Homélie pour l`Office des Vêpres de saint Alban Mgr Jean

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Homélie pour l`Office des Vêpres de saint Alban Mgr Jean
Homélie pour l’Office des Vêpres de saint Alban
Mgr Jean-Charles Descubes, Archbishop of Rouen
Qu’il me soit permis tout d’abord d’exprimer ma gratitude à Son Excellence Mgr J. Smith, évêque de
Saint Albans, au doyen et à l’ensemble du chapitre de votre cathédrale. Je considère comme un grand
honneur leur invitation à participer, en présence de Sa Grâce Mgr J. Welby, archevêque de Canterbury et
primat de l’Eglise d’Angleterre, au pèlerinage de saint Albans, premier martyr d’Angleterre, et au
neuvième centenaire de la consécration de cette magnifique église abbatiale.
Depuis plus d’un siècle, le mouvement œcuménique rend lentement visible la communion de nos Eglises.
La rencontre de leurs traditions mais aussi de leurs réformes, de leurs initiatives et de leurs innovations
nous permet de discerner ensemble ce que l’Esprit Saint souhaite nous voir vivre. L’Evangile demeurera
alors une bonne nouvelle pour notre temps ; chacun l’entendra dans sa propre langue. « Père très saint,
garde mes disciples dans la fidélité à ton nom […] pour qu’ils soient un comme nous, dans l’amour. »
Bède le Vénérable nous raconte que, païen, Albans a accueilli chez lui un prêtre chrétien. Il l’initia à la foi
chrétienne et le baptisa. Pour sauver ce dernier de la persécution, Albans prit les habits de son hôte et se
livra à sa place. Il fut exécuté un 22 juin (probablement en 303 ou 304).
« La gloire de son triomphe a été si éclatante qu’elle s’est répandue dans toute l’Eglise » écrira le poète
Venance Fortunat à la fin du VI° siècle.
Dans son Eloge des Archevêques de Rouen, Dom François Pommeraye, un moine mauriste de l’abbaye
Saint Ouen de Rouen, rapporte qu’à la faveur d’un séjour dans votre pays, l’archevêque Geoffroy
consacra l’église de l’abbaye Saint Albans. « Cette dédicace se fit le jour des Saints Innocents (en 1115
ou 1116 – les sources divergent), en présence du Roi, de la Reine et de plusieurs autres personnes de
marque. La vaste étendue de cet édifice sacré, fut cause que la cérémonie dura longtemps et fatigua si
bien notre archevêque qu’il fut obligé de se reposer et de laisser achever à Robert, évêque de Lincoln, la
consécration qu’il avait commencée ! »
« Le croyant est fondamentalement quelqu’un qui fait mémoire » (Pape François, Exhortation apostolique
La joie de la foi, 13). Il est important de ne pas oublier que nous sommes des héritiers.
Nos églises de pierres doivent leur nom au peuple qui s’y rassemble. On ne peut vivre sans racine ni
tradition. A travers les siècles, elles nous indiquent la direction du ciel non pour s’y évader mais pour se
libérer de tout enferment et de tout sectarisme. Dans une société sécularisée, de rentabilité et d’efficacité,
elles sont pour tous des espaces de beauté, de sérénité, de solidarité et de silence. On ne peut vivre sans
transcendance. Pour nous, chrétiens et par grâce, elle a un nom et elle est une personne vivante. La
lumière du Christ illumine le temps. C’est à cette lumière que nous vivons l’enchainement du passé, du
présent et de l’avenir. Nous l’accueillons dans la foi. Cette lumière nous donne la distance nécessaire pour
discerner, dans l’enchevêtrement du bien et du mal, ce qui sert le règne du Christ : l’épanouissement et la
croissance des hommes et des femmes de notre commune humanité sans exception aucune. Tel est le
grand projet de Dieu.
Certes, c’est à l’Etat que revient la responsabilité politique de trouver un équilibre pour maintenir la paix
sociale, promouvoir la dignité des personnes et l’unité des familles.
Mais, sans en revendiquer le monopole et en raison de la mission que le Christ leur confie, nos Eglises
servent la conscience de l’humanité. Ce n’est jamais en se repliant sur la défense d’intérêts particuliers
mais c’est en développant un esprit de service mutuel que notre société vivra en paix dans le respect des
libertés fondamentales : une nécessité particulièrement actuelle en ces temps qui connaissent tant de
drames liés aux migrations. La politique est une des formes les plus achevées de la charité.
Certains pensent que le monde va de mal en pis ; des prophètes de malheur se chargent de le dire.
D’autres estiment que pour vivre nous n’avons pas d’autre choix que de consentir aux réalités telles
qu’elles sont, et à nous défendre comme nous le pouvons face aux menaces qui pèsent sur notre sécurité.
D’autres encore consentent à vivre sans but, sans réponse aux questions que toute personne se pose un
jour ou l’autre sur sa vie, sans espoir, dans la passivité, l’indifférence, la perte de vitalité ou dans la
violence. Convertir ces conceptions est notre vocation et notre mission. En faisant refleurir l’espérance,
nous libèrerons nos sociétés des angoisses dans lesquelles elles s’enferment quitte, pour ceux qui en ont
les moyens, à les oublier dans une frénésie de plaisirs et de consommation. Nous ne sommes pas laissés à
notre solitude et à nos errements.
Dieu nous aime tels que nous sommes avec nos qualités et nos faiblesses, nos caractères et nos
imperfections. Dieu continue par Jésus et son Eglise à guérir physiquement et surtout moralement, à
prononcer les paroles qui ont fait se soulever une si grande espérance aux premiers temps de l’Evangile :
espérance pour les pauvres et les petits car il est le garant indéfectible de leur dignité ; espérance pour
ceux que brise une séparation ou un deuil car il vient les visiter au cœur de leur détresse.
Seule une plus grande solidarité entre les pays mais aussi entre évitera que se détruisent eux-mêmes ceux
qui condamnent et rejettent les valeurs fondamentales de l’humanité parce qu’ils ont le sentiment d’avoir
été eux-mêmes condamnés ou rejetés par la société ou tout au moins peu écoutés.
Seule une courageuse confession de foi permettra à notre monde de ne pas se tromper de Dieu. Encore
faut-il que notre pédagogie soit celle du Christ invitant ceux qu’il rencontre à être eux-mêmes en vérité :
une mission particulièrement urgente alors que progresse la radicalisation de ceux qui, victimes d’une
autorité diluée, sont en déficit des références qui leur permettraient de se construire et de se guider dans
une liberté structurée.
C’est dans ce monde, dans une société aussi troublée et aussi peu pacifique que la nôtre que la Parole de
Dieu est venue habiter et continue d’habiter. Le dernier mot n’est pas resté à ceux qui l’ont refusée et tuée
mais à Dieu qui l’a ressuscitée. Ne désertons pas le service que Dieu attend de nos Eglises et de chacun de
nous. Il nous appelle, vivants ou morts, à être des sujets qui debout devant sa face.
« Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances,
ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est
dans le Christ Jésus notre Seigneur. »
Dans les conditions de son époque saint Albans nous en laisse le témoignage.
Mgr Jean-Charles Descubes, Archbishop of Rouen
English Translation
May I begin by expressing my gratitude to the Right Revd Alan Smith, the Bishop of St Albans, and to the
Dean and Chapter of your Cathedral ? I am very honoured by your invitation to join his Grace, the
Most Reverend Justin Welby, Archbishop of Canterbury and Primate of the Church of England, in this
pilgrimage in honour of St Alban, England’s first martyr, especially during the nine hundredth anniversary
of the consecration of this magnificent abbey church.
For over a century the ecumenical movement has slowly been making the communion of our Churches
visible.
The sharing of traditions, but also of reforms, initiatives and innovations helps us to discern together the
will of the Holy Spirit for our common life. When this happens the Gospel can truly be seen to be good
news for our time, heard by everyone in their own language. ‘Holy Father, protect them in your name…
so that they may be one, as we are one, in love’.
The Venerable Bede tells us that, whilst still a pagan, Alban welcomed a Christian priest into his home.
This priest then initiated Alban into the Christian faith. To save the priest from persecution, Alban took
the clothes of his guest and gave himself up in his place. He was executed on 22nd June, probably in the
year 303 or 304.
At the end of the sixth century the poet Venantius Fortunatus wrote that such was the glory of Alban’s
triumph that it spread throughout the whole Church.
In his work In praise of the Archbishops of Rouen, Dom François Pommerayes, a Maurist Benedictine of
the Abbey of Saint Ouen in Rouen, reports that during a visit to your country Archbishop Geoffrey
consecrated the church of St Albans Abbey. ‘This dedication took place on the Feast of the Holy
Innocents (in either 1115 or 1116 – the sources disagree), in the presence of the King, the Queen and
several other people of note. Such was the size of this holy building that the ceremony was prolonged
and our exhausted archbishop was compelled to rest and allow Robert, Bishop of Lincoln, to complete
the consecration which he had himself begun!’
In his apostolic exhortation, ‘The Joy of the Gospel’, Pope Francis writes that ‘The believer is essentially
one who remembers’ . It is important not to forget that we are inheritors of the past.
Our churches are built of stone : the name ‘church’ really belongs to the people who gather in them.
We cannot live without roots or tradition. Through the centuries our churches have pointed us
towards heaven, not as a form of escape, but to free us from all closed-mindedness and from
sectarianism. In a secular society obsessed with profitability and efficiency, our churches offer everyone
a place of beauty, peace, solidarity and silence. We cannot live without a sense of the beyond. For us
Christians, by God’s grace, the transcendent has a name, is a living person. The light of Christ shines
through time itself. In his light we realise how past, present and future all interconnect. We receive this
light by faith. It enables us to stand back from the bewildering entanglement of good and evil in the
world, and to discern the things that really do serve Christ’s kingdom: the flourishing and growth of
each and every member of our shared humanity, male and female. This is God’s grand plan.
Of course it is the State that has the political duty to create the conditions for preserving social
harmony, and for promoting human dignity and the unity of the family. Yet because of the mission
entrusted to us by Christ, our two Churches serve the human conscience, even if we have no monopoly
on conscience. It is not through defending our own self-interest but through developing a spirit of
mutual service that our society will be at peace, along with a respect for fundamental freedoms. This is a
very urgent, topical subject, given the dramatic stories about migration that we are now seeing. In an
advanced society politics should be the practical outworking of charity.
Some think the world is going from bad to worse. Prophets of doom see it as their task to tell us so.
Others take the view that in order to live we have no choice but to accept reality as it is and to defend
ourselves as best we can in the face of all that threatens our own security. Others are resigned to a life
without purpose, not even trying to answer the questions about life we all ask at one time or another a life which is hopeless, passive, indifferent, bereft of energy, or in which despair erupts into violence. It
is our vocation and mission to convert these ways of thinking. By rekindling hope we can free society
from crippling anxiety – even including those who try to forget their anxieties, if they have the means, in
a frenzy of pleasure and consumption. We are not left to err and stray in solitude. God loves us as we
are, with our good points and our weaknesses, our strength of character and our imperfections.
Through Jesus and his Church God continues to bring physical and especially spiritual healing,
proclaiming the words which brought such great hope in the early days of the Gospel. It is hope for the
poor and the insignificant, because it is the unshakeable guarantee of their dignity ; it is hope for those
shattered by broken relationships or bereavement, because it enters into the very heart of their
distress.
Those who condemn and reject basic human values do so because they themselves feel condemned and
rejected or at least ignored by society. Only a greater solidarity between countries and peoples will
prevent them from destroying themselves.
Only a bold statement of faith will save our world from false ideas about God. We have to teach and
preach the Christ who invites those he meets to be truly themselves. This mission is particularly urgent,
given the growing radicalisation of those who have become victims of a weakened authority, and no
longer have the points of reference they need to build a framework for a life that is civilised and free.
It is into this world, and into a society just as troubled and anxious as ours, that the Word of God came
to live, and where he continues to live. The final say is not with those who rejected and killed the Word
but with God who raised him up again. We must not abandon the duty which God has laid on our
Churches and on each one of us. He calls us, in death and in life, to stand and be accountable before
him.
‘Neither death, nor life, nor angels, nor rulers, nor things present, nor things to come, nor powers, nor
height, nor depth, nor anything else in all creation will be able to separate us from the love of God in
Christ Jesus our Lord’.
As he speaks to us still today, St Alban bears testimony to this truth.
Sermon preached at Evensong in celebration of the Alban Pilgrimage
Saturday 20th June 2015
Mgr Jean-Charles Descubes, Archbishop of Rouen

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