480 Charlotte Levasseur Paquin

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480 Charlotte Levasseur Paquin
Charlotte Levasseur Paquin
909 142 142
Rapport de stage
HONDURAS
[480]
Remis à
Mme Sylvie Lapierre
13 Décembre 2012
Dans le cadre du cours
Stage international et interculturel
Du 25 septembre au 27 novembre 2012
PHT 3606
Université Laval
Automne 2012
Table des matières
Page de présentation……………………………………………….…………………page 1
Table des matières………………………………………………………..………..…page 2
Introduction………………………………………………………………….…………page 3
Contexte du stage………………………………………………………………....….page 3
La santé au Honduras………………………………..……………………………... page4
La réadaptation physique au Honduras………………………….……………..… page5
Milieu de stage……………………………………………………………..……...… pages 5-6
Vécu personnel social et professionnel ………...……………………..……….… pages 6-7
Accueil et intégration…………………………………….……….…… page 7
Encadrement et autonomie…………………………..….………….… pages 7-8
Clientèles et prise en charge……………………………….……….… page 8
Outils conçus/utilisés…………………………………....………..…… page 9
Réflexions: l'intégration professionnelle sans encadrement …………………...…… pages 9-10-11
Histoire de cas et importance du bio-psycho-social…...............................…pages 11-12
Conclusion……………………………………………………….……………………. page 12
Sources et références…………………………………………………………..…… pages 14-15
Introduction
Les tortillas et les baleadas n´ont qu´à bien se tenir, car je quitte le Québec pour vivre un stage
international et interculturel au Honduras. C’est après d'un an de dur labeur, de campagnes de
financement et de formations que je décolle pour l’Amérique centrale, le 25 septembre 2012. Et c’est
à la suite de 2 mois de dépaysement, d’adaptation et de 8 semaines de travail dans le centre de
réadaptation de Danlí que je reviens au Québec, grandie et satisfaite. J'ai connu la générosité des
Honduriens, l'imprévisibilité des stages à l’étranger, les impitoyables claviers hispanophones et j’en
passe. Le présent rapport traite de cette expérience de stage hors de l'ordinaire : y seront abordés le
contexte du stage, le système de santé hondurien, la réadaptation physique, le milieu de stage, mon
vécu personnel, ainsi que 2 réflexions portant sur des sujets qui m'ont davantage confrontée.
Bonne lecture!
Contexte du stage
Le stage international et interculturel en physiothérapie, c'est une opportunité inouïe de vivre la
réadaptation physique dans un contexte totalement différent du Québec et de s'imprégner d'une
autre culture. Mon choix de pays s'est arrêté sur le Honduras, par intérêt pour la culture latinoaméricaine et pour le défi de travailler en Amérique centrale dans une langue étrangère. Bordé par le
Nicaragua, le Guatemala et le Salvador, il héberge plus de 8 millions d'habitantsi dont 47% sont âgés
de 18 ans et moinsii,iii, ce qui en fait une population très jeune dont l'espérance de vie ne dépassait
pas les 72 ans en 2010iv,v. C'est un pays à la réputation malheureusement peu reluisante. On met
souvent de l'avant sa pauvreté, ses inégalités sociales et son taux d'homicide le plus élevé au monde
(86/100 000 habitantsvi ) et on se souvient du coup d'État de 2009 suite au renversement du président
Zelaya, qui avait projeté sur la scène internationale l'image d'un pays de violence, à la politique
corrompue. Malgré ces premières impressions, le Honduras n'en demeure pas moins un territoire
regorgeant de ressources naturelles et humaines, une nation généreuse pleine de richesses
culturelles. Maints organismes honduriens et étrangers y œuvrent dans le but de redresser les
problèmes sociaux, de fournir un soutien aux citoyens démunis et d'offrir des services à la
population. D'ailleurs, Mer et Monde est l'organisme non gouvernemental (ONG) québécois avec
lequel j'ai travaillé, par des formations prédépart au Québec et sur le terrain au Honduras. Sa
missionvii vise l'initiation de stagiaires à la coopération internationale et c’est un organisme solide sur
lequel j’ai pu compter lors de mon stage, de par sa fiabilité et son expérience.
La santé au Hondurasviii
Le système de santé hondurien est financé de deux façons: par le secteur public et le secteur privé.
Au public, le patient n'a rien à débourser, ou alors il s'agit de contributions symboliques volontaires.
Deux institutions principales se partagent ce secteur : la Secretarías de Salud (le secrétariat de
santé, SS), qui dirige le système de santé et offre des soins s'adressant à toute la population
hondurienne (bien que seulement 60%ix y aient accès de façon régulière), et l'Instituto Hondureño de
Seguridad Social (Institut hondurien d'assurance sociale, IHSS), qui s'adresse à toute la population
salariée du secteur formel de l'économie (emplois déclarés, représentant 18% x des Honduriens) ainsi
qu'à leur conjoint(e) et enfants de moins de 11 ans. Des « programmes de soins primaires»xi
garantissent l'accessibilité aux soins de base aux familles et travailleurs, le contrôle de maladies
transmissibles (dengue, malaria, ITS), traumatiques et chroniques, les soins de santé mentale, le
suivi lors de la maternité et la promotion de la santé. Ce qui peut paraître surprenant pour nous
Québécois, c'est que le système de santé publique hondurien n'est que très peu subventionné par le
gouvernementxii, qui n'apporte que 0,5% des fonds du IHSS. Du côté du SS, 76% des frais sont
financés par le trésor national, 11% sont apportés par l'aide internationale (qui a fortement augmenté
lors du coup d'État de 2009xiii) et 9% proviennent de l'aide de la population elle-même (via des
œuvres de charité, dons, téléthons, organismes). Il arrive aussi que des établissements soient semiprivés, c'est-à-dire qu'on demande au client de payer certaines parties du traitement ou du matériel
(gazes, attelle, radiographie, etc.). Le secteur privé pour sa part s'adresse à une clientèle mieux
nantie et possède des ressources technologiques et matérielles généralement plus importantes. Les
coûts relatifs aux soins du secteur privé sont défrayés par le bénéficiaire lui-même ou par des
assurances privées. Il est composé d'établissements indépendants (cliniques, hôpitaux privés et
professionnels indépendants) à but lucratif, mais il existe aussi des institutions privées où les soins
sont octroyés par des organismes sans but lucratif comme Vision Mondiale, Médecins du Monde,
Asociaciones de Pastores, ASHONPLAFA, etc.
Concernant les infrastructures sanitaires du pays, on les divise en trois échelons. Le niveau primaire
inclut les centres de santé ruraux, les centres avec médecins et odontologues, les cliniques de
maternité et les « cliniques périphériques d'urgence ». Le niveau secondaire comprend les hôpitaux
départementaux et régionaux, et le niveau tertiaire est formé des hôpitaux nationaux. Au total, avec
les trois échelons et les systèmes publics et privés, 6590 lits étaient disponibles en 2010 pour
recevoir des patients, ce qui faisait un taux de 0.81 lit pour 1000 habitantsxiv,xv À titre comparatif, ce
taux était de 3,4 lits/1000 habitants au Canada en 2010xvi .
La réadaptation au Hondurasxvii ,
Au Honduras, il est plus juste de parler de réadaptation, qu’on appelle rehabilitación ou terapia física,
puisque la pratique regroupe la réadaptation physique et occupationnelle en une seule profession.
Encore en émergence, la réhabilitation a fait son apparition officielle en Amérique centrale dans les
années 1940xviii , le besoin créé par une deuxième guerre mondiale et les épidémies de poliomyélite
de 1950 se faisant sentir. Autrefois, la carrière n'existait au Honduras que par des physiothérapeutes
et des thérapeutes du langage ayant étudié à l'extérieur du pays, au Mexique et aux États-Unis.
Depuis quelques années, la pratique s'est actualisée et le Honduras a vu naître ses premiers
thérapeutes formés dans le pays ainsi que la Sociedad Hondureña de Medicina Física y
Rehabilitación en 1993xix. Aujourd'hui, la formation de terapia funcional se donne à l'hôpital San
Felipe de Tegucigalpa, dans une technique universitaire de 3 ans, comprenant 6 mois de services
sociaux (stages de durée et milieux variables)xx. Les études en thérapie fonctionnelle couvrent les
bases de physiopathologie, d'anatomie, de biomécanique, d'électrothérapie, de prescription
d'exercices et de thérapie occupationnelle.
Une fois ses études terminées, le thérapeute est appelé à travailler dans divers milieux : hôpital
public, clinique externe, clinique et hôpital privés, centre de réadaptation, centre spécialisé. Comme
au Québec, il existe un grand éventail de champs de pratique (musculo-squelettique, neurologique,
traumatique, pédiatrie, amputés, blessés médullaires). Les spécialistes sont rares et nécessitent des
cours spécifiques suivis à l'extérieur du pays et dans sa pratique, le thérapeute est généraliste et
peut traiter des clientèles de tous âges, toutes pathologies. Les plus courantes sont les fractures,
tendinites, blessures sportives, amputations, blessures par arme (arme à feu, couteau, machette),
lombalgies et ACVs. La carrière ne possède toujours pas d'ordre professionnel au Honduras ni de
formation continue obligatoire, ce qui fait qu'il y a encore des inégalités quant à la mise à jour des
connaissances et la rigueur dans la pratique. La profession est beaucoup moins valorisée qu'elle ne
l'est au Québec, entre autres par méconnaissance de la population de ce nouveau concept qu'est la
réadaptation physique. Encore aujourd'hui, elle est en évolution et tente de prendre plus d’ampleur et
de reconnaissance.
Milieu de stage
Mon stage s'est déroulé au Centro de rehabilitación Gabriela Alvarado, à Danlí (~100 000
habitantsxxi ), à une centaine de kilomètres à l'est de Tegucigalpa. Il s'agit d'un petit centre de
réadaptation faisant partie du niveau primaire du système publique. Cet établissement coloré est
situé au cœur de la ville et traite une clientèle externe adulte (majoritairement) et pédiatrique,
généralement défavorisée. Il comporte une aire d'accueil et d'attente, un local pour les soins
pédiatriques et la thérapie du langage, ainsi qu'une aire pour la clientèle adulte, dont une salle
d'exercices (avec exerciseurs, barres parallèles et escaliers) et une dizaine de cubicules munis de
tables de traitement et fermés par des rideaux. Deux thérapeutes permanentes travaillent auprès des
enfants et trois auprès des adultes, accueillant à l'occasion des stagiaires honduriens et étrangers.
En plus de la directrice et de la secrétaire, une équipe de bénévoles travaille à l'administration et au
financement de l'établissement, via par exemple le téléthon annuel du centre.
Environ une trentaine de patients (nouveaux et réguliers) et une dizaine d'enfants de Danlí et des
environs sont reçus chaque jour au centre, sur référence médicale seulement. Le thérapeute remplit
une fiche d’évaluation à la 1re rencontre, mais sans note de suivi par la suite. L'accès au dossier
médical est inexistant et la note de référence souvent incomplète (pas d'indication sur les conditions
associées, les CIPs, la médication, ni le degré de consolidation). Le financement des soins change
selon le patient, variant du SS et IHSS aux assurances privées. Chez les adultes, les pathologies
sont surtout des cas musculo-squelettiques (fracture, post-chirurgie, trauma, entorse, tendinite,
lombalgie) et neurologiques (ACV, déconditionnement), mais on y traite aussi des polyneuropathies,
de l'oncologie et des dystrophies musculaires. En pédiatrie, on voit des retards de développement,
des prématurés, de l'ataxie de coordination et de la thérapie du langage.
Concernant le matériel, on emploie surtout l'électrothérapie (TENS,
ultrasons, laser et CIF), la
paraffine, les compresses chaudes ou froides et les exerciseurs (vélo stationnaire et elliptique).
Divers objets de base sont disponibles pour les patients: ballons, poids, sacs de sable, bandes
élastiques, table de verticalisation, planche d'équilibre et dinadisk. Aussi, des outils fabriqués avec
les moyens du bord servent à travailler la motricité fine (boulons et vis, poignée avec élastiques,
billes, etc.). Malheureusement, aucun instrument de mesure n'est disponible.
Expérience personnelle, sociale et professionnelle
Mon arrivée au Honduras se fait dans l'excitation, après un atterrissage impressionnant au milieu
des montagnes et des toits de tôle sur lesquels on semble s'écraser. Je me fais ensevelir par les
klaxons, les sifflements, les odeurs, la chaleur et l'espagnol. J’ai alors la tête qui rêve de projets et
d’échanges culturels, et je me demande de quelle façon le Honduras me changera. Puis, mes
objectifs évoluent au fil des premières semaines, se modelant à ma réalité et à celle du pays, car je
découvre que le travail à l'étranger est bien moins prévisible que ce que l'on pense. Sur le plan
personnel, ces deux mois furent pour moi une période de réflexion, de remise en question
personnelle et professionnelle et d'apprentissage du lâcher-prise.
Accueil et intégration
Voici tout d'abord comment s'est déroulée mon expérience d'un point de vue personnel et social. J'ai
fait mon entrée dans le pays sous la tutelle d'Isabelle Viens, ex-coordonnatrice de Mer et Monde, qui
s'est chargée de mon accueil et de mon intégration, m'offrant un soutien et une ouverture d'esprit
inégalés.
J'ai
beaucoup
aimé
travailler
avec
cet
organisme,
qui
m'a
bien
préparée
psychologiquement au travail à l'international et m'a sensibilisée à la réalité culturelle hondurienne,
en plus de m'encadrer sur le terrain dans le respect de mes besoins. Grâce à cette préparation et à
mes expériences de voyage antérieures, je n'ai pas ressenti de difficulté d'adaptation ni de choc
culturel, mis à part une certaine frustration de mon âme de féministe vis-à-vis le machisme
hondurien. Mon intégration dans ma famille et la communauté s'est très bien déroulée et je me suis
rapidement faite au quotidien hondurien. Je me suis bien intégrée à ma famille d'accueil, mais
j'avoue que je m'attendais à une vie familiale intense et que le mode de vie citadin et les relations
sympathiques, mais distantes entre moi et ma famille (qui était habituée à héberger des étrangers et
stagiaires) m'ont surprise. La ville de Danlí étant petite et chaleureuse, j'ai trouvé les gens aimables,
faciles d'approche. J'ai pu suivre des cours de danse quotidiennement et me sentir vite à l'aise dans
cette ville sécuritaire et tranquille.
Encadrement et autonomie
Je dois dire que c'est du point de vue professionnel que ce stage m'a le plus marquée, de par la
grande autonomie que j'ai acquise. J'ai eu la chance que Mer et Monde m'accompagne dans mon
entrée au pays, m'aide dans la recherche d'un milieu et m'offre son soutien tout au long de mon
expérience, mais en ce qui a trait à mon intégration dans le milieu de stage, elle s'est faite en toute
autodidaxie. J'ai été très peu encadrée par le centre de réadaptation. J'ai dû user de proactivité et
constamment prendre des initiatives pour m'intégrer à l'équipe et comprendre comment le milieu
fonctionnait logistiquement et professionnellement. J'ai moi-même instauré une période de 3 jours
d'observation et fait la transition avec la prise en charge totale de patients. Quel contraste avec
l'encadrement serré, planifié et légiféré des stages au Québec! J'en retire toutefois d'innombrables
apprentissages, ne serait-ce qu'au niveau de l'indépendance, de la fluidité de mes évaluations, de
mon organisation et de la confiance personnelle que cela m'a apportée. J'ai pu avoir une idée plus
concrète de l'emploi de physiothérapeute à moyen terme. Bien que je n'aie été supervisée à aucun
moment (j'en parlerai plus en profondeur dans la section « Réflexions »), je pouvais au moins
compter sur les conseils de mes collègues en cas d'incertitude. Malgré ces échanges formateurs et
appréciés, les formations de Mer et Monde m'avaient préparée à un travail de coopération
internationale plus intense, ce qui me donne l'impression d'avoir connu peu de collaboration
interprofessionnelle et de partage de connaissances dans leur bilatéralité. Une discussion avec le Dr
Madrid (physiatre et président de la Sociedad Hondureña de Medicina Física y Rehabilitación) m'a
appris que dans le pays, la coopération, l'étalage et le partage de connaissances étaient peu
communs dans certaines régions, dans le milieu de la réadaptation. C'est souvent par peur du
jugement ou sentiment d'infériorité, car il arrive que les thérapeutes de cette profession jeune et
changeante manquent de confiance en leurs connaissances devant de jeunes thérapeutes ayant
suivi une formation plus actuelle. Cela me semble bien expliquer la timidité des échanges, par peur
d'être jugé ou déprécié par un stagiaire pourtant moins expérimenté.
Clientèles et prise en charge de patients
Tel qu'énoncé précédemment, la prise en charge des patients était totale et je voyais plus ou moins
5 patients par jour. Côté clientèles, j'ai traité surtout des cas musculo-squelettiques comme des
tendinites d'épaule, des post-chirurgies au genou et des lombalgies, et j'ai commencé à voir
quelques cas neurologiques (AVC et déconditionnement) à ma troisième semaine. En travaillant
avec la clientèle AVC, je me suis surprise à beaucoup aimer travailler avec ces patients! J'ai
redécouvert la relation avec le bénéficiaire, le défi de travailler en étroite collaboration avec lui et
d'être très créative, le positivisme que cela requiert et la satisfaction de voir des progrès qui
deviennent tellement significatifs pour le client et sa famille. J'ai réalisé l'importance du bio-psychosocial chez cette clientèle. J'ai même réussi à terminer le traitement de quelques dossiers, tous types
de patients confondus, et à voir une évolution considérable aux niveaux physique, fonctionnel,
familial et de l'autonomie. Mon travail au centre de réadaptation représentait pour moi un défi
d'adaptation à la réalité hondurienne, tant au niveau du système de santé, son fonctionnement et ses
limites, qu'au niveau des conditions de santé des patients en tant que telles. N'ayant pas accès au
dossier médical, j'ai trouvé assez confrontant de parfois recevoir des patients qui se présentaient
dans une condition plus grave ou plus généralisée que le succin papier du médecin ne laissait
entrevoir. Il arrivait aussi que les conditions de santé de la personne dépassent le champ de pratique
de la physiothérapie, ce devant quoi je me sentis impuissante.
Outils conçus/utilisés
Les thérapeutes utilisaient beaucoup les compresses chaudes, la glace, le TENS et les massages.
Pour ma part, j'ai préféré employer ce que je connaissais des techniques de mobilisations passives
et accessoires, les étirements, le renforcement musculaire et la prescription d'exercices, que je
trouvais plus durables à long terme. L'une des grandes modifications que j'ai apportées à ma
pratique est bien sûr l'adaptation des exercices à la réalité hondurienne. J'ai dû créer quelques outils
de mesure, car je dois avouer m'être bien ennuyée des inclinomètres, rubans à mesurer et
chronomètres, que j'ai substitués par un « œil-o-mètre », une ficelle et règle pour mesurer l'enflure,
une horloge pour chronométrer. J'ai aussi conçu des outils pour travailler la motricité fine (ex. :
« coin-coin » en origami pour l'opposition des doigts, contenant de plastique troué dans lequel on
insère des billes pour la motricité fine) et modifier mon approche avec le client et mes exercices pour
les rendre plus fonctionnels et concrets. Devant le phénomène d'abandon de traitement assez élevé
au Honduras, j'ai réévalué la façon dont je faisais l'éducation au client et insisté davantage sur
l'explication de la pathologie et sur l'importance des traitements. J'ai appris à adapter la prescription
d'exercices à la réalité et aux moyens honduriens, en modifiant le matériel nécessaire (ex : utiliser
une chambre à air de vélo comme élastique, des poches de farine comme poids, appuyer une corde
sur la corde à linge pour faire une poulie pour les exercices d'amplitude à l'épaule) et en ajustant la
façon d'expliquer les exercices (ex: remettre un dessin des exercices à faire à la maison, démontrer)
Suite à ce stage, j'entrevois mieux les besoins de la population et je cerne mieux la réalité culturelle
hondurienne. J'imagine une foule de moyens de partager mes connaissances, par exemple via des
séances d'éducation qui pourraient être présentées à des groupes de patients pour accroître leur
compréhension de la physiothérapie et de leur état de santé, ou encore des ateliers de
sensibilisation auprès des jeunes.
Réflexions personnelles
Situation 1 : l'intégration professionnelle sans encadrement
Comme je l'ai mentionné précédemment, mon intégration dans le milieu et la prise en charge de mes
patients s'est faite sans la moindre supervision ni encadrement. Cela m'a laissée tout d'abord
perplexe de me sentir si peu accompagnée par mon milieu, et le questionnement de la conduite à
apporter s'est rapidement posé. D'un côté, j'avais en tête l'extrême prudence et les obligations
légales vis-à-vis les stagiaires au Québec, ainsi que la grande rigueur de la pratique canadienne. De
l'autre côté, j'étais devant l'obligation de compléter mon stage et de réponde aux attentes qu'on avait
envers moi, tout en faisant face à une différence culturelle dont j'ignorais l'ampleur et le fondement, à
la façon d'un iceberg dont on ne voit que la pointexxii . S'agissait-il de la façon de faire hondurienne ou
d'une particularité locale? En ne sachant pas si je pouvais ou non changer la situation, j'avais du mal
à faire la part des choses entre ce que je devais accepter et mes propres attentes. J'ai tout d'abord
tâté le terrain en discutant avec la directrice du centre de la possibilité d'être jumelée à une
thérapeute qui me superviserait. Comme mes propos n'ont pas été bien saisis même avec
reformulation, j'en ai déduit que le concept de supervision n'était pas chose courante au centre de
réhabilitation. J'ai donc choisi de prendre le contrôle de mon stage, acceptant le défi d'autonomie et
de proactivité que cela impliquait. « The show must go on »! J'ai proposé à certaines thérapeutes de
faire de l'observation avec elles durant une journée, et j'ai même pu co-évaluer des patients avec la
stagiaire hondurienne, ce dont je garde un beau souvenir de collaboration interprofessionnelle. De fil
en aiguille, d'observation en observation et de question en question auprès de mes collègues, j'ai
compris comment fonctionnaient le centre et la prise en charge des patients. Ce ne fut pas toujours
facile d'obtenir des informations complètes, mais j'y suis parvenue en posant mes questions sous
divers angles. J'ai aussi usé d'esprit critique et de mon expertise clinique pour faire la part des
choses entre les techniques employées par mes collègues et ce que je souhaitais faire de ma propre
pratique (ex : plus de rigueur, attention à l'ergonomie, formulaires d'évaluation plus complets, notes
de suivi) tout en respectant le contexte hondurien. Peu à peu, mon sens de la communication m'a
permis de développer des liens cordiaux avec les autres thérapeutes, auxquelles je demandais
conseils et opinions, et des relations chaleureuses avec mes patients, que je prenais en charge
complète et autonome dès le quatrième jour.
Cette situation, je ne l'ai comprise que plus tard, après une discussion avec Dr Madrid. Il m'a
expliqué que c’est un problème courant avec les stagiaires honduriens (quel soulagement!), car
certains milieux surchargés de patients ne peuvent se permettre le ralentissement que superviser un
stagiaire implique. Le stagiaire représente alors une main-d’œuvre à laquelle on impose un
rendement, risquant même de le surcharger de travail. Devant la nécessité compréhensible de
prioriser l'efficacité sur l'apprentissage individuel, certains milieux priorisent le patient et mettent de
côté leur rôle de formateur. Je me suis rendu compte lors de cette discussion que j'aurais dû me
tourner plus tôt vers les personnes-ressources honduriennes que je connaissais déjà. Je crois que
mon sens de l'initiative, ma capacité d'adaptation et ma débrouillardise ont été des atouts pour moi
face à cette situation, mais mon point faible serait d'avoir été trop indépendante en n'utilisant pas
assez les ressources humaines que j'avais hors Danlí. Je ressors tout de même de cette épreuve
avec une certaine fierté et plus d'assurance. Je retiens aussi l'expertise clinique et l’apprentissage
interculturel que m'a apporté la discussion avec Dr Madrid.
Situation 2 : histoire de cas et importance du bio-psycho-social
Cette situation s’est passée auprès d'un patient de 50 ans référé pour polyneuropathie diabétique. À
l'histoire, je comprends que le client souffre de diabète de type 2 depuis 6 ans et à l'évaluation, je me
rends compte de troubles de motricité fine évidents, d'un important manque de coordination et
d'équilibre à la marche et d'un certain déconditionnement, possiblement aggravé par la diminution de
proprioception et de sensation due au diabète. Avoir de tels troubles d'équilibre et de coordination
m’avait paru surprenant chez un diabétique si récent, d'autant plus que le diabète de type 2 peut être
réduit par une modification des habitudes de viexxiii , et je soupçonnais l'influence d'une autre
composante (psychologique, condition associée, trouble de coordination, ataxie cérébelleuse) que je
ne réussissais pas à cerner ni à faire ressortir lors de l’examen. Mon premier réflexe pour répondre à
ce questionnement fut d'approfondir mes recherches sur la pathologie, afin de faire la part des
choses entre ce qui relevait de la polyneuropathie et ce qui pouvait provenir d'ailleurs. J’ai donc
appris que la diminution de sensation et les douleurs pouvaient en effet être présentes chez le
diabète de type 2xxiv (d'autant plus que la modification des habitudes de vie n'est pas toujours aisée
au Honduras, les gens étant souvent peu informés sur le sujet) et que le « reconditionnement à
l'effort »
xxv , xxvi
était une avenue de traitement tout indiquée pour la condition de mon client. Mais ce
qui a réellement fait « débloquer » le cas, c'est une conversation informelle avec la mère du patient
qui l'accompagnait à ses traitements, au moment où ce dernier était occupé dans un autre local.
Sous le regard inquiet de la mère qui confessait ses craintes, j'ai appris qu'il souffrait de dépression
(qu'il ne m'avait pas mentionnée lors de l'énumération des conditions associées, peut-être par gêne
ou incompréhension de la maladie) et qu'il restait cloîtré dans sa chambre, ne sortant que pour aller
à ses séances de physiothérapie. Inutile de dire que ce détail changea mon approche et ma vision
du problème! D'un questionnement théorique, je ressortis avec des réponses psycho-sociale qui
m'éclairèrent davantage. Je sentais bien que la situation attristait la famille, ajoutait de la pression
sur les épaules de la mère et influençait l'évolution du patient, aussi savais-je que je gagnais à
employer une approche bio-psycho-sociale. Avec les conseils de la dame, j’ai décidé d'augmenter la
fréquence des traitements pour améliorer la motivation, la stimulation et le niveau d'activité du
patient, et de prendre le temps d'expliquer à sa famille sa condition, dans la mesure de ce que j’étais
apte à faire. J’ai aussi expliqué au patient l'importance de la reprise d'activités physiques et de la
marche, insistant sur les progrès dont il est capable. Au bout de 6 semaines de traitements à une
fréquence de 2 à 3 fois par semaine, j'ai vu une nette différence dans son endurance musculaire, son
équilibre, son niveau d'activité, sa dextérité et sa motivation, en plus de sentir un détachement et une
confiance plus grande du côté de la mère. À mon départ, j'ai dû transférer mon patient à une autre
thérapeute puisque le traitement n'était pas encore terminé, mais je suis très fière de ce qu'il a
accompli et je lui souhaite la meilleure des continuations.
De mes points forts, je note mon professionnalisme, mon écoute et mon humanité qui m'ont donné la
confiance du client et de sa famille. Je retiens également qu'au début, j'ai fait l'erreur de m'être trop
concentrée sur le « bio » et que je gagnerais à approfondir plus l'histoire et questionner davantage
sur la situation familiale et personnelle, pour peindre un portrait psycho-social plus complet. J'ai
compris combien le bio-psycho-social est important, et ce dans toutes les cultures. Cela permet de
faire évoluer des situations qui paraissent de prime abord insolubles. Il est vrai qu'au début, c'est
intimidant de le faire dans un contexte interculturel, dans une autre langue, d'autres mœurs et avec
des ressources qu'on connaît peu ou qui sont moindres. C'est tout un défi, mais un défi qui devient
toute une solution.
Conclusion
Pour conclure, je ressors de ce stage plus mûre professionnellement et avec mes objectifs atteints :
compréhension culturelle, autonomie professionnelle, adaptation à la réalité hondurienne, maîtrise de
l’espagnol. J’ai gagné une plus grande expertise clinique, que j’espère pouvoir ajouter à ma pratique
future. J’ai testé ma créativité et ma débrouillardise et appris l’importance de l’enseignement au
patient et de l’éducation à la population. J'ai réalisé combien belle pouvait être la profession au
Québec, et combien chanceux nous étions de vivre dans la société québécoise dont j'admire plus
que jamais les valeurs, l'identité et les ressources. Je n'ai pas eu le temps d'exploiter l'aspect
éducationnel et la sensibilisation du public, mais prendre conscience du besoin et des façons de le
remplir est déjà un accomplissement… De quoi m'inspirer de projets communautaires au Québec et,
pourquoi pas, d'objectifs de stages internationaux futurs?
RÉFÉRENCES
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