région passèrent aux mains des Salles partit de Sétif le 19 mai 1849 bus de la région. Dans ses lettres, le et le général Saint-Arnaud sortit de général Saint-Arnaud évoque cet épiTurcs en 1555. La sode avec beaucoup province de Bougie Le général Saint Arnaud évoque cet épisode avec beaud’ironie5 : « Les Kaétait alors adminiscoup d’ironie : « Les Kabyles ne sont pas si méchants byles ne sont pas si trée par le caïd turc, qu’on les fait. Je les ai chassés de positions inexpuméchants qu’on les qui avait le droit de gnables par leur nature et qu’ils avaient pris soin de forvie et de mort sur fait. Je les ai chassés tifier. Je les ai poursuivis sur des pics inaccessibles où les tribus de Sande positions inexpuils disaient que les aigles seuls venaient les visiter. Nous hadja et celles de la gnables par leur nane sommes pas des aigles, et nous y sommes montés en grande section des ture et qu’ils avaient battant la charge. Nous n’avons eu que deux tués, cinq Ouled Abd El Djepris soin de fortifier. officiers et vingt-deux soldats blessés. Nous aurions dû y bar (Ouled Tamzalt, Je les ai poursuivis laisser cinq cents hommes et ne pas réussir. » Barbacha, Ouled sur des pics inaccesAmeur Youb, Beni sibles où ils disaient Kharoun, Ouled Abd El Aziz et Bougie le 20 mai. Après un passage que les aigles seuls venaient les visiBeni Ymel) qui lui payaient les impar Barbacha, la colonne du général ter. Nous ne sommes pas des aigles, pôts et reconnaissaient sa suzeraineté. Après la prise de Bougie en 1833, Saint-Arnaud fut attaquée à Kendira, et nous y sommes montés en battant ces tribus multiplièrent les actes de le 21 mai, par des habitants des Beni la charge. Nous n’avons eu que deux résistance contre les troupes fran- Slimane, de Barbacha, des Guifcer tués, cinq officiers et vingt-deux çaises qui trouvèrent de grandes dif- et des Ait Oudjhane. Le combat s’est soldats blessés. Nous aurions dû y ficultés pour sortir des murs de cette soldé par la mort de deux militaires, laisser cinq cents hommes et ne pas ville. La soumission de Barbacha aux entre autres l’officier du bureau arabe réussir»6. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 52 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire Béjaïa, capitale des Hammadites en 1880 En mai 1851, les tribus de Barbacha et de Guifcer soutinrent la révolte de Bou Baghla7. Ce dernier, après ses succès dans la vallée de la Soummam, avança vers Dra Larba en passant par la tribu des Aith Imel. Il coupa les communications entre Bougie et Sétif et descendit ensuite pour camper non loin d’El Kalaa, l’ancienne capitale des Hammadites. Après plusieurs attaques sur cette ville, il rebroussa chemin et partit continuer son soulèvement dans d’autres régions de Kabylie8. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Les habitants du douar Dra Larba, de Bouandas et de Kendira ont participé activement à l’insurrection de 1871. A un moment, Boumezrag, successeur de Mokrani, avait choisi son camp du côté de Dra Larba. C’était l’époque où les Français commençaient à gagner du terrain. Le 11 juillet 1871, le général Saussier se rendit à Dra Larba où l’attendirent les partisans de Boumezrag. Sur ce combat qui a eu lieu, le 12 juillet 1871, Luis Rinn écrivit :« Le 12, à midi, Boumezrag ( 53 ) et les Ouled Mokrane, bannières déployées et suivis de contingents très nombreux, marchaient sur le camp, où il leur semblait que nos troupes étaient endormies. Mais en un instant nos hommes sont debout à leur place de combat, et, avant d’être abordés, ils marchent en plusieurs colonnes sur l’ennemi qu’ils accablent de leurs feux rapides et que bientôt ils cernent de tous côté (s). La cavalerie descend vers le lit de Oued Bousselem et coupe le chemin des montagnes www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Général Saussier de Tala Mokrane ; les qbails qui, se sont embusqués par petits groupes dans les ravins sont écrasés. » « Le terrain est couvert de morts, les prisonniers deviennent encombrants, une vingtaine d’individus pris les armes à la main sont fusillés par les tirailleurs qui ne peuvent se résigner à les garder pendant qu’on se bat à côté d’eux »9. Les échecs répétés devant les troupes du général Saussier vont pousser les populations de Beni Slimane et celles de Barbacha à se soumettre et à supporter les charges dues à la guerre ; entre autres la spoliation de leur terres et le payement de lourdes contributions de guerre imposées par le vice-amiral comte De Gueydon10. Tandis que Bougie connut un développement considérable sur tous les plans, les régions du Dra Larba, Bouandas et Kendira vivaient dans de grandes difficultés. Ces contrées montagneuses et accidentées n’attiraient pas les investisseurs français, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . à l’exception des travaux d’exploitation de la mine de Bou Amrane qui avaient commencé en 1924. Les responsables politiques français ne voyaient pas la nécessité d’installer une instance administrative quelconque au sein de la région de Dra Larba, tant que le calme régnait dans la contrée. Les représentants autochtones de la France avaient toutes les prérogatives leur permettant de gouverner loin des regards de leurs supérieurs. Cette situation demeura ainsi jusqu’au déclenchement de l’affaire du diss11, le conflit qui avait mobilisé environ 2000 personnes et opposa, 11 villages du douar de Draa Larba (Barbacha, Khellil, Tala, Ait Aissi, Izen Azenou, Kalaa, Ighil Makal, Takliat, Bellouta, Ouendadja et Beni Khaled), les villageois du douar de Bousselam (commune mixte de Guergour) avec le soutien du douar voisin d’Azrou n’Bechar d’un coté, aux fractions principales du douar de Bouandas et du douar de Kendira (Aith Abbas, Aith Melika, Kembitha, El-Bir…) de l’autre côté12. Sur ce conflit connu sous le nom de « guerre du diss », on apprend d’après les archives françaises qu’il avait débuté le mois de janvier 1932. Les habitants du douar de Bouandas, invoquant « la pauvreté des pâturages et la nécessité où ils allaient se trouvaient pour cette année, d’utiliser la totalité du diss pour leurs propres besoins », informèrent leurs compatriotes du douar de Dra Larba que désormais il leur était interdit de chercher le diss au niveau de leur région13. En dépit de cet avertissement, les habitants ( 54 ) de Dra Larba revinrent à la charge ; ils se déplacèrent en masse pour se procurer du diss dans les mêmes endroits que celui des années précédentes. Les propriétaires les laissèrent une dernière fois accomplir leur tâche, mais ils leur interdisaient désormais, par la force des armes, toute exploitation du diss14. La situation aurait pu rester à ce stade mais elle prit une tournure grave. Une réunion à laquelle a participé le chef de la djemaa, des amins de trois villages et des notables de Dra Larba avait décidé par mesure de représailles «d’interdire l’accès de leur territoire à ceux de Bouandas pour les gêner à leur tour dans leur ravitaillement (fréquentations des marchés) et leurs moyens d’existence (participation aux chantiers des ponts et chaussées organisé dans le douar Draa Larba»15. Le premier affrontement survint le 25 janvier 1932 ; comme on l’a constaté, il fut « la conséquence d’une série d’incidents ». Sur cette bataille, l’administrateur de Oued El Marsa écrit au sous-préfet de Bougie : « Le 25 janvier dans la matinée, les indigènes de Dra Larba descendirent, armés de leurs villages (et) prirent la direction de celui d’El-Bir dans le but de celui vraisemblablement d’aller prendre du diss par la forêt. Les habitants d’El-Bir alertèrent leurs voisins de Kembita et bientôt des deux côtés de la profonde vallée qui sépare les deux communes, les crêtes se garnirent d’indigènes armés qui firent parler la poudre »16. Dans la journée du 26 janvier, avec le soutien apporté par les villageois du douar de Bousselam Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire (commune mixte de Guergour) au douar de Dra Larba, les évènements prirent une autre allure. Vers 8 heures du matin, les habitants des deux douars attaquèrent le village d’El-Bir (douar de Kendira) s’emparant au passage du bétail et de divers objets et causant également la mort d’un villageois de Kembita. Les gens du douar de Bouandas et de Kendira ripostèrent à 4 km plus au nord en attaquant des villages situés entre les deux douars. Un gourbi et quelques séchoirs à figues furent brulés. Un autre soutien de taille pour les gens de Dra Larba vint du douar voisin Azrou N’Bechar. Dans la soirée du 26 janvier, arriva sur les lieux des combats l’administrateur de la commune de Oued El-Marsa et réussit, en compagnie de son homologue de la Soummam, à apaiser les tensions entre les habitants des deux douars. Au moment où deux avions survolèrent la région, les renforts continuèrent d’arriver dans la soirée du 26 janvier. Un détachement de 120 tirailleurs de la garnison de Bougie se présenta sur les lieux. Le préfet de Constantine et le sous-préfet de l’arrondissement de Bougie réussirent à atteindre la place pour superviser les opérations. Étaient également présents le colonel commandant la 19e Légion à Alger, le lieutenant commandant la gendarmerie de Bougie, le lieutenant commandant le détachement du 11e RTA, le chef de la sureté générale de Constantine, le chef de la brigade mobile de Bougie et le commandant de la gendarmerie de Sétif. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Moudjahidine de la région Le lendemain 27 janvier, trois colonnes parcoururent les villages touchés par les évènements cités plus haut. Cette démonstration de force et la présence de personnalités importantes de l’administration française finirent par mettre fin au conflit. Le même jour, en présence de la plupart des responsables cités ci-dessus, une réunion fut tenue à Barbacha. « Ces chefs de communes, écrit le préfet de Constantine, expliquent à leurs administrés dans quelle grave situation ils se ( 55 ) sont volontairement placés en préférant un règlement par les armes à un arbitrage administratif. Ils promettent que la question du diss, qui parait être le point de départ du conflit, sera examinée au mieux des intérêts des collectivités en cause et invitent ces notables à retourner dans leurs villages respectifs, à se tenir à la disposition des agents de l’autorité et à veiller à ce que leurs parents et amis respectent la vie et les biens de chacun »17. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Une enquête fut immédiatement lancée pour l’arrestation des auteurs des divers incidents du conflit. Dès le 28 janvier, les Français procédèrent aux premières perquisitions dans les villages. Vingt-huit personnes furent arrêtées dont vingt étaient originaires du Dra Larba. Des armes non immatriculées étaient également saisies. Les personnes qui avaient participé aux combats furent sanctionnées18. Treize années écoulées après la « guerre de diss » qui avait causé beaucoup de préjudice à la région sur tous les plans, vinrent les événements de 8 mai 1945 qui avaient ensanglanté le Constantinois et particulièrement Sétif, Guelma et Kherrata. Barbacha fut aussi encerclée par un détachement de la Lé- gion étrangère, qui mit le feu à certaines maisons, non sans avoir fait sortir les habitants qu’il rassembla dans la mosquée. Il y eut des vols de bijoux, de couvertures, tapis et surtout de l’argent. Les légionnaires ne partirent qu’une fois leurs méfaits accomplis, et grâce à l’intervention de caïd Ourabah, que certains villageois avaient averti19. Dr Mahmoud AIT MEDDOUR 1. Auguste Veller, Monographie de la commune mixte de Sidi Aich, Paris, éd. Ibis presse, 2004, p.59. 2. D’après l’arrêté gouvernemental du 25 août 1888, la commune mixte de la Soummam regroupe les douars et les tribus suivantes : Sidi Aich, Oued Soummam, Ath Oughlis, Fenaîa, Ait Sidi Abbou, Béni Kesila, Mezal, Beni Amran, Toudja, Ait Ahmed Garest, Acif el-Hammam, Ait Ameur, Tifra, Beni Mansour, Azrou N’Bechar et Timezrit. » Voir Tableau général des communes de l’Algérie au 1er janvier 1892, dressé par le gouverneur général Cambon, Alger, Imprimerie Pierre Fontana et compagnie, 1892. 3.Voir Auguste Veller, op.cit., p. 77. Les 23 villages sont : Tabia, Tighilt, Bou Aokal, Khanouche, Ait Ain Sreur, Tizi, Kouta Azemour, Assoual, El Kitoun, Tiazibine, Aït Yaya (Ait Ouyahia), Agueni n’Sihel, Taourirt, Djelada, Tiguert Mahaleb, Tikharoubine, Igran Ouaten, Bou Aich, Bou N’guer (Bounceur), Bou Riden (Boughidene), Tagmiouine, tagma et Tizi N’terreghamts. 4. Saint-Arnaud (Maréchal), Lettre, Paris, Michel Lévy Frères, Libraire éditeur, 1858, t.2. 5- Féraud Laurent Charles, Histoire de Bougie, Béjaia, nouvelle édition, Talantikit pp. 222-223. 6- Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome II, Paris, Michel Lévey Frêres, Libraire éditeur, 1858. 7. Bou Baghla leva l’étendard de la révolte en décembre 1850 par un appel à la guerre sainte lancé au marché de la tribu des Ait Idjeur en Kabylie de Djurdjura. La résistance de Bou Baghla déstabilisa durant quatre ans la présence française en Kabylie. Bou Baghla fut tué le 26 décembre 1854, dans les environs d’Ait Mellikeuche par le caïd Lakhdar. 8. Joseph Nil Robin, « Histoire du chérif Bou Baghla », dans Revue africaine, xxv, p. 343 – 348. 9- Rinn Luis, L'insurrection de 1871 en Algérie, Alger, Adolphe Jourdan, Alger, 1891. 467 et 468. 10. Auguste Veller, op. cit., p. 62. 11. Le diss est une herbe utilisée pour la nourriture de cheptel, la fabrication des couffins et pour la couverture des toits des maisons en Kabylie. 12. Archives d’outre mer, Aix en Provence, 9 H 16. Rapport de l’administrateur de Oued El Marsa, Oued El-Marsa, le 30 janvier 1932. 13 - D’après quelques témoignages recueillis au niveau de quelques personnes de la région de Barbacha et qui avaient appris dès leur jeune âge le récit de cette affaire, les habitants du douar de Beni Slimane auraient humilié un individu du douar de Dra Larba en lui rasant une partie de ses moustaches. Ce geste aurait joué un rôle dans le déclenchement des hostilités entre les deux parties. 14- A O M, Rapport du préfet du département de Constantine au gouverneur général de l’Algérie, Constantine le 11 février 1932. 15. - A O M, 9 H 16, Rapport du sous-préfet de Bougie au préfet de Constantine, Bougie, le 05 février 1932. 16. A O M, 9 H 16, Rapport de l’administrateur de Oued El-Marsa, Oued El-Marsa le 30 janvier 1932. 17. Ibid. 18. Les affrontements ont provoqué la mort de deux personnes et quelques blessés. 19. Mohamed Benyahia, La conjuration au pouvoir, Récit d’un maquisard de l’ALN. (s.l), éd. ENAP (Ben Yahia, (s.a), p. 11 Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 56 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Rezkia N’Bouzid Infirmière en guerre de libération Par Dr Mahmoud Aït Meddour Université Abderrahmane Mira de Béjaïa Guerre de libération Histoire Le résumé en français : Ce texte propose d’apporter un éclairage sur la place et le rôle des femmes dans la guerre de libération algérienne à travers le parcours de Rezkia N’Bouzid, une femme originaire du village de Tiazibine, sis à Barbacha. Celle-ci avait vécu une enfance difficile après la perte de sa mère à l’âge de 10 ans. Mariée ensuite à l’âge de 17 ans, elle suit son mari émigré en France. Après la maladie de son époux, elle va travailler comme femme de ménage dans un hôpital à Paris, ce qui va lui permettre de s’initier aux seringues et aux différents produits de soins infirmiers. Au déclenchement de la guerre de libération le 1er Novembre 1954, Rezkia va être très vite repérée par les militants de la cause nationale au sein des immigrés, et elle activera dans la distribution des tracts. En 1955, elle rentre en Algérie et s’engage en tant qu’infirmière dans l’organisation civile de l’Armée de libération nationale, avant d’être arrêtée pour enfin subir tous les supplices à travers les différents centres de détention et de torture Le résumé en anglais : Rezkia N’Bouzid, a nurse in the algerian war of liberation. This paper proposes to shed light on the place and role of women in the Algerian war of liberation through the testimony of Rezkia N’Bouzid, a woman from the village of Tiazibine, located in Barbacha. It traces the career of one of these activists and constitutes a trace of anchoring popular armed struggle. It traces the journey of this woman, who lived a difficult childhood after the loss of his mother at the age of 10, married at age 17, following her husband emigrated to France, then returned to Algeria in 1955 and is committed as a nurse in the civil organization of the National libération army, before being arrested and finally undergo all the tortures through the various detention centers and torture. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 58 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération L ’adhésion de la population à la guerre de libération algérienne était la grande force de l’Armée de libération nationale (ALN) et elle fut très déterminante. Les tâches exigées des civils n’ont pas été nullement faciles surtout pour les femmes, car elles les exposaient aux risques des répressions et aux problèmes liés à leur non-autosuffisance alimentaire, et à cause du quadrillage imposé au territoire par l’armée française et de la mise en place des goumiers1. D’après certains témoignages, l’armée française avait même tendance à observer de la compassion et du respect envers ses prisonniers combattants réguliers du l’ALN, à l’inverse des moussebline 2 considérés comme combattants irréguliers ou terroristes qui étaient souvent exécutés après leur arrestation. Le sujet du rôle de la femme au sein de l’organisation civile pendant cette guerre n’a pas été suffisamment traité, en dépit de l’ancrage de cette Révolution dans un peuple et qui évacue de fait l’idée entretenue depuis l’indépendance d’une élite révolutionnaire, car en effet, il y avait une frange de femmes engagées dans cette guerre révolutionnaire, restées dans leurs maisons, et qui assumaient jalousement leurs tâches au sein de l’organisation civile du Front de libération nationale (FLN). LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Histoire Rezkia N’bouzid à Paris dans les années 1950 L’exemple de ces femmes, dont l’expérience traduisait cet ancrage populaire, on le présentera dans le parcours de Rezkia N’Bouzid, engagée dans la guerre de libération nationale au village Tiazibine dans la commune de Barbacha. Il est vrai que c’est une tâche complexe de retracer le parcours d’une personne dont beaucoup de souvenirs avaient disparu avec l’âge et aussi des traumatismes causés par les séances de tortures subies. La complexité est due aussi aux difficultés rencontrées pour remettre le vécu de cette femme dans un contexte historique plus au moins précis, à cause du brouillage des habituels repères chronologiques. Le témoignage a été recueilli par l’auteur le 15 février 2014 au sein de son domicile sis à Barbacha et en présence de son fils Salah. On a utilisé un enregis- ( 59 ) treur audio dans l’entretien qui avait duré deux heures et trente minutes. Etant donné que Rezkia est une analphabète, il était impossible de réaliser l’entretien en langue française. C’est pour cette raison qu’elle avait récité son récit en kabyle. 1. L’enfance difficile de Rezkia N’Bouzid Ben Yahia Rezkia fille de Bouzid et de Tissoukai Tchalla est née le 5 mai 1926 à Ait Ouyahia au village de Tiazibine, dans la commune de Barbacha. Elle est enregistrée par erreur dans l’état civil sous le nom d’Aït Yahia Rekia. «Cette double identité lui avait sauvé la vie devant le tribunal militaire, car elle a été dénoncée en tant que Benyahia Rezkia, alors qu’elle s’appelait réellement Aït Yahia Rekia», témoigne son fils Salah Bezzouh. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Orpheline de mère à la fleur d’âge (elle avait à peine 10 ans), c’est son père qui prendra soin d’elle et de ses deux sœurs cadettes âgées respectivement à peine de trois ans et un an et demi. Très soucieux d’une éducation rudimentaire irrépréhensible, le père oblige les trois filles à l’accompagner partout où il va et à ne pas aller dans telle ou telle maison. Rezkia affirme : « Etant très jeunes, on ne saurait comprendre le comportement de notre père, et c’est à l’âge adulte que nous avons pu comprendre qu’étant orphelines, il avait le souci de nous assurer une réputation irréprochable en nous ne laissant pas vagabonder à longueur de journée et avoir de mauvaises fréquentations. » Rezkia, n’avait pas eu la chance de fréquenter ni l’école française ni l’école coranique. L’enseignement qui occupait une place importante au sein de la société algérienne avant 1830, avait subi beaucoup de revers après la conquête française ; les autorités coloniales ont fait entrer l’enseignement traditionnel dans une phase de décadence, sans pour autant faire réussir l’enseignement français. Les colons, voyant en lui un danger et une dépense inutile, l’avaient contesté, il a été de même pour une partie de la population musulmane qui voyait dans l’école française un danger pour son identité et sa religion. D’après Neil Mac- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Master, il y avait un genre de « pacte durable, qualifié au début des années 1950 par la minorité des féministes algériennes de "double impérialisme", celui du colonialisme et celui du patriarcat, (qui) enfermait les femmes algériennes dans une situation d’infériorité et les excluait totalement de l’enseignement, du monde du travail et de la vie politique3 ». Rezkia n’avait alors que des connaissances orales transmises dans la famille et qui ne sauraient s’apparenter à une instruction, mais tout de même, elle avait un don inné d’apprentissage. On ne va pas étaler ici la façon dont elle a pu apprendre à soigner et à manipuler les seringues lors de son séjour à Paris, mais on va seulement citer une petite anecdote se rapportant à ce don : « Un jour, j’étais allée avec mon époux pour rendre visite à un malade à l’hôpital de Bejaia, j’avais de loin aperçu un homme vêtu d’un tricot en laine, j’ai précipité le pas en laissant mon époux derrière moi pour suivre l’homme de près. A la fin de la visite, j’ai demandé à mon époux de m’acheter une pelote de laine et j’ai pu en tisser un tricot similaire. » Rezkia a profité de ce savoir-faire pour faire habiller tous ses enfants et d’en confectionner pour les gens de son village pour gagner quelques sous pour épauler son mari dans ses dépenses. ( 60 ) 2. Les années d’apprentissage du militantisme L’homme qui allait devenir son mari, Mohand-Saïd Bezzouh, avait comme première épouse Fatma sa propre cousine. Après avoir divorcé, il épousa Yamna. Celle-ci décède ensuite laissant derrière elle deux petites filles. Rezkia sera sa troisième épouse à l’âge de 17 ans. Nous sommes en 1943, au milieu de la Seconde Guerre mondiale, les conditions n’étaient pas propices pour doter convenablement une mariée surtout dans le cas de cette jeune orpheline, car comme disait Nacer Djabi, le quotidien des Algériens était « au diapason des épidémies, des misères, des privations aggravées par les restrictions alimentaires réglementées par les autorités coloniales4 », et que la libération des prix et le rationnement du pain (250 g puis 300 g par personne et par jour) qui est resté de rigueur, avait accentué la hausse du coût de la vie, à un moment où les salaires connaissent un gel relatif 5. « A Barbacha, les filles étaient dotées d’un ahrem arqemen 6 pour le mariage, et comme j’étais orpheline, c’est l’épouse de mon oncle Mohand-Saïd Berboucha qui nous en a confectionné», nous confie Rezkia. Une semaine après la naissance de sa première fille Khoukha en 1945, son époux émigre en Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire France. Selon elle, son mari «avait perdu beaucoup d’argent dans les jeux de carte et il avait peur de vendre toutes ses terres, c’est pour cela qu’il a décidé de mettre un terme à cette situation en partant en France ». De ce fait, elle sera contrainte de retourner vivre auprès de son père en compagnie de sa fille ainée pendant deux ans. Elle avait laissé les deux filles de la défunte épouse pour sa belle-mère. En 1947, son époux demanda à son propre cousin Abderrahmane Bezzouh qui était, lui aussi, un émigré d’emmener Rezkia en France. Ce cousin accompagné de sa propre épouse française présentera à Bouzid, le père de Rezkia, une procuration signée par l’époux. A cette époque, l’émigration d’une femme était condamnée et même prohibée par la société, et ses parents et ses beaux-parents n’avaient accepté la décision qu’à contrecœur. En France, Rezkia était prise en charge avec beaucoup d’égards par la Française, épouse de Abderrahmane. Rezkia n’a pas oublié ses bienfaits : « J’avais beaucoup d’idées fausses sur ceux qu’on appelait des koufar (apostats), mais en France, j’ai découvert des Français dotés d’une bonté extraordinaire. » La maladie de son époux l’obligera plus tard à travailler au sein d’un hôpital à Paris comme femme de ménage pour subvenir aux besoins de sa famille, LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE et c’est là que cette autodidacte avait pu s’initier aux seringues et aux autres produits de soins médicaux. Au déclenchement de la guerre de libération en 1954, Rezkia avait été chargée en France de la distribution des tracts « subversifs » au milieu des Algériens. Elle nous confie : « Je faisais cacher les tracts sous ma robe, je les faisais glisser sous les portes des immeubles habités par les Algériens, et eux, disaient que ceux-ci tombaient du ciel. J’assistais aux différentes réunions de sensibilisation dans le café de Zerrouk Allaoua où on nous incitait à rentrer en Algérie pour combattre la France ». De retour au pays en 1955, Rezkia et son mari trouvèrent leur maison sise au versant sudest de Tiazibine dans un endroit appelé Timghras complètement dégradée. Ils ont tout d’abord entrepris les travaux de réparation pour s’y installer. Mais un incident va bouleverser la vie de cette famille. Un cousin de Rezkia, maquisard de l’ALN nommé Boulehia7, s’est servi de son fusil pou tirer sur le sergent-chef Laurent, responsable de la Section administrative spécialisée (SAS) de Barbacha, au lieu dit Tizi Inevguiwen en 1957. Sur cet événement, Boulahia dit : « Alors que je me dirigeais en compagnie de deux maquisards vers le village de Tiazibine, nous fûmes rejoints à un virage par deux cavaliers en balade et en tenue militaire. ( 61 ) Nous déchargeâmes sur eux nos armes sans les atteindre. Ils nous avaient vus eux aussi, et appuyant sur leurs étriers, ils partirent à toute allure, échappant de justesse à nos balles8 ». La nuit même de l’incident, par mesure punitive ou de pacification, l’armée française entame son incursion, fait évacuer les deux villages limitrophes Tizi Ouzemmour et Tizi N’veguiwen de leurs habitants. Ces habitants, laissant derrière eux leurs chaumières et leurs biens, seront accueillis par ceux des villages limitrophes : Tiazibine, El Kitoune, Ait Ouyahia. Rezkia elle-même ainsi que sa famille seront dans le premier temps accueillies à Tiazibine, dans la maison d’Issadounene m’hend qui avait deux fils émigrés en France. Elle sera contrainte de quitter cette maison pour aller vivre dans la maison de son père à Aït Ouyahia pour nécessité de guerre. 3. Dans le feu de l’action À partir de la deuxième année de la guerre de libération, le rôle de la femme algérienne commençait à se déterminer, car les deux parties belligérantes comprirent tout à coup « l’importance stratégique des femmes et le besoin urgent qu’il avait de se gagner cette moitié de la population en se présentant comme le héraut de ses droits et de ses www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Rezkia en compagnie de sa fille ainée à Paris dans les années 1950 intérêts9 ». Ceci avait provoqué une véritable course entre le FLN et l’armée française. « Cette prise de conscience fut renforcée par la pénétration rapide dans l’armée française de la doctrine de la guerre révolutionnaire10 » elle avait admirablement servi la Révolution en dépit de tous les dangers qui la guettaient. Rezkia, engagée en tant qu’infirmière dans l’organisation civile de l’ALN, avait eu sa part de ces tourments et dangers au sein d’un secteur sanitaire très souffrant surtout durant les deux premières années de la Révolution. Les soins étant donnés un peu partout, n’importe comment, par qui avait des notions de soins d’infirmier11. Ce n’est qu’après la grève des étudiants de mai 1956 que sera créé le service sanitaire proprement dit par tout un groupe d’étudiants en médecine et en pharmacie qui créèrent peu à peu tout un réseau de refuges Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . bline, connaissaient leurs endroits. Dans son livre, Abdelmadjid Azzi, avait même fait état d’existence d’hôpitaux souterrains comme celui de Smaoun qui était tenu dans un secret total : « Par mesure de sécurité… (les) blessés… sont transportés à dos de mulet depuis l’infirmerie jusqu'à l’hôpital en gardant les yeux bandés et en restant confinés jusqu'à leur départ qui s’effectue de la même manière13». et de grottes infirmeries établies prudemment dans les zones calmes par rapport aux opérations de guerre. Les infirmeries étaient dans les meilleurs des cas des vieilles bâtisses sans fenêtres. C’étaient des gourbis en rase compagne ou dans des forêts, parfois dans des casemates souterraines ou dans des grottes, et qui manquaient de tout et de l’essentiel. L’hygiène était rudimentaire et « réduite au strict minimum : faire bouillir les instruments comme les seringues et pouvoir se laver les mains12 ». Les médicaments de première urgence faisaient défaut surtout après la grève de huit jours au début de l’année 1957, qui avait ébranlé la chaine d’approvisionnement en médicaments mise en place grâce aux contacts établis avec les pharmacies des villes. En principe, les infirmeries étaient tenues en secret et seuls les liaisons et les chefs de mousse- ( 62 ) Car, en effet, l’ALN devait lutter contre une force d’occupation dotée d’une organisation militaire et policière perfectionnée et expérimentée dans le noyautage des mouvements politiques14. La découverte de ces centres de soins par les soldats français risquait de causer des massacres systématiques des malades dans l’espoir d’obtenir des renseignements. Mais en dépit de toutes ses difficultés, l’ALN s’est beaucoup préoccupée de l’état sanitaire des djounoud (soldats) ; une de ses directives générales stipulait qu’«une visite médicale devra être subie par chaque nouvelle recrue pour établir son aptitude à servir dans les rangs combattants de l’Armée de libération, dans la mesure du possible » (AOM, 1H, 2582/1). Et dans un article sur le règlement intérieur de l’ALN, il était question clairement de la prise en charge médicale du moudjahid : « En cas de maladie, (le service de santé) lui assure des soins et protection15». Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire Rezkia devait se déplacer pour assurer les soins d’urgence jugés non graves aux combattants de l’ALN dans les différents endroits où ils pourraient se trouver. Elle procure aussi les soins à l’intérieur des grottes infirmeries ou casemates. Rezkia décrit une petite grotte d’une superficie égale à une natte de raphia. Dans les cas des blessures graves, les concernés étaient transférés dans un autre endroit d’après le règlement des services sanitaires, qui stipulait entre autres : « Si l’infirmier de la section s’avère incompétent, par conséquent le transfert est décidé à un lieu sûr… (qui) peut être l’Algérie comme ailleurs16 ». Rezkia devait aussi s’auto-approvisionner en produits pharmaceutiques auprès des pharmacies de la ville de Bejaia. Sur ceci, elle dit : « On me remettait des lettres qui faisaient office d’ordonnances et je me dirigeai vers la pharmacie Zaouch17 acquise à la révolution pour recevoir ma fourniture gratuitement». En plus de ses missions sanitaires, Rezkia s’est vouée à des responsabilités sociales très délicates. Le congrès de la Soummam en août 1956 ayant organisé la population d’une façon minutieuse, et pris en charge les affaires sociales, qui étaient assignées au commissaire politique18. Une de ces responsabilités, consistaient à la collecte des cotisations mensuelles auprès des gens du village. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Selon elle, les familles non aisées et celles ayant des éléments au maquis étaient exemptes de paiement. L’autre mission consistait à prendre en charge les familles des maquisards et des martyrs. Et toujours en faisant fi de tous les dangers, elle avait transformé sa propre maison en véritable refuge de maquisards, en dépit de l’existence d’un refuge officiel qui a été la maison de Mekrane et d’Arezki Berboucha (Khierdine) qui avaient déménagé pour habiter chez Belkacem Amraoui à Aith Ikhlef. Sur ceci, Rezkia, nous a confié : « Je recevais constamment des groupes de moudjahidine composés de douze personnes, et j’avais à maintes reprises reçu le groupe de choc que conduisait Taher Ouabbas dit (Ibeloutene) ». Celui ci a été à la tête du groupe qui avait tendu l’embuscade de 1960 à Gameth à un convoi de goumiers dirigé par l’officier de la Section administrative spécialisée (SAS) de Barbacha19. Tout ça, démontre à quel point les civils avaient contribué à alléger les souffrances des moudjahidine, car les « les conditions de vie du maquisard frôlaient souvent l’extrême20 ». Autre souci pour les chefs de la Révolution auquel Rezkia s’est engagée à remédier : la mobilisation de la population pour adhérer au combat libérateur. Beaucoup de gens, et c’est le cas pratiquement de tout le territoire ( 63 ) algérien, n’avaient pas compris dès le début des actions armées les tenants et aboutissants de cette résistance. Dans le tumulte des rumeurs qui circulaient, il y avait des collaborateurs qui se déguisaient en moudjahidine qui prenaient contact avec les personnes suspectes pour soutirer des informations ou pour tout bonnement vérifier leur appartenance à la résistance. Il y avait aussi ceux qui continuaient à exercer le plus normalement leurs fonctions au sein des différents organismes français et à qui on avait collé à tort l’étiquette de collaborateurs, alors qu’ils n’étaient jamais contactés pour leur enrôlement, et eux-mêmes ne savaient rien sur le chemin à suivre pour servir la Révolution. Il se peut qu’on soit ainsi devant une des erreurs de la Révolution et l’une des tares de l’organisation civile. Rezkia avait pu sauver la face de nombreux d’entre eux. A chaque fois qu’on lui faisait savoir que tel ou tel homme était traitre, collaborateur ou non acquis à la Révolution, elle avait le reflexe de leur demander s’ils avaient pris contact avec eux, et la réponse était malheureusement négative à maintes reprises. Elle nous confie : « Pour vérifier le camp pris par tel ou tel villageois, je lui demandais de préparer un diner pour accueillir un groupe de maquisards, et par mesure de sécurité on lui envoyais des personnes qu’il ne connaissait pas. Le lendemain, on sur- www.memoria.dz Guerre de libération Histoire veillait ses mouvements pour savoir s’il prendrait contact avec les militaires pour leur divulguer l’information ». Parmi les hommes qui avaient intégré la résistance grâce à elle, on peut citer Salah, policier résidant à Bejaia ; Amar, gardien en tenue militaire au niveau de l’infirmerie de Barbacha, qui avait failli être exécuté, car il n’avait pas donné suite à une lettre émanant du Front remise à une cousine pour payer ses cotisations mensuelles, c’est pour cela que le moudjahid Mohand-Arab Bensidhoume informa Bouzid, le père de Rezkia, que Amar était considéré en tant que traitre. C’est Rezkia qui avait heureusement découvert la faille qui avait évité un sort malheureux à un brave type. Elle avait aussi sauvé un certain Si Ahmed qui avait été considéré à tort comme traitre, alors qu’il payait régulièrement ses cotisations qu’il remettait à Rezkia en personne. En parlant de la mobilisation de la population, on ne peut omettre de citer le secteur du renseignement et des liaisons liés étroitement. Cet autre terrain de bataille n’est jamais été sous-estimé par les chefs de la Révolution et auquel avaient participé les civils très activement. Les principales sources de renseignements étaient surtout les Algériens enrôlés de gré ou de force dans l’armée française, parfois des soldats originaires d’autres Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . colonies ou des mercenaires, tandis que les liaisons étaient principalement exécutées par des agents civils femmes et hommes qui servaient d’intermédiaires entre le maquis et la population civile. Dans ce contexte, Rezkia était chargée de transmettre des lettres destinées à la population portant des ordres de paiement des cotisations ou de déserter des rangs de l’ennemi pour servir la Révolution. A maintes reprises, c’est elle-même qui demandait à ses supérieurs de lui permettre d’entrer en contact avec tel ou tel individu considéré comme traître ou goumier sans qu’il fût contacté pour servir la Révolution. Rezkia insista sur un fait: l’une des taches noires de la lutte armée à Barbacha, est que chaque individu enrôlé dans les rangs de l’ALN ou dans l’organisation civile ne cherchait pas à prendre contact avec d’autres qu’il connaissait pour qu’ils rejoignent eux aussi la Révolution par simple crainte de dénonciation. Ce comportement avait beaucoup nui au combat et porta aussi préjudice à beaucoup d’individus considérés à tort comme khabiths (traitres), alors qu’ils avaient ardemment souhaité intégrer les rangs de l’ALN. Dans ce contexte, un fait doit être mentionné à l’occasion ; c’est que ce n’est pas tout les goumiers qui avaient causé du tort à la révolution dans toutes les régions d’Algérie. Les récits sur ceux qui avaient rendu service à ( 64 ) la révolution ne manquent pas, et le moindre de ses services étaient de faire tomber de bon gré leurs munitions pendant les opérations de ratissage, pour remédier aux pénuries dont souffraient les maquisards. En contrepartie, ceux qui n’avaient pas rendu ce genre de services, avaient au moins tenu une conduite exemplaire vis-à-vis de leurs concitoyens, à l’exemple de celui qui habitait près d’un poste militaire et qui n’avait choisi d’être goumier que pour préserver l’honneur de sa famille. En dépit de toutes ses activités, Rezkia jouissait de l’estime auprès des militaires de la région, parce qu’ils avaient pris connaissance de son séjour à Paris (on l’appelait la Parisienne), et qu’elle servait d’intermédiaire avec les femmes interrogées et les militaires. Elle avait aussi su comment gagner leur confiance, leur respect et leur sympathie grâce à sa gentillesse et à son accueil envers les militaires qui se présentaient à son domicile dans le cadre des opérations de fouille de routine (pour éviter qu’ils découvrent les caches de produits pharmaceutiques et habillements militaires). Son fils dit : « Pour être au-dessus de tout soupçon, ma mère proposait aux militaires qui étaient en majorité des jeunes du contingent de prendre le café, elle leur exprimait des signes d’attention et de considération en leur disant par exemple de faire Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire attention au chien, aux marches et à d’autres choses ». Rezkia ajoute: « J’accueillais gentiment les militaires qui se présentaient à mon domicile pendant leurs opérations de fouille, j’avais même une certaine compassion envers ces jeunes Français qui avaient malgré eux laissé leurs familles pour participer à la guerre. Je préférais même recevoir dans ma maison un bataillon de militaires français que de recevoir un seul goumier, car eux au moins ne fouillaient jamais dans mes affaires personnelles. Ça m’est arrivé de gifler un goumier au nom de Larbi B. qui avait pénétré seul dans ma maison et qui avait commencé à fouiller dans mon afniq 21 après lui avoir signifié que ce meuble ne peut pas contenir un moudjahid. Il sortit et revint aussitôt accompagné par un groupe de militaires, à qui j’avais présenté un récit précis des faits. Je leur avais dit aussi qu’ils pouvaient dorénavant m’envoyer autant de groupes de militaires français pour fouiller ma maison, mais pas un seul goumier. Ce dernier avait été violemment admonesté par son supérieur. » 4. Le calvaire du centre Abadie En 1960, les autorités coloniales avaient pu avoir connaissance de l’activité de Rezkia sur la base LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE d’une dénonciation. Elle ne se souvient plus en quel période de l’année, alors que son fils Salah, âgé alors d’à peine six ans, nous confie qu’il se rappelle une journée bien ensoleillée. Les militaires avaient encerclé tout le village au lever de soleil, ils arrêtèrent Rezkia, Douadi et Meziane Benyahia, Belkacem Berboucha et tant d’autres. Lorsqu’ils s’apprêtèrent à l’emmener, elle leur demanda la permission de changer sa gandoura (une robe) qui contenait un courrier dissimulé. Arrivés au centre de la SAS, ils l’accusèrent d’apporter la nourriture pour un groupe de maquisards. Là, elle dira aux militaires : « Je vais dans mes champs pour labourer mes terres car mon époux est un invalide. Je n’ai qu’un demi-litre d’huile. Croyez-vous que cette quantité peut suffire à nourrir douze personnes ? Celui qui vous a donné cette information vous a menti, ou bien c’est bien lui qui faisait cette besogne, mais pas moi qui ai déjà vécu en France, pays de fraternité, d’égalité et de liberté ». Elle sera libérée le jour même, mais le lendemain matin, elle sera de nouveau emmenée avec son époux à pied d’Aït Ouyahia jusqu’au au siège de la SAS de Barbacha distant de près d’un kilomètre pour interrogatoire. Son époux avait déclaré qu’il ignorait si son épouse activait au profit des moudjahidines à son insu. Le couple n’avait pas été torturé ni ( 65 ) maltraité au niveau de la SAS de Barbacha car « elle avait pu gagner leur sympathie et avait l’air à leurs yeux d’une femme au-dessus de tout soupçon », nous dit son fils. On n’avait rien soutiré à Rezkia et à son époux, on les transféra alors dans un camion les mains et pieds liés vers le camp de torture sis à la ferme Abadie22 à Bejaia au courant de l’année 1960. Le centre d’Abadie, près de l’aéroport de Bejaia était parmi les locaux utilisés par les Détachements opérationnels de protection (DOP), où transitaient les membres de l’ALN et les civils « appréhendés » et fraichement arrivés23. Ce centre avait des cuves utilisées comme cellules. Les prisonniers étaient mis au fond des amphores ou cuves à vin dans une obscurité totale, où on leur jetait un seau pour leur besoins, et où ils étaient condamnés à « dormir debout et étouffés par le manque d’aération et l’odeur de fermentation de la lie de vin 24 ». A l’instar de tous les centres dépendant des DOP, comme Ilmathen et Cheuillot, les instruments de torture utilisés à Abadie étaient multiples : la baignoire à l’eau savonneuse et salée, les Gégènes génératrices d’électricité, les supplices de la bouteille qui déshonorent et causent des douleurs et blessures insupportables, les chalumeaux appliqués successivement sur toutes les parties du www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Photo récente de Rezkia en compagnie de son fils Salah corps, l’arrachement des ongles et bien d’autres. Ces séances de torture étaient pratiquées par des experts français ou par des harkis et goumiers en présence de ralliés ou de prisonniers fraichement débarqués pour d’éventuelles confrontations. Rezkia vivra des séances de supplices horribles qui lui causèrent des traumatismes incurables. Rezkia fut déshabillée, frappée, insultée par ses tortionnaires et subit l’épreuve de l’électricité. Elle raconte : « Toute nue, on me fixa deux pinces d’acier. A chaque manœuvre sur l’appareil, je voyais toute la salle traversée par des images de feu. Chaque manœuvre était entrecoupée par les mêmes Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . questions concernant mon activité, et à laquelle je répondais par une seule phrase : " Je viens d’entamer mon séjour en France, pays d’égalité et de liberté et de fraternité", pour tromper mes tortionnaires ou gagner leur sympathie. » Mais peine perdue ou mission impossible pour elle, car ses cris de douleurs se mêlaient certainement aux rires et aux plaisanteries de ses tortionnaires. Ceux-ci faisaient la même chose avec les Français engagés aux côtés de l’ALN. Les scènes de tortures endurées par Henri Alleg et par Audin racontées dans le livre La Question, témoignent de leur cruauté. Un tortionnaire avait dit à H. Alleg : «Ce qu’on fait ici, on le ( 66 ) fera en France. Ton Duclos et ton Mitterrand, on leur fera ce qu’on te fait, et ta p… de République, on la f... en l’air aussi… 25 ». Après une première séance de supplice à l’électricité, on la conduisit toute nue dans une cave obscure ou il y avait un bidon pour ses besoins et quatre grands rats qui circulaient tranquillement autour d’elle. « J’étais restée toute la nuit dans de froid et figée dans un même endroit de peur des rats qui tournaient autour de moi», nous confie Rezkia qui n’avait pas osé nous raconter tous les supplices subis au centre de torture et qui l’ont profondément traumatisée pour pouvoir reproduire avec précision les scènes vécues. Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire Mais les séquelles étaient si profondes, qu’elle est devenue depuis épileptique. Par héroïsme et fidélité, tous ses supplices n’avaient pas suffi pour trahir ses frères et la cause nationale, se conformant ainsi aux consignes de l’ALN de garder le silence pour épargner ceux qui avaient échappé à l’arrestation. Rezkia nous confie : « Au cours de l’interrogatoire, j’ai nié en bloc toutes les accusations retenues contre moi à savoir le fait d’avoir apporté de la nourriture pour douze personnes au maquis. Pour opposer mes dires avec ceux d’un certain B…, arrêté au courant de la même opération et qui avait craqué et avoué sous l’effet de la torture. On le fit venir et asseoir en face de moi et il déclara qu’effectivement je lui avais demandé un jour de préparer un repas pour douze personnes. Devant lui, je leur disais qu’il mentait, que ce jour-là j’avais reçu l’officier de la SAS de Barbacha dans mon domicile et je lui avais servi du café. » Son époux ayant été aussi interrogé avait déclaré qu’il ignorait tout des accusations portées contre son épouse et d’une quelconque appartenance à une organisation civile ou militaire, en justifiant que c’est son épouse qui gérait toutes les affaires familiales : à la maison, dans les champs et dans la ville à cause de son invalidité (il était invalide depuis qu’il était en France). Les accusations retenues contre Rezkia auraient LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE pu lui valoir une peine capitale devant le tribunal militaire, mais le destin et son nom déjà cité en a voulurent autrement. des corvées, et on pouvait chaque matin rendre visite aux détenus venant des maquis dans leur cellule. » Au terme d’un court séjour au centre de torture Abadie, elle sera transférée avec son époux au début de l’année 1961 au centre de détention Tourneaux au Cap d’Aokas26. Cette ferme, appartenant au colon Tourneaux, fabriquait du vin et s’est aussi spécialisée dans les cultures maraichères destinées à l’exportation en France. Au déclenchement de la guerre, la ferme fut d’abord transformée en poste militaire puis en centre de détention. Le centre était commandé par le tortionnaire lieutenant Martial avec comme adjoint l’adjudant Magali, pied-noir parlant parfaitement kabyle27. « Au sein de la prison, il y avait un compartiment réservé aux femmes et un autre pour les hommes, et il y avait une cellule réservée aux prisonniers des maquis. Aucun homme n’avait le droit d’accès au compartiment des femmes, exception faite pour mon époux qui me rendait visite de temps à autre», nous dit Rezkia qui enchaine : « Nous étions douze femmes partageant une petite salle. A une hauteur de lit, était aménagé un espace en bois sous forme d’un large tabouret couvert d’un ayerthil (tapis fait d’alfa) que partageaient toutes les femmes. Chacune de nous avait droit à une seule couverture noire (appelée couverture militaire). On ne nous demandait pas de faire Rezkia resta quelques mois dans cette prison dans des conditions plus au moins normales dans un milieu familier, entourée de ses compatriotes et des combattants pour la même cause. En outre, elle n’avait aucun souci à se faire pour ses enfants Ali, Salah et une de leurs sœurs pris en charge par leur grand-mère et par la Révolution. « A cette époque, je ne connaissais rien, et chaque mardi 28 , on m’envoyait au marché pour apporter notre viande, notre gaz, notre sac de semoule… On était pris en charge totalement par la Révolution », témoigne son fils Salah. ( 67 ) Le jour de sa libération à l’automne 1961, on leur donna, à elle et à son mari, un ultimatum de vingt-quatre heures pour quitter le territoire de Bejaia vers Sétif sous peine d’être arrêtés une nouvelle fois. Ils seront hébergés à Sétif dans la maison de leur propre fille. Le couple sera rejoint par les enfants et ils y vécurent jusqu'à l’indépendance. Rezkia nous confie qu’elle n’avait pas participé aux festivités du cessez-le-feu du 19 mars 1962. Son argument ?: « Ce sont les gens qui avaient des comportements suspects pendant la Révolution qui étaient les premiers à prendre les drapeaux et à courir à travers les ruelles. » Rezkia continuera à accomplir gratuitement son devoir d’infirmière www.memoria.dz Guerre de libération Histoire chez elle ou bien en se déplaçant au domicile des malades surtout durant la période où la seule infirmière exerçant au centre de soins de Barbacha fut transférée vers le village de Feraoun après l’indépendance. Rezkia N’Bouzid, en acceptant d’apporter son témoignage de guerre, avait le souci de lever le voile sur le combat de la femme algérienne pendant la Guerre de libération nationale. En dépit de toutes les amertumes et les scènes traumatisantes, en dépit aussi de toutes les blessures morales, elle est fière d’avoir pu et su s’opposer au colonialisme et se battre pour la liberté. Elle a accompli avec bonheur son devoir d’infirmière Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . au service de la Révolution et de son peuple sans attendre une quelconque récompense, et après l’indépendance, elle a continué bénévolement sa mission humanitaire. Par ces modèles d’engagement, la guerre d’Algérie se révèle une véritable guerre du peuple et prouve son ancrage dans la population opprimée. Et dépit du nombre considérable de soldats mobilisés et de supplétifs enrôlés, la France n’a pu annihiler son adversaire qui se régénérait sans cesse car cet adversaire était un peuple. Ce témoignage est d’une importance capitale pour l’écriture de notre histoire et plus précisément ( 68 ) de la guerre de libération nationale, car celle ci se construit aussi à partir des traces laissées par les hommes et les femmes ayant vécu en marge. Ce moyen pose certes la difficulté de son interprétation puis celle de son inscription dans le récit historique et qui met l’historien devant un exercice très délicat pour la quête de la vérité, car le plus souvent, tout témoignage est avant tout un point de vue qui remet en cause sa propre neutralité. Mais il nous permet de réaliser clairement les souffrances vécues durant cette période de l’histoire et de comprendre un peu mieux l’atmosphère qu’il y avait à cette époque. Dr. Mahmoud Aït Meddour Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire Notes 1- Soldats supplétifs de l’armée française. 2- Les moussebline, appelés terroristes par les Français, étaient les auxiliaires de commissaire politique et l’articulation entre les populations civiles et les troupes régulières. A la tète des moussebline, on trouve un chef faisant office d’adjoint de commissaire politique qui assurait en l’absence du commissaire le ravitaillement, le gite, les renseignements et les sabotages et il pouvait servir de guide en indiquant des traverses sûres. 3- Neil Mac master, « L’enjeu des femmes dans la guerre », dans Abderrahmane Bouchéne, Jean-Pierre Peyroulou, Ounassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, dir. Histoire de l’Algérie à la période coloniale, trad.fr de l’anglais par Christophe Jacquet, Paris, découverte, 2012 ; Alger, Barzakh, 2012,p.539-546. 4- Nasser Djabi, Kaidi Lakhdar : Une histoire du syndicalisme algérien, Alger, éd. Chihab, 2005, p. 19 5- Nora Benallegue, Algérie : mouvement ouvrier et question nationale 1919 – 1954, Alger, Office des publications universitaires, 2005,p.301. 6- Couverture traditionnelle décorée. 7- Mohamed Benyahia dit Boulahia est né en 1930 à Barbacha. Après le lycée, il suivit une formation dans la marine marchande. Au Caire, il rencontrera les responsables de la révolution après le déclenchement de la lutte armée. En 1978, il fut le maitre d’œuvre de « l’Affaire Cap Sigli » qui lui fit connaitre la torture et une incarcération de six ans. Il est l’auteur de livre cité en référence. 8- Mohamed Benyahia, op.cit. p. 231. 9- Neil Mac Master, l’enjeu des femmes dans la guerre, p.539-546. 10- Ibid. 11- Djamel-Eddine Bensalem, Voyez nos armes, voyez nos médecins : Chronique de la zone I, wilaya III suivi de l’épopée de Si H’mimi, Alger, éd. ENAG, 2009, pp. 80-85. 12- Ibid., p.85. 13- Abdelmadjid Azzi, Parcours d’un combattant de l’ALN, Wilaya III, Alger, éd. Mille-feuilles, 2e éd. Rev.et aug.2010, p.210. 14- Mohamed Saiki, Chroniques des années de gloire : mémoires du capitaine de l’ALN, Oran, éd. Dar el Gharb, 2009,pp. 220-222. . 15- AOM, 1H, 2582/1, Copie des directives et règlement intérieur de l’ALN, trouvés sur le cadavre d’un rebelle abattu dans le Chebka des Sellaoua (C.M d’Oum El Bonachi, c’est-à-dire Canrobert-zone est de Constantine) le 28 Janvier 1957. 16- AOM, 1H1791/2, Document de service sanitaire sur le règlement du blessé, trouvé le 28 Aout 1957 sur le cadavre en uniforme d’un rebelle abattu à Tiaret. 17- Elle est sise à la rue Larbi ben M'hidi à côté de la place de Guidon, actuellement pharmacie d’Etat. 18- Mohamed Saiki, op. cit., pp. 223-224. Le commissaire politique était le représentant FLN sur le terrain, dans les villes et villages. Il était chargé d’organiser et d’éduquer le peuple, de la propagande, de l’information et de la guerre psychologique (rapports avec le peuple, les prisonniers de guerre, la minorité européenne). Les commissaires politiques donneront aussi leurs avis sur tous les problèmes de l’Armée de libération nationale et travailleront sous l’étiquette du FLN. 19- Ouari Bekka, Parcours d’un maquisard de la Wilaya III, zone I, Bejaia, éd. Talantikit, 2006, p.111-112. Le groupe avait pu neutraliser l’officier ainsi que beaucoup de goumiers, et les autres survivants prirent la fuite vers la forêt, en abandonnant armes et bagages. 20- Abdelhafidh Yaha, Au cœur des maquis en Kabylie : Mon combat pour l’indépendance de l’Algérie, Récit recueilli par Hamid Arab, Alger, éd. INAS, 2011, T.1, p. 56. 21- Un meuble en bois d’environ un mètre carré servant à ranger les vêtements et objets de valeur chez les Kabyles. 22- Le camp est devenu à l’heure actuelle un entrepôt appartenant à la Protection civile. 23- Djoudi Attoumi, Chroniques des années de guerre en Wilaya III (Kabylie) 1956 – 1962, T.1, Crimes sans châtiments, Bejaia, éd. Rym, 2009 , p. 277. 24- Ibid. p. 287 - 288). 25- Henri Alleg, La Question, Alger, Ed ANEP, 2006, p.26. 26- La prison est devenue aujourd’hui une écurie. 27- Djoudi Attoumi, Chroniques des années de guerre… , pp. 278 - 279. 28- C’est le jour de marché hebdomadaire à Barbacha. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 69 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Bibliographie Livres 1. Alleg Henri, La question, Alger, éd ANEP, 2009, 80 p. 2. Attoumi Djoudi, Chroniques des années de guerre en Wilaya III (Kabylie) 1956 – 1962, T.1, Crimes sans châtiments, Bejaia, éd. Rym, 2009, 385 p. 3. Azzi Abdelmadjid, Parcours d’un combattant de l’ALN, Wilaya III, Alger, éd. Mille-feuilles, 2e éd. Rev.et aug., 2010, 318 p. 4. Bekka Ouari, Parcours d’un maquisard de la Wilaya III, zone I, Bejaia, éd. Talantikit, 2006, 154 p. 5. Benallegue Nora, Algérie : Mouvement ouvrier et question nationale 1919 – 1954, Alger, OPU, 2005, 498 p. 6. Bensalem Djamel-Eddine, Voyez nos armes, voyez nos médecins : Chronique de la zone I, wilaya III suivi de l’épopée de Si H’mimi, Alger, éd. ENAG, 2009, 289 p. 7. Benyahia Mohamed, La conjuration au pouvoir, Récit d’un maquisard de l’ALN. (s.l), éd. ENAP, (s.a), 378 p. 8. Cambon (gouverneur général), Tableau général des communes de l’Algérie au 1er janvier 1892, Alger, Imp. Pierre Fontana et compagnie, 1892. 9. Djabi Nasser, Kaidi Lakhdar : Une histoire du syndicalisme algérien, Alger, éd. Chihab, 2005, 335 p. 10. Féraud Laurent Charles, Histoire de Bougie, Bejaia, éd. Talantikit, 2013. 11. Mac Master Neil, « L’enjeu des femmes dans la guerre », , dans Abderrahmane Bouchéne, Jean pierre Peyroulou, Ounassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, dir. Histoire de l’Algérie à la période coloniale, texte traduit de l’anglais par Christophe Jacquet ,Paris, découverte,2012 ; Alger, Barzakh,2012,p.539-546. 16. Rinn Luis, L’insurrection de 1871 en Algérie, Alger , Adolphe Jourdan, 1891. 12. ROBIN Joseph Nil, « Histoire du chérif Bou Baghla », dans Revue africaine, xxv, p. 343 – 348 13. Saint-Arnaud (Maréchal), Lettre, Paris, Michel Lévy Frères, Libraire éditeur, 1858, t.2. 14.Saiki Mohamed, Chroniques des années de gloire : mémoires du capitaine de l’ALN, Oran, éd. Dar el Gharb, 2009, 551 p. 15.Veller Auguste, Monographie de la commune mixte de t, Paris, éd. Ibis presse, 2004. 16.Yaha Abdelhafidh, Au cœur des maquis en Kabylie t: Mon combat pour l’indépendance de l’Algérie, récit recueilli par Hamid ARAB, Alger, éd. INAS, 2011, t.1, 315 p. Archives : 1. AOM, 1H,2582 /1, Copie des directives et règlement intérieur de l’ALN, trouvés sur le cadavre d’un rebelle abattu dans le Chebka des Sellaoua (C.M d’Oum El Bonachi, c’est-à-dire Canrobert-zone est de Constantine) le 28 Janvier 1957. 2. AOM ,1H 1791 /2, Document de service sanitaire sur le règlement du blessé, trouvé le 28 Aout 1957 sur le cadavre en uniforme d’un rebelle abattu à Tiaret. 3. AOM, 9 h 16, Rapport de l’administrateur de Oued El Marsa, Oued El –Marsa le 30 janvier 1932. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 70 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. COLLOQUE INTERNATIONAL A EL KHROUB du 20 au 22 Septembre 2014 Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre « MASSINISSA OU L’éPOPéE GLORIEUSE DE LA NUMIDIE » SOPHONISBE ET LA RIVALITE MASSINISSA/SYPHAX AU CŒUR DE CIRTA Guerre de libération Histoire Le colloque organisé conjointement avec le Haut commissariat à l’amazighité, auquel j’ai été invité par le professeur émérite Abdelhamid Aberkane, ancien ministre et P/APC de la ville du Khroub qui a prononcé son discours d’ouverture devant l’assistance en langue amazigh et arabe, m’avait séduit par la qualité des communications. Les Intervenants historiens archéologues, linguistes venant des universités d’Italie, de France, des USA, de Grande-Bretagne, de Tunisie, d’Alger, d’Oran, Constantine etc. ont abordé différents thèmes sur la construction de l’empire de Massinissa. S on modèle moral, l’archéologie de la période libyco-punique, l’ouverture à la culture punique et hellénistique, les biens fonciers des descendants de Massinissa, les armes de protection des combattants numides, la cosmogonie étrusque, libyque et punique, et l’évolution de la population du temps de Massinissa etc. on fait débuter l’antiquité de l’Algérie vers le milieu du 1er millénaire en se basant sur les textes d’Hérodote (environ 450 avant J.-C.) bien qu’il n’ait jamais mis les pieds en Afrique du Nord. Mais avant Hérodote, on dispose des récits d’Homère poète du VIIIe siècle av. J.-C. qui donnait du Maghreb une vision pastorale carrément idyllique et paradisiaque. LES FILS DE MAZIGH OU L’HISTOIRE MILLENAIRE D’UNE NATION L’histoire des Berbères ne commence vraiment à être Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . connue qu’à partir du moment où ils entrent en contact avec les Phéniciens, c'est-à-dire lors de la seconde guerre punique (-219 à - 201). Constantine s’appelait jadis Cirta ou (qirta). Elle exista déjà entre 9500 et 7500 ans. Les inscriptions archéologiques depuis l’âge de la pierre taillée font état de sa présence. Avant même que les Phéniciens la connaissent. Eux-mêmes, une fraction, relèvent des Banou Kanâan, nous rappelle l’auteur du livre Oum Al Hawadher Fi Al Madhi Wal Hadhar de Mohamed Almahdi Ben Ali Choughaïb. Il est précisé que Constantine selon d’autres sources existait depuis le Xe siècle avant J.-C. Elle aura ses lettres de noblesse avec les rois numides notamment Massinissa, Syphax, Jugurtha, Juba I et Juba II. Il faut dire que l’historien constantinois Ahmed Noubïri d’origine grecque qui a vécu en Tunisie était traducteur à ( 72 ) la Mahkama de Constantine depuis (1846 J.-C.=1263H) Dans son livre sur l’Histoire de Constantine ’ilaj As Safina Fi Bahr Qasantina, il dit que « Béni Can’an » qui descendent de Palestine vers 1300 avant J.-C ont rejoint les Numides et créé la ville de Constantine vers 1450 avant J.-C. D’autres affirment que Cirta a été fondée depuis les Caldéens deux mille ans avant J.-C. Alors qu’Ernest Mercier dans son livre Constantine son passé, son centenaire (1837-1937 note que Constantine existait depuis que l’homme a quitté les troglodytes pour vivre socialement où se manifestaient des poètes et écrivains dont on connait des proverbes de ce temps que les Fatihine appelaient Constantine ville des passions (voir la lettre qu’avait transmise cheikh Omar El Wazzan en 1541= 948 H). Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire La tombe de Massinissa GUERRES PUNIQUES ET ROLE POLITIQUE ET MILITAIRE DE CIRTA Constantine a joué un rôle politique et militaire durant les trois guerres puniques entre Carthaginois et Romains qui ont duré plus de cent ans, soit de 264 avant J.-C. à 146 avant J.-C. qui aboutissent à la chute de Carthage la Phénicienne. Le nom de Cirta apparait dès le troisième siècle avant J.-C. et le doit à l’Empereur Constantin en 308 J.-C. L’immense royaume du Roi Syphax allait de la Moulouya au cap Bougaroun à Collo, comme l’écrivait Strabon. Polybe, Tite-live, Ap- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE pien d’Alexandrie ignorent complètement l’ascendance généalogique de Syphax. Des mausolées, on y retient celui de Madracen entre Batna et Aïn M’lila (IIIe siècle avant J.-C.) aux confins des Gétules. Il y avait la capitale Siga (Takembrit) à l’embouchure de la Tafna et Cirta l’actuelle ville de Constantine. Syphax ne pouvant rester neutre dans le conflit Rome Carthage, il se propose de s’allier avec Rome pour se défaire de la tutelle punique, mais reste toujours allié à Carthage qu’il craignait plus que les autres. C’est en s’assurant définitivement cette alliance que Carthage propose à Syphax, déjà plusieurs fois père, le mariage avec la jeune et très belle ( 73 ) Sophonisbe, de Hasdrubal. Celle-ci était déjà promise à Massinissa. Massinissa s’allie avec Scipion pour venir à bout et vaincre Syphax. C’est à Cirta que Massinissa fait prisonnier, en guise de revanche, Syphax et le livre à Scipion pour un exil en Italie. Massinissa rentre en vainqueur dans Cirta. Il pardonnera à Sophonisbe en l’épousant avec la promesse de ne pas la livrer aux Romains. SOMMET DE LA GLOIRE DE MASSINISSA Massinissa fut un Aguellid des Imazighen débordant d’ambition et plein d’ardeur guerrière. Alors www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Carte de l'Est de la Numidie que Rome soutenait Syphax, Gaïa s’allie aux Carthaginois leur fournissant en contrepartie de leur protection des troupes que le jeune Massinissa commandait en Espagne tout en voyageant fréquemment en Afrique du Nord. La guerre déclarée tourne en faveur des Romains. Les Carthaginois furent battus et perdirent toutes leurs possessions et biens en Méditerranée. C’est ainsi que les convoitises des Romains sur La Numidie semblent être projetées. Le général Scipion qui commandait les Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . troupes romaines en Espagne voulait s’assurer du soutien des royaumes numides. Scipion, ayant gagné en secret l’amitié de Massinissa, tente de convaincre Syphax de s’allier. Ce dernier ayant eu vent de ce double jeu de Scipion prend partie avec Carthage. Gaïa mourut et le trône revenait selon le droit d’ainesse à Massinissa après que ses frères aînés étaient morts. Massinissa quitte l’Espagne à la tête d’une troupe de cavaliers. Syphax chassa Massinissa et annexe le royaume Massyle. Massinissa ( 74 ) prend le maquis tout en continuant avec ses fidèles à harceler Syphax. ALLIANCES CONTRE NATURE SYPHAX/ MASSINISSA Le Romain Scipion décide d’en finir avec Carthage et s’allie avec Massinissa. La bataille des grandes plaines finira par la victoire des forces alliées de Massinissa et de Scipion. Supplément N° 30 - Décembre 2014. Guerre de libération Histoire Syphax engage une dernière tentative contre Massinissa mais ce dernier l’emportera grâce à l’apport des Romains. Syphax sera arrêté et enchaîné. Il sera conduit face aux murs de Cirta. Hannibal qui termine la bataille d’Italie s’allie avec Vermina, fils et successeur légitime de Syphax qui envahissent ensemble le Royaume des Massyles. La bataille de Zama fait rage et sera remportée par Massinissa et Scipion. Le traité fut révisé et la Cité punique dut restituer à Massinissa tous les territoires qui avaient été arrachés à ces ancêtres. Hannibal se révolta en s’opposant au traité mais sera menacé d’être livré aux Romains. Il s’enfuit alors en Syrie et se suicidera en 143 avant J.-C. Longtemps après la fin de Carthage, l’influence punique et grecque jouera un rôle important dans la vie des Numides. Un demi-siècle de règne de ce grand Aguellid Massinissa par l’annexion du royaume de Syphax et l’extension de son territoire allant de la petite Syrte à la grande à l’Est tout en rajoutant vers le Sud la région des Gétules. Avec la troisième et dernière guerre punique, Carthage connaîtra la destruction et la ruine en – 146. Massinissa mourra deux ans plus tôt laissant trois héritiers légitimes. N’ayant pus régler le problème de sa succession, c’est le général romain Scipion Emilien qui s’en chargera. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE UNE TROIKA POUR GOUVERNER LA NUMIDIE Cette question a fait l’objet d’un débat qu’un roturier s’ingère dans une affaire de souveraineté. Quel en est le secret? Plutôt d’introniser l’aîné de ses trois enfants Miscipsa, Scipion préfèrera démembrer le pouvoir royal en le partageant ainsi : Miscipsa à l’administration, Gulussa aux armées et Mastanabal à la Justice. Si la Numidie avait gardé son indépendance, il n’en demeure pas moins que Rome avait l’œil sur ce grand pays et se méfie de la montée en puissance des Berbères. L’influence culturelle punique restera forte notamment la possession des riches bibliothèques qui ont échappé à l’incendie. Massinissa qui était mort en -148 avait gardé des liens forts avec Rome par le biais de Scipion Emilien qui n’a rien à voir avec Scipion l’Africain. La capitale romaine envoie donc ce Scipion Emilien pour infléchir sur les décisions numides et l’affaiblir à des fins de scission du pouvoir. On devine bien les arrièrepensées de Rome pour garder une forme de suprématie sur la Méditerranée. D’ailleurs, la Numidie va devenir le grenier à blé de Rome. On se posait la question à savoir pourquoi Rome ne s’est pas pressé d’occuper le Maghreb. Il faut dire que Miscipsa fournissait des troupes à Rome dans ses conquêtes en Hispanie, Macédoine et la Grèce, les Celtes, la Gaule Narbonnaise… ( 75 ) Même Jugurtha, dans ses six années de guerre contre les cohortes romaines, ne déclenchera pas l’invasion de la Numidie. SOPHONISBE/ MOURIR QUE D’ETRE CAPTIVE Massinissa est considéré comme l’unificateur et l’initiateur de progrès de la future Algérie. Il régna pendant 54 ans avec une flotte importante et une armée puissante. Jugurtha sera, quant à lui, résistant contre tout envahisseur. Scipion ordonna à Massinissa de la lui remettre en tant que prisonnière politique. Préférant la mort à la captivité, c’est en reine qu’elle mourut, une coupe de poison à la main. C’est à travers la pièce théâtrale Sophonisbe, mise en scène par Pierre Corneille que nous connaîtrons le dénouement de cette tragédie. Avant lui, Jean Mairet s’inspire de trois historiens de l’Antiquité tels Tite-live, Polybe et Appien d’Alexandrie, auxquels il faut ajouter l’adaptation la Sophonisba de Gian Giorgio Trissino, la « Carthaginoise » de Montchrestien, la « Sophonisbe » de Montreux sans oublier le chant V de « l’Africa » de Pétrarque. Toutes ces adaptations travestissent l’honneur des Aguellid Numides. L’Abbé d’Aubignac, homme célèbre de son temps, législateur en littérature dans une lettre adressée à Mme la Duchesse de Retz, amie de Pierre Corneille accusant la tragédie de Pierre Corneille, www.memoria.dz Guerre de libération Histoire s’indigne : « Vous êtes abandonnés à une ville dépendance des historions … Vous insultez le mérite et la vertu… » Cette pièce devrait être reprise avec une adaptation algérienne sans transgression de l’histoire que les auteurs latins ont voulu l’écrire répondant à leur vision. Azzedine Mihoubi est le seul Algérien qui avait écrit cette tragédie sur Massinissa, jouée par le Théâtre de Constantine une pièce mériterait d’être plus captive et historiquement plus fouillée. C’est l’histoire sublime des rois numides autour de Sophonisbe, reine carthaginoise partagée entre la fidélité conjugale et l’amour de la patrie. Elle est une héroïne dont le destin a fait d’elle une femme politique de son temps. Dr Boudjemâa Haichour BIBLIOGRAPHIE : 1- Ernest Mercier : « Constantine, son passé, son centenaire 1837/1937 Editions Braham 1937- Recueil des notices et mémoires de la Sté Archéologique depuis 1853. 2- Med Al Mahdi Benali Choughaïb : “ Oum Al Hawadhir Fi Al Madhi Wal Hadhar” Imprimerie Al Baâth Constantine. 3- A.Marion: “ L’épopée des gorges du Rhumel” editions la Dépêche de Constantine. 4- Nacer Boudjou : « Communication les Rois Numides donnée dans le cadre du Film Berbère à Haucourt St Charles. 5- Maâmar Benzeggouta : « Cirta-Constantine de Massinissa à Ibn Badis – Trente siècles d’histoire». 6- Ouvrage collectif : « Cirta-Constantine de 1836 à 1962 » Montpelier ACEP 2001. 7- Elisabeth Fechner : « Constantine et le Constantinois » éditions Calmann-Lévy. 8- Jacques Gatt : « La France de 1837 à 1962 » –T1,T2,T3. Montpelier.2002/2003. 9- F.Zohra Guechi : « Une ville- des Héritages » éditions Média plus Constantine. 10- Isabelle Gringaud : « Une ville imprenable » Editions Média plus-Constantine 2004. 11- Marc Cote : « Constantine- Cité antique et ville nouvelle » éditions Média plus Constantine 2006. 12- Badredine Mili : « La Brèche et le Rempart » Chiheb éditions Alger- 2009. 13- Pierre Corneille recueil de pièces théâtrales. 14- Jean Mairet recueil de pièces théâtrales. 15-A bderahmane Khelifa : « Cirta- Constantine, la Capitale céleste » éditions Coloset6 Janvier 2011. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 76 ) Supplément N° 30 - Décembre 2014. Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre El BOUGHI OU NEDJMA du Chantre Djaballah El BOUGHI OU NEDJMA SUR POEME ROMANESQUE CHANSON DU TERROIR Femme noble et mœurs amoureuses dans la Médina. El Baghaï drame chanté comme un hymne d'amour. Nedjma ou femme sur poème romanesque. Par Dr Boudjemâa Haichour Chansons du Terroir Histoire Peut-on considérer El Boughi comme une tragédie du siècle passé ? Nedjma l’héroïne de Constantine et Djaballah le barde d’Annaba ont-ils gardé leur secret dans une ville où s’impose un code de conduite ? Le charme et la pudeur dominent leurs cœurs. Cette chanson du terroir n’a-t-elle pas inspiré Kateb Yacine dans son roman Nedjma, lui qui a vécu sa jeunesse entre Constantine et Annaba ? Cela reste à prouver. La qasida d'El Boughi ou El Baghaï qui veut dire selon le dictionnaire encyclopédique Lissan el arab " le mal " et d'autres significations telles que " la prière contre le mauvais œil ". Mais dans le contexte de la chanson, El Boughi veut dire celle que j'aime, que je préfère. Ce poème raconte une relation passionnelle entre le sacré et le profane de deux êtres qui s'aiment dans toute la pudeur sentimentale de la " horma ". Il s'agit au travers de la chanson d'El Boughi . un" mahdjouz" (poésie dite vulgaire) tiré du recueil des chants populaires de Constantine dont le poème à lui seul décrit d'une manière intense cette liaison écartelée entre la passion, le sublime et le platonique à la limite du romanesque Nedjma : héroïne fascinante et séduisante Marqué par le désir d'un amour chaste, l'auteur, le chantre Djaballah venu d'Annaba vers 1840 à Constantine, décrit avec un rare style dans cette poésie vraie, Nedjma, cette héroïne fascinante, séduisante dont la sensibilité pousse à casser les interdits d'une société attachée à un certain ordre de valeurs et de mœurs. La cristallisation auteur de la personne rend la beauté plus expressive au seul désir de l'individu au plus grand plaisir possible. Entre la rêverie, le réel et le vérifiable, cette impossibilité amoureuse que nous allons raconter à travers la chanson d'El Baghaï se profile l'épisode amoureux du romanesque le plus Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . traditionnel, celui de l'« amour de loin », l'amour respectueux, l'héroïne chaste Nedjma et le poète Djaballah qui se sont aimés dès la première vue, qui se sont adorés, où le code de l'amour dans Constantine du début du siècle passé régente le comportement et les mœurs. EL BOUGHI : UNE IMAGE FIDELE DE LA SOCIETE CONSTANTINOISE El Boughi nous présente une image fidèle de la société du temps avec ses croyances, ses interdits, ses usages, de la veille Médina de Constantine avec ses quartiers dont celui de la casbah au nord de la ville où va se dérouler l'histoire de cette liaison amoureuse de Nedjma de ( 78 ) Djaballah. A peine quatre ans après la prise de la ville par le colonialisme français, un certain vendredi 13 octobre 1837, où les généraux Négrier et Galbois se sont succédé, le duc Ferdinand Philippe d'Orléans une année après, s'emploie à asseoir l'autorité sur une ville rebelle qui a livré bataille aux plus grands généraux des guerres napoléoniennes dont nombreux périrent comme Lamoricière, Danrémont … face à la résistance farouche de la population de Constantine sous la direction de Hadj Ahmed Bey. C'est dans cette atmosphère que le chantre Djaballah rejoint la ville aérienne où la vie des corporations telles les Attarine (parfumiers), les rakkakine (parcheminiers), les saradjine (les selliers) et les sébaghine (les teinturiers) etc. crée une am- Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire biance bonne enfant depuis Souk el Ghezel (laine filée) près de Dar El Bey à celui de Souk El Acer, autrefois Souk El Djemâa au voisinage du quartier juif de Charâa. CHEIKH EL BLED BELBDJAOUI MED ET LA BATAILLE DE CONSTANTINE La mort de Cheikh el Bled Mohamed Belbdjaoui (le maire) lors de la bataille de Constantine contre les Français, laisse la place à cheikh el islam Bencheikh Lefgoun M'hamed dont le fils Hammouda Bencheikh Lefgoun prend la gestion de la ville. Le Maréchal Valée veut que Constantine reste une ville arabe contrairement à Skikda dont le nombre d'européens qui se sont installés était de 1700 alors que Constantine n'avait que 200 Européens en 1840. Ce nombre augmentera en 1842 pour s’élever à 615 dont 428 hommes, 119 femmes et 68 enfants, alors que celui des musulmans était de 16000 habitants qui étaient 30.000 en 1836. SALAH BEN EL ANTRI, HISTORIEN DES BEYS DE CONSTANTINE Le Duc d'Aumale charge le khodja Salah Ben El Antri, fils du négociateur de Hadj Ahmedk d'écrire la monographie des beys de Constantine, qui parut pour la première fois aux imprimeries Guedj sous le titre de Essai de l'Histoire de Constantine. Au moment de l'arrivée du poète Djaballah à Constantine, la LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ville avait une population musulmane de 15 552, une communauté juive de 3105 et 840 Européens dont 618 Français. ALEXANDRE DUMAS EN 1846 A CONSTANTINE C'est sans doute à la même période du voyage d'Alexandre Dumas en décembre 1846 à Constantine, dont il retrace avec humour dans un de ses romans le Véloce – nom du navire de guerre qui a été mis à sa disposition – le panorama de la ville où il fut saisi d'admiration à l'aspect de cette ville aérienne qui donne le vertige pour celui qui la découvre assise sur son antique Rocher que serpente le Rhumel, que Djaballah rencontre la belle Nedjma, cette fille de bonne famille de la souche citadine de Constantine. EL BOUGHI : POEME REFLET DE L'AME HUMAINE Reflet de l'âme humaine, l'œuvre du poète Djaballah montre manifestement comment cette langue du peuple peint ses personnages où on ne peut ranger les vers de cette qacida dans aucun des seize mètres de prosodie arabe El Aroud. Ce genre de poésie est rebelle à toute règle de versification. Dans sa poésie, El Boughi est libre de ton, de forme, car elle s'adresse au cœur et à l'oreille dans son lien étroit à la musique. Rythme musical et rythme poétique s'y associent en une véritable communion. ( 79 ) DE BATHAT SIDI CHERIET A LA CASBAH DE CONSTANTINE Mais avant de passer à la qacida elle-même ne faut-il pas rappeler quelques traits biographiques du poète. Djaballah Ben Saâdi El Annabi est né vers les années 1827 dans le quartier de Bathate Sidi Cheriet (place d'armes). Après avoir fait les études coraniques à l'école Sidi Khélif, à l'âge de douze ans, il perdit son père et fut masseur de bain maure avant de devenir épicier. C'est alors qu'il fut pris en charge par une famille aisée, les Snani. Au contact de ses nouveaux parents adoptifs, qui sont d'ailleurs versés dans la musique andalouse, eux-mêmes compositeurs de centaines de m'dayah (sorte d'hymnes au prophète et aux awliya As Salihine saints) dont Sidi Brahem et Sidi Fadloune), Djaballah apprit à connaître les modes et les règles qui régissent la Nuba. DJABALLAH UN CHANTRE, UN FIN ARTISTE Sous la direction de l'un d'eux, cheikh Seghir, ses récitals ont été à un tel point de virtuosité, que les voisins venaient entendre la pureté de sa voix et son luth dont le frémissement des cordes suscitait tout un enthousiasme. C'est ainsi que Djaballah apprenait le zadjal, le hawzi et surtout le mahdjouz dont il devient à 25 ans un maître incontesté dans la manière de manier l'archet du violon. Il formera un or- www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire chestre et ira en Tunisie. Vers 1850, il reprend les chants du Hawzi et compose de nombreuses mélodies et quelques qacidate considérées comme des chefs-d'œuvre puisque transcrites dans un diwan introuvable aujourd'hui. Il devient célèbre et quelques mois plus tard, il entreprend des voyages répétés qui le retinrent à Constantine. Alors qu'il était couturier de pantalons genre « golf », là dans la ville d'Ibn El Quenfoud, de Malek Haddad et du Kablouti Kateb Yacine dont nous reviendrons à son œuvre Nedjma, les milieux cultivés de Constantine remarquent son génie et il était rare que son orchestre ne restât une nuit sans activité. LE COUP DE FOUDRE DE DJABALLAH C'est dans l'une de ces occasions que Djaballah eut le coup de foudre pour une jeune fille de haut rang et qu'il décida de ne plus quitter Constantine. C'est cette passion qui est admirablement décrite comme nous allons le voir dans la qcida El Baghai qui, plus d'un siècle et demi après, est merveilleusement chantée dans ce genre aroubi du mahdjouz constantinois. En voici quelques extraits que je traduis de ce beau poème du chantre Djaballah. « Par ton amour je brûle de passion Tu m'as blessé ô cils colorés Je te suis en délirant Après avoir oublié mes maux Moi qui, me suis repenti des filles et du vin Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Me disant à moi de retrouver Dieu A qui je dois transmettre mon salut ? Un messager m'apporta la nouvelle M'informant de ce qui se trame Me laissant dans le profond de mes inquiétudes Mon esprit troublé N'a pas trouvé de patience Et de mes yeux coulant de larmes Je fus emporté Adieu je me ressaisis. » EL BAGHAI OU BOUGHI : UN MAHDJOUZ AROUBI CONSTANTINOIS Dans cette première partie de ce mahdjouz, qui est fondamentalement le genre par excellence de l'école andalouse de Constantine, l'auteur Djaballah nous annonce l'être désiré, l'être fantasmé. Le rythme sera marqué par les plaintes qui exaltent une promesse tenue d'amour impossible où le cœur reste fidèle malgré les barrières de la horma, critique véhémente des contraintes et des traditions. La symbolique devient le code des expressions sentimentales entre le poète et son amour platonique. LE LANGAGE POETIQUE PROFANE DANS NEDJMA Chez les poètes arabes, l'imaginaire est parfois un réel qui produit un sens. Le sacré est-il dans sa genèse même une consécration du profane ? Ce langage poétique qui émeut, qui charme l'esprit et attendrit le cœur, nous le retrouverons ( 80 ) chez les deux poètes de Tlemcen Ibn Amsaib et Ibn Sahla ou encore Ibn Triki où les sentiments agitent l'homme et la femme dans la joie et dans la douleur. D'ailleurs Ibn Amsaib poussa l'audace jusqu'à chanter la beauté et la grâce d'une des femmes du caïd turc de Tlemcen à cette époque (1750) et vit s'ouvrir devant lui les portes de la prison pour quelque temps. Il ne se remit en liberté que grâce à l'intervention de parents et d'amis puissants qui le sauvèrent en l'envoyant à Meknes jouissant de l'estime et de la considération des fils du sultan Moulay Ismail. SOPHONISBE, HAYZIA, MEDJNOUN LEILA, NEDJMA DE DJABALLAH Revenons au poème du dhantre Djaballah dans ce qui va suivre et les combats et les tensions qui vont naître de sa relation amoureuse avec Nedjma dans cette belle pièce du répertoire du mahdjouz. On se demande si Kateb Yacine a écouté de son temps la chanson El Boughi et que la figure de Nedjma, héroïne de son roman ne serait pas cette femme fatale et impossible à conquérir. Si la chanson d'El Boughi raconte l'histoire vécue d'un amour impossible entre le poète et son amante dont le cadre se situe dans l'espace géographique de Constantine à Annaba, l'on comprend aisément que Kateb Yacine, dont les ancêtres sont les Kablout, a passé sa jeunesse comme le fut Tahar Ouettar, Ahlam Mosteghanemi, Rachid Boudjedra, Malek Haddad et tant d'autres in- Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire fluencés qu’ils étaient par les récits des gouals ou encore les chants venus des profondeurs des fondouks, véritables sites de convivialité où on s'embaumait de zadjel, mahdjouz et malouf. NEDJMA : UNE ANTIGONE DES TEMPS MODERNES D'ailleurs Kateb Yacine désigne Nedjma comme une Antigone des temps modernes. Peut-être la Sophonisbe de Massinissa, Hayzia de Ben Guitoun, Nedjma est cette braise, cette figue féminine qui traduit un certain désir inassouvi comme nous retracent ces vers traduits pour l'occasion : « Celui qui comprend ce message m'écoute Je vous avoue ce qu'adviendra à celle aux yeux noirs D'une rencontre amoureuse avec l'amante dans cette vie Ne pouvant jamais révéler ce secret ô ami ! Je vous raconte mon histoire et la cause du refus Je descendis au jardin, mon esprit envoûté par les chansons Je trouvais un groupe d'amis joyeux me conviant Me priant de les joindre à pas pressés. Je le fis. Que d'amis célèbres affairés Venus tous de différents coins réunis. Et chacun brandit son salef ô frère ! Et moi chagriné mes larmes cou- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE lèrent Au même moment mes pieds n'avaient plus de mesure Leur disant que mon âme était troublée Je m'allonge à l'instant et dormis au regard du sablier Puis je pris congé et courus vers la bien-aimée. J'escaladais le rocher vers la Casbah où habite l'amante J'ai frappé à la porte et vint celle aux yeux noirs » LA FLAMME, LA PASSION ET LES RUBIS SUR TRESSES « Je suis venu me consumant dans sa flamme Acceptes-tu de m'offrir le gage qui doit me combler ? Rien ne conviendrait mieux ditelle Qu'une mèche de mes cheveux ! Prends-là et va la monter avec fierté à tout amoureux Me la tressant avec des perles précieuses Mettant deux rubis ondoyants comme un éclair Me la lançant attachée à sa ceinture Tel un reptile je m'éloignais à la hâte De retour auprès de mes amis Je ne pouvais être blâmé Où étais-tu passé ô ami ! me demandaient-ils ? » Et dans la Tawrida qui est une sorte de stance, le poète répondit comme dans une poésie courtisane du rêve et du réel à ses camarades qui buvaient à plaisir ( 81 ) et se racontaient leurs exploits respectifs, l'expérience intime de chacun d'eux de leurs sentiments amoureux. « Je leur ai dit, que je me suis emporté dans mon rêve Comme par vagues, mes pensées dans une mer, Recevant du corail à flots Car la mer est plus profonde Faisant à nouveau la tournée des verres de vin Et jetant la mèche et son chagrin d'amour En recevant d'elle le tendre amour Et la natte de Nedjma ô yeux noirs Surprenant ces gens A celui qui prend l'initiative des femmes Garde ton secret, tu trouveras la nouvelle Tu es dans toute la félicité, ô égaré ! Tu as exhibé ce qui était habillé Avant toi, que de gens furent trompés ? Reprends-toi à ces heures Que ton corps ne puisse être déchiqueté Au nom de Dieu, ô noirs habits ! » NEDJMA OU LE CODE DE CONDUITE DE LA SOCIETE CITADINE C'est dans le récit rapporté à travers l'oralité que nous avons appris, tant soit peu l'histoire de cette relation de Djaballah avec une fille citadine constantinoise nommée Nedjma B., mariée sans amour à un de ses proches dans tout ce qui caractérise la société citadine des grandes familles de l'époque qui ne www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire donnaient leurs filles qu'à des gens de leur rang, comme le cas à Tlemcen, Blida et Mostaganem. C'était le temps où Constantine n'était qu'une bourgade où tout le monde se connaissait et la moindre information était vite répandue dans la ville. Le poète parlait dans la qcida du sablier, sorte d'horloge fonctionnant au sable et donc mesurant un temps déterminé. Les croyances et les rites traditionnels faisaient que lorsqu'un enfant venait tardivement de naitre dans une famille, après des années d'attente, la famille du nouveau-né sillonnait les rues du quartier avec leur hrim (harem ) pour quémander, afin de préparer un repas à offrir aux pauvres gens soit à la mosquée, soit au niveau de familles à revenu modeste. C'est ainsi que l'enfant naquit chez Nedjma B. cette fille connue de Constantine. Alors on se précipite pour mendier dans les ruelles de la Cité. C'est en passant près du tailleur de pantalons de golf dit Hawka nommé Djaballah et qui n'est que le Chantre dont on parlait que le Hrim reçut des mains de ce dernier tout l'argent qu'il avait épargné ce jour. EL BAGHAI : LE PARDON DE L'OFFENSE D'UN AMOUR IMMORTEL « Tous les pleurs ici sont des offrandes et, heureux, leur bonheur se féconde dans l'au-delà à l'ombre d’un amour immortel. Homme prêt à mourir, te voilà payant de ta passion que rejoignit une femme des grands jours. Et quelle que soit la Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . haine de l'amour, il y aura toujours le pardon de l'offense et dans repentir naîtra une nouvelle innocence. C'est dans cette relation chaste et saine qui embaumera les âmes qui respireront le parfum d'Eden. Et dans ce long sommeil, la paix sera la volupté renouvelée qui donnera un sens à l'autre vie éternelle. » « Nedjma Ya Nedjma Ma Baqa lak aswab tloumi alya Rani aghdit fachnayâa Wal Batal Atbaqaye bel kheir yali mathouma biya Hadha akhar awdaâna, wal wâad akmel Karhouni ya azizet khatri nassek bi ghdaya Malahoum qordha khalfna wala mchaghel Adhaou qatli qawm al hsoud chafaya fiya Law manti manatakrah fi sabet rajel » El Boughi est un poème du drame et Sophocle définissant la tragédie comme la mise à nu du destin. El Boughi est comme « cette totalité de vision expressive de pures formes et instaurées entre la féminité peinte qui a l'âge de l'obsession plastique « Issiakhimienne» et le texte de djaballah semblable à celui calligraphié qui a l'âge de l'obsession poétique dans l'écriture katébienne » avec femme sur poème. Nous ne sommes pas dans le factuel mais dans la densité de deux récits de vies entrecroisées dans l'histoire et dans l'art qui émergent comme chez Issiakhem dans la toile, Djaballah dans la qcida d'El Baghai. ( 82 ) EL BAGHAI : OBSESSION POETIQUE ET ISSIHKEM ET ECRITURE KATEBIENNE El Boughi reste un classique du répertoire constantinois qu'avaient chanté chacun dans le style qui le convient notamment cheikh Raymond, Hadj Mohamed Tahar Fergani, Abdelmoumen Bentobbal Hasen El Annabi … ainsi qu'une pléiade de jeunes talents, et ils sont nombreux à Constantine et Annaba. Le poème d'El Boughi a été pour la première fois traduit et commenté par mes soins il y a de cela dix-huit ans en décembre 1996. La chanson d’El Boughi a été adaptée et mise en scène dans une pièce théâtrale de Constantine du TRC sans se référer à ce texte chronologique et historique que j’ai remis en son temps à son directeur. De même à partir de mes travaux, cette chanson d’El Boughi fut inspirée par Nassima Bouslah dans sa thèse de magister en 2009 sous le titre « Jadaliet el hob wal mawt fi quisset El Boughi » (la dialectique de l’amour et de la mort à travers la chanson d’El Boughi) où elle n’a pas manqué de me citer dans ses références. Mais aujourd'hui à l'occasion de « Constantine, capitale de la culture arabe 2015 », après avoir présenté la chanson Galou El Arab Galou, j'offre aux mélomanes une partie modeste de ce travail de recherche pour situer le contexte historique mais aussi parler de nos chantres, encore méconnus par les générations. Dr Boudjemâa HAICHOUR Supplément N° 30 - Décembre 2014. Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre CHANSON DU TERROIR « MAHZOUN ZEIDANE DE SALAH BEY » Dans Galou el arab galou (les Arabes ont dit) Par Dr Boudjemâa Haichour Chansons du Terroir Histoire L e Transrhumel, viaduc du futur qui marque le paysage de « Constantine, capitale de la culture arabe 2015 », a été inauguré récemment par le Premier ministre Abdelmalek Sellal au nom du président de la République Abdelaziz Bouteflika et baptisé pont « Salah Bey » en hommage à celui qui fut bey de Constantine Voilà un bey tant aimé par sa communauté puis haï ou trahi par les siens. Il s’agit de Salah Bey Ben Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Mostefa né à Smyrne en 1771 et mort à Constantine le lundi 20 août 1792 (Moharem 1207). Il arrive à l’âge de 16 ans à Alger après avoir commis un meurtre sur un proche parent en Turquie. Le voilà engagé dans la corporation des janissaires parrainé par Ahmed Bey El Kolli dont il devient le gendre, le gaïd puis le khalifa enfin le bey dont il reçut l’investiture des mains de ce dernier. Son fondé de pouvoir et gendre Ahmed Zouaoui Bendjelloul par son dynamisme a été digne de la plus haute confiance en prenant ( 84 ) en charge la gestion des biens du bey Salah. Salah Bey, n’ayant eu de son épouse qu’une fille, épousera en secondes noces une citadine de Constantine dont il aura d’elle deux garçons, Hamouda et Hosseïn. C’est toujours dans la série des textes commentés et traduits de notre patrimoine qu’aujourd’hui à travers cette oraison funèbre ou thrène, que nous retraçons et nous décrivons au travers de Galou El Arab Galou, la fin pathétique de Salah Bey. Au-delà de ce chef-d’œuvre de la poésie populaire, jamais une aussi Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire belle pièce du terroir n’a pu envoûter les mélomanes et les hommes politiques que celle de la qaçida Galou el Arab Galou, chanté dans le répertoire de l’école de Constantine dans le mode mahzoun zeidane, en fait une oraison funèbre (marthia) écrite en hommage à celui qui fut Bey de Constantine durant 22 ans, soit le plus long règne des beys qui se sont succédé dans le Beylicat de l’Est . Cette chanson dédiée à Salah Bey, après qu’il eut une fin pathétique et émouvante, a été écrite par un goual anonyme arabe, selon une version alors que nombreux sont ceux qui la renvoient à la communauté juive de Constantine, plus précisément une courtisane juive nommée Oumaïma, maîtresse de Salah Bey, en guise de reconnaissance à celui qui leur donna un statut de Ahl dhimma, en les installant dans le quartier de la vieille ville appelé Charâa, alors que cette communauté était dispersée loin du centre urbain. SALAH BEY ET LESTATUT DE LA COMMUNE JUIVE En cédant aux juifs les terrains qui s’étendent au-delà entre la porte d’El Kantara et le ravin près de Charâa, il les regroupa dans ce quartier qui devient le quartier juif de Constantine loin de Bab Al Djabia. Dans une dédicace de la medersa de Sidi El Kattani qui fut achevée en 1775 et la mosquée en 1776, refouillée en caractère naskhi dans LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE une cartouche de plâtre coloriée que l’on voit au-dessus des tombeaux de la famille de Salah Be, on peut lire : « Le siècle fut heureux, grâce à celui qui répandit ses bienfaits sur les musulmans, mais aussi le siècle ajouta de l’éclat à sa gloire. C’était un prince dont l’équité surpassait les bonnes œuvres, et qui préféra une récompense dans l’autre vie au bonheur d’ici bas. Il fit revivre la science tombée dans le néant, et lui bâtit une maison dont la construction lui fait le plus grand bonheur, ce n’est point une maison, c’est le sanctuaire de l’instruction avec son auréole resplendissante. Pourquoi non, puisque en réalité c’est une perle. Celui qui l’a édifié, c’est Salah, l’illustre guerrier. En accomplissant cette œuvre, il n’avait d’autre but que de plaire au Seigneur. Que Dieu le gratifie du bonheur éternel ! Puisse-t-Il combler ses vœux au jour de la résurrection ». GALOU EL ARAB GALOU OU L’ORAISON FUNEBRE La chanson de Galou el arab galou est liée comme tant d’autres qaçidate locales à des événements vécus par la population. En plus du malouf, qui est l’expression du chant andalou constantinois constitué par des mouwachahate et des azjal, il existe d’autres genres tels que le aroubi, le hawzi, et surtout pour Constantine le mahdjouz dont la spécificité est remarquée. D’ailleurs à Constan- ( 85 ) tine, dans l’ancien temps, chaque famille juive citadine avait sa préférence pour tel ou tel mahdjouz. Dans Galou el arab galou, la structure mélodique emprunte deux modes ou tubu’ qui sont le zeidane avec une tonalité mélancolique dans cette chanson. C’est d’ailleurs pourquoi elle a pris le nom de mahzoun zeidane due à la tristesse avec laquelle elle est interprétée. Dans la musique andalouse, noubet ez zeidane (Ré), est considérée parmi les plus anciennes noubas. C’est Zyriab qui en est le compositeur dans la ville de Cordoue. STRUCTURE MELODIQUE ZEIDANE/ H’SEIN EElle porte le nom d’une famille célèbre connue pour l’interprétation des chants et de la composition musicale à Baghdad. En Tunisie, zeidane est appelé isbain, au Maroc hidjaz el kabir, la seconde partie de la chanson est exécutée sous le mode bayati qu’on appelle au Maghreb, h’sein, et on l’attribue à un pieux nommée Bba Tahar qui prit son nom. Quand on passe du bayati m’hair de type persan dans une exécution soufie du chant, ce mode prend une toute autre allure et devient ochaq turc ou h’sein a’ajam tunisien, c’est-à-dire nahawand au a’chour perse. Revenons un peu à la chanson Galou el arab galou. Pourquoi at-elle été dédiée à titre posthume à Salah Bey ? C’est ce que va nous révéler le contenu de la poésie www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire chantée, qui d’ailleurs commence par un introductif qu’interprètent tous les chanteurs de l’école de Constantine dont les quelques vers suivants : « Kemi sseri djahda La nourgad nawmi mat’hani Ghzaki kount maähda Ma khantou ma khanou saâdi Fragak ma hya tayga Billah wach yssabarni Ya sabri magwani Sabar ala qathrat al mwadjaâ Ham adounia fani Ham el awkhya rahou amwajâa Walali bik walali Sabar an kathrat al mwadjaâ Dhamouni al adraq Hatta qalbi zad allia Natwassal birdhak Wat ji fini dheik al achwa Rani natradj k Ya lalla y a aicha Baya AICHA BAYA BENT BEY ZERG AYOUNOU C’est à partir de ces extraits introductifs que le poète essaie de donner la dimension psychologique de la chanson qui va suivre. D’ailleurs, l’auteur rappelle le nom de Aicha Baya, qui est la fille du Bey Hussein surnommé zerg ayounou (1754-1756) qui était khalifa de Bey Bou Hanek, son beau-père. Cette dame offrit en donation au Bey Salah les plus beaux jardins de l’oasis de verdure appelée dans la région de Hamma Plaisance, où le verger contenait des arbres fruitiers de toutes espèces. Salah Bey avait acquis ce terrain de Aïcha bent Hussein Bey (zarg ayounou) Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . en septembre 1783. Ce jardin prit désormais le nom de Haouche Salah Bey que la légende finit par appeler El Ghrab. LEGENDE ET SORTILEGE DE SISI MOHAMED « GHORAB ». Ce dernier est le Mrabet Mohamed Zouaoui, qui apprit très jeune le Coran et fut parmi ceux qui ont combattu la présence turque dans la région de Constantine de par les prêches du Vendredi dont le contenu était hostile à l’autorité du bey et de son administration. C’est ce qui a incité Salah Bey à envoyer des janissaires pour tuer cheikh Mohamed Zouaoui dit « El Ghorab ». La légende dit que les soldats du Bey ont trouvé près de sa demeure un gros serpent qui menaçait leur vie et c’est le cheikh Mrabet qui a tué la bête, situation qui a surpris la milice du Bey. Cependant, Salah Bey décapita le marabout, sa tête encore pleine de sang roulait sur le sol, son corps s’est transformé en un corbeau qui prit le large dans les cieux et alla se poser sur le palais de Salah Bey dont le village aujourd’hui prit le nom à la fois de Salah Bey et du Ghorab. LES OFFRANDES OU « NECHRA » DES CONSTANTINOISES Nombreuses sont les familles constantinoises qui vont jeter les offrandes « nachra » selon les croyances entre Boulajbal et ( 86 ) El Ghrab, assez souvent suivi d’un cérémonial et d’un rituel sacrificiel. Après ce prélude de « Kam yessri Djahda » s’annonce l’oraison funèbre dédiée à Salah Bey et dont les meilleurs interprètes sont El Hadj Mohamed-Tahar Fergani Raymond Leyris et aujourd’hui Salim Fergani interprète virtuose du oud arbi qui exécutera avec talent ce beau poème du récital constantinois dont voici quelques extraits : Galou El Arab Galou Lanaâti Salah wala malou Saqma taqtalou Wa eytihou el arkab ala el argab Hamlatni ya raqiq an nab Rouhou al darou ya zayara Les Arabes ont dit Nous ne livrerons ni Salah ni ses biens Nous nous livrons à une bataille pour sa cause Même si nous voyons s’accumuler des têtes et des cadavres. Tu m’as délaissé, ô toi sans parole. Allez chez lui ô visiteurs ! Galou al arab hayhat Sidi Salah bey el Bayet Nafdiwh belmal Waytihou larkab ala argab Rahou indha salah bey Khalla sabâa awlad sabri lillah La yahram man kana hachara Rouhou al darou ya zayara Les Arabes ont dit en déplorables Notre maître Salah le bey des beys. Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire Nous le sacrifions par notre argent Même si nous voyons s’accumuler des têtes et des cadavres. Ils se rendant chez Salah Bey Qui a laissé sept enfants Attristé je m’en remets à Dieu Pour Qu’il en procure miséricorde à l’assemblée Allez chez lui ô visiteurs ! Gal al arbi gal Sidi salah bey ach houa yaqtal Midhi min allah jaât allah yahram man kan hadhara Rouhou al darou ya zayara L’Arabe a dit: Pourquoi on l’a tué C’est donc sa destinée Puisse Dieu procurer miséricorde à tous les présents Allez chez lui ô visiteurs. Billah yal machi tarbah Hadha atboul alach ayssayah An hallat al makhantar Sid al gouman Ya liatou khyalou Ma ad ayban Rouhi ya dounia mafik aman Je te conjure par Dieu ô toi qui circule Pourquoi les tambours sont si retentissants. C’est à cause de l'état du préféré des hommes O ma douleur, je ne verrais plus son ombre. Ainsi est la vie ! On ne peut la croire. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE SALAH BEY GENDRE DU BEY AHMED KOLLI A partir de ces premiers vers qui décrivent déjà l’ambiance dans laquelle se trouve Salah Bey, essayons de donner brièvement sa courte biographie. En effet Salah Bey Ben Mostefa est originaire de Smyrne (Izmir). Il est né en 1739 et à la suite d’un meurtre d’un de ses proches, il émigra en 1775 vers l’Algérie et vint à l’âge de seize ans travailler dans un café d’Alger avant s’engager dans la corporation des janissaires grâce au parrainage de celui qui va être son beau-père Ahmed Bey El Kolli, puisque il eut comme épouse sa fille et servit sous ses ordres. SALAH BEY GAID EL HARAKTA Sa bravoure, son courage et son énergie avaient séduit Bey Kolli, qui le prit dans son commandement à Constantine, en le mariant à sa fille issue de sa deuxième épouse née Mokrani et en le nommant Caid El Harakta, trois ans après, il en fit son Khalifa (1765) et reçut six ans plus tard l’investiture de Bey de Constantine après la mort de Bey El Kolli dont il laissa deux recommandations expresses le concernant. Dans son entourage, ce sont les mêmes personnes qui étaient dans le diwan. Lorsqu’il eut acquis de la fortune, il choisit un ami et ancien compagnon d’armes, Ahmed Zouaoui Bendjalloul, ancien ( 87 ) officier d’intendance du corps des Zouaoua de la milice pour s’occuper de la gestion de ses biens. ZOUAOUI BENDJALLOUL FONDE DE POUVOIR DU BEY D’une intelligence et d’une honnêteté fort appréciées, Bendjalloul eut toute la confiance de Salah Bey qui ne le quitta pas jusqu’à sa mort. N’ayant eu qu’une seule fille de son épouse, fille de Ahmed El Kolli, Salah Bey épousa en secondes noces une citadine de Constantine de laquelle il eut deux garçons ; Mohamed (ou Hamouda) et Hossein. Devenu gendre de Salah Bey, Bendjalloul demeura le fondé de pouvoir, le soutien moral et matériel de toutes la famille en dépit des évènements tragiques qu’il connut. C’est dans son Makhzen que Salah Bey rapprocha tous ceux qui ont servi sous l’autorité de son beaupère en leur confiant des charges importantes telles que les Bengana de Biskra. DE SIDI EL KETANI A SIDI LAKHDAR Mais Salah Bey fit édifier également une autre médersa en 1789 auprès de la mosquée de Sidi Lakhdar, qui servit d’ailleurs dès les années 1923 à l’imam cheikh Abdelhamid Ibn Badis dans ses cours de théologie et de droit musulman (fiq’h et genèse de la char’iâ). Du temps déjà de Salah Bey, on enseignait dans cette médersa la grammaire la jurispru- www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire dence, le commentaire du Coran, la science des hadiths etc. C’est dans ce contexte que Salah Bey entreprit de grandes réformes dans le système éducatif aidé par cheikh Abdelkader Rachedi, mufti hanafi, Chaâbane Bendjalloul, Cadi hanafi El Abassi, cadi Maliki en constituant aux médersas des habous. Il développa l’agriculture et restaura le pont d’El Kantara en confiant les travaux à un certain Don Bartholomé, architecte italien qu’il fut venir de Mahon. LES REFORMES DE SALAH BEY Il avait bâti la partie supérieure, les deux arches inférieures et les trois piliers qui les soutiennent. Il encouragea l’artisan et le commerce extérieur. L’écoulement des produits de la province rapportait en taxes des sommes importantes. Elles étaient perçues par des « oukils » placés dans les ports de Collo, Stora, El Kala, Jijel et Béjaia. Selon les propos laissés et rapportés par les gens de Constantine, les constructions d’utilité publique avaient fini par absorber la majeure partie de ses revenus et dut recourir à son voisin de Tunis, Hammouda Pacha pour compléter la somme nécessaire due pour le Dey en payement du Denouche. En dépit de ses difficultés financières, Salah Bey participa avec succès à la défense d’Alger en 1783 contre une nouvelle attaque espagnole, et au cours de la même année à l’expédition du Pacha d’Alger contre celui de Tunis. en 1784, il Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . rejoint Osman-Pacha qui s’apprête à combattre les Espagnoles dirigés par Don Barcelo. SALAH BEY UN STRATEGE DE GUERRE Bien avant cette bataille, Salah Bey, qui entreprit une expédition vers l’Ouest, les Bibans, les Béni Abbes, Flissa, les Ouled Nail, Djebel Amour, tua le Bey du Titteri entre Djelfa et Laghouat. Il parvint à combattre aux côtés de Osman Pacha avec ses quinze mille hommes en 1775 contre O’Relly, commandant de la flotte espagnole qui débarqua à proximité d’El Harrach le 8 juillet avec vingt cinq mille hommes. Ces derniers subirent un grand désastre. ARTISAN DE LA VICTOIRE CONTRE LES ESPAGNOLS. Salah Bey était un des meilleurs artisans de la victoire. Ce qui accrut son prestige et lui conféra une autorité incontestable dans toute la province, y compris chez les juifs d’Algérie qui voyaient en lui le sauveur d’une nouvelle inquisition des rois catholiques et dont le rabbin d’Alger y fait les éloges dans une lettre écrite en son honneur. En conservant à ses côtés Mohamed Ben Hadj Bengana, titulaire d’un titre sans terre et pour répondre aux vœux de son beaupère, qui par prudence n’a pas voulu affronter cheikh Al Arab des Daouada dans le sud du pays, Salah Bey, pour satisfaire une rancune ( 88 ) contre Hassan fils de Bou Hanek Bey avec lequel il avait été pourtant autrefois lié d’amitié, se hâta de lancer un ordre pour l’arrêter SALAH BEY ET L’EXIL DE HASSAN BOUHNAK Ce dernier prévenu à temps, parvint à s’échapper et se réfugia chez les Ferdjioua auprès du cheikh Mohamed Chelghoum Ben El Hadj qui refusa de livrer à Salah Bey le fugitif, qui prit la fuite vers Oran et Tlemcen auprès de Mohamed Ben Othmane El Kebir bey des beylicats d’Oran à Mascara. Ce dernier subvint largement à ses besoins et intercéda auprès du dey pour que sa famille le rejoigne. Son exil dura vingt ans. D’ailleurs c’est ce dernier qui sera appelé à prendre sa revanche pour tuer Salah Bey, meurtrier de son beau-frère Brahim Bousbaâ, marié à une fille Mokrani comme lui. C’est sur instigation de la femme du Dey Pacha d’Alger dont nous aurons à revenir dans cette « marthia » consacrée aux derniers moments de la mort de Salah Bey, que décrit le texte de Galou el arab galou. LA VERITABLE CAUSE DE LA MORT DE SALAH BEY Ya Saradjine Adam’ou Yaskeb wa el qalb ehzine Bibane maghlouqine Allah yarham man kan ahssara Rouhou Al Darou ya ziara Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire O celliers mes larmes coulent, mon cœur attristé Les portes enfermées les négociations devant régler définitivement le sort de Mers el Kebir et d’Oran. Puisse Dieu procurer miséricorde à tous ceux qui s’affligent Allez chez lui ô visiteurs. LA FILLE DE KHAZNADAR A L’ORIGINE DE SA MORT Ahkrajt mat’hani Wa Atwani laman wakhad’ouni Hayawli kafni Wa qalbi zahi ma jab akhbar Rouhou Al Darou ya ziara Je sortais réconforter Ils m’ont inspiré confiance, et m’ont dupé Préparent mon linceul, tandis que Mon cœur se réjouit, ne s'apercevant de rien. Allez chez lui ô visiteurs. Bab el Hadj arfaâ rassak Watchouf ma djra fi nassek An djal Al Mkhanter Sid el Gouman Ya li atou akhialou Maâd aybane Rouh ya dounia ma fik amane Bab el hadj hausse donc ta tête Tu verras comment ta famille estelle devenue. Après la mort du préféré des hommes. O quel chagrin, de ne plus revoir son ombre. Ainsi est la vie ! On ne peut la croire Ainsi après de Othman-Pacha d’Alger le 12 juillet 1791, il fut remplacé par son fils Hassan El Khaznadji. Le nouveau dey fit suspendre les hostilités entre l’Algérie et l’Espagne le 28 juillet pour reprendre LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Hassan Pacha était marié à la fille de Khaznadar à l’époque de Ali Nakcis Bousbaâ. Khazanadar était chargé des relations étrangères et avait été condamné à mort le 8 janvier 1764, accusé d’avoir provoqué et grossi sciemment les incidents d’El Kala en septembre-octobre 1763 et fait arrêter tous les Français résidant à Alger, y compris le Consul M. Vallières. C’est ainsi que l’Amiral Fabry, venu en mission, avait démontré le non fondé des accusations portées à l’encontre des établissements français et de leurs servants. La fille de Khaznadar rendait Salah Bey responsable de la mort de son père pour avoir été le principal témoin à charge, alors qu’il commandait la garnison d’El Kala. Depuis, elle ne cessa de lui vouer une haine à mort. SALAH BEY TEMOIN A CHARGE DE KHAZNADAR Dès que son mari fut porté sur le trône, elle exigea de lui la tête du « principal accusateur » de son père qui est Salah Bey. Hassan Pacha s’exécuta en destituant Salah Bey de ses fonctions à la fin juillet 1792 et Brahim Bousbaâ, fils de Baba Ali Bousbaâ, fut désigné pour son remplacement. Celui-ci arrive dans ( 89 ) le plus grand secret à Constantine et fit part à Gaid Nouba de sa nomination. Tous deux prirent alors les mesures pour s’emparer de Salah Bey sans heurts ni violence. Salah Bey fut saisi dans sa demeure et jeté en prison le 16 août 1792. Brahim réunit le diwan et les notables religieux et leur communiqua les ordres du Dey. SALAH BEY LE REVOLTE CONTRE LE PACHA Selon le cérémonial d’investiture, il revêtit le kaftan et dès que les invités étaient partis, il demanda à ses collaborateurs de lui ramener Salah Bey. Il le fit asseoir à ses côtés en lui promettant d’intercéder auprès du Pacha pour que la sentence de la mort en son encontre ne soit pas exécutée et écrivit une lettre qu’il remit à son Bach-seyar avec mission de partir dès la première heure à Alger. Salah Bey dut remercier son successeur et regagna son domicile. Au lieu d’espérer en la clémence de son maître et d’en faire foi en la parole du nouveau Bey, il arma ses serviteurs et partisans et conçut le projet de revenir au trône par la force. Au troisième jour de sa déposition, il pénétra avec ses fidèles de nuit dans le palais beylical et prirent en surprise le nouveau Bey dans son lit. SALAH BEY REUSSI LE COUP D’ETAT Boussaâdi n’avait pas eu le temps de se sauver lorsqu’il fut criblé de coups de couteau dans la nuit du www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire lundi, mois du Moharem de l’an 1207 de Hégire correspondant au 20 août 1792, alors que quarante de ses serviteurs furent égorgés à l’entrée de Souk Saradjin. Leur sang coula dit-on jusqu’au Fondouk Ziat. Salah Bey s’installa de nouveau dans Dar El Bey avec l’intention de conserver le pouvoir même contre le gré du Pacha. La nouvelle se répandit en ville et deux clans se formèrent, l’un décidé à venger la mort de Brahim Bey, l’autre à défendre la cause de Salah Bey. Durant plusieurs jours, on se battit dans les rues de Constantine et il y eut un grand nombre de morts de par et d’autre. Ces évènements ne tardèrent pas à êtres portés à Alger. MORT DE BEY BRAHIM BOUSBAA C’est ainsi que Hassan Pacha désigna un nouveau bey en la personne de Hossein Bouhnak, fils de Hassan Bouhnak, celui qui connut l’exil forcé sur ordre de Salah Bey. En même temps il adressa une circulaire aux notables de Constantine, aux caïds et cheikhs de la région pour les relever de leur serment d’allégeance visà-vis de Salah Bey, qui par le meurtre de Brahim Bey s’était mis hors la loi. Il leur demanda de s’emparer de sa personne et de le retenir prisonnier jusqu’à l’arrivée de son successeur. HOSSEIN BOUHNAK DEVIENT BEY DE CONSTANTINE Hossein Bouhnak se rendit à Constantine accompagné d’une im- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . portante escorte de janissaires et de kouloughlis. Il ne rencontra aucune résistance à son arrivée aux portes de la ville. Le caïd nouba instruit par le dey avait déjà pris ses dispositions pour procéder à l’arrestation de Salah Bey. Ce dernier se réfugia dans la maison du cheikh Abderrahmane Lefgoun duquel il espérait protection et vie sauve. Et la qaçida donne tout le ton de cette pathétique fin de Salah Bey : « Amchit lil Djazair wala Araft Qalbi Wach dayr Bayat tat khayar wa qalbi Zahi majab akhbar Rouhou Al Darou ya ziara Je me suis rendu à Alger Perdu, mon cœur désemparé On a choisi mon successeur Mon cœur se réjouit, n’apercevant de rien. Allez chez lui ô visiteurs. Oumou Amhamla hmila wa khtaou Sabgha bi anila Bouah aynadi ala arbâa Ya liatou akhialou ma aâd iban Rouh ya dounia ma fik aman Sa mère perdue, égarée Sa sœur se teint en bleu-violet Tous ses proches sont avisés. O ma douleur, je ne verrais plus son ombre. Allez chez lui ô visiteurs Adfaât addya wala aârif Qalbi Zahi ma jab Akhbara Rouhou Al Darou ya ziara ( 90 ) J’ai versé la rançon du sang Mon cœur se réjouit, je ne me soucie de rien Allez chez lui ô visiteurs Ki Arkabt ala assarsoura Wa nas labsou al mahsoura An jal almkhanter Sid albayat Ya liatou khialou ma âd ayban Rouhi ya dounia ma fik aman J’ai monté sur la calèche Les gens vêtus de noir. Dans les obsèques du préféré des hommes. O ma douleur, je ne verrais plus son ombre. Ainsi est la vie ! On ne peut la croire Ki mchit labladi Saâ saida haith chouft awladi Kifach at adi Wan qoul jat Fazâa Ya Rabi Biha dhart Hadhihi saâ Rouhou Al Darou ya ziara Quand je me suis rendu à ma ville J’ai passé d’agréables moments avec mes enfants Comment dire la nouvelle, de mon déchu Dans cet instant de bonheur. Allez chez lui ô visiteurs. Oum lahnina Mtha Amlat Bein labhour Mdha nahat wa Abkat Bbemouâha tchali Lay’at al Moudjat An djal al mkhentar sid Albayat Ya liatou Khyalou Ma Aâd Ayban Rouhi ya dounia ma fik aman Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire Sa mère plein de tendresse pour son fils O combien elle a pleuré sur sa tombe Des larmes sans cesse Comme des vagues qui persistent. Pour son fils préféré des Beys. O ma douleur, je ne verrais plus son ombre. Ainsi est la vie ! On ne peut la croire » Enfin la Qaçida se poursuit au moment où la ville est encerclée par les janissaires et méditions les derniers vers de cette oraison funèbre (marthia) sur Salah Bey. : « Kihassrou lamdina Wanghalkou albiban Wakhraj Salah ala Ajarah Wadmaghou aryane Khalitouni anchouf awladi Maniche harbane Makhnouk ebmahrma Chaâla wadm’ou widane Chalitouni anchouf awladi Quand la ville fut encerclée et les portes refermées Salah est sorti sur son cheval, la tête dévoilée Laissez- moi voir mes enfants. Je ne fugue pas. Etranglé par un mouchoir éclatant Ses larmes coulant comme des rivières. Laissez-moi donc voir mes enfants. Maniche harbane Hadha chai mektoub Fidjbini Qabl manardjaça Bey Oumou Tabki watnouh Wa tqoul Salah Rah LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Man rad Rabi ya Salah Mektoub Errahmane Je ne m’évade pas Ça fait partie de mon destin Tracé avant que je ne devienne Bey. Sa mère pleure et dit : Salah est parti, c’est Dieu Qui en a voulu ainsi Ya hamouda ya oulidi at’hala feddar Matloumouche allia Ya kbadi addat babana Law arfat hakda yadjrali Manasqoun el bouldane Nabni kheima ala awladi Wa anâchar el Arbane Youma fin houa Baba Rayah wala harban O Hamouda mon fils Prends soin de la famille Ne m’en voulez pas O mes enfants. C’est la coutume de notre père Si je savais que cela aller m’arriverer Je n’aurais fréquenté les villes J’aurais planté une tente à mes fils Et j’aurais vécu parmi les ruraux Maman ! ou est passé mon père ? Est-il partant ou en fuite ? Hamouda ya wlidi Danag Maâ Diwan Hain Ataoulou Tasbih Waâtaoulou lamam Galou lou lat Khaf Ya Salah hadha Amr esoltane O Hamouda mon fils ( 91 ) Prends soin du cabinet. Après lui avoir formulé un rosaire Et lui donner assurance et réconfort. On lui a dit : O Salah n’aie crainte C’est un ordre du Sultan SALAH BEY EXÉCUTÉ FACE A DAR EL BEY Et quand les deux « chaouachs » se présentèrent devant la porte et demandèrent à Abderahmane Lefgoun, cheikh el Islam, de leur livrer le fugitif, ce dernier exécuta les ordres, Salah Bey tenta encore de s’enfuir mais il fut vite rattrapé. Devant toute l’assistance, ils lui placèrent le lacet au cou, il fut exécuté face à Dar El Bey. Toute cette histoire vraie de la mort de Salah Bey avait été écrite sur les manuscrits que conserva cheikh Mostefa Bendjelloul, gendre et fondé de pouvoir de Salah Bey. L’historien Mohamed-Salah Ben Antri la recoupa, puis Dr Yahia Bouaziz la reprit avec un commentaire dans les éditions de l’OPU en 1991, également dans la Revue Africaine de 1868 volumes n° 11 et 12 sous la plume d’ E. Vayssettes dans son Histoire de Constantine sous la domination turque de 15171837. ORAISON FUNEBRE A TITRE POSTHUME J’ai été inspiré également par Gaid Mouloud dans son ouvrage Chronique des beys de Constantine, paru aux éditions de l’OPU www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire pour les aspects historiques qui peuvent être rapportés à la qacida. J’ai eu recours également à trois versions de la chanson recueillies sur les « sfain » (recueils) et les différentes interprétations audio telles que celle de Raymond Leyris, Hadj Mohamed-Tahar Fergani sans oublier l’école de l’association Maqam qui développe une action de vulgarisation des concepts de la nouba et du malouf dans le milieu des jeunes dirigée par les frères Zerouala Nadjib et Mohamed-Tahar et Bentellis. Quant à l’écriture latine et non phonétique, c’est pour permettre une lecture didactique accompagnée du chant, aux mélomanes qui ne savent pas lire l’arabe. « Ki hakmou chaouch Dalou zawj ahdidat Kallou ya Salah Atwadha Wakhraj lelmeidane Galou Salah Rah Wariouli qabrou nartah Wahabou laryah Wat qoulou ach min Bey ayawad Salah Fi Qcentina Haznou alaih yawladou ya arb al Mdina”. Quand le garde l’arrêta Il lui enchaîna les mains par des fers Et lui dit : O Salah ! Fais tes ablutions Fais tes dernières prières ! On a dit que Salah est parti (mort)! Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Montrez-moi sa tombe pour que je puisse me soulager de ma peine. Les vents soufflent Quand vous dites quel Bey pourrait bien remplacer Salah. A Constantine ses enfants son en deuil ô gens de la ville. La Qaçida de Galou el arab Galou se termine par un khlas intitulé Alkhaoua Ya Alkhaoua. c’est ainsi que prend fin le règne de Salah Bey. Il est enterré au fond de Sidi El Katani dont les autorités de la wilaya ont commencé depuis quelques mois la restauration. La date de sa mort est inscrite sur une plaque de marbre portant le mois de Moharem 1207. Je ne saurais terminer cette étude sans rappeler l’inscription portée sur le fronton de la mosquée Sidi Lakhdar dont voici la traduction d’A. Cherbonneau : « Les splendeurs du bon augure sont descendues des sublimes régions de la félicité. Afin de consacrer une mosquée érigée pour le bien public et elles ont inondé le firmament de leur lumière. C’est le Bey de l’époque qui l’a bâtie, c’est le glorieux Salah. Ce prince si zélé pour les bonnes œuvres, et qui les amasse comme un trésor pour le jour du jugement dernier. Dieu lui réserve une place dans le paradis avec bien d’autres avantages. Si tu veux savoir ô lecteur la date du monument, prononce les mots suivants : cette mosquée est destinée au culte de Dieu. » (1190 Hégire-1776 de J.C). ( 92 ) SALAH BEY URBANISTE DE LA MEDINA DE CONSTANTINE Salah a été l’un des beys qui a embelli la ville de Constantine. C’est de Livourne que Salah Bey ramenait la faïence et le marbre. Il est Bey Zamane, Soltane El Asr wal alwan (O Roi du temps, ô Sultan de l’époque et du Siècle). « Tombe qui brille dans le ciel de la félicité, ou comme un collier de perles précieuses ! C’est là que repose le Bey du siècle, le frère des nobles sentiments. Là sont aussi enfermées sa vertu et sa piété. Il vécut heureux sur le trône et mourut en véritable martyr. Que de bonnes œuvres il répandit pour l’amour de Dieu ! Que de fois il lança son coursier dans les champs de batailles pour obéir au Seigneur ! Il fit la guerre sainte avec succès, il détruisit l’armée d’Alphonse et paya son tribut au vrai Dieu ! » Dr Boudjemaâ HAICHOUR Salah Bey Supplément N° 30 - Décembre 2014. Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre DEMAI DJARA (MES LARMES ONT COULE) CONSTANTINE HERITIERE DE SEVILLE Inspirée d’Al Mou’tamad Ibn Abbad Par Dr Boudjemâa Haichour Chansons du Terroir Histoire A l’occasion de la manifestation « Constantine, capitale arabe de la culture 2015 », j’ai choisi ce poème narré dans le pur style constantinois, l’histoire imaginée d’Al Mou’tamad et d’I’timad. Ainsi lorsqu'on aborde la chanson de Damaï djara à partir de Constantine digne héritière de Séville, on s'aperçoit que l'Espagne musulmane ou l'Andalousie arabe continua de développer ses échanges avec le Maghreb et que sa propre littérature, sa musique, ses arts et son savoir-vivre auront, après le départ massif des Andalous chassés par les Rois catholiques, un impact certain sur la vie des citadins des importants foyers de la culture dans notre pays et les autres contrées maghrébines. De la flatterie aux louanges des Grands, l'aristocratie jouissait d'un niveau culturel assez avancé à Séville. Les hommes de lettres trouvaient dans chaque cercle de généreux mécènes qui encourageaient la créativité artistique. C 'est certainement dans la poésie et les chants que les talents étaient recherchés dans la cour des souverains. Il y avait l’évocation du vin, du plaisir, des femmes, des éphèbes des palais et des jardins. Il y avait donc un soin particulier pour le langage des fleurs et la beauté de la nature. La cour devenant un véritable foyer de la culture et des arts. Séville avec El Moutamad devient le pôle de l'aristocratie où toute la fine fleur de l'Andalousie se réunit. C'est ce prince opulent auquel on croit, selon beït slam Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ou signature de l'auteur à la fin du poème, repris du troisième tome des Mouwachahate et azjals, édité par le ministère de la Culture, cette pièce maîtresse du patrimoine que chantent les trois écoles de la musique andalouse dans notre pays. Il s'agit de Damaï djara (Mes Larmes ont coulé). El MOUTAMAD UN POETE DU DESIR El Moutamad fut un époux sincère, un poète délicat, un souverain plein de bravoure. Toute l'époque brillante et trouble de Séville se reflète dans la vie de cet ( 94 ) homme. Mohamed, fils d'Abdou Amr Abbad Al Moutamad Billah est né à Béja, près de Séville en 1039 JC / Rabi'i 1 de 431 de l'hégire. On dit qu'il avait pris le nom d'Al Moutamad pour se rapprocher de celui de sa femme I'timad. Dès son jeune âge, Al Moutamad fut imprégné d'une atmosphère raffinée. L'opulence, le faste et le plaisir étaient recherchés dans la poésie, la musique, les promenades, les boissons, les femmes. C'est sans doute les vers suivants qu'il avait composés pour saluer le départ de son ami Ibn Ammar qui décrivent si bien ce poète -souverain : Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire Constantine, capitale de la Culture arabe 2015 UNE GUITARE ET UN RAMEAU DE SAULE « Que de nuits ai-je passées là, auprès d'une jeune beauté aux larges hanches, à la mince ceinture. Que de fois des jeunes filles blanches ou brunes ont fait à mon cœur ce que font les blanches épées et les lances brunes. Que de nuits aussi ai-je passées au barrage sud de la rivière avec une femme dont le bracelet semblait la courbure de la pleine lune ! Elle passait la nuit à me verser le vin enivrant de ses regards et, à ses moments, celui de sa coupe ou celui de sa bouche. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Puis quand sur sa guitare, elle jouait un air guerrier, je croyais entendre le cliquetis des épées et me sentais saisi d'une ardeur martiale. Elle enleva sa robe pour faire apparaître un rameau de saule délicat et flexible. Qu'il est beau ce bouton qui s'ouvrit pour laisser apparaître la fleur ! » (Repris par Salah Khalis à la page 94 dans son ouvrage La vie littéraire à Séville au XIe siècle, paru à la SNED en 1966) Et pour illustrer la chanson de Damaï djara, on raconte qu'un jour de printemps le prince Mohamed Al Moutamad sortit en compagnie de son ami Ibn Ammar faire une promenade à la prairie d'argent (Marget el fiddha). Cet endroit est fort agréable où les Sévillans aimaient à ( 95 ) flâner. Regardant la douce brise qui caressait le Guadalquivir, le prince aurait improvisé une moitié de vers « La brise a tissé une cotte de maille (zarad) avec de l'eau. » Il demanda à son compagnon de le compléter. Ibn Ammar ne put répondre. Une douce voix parvint alors à l'oreille des deux amis : « Quelle belle cotte ce serait pour le combat si elle était solide. » Tournant la tête, ils virent une belle jeune fille qui souriait fièrement. Sa beauté et son intelligence ravirent le cœur du prince. Cette femme s'appelait I'timad, une esclave non mariée de Rumaik Ibn Al Hajjaj. Le prince l'acheta alors de son maître et l'épousa. Elle jouera un rôle prépondérant dans la vie www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire d'Al Moutamad. Le prince Al Moutamad écrivit ce poème dont la première lettre de chaque vers reconstitue le nom d’I’timad : ami des belles lettres qui attira une pléiade de poètes illustres parmi lesquels Ibn Labbana, Ibn ‘Ammar, ou encore le grand Ibn Zaydoun. أغائبة الشخص عن ناظري وحاضرة في صميم الفـــــؤاد عليك سالم بقدر الشجون ودمع الشؤون و قدر السهاد متلكت مني صعب املرام وصادفت ودي ســهل القيـــاد مرادي لقياك في كل حني فيا لــــيت أني أعطى مـــــراد أقيمي على العهد ما بيننا والتستحيـــلي لطـــول البـــعاد دسست إسمك احللو في طيه وألفت فيه "حــروف "اعتماد METAPHORES BRUTALES ET ESTHETIQUE DU DESIR Absente, tu échappes à mon regard, mais tu es présente au fond de mon cœur Que la paix soit avec toi, une paix qui sort à la mesure des chagrins, des larmes abondantes et des insomnies. Tu t’es rendue maîtresse de la fougue de mon désir et tu t’es trouvée en présence de ma passion, une passion docile. Mon souhait est d’être en ta compagnie à tout moment, ah !, mon Dieu, qu’il me soit permis de réaliser ce vœu. Soit fidèle à notre alliance et ne change pas à cause d’une absence trop longue. Ton doux nom, je l’ai introduit au sein de ce poème, en traçant les lettres qui composent I’timad. (Le Prince-poète Al Mou’tamad Ibn ‘ Abbad trduit par Hamdane Hadjadj) Al Mou’tamad reste un prince et poète de grande sensibilité, un souverain chevaleresque, cultivé, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Damai djara (Mes larmes ont coulé) est un pur plaisir des mots dont le poète essaie de nous émouvoir. Les systèmes expressifs qui affectent les parties les plus scrutées de la nature et de toute créature sont d'une délicatesse qui efface toutes les métaphores brutales. Nous allons lire à travers les vers d'El Mouatamed une exaltation à la limite de la volupté et de l'esthétique du désir. دمعي جرى على صحن خدي كاملطــر و الروح في فرط الهوى في هاويــة ملن رأيت الغيض مــا بـني الشجـــــر عقلي مضى و الــــــروح مني فانيــة غنـوا في بستان و رفعوا أصـواتهــم و أنـا نبايع مـــــا شفيت منهم غليــل ركزوا الشمع و الكـأس يـدور ما بينهم أنـا شربت احلب و الصـبر جميــــل هــب النسيــــــــم و تخبلــت عشقتهم أنـا مع األغصــــان حني مالـوا منيـل عنـوا بكل حلة لـن بلغـوا منــاهم سـاقي الـمـدام ميال لن يبنوا أصداهم حتـــكيالبـــــــــــــــدور جتــــــــــلى t سبحــــــــــــــان من نشــــــــــــاهم « Damai djara an sahni khadi kalmatar warouhou min farti el haoua fi haouia lamma raaitou el gheid ma beina achadjar ( 96 ) akli maddha wa rouh menni fania ghanou fi boustane rafaou aswatahoum ouana outabiou ma chfaitou minhoum ghalil rakazou achamaou wal kas yadourou ma beinahoum wa ana charrabtou el hob wa assabrou all djamil haba anassimou wa takhabalet wadjnatahoum wa ana ma'a el aghçane in malou amilou laabou bikouli houllihi lan balaghou manahoum sagui al moudem yamla lan yabnou sadahoum tahki boudour tadjala sebhan man anchaahoum. » "DAMAI DJARA" DANS LE MODE DARJ RAML MAYA « Mes larmes ont coulé » est chantée dans l'école constantinoise dans le derdj raml maya. Ensuite dans les strophes qui suivront telles : « Kalou akhtasar » (ils ont dit de synthétiser), la chanson prend l'allure d’un insraf h'sain pour terminer par « wadaâtouhoum » (les adieux) sur le mode de l'insraf mazmoum. Mes larmes ont coulé sur les pommettes De mes joues à cause de mes fortes sensations amoureuses, Lorsque j'ai vu au travers des arbres des filles Mon esprit perdu dans une âme consumée Elles ont chanté dans le jardin et élevé leurs voix Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire Et moi buvant l'amour et la patience de la beauté La bise a soufflé et les mèches s'entrelacèrent dans leurs joues Et moi, je titubais au gré du balancement des branches. Elles ont joué avec tous les artifices Elles n'ont réalisé leurs vœux Et le vin se remplit à flots N'a pu étouffer leur écho Elles racontent les germes De celui qui les a créées. UNIVERS STENDAHLIEN DE LA COURTISANE Nous remarquons dans cette première stance tout un univers d'allégresse, comme chez Stendhal une sorte de fascination accrue incarnée dans la courtisane. C'est d'ailleurs ce qu'on peut appeler l'exotisme à l'Est. Comme un provençal, il regarde le spectacle des courtisanes à travers les branches d'arbre où les histoires d'amour, les descriptions les plus romanesques, dans un décor de couleurs naturelles lui font vivre le pittoresque ressorti de la tradition mauresque. N'est-ce pas là une poésie des coïncidences et de l'instant propre aux enchantements. C'est un monde visible qui en cache un autre. Dans la deuxième stance de Damaï djara, le poète va nous décrire ces belles créatures. D'ailleurs, El Mou’tamad le dit dans un autre poème qui rejoint les mêmes sentiments par l'évocation de la puissance des mots de ce prince qui a le talent de poète. Il dit notamment : « Mon âme tremble, mes yeux sont remplis de larmes, ma voix, mes LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE regards sont éteints. La couleur a disparu de mes joues bien que je ne sois malade ; mes cheveux ont blanchi bien que je sois jeune encore. Désormais, rien ne saurait me plaire ; la coupe et la guitare n'ont plus d'attrait pour moi. Les jeunes filles même timides et gracieuses ont perdu l'emprise quelles avaient sur mon âme. » ....سبحــان ربي زنهم على القــــدر فــاقت محاسنهم كحلة بــــاهية ....وجنتهم كــل ورد فــاحت عن مطـر خلـوا عقلي مثــل ورقة فـــانية حملت....أدرجت هيفــة تلوج بني الشجـــر خيـالي عندما نظرت لي حقيــق ....نطقت و قالت يــا مالح معانا بشــر توجهوا نحوي كمـا بدر الشريـــق ....قد عينوني الكــل من بني الشجـــر قالوا و ما جابــاك لشيء ال يليــق و....أتناقلوا بدوحــات عني و خلفــوني اتغامزوا بشفرات باحلسن عذبـــوني زاد....قالـوا املــــالح كلمــــات يــعجــــزونــــــي « Sabahna rabi zanahoum ali el kadar Fakat mahassinahoum houllatoun bahia Wajnatahoum kel wardi fattah an mattar Khalaou akli mithla wardatin balia Darajat haifaa talouhou beina achadjar Lamhat khayali kad nadhratni hakik Natakt wa kalet ya milah houna bachar Tawadjahou nahoui ka boudour acharik Kad ayanouni alkoulou ma beina achadjar ( 97 ) Kalou ma djaâ bika ila cheioun la yalik Tanakalou li addouhat Ani wa khallafouni Wanghamazou bi chafarat Bil hosni addabouni Kalou elmilah kalimet Aradou youadjizouni » DE QUEL CHARME DIEU LES A CREEES ? « De quel charme Dieu les a créées Débordantes de beauté et de bonté Comme des roses écoles sous le crachin Elles ont laissé mon esprit dans un rêve céleste Elles se dandinaient comme des pigeons à travers les arbres. Me regardaient furtivement comme une ombre des anges Elles m'ont dévisagé par-delà les feuillages des arbres. Qu'est-ce qui vous intéresse cheznous ? Et puis elles prirent congé de moi. Elles me laissèrent. Par des clins d'œil Et leur bonté me souffrirait Elles ont dit quelques mots Voulant tester mon savoir. » La poésie est pour Al Mou’tamad un art qu’il cultiva avec amour au même titre que la musique. On la déclamait ou on la chantait pour éprouver le tarab. Il avait une maîtrise de la rhétorique et de l’art du dire. Nous sommes loin d’un Ibn www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire Zaydoun tourmenté par une Wallada sourde à ses prières. L’effort du poète porte sur le style qui fait les délices de l’auditoire. Al Mou’tamad est un poète de grande sensibilité, fidèle et attaché par la sincérité de ses sentiments pour une ville où il passa sa prime jeunesse. "DAMAI DJARA" OU L' IMAGE -ERUDIT D'EL MOUTAMAD Dans cette deuxième stance, le poète à petites touches et à coups de scènes brèves et d'intentions se constitue l'image d'un érudit pour pouvoir affronter les courtisanes et répondre après à leurs questions. Une poésie qui veut mêler par moment la génialité dans l'infini de l'imagination créatrice. En vérité, on va voir dans la troisième stance comment de part et d'autre il y a une sorte de jeux de langage. Les sens des mots vont déterminer la capacité du promeneur à connaître sinon davantage la poésie du moins le chant que les courtisanes entonnaient. إن....قالوا اجلميع أشرح لنـا مـا ينذكـر كــان معاك حسن اللغة و القافيــة ....آش هو الطــال و الهيق آش هو الهمر فسـر لـنا و اختر منا جــاريــــة ....ملا رأوني ما فهمـت منهـم خـطاب رجـعـوا ملغناهـم وصـاروا يشربــوا و....قلت يا مـالح أسقوني كأس الشـراب عسـى نخبركـم مبـا أنتم تطلـــبوا إن كنـت....قالـوا نعم إذا تفسـر ذا اجلــواب تفهم و احنا في وصلك نرغـب و ابقيت....جتـاوزوا علي و اتلحفـوا الغـوالي على التنيـة مقهـور باإلتصــال نشــكــي....قــلـت أمهـلـــوا علــي لــكــم بـحــالي Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Kal el djami' fasser lana ma youdkar In kan maak hosnou elougha wa el kafia Ach houa al haik,wa tala wal mounhamar Fassar lana wa ikhtar mina djaria Lama raouni ma fahimtou minhoum khitab Rajaou limaghnahoum wa sarou yachroubou Koultou ya milah askouni min yadha echarab Assa nakhbarkoum bima antoum tatloubou Kalou naâm idha atfassar dha al djawab Tadjawazou allia Watlahfou al ghawali Wabquit ala thania Maktoul biha niçal Koultou amhalou allia Nachki lakoum bihali Elles ont toutes dit d'expliquer ce qui suit, si tu es en mesure de comprendre la langue et la prosodie que veut dire « Haiq », « tala » et « Mounhamar », donne-nous l'explication et choisis une parmi nous. Lorsqu'elles ont su que je ne comprenais pas leurs propos, elles se retournèrent pour continuer à chanter et boire. Je leur ai dit de me verser de ce vin Peut-être je répondais à ce que vous m'avez demandé Si tu sais répondre nous saurons te séduire. ( 98 ) UNE LANGUE DECAPEE ET DEBARRASSEE DE CLICHES Après quelques instants de réflexion, on lui demanda de répondre succinctement aux questions posées. C'est ce que nous allons découvrir dans la quatrième stance. Le poète va nous offrir dans cette odelette des compatibilités sémiques de manière à procéder à un effet de non-sens car les mots ont un sens immédiat et un sens imagé dans une langue décapée et débarrassée des clichés. On retrouve des mots isolés et chargés de vertu. Toutes les métaphores s'imposent alors à son regard. L'image est aux antipodes de la rhétorique. DAMAI DJARA DANS LE MODE INSRAF HSEIN ....قالـوا اقتصـر نحن عزمنا السفــر أنـت تـروح تقـرأ في بعـد الـزاويـة ....حتى تصيـر تفهـم وتـأتي باخلــبر أرسـل لـنا منشـيوا معـاك للقـاريــة يا....أجبتهـم ملـن أعطـاوني بالظهــر بـاهيـات أنـا حضـر عندي اجلـواب إال....و حياتكـم عن و صلكم مـا نقتصر نريـد نطـول مـعاـم في اخلــطاب ....الهيق هـو ذكـر النعـم املنتشــر الهمر هـو الـماء الـزير من السحــاب ....ما طال فهمواني شبه الغزال في الـدات مـن حلـم طمعـوني إذا يصيـر بتبـات راني ....بـالـوصـــل جنــــــزوني غنمــــــت شمـــــات « Kalou akhtassar idha azamna ala assfar Wanta tarouh takraâ fi baadh azaouia Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire Site historique d'Andalousie Hata tassir tafham wa taati bilkhabar Arsil lana najiou maak li sania Ajabtouhoum lamma atawni bidahar Ya bahiat ana hadhar andi aldjawab Wa hayatoukoum an waslikpum ma neftakir El hikou houa dakr ennaam el mouchtahar Ala ouridou outilou maakoum elkhitab Amma atlaa afahmouni chibh el ghazal fi eddhat Min lahmihi atiimouni Idha youssad bithabat Bil wasli ana djazouni Rani aghtanamtou chamat » Essaie de répondre brièvement pour qu'on puisse partir et toi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Va apprendre dans quelques zaouïas. Jusqu'à ce que tu trouves l'explication. Envoie-nous pour qu'on puisse venir te voir dans la « sania » (prairie) Lorsqu'elles se retournèrent pour partir J'étais en mesure de répondre à ces beautés « Al haiq » est le mâle de l'Autruche « Anhamar » est l'averse et « Talâ « est le petit de la gazelle juste après sa naissance. ....قالوا افتتح جفنك و ال تغمض البصــر و اختــار منـــا كيف كل جاريـة و....إذا تساعدنـا نسيــر للقصــــر اتنـــال منا كل درجة عاليـــة ....قلت يــا مالح لويلة معكم نريــد نسقي املــدام على ندمي آلتــــكم ( 99 ) ....ونعيــن أبهاكم وننشى ذا القصيــد أنا كالسلطــــان مــــا بينكم ....يكون ذاك اليوم عندي مثـل عيـــد وأنــــا نقبل في سنة و جنتـــكم ....قالوا الرقيب غايب عنـا في كــل ليلة أنت رجعت صاحب أغنمت بالوسيلــة أجلس على املراتــب و اختــار منـــا خليلة Kalou aftah djafnek wa la tghamad bassar Wa ikhtar minna kama koulna djaria Idha toussaidouna nassir lilkassar Wa tanal ;inq koul daradja alia Koultou ya mlih alwila maakoum ourid Asqui al moudam an ladhid alatikoum Wanayan bahakoum wa nanchad all kaçid Wa ana kama essoltane zahi beinakoum www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire Yakounou dhalika el youm aid ma mithlouhou aid Wa ana ankabal fi sana wajnatakoum Kalou arakib ghayeb anna fi kouli leila Wanta sirta sahib Waghlab bilwassila Adjliss ala el maratib Wakhtar mina khalila Son attachement à I’timad commença au cours d’une promenade à la prairie d’argent sur le bord du Guadalquivir, accompagné de son ami Ibn ‘Ammar où il fit sa connaissance dans un cadre romanesque. C’est le coup de foudre en découvrant cette douce voix qu’est I’timad qui venait de donner la réplique du second hémistiche qu’ibn Ammar n’arrivait pas à improviser pour répondre au vers de son ami Al Mou’tamad. SEDUCTION PAR VERSIFICATION Après avoir répondu fidèlement aux questions posées, le promeneur a été pris en sympathie par les courtisanes et l'ont adopté comme amant. La confrontation entre le poète et les courtisanes se termine par une séduction fort appropriée envers celui qui auparavant semblait être inculte et ne connaissant rien de la mélodie chantée par les courtisanes. C'est toute une modulation d'une rêverie d'un promeneur qui avait épié les courtisanes en train de chanter dans les jardins dans toute la félicité de leur être. Dans la der- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . nière stance nous allons voir comment le poète et ses amantes doivent exalter leur volupté. ....أصغى إلى حسن السبــات و الوتــر الروض و أصغى إلى حسن القافيـــة أجلس....إذا تقوم بــدر بطــاسة اخلمـــر سريعــا فوق صحن اخلابيــة دعوا....قلت يــا غوالي آش فيكم من ينــام عليــا النوم و امـالوا الكؤوس إال....أنــا منامي صار على عيني حـــرام نريــد جلستكم بني الغـــروس ....أنــا دخيل ملن حضر في ذا املقـــام خلوني في دار من نـهوى جلـــوس طالـــع - لعبنـا لعبت معاهم – أمتـازحوا الكواعب العقل ـار غايب- القلب طـار معاهم سبحــان من نشاهم حتى جرت غرايـــب Wa esagha ila hosni essabti wal watari Wanassat ila hosni el ghina wal kafia Idha taksam bader bitssat al khamar Wajliss mourihen fawka sahni al khabia Koultou ya ghawali ach ayfidkoumManami daou alia anwma wa amalaou al kououss Ana manami sar an ayni haram Ala nourid djalsatakoum beina al gharous Ana dakhil men hadhar fi da al makam Khalaouni fi khadi man nahoua nabous Laabou laabet maahoum Wetmzahou al kawâib Al kalbou sar maahoum Wal aklou sar ghaib (100) Sobhan man djamâhoum Hata wadjdat gharaib DAMAI DJARA DANS LE MODE INSRAF MEZMOUM ....ودعتــهم و القلــب مني ينهمــر الدمع من عيني كفيــض الساقيــة ....املعتمد يقرأ الســالم ملن حضـــر مــــا دامت الدنيا وخمر الداليــة و....دمعي جرى على صحن خدي كاملطــر الروح في فرط الهوى في هاويــة Wadaatouhoum wal kalbou mini yanfatar Wa damou min ayni ka feidhi assakia El mouaatamed youkri assalam liman hadhar Madamati eddounia wa kharm adalia Damai djara an sahni khadi kal el matar Warouhou min farti al hawa fi hawiya. SCENE COURTISANE ET AMOUR – CHASTE Enfin on peut dire que Damaï djara est une scène courtisane de l'Andalousie ancestrale, une scène de la cour de Séville. C’est l'émanation de la société andalousienne une façon de peindre une passion. Un type de personnage que nous retrouvons dans toutes les poésies chantées du mouwachahat et du zadjal. C’est un univers propre à l'âge de l'Andalousie arabe. O combien l'amour chaste revient sur les lèvres des poètes. Supplément N° 30 - Décembre 2014. Chansons du Terroir Histoire Une illustration littéraire d'un type pittoresque incarné réellement dans les vers d'El Mou’tamad que chantent chez nous de nombreux interprètes et cheikhs tels Raymond Leyris, Hadj Mohamed Tahar Fergani, Hadj Abdelmouen Bentobbal, Salah Rahmani pour ne citer que ceux-là, sans oublier la jeune génération à sa tête Salim Fergani, un maître du jouer juste dont les performances ont montré ses aptitudes à maîtriser notre art. En fait, les timbres diffèrent spécifiquement d'un maître à un autre. en la présentant comme un astre de beauté et tant d'autres lui inspirèrent des moments de romance. Chez les Moulouk at tawa'if, l'amour du plaisir prit divers aspects. Amis, vin, musique, danse se mêlaient souvent dans des « majalis el ouns ». L'historien Ibn Bessam dans sa « Dakhira » a beaucoup décrit ces scènes. Aimait-il tant le vin pour avoir lui-même (Al Mou’tamad) écrit ces vers : BOUE D'AMBRE DE MUSC ET D'ESSENCE DE ROSE « Abreuve ton cœur de doubles rasades, car maint malade s'est ainsi guéri et jette-toi sur la vie comme sur une proie, car sa durée est éphémère. Quand bien même ta vie durerait mille ans pleins, il ne serait pas exact de dire qu'elle est longue. Te laisseras-tu ainsi mener par la tristesse jusqu'à la mort alors que le luth et le vin frais sont là qui t'attendent. » Comme dans Damaï djara, c'est toujours autours des courtisanes qui jouent du luth et chantent qu'Al Mou’tamad déguste le vin dont il dit qu'il est l'astre de Jupiter. Splendeur des courtisanes appelant leur muse à la limite de l'apothéose de leur passion au plus spectaculaire où s'affronte l'acceptation de l'autre dans une séduction toute linguistique et littéraire, telle est la substance de cette belle pièce de Damaï djara qui revient dans les récitals de toutes nos fêtes. Poète jusqu'à la chute de Séville, Al Moutamad sera ramené par Youcef Ibn Tachfin à Tanger puis près de Meknes. Le temps passe et se meurt. Le Des- El Mou’tamad est le prince andalou type de l'époque des taïfas. Les femmes ont occupé une place importante dans sa vie. Et parmi toutes ces beautés féminines, sans doute, c'est I'timad ar Rumakyya, femme d'une grande beauté, très capricieuse qui a eu le plus d'ascendant sur lui. On avait dit d'elle qu'en voulant imiter des campagnardes qui jouaient dans la boue, Al Mou’tamad lui fit apporter dans la cour du palais une énorme quantité d'ambre de musc, d'essence de roses et de parfum ; le tout pétri forma une couche épaisse de boue odorante dans laquelle la sultane et sa suite se promenèrent pieds nus portant des outres de soie, récit rapporté dans Touhfout El Arous. Les soupirs d'El Mou’tamad s'exhalent et ses larmes coulent lorsqu'il décrit lui-même Djawhara, cette courtisane qui occupa fort le prince LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE VIE EPHEMERE ET JOIE DU LUTH ( 101 ) tin en décidé ainsi. Il ne reste ni la gloire, ni la puissance. La poésie d’Al Mou’tamad durant son exil est la plus appréciée. Elle est l’expression de la dignité d’un homme dans le malheur après avoir vécu dans le bonheur. Une langue dépouillée sans fioritures car véhiculant des sentiments sincères et émouvants. Malgré le crime odieux qu’il commit sur la personne de son ami Ibn Ammar, il reste aimé dans le cœur des Andalous. PLEURER DES LARMES COMME DE LA PLUIE QUI TOMBE Faut-il pleurer aux souvenirs des beaux jours de l'Andalousie ? Pleurer des larmes plus que la pluie quand elle tombe ou de l'eau qui s'échappe de la fontaine. Al Mou’tamad mourut dans sa captivité à Agmât en Mars 1095 J.-C. Rabi El Awal 488 de l'Hégire après celle de son épouse I'Timad, enterré semble-t-il à Sidi Abbad. Beaucoup de poètes ont laissé sur lui des élégies touchantes telles que Ibn Labbana. Ses larmes ont coulé de ces chagrins qui emplissaient son cœur. Le spectacle bouleversant de sa mort fit pleurer tout le monde. Ibn Al Khatib nous a conservé une longue et émouvante élégie qu’Ibn Abdsamad composa à la mémoire d’Al Mou’tamad dont voici un extrait : « J’avais espéré que mes larmes apaiseraient ma tristesse dans un cœur embrasé www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire Un palais arabo-musulman en Andalousie Et voici que plus je répands mes larmes, plus l’ardeur de mes entrailles augmente. » Et lorsque les larmes ont cessé de couler et que le cœur brisé s’est réveillé, Al Mou’tamad fut emprisonné à Agmât, il nous laissa ces vers : إقنع بحظك في دنياك ما كانا وعز نفسك إن فارقت أوطانا في اهلل من كل مفقود مضى عوض فأشعر القلب سلوانا وإميانا أكلما سنحت لها ذكرى طربت لها مجت دموعك في خديك طوفانا أما سمعت بسلطان شبيهك قد بزته سود خطوب الدهر سلطانا وطن على الكره وارقب إثره فرجا واستغنم اهلل تغنم منه غفرانا Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . « Contente-toi de ton sort, quel qui soit en ce monde et console-toi, bien que tu aies quitté ses foyers. Dieu accorde une compensation pour tout être perdu, que la consolation et la foi remplissent ton cœur. Est-ce qu’à chaque fois qu’un souvenir émouvant se présente à l’esprit, d’abondantes larmes, tel un déluge, doivent se répandre sur tes joues. N’as-tu pas entendu parler d’un souverain tel que toi que les sombres vicissitudes du destin ont emporté. Prépare-toi à subir l’épreuve avec l’espoir d’en être délivré, demande à Dieu ta part du butin, il t’accordera le pardon. (102) (traduction de Hamdane Hadjadj- Al Mou’tamad Ibn Abbad Le Prince-poète) Damaï djara est l'expression musicale d'une symphonie qui plait à l'oreille, aux sens d'un moment de plaisir passé entre le poète et ses courtisanes, qui met en symbiose Constantine avec son inspiration sévillane dans les jardins humectés de rosée et balayés par les souffles de l’Andalousie. Une époque que la colombe pleurera Al Mou’tamad en survolant les hauteurs de Séville, un matin lumineux où cette femme voilée en noir de Constantine avait épuisé ses larmes. Dr Boudjemaâ HAICHOUR Supplément N° 30 - Décembre 2014. Ahmed Gadda, maquisard depuis 1948