Bulletin de veille stratégique, août

Transcription

Bulletin de veille stratégique, août
Volume 10, numéro 2, juin 2013
Dans ce numéro
Collaborations externes....................................................................................................2
Identité nationale et intégration selon René Lévesque. .......................................................... 2
Stratégie interculturelle : une vision d’ensemble en trois volets............................................. 3
Travailleurs saisonniers mexicains et agriculture du Québec ................................................ 5
De quoi la citoyenneté active est-elle le nom ?...................................................................... 8
Immigration ......................................................................................................................11
Migration et changements environnementaux ..................................................................... 11
Développement économique : l’apport confirmé de l’immigration ................................... 12
Recrutement des étudiants internationaux : diversification en vue..................................... 13
Huit politiques pour accroître la contribution de l’immigration de
travail .......................................................................................................................................... 14
Intégration ........................................................................................................................15
Adaptation des interventions : état des pratiques ................................................................. 15
«Identités à trait d’union», une menace pour la cohésion sociale? .................................... 16
Ouverture à la diversité ..................................................................................................17
Modèle de gestion de la diversité en Catalogne .................................................................. 17
Sujets divers ......................................................................................................................18
Principe de l’exception culturelle remis en cause en Europe .............................................. 18
Sortie de crise économique: focus sur la population immigrante ....................................... 19
Fin de l’expression « Illegal immigrant » ................................................................................. 20
Réalisation de la Direction de la recherche et de l’analyse prospective (DRAP)
Anne-Marie Fadel, directrice
Coordination : Lucie Bernier, agente de recherche et de planification socio-économique
Mise en pages : Line Gosselin
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Stratégie interculturelle : une vision d’ensemble en trois volets
Ricard Zapata-Barrero, professeur de sciences politiques, Université
Pompeu Fabra (Barcelone, Catalogne, Espagne). Directeur du
Groupe de recherche interdisciplinaire en immigration (GRITIM-UPF).
Expert au programme des Villes Interculturelles du Conseil de
l’Europe.
L’interculturalisme en tant que discours politique a permis au Québec
de se distancier du multiculturalisme canadien (Alain G. Gagnon,
2009). Comme stratégie politique, elle peut être un instrument
capable de réduire l’espace du racisme et de la xénophobie par une
nouvelle approche des politiques publiques (Zapata-Barrero, 2011).
L'interculturalisme que je voudrais présenter constitue une vision
d’ensemble qui englobe trois volets complémentaires : le volet du
contrat social que j’identifie avec Gérard Bouchard (2012), le volet
de la cohésion sociale de Ted Cantle, (2012) et le volet constructiviste
selon ma propre lecture de l’approche liée aux « avantages de la
diversité » de Phil Wood et Charles Landry (2008).
Trois plans communs à ces volets constitutifs d’une vision d’ensemble
peuvent être distingués :
1) La promotion d’une « technique de l’interaction positive», un
processus dynamique qui résulte du contact réciproque.
2) Une approche centrée sur la personne, définie comme porteuse
d’expressions d'identité différentes. La culture est ici considérée en
termes dynamiques, de sorte que les personnes peuvent entrer et
sortir librement de leur catégorisation culturelle. Par exemple, un
Québécois peut être libre d’être musulman, un arabe d’être chrétien
ou athée. La nationalité ne peut, en conséquence, prédéterminer un
comportement, une langue, une conception du monde.
Sources bibliographiques
BOUCHARD. Gérard,
L’interculturalisme: un point de vue
québécois. Montréal. Boréal. 2012.
CANTLE, Ted. Interculturalism: The
New Era of Cohesion and Diversity.
London. Palgrave. 2012.
CONSEIL DE L’EUROPE. Living Together
As Equals in Dignity. White Paper on
Intercultural Dialogue. Strasbourg.
Conseil de l’Europe. 2008.
GAGNON, Alain-G. « Immigration in a
Multinational Context : From laissezfaire to an Institutional Framework in
Quebec » in R. Zapata-Barrero, éd.,
Immigration,
Self-Government
of
Minority
Nations.
Presses
interuniversitaires
européennes.
Peter
Lang. Pages 39-55. 2009.
SEN, Amartya. Inequality reexamined.
New York. Oxford University Press.
1992.
WOOD, Phil. & Charles LANDRY. The
Intercultural City: Planning for Diversity
Advantage. London. Earthscan. 2008.
ZAPATA-BARRERO,
Ricard.
Antiimmigration populism: Can local
intercultural policies close the space?
Discussion Paper - Policy Network 1-9.
2011.
À partir de ces deux points, il appert que l’interculturalisme vise la
promotion des rapports, parce qu’on voit ici une fonction de
socialisation, de se connaître mieux pour vivre ensemble, sans
préjudices avec une éthique de respect de la différence. Ces
rapports peuvent être verticaux (avec l’État), horizontaux (avec les
autres membres de la société), ou bien viser le développement
réciproque des parties impliquées.
3) On constate qu’il y a au moins trois possibles hypothèses pouvant
justifier l’intervention en matière de diversité et qui sont à la base de
trois volets différents des politiques interculturelles.
Hypothèse sociale: la diversité tend à provoquer la ségrégation et
de l'exclusion, et à réduire le sentiment d'appartenance de la
ville.
Hypothèse politique: la diversité tend à modifier l'expression de
l'identité nationale du pays d’accueil, les valeurs traditionnelles
qui assurent la stabilité et le sens de la loyauté d’une société.
1
Hypothèse culturelle : la diversité tend à fermer les possibilités de
développer les capacités culturelles des citoyens et des
immigrants, qui ne sont pas pleinement développés dans une
société diversifiée. L'interculturalisme, en tant que technique
d'interaction positive, cherche alors à donner aux personnes les
moyens de développer leur créativité.
Mon argument est qu’à partir de chaque hypothèse se développe
une théorie : théorie sociale de la diversité, théorie de l’État, théorie
culturelle de la diversité, qui constitue un volet particulier des
politiques interculturelles : volet cohésion, volet contractuel, volet
constructiviste.
Volet cohésion : tend à vouloir transformer les zones initiales de
conflit en zones de contact pour assurer une situation optimal
de « vivre ensemble », d’inclusion sociale.
Volet contractuel : vise à accepter les changements
nécessaires de la tradition nationale dans un contexte de
diversité, tout en préservant le contrôle de ces changements
afin d’en gérer les effets possibles sur les citoyens nationaux,
notamment en équilibrant le rapport entre diversité et
tradition nationale, et donc sans affecter la loyauté des
citoyens et les droits des immigrants.
Volet constructiviste : vise la personne selon «ce que chacun
veut, peut, et est capable de faire ». Cette définition de la
capacité s’oppose à la perspective utilitariste qui définit
l'égalité en termes de biens matériels ; elle s'applique aux
biens et aux ressources primaires culturelles dont les gens ont
besoin pour réaliser leur vision particulière du monde, dans un
contexte de promotion de l’innovation et la créativité.
Il y a bien sur un lien entre la théorie politique sociale de Ted Cantle et
la théorie politique d’État de Gérard Bouchard de la diversité. Grâce
à la première, on assure le sentiment d’appartenance qui est clé
pour le second. Mais aussi dans l’autre direction, le sens de la loyauté
des nationaux, spécialement important lorsqu’il peut avoir des
sentiments d’identité partagés comme au Québec.
Les deux premières théories reposent sur une perspective commune:
celle des droits humains individuels. Le volet constructiviste se fonde
sur une notion d’égalité différente : au sens de capacités et non au
sens matériel ou de droits. C’est cette idée que j’emprunte à
Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998, que je propose
appliquer. La diversité est une ressource pour l’innovation et la
créativité, un bien public qu’il faut savoir distribuer afin qu’elle
développe les capacités créatives de la société et de sa population.
C’est ici qu’une citoyenneté basé sur les rapports culturels prend un
sens, autres les droits civils, sociaux et politiques.
En résumé, nous avons trois volets de politiques interculturelles qui ne
sont pas contradictoires, qui s’appliquent à différents degrés selon les
besoins concrets et différenciés de villes, leur coexistence donnant
une vision d’ensemble. Ma conviction est que cette complémentarité
2
des trois volets ne peut être que bénéfique pour générer une
dynamique sociale, politique et culturelle nouvelle, liée à la diversité.
La vision d’ensemble que je défends nous dit que le secret du succès
de la stratégie interculturelle n’est pas de défendre une voie contre
les autres, mais de les équilibrer. Ces trois volets peuvent très bien
définir le cadre d'un nouveau paradigme, qui affecte des politiques,
des comportements, des routines sociales et institutionnelles, des
pratiques culturelles et artistiques, des programmes de gestion
administratifs. Sans cette valeur ajoutée l’interculturalisme peut très
bien être une nouvelle phase du processus historique de gestion de la
diversité, mais sans atteindre le niveau d'être un nouveau paradigme
historique des sociétés démocratiques, particulièrement adapté pour
les gouvernements locaux.
Site de Ricard Zapata-Barrero :
http://dcpis.upf.edu/~ricard-zapata/
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