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Lumières Entretien
ATMOSPHÈRES LUMIÈRES
Parcours
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Issue d’une famille d’artistes,
Sara Castagné s’oriente vers les
arts plastiques, la mise en espace
et la scénographie avec le désir
de créer des espaces qui génèrent
des atmosphères et procurent des
émotions. Son mémoire de master
d’arts plastiques, option mise en
espace, Université Paris VIII, porte
sur le pouvoir de la lumière à
prolonger le geste artistique d’une
œuvre d’art.
Elle passe un an au Parc Disney,
au département lumière de la
division spectacle, puis apprend
le métier de la conception, alors
qu’il était en train de s’inventer,
auprès de Roger Narboni, agence
Concepto. Dix ans plus tard, elle
rejoint Vincent Thiesson, agence
ON, puis crée LUMINOcité en
2009. Aujourd’hui, Sara Castagné
travaille dans divers domaines :
urbain, paysager, architectural,
scénographie, en extérieur et en
intérieur ; la plupart du temps en
maîtrise d’œuvre sur des projets
d’aménagement public et privé.
Sara CASTAGNÉ
Conceptrice lumière, LUMINOcité
« La manière de façonner la lumière permet de créer des atmosphères »,
un objectif que Sara Castagné place au cœur de toutes ses réalisations.
Cette maîtrise de la technique, accompagnée de méthode et de rigueur,
ouvre des champs d’exploration qui permettent d’exprimer des
émotions, quel que soit le lieu, banal ou extraordinaire, et de réinventer,
à chaque fois, le projet.
Diriez-vous que votre approche de la conception
lumière est intuitive ?
Enfant, je naviguais dans le monde de
l’architecture, du théâtre et de la création, tout
cela me paraissait normal. Naturellement je me
suis orientée vers les arts plastiques, vers la mise
en espace et la scénographie avec le désir de
créer des espaces qui génèrent des atmosphères
et procurent des émotions. Instinctivement,
mon premier regard sur la lumière a été de
comprendre qu’elle avait la capacité révéler des
matières, des formes, des espaces et des âmes.
Mais, pour y parvenir, l’intuition ne suffit pas : il
faut travailler la technique, acquérir un savoirfaire, tout en s’inspirant du lieu, de l’usage qui en
est fait. Ainsi, LUMINOcité a travaillé à
« contre-courant » deux mises en lumière très
différentes : nous avons cherché à créer une
atmosphère originale et démonstrative qui
© Nicolas Wilmouth
Aménagement de l’espace grotte à Lourdes
– maître d’ouvrage Le sanctuaire de Lourdes –
Architectes INCA, paysagistes ALEP
16 - LUMIÈRES N°16 - OCTOBRE 2016
enchante la gare routière d’Évry-Courcouronnes,
tandis que l’éclairage de la grotte de Lourdes
connaît une ambiance plus discrète, qui en
atténue l’aspect dramatique.
Quid des projets urbains ? Peut-on porter le
même regard sur un quartier, voire une ville ?
La méthodologie est différente mais notre
approche reste la même. Aude Grard, urbaniste
de formation, qui m’a rejointe à l’agence en
2012, est naturellement devenue notre
« urbaniste lumière ». Au-delà des techniques
propres aux mises lumière de promenades
nocturnes, de campus, de places, nous passons
systématiquement par une phase d’étude des
comportements des usagers et organisons pour
nos projets une concertation avec les habitants.
C’est ce que j’appelle « révéler les âmes ».
L’urbain, au sens large, bouge sans cesse, et ce
Lumières Entretien
Vous voulez dire que créer des atmosphères
lumière en intérieur fait désormais partie des
habitudes ?
Je n’irais pas jusque-là, mais c’est bien accepté
et même demandé. Partant de l’urbain,
© LUMINOcité
Mise en lumière de
la gare routière
d’Évry-Courcouronnes
- Maître d’ouvrage
Évry Centre Essonne Livraison 2012
LUMINOcité a développé au fil des années des
compétences dans d’autres domaines tels que
le paysage (espaces naturels), l’architectural
(extérieur et intérieur) et la scénographie
(musées) pour répondre à des demandes
spécifiques. Nous avons notamment travaillé
avec les agences d’architectes Deshoulières
& Jeanneau et Sogno Architecture sur la
réhabilitation du site Oscar-Niemeyer, Le Volcan,
au Havre.
Inscrit dans la mise en valeur du patrimoine du
périmètre Unesco, le site Niemeyer structure la
focale de la perspective du Bassin de Commerce,
il est un lieu de vie nocturne. Le bâtiment a été
pensé pour recueillir la lumière naturelle avec
une face au sud sensuelle, fortement éclairée
par le soleil et une face au nord plus abrupte,
qui recueille l’ombre. Dans le respect de la
forme architecturale, la mise en lumière du
Volcan réinterprète le travail de Niemeyer avec
une touche de lumière unidirectionnelle, légère
et évanescente, venant du sud. À l’intérieur,
dans le théâtre et la bibliothèque, la lumière
devait épouser les formes arrondies du béton
omniprésent. Pour l’éclairage général, nous
avons transformé les lustres acoustiques en
nuages lumineux dont le flux est à la fois
direct et indirect. Ils sont équipés de tubes
électroluminescents à cathodes froides et une
gradation numérique fait varier l’éclairage
artificiel selon les apports de lumière naturelle.
La mise en lumière est complétée par des
gorges lumineuses où sont installés des tubes
fluorescents. Les autres espaces sont dotés de
luminaires à LED. C’est une chance de pouvoir
ainsi aller chercher ce que la lumière peut offrir.
Dans notre métier, il n’y a pas de recette, la
conception lumière résulte d’une alchimie de
plusieurs choses, technologies, photométries,
design, etc., à nous de capter l’air du temps et
d’innover. n
Propos recueillis par Isabelle Arnaud
“La lumière
a la capacité
de révéler
les matières,
les formes,
les espaces
et les âmes.
”
© Nicolas Wilmouth
Comment cette temporalité de l’éclairage se
traduit-elle ?
Pour commencer, nous avons divisé la nuit en
plusieurs périodes : soirée, début de la nuit, cœur
de la nuit, matin, avec pour chacune d’elle des
variations d’intensité et de couleur. Par exemple,
le niveau d’éclairement baisse et la lumière
devient orangée lorsque le tramway ne roule
plus, donnant l’impression de veille bienveillante.
Nous avions déjà expérimenté ce principe à la
Réunion afin de préserver la nature : les Pétrels de
Barau, appelés aussi taille-vents, sont des oiseaux
classés comme espèce en danger d’extinction par
l’Union internationale pour la conservation de la
nature (UICN). Lors du premier envol des petits,
les oiseaux, aveuglés par la lumière blanche, se
dirigent vers ce qu’ils prennent pour une présence
de calmars, leurs proies habituelles qui sont
bioluminescentes ; ils heurtent les lampadaires
et meurent en grand nombre. Nous avons
développé un système qui fait basculer la lumière
en orange à cette période-là et procure un calme
lumineux. Répondre à ce genre de demande ne
pose aucun problème, en revanche, défendre de
telles idées exige beaucoup d’énergie, surtout en
éclairage extérieur.
Le Volcan au Havre - Réhabilitation des espaces publics Maître d’ouvrage : Ville du Havre – Architectes : agences
Deshoulières & Jeanneau – Livraison 2015
© Nicolas Wilmouth
mouvement continuel est porteur de créativité. Je
suis persuadée que, bientôt, nous éclairerons les
villes différemment, partant du postulat que la
lumière accompagne davantage les piétons que
les automobilistes, donc les chaussées. À l’heure
actuelle, les installations existantes ne sont guère
rationnelles : beaucoup de lumière perdue sur
des zones, là où elle n’est pas nécessaire, tandis
que des espaces empruntés par les piétons restent
piètrement éclairés. Aujourd’hui, nous favorisons
des ambiances modulables, avec détection
de présence, abaissement de l’intensité en
fonction de l’heure ou de la fréquentation. C’est
notamment ce que nous avons proposé le long
d’un trajet de tramway en banlieue.
Bibliothèque Oscar-Niemeyer, au Havre
– maître d’ouvrage Ville du Havre Architectes : agences Deshoulières
& Jeanneau et Sogno architecture.
Livraison 2015.
LUMIÈRES N°16 - OCTOBRE 2016 - 17