COE causes du chômage

Transcription

COE causes du chômage
Conseil d’orientation pour l’emploi
Document préparatoire
du groupe de travail sur les causes du chômage
Groupe animé par Francis Kramarz
COE décembre 2005
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
1
SOMMAIRE
1. DES CHOCS MACRO-ECONOMIQUES ONT EU UN IMPACT INITIAL MAJEUR
SUR LE CHOMAGE
4
1.1
Une série de chocs adverses à l’origine de la hausse initiale du chômage européen
4
1.2
Des chocs qui ne peuvent expliquer la persistance du chômage et les différences entre pays
5
2. LES TRAITS CARACTERISTIQUES DU CHOMAGE FRANÇAIS CONFIRMENT UN
DECROCHAGE PAR RAPPORT AUX PAYS PRESENTANT LES MEILLEURS
RESULTATS
7
2.1
Un chômage persistant élevé
7
2.2
Taux d’emploi des jeunes et des seniors
8
2.3
Durée moyenne du chômage
11
2.4
Des phénomènes d’exclusion du marché du travail
12
3. DES FLUX IMPORTANTS SUR LE MARCHE DU TRAVAIL DIRECTEMENT LIES A
LA DYNAMIQUE DE CROISSANCE
14
3.1
Une économie caractérisée par des flux d’emplois importants
14
3.2
Fondements économiques du dynamisme des entrées et sorties dans l’emploi : croissance, productivité
et emploi
15
4. LES INSTITUTIONS DU MARCHE DU TRAVAIL ONT DES EFFETS DONT
L’AMPLEUR RESTE DEBATTUE
16
4.1
La législation des contrats de travail a des effets sur la composition du chômage plus que sur son
niveau
4.2
Accompagnement des demandeurs d’emploi et retour à l’emploi
21
4.3
Éducation, formation initiale et formation tout au long de la vie
22
4.4
Coût du travail et prélèvements obligatoires
23
4.5
Le partage du travail
25
5. LE FONCTIONNEMENT DES MARCHES DES BIENS ET SERVICES A UN IMPACT
DIRECT SUR L’EMPLOI
27
5.1
Concurrence et barrières à l’entrée
27
5.2
L’impact sur le chômage de dysfonctionnements sur les marchés des biens et services
29
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2
Groupe de travail sur les causes du chômage
Document préparatoire
Conformément à la commande formulée par le conseil, le groupe de travail s’est attaché à
réaliser une première identification des enseignements des études économiques sur les causes
du chômage français.
Ce document préparatoire, qui n’a fait l’objet ni d’une présentation ni d’une validation
devant le groupe de travail, constitue une première étape des travaux sur les causes du
chômage, qui pourront être approfondis conformément aux orientations formulées par le
conseil. Il retrace les travaux et les débats du groupe de travail qui s’est réuni à trois reprises
sur les thématiques suivantes :
- le 15 novembre, le groupe a, à partir d’interventions de Francis Kramarz et de John
Martin, évoqué les travaux à dominante micro-économique sur le marché du travail et les
marchés des biens, ainsi que les spécificités du chômage français ;
- le 29 novembre, il a fait le lien avec les problématiques macro-économiques, en
s’appuyant sur des présentations de Gilbert Cette, Jacques Freyssinet et Pierre Cahuc ;
- le 13 décembre, il a débattu des questions d’évaluation des politiques de l’emploi, à partir
d’une intervention de Bruno Crépon, et des relations entre chômage et exclusion sociale sur
la base d’une présentation de Denis Fougère.
Ce document décrit tout d’abord les chocs macro-économiques qui ont provoqué la
hausse du chômage européen depuis les années 1970 (point 1), constatant que ces chocs ne
permettent plus d’expliquer la persistance du chômage et les performances variables des
différents pays. A cet égard, le chômage français présente des traits caractéristiques majeurs
présentés en point 2. Il importe par conséquent, pour tenter de les expliquer, de proposer
une analyse à la fois macro- et micro-économique fondée sur liens entre flux sur le marché
du travail et dynamique de croissance (point 3). Dans ce cadre, le document explore ensuite
les causes potentielles du chômage liées au fonctionnement des institutions du marché du
travail (point 4) et des marchés des biens et services (point 5).
Les études économiques pertinentes susceptibles de permettre un approfondissement
ultérieur et d’éclairer la suite des travaux du conseil sont citées au fil du texte et sont reprises
en annexe 1.
Les présentations des intervenants invités par le groupe de travail et les contributions
écrites de certains membres du groupe sont listées en annexe 2.
Les comptes-rendus des trois réunions du groupe figurent en annexe 3.
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3
1. Des chocs macro-économiques ont eu un impact initial majeur sur le
chômage
1.1 Une série de chocs adverses à l’origine de la hausse initiale du chômage
européen
Les économistes s’accordent pour dire que la hausse massive du chômage européen à
partir des années 1970 a à l’origine été liée à la succession d’une série de chocs adverses
d’ordre macro-économique.
Chocs adverses de coûts très importants avec un quadruplement en valeur réelle des prix
en une décennie, les chocs pétroliers ont eu des effets massifs désormais bien connus.
Moins connu, le net ralentissement de la productivité globale des facteurs a pu avoir des
effets plus sensibles encore sur la croissance et l’emploi. Alors que son taux de croissance
avoisinait les 5% par an pendant les années 1950 et 1960, il est revenu à environ 2% dans les
années 1970, restant depuis aux alentours de ce niveau 1 .
Ces deux chocs majeurs, combinés à l’évolution à la hausse des salaires (phénomène
d’augmentations salariales consécutives à différents contextes nationaux 2 , hausses du SMIC
en France au milieu des années 1970), ont conduit à l’augmentation du taux de chômage des
pays européens par déplacement de la courbe de demande de travail. L’augmentation
concomitante de l’inflation (phénomène de « stagflation ») a par ailleurs débouché sur des
politiques monétaires restrictives au début des années 1980.
Comme l’a souligné Gilbert Cette dans son intervention devant le groupe de travail, les
chocs macro-économiques ayant contribué à l’augmentation du chômage français depuis les
années 1990 sont également liés à des choix de la politique économique allemande, dans un
cadre faiblement coordonné :
- au moment de la réunification, le très fort resserrement de la politique
monétaire allemande du fait de tensions inflationnistes sur l’offre a été à l’origine
de la récession française de 1993 car la France se trouvait alors dans une
configuration délicate d’union monétaire asymétrique avec l’Allemagne pour
ancre ;
- depuis lors, l’Allemagne n’a pu regagner sa compétitivité externe dégradée par le
choc de l’intégration des nouveaux Länder que par une croissance très faible de
ses coûts salariaux unitaires, au prix d’une faible dynamique de la demande interne
et d’une perte de compétitivité pour la France.
1 Blanchard, O. and Wolfers, J. (2000) “The Role of Shocks and Institutions in the Rise of European
Unemployment: The Aggregate Evidence”, The Economic Journal
2
Par exemple, les suites de mai 1968 en France, la fin des dictatures en Espagne et au Portugal au milieu des années
1970.
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4
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1.2 Des chocs qui ne peuvent expliquer la persistance du chômage et les
différences entre pays
Les chocs à l’origine de la hausse du chômage européen peuvent-ils expliquer les
performances actuelles sur le front de l’emploi ? Les études économiques et les interventions
devant le groupe de travail indiquent que plusieurs éléments permettent d’en douter.
1.2.1 Les négociations salariales se sont ajustées aux chocs
Comme le soulignent la DARES et la DGTPE dans leur contribution commune, dans les
années 1970, les chocs macro-économiques observés ont creusé l’écart entre le niveau de
salaire que pouvaient offrir les entreprises compte tenu des nouvelles conditions de
production et le niveau de salaire négocié avec les travailleurs qui a continué à croître à son
rythme antérieur. S’en est suivie une déformation du partage de la valeur ajoutée au profit des
salariés d’une part et une augmentation du chômage d’autre part.
Dans les années 1980, sous l’effet du chômage persistant, les négociations salariales se sont
ajustées et les salaires réels ont ralenti, ce qui a contribué à rétablir le partage initial de la
valeur ajoutée à la faveur du contre-choc pétrolier. Les effets des chocs adverses sur le taux
de chômage ne sont donc théoriquement plus à l’œuvre.
1.2.2 L’hypothèse d’un effet d’hystérèse sur le taux de chômage d’équilibre n’est pas confirmée
L’idée de l’existence d’un effet d’hystérèse qui conduirait le taux de chômage d’équilibre
(ou le taux de chômage compatible avec une inflation stable : le NAIRU) à augmenter
lorsque les taux de croissance effectifs de l’économie sont inférieurs au taux de croissance
potentiel est séduisante. Elle repose notamment sur l’hypothèse selon laquelle les écarts
cycliques au chemin de croissance « naturelle » de l’économie engendreraient, avec les hausses
conjoncturelles du chômage, une dégradation du capital humain des chômeurs. Cette
conception fournit un argument supplémentaire aux politiques de stabilisation macroéconomiques.
Cette hypothèse demeure toutefois délicate à valider empiriquement, ainsi que l’ont
indiqué G. Cette et P. Cahuc devant le groupe de travail. On peut en premier lieu se
demander pourquoi l’hystérèse serait-elle observable en Europe depuis les années 1970 mais
nulle part ailleurs. On peut surtout en second lieu constater que le concept de taux de
chômage d’équilibre (ou structurel, ou NAIRU), s’il reste valide dans sa dimension théorique,
n’est que faiblement opérationnel dans l’analyse des causes du chômage persistant. Ainsi, à la
fin des années 1990, le chômage français a fortement diminué, en deçà de son niveau
d’équilibre supposé, sans déclencher de tensions inflationnistes. Le même phénomène a été
observé dans d’autres pays, tels les Etats-Unis ou la Suède.
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5
1.2.3 Surtout, les fortes différences de performances entre pays impliquent la recherche de facteurs
explicatifs parmi les institutions
Une approche purement macro-économique n’offre pas d’éléments explicatifs suffisants
pour expliquer la divergence des résultats en matière de chômage de pays qui ont connu les
mêmes chocs et conduit des politiques comparables voire convergentes.
C’est dans ce cadre que les études économiques introduisent le rôle majeur joué par les
institutions et par le fonctionnement du marché du travail et des autres marchés. Avant
d’aborder l’analyse de ces éléments explicatifs, il convient de préciser que ces séries de causes
ne sont pas indépendantes : les mêmes chocs macro-économiques peuvent produire des
effets différents selon les institutions propres à chaque pays, de même que celles-ci peuvent
réagir différemment aux cycles conjoncturels et participer à des degrés divers à la décrue du
chômage. Les interactions entre ces dimensions sont à l’origine des différences de
performances entre pays 3 . Comme l’a indiqué Jacques Freyssinet, aucune explication
simpliste et univoque n’est possible et les approches différentes des causes du chômage
doivent être combinées.
3
Comme le soulignent Blanchard et Wolfers (2000) : « les explications d’un chômage élevé reposant seulement sur
les institutions sont confrontés à un problème empirique majeur : beaucoup de ces institutions étaient déjà présentes
lorsque le chômage était faible. »
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2. Les traits caractéristiques du chômage français confirment un décrochage
par rapport aux pays présentant les meilleurs résultats
2.1 Un chômage persistant élevé
La France se caractérise par une situation défavorable en matière de taux de chômage. Le
graphique suivant (taux de chômage français sur la période 1968-2004) montre que la hausse
sensible du taux de chômage depuis les années 1970 n’a pu qu’être faiblement enrayée dans
les périodes de conjoncture favorable, suivies de remontées dans les périodes moins
favorables.
Taux de chômage BIT (en %)
12,0
10,0
8,0
6,0
4,0
2,0
19 19
68- 7001 01
19 19 19 19
72- 74- 76- 7801 01 01 01
19 19
80- 8201 01
19 19
84- 8601 01
19 19 19 19
88- 90- 92- 9401 01 01 01
19 19 20
96- 98- 0001 01 01
20 20
02- 0401 01
1 2 3
Taux de chômage 15-64 ans
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
D’autres pays sont parvenus à mieux maîtriser leurs résultats, en particulier depuis les
années 1990, comme l’indique le graphique suivant qui retrace l’évolution des taux de
chômage de la France, des Etats-Unis, de la Suède et du Danemark.
1960
1970
1980
Année
Fra
Dk
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1990
2000
Usa
Swd
7
Au total, les chiffres Eurostat (mai 2005) montrent que le chômage français se maintient à
un niveau élevé par rapport aux autres pays européens :
2.2 Taux d’emploi des jeunes et des seniors
55
60
Taux d'emploi 15-64 ans
65
70
75
80
Total em ploym ent rate (15-64 years old)
40
50
60
70
80
Les comparaisons internationales montrent que la France a globalement décroché sur le
taux d’emploi à partir du milieu des années 1970 (les deux graphiques suivants retracent, avec
des échelles différentes, les évolutions du taux d’emploi des 15-64 ans en France et aux EtatsUnis, par rapport au Danemark et en Suède sur le graphique de gauche, à l’Allemagne et à
l’Italie sur celui de droite).
1960
1970
1980
Année
Fra
Dk
1990
Usa
Swd
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2000
1960
1970
1980
Year
1990
Fra
Ita
Germ
Usa
2000
8
Mais, ainsi que l’a souligné Pierre Cahuc, les performances comparées des différentes
économies en matière d’emploi ne peuvent être appréciées qu’en adoptant une approche
désagrégée et non globale. Cette analyse, développée également par John Martin, souligne
clairement les lacunes françaises pour l’entrée des jeunes sur le marché du travail et pour le
maintien des seniors en emploi.
2.2.1 La France présente des résultats corrects sur l’emploi des 25-54 ans
Les performances françaises en matière d’emploi sur la tranche des 25-54 ans sont :
- pour les hommes : de même niveau, voire meilleures que celles des pays
présentant de bons résultats sur l’emploi. Le taux de participation des hommes de
25 à 54 ans est notamment plus élevé en France qu’en Suède, au Danemark ou
aux Etats-Unis, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui ;
- pour les femmes : de bon niveau, avec une montée rapide des taux d’emploi,
certainement liée à la prise en charge précoce des enfants par le système scolaire.
Le taux de participation des femmes de 25-54 ans est ainsi pour la France
légèrement supérieur à celui des Etats-Unis et assez proche des taux scandinaves.
2.2.2 L’emploi des jeunes a décroché depuis les années 1970
Youth Em ploy m ent Rate ( 20-24 years old)
30
40
50
60
70
Le taux d’emploi des jeunes en France a connu un recul important depuis le milieu des
années 1970, malgré une remontée depuis 1997. Ainsi que l’indique le graphique suivant 4 , ce
décrochage ne s’observe pas aussi nettement dans d’autres pays qui parviennent à combiner
des durées longues d’études avec un niveau d’emploi conséquent.
1960
4
1965
1970
1975
1980
1985
Year
1990
Fra
Ita
Germ
Usa
1995
2000
2005
Qui porte en outre sur les 20-24 ans, tranche sur laquelle les niveaux de taux d’emploi français souffrent moins de
la comparaison avec des systèmes de formation initiale centrés sur l’insertion professionnelle que sur la tranche des
15-19 ans.
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Le groupe a eu plusieurs débats sur les déterminants du fort chômage des jeunes en
France, notamment sur le rôle du système éducatif. Pierre Cahuc a évoqué d’autres
déterminants, sur le marché du travail (salaire minimum, contrats de travail), comme sur le
marché des biens et services (barrières à l’entrée dans des secteurs porteurs pour les jeunes).
Plusieurs membres ont indiqué que cette question des jeunes devrait faire l’objet d’un
approfondissement.
2.2.3 L’emploi des seniors s’est effondré dans les années 1980 et ne s’est pas amélioré depuis
Les taux de chômage des salariés de la tranche 55-64 ans sont en France moins élevés que
ceux des autres tranches d’âge (7% en 2003). Mais cette situation est largement due aux
dispositifs de retraits d’activité 5 .
30
Senior Employment Rate (55-64 years old)
20
30
40
50
60
Taux d'emploi des seniors (55-64 ans)
40
50
60
70
Les faibles taux d’activité des seniors conduisent à une situation dégradée de leurs taux
d’emploi en France. La combinaison du passage de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans
et du recours massif aux préretraites a en effet conduit à l’effondrement de ces taux d’emploi
au début des années 1980, à partir d’un niveau relativement élevé. Avec la poursuite des
politiques de retrait anticipé du marché du travail, la diminution s’est poursuivie, à un rythme
plus lent, au cours des années 1990, le rebond observé depuis 2000 restant d’ampleur limitée.
Au total, la France s’est rapprochée des pays présentant des résultats faibles en la matière et
éloignée de ceux présentant les meilleurs résultats (les deux graphiques suivants retracent,
avec des échelles différentes, les évolutions du taux d’emploi des 55-64 ans en France et aux
Etats-Unis, par rapport au Danemark et en Suède sur le graphique de gauche, à l’Allemagne
et à l’Italie sur celui de droite).
1960
1965
1970
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1980 1985
Année
Fra
Dk
5
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Usa
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2005
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1975
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Year
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Fra
Ita
Germ
Usa
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2000
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Le seul décompte en chômeurs des personnes dispensées de recherche d’emploi modifierait sensiblement la donne :
le taux de chômage des 55-64 ans serait ainsi passé en 2002 de 6,4% à 10,9% ; voir sur ce point V. Delarue, DPAE,
« Dynamiser l'emploi des «seniors» en France : quelques pistes », octobre 2003.
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Taux d'emploi des 55-64 ans
28,1
Belgique
30,3
Italie
France
36,8
Allemagne
39
40,8
Espagne
41,8
UE 15
Finlande
49,9
Moyenne OCDE
50,3
Royaume-Uni
55,5
59,9
Etats-Unis
60,7
Danemark
Japon
62,1
Suède
69
0
10
20
30
40
50
60
70
80
2.3 Durée moyenne du chômage
Outre un niveau important de chômage et de faibles taux d’emploi des jeunes et des
seniors, la France se caractérise par de longues durées de chômage.
Le graphique suivant, illustrant la durée médiane du chômage en France en 2003 en
fonction de l’âge et du niveau de formation 6 , apporte plusieurs enseignements :
- principales victimes des faibles performances en matière d’emploi, les jeunes et
les seniors sont confrontés à un chômage de nature différente : de faible durée
pour les jeunes, le chômage traduit alors des épisodes d’allers et retours entre
l’emploi précaire et le non-emploi ; pour les seniors, le fort chômage de longue
durée confirme la faible probabilité de revenir sur le marché du travail, a fortiori
après 57 ans avec le dispositif de dispense de recherche d’emploi ;
- l’ancienneté dans le chômage est plus élevée pour les moins qualifiés, mais en
seconde partie de carrière les diplômés du supérieur se trouvent dans une
situation moins favorable que les titulaires de diplômes intermédiaires ;
- les durées de passage au chômage sont importantes pour les 25-44 ans (un
chômeur de 40 ans environ a une durée médiane du chômage de 10 mois) et plus
encore pour 45-54 ans.
6
Source : enquête emploi
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Ancienneté médiane dans le chômage (en mois
25
20
Supérieur
15
Bac ou bac+2
CAP BEP BEPC
10
CEP ou aucun
5
0
15-24
25-44
45-54
55+
Age
Les comparaisons internationales confirment que la durée moyenne du chômage est
longue en France pour les 25-54 ans, alors même que le taux d’emploi est satisfaisant pour
ces tranches d’âge. Le graphique suivant, établi par l’OCDE sur des données 2003, en atteste.
Moyenne OCDE
12,2
Moyenne G7
8,6
16,7
France
5,1
Norvège
11,7
Finlande
4,8
Etats-Unis
Espagne
19,9
4,4
Canada
8,3
Australie
0
5
10
15
20
25
Durée moyenne du chômage en mois des personnes de 25 à 54 ans
2.4 Des phénomènes d’exclusion du marché du travail
Dans son intervention devant le groupe de travail, Denis Fougère a souligné combien les
phénomènes de chômage et d’exclusion sociale étaient liés : le chômage de longue durée et de
masse est générateur d’exclusion, mais l’exclusion sociale est un « multiplicateur » de
chômage notamment en raison de sa transmission intergénérationnelle et de sa concentration
territoriale. De nombreuses études confirment que le chômage et l’exclusion se renforcent
mutuellement, dans la dégradation de l’état de santé, dans la permanence des difficultés
scolaires des enfants, dans l’essor de la délinquance, etc.
COE décembre 2005
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Prolongeant les constats précédents sur les difficultés d’accès de certaines catégories au
marché du travail et de durée moyenne de chômage, Denis Fougère a notamment souligné
l’impact d’une précarisation des trajectoires professionnelles, montrant que la France se
caractérise par une montée continue des personnes alternant chômage et contrats précaires.
Le graphique suivant illustre ce phénomène en indiquant dans sa courbe supérieure
l’évolution de la part de la population active occupée (hors fonction publique) ayant passé
trois années consécutives en chômage ou en contrat précaire. Les courbes inférieures
décomposent les différents cas de figure observés.
12,0%
3 années consécutives de
chômage ou d'emploi
précaire
10,0%
3 années consécutives en
chômage
8,0%
2 années en chômage, une
année en emploi précaire
6,0%
4,0%
2 années en emploi
précaire, une année en
chômage
2,0%
3 années consécutives en
emploi précaire
0,0%
1982
1985
1988
1991
1994
1997
2000
La France est également marquée par la persistance d’un chômage de personnes cumulant
les difficultés défavorisant leur l’accès à l’emploi : difficultés matérielles et financières (garde
d’enfants, accès aux transports, accès aux services bancaires), difficultés d’accès au logement,
difficultés face à l’éducation et à la formation. Les phénomènes de ségrégation territoriale, qui
commencent à être bien étudiés en France 7 , polarisent géographiquement ce cumul de
difficultés et leur impact sur le chômage : en 1999, la part de non-diplômés chez les 15 ans et
plus était de 33,1% dans les zones urbaines sensibles (17,7% en moyenne nationale) et la
proportion de chômeurs dans ces zones était de 25,4%.
Parmi ces publics en difficulté, les populations étrangères ou d’origine étrangère sont les
plus concernées : le taux de chômage des travailleurs étrangers est le double de celui des
travailleurs de nationalité française, cette proportion passant au triple pour les Africains
d’origine. Le changement de génération a peu d’impact en la matière, les jeunes Français
d’origine maghrébine étant deux fois et demi plus souvent en chômage que les jeunes
Français d’origine française, quel que soit leur niveau d’études. Or, si une grande partie de
l'écart de salaire entre salariés de parents français et salariés de parents africains est expliquée
par les différences de caractéristiques observables (niveau d’éducation, expérience de travail),
7
Notamment Christophe Guilluy et Christophe Noyé, « Atlas des nouvelles fractures sociales en France : les classes
moyennes oubliées et précarisées », éditions autrement, 2004 et Eric Maurin « Le ghetto français : enquête sur le
séparatisme social », Le Seuil, Coll. « La république des idées », 2004
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13
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ces caractéristiques sont incapables d'expliquer les écarts de fréquence d’accès à l’emploi 8 .
3. Des flux importants sur le marché du travail directement liés à la dynamique
de croissance
Les premiers constats sur les chocs et sur les caractéristiques du chômage français
confirment que l’analyse des causes du chômage ne peut être conduite sans s’intégrer dans
une réflexion plus large, réconciliant les approches macro- et micro-économiques, sur les
liens entre régime de croissance et flux d’emplois. De nombreux travaux empiriques français
et internationaux sur le sujet valident l’approche schumpétérienne de la destruction créatrice :
la dynamique de la croissance est liée au développement et à la disparition d’entreprises et elle
se traduit par des mouvements d’emplois importants. Ces travaux ont été présentés au
groupe par Francis Kramarz.
3.1 Une économie caractérisée par des flux d’emplois importants
La connaissance de l’ampleur des flux d’emplois dans le fonctionnement courant de
l’économie est récente. Elle a permis de réaliser à quel point les soldes nets de création ou de
destruction d’emplois n’étaient que la « partie visible de l’iceberg » 9 .
Taux annuels de créations et de destructions d’emplois entre 1994 et 2001
Source : Fichier BIC, Insee 10
%
15
10
5
0
-5
-10
-15
1995
1996
1997
Taux de création
croissance nette
8
1998
1999
2000
2001
Taux de destruction
R. Aeberhardt, D. Fougère, J. Pouget, R. Rathelot « Étude de la discrimination à l’encontre des enfants d’étrangers
sur le marché du travail Français », non-publié, 2005.
9 Duhautois Richard (2005), « Les créations nettes d’emplois : la partie visible de l’iceberg », Insee première Mai
2005 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip1014.pdf
10
NB : taux d’augmentation = rapport entre les augmentations d’emplois du 31/12/n-1 au 31/12/n et la moyenne des
effectifs à ces deux dates ; taux de diminution = rapport entre les diminutions d’emplois du 31/12/n-1 au 31/12/n et la
moyenne des effectifs à ces deux dates.
COE décembre 2005
14
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
Sur la période 1970 à 2000, l’économie française a ainsi détruit chaque année 15% de ses
postes de travail, en créant parallèlement 15,5%, soit un taux de croissance annuel de 0,5% 11 .
En rapportant ces données au nombre de jours ouvrables, on peut estimer qu’en France et en
moyenne, 30 000 personnes perdent leur emploi chaque jour (principalement par des fins de
CDD) tandis que 10 000 emplois sont détruits. Parallèlement, chaque jour, 30 000 personnes
trouvent un emploi et 10 000 emplois sont créés 12 .
Les données de l’OCDE et les études économiques indiquent que la France ressemble sur
ce point des flux d’emplois aux autres pays et qu’un processus de destruction-création de
l’ordre de 15% des emplois par an est à l’œuvre.
S’agissant de la nature juridique des flux d’emplois en France, les éléments caractéristiques
suivants peuvent être soulignés :
- environ 70% des entrées se font en CDD ;
- les fins de CDD représentent plus de 50% des sorties de l’emploi (56% fin
2004), les démissions près de 20%, les licenciements économiques environ 2% et
les autres licenciements de l’ordre de 6% 13 .
3.2 Fondements économiques du dynamisme des entrées et sorties dans
l’emploi : croissance, productivité et emploi
Les études économiques indiquent que ce processus de destruction créatrice est
intimement lié à la productivité du facteur travail au sein des entreprises, les entreprises les
plus productives étant à l’origine des créations nettes d’emplois, tandis que les moins
productives tendent à détruire plus d’emplois qu’elles n’en créent.
Deux modes d’évolution du lien entre productivité et emploi sont concevables pour
chacun des secteurs de l’économie :
- en inter-sectoriel, avec des secteurs moins productifs et en déclin, d’autres plus
productifs et en croissance ;
- en intra-sectoriel, avec au sein même des secteurs, certaines entreprises
accroissant leur productivité, d’autres se heurtant à plus de difficultés.
Or, il ressort des études économiques que la croissance de la productivité est
principalement intra-sectorielle : ce sont surtout les entreprises efficaces au sein des secteurs
qui font croître la productivité, même au sein des secteurs considérés comme en déclin.
Surtout, la croissance de la productivité du travail n’est pas l’ennemie de l’emploi. Dans
11
P. Cahuc et A. Zylberberg, « Le chômage, Fatalité ou nécessité », Flammarion 2005, p 18.
Estimations réalisées à partir des données DMMO-EMMO, permettant de connaître les flux dans les entreprises.
13
Les autres motifs de sorties sont les transferts d’entreprises (environ 6%), les fins de période d’essai (6%), les
départs en retraite (3,5%) et les cas divers (décès, accidents) et indéterminés (3%)
COE décembre 2005
15
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
12
leur étude 14 , Crépon et Duhautois montrent par exemple que pour les deux périodes sous
revue :
- plus des 2/3 des entreprises qui font croître la productivité du travail le font en
créant de l’emploi ;
- les entreprises les moins productives détruisent de l’emploi ou en créent moins
qu’entreprises les moins productives.
Ces études confirment l’existence d’un cycle de vie des entreprises qui implique une
certaine rotation, les entreprises présentes depuis longtemps pouvant laisser progressivement
leur place à des entreprises nouvelles plus productives. Les entreprises qui disparaissent sont,
en général, les moins productives ; celles qui naissant et qui survivent après 5 ans sont les
plus productives. C’est le cercle vertueux de la croissance, de l’innovation, de la recherche,
cycle vertueux dont bénéficient directement les salariés.
La connaissance et la compréhension de ces processus économiques de destruction
créatrice des emplois sont essentielles dans la mesure où ils impliquent une capacité du
système institutionnel à apporter des réponses adaptées : cadre juridique des contrats de
travail en lien avec la problématique de la précarité, accompagnement des demandeurs
d’emplois vers le retour à l’emploi, formation initiale et formation tout au long de la vie pour
assurer l’adéquation entre offre et demande de travail, absence d’obstacles à l’entrée sur le
marché et au développement des entreprises productives, etc.
4. Les institutions du marché du travail ont des effets dont l’ampleur reste
débattue
La persistance du chômage à un niveau élevé a conduit les économistes à développer de
nouvelles approches, plus micro-économiques, susceptibles d’expliquer les performances
observées et leurs divergences. Les travaux sur les institutions du marché du travail se sont
alors multipliés et ont mené, à la suite notamment de l’Etude de l’OCDE sur l’emploi en
1994, à une focalisation sur les « rigidités » du marché du travail. Depuis, les études se sont
affinées, notamment en s’appuyant sur les nouvelles approches en termes de flux sur le
marché du travail, et ont apporté des éléments de compréhension de phénomènes complexes
n’obéissant pas à une logique binaire. Ces travaux ont notamment été présentés par Francis
Kramarz, John Martin et Jacques Freyssinet.
4.1 La législation des contrats de travail a des effets sur la composition du
chômage plus que sur son niveau
14
Crépon B., R. Duhautois (2004), « Ralentissement de la productivité et réallocations d’emplois : deux régimes de
croissance », Economie et Statistique n°367 .
COE décembre 2005
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
16
Dans une économie marquée par la mobilité sur le marché du travail, les règles encadrant
les contrats de travail sont essentielles, en particulier leurs modalités de conclusion et de
rupture.
La littérature économique sur le lien entre protection de l’emploi 15 et chômage est
abondante. L’OCDE s’est attachée à développer un indicateur synthétique de la rigueur de la
législation de la protection de l’emploi, repris dans le graphique ci-dessous. On peut d’ores et
déjà remarquer que la France se situe à cette aune plutôt dans la moyenne haute, sans être
toutefois la plus rigoureuse. Elle est cependant la seule à avoir (légèrement) durci sa
législation entre la fin de la décennie 1980 et la fin de la décennie 1990 16 .
Mo y e n n e
Fr a n c e
S u is s e
Suède
Ro y a u me - Un i
Po r tu g a l
Pa y s - B a s
No r v è g e
Ita lie
Ir la n d e
Fin d é c e n n ie 1 9 8 0
Grèc e
Fin d é c e n n ie 1 9 9 0
Fin la n d e
Eta ts - Un is
Es p a g n e
Da n e ma r k
Ca n a d a
B e lg iq u e
A u tr ic h e
A u s tr a lie
A lle ma g n e
0
0 ,5
1
1 ,5
2
2 ,5
3
3 ,5
4
4 ,5
Rig u e u r d e la lé g is la tio n d e la p r o te c tio n d e l'e mp lo i
4.1.1 La plupart des études ne démontrent pas de lien probant entre rigueur de la protection de l’emploi et
niveau du chômage
Les études économiques multiples ne parviennent pas à établir un lien convaincant d’un
effet significatif de la législation de la protection de l’emploi (LPE) sur les performances en
matière de chômage. Ses effets sont en effet ambigus :
15
Pour reprendre la définition de l’OCDE, la notion de protection de l’emploi recouvre à la fois la réglementation
applicable à l’embauche (dispositions en faveur de l’embauche de catégories désavantagées, conditions de recours
aux contrats temporaires ou à durée déterminée, obligations en matière de formation, etc.) et aux licenciements
(procédures de licenciement, délais de préavis et indemnités de licenciement obligatoires, dispositions spéciales
applicables aux licenciements collectifs et au travail à horaires réduits, etc.)
16
L’évolution tenant à la réglementation du recours aux contrats temporaires.
COE décembre 2005
17
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
- en augmentant les coûts économiques des licenciements, la LPE diminue les
transitions emploi-chômage mais diminue également les entrées dans l’emploi ;
- la LPE renforce le pouvoir de négociation des salariés en place (insiders) et est
susceptible d’augmenter la durée du chômage.
En conséquence, avec des effets à la fois favorables et défavorables sur le niveau du taux
de chômage, la rigueur de la protection de l’emploi n’a pas théoriquement d’impact clair. Les
études empiriques menées sur de nombreux pays confirment l’absence de lien démontré
entre le niveau de chômage et la LPE, comme le reconnaît l’OCDE qui souligne dans ses
Perspectives pour l’emploi l’impact de cette législation sur la sécurité de l’emploi. La comparaison
menée par exemple par Olivier Blanchard et Pedro Portugal entre les Etats-Unis et le
Portugal illustre la possibilité d’avoir des niveaux de chômage comparables avec des degrés
de protection très différents 17 .
4.1.2 La protection de l’emploi a en revanche un impact direct sur la durée et la composition du chômage
Les études confirment que la rigueur de la protection de l’emploi a pour effet de diminuer
les flux de rotation sur le marché du travail. Elle affecte directement la dynamique du
chômage et augmente l’occurrence du chômage de longue durée, comme l’a indiqué Jacques
Freyssinet devant le groupe de travail. Ce résultat est bien mis en évidence, notamment par
les travaux de la fin des années 1990 de Blanchard et Portugal d’une part et de Layard et
Nickell d’autre part menés sur une vingtaine de pays et sur différentes périodes.
Parallèlement, il semble que la protection de l’emploi puisse avoir un effet sur la
composition démographique du chômage : en augmentant les coûts de la séparation, elle
désincite les employeurs à embaucher les salariés dont ils sont a priori les moins sûrs. Les
jeunes seraient ainsi les premiers concernés, ainsi qu’à un degré moindre les femmes, tandis
que les hommes d’âges très actifs bénéficient le plus d’une protection de l’emploi rigoureuse.
Esping-Andersen 18 estime néanmoins que les jeunes et les femmes sont défavorisés à la fois
par une législation très protectrice et une législation très flexible (courbe en U), tandis que les
systèmes intermédiaires leur conviendraient mieux.
Enfin, si elle n’a pas d’effets établis sur le taux de chômage, la protection de l’emploi est
susceptible d’avoir un effet négatif sur le taux d’emploi 19 : son impact sur l’allongement du
chômage est susceptible de décourager certains publics, tels les jeunes, les femmes et les
seniors et de diminuer leur taux d’activité. Cet effet n’est là encore pas confirmé pour les
hommes d’âge très actif.
4.1.3 Protection de l’emploi, précarité et sentiment de sécurité
A titre complémentaire, F Kramarz a mis en évidence les effets ambigus de la protection
17
O. Blanchard and P. Portugal. “What hides behind an unemployment rate. Comparing Portuguese and U.S.
unemployment”. American Economic Review, 91(1):187–207, March 2001
18
Esping-Andersen, G. (2000) ‘Who is harmed by labour market regulation? Quantitative evidence’. In G. EspingAndersen and M. Regini, eds, Why Deregulate Labour Markets? Oxford: Oxford University Press.
19
OCDE, Perspectives pour l’emploi 2004
COE décembre 2005
18
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
de l’emploi dans ses relations avec la sécurité dans l’emploi et la précarité :
- les études 20 sur le sentiment de sécurité des salariés dans leur emploi indiquent
que la corrélation entre sentiment de sécurité élevée et protection pour l’emploi
rigoureuse n’est pas établie, au contraire. En revanche, le niveau élevé de
l’indemnisation du chômage est associé de manière positive au sentiment de
sécurité ;
- une protection de l’emploi relativement élevée peut se doubler d’un fort recours
au juge en cas de licenciement. L’OCDE estime ainsi qu’au début des années
1990, un licenciement sur quatre donnait lieu à contentieux juridictionnel en
France, contre 22% en Allemagne, 7% au Royaume-Uni, 1,6% en Italie et 0,03%
aux Etats-Unis 21 ;
- la protection relativement forte observée en France, mais aussi en Espagne,
s’accompagne enfin d’un fort recours aux contrats temporaires dits précaires, en
particulier pour les jeunes (cf. graphique) ; ce phénomène se cumule avec celui
d’un faible taux d’emploi pour cette catégorie d’âge et il a des conséquences
sociales importantes confirmées par toutes les études (accès au logement, accès au
crédit, vie familiale et notamment mariage, etc.).
Part de contrats précaires
1
0.9
0.8
0.7
0.6
0.5
France
Danemark
Pays-Bas
Italie
Espagne
0.4
Portugal
0.3
0.2
0.1
20
0
18
19 et 20
22
23 « C
24
25
26
28 per29
30
31
32
33tion34
Notamment F. Postel-Vinay
A. Sa21int-Martin
omment
les sa27lariés
çoivent-il
s la protec
de l’35emploi ? »,
Age
Economie et statistiques, n°27 février 2005
21
Une récente étude du ministère de la justice confirme des taux importants de recours au juge prud’hommal pour les
licenciements pour motif personnel, quoiqu’en diminution (41% des licenciements contestés en 1998, 26% en 2003)
mais montre que les taux de recours sont nettement plus faibles pour les licenciements économiques (2,6% en 2003,
avec une tendance toutefois à l’augmentation à partir d’environ 1% dans le début des années 1990). Il est vrai qu’en
matière de licenciement économique, le contentieux collectif contre les plans de sauvegarde de l’emploi relève du
tribunal de grande instance. B. Munoz Perez, E. Serverin, « Le droit du travail en perspective contentieuse 19932003», Juin 2005.
COE décembre 2005
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
19
Par ailleurs, F. Kramarz a souligné qu’en voulant protéger l’emploi plutôt que les
personnes, la législation française ne parvient pas éviter de manifestes stratégies de
contournement et d’évitement :
- plus de 70% des embauches se font en contrat à durée déterminée. A l’échéance
de ces contrats, plus de la moitié d’entre eux ne sont pas transformés en contrat à
durée indéterminée. Cette situation résulte, à l’évidence, d’un contournement
systématique des règles très restrictives en matière d’embauche en contrat à durée
déterminée ;
- on assiste, depuis le début des années 1990, à une montée en puissance des
licenciements pour motif personnel et à une diminution des licenciements pour
motif économique. Ce phénomène est illustré par la figure ci-dessous, qui met en
évidence une profonde transformation de la composition des motifs d’inscription
au chômage depuis 15 ans : les licenciements pour motif économique diminuent
régulièrement et ont été divisés par 2,9 entre 1989 et 2004, tandis que les
licenciements pour motif personnel ont cru de 50% sur cette période.
Aujourd’hui, les entrées dans le chômage consécutives à un licenciement pour
motif personnel sont près de trois fois plus nombreuses que les entrées
consécutives à un licenciement économique.
Nombre d’inscriptions mensuelles au chômage (DEFM 1) consécutives à un licenciement économique, une démission ou
un autre licenciement (licenciement pour motif individuel). Source : DARES.
LICENCIEMENT ECONOMIQUE
AUTRE LICENCIEMENT
DEMISSION
60 000
50 000
40 000
30 000
20 000
10 000
0
1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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20
4.2 Accompagnement des demandeurs d’emploi et retour à l’emploi
Les études portant sur l’impact des mesures d’accompagnement des demandeurs d’emploi
ont été résumées par Denis Fougère 22 qui conclut notamment que :
- le renforcement des dispositifs de vérification des droits à l’assurance chômage
et de contrôle de l’activité de recherche des chômeurs n’ont pas d’effets sur la
durée des périodes de chômage indemnisé et sur le montant total des indemnités
versées aux chômeurs éligibles ;
- les programmes d’accompagnement individualisé des chômeurs réduisent en
revanche de façon significative la durée des épisodes de chômage indemnisé et
permettent en outre aux bénéficiaires d’accéder à des revenus salariaux plus
élevés ;
- les quelques travaux ayant examiné les effets des dispositifs de sanctions mis en
place dans les pays européens concluent le plus souvent à l’efficacité de ces
dispositifs (certains toutefois trouvent des effets peu significatifs), mais ils
souffrent de défauts méthodologiques sérieux 23 .
Les études réalisées depuis cette synthèse de 2000 ont apporté un éclairage supplémentaire
sur l’importance de la complémentarité entre les programmes d’accompagnement
individualisés et la logique de contrôle et de sanction. Ils ont notamment été présentés au
groupe par Bruno Crépon. L’expérience montre qu’il n’est pas possible d’améliorer les taux
de retour vers l’emploi des chômeurs dans un système relativement généreux sans mettre en
place un accompagnement individualisé 24 . Les premières études menées sur le PARE
confirment elles aussi l’effet positif d’un accompagnement personnalisé25 . Les systèmes qui
imposent un contrôle de la recherche d’emploi et des sanctions sans donner en contrepartie
un accompagnement individualisé n’ont en revanche pas d’impact significatif sur le taux de
retour à l’emploi 26 .
22
Denis Fougère, « Accompagnement des chômeurs et sanctions : leurs effets sur le retour à l’emploi », complément
au rapport du Conseil d’Analyse Economique n°30, Jean Pisany-Ferry, Plein Emploi, La documentation française,
2000.
23
En particulier, ces travaux ne permettaient pas d’isoler l’effet d’une intensification des sanctions de celui d’un
accroissement de l’aide à la recherche d’emploi car les dispositifs étudiés contenaient simultanément ces deux
caractéristiques.
24
Rafael Lalive, Jan van Ours et Josef Zweimüller « The effect of benefit sanctions on the duration of
unemployment », IZA Discussion Paper n° 469, avril 2002. Disponible sur le site www.iza.org.
25
Voir Bruno Crépon, Muriel Dejemeppe et Marc Gurgand, « Counseling the unemployed : does it lower
unemployment
duration
and
recurrence »,
Mimeo
CREST,
2004
http://www.crest.fr/pageperso/crepon/papMARS.pdf et le 4 pages Connaissance de l’emploi du CEE retraçant leur
étude sur le PARE: http://www.cee-recherche.fr/fr/publicationspdf/c_emploi_20.pdf
26
Voir Gerard van den Berg et Bas van der Klauw, « Counseling and monitoring of unemployed workers : Theory
and evidence from a controlled social experiment », Document de travail, Free University of Amsterdam, 2001., D.
Black, J. Smith, M. Berger et B. Noel, « Is the threat of reemployment services more effective than the service
themselves ? Experimental evidence from the UI system », NBER Working Paper 8825, 2002.
COE décembre 2005
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
21
Sur ces sujets, la France présente quelques caractéristiques :
- les dépenses actives pour l’emploi, regroupant les moyens consacrés au service
public de l’emploi et les mesures d’accompagnement, sont importantes : de l’ordre
de 0,64 % du PIB, contre une moyenne de l’OCDE à 0,37%. Le graphique cidessous reprend ces données pour 13 pays de l’OCDE en 2002 ;
M o y e nn e
0 ,3 7
S u is s e
0 ,2 4
S u èd e
0 ,67
R o y a u m e -U n i
0,21
P a y s -B a s
0 ,8
N o u v e l l e Z é la n d e
0 ,3 2
N o rv è g e
0 ,19
F ra n c e
0 ,6 4
F in la n d e
0, 22
E t a t s -U n is
0 ,0 9
E s pa gn e
0, 25
B e lg iq u e
0 ,4 1
A u tr ic h e
0 ,3 4
A lle m a g n e
0, 39
0
0 ,2
0 ,4
0, 6
0 ,8
1
P o u rc e n ta g e d u P IB
- les indices de satisfaction des usagers du service public sont relativement faibles,
notamment pour l’ANPE ; d’une manière générale, l’éclatement des institutions
du service public de l’emploi nuit à la qualité de l’accompagnement ;
- le recours aux sanctions est quasiment inexistant en France. Les pratiques des
autres pays en la matière sont très variables (taux de sanction de 57% aux EtatsUnis, 10% en Finlande, 4% au Danemark, 1% en Allemagne), sans qu’un lien avec
les résultats sur le retour à l’emploi puisse être établi.
4.3 Éducation, formation initiale et formation tout au long de la vie
Dans un contexte économique marqué par les processus de « destruction créatrice », les
exigences en termes d’adéquation entre offre et demande de travail sont essentielles. Elles
impliquent une capacité du système d’éducation et de formation continue à offrir les
qualifications et les re-qualifications nécessaires.
A cet égard, les traits suivants ont été soulignés par F. Kramarz :
- environ 20% des jeunes sortent sans diplôme ou sans qualification du système
éducatif : il s’agit d’une spécificité française. Denis Fougère a relevé à quel point
COE décembre 2005
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
22
ces résultats portaient à conséquence dans un pays comme la France où l’on
accorde une importance primordiale au diplôme dans l’accès à l’emploi ;
- la validation des acquis de l’expérience (VAE) constitue une innovation
potentiellement majeure mais reste encore très restrictive dans ses conditions
d’accès ;
- enfin, l’accès à la formation continue reste inégalitaire et ne correspond pas
nécessairement aux besoins principaux : il concerne moins les salariés les moins
qualifiés et diminue avec l’âge, comme le confirme le graphique ci-dessous qui
retrace le taux d'accès à la formation continue des actifs occupés selon l'âge et la
qualification.
4.4 Coût du travail et prélèvements obligatoires
4.4.1 Eléments théoriques
Le coût du travail, résultante du salaire versé et du « coin » fiscal (et social), est une
composante importante du débat économique sur les causes du chômage. Les chiffres
montrent que le coût du travail français n’est pas particulièrement défavorable par rapport à
nos principaux partenaires (Allemagne, Royaume-Uni), mais que sa composition est
différente, la part des charges étant plus importante.
Le débat s’est donc recentré sur la question du coin fiscal, qui a constamment augmenté
en Europe, et en France en particulier, à partir des années 1960 sans qu’une corrélation claire
COE décembre 2005
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
23
avec l’augmentation du chômage puisse être établie.
Les économistes sont relativement divisés sur cette question, certains y voyant une cause
majeure du chômage, d’autres développant des arguments théoriques en faveur de l’absence
d’impact sensible 27 . Ces derniers font notamment valoir que les contributions fiscales ou
sociales pesant au même niveau sur les salaires et les allocations de chômage n’induisent pas
d’effet défavorable à l’emploi. D’une manière générale, la prise en compte du coin fiscal
influe sur les négociations salariales et le niveau de salaire net versé : les entreprises reportent
sur les salariés l’impact de la hausse des contributions. Néanmoins, ce processus de report ne
peut avoir lieu au niveau du salaire minimum, qui s’impose aux employeurs. C’est pour cette
raison que l’augmentation des charges peut avoir, d’un point de vue théorique, un impact sur
le coût du travail et donc sur le chômage. Les études et les mesures adoptées par les pouvoirs
publics se sont donc logiquement concentrées sur cette question du coût du travail au niveau
du salaire minimum, d’autant que c’est à ce niveau que l’élasticité du travail à son coût est la
plus forte.
4.4.2 Salaire minimum et allègements des charges
Les travaux du COE sur les aides publiques à l’emploi et sur le lien entre emploi et
financement de la protection sociale apporteront un nouvel éclairage précieux sur l’évaluation
des dispositifs d’allègements de charges et sur l’impact sur l’emploi, notamment des moins
qualifiés.
En l’état, F. Kramarz a présenté les éléments suivants :
- en termes réels, le salaire minimum a connu une augmentation continue en
France depuis les années 1970, tandis qu’il diminuait au niveau fédéral aux EtatsUnis. Outre son impact potentiel sur l’emploi, cette évolution pèse également sur
la répartition des revenus : des travaux récents aux États-Unis montrent que
l’augmentation des inégalités y est directement liée à cette baisse du salaire
minimum 28 ;
- aux États-Unis, la part des charges sociales dans le coût global du travail a atteint
au maximum 10%, tandis que cette part atteignait 80% en France en 1996 ; depuis
lors, les forts allègements de charge au niveau du salaire minimum ont conduit à
une baisse sensible du coût du travail à ce niveau ;
Les études menées en France sur la probabilité de perdre ou de rester dans son emploi lors
d’épisodes de hausse du salaire minimum (1990-1991) ou de baisse des coûts du travail à ce
27
Cf. notamment Blanchard O. (2005), “European Unemployment : the Evolution of Facts and Ideas”, MIT Working
Paper 05-24, October 2005.
28
David H. Autor, Lawrence F. Katz, and Melissa S. Kearney, “Rising Wage Inequality: The Role of Composition
and Prices”, August 2005. David H. Autor, Lawrence F. Katz, and Melissa S. Kearney “Trends in U.S. Wage
Inequality: Re-Assessing the Revisionists.” , September 2005.
COE décembre 2005
Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
24
niveau (1995-96) indiquent :
- que l’augmentation du SMIC augmente la probabilité d’une perte d’emploi pour
les salariés rémunérés à ce niveau et que les baisses de charges n’engendrent pas
de croissance de l’entrée dans les emplois 29 ;
- que la baisse de charges de 1996 a le plus touché les entreprises les moins
productives qui étaient sur une tendance de licenciement des salariés les moins
qualifiés : pour la première fois on observe un arrêt de la diminution de la part des
ouvriers non-qualifiés 30 .
- qu’on peut en inférer que la baisse de charges a surtout permis d’enrayer la
destruction d’emplois, en particulier dans les entreprises les moins productives.
Des études menées sur les Etats-Unis montrent à l’inverse qu’une hausse du salaire
minimum n’a pas d’impact sur les personnes directement concernées quant à leur probabilité
de perte d’emploi. On peut émettre l’interprétation que cette différence provient du plus
faible écart existant de l’autre côté de l’Atlantique entre salaire minimum et coût du travail.
4.5 Le partage du travail
4.5.1 L’augmentation de la population active n’augmente pas le chômage
L’idée que les entrées et sorties de la population active ont un impact direct sur le
chômage est fortement répandue et ancrée dans le discours collectif. Il est ainsi avancé, par
exemple :
- que l’immigration a un effet néfaste sur l’emploi,
- ou que les départs en retraite des baby-boomers favoriseront la diminution du
taux de chômage et l’emploi des jeunes en particulier.
Or, les analyses économiques empiriques infirment totalement ces positions :
- les études menées sur des pics migratoires indiquent qu’ils induisent un effet
positif sur le chômage 31 et un pays démographiquement dynamique grâce à
l’immigration n’est pas condamné au chômage de masse : la population en âge de
travailler a ainsi augmenté de plus de 10% aux Etats-Unis entre 1990 et 2000,
29
F. Kramarz, T. Philippon (2001), « The Impact of Differential Payroll Tax Subsidies on Minimum Wage
Employment,» Journal of Public Economics, 82, 115-146.
30
Crépon B. et R. Desplatz (2002) : « Evaluation des effets des dispositifs d’allégement de charges sur les bas
salaires», Economie et Statistique.
31
Cf. David Card “The Impact of the Mariel Boatlift on the Miami Labor Market.” Industrial and Labor Relations
Review 43 (January 1990) : étude sur l’arrivée massive d’une immigration cubaine à Miami en 1980 qui montre que
le taux de chômage des différentes catégories de la population y a mieux évolué que dans des villes comparables. De
même, les études de Jennifer Hunt sur l’arrivée en France des rapatriés d’Algérie confirment l’absence d’impact
négatif (J. Hunt, "The Impact of the 1962 Repatriates from Algeria on the French Labor Market". Industrial and
Labor Relations Review April 1992).
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Groupe du travail Causes du chômage
Document préparatoire qui n’engage pas le COE
contre une hausse de 3,8% en France 32 . De même, sans que ces expériences aient
déjà été empiriquement évaluées, on peut relever que les pays européens qui ont
d'ores et déjà levé toutes les restrictions à la libre circulation des ressortissants des
nouveaux Etats membres n’en ont pas souffert en termes de taux de chômage33 ;
- l’entrée des femmes sur les marchés du travail n’a pas conduit à une dégradation
des taux de chômage. Les pays du nord de l’Europe, où les taux d’activité
féminins sont les plus élevés, sont à cet égard emblématiques ;
- les pays caractérisés par un taux d’emploi des seniors élevé sont aussi ceux qui
ont les meilleurs résultats sur le taux d’emploi des jeunes. Certains pays (Pays-Bas,
Irlande, Finlande par exemple) sont ainsi parvenus à améliorer concomitamment
ces deux taux au cours de la dernière décennie.
Dans ces conditions, il apparaît que les départs des seniors ne favoriseront pas l’emploi
des jeunes, comme l’a notamment rappelé Jacques Freyssinet devant le groupe de travail. Ils
créeront même un choc négatif globalement défavorable au dynamisme de l’économie et à
l’emploi. Les politiques malthusiennes de retrait d’activité des seniors (préretraites, dispense
de recherche d’emploi) n’ont à cet égard apporté aucune amélioration à l’emploi des jeunes.
Elles n’ont d’ailleurs pas sensiblement reculé ces dernières années, la décrue des préretraites
étant largement compensée par la hausse des dispenses de recherche d’emploi qui dépassent
le seuil des 400 000 personnes (dont 260 000 indemnisées par le régime d’assurance
chômage).
Préretraites secteur privé
Dispenses de recherche d'emploi
Total
800000
700000
600000
500000
400000
300000
200000
100000
0
1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
32
P. Cahuc et A. Zylberberg, « Le chômage, Fatalité ou nécessité », Flammarion 2005, p 55.
L’Irlande a ainsi déjà accueilli 150 000 nouveaux entrants, soit dix fois plus que prévu, et son taux de chômage a
poursuivi sa baisse sur la période.
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Groupe du travail Causes du chômage
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33
4.5.2 Les effets de la réduction du temps de travail
La réduction du temps de travail constitue une mesure complexe comprenant de
nombreuses dimensions qui dépassent le cadre de cette réflexion sur les causes du chômage.
On peut néanmoins souligner les points suivants mis en évidence par les études économiques
et développés devant le groupe par F. Kramarz et G. Cette :
- la réduction du temps de travail de 40 à 39 heures a plutôt détruit de l’emploi :
c’est le constat d’études comparant les entreprises qui sont passés à 39 h
relativement tôt et celles qui y sont entrées plus tard 34 .
- le passage de 39 à 35 heures a en revanche créé à court terme de l’emploi
(300 000 à 350 000 emplois selon des estimations convergentes utilisant des
techniques différentes) 35 . Les importantes exonérations de charges accompagnant
cette réforme ont contribué à ces résultats, avec un coût budgétaire nonnégligeable. Ces allègements ont permis d’éviter des effets défavorables de la RTT
sur les coûts salariaux unitaires ou sur le taux de marge des entreprises. Mais la
forte revalorisation du SMIC a atténué l’effet global favorable sur l’emploi.
5. Le fonctionnement des marchés des biens et services a un impact direct sur
l’emploi
5.1 Concurrence et barrières à l’entrée
Dans la littérature économique sur les causes du chômage, les caractéristiques de
fonctionnement des marchés de biens et de services sont moins fréquemment explorées que
les institutions du marché du travail ou les chocs macro-économiques. Elles paraissent
néanmoins constituer un facteur explicatif non négligeable, comme l’ont expliqué devant le
groupe Francis Kramarz et les représentants de l’OCDE.
En effet, les réglementations limitant la concurrence dans certains secteurs, le plus souvent
protégés de la concurrence internationale, sont à rapprocher de la faiblesse de l’emploi dans
ces secteurs abrités. Ainsi, si la France avait le même taux d’emploi que les Etats-Unis dans le
commerce, l’hôtellerie et la restauration, elle compterait 3,4 millions d’emplois
supplémentaires ; la même comparaison avec les Pays-Bas aboutit à 1,8 million d’emplois, et
à 1,2 million dans les cas de l’Allemagne et du Danemark 36 .
34
Crépon B. and F. Kramarz (2002) : « Employed 40 Hours or Not employed 39 : Lessons from the 1981
Mandatory Reduction of the weekly Working Hours » Journal of Political Economy
35
36
Des travaux récents de Crépon, Leclerc, Roux confirment ces résultats.
Ces points sont développés dans le rapport de Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil, Productivité et emploi dans les
services, Rapport n°40 du CAE, 2004.
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Les barrières à l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises plus productives peuvent
être instaurées avec l’objectif de réduire les destructions d’emplois, au moins à court terme.
Néanmoins, ces barrières ont rapidement des effets défavorables non seulement pour le
consommateur mais aussi pour l’emploi :
- elles contribuent à la hausse des prix et donc à la baisse de la demande pour les
produits ;
- elles ont tendance à limiter les innovations et l’apparition de nouveaux produits ;
- elles sont souvent défavorables pour les jeunes en particulier, par exemple dans
l’accès à l’emploi sur des secteurs de services ou dans la création de nouvelles
activités ;
- elles contribuent enfin à diminuer les gains de productivité, ce qui s’avère à
terme défavorable à l’emploi.
Des études empiriques montrent que les régulations anticoncurrentielles se traduisent dans
plusieurs secteurs par des pertes d’emploi globales. Il en est ainsi, notamment, du commerce
de détail et du transport routier de marchandises 37 .
A un niveau plus macro-économique, l’OCDE et la Banque mondiale ont entamé des
travaux visant à établir des indicateurs synthétiques du niveau des barrières d’accès aux
marchés des biens et services.
La Banque mondiale a ainsi construit un indicateur de facilité du commerce. Le rang de
classement de plusieurs pays au regard de cet indicateur est mis, dans le graphique ci-dessous,
en relation avec le taux d’emploi national 38 . On observe que la corrélation entre le taux
d’emploi et le rang de classement est très forte. Les pays qui ont le moins de barrières
réglementaires sont aussi ceux où le taux d’emploi est le plus fort. Par exemple, les taux
d’emplois des quatre premiers du classement, la Nouvelle Zélande, les États-Unis, le Canada
et la Norvège, sont respectivement de 73,5%, 71,2%, 72,6% et 75,6%. En revanche, les taux
d’emplois de la France, de la Grèce, de l’Italie et de la Turquie, qui se trouvent dans le bas du
classement, sont de 62,8%, 59,6%, 57,4% et 46,1%.
37
Marianne Bertrand et Francis Kramarz « Does entry regulations hinder job creation ?Evidence from the french
retail industry » Quartery Review of economics CXVII,4,2002, pp 1369-1414.Pierre-Philippe Combes et Miren
Lafourcade « Transport costs : measures, determinants and regional policy implications for France »,2004 document
de travail CERAS, O4-05.
38
En d’autres termes, le pays ayant le rang 1, en l’occurrence la Nouvelle Zélande est le pays où les entraves
réglementaires sont les plus faibles
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SUI
NOR D K
NZ
Taux d'emploi 2004
60
70
SWE
UK
C AN
USA
AUS
PB
JAP
FIN
IRL
ALL
PRT
AUT
CZE
KOR
ESP
FR
BEL
GR
SLO
HUN IT
50
POL
40
TUR
0
10
20
30
Rang 2004
Relation entre l’indicateur du degré de facilité du commerce et le taux d’emploi en 2004.
Source : OCDE et Banque Mondiale.
Il est possible d’aller un peu plus loin que ces corrélations en estimant à l’aide d’un modèle
statistique les effets d’une modification de l’indicateur de concurrence d’un pays sur les
performances macroéconomiques de ce pays. Ainsi, l’étude de la Banque Mondiale montre, à
l’aide d’une simulation numérique de ce type, que le taux de chômage d’un pays comme la
Grèce pourrait être abaissé de plus de trois points de pourcentage si ce pays avait un cadre
pour la vie économique équivalent à celui du Danemark. Une autre étude récente 39 aboutit à
un résultat sensiblement identique pour la France. Elle trouve que si la France alignait sa
réglementation sur le pays de l’OCDE le plus « vertueux », elle gagnerait 1,2 points de
pourcentage sur son taux d’emploi (ce qui correspond à 500 000 emplois) et que le taux de
croissance annuel de la productivité totale des facteurs augmenterait d’environ 0,2 point de
pourcentage sur les dix prochaines années.
5.2 L’impact sur le chômage de dysfonctionnements sur les marchés des biens
et services
L’intervention de Denis Fougère sur les liens entre chômage et exclusion sociale a
également mis l’accent sur l’impact des dysfonctionnements de certains marchés, tels le
39
Nicoletti, G. et S. Scarpetta, « Regulation, productivity and growth: OECD evidence », Economic Policy, avril
2003.
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logement ou les transports, sur l’accès à l’emploi. Ces éléments sont en effet susceptibles de
freiner les flux et la mobilité sur le marché du travail, en particulier pour les jeunes.
Les inadéquations entre offre et demande de logements et les difficultés auxquelles sont
confrontées les catégories les plus défavorisées dans l’accès au logement (social ou non)
contribuent en effet au processus de ségrégation territoriale déjà décrit, lequel rend plus
difficile l’accès à l’emploi :
- phénomène d’enclavement : les emplois ne sont que rarement sur les lieux de
vie ;
- effets défavorables sur l’éducation et la formation ;
- phénomène de marqueur social et de stigmatisation susceptible de freiner le
recrutement.
De la même façon, les défaillances du marché des transports contribuent aux processus
d’enclavement et de ségrégation. Ces défaillances concernent bien sûr les dessertes de
transports collectifs, mais aussi, à un degré moindre, des phénomènes liés aux questions de
concurrence : par exemple, les règles limitant les possibilités de création d’auto-école en
France contribuent à ce que l’accès aux formations du permis de conduire soit parmi les plus
coûteux d’Europe.
On dispose d‘évaluations « aléatoires » sur les programmes américains de lutte contre la
ségrégation territoriale. Denis Fougère a ainsi présenté différents programmes de lutte contre
les ghettos conduits aux Etats-Unis, tel le programme Gautreaux mis en œuvre à Chicago à
partir de 1976 et l’expérimentation baptisée Moving to Opportunity (MTO) conduite à partir
de 1994 dans cinq grandes villes (Baltimore, Boston, Chicago, Los Angeles, et New-York).
Ces programmes centrés sur les personnes ont notamment aidé à des déménagements et
relogements dans des quartiers moins défavorisés. Les nombreuses études menées40
indiquent une amélioration des résultats scolaires des enfants, ainsi que la santé et la sécurité
des publics concernés. Les résultats sur l’emploi des parents ont pour leur part été bons dans
le cadre du programme de Chicago, moins probants dans le cadre de l’expérimentation
MTO.
40
Voir notamment les études de L. Katz sur le programme Moving to opportunity.
http://post.economics.harvard.edu/faculty/katz/papers.html
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30
Conclusion
En guise de conclusion, on peut évoquer deux thématiques également abordées par le
groupe de travail qui, sans qu’elles aient un lien direct avec les causes du chômage, pourront
utilement faire l’objet d’éventuels travaux ultérieurs du conseil d’orientation :
- plusieurs intervenants, notamment Gilbert Cette et Jacques Freyssinet, ont insisté sur la
nécessaire cohérence des dispositifs de la politique de l’emploi, relevant quelques mesures
poursuivant des objectifs contradictoires entre elles ou dans le temps du fait de modifications
fréquentes. L’intervention de Bruno Crépon sur les méthodologies et les enseignements des
évaluations des politiques de l’emploi a à cet égard permis de poser les premiers jalons de
travaux plus approfondis en la matière ;
- s’agissant des comparaisons internationales, plusieurs interventions ont relevé le cas de
certains pays, tels l’Irlande ou les Pays-Bas, qui à partir de caractéristiques du chômage
proches de celles de la France ont connu des améliorations très sensibles et relativement
rapides. Tout en relativisant la portée de comparaisons qui portent nécessairement sur des
contextes très différents et qui montrent parfois que des résultats différents peuvent être
obtenus à partir de dispositifs comparables41 , les membres du groupe ont souligné l’intérêt de
mieux connaître les évaluations d’expériences réussies à l’étranger dans la lutte contre le
chômage.
41
Cf. intervention de Bruno Crépon sur les « impôts négatifs » aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
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Annexe 1 : quelques références bibliographiques
1- Documents généraux sur les causes du chômage
Blanchard O. (2005), “European Unemployment : the Evolution of Facts and Ideas”, MIT
Working Paper 05-24, October 2005
Blanchard, O. and Wolfers, J. (2000) “The Role of Shocks and Institutions in the Rise of
European Unemployment: The Aggregate Evidence”, The Economic Journal
Fitoussi, Jestaz, Phelps, Zoega (2000), “Roots of the Recent Recoveries: Labor Reforms or
Private Sector Forces?”, Brookings Papers on Economic Activity
Layard (R), Nickell (S) et Jackman (R) (1991), Unemployment : Macroeconomic
performance and labour market, Oxford University Press.
Nickell, Nunziata, Ochel (2005) « Unemployment in the OECD since the 1960s: What do
we know? » Economic Journal - January 2005
2- Emploi des seniors
Conseil d’analyse économique, Rapport de Antoine d’Autume, Jean-Paul Betbèze et JeanOlivier Hairault, « Les seniors et l’emploi en France », décembre 2005
Pierre Cahuc, « Le difficile retour en emploi des seniors », Chambre de commerce et
d’industrie de Paris, Centre d’observation économique, Avril 2005
OCDE « Vieillissement et politique de l’emploi », rapport de synthèse – octobre 2005 (et
rapports spécifiques par pays, dont rapport sur la France de 2005)
3- Chômage et exclusion sociale /territoriale
Jean-Paul Fitoussi, Eloi Laurent et Joël Maurice, « Ségrégation urbaine et intégration sociale »
Conseil d’Analyse Economique et la Documentation Française, 2003, 139 p.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/044000057/0000.pdf
Jacques Donzelot en collaboration avec Catherine Mével et Anne Wyvekens, « Faire
société: la politique de la ville aux Etats-Unis et en France », Editions du Seuil, 2003
Christophe Guilluy et Christophe Noyé, « Atlas des nouvelles fractures sociales en France
: les classes moyennes oubliées et précarisées », éditions autrement, 2004
Eric Maurin « Le ghetto français : enquête sur le séparatisme social », Le Seuil, Coll. « La
république des idées », 2004
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Groupe du travail Causes du chômage
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Rapport de l’observatoire national des ZUS (2005) : synthèse disponible sur
http://www.ville.gouv.fr/pdf/editions/observatoire-ZUS-rapport-2005-synthese.pdf
4- Dynamique de la croissance et flux d’emplois
Cahuc (P) et Kramarz (F) (2004), De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale
professionnelle, Rapport au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et au
ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, décembre 2004.
Mortensen D. et Pissarides C. (1994), « Job Creation and Job Destruction in the Theory of
Unemployment », Review of Economic Studies, n° 61.
Haltiwanger et Davis (1999), «Gross Job Flows», Handbook of Labor Economics
Crépon B., R. Duhautois (2004), « Ralentissement de la productivité et réallocations
d’emplois : deux régimes de croissance », Economie et Statistique n°367 .
Duhautois Richard (2005), « Les créations nettes d’emplois : la partie visible de l’iceberg »,
Insee première Mai 2005 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip1014.pdf
5- Protection de l’emploi
O. Blanchard and P. Portugal. “What hides behind an unemployment rate. Comparing Portuguese
and U.S. unemployment”. American Economic Review, 91(1):187–207, March 2001.
CERC (2005), « La sécurité de l’emploi face aux défis des transformations économiques », Rapport, n°
5, Paris, La Documentation française.
O. L’Haridon et F. Malherbet (2003), « Protection de l’emploi et performances du marché du
travail », Document de travail du CREST 2003-19
OCDE 1999 et 2004 « Perspectives pour l’emploi » : chapitre sur la législation de protection de
l’emploi et la performance du marché du travail
F. Postel-Vinay et A. Saint-Martin « Comment les salariés perçoivent-ils la protection de l’emploi ? »,
Economie et statistiques, n°27 février 2005
6- Accompagnement des demandeurs d’emploi
CERC, Rapport n°6 « Aider au retour à l'emploi », La Documentation française, 2005
Bruno Crépon, Muriel Dejemeppe et Marc Gurgand, « Counseling the unemployed : does it
lower
unemployment
duration
and
recurrence »,
Mimeo
CREST,
2004
http://www.crest.fr/pageperso/crepon/papMARS.pdf et le 4 pages Connaissance de l’emploi du CEE
retraçant leur étude sur le PARE: http://www.cee-recherche.fr/fr/publicationspdf/c_emploi_20.pdf
7- Coût du travail et allègements des charges
Crépon, B et R. Desplatz (2001), « Une nouvelle évaluation des effets des allègements de
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33
charges sociales sur les bas salaires », Economie et Statistique, n° 348.
L’Horty, Y. (2001), « Baisse des cotisations sociales sur les bas salaires : une réévaluation »,
Economie et Statistique, n° 348.
8- Marchés des biens
Cahuc (P) et Kramarz (F) (2004), “De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale
professionnelle”, Rapport au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et au
ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, décembre 2004.
Blanchard, O. et Giavazzi, F., « Macroeconomic Effects of Regulations and Deregulation in Goods
and Labour Markets », Quarterly Journal of Economics, 2003, 118(3), pp. 879-907
Haefke, C. et Ebell, M., « The Missing Link: Product Market Regulation, Collective Bargaining and
The European Unemployment Puzzle », mimeo, Universitat Pompeu Fabra, 2004.
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Annexe 2 : Liste des présentations devant le groupe de travail
1) Présentations des membres du groupe de travail
- réunion du 15 novembre
présentation de Francis Kramarz
- réunion du 29 novembre
présentations de Gilbert Cette, Jacques Freyssinet et Pierre Cahuc
- réunion du 13 décembre
présentations de Bruno Crépon et de Denis Fougère
2) Contributions des membres du groupe de travail
- contribution de l’UNSA
- fiche de la DARES et de la DGTPE sur le chômage structurel et le chômage
conjoncturel
- fiches de la DARES apportant des éléments statistiques sur les points suivants :
Fiche 1 : Les motifs de sortie de l’emploi dans les sources statistiques
Fiche 2 : Les motifs d’inscription dans les fichiers de l’ANPE
Fiche 3 : Éléments de comparaison internationale sur les taux de chômage par
niveaux d’éducation
Fiche 4 : Les créations nettes d’emplois par secteur d’activité et par taille
d’entreprise
Fiche 5 : Les dispositifs publics d’accompagnement des restructurations
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Annexe 3 : Comptes-rendus des trois réunions du groupe de travail
24‐nov.‐05 CONSEIL D’ORIENTATION POUR L’EMPLOI Groupe de travail ʺCauses du chômageʺ Réunion du 15 novembre 2005 Compte rendu Ordre du jour : ‐ Présentation de Francis Kramarz : Éléments sur le chômage en France ‐ Intervention de John Martin : Les spécificités françaises en matière dʹemploi Au cours de sa première réunion en formation plénière le 26 octobre dernier, le Conseil dʹorientation pour lʹemploi a souhaité commencer ses travaux par un premier exercice collectif de diagnostic sur les causes du chômage français. Le partage dʹun tel diagnostic constitue, en effet, une base de départ essentielle aux travaux du Conseil dʹorientation pour lʹemploi. Le principe de la constitution dʹun groupe de travail sur ce thème a été arrêté, Francis Kramarz (INSEE‐CREST), membre du Conseil, ayant accepté dʹen être le rapporteur. Les travaux menés seront restitués lors de la prochaine réunion plénière du Conseil dʹorientation pour lʹemploi, en décembre. Des économistes, dʹhorizons divers, seront entendus par le groupe sur la question de savoir ce qui fait ou non consensus aujourdʹhui, sur les causes du chômage et en matière dʹévaluation des politiques publiques dʹemploi. La première réunion de ce groupe avait pour ordre du jour une présentation par F. Kramarz des principaux éléments de connaissance sur les causes du chômage dans notre pays et dʹun regard de lʹOCDE, apporté par John Martin, également membre du Conseil, sur les spécificités françaises en matière dʹemploi et de chômage. COE décembre 2005
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I- Les présentations introductives
1‐ Pour lancer la discussion, Francis Kramarz a commenté une présentation Power Point adressée aux membres du groupe. Les données présentées sont le résultat de travaux menés avec une approche micro économique, utilisée depuis longtemps dans plusieurs pays européens (le Royaume Uni, les pays scandinaves, notamment), mais relativement nouvelle en France, plus familière dʹétudes théoriques ou macro économiques. Selon Francis Kramarz, ces données renseignent sur un certain nombre de points, parmi lesquels notamment : - Alors que le taux dʹemploi des 25‐54 ans est proche, en France, de celui des principaux pays développés, une spécificité française tient cependant au faible taux dʹemploi des jeunes (lequel a ʹdécrochéʹ à partir des années 1970) et des seniors (du fait dʹune politique malthusienne dʹincitation au retrait du marché du travail). - La durée moyenne de chômage des 25‐54 ans reste plus élevée en France que dans la moyenne des pays de lʹOCDE et parmi les pays membres du G7. - Les taux de création et de destruction dʹemplois sont similaires à ceux des autres pays. - Les entreprises françaises les plus productives sont celles qui créent le plus dʹemplois. - La rigueur de la réglementation de la protection de lʹemploi, durcie en France mais assouplie dans dʹautres pays européens dès la fin des années 1980, nʹa pas contribué à réduire lʹinsécurité de lʹemploi. La grande majorité des embauches se fait en contrat à durée déterminée ; le développement de ce type de contrat est une source importante de précarité et de difficulté dʹinsertion des jeunes : le taux de contrats précaires chez les jeunes est beaucoup plus important en France que dans dʹautres pays. Le renforcement de la législation sur la protection de lʹemploi conduit également à une augmentation des ʹlicenciements négociésʹ, sachant que les salariés les plus fragiles ne sont fréquemment pas en mesure de négocier. - Les dépenses par chômeur se situent en France dans la moyenne des pays européens, mais le plafond de lʹindemnisation y est deux fois plus élevé quʹailleurs, et lʹaccompagnement des demandeurs dʹemploi sʹy fait mal. En outre, 30% des dépenses dʹindemnisation du chômage sont versés aux 10% des chômeurs les mieux indemnisés. La complexité des services de lʹemploi et des mécanismes dʹindemnisation du chômage provoque une perte dʹefficacité dans la prise en charge des chômeurs, et explique une certaine insatisfaction de ces derniers vis‐à‐vis du Service public de lʹemploi. Les approches internationales montrent, à ce propos, que les pays où le sentiment de sécurité est élevé sont davantage ceux dans lesquels la protection de lʹemploi est plus faible. - Environ 20% des jeunes Français terminent chaque année leur cursus scolaire sans diplôme. Il sʹagit là aussi dʹune spécificité française. - En matière de coût du travail, les études montrent que la probabilité de perte dʹun emploi sʹaccroît en cas de hausse du salaire minimum. Par ailleurs, lʹeffet ʹbaisse de chargesʹ concerne surtout les entreprises les moins productives, dont la main‐dʹœuvre est en grande partie non qualifiée. COE décembre 2005
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-
-
La réduction du temps de travail de 39 à 35 heures a créé de lʹemploi (300 000 environ), mais sʹest accompagnée dʹexemptions de charges très importantes, le coût du travail se trouvant lissé, au total. Il est difficile d’apprécier la part liée à la RTT et celle correspondant aux exonérations de cotisations. Les effets sur lʹemploi du retrait massif du marché du travail des générations nombreuses de lʹaprès‐guerre restent incertains. Le principal déficit français en emplois réside dans les services. En réponse à une question de Raymond Soubie, sur les leviers susceptibles de permettre une remontée de lʹemploi dans des délais courts, Francis Kramarz a estimé quʹil était difficile de penser emploi sans penser en même temps éducation. Quelques signaux forts devraient, à son avis, être donnés au système éducatif : autonomie des universités ; redéploiement dʹune partie des sommes consacrées à certaines aides publiques à lʹemploi en direction de lʹEducation nationale, … Dans le même temps, plusieurs mesures devraient être prises, selon lui, en matière de politique de lʹemploi : - la création dʹun service public de lʹemploi fort, rapprochant UNEDIC et ANPE, et utilisant organismes publics et privés pour assurer le suivi et lʹaccompagnement des chômeurs ; - lʹabaissement à 2 500 € du plafond dʹindemnisation du chômage ; - une réflexion sur les professions réglementées, potentiellement créatrices de nombreux emplois ; - la création dʹun contrat de travail unique, à durée indéterminée. 2‐ À partir de travaux faits par lʹOCDE sur les causes du chômage, John Martin a pointé rapidement quelques spécificités du marché du travail français, qui apparaît très segmenté, avec un taux dʹemploi des 25‐54 ans relativement élevé, mais des taux dʹemploi très faibles aux deux tranches dʹâge extrêmes : les jeunes et les seniors. Selon lʹanalyse quʹen fait lʹOCDE, les causes du chômage global seraient à rechercher dans plusieurs facteurs : - la réglementation du marché des biens ; - le coût du travail, surtout pour les salariés les moins qualifiés ; - lʹorganisation du service public de lʹemploi et le système dʹindemnisation du chômage. Contrairement à dʹautres pays, les dispositifs publics dʹemploi sont très nombreux (plus dʹune centaine), dont beaucoup se ressemblent et peu sont très efficaces ; - les règles dʹembauche et de licenciement ne sont pas favorables à lʹemploi : le recours aux contrats à durée déterminée est massif, alors quʹil est avéré que la généralisation des CDD ne crée pas durablement des gains dʹemplois ; les procédures juridiques de licenciement, difficiles, incertaines et longues, nuisent à lʹembauche. COE décembre 2005
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Pour M. Martin, lʹobservation des pays étrangers montre quʹil est difficile dʹattendre des réponses très rapides au problème dʹun chômage massif : un délai compris, en moyenne, entre 5 et 10 ans sépare toujours la mise en œuvre de réformes importantes des politiques dʹemploi de leurs effets concrets sur le niveau du chômage. II‐ La discussion Au cours de la discussion qui a suivi, ont été exprimées à la fois une demande de fond dʹune approche économique différente et complémentaire de celle présentée par M. Kramarz, et aussi un certain nombre de compléments dʹinformations sur les données présentées. Lʹimportance de lʹinterdépendance de tous les facteurs en matière dʹemploi Un participant a fait remarquer lʹimportance de lʹinterdépendance, dans le domaine de lʹemploi, des facteurs microéconomiques et des facteurs plus macroéconomiques. Certaines données macroéconomiques (taux de change, politique économique et monétaire, concurrence internationale,…) ont, en effet, un impact sur lʹemploi et ne peuvent pas, à ce titre, ne pas être étudiées. La question de la gouvernance européenne est également posée. Cette remarque a suscité un débat, certains participants insistant sur les limites de lʹapproche macroéconomique (elle nʹapporte pas, par exemple, de réponse à la concentration du chômage sur les jeunes, ou aux différences importantes de performance de croissance entre pays de la zone euro), dʹautres estimant, au contraire, la dimension macroéconomique comme étant essentielle. Après discussion, il a été convenu que cette demande serait étudiée. Les compléments dʹinformation à apporter ‐ En complément de lʹintervention de John Martin, le président, Raymond Soubie, a souhaité que soient portés à la connaissance du groupe certains pays dans lesquels des mesures ont eu incontestablement des effets, quʹils soient positifs ou négatifs, sur le niveau de lʹemploi. De la même façon, il serait pertinent de rechercher sur une assez longue période (15 ans, par exemple), quelles ont été les mesures prises en France qui ont eu, dans un sens ou dans un autre, des effets avérés sur lʹemploi. ‐ Sur lʹefficience du marché de lʹemploi et le rôle du service public de lʹemploi, il serait intéressant dʹétudier le cas dʹun pays scandinave comme le Danemark, dont les résultats en matière dʹemploi sont significatifs. ‐ Le cas des professions et des secteurs réglementés devra faire lʹobjet dʹune étude spécifique, pour apprécier la mesure exacte des freins à la création dʹemplois que constitue la réglementation. COE décembre 2005
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‐ Une organisation a souhaité des informations plus précises sur les types dʹentreprises (taille, secteur dʹactivité, …) qui sont créatrices dʹemplois. De la même façon, il serait important de connaître le type dʹemplois créés et leur degré de qualité. Les moyens de répondre à cette demande devront être étudiés, sachant quʹelle se heurte aujourdʹhui dans notre pays à un problème majeur de recueil de données. ‐ Pour un membre du groupe, il serait utile de disposer de données vérifiées sur la baisse du coût du travail et le niveau des réductions de charges depuis 1996. Ce même participant a souhaité obtenir des taux de chômage comparatifs entre qualifiés et non qualifiés, diplômés et non diplômés. ‐ Enfin, la Direction de lʹanimation de la recherche et des études statistiques (DARES) a été invitée à vérifier la façon dont sont présentées les ruptures négociées du contrat de travail dans les études et les statistiques sur les ruptures du contrat (licenciement ou démissions). De lʹavis de la plupart des participants, les présentations des travaux de Francis Kramarz et de John Martin ont bien ouvert le débat. Elles ont ainsi répondu à la commande, qui était de présenter ce que lʹon sait aujourdʹhui sur les causes du chômage de notre pays. Les travaux du groupe devront, dans un premier temps, se poursuivre avec le même objectif : rassembler les travaux existants qui nʹappellent pas dʹétudes complémentaires. Cʹest dans un deuxième temps quʹune réflexion sera engagée sur les approfondissements nécessaires. La prochaine réunion du groupe, qui se tiendra le mardi 29 novembre, sera consacrée à lʹaudition dʹautres experts de ces questions 42 . Les membres du groupe de travail peuvent, naturellement, faire parvenir à Francis Kramarz ou à Eric Aubry toutes les réflexions complémentaires suscitées par le thème abordé par le groupe de travail. 42
Les noms de Gilbert Cette, de Jacques Freyssinet et de Jean Pisani-Ferry ont été évoqués en séance, ainsi que la
proposition d'auditionner un expert scandinave, compétent sur les questions de gestion de l'emploi.
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CONSEIL D’ORIENTATION POUR L’EMPLOI Groupe de travail ʺCauses du chômageʺ Réunion du 29 novembre 2005 Compte rendu Ordre du jour : Première approche de la dimension macro économique des causes du chômage Cette réunion du groupe de travail était consacrée à une première approche de la dimension macroéconomique des causes du chômage, avec des présentations de Gilbert Cette, professeur associé de sciences économiques, Jacques Freyssinet, de lʹIRES, et Pierre Cahuc, Université Paris I (CREST‐INSEE). Cette séance venait dans le prolongement de la réunion du groupe de travail, le 15 novembre dernier, qui avait été consacrée à une présentation par Francis Kramarz des principaux éléments de connaissance sur les causes du chômage dans notre pays, issus de travaux micro économiques. I‐ Les présentations introductives
1‐ Gilbert Cette, professeur de sciences économiques et directeur des analyses macro économiques et des prévisions à la Banque de France, a présenté, à titre personnel, quelques interrogations sur les explications macro économiques possibles au chômage français. Depuis 1973, la France a connu, comme tous les pays industrialisés, une succession de chocs adverses
majeurs qui ont affecté son économie
Les deux premiers sont connus : un choc pétrolier, très important en terme de coûts, et
des chocs de change : les fluctuations des taux de change ont entraîné des pertes de
compétitivité considérables, y compris sur période récente.
Les autres chocs sont liés aux politiques menées par l’Allemagne :
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Au moment de la réunification, des tensions inflationnistes fortes sur lʹoffre ont conduit la Bundesbank à resserrer très vigoureusement la politique monétaire allemande. Les conséquences ont été importantes pour la France, avec une forte chute du taux de croissance en 1993. COE décembre 2005
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A partir de la deuxième moitié des années 90, lʹAllemagne se caractérise par une croissance très faible de ses coûts salariaux unitaires, qui a permis des gains de productivité, (même sʹils sont restés faibles), au détriment des autres pays. Cependant, le décrochement de la productivité allemande au moment de la réunification nʹa jamais été rattrapé. La perte de compétitivité nʹa été regagnée, par la suite, quʹau prix dʹune modération salariale colossale. ‐
Un nouveau choc est à attendre des politiques envisagées pour 2007 : . la grande coalition allemande a annoncé son intention de relever la TVA de trois points, ce qui équivaudrait à 0,6 point d’inflation dans la zone euro ; . de la même façon, une baisse de 1 à 2 point des taux de cotisation sociale est prévue. Ces choix reviennent à une dévaluation déguisée pour 2007, dont les conséquences seront de dynamiser encore la demande externe, et de réduire l’équilibre macro‐économique moyen de la zone euro. Une indétermination du NAIRU Un point d’analyse nʹest pas résolu, car son interprétation est difficile : celui de la diminution du chômage sans poussée inflationniste à la fin des années 90. Le taux de chômage a, en effet, baissé de 3,5 points en France et de 3 points dans zone euro, sans tensions inflationnistes. Les analyses antérieures du NAIRU et du taux de chômage dʹéquilibre ont ainsi été déstabilisées. Quelques éléments sur la productivité La comparaison entre les grands pays industrialisés du G7 montre que le niveau de productivité horaire est supérieur en France et en Europe par rapport aux Etats‐Unis, alors que le niveau du PIB par habitant est plus faible. La forte productivité horaire apparente en France sʹexplique, cependant, par un nombre d’heures travaillées et un taux d’emploi inférieurs. Les niveaux de productivité structurelle y sont en réalité plus faibles, en raison de facteurs divers (qualification de la main‐dʹœuvre moins élevée, éléments de rigidité de la durée du travail, …). Si la France appliquait les mêmes durées de travail et taux d’emploi qu’aux Etats‐Unis, elle se situerait à des niveaux de productivité inférieurs. Ceci explique également une partie de l’écart du PIB par habitant. On peut sʹinterroger sur le point de savoir si ceci résulte du jeu des institutions ou dʹun choix social. Dans des travaux récents, Prescott et Blanchard considèrent que cet écart s’explique presque complètement par les institutions : de mauvaises incitations fiscales et de mauvais dispositifs réglementaires. En outre, il y a en France de nombreuses contradictions dans les divers dispositifs dʹincitations : ainsi, 4 Mrds€ sont consacrés au dispositif de la Prime pour lʹEmploi (PPE), destiné à inciter des non qualifiés à entrer sur le marché du travail, alors que, dans le même temps, 3 Mrds€ le sont, au titre de lʹAPE, pour encourager les salariés peu qualifiés à en sortir. Les sommes allouées sont ainsi presque les mêmes, pour des incitations inverses. COE décembre 2005
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La réduction du temps de travail à 35h Considérée comme une modalité d’augmentation du niveau de vie, avec gains de productivité induits, la réduction du temps de travail réduit de façon mécanique le niveau potentiel du PIB. Ses effets sur le long terme dépendent de son impact propre sur les coûts salariaux unitaires. La réduction du temps de travail nʹa pas eu d’influence sur le taux de marge des entreprises françaises, qui sʹétait stabilisé depuis le début des années 90. Elle nʹa pas eu d’effet défavorable sur les coûts salariaux unitaires, ayant conduit plutôt à leur modération. Si lʹon dresse un bilan dʹensemble de la réduction à 35 heures de la durée du travail, les effets positifs sont les suivants : ‐ elle nʹa pas pesé sur les coûts de production ; ‐ elle a permis la création de 350 000 emplois ; ‐ elle a dynamisé la négociation collective, avec, en particulier, lʹouverture du droit dérogatoire contractuel. En revanche, ses effets défavorables ont été : ‐ une mauvaise gestion des garanties salariales, qui a entraîné une forte revalorisation du Smic, atténuant ainsi les effets favorables à lʹemploi des allègements de charges ; ‐ une gestion encore plus mauvaise de la réduction du temps de travail dans le secteur public (soit ¼ des emplois français), qui a constitué la perte d’une occasion unique de revoir les questions dʹorganisation du travail, et cela malgré le rapport Roché de 1998. Un droit du travail trop réglementaire Gilbert Cette procède avec Jacques Barthélemy à une analyse sur les rigidités du marché du travail, à paraître dans Droit social, en janvier 2006. Le Code du travail est, en France, très développé, avec un droit règlementaire important et un droit contractuel très réduit. Cette situation, couplée à un taux de syndicalisation le plus faible dʹEurope, contribue à lʹélévation du taux de chômage dʹéquilibre. Lʹindicateur LPE, construit par l’OCDE, permet de mesurer les effets du cadre réglementaire sur le chômage. Il fait apparaître une petite corrélation sur le taux d’emploi des 15‐64 ans, plus forte sur les 15‐
24 ans. Aussi, la question est souvent posée dʹune simplification du droit du travail. Selon G. Cette, il faudrait plutôt, à côté du droit réglementaire, dynamiser le droit conventionnel, en permettant lʹextension du droit contractuel dérogatoire, lequel aurait vocation à devenir la règle 43 . 2‐ Jacques Freyssinet, ancien directeur de lʹInstitut de recherches économiques et sociales (IRES), a présenté une approche macro économique des causes du chômage, et tenté de répondre à la question suivante : y a‐t‐il depuis vingt ans, sur des tendances de moyen et de long terme, des faits stylisés et des En matière, par exemple, du recours à lʹemploi précaire, du droit du licenciement, de la gestion des conflits ou de la compétence des Prudʹhommes.
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résultats robustes qui font consensus, sachant que, selon lui, les variations de la population active ne constituent pas une variable explicative du chômage. Un document, remis en séance, résume le contenu de lʹintervention de J. Freyssinet. Le lien emploi‐croissance, instable pendant longtemps, a été clairement rétabli au début des années 90. Il reste, cependant, opaque. Les variations productivité/production/emploi sont, sur longue période, corrélées. Ceci pose un certain nombre de questions, parmi lesquelles celle de la signification de la productivité apparente du travail dans un pays comme la France où 2/3 des emplois sont dans les services, marchands et non‐marchands. Des travaux méthodologiques sont à mener sur la productivité dans le secteur tertiaire. La stratégie dʹenrichissement de la croissance en emplois suppose de s’appuyer sur des mécanismes divers (abaissement des coûts relatifs des facteurs de production, durée du travail, déplacement du modèle de consommation finale vers des secteurs riches en emplois, …). Il y a là nécessité d’un débat sur les mécanismes principaux à mettre en œuvre. Deux thèses principales s’affrontent sur les causes macro économiques du chômage : ‐ une thèse dominante lie la montée du chômage à une série d’imperfections des marchés (et, en particulier, du marché du travail) et des politiques ; ‐ une thèse alternative explique que les écarts de croissance et d’emploi sont principalement liés à des choix de ‘policy mix’ radicalement différents : ainsi, aux Etats‐Unis, le choix a été fait d’une combinaison de politiques monétaire et budgétaire contra cycliques et actives ; la zone euro est passée d’une politique pro cyclique dans les années 90 à des politiques passives et non‐
coopératives aujourd’hui qui, par effet d’hystérèse, ralentissent durablement le potentiel de croissance. Il est impossible de trancher de manière simpliste entre ces deux thèses : même si l’on adopte la seconde, on ne peut ignorer l’importance des institutions et des règles du marché du travail sur la performance des ressources de travail disponibles. De la même façon, il n’est pas possible de réduire les effets politiques macro économiques aux seuls écarts entre croissance potentielle et croissance effective. La question des politiques de l’emploi et des institutions du marché du travail ‐ Il n’y a pas de ‘one best way’ : les études sont multiples mais les résultats très divers. Il n’y a pas de démonstration convaincante d’un effet significatif d’un indicateur synthétique sur les performances internationales en matière d’emploi. Les indicateurs LPE n’apportent pas de résultats globaux significatifs ; ils permettent, cependant, d’établir des liens entre les différentes règles du marché du travail et certaines caractéristiques du chômage (notamment sa durée). Tout l’intérêt réside dans la recherche de ces liens. ‐ Les problèmes de cohérence sont essentiels. Les comparaisons internationales font apparaître des réussites de certains pays, à partir de modèles très différents (anglo‐saxon, scandinave), mais aussi les multiples incohérences des politiques de l’emploi en France : ‐ incohérences dans le temps, du fait de l’ʺempilementʺ de dispositifs instables (les emplois aidés depuis 2002, par exemple) ; COE décembre 2005
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incohérences liées à la coexistence d’acteurs non coordonnés. Ainsi, lʹEtat a délégué aux partenaires sociaux certaines de ses prérogatives en matière dʹindemnisation du chômage, or le régime assurance chômage est devenu un opérateur majeur de la politique active de l’emploi. Plusieurs rapports récents 44 sont convaincants sur ces questions, mais ne sont pas suivis dʹeffets. Quelques observations sur les évaluations macro économiques des dispositifs spécifiques de la politique de lʹemploi ‐ A moyen et long terme, et si lʹon intègre leurs coûts sur les finances publiques, les dispositifs des emplois aidés nʹont pas d’effets positifs significatifs sur le niveau de lʹemploi. Leurs effets sur le niveau de chômage sont plus ambigus. ‐ Ces dispositifs ont, en revanche, des fonctions essentielles et dʹune autre nature : ‐ les plus importantes relèvent de l’équité et de la cohésion sociale ; ‐ des dispositifs ciblés jouent un rôle certain dans des phases de poussée du chômage ou dans des périodes de restructurations. Ils permettent de lutter contre les effets d’hystérèse, et peuvent ainsi exercer un effet positif de long terme ; ‐ en phase conjoncturelle positive de créations d’emplois, ils ont une fonction essentielle pour réduire les pénuries d’emplois. 3‐ Pierre Cahuc, de lʹuniversité Paris I (CREST‐INSEE) est ensuite intervenu pour exposer les évolutions des analyses macro économiques de lʹemploi et du chômage, avec pour support une présentation Power Point détaillée. Il a rappelé, au préalable, la mauvaise position de la France en matière de taux de chômage, surtout depuis le début des années 90, et sa situation encore plus défavorable en matière de taux dʹemploi. La macro économie traditionnelle Jusquʹaux années 1975, les analyses macro économiques traditionnelles ont reposé sur le principe, dʹinspiration keynésienne, que la relance de la demande suffisait à faire baisser le chômage. Ainsi, cʹest en 1974 quʹa été avancée lʹidée dʹune relance macroéconomique, d’une protection des salariés face au licenciement et d’une forte indemnisation du chômage. Lʹélévation du taux de croissance monétaire peut avoir effets de court terme sur le chômage, qui revient cependant rapidement à son niveau initial, provoquant une augmentation de lʹinflation. Possibles en théorie, les effets d’hystérésis sont difficiles à mettre en évidence empiriquement, et nʹont pas de caractère systématique. Le taux de chômage observé est très proche d’un taux de chômage compatible avec un taux dʹinflation stable (NAIRU). Devant ces limites dʹexplication de la persistance du chômage, lʹenjeu a donc été de comprendre, dans les années 80, quels étaient les déterminants du NAIRU. Le rôle des institutions Rapports Balmary, Marimbert, Cahuc‐Kramarz, notamment.
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De nombreuses études ont été menées, qui ont établi que les différences de performance en matière dʹemploi sʹexpliquent par des interactions entre des chocs macro économiques communs (productivité globale des facteurs, taux dʹintérêt, progrès technique) et des institutions propres à chaque pays (assurance chômage, protection emploi, salaire minimum, prélèvements obligatoires, coordination des négociations collectives, politiques actives d’emploi). Différents travaux 45 démontrent que lʹévolution de ces institutions et leurs interactions avec des chocs macro économiques communs nʹexpliquent que 50% environ des différences de performance en matière de chômage. La nécessité d’une approche désagrégée et non globale Des explications complémentaires ont été fournies par une approche macro économique plus désagrégée. Lʹobservation des performances en matière dʹemploi, identiques pour les hommes de 25 à 54 ans, mais différentes pour les autres groupes démographiques, a conduit à sʹintéresser à dʹautres institutions, en ciblant les différents groupes sociodémographiques. Cette démarche a permis dʹobserver des résultats très différenciés selon les classes dʹâge, quʹil est difficile dʹexpliquer par les seules politiques macro économiques globales mises en œuvre. Si les taux de participation des hommes et des femmes de 25‐54 ans sont bons, voire très bons en France 46 , ceux des jeunes et des seniors sont particulièrement bas. Ces résultats ont démontré les limites dʹune approche macro économique globale. Les institutions clés sont, pour les jeunes : ‐ le système éducatif (et lʹenseignement professionnel) ; ‐ le salaire minimum, dont les études démontrent les effets globaux limités, mais importants pour les jeunes ; ‐ la protection de l’emploi (CDD, intérim, contrats précaires ont des effets positifs sur lʹemploi à un moment, mais négatifs globalement car ils obligent à repasser souvent par le chômage ; ‐ la régulation du marché des produits (dans le commerce ou lʹhôtellerie‐restauration, par exemple, les barrières à l’entrée, la limitation des horaires dʹouverture empêchent les petites entreprises, souvent créées par des jeunes, de rentrer sur le marché et de se développer. Pour les seniors, les institutions clés sont : ‐ lʹâge légal de la retraite (la chute du taux d’emploi des seniors au début des années 1980 sʹexplique en partie par lʹabaissement à 60 ans de lʹâge de la retraite à 60 ans) ; ‐ les dispositifs de retrait anticipé dʹactivité (calés sur la retraite à 60 ans) et dʹassurance chômage (500 000 personnes sont dispensées de recherche dʹemploi) ; ‐ la taxation des revenus du travail des seniors (question du cumul emploi retraite). II‐ La discussion Quelques points principaux ont été soulevés au cours de la discussion. Blanchard et Wolfers (2000), Nickell, Nunziata et Ochel (2005).
Le taux de participation des hommes de 25‐54 ans est en France plus élevé quʹen Suède, au Danemark et aux Etats‐
Unis ; celui des femmes de la même classe dʹâge est au même niveau quʹaux Etats‐Unis, mais inférieur à celui des pays scandinaves.
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La question de la gouvernance économique européenne A lʹobservation de Jacques Freyssinet selon laquelle lʹéconomie dominante de la zone euro avait une stratégie non coopérative dont les conséquences sʹimposaient aux autres pays, un membre du Conseil sʹest interrogé sur la définition exacte dʹune telle stratégie et sur les marges de choix de chacun des pays dans ce cadre. La question de lʹabsence de politique économique européenne et de la concentration des pouvoirs de la Banque centrale européenne a été évoquée, dont les conséquences sont graves pour un espace économique comparable aux Etats‐Unis, et dans lequel se font 80% des échanges extérieurs. Une autre organisation sʹest interrogée sur les conséquences du Pacte de stabilité, qui freinerait les dynamiques économiques. Pour Pierre Cahuc, si le pacte est important à court terme, notamment pour lʹaccompagnement des réformes, il a, en revanche, peu de conséquences sur le chômage. Certains pays parviennent dʹailleurs à de bons résultats en matière de chômage au sein du pacte. Lʹinteraction de la macro économie et de la micro économie ‐ Le débat sʹest ouvert sur le champ de lʹévaluation macro économique, et les avis se sont partagés sur cette question : . La nécessité de dʹexaminer les dispositifs dans leur ensemble, et non de procéder à une évaluation mesure par mesure a été soulignée par un participant. Compte tenu des interactions entre les mesures, cʹest leur cohérence dʹensemble qui est importante. Les travaux de lʹOCDE montrent que deux éléments des politiques macro économiques ont des effets avérés sur le niveau du chômage : une fiscalité lourde et une réglementation trop rigoureuse du marché des biens ont toujours des effets négatifs sur lʹemploi. Les études révèlent également que lorsque des mesures pour lʹemploi sont ciblées et bien pensées, elles ont toujours un impact macro économique important 47 . . Pour un autre membre du groupe, les dispositifs peuvent être pris individuellement. Si les résultats ne sont pas complètement tranchés sur lʹévaluation des politiques actives du marché du travail, les évaluations micro économiques permettent, selon lui, de mieux connaître les types de politiques qui vont avoir un impact positif sur lʹemploi. Plusieurs expérimentations, menées en comparant des populations, donnent des résultats certains, sʹagissant, par exemple, de la politique de formation, de lʹaccompagnement des demandeurs d’emploi ou de lʹindemnisation du chômage. LʹINSEE fera pour le Conseil un travail de recensement de ces évaluations. ‐ Les liens entre macro économie et micro économie sont étroits : ainsi, une mauvaise réglementation des biens et des produits, en gênant les entreprises, interagit avec la réglementation du marché du travail. De la même façon, les dispositifs dʹaccompagnement des chômeurs ont des effets macro économiques certains, puisquʹils jouent sur le devenir des entreprises. ‐ Une organisation a insisté sur le lien très étroit entre macro économie et comportement des entreprises, très largement induit par la politique de lʹemploi. Selon elle, il est difficile de parler du chômage sans évoquer la responsabilité des entreprises, en charge des recrutements et des licenciements. Une autre organisation a souligné que les pratiques de recrutement de certaines entreprises, qui font une surenchère aux diplômes, faisaient partie des interrogations sur les causes du chômage. Spécialement en matière dʹinsertion sur le marché du travail de jeunes non qualifiés.
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Un participant a également mis lʹaccent sur lʹimportance du marché interne du travail (politiques de ressources humaines, problèmes de mobilité ascensionnelle des salariés au sein de lʹentreprise, …). ‐ Sur les disparités de taux de chômage entre tranches dʹâge, la question a été posée de savoir ne sʹil sʹagissait pas davantage dʹun problème de répartition du travail plutôt que dʹoffre globale. Pour Pierre Cahuc, on ne dispose dʹaucun élément empirique pour valider la thèse du partage de lʹemploi. Ainsi, lʹobservation de lʹexode de Mariel, ou celle de lʹarrivée en métropole des rapatriés d’Algérie ont montré que lʹimpact sur la productivité de lʹarrivée de personnes supplémentaires sur le marché du travail nʹétait que de court terme, en raison du phénomène dʹajustement de lʹemploi. ‐ Les limites des travaux empiriques ont été soulignées par un participant. Il a été observé que si chacun de ces travaux ont des faiblesses, ils renvoient tous aux mêmes institutions pour expliquer les causes du chômage. Pour un participant, il est important que le Conseil dʹorientation pour lʹemploi approfondisse cette question de lʹarticulation entre macro économie et micro économie. Le chômage des jeunes et le système éducatif La discussion sʹest également développée sur la question du faible taux dʹemploi des jeunes et des raisons qui pouvaient lʹexpliquer. ‐ Comme lʹa fait remarquer un participant, il est important que soient bien distinguées, dans les statistiques internationales, les personnes qui sont à la fois en emploi et dans le système éducatif, de celles qui se trouvent seulement en emploi, ou seulement en éducation. Il faut en effet éviter que, dans les pays où existe un système de formation en alternance, lʹélève ne soit compté comme étant en emploi. Pour la France, ainsi que dans les pays de lʹOCDE, le taux de jeunes en emploi correspond aux jeunes sortis du système éducatif. Ce type de données nʹest cependant pas disponible dans tous les pays. En outre, Gilbert Cette a indiqué que les écarts de taux d’emploi pour les jeunes se caractérisent par des durées du travail très différentes, très courtes dans certains pays. Dans le cadre dʹune étude thématique sur lʹensemble des jeunes 48 , lʹOCDE affinera lʹanalyse en corrigeant avec le nombre d’heures travaillées et le temps passé dans le système éducatif. ‐ La multiplicité des dispositifs publics à destination des jeunes nuit à leur bonne compréhension, notamment par les chefs dʹentreprise. Un membre du groupe a évoqué, à ce sujet, la plus grande unicité des règles sur lʹapprentissage en Allemagne. ‐ Un échange a eu lieu sur les raisons ayant conduit au décrochement du taux dʹemploi des jeunes dans les années 1970. Pour Pierre Cahuc, les effets majeurs se trouvent dans les augmentations importantes du salaire minimum intervenues et dans la réglementation du licenciement économique. A cette même période, sont également intervenues la loi Royer et la création du collège unique. Lʹefficacité du système éducatif et lʹaugmentation de la durée des études ont été évoquées. Pierre Cahuc a insisté sur lʹimportance dʹun accompagnement éducatif et dʹune formation très ciblés et très anticipés sur les publics en difficultés. Ces sujets mériteraient des approfondissements. Qui fera lʹobjet dʹune publication dans un chapitre des ʺPerspectives de lʹemploi 2003ʺ.
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Dʹautres observations ont été émises au cours de la discussion : ‐ Lʹimportance des durées passées au chômage, qui touchent toutes les tranches dʹâge, implique de sʹintéresser au service public de lʹemploi. ‐ Le faible taux dʹemploi des seniors pose notamment, pour un participant, la question de lʹabsence dʹaccompagnement vers le retour à lʹemploi des salariés les plus âgés. A cet égard, le dispositif de dispense de recherche dʹemploi devrait être revu, ainsi que la durée dʹindemnisation du chômage qui leur est applicable. ‐ Un participant a demandé lʹintroduction dans les outils statistiques dʹindicateurs plus fins sur les taux dʹemploi et de chômage, par qualification, tranches d’âge, durées de chômage, … En conclusion de la réunion, il a été rappelé que la prochaine réunion du groupe de travail se tiendra le mardi 13 décembre : ‐ Bruno Crépon (INSEE) devrait pouvoir présenter une recension des éléments dʹévaluation des politiques publiques ; ‐ Denis Fougère, chercheur, interviendra notamment sur les liens dʹautres politiques publiques (transports, logement, discrimination) sur le fonctionnement du marché du travail) et sur la questions des discriminations. Les travaux du groupe de travail seront restitués dans un document factuel, présenté en réunion du Conseil en formation plénière le jeudi 22 décembre 2005. Le groupe continuera de travailler au‐delà de cette date, sur les points que le Conseil souhaitera approfondir. COE décembre 2005
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14‐déc.‐05 CONSEIL D’ORIENTATION POUR L’EMPLOI Groupe de travail ʺCauses du chômageʺ Réunion du 13 décembre 2005 Compte rendu Comme convenu lors de la réunion du groupe de travail sur les ʹCauses du chômageʹ du 29 novembre dernier, cette séance était consacrée à deux sujets distincts : ‐ la méthodologie appliquée et les principaux enseignements de lʹévaluation des politiques dʹemploi, dont une présentation a été faite par Bruno Crépon, du Centre de recherche en économie et statistique (CREST) ; ‐ la question des liens entre chômage et exclusion, abordée par Denis Fougère, de lʹINSEE‐CREST. I‐ Les présentations 1‐ Lʹévaluation des politiques dʹemploi (Bruno Crépon) Lʹintervention de Bruno Crépon avait pour objet de définir les méthodes dʹévaluation des politiques publiques dʹemploi, dʹen pointer les avantages et dʹen souligner les limites. Compte tenu du grand nombre de dispositifs destinés à favoriser dʹemploi dans notre pays, il est important de se poser un certain nombre de questions, parmi lesquelles : lʹeffet des politiques dʹemploi est‐il celui que lʹon attend ? Cet effet est‐il mesurable et, si oui, comment ? Peut‐on tirer des enseignements des politiques passées pour optimiser les politiques futures ? Que nous apportent les expériences étrangères ? Les méthodes dʹévaluation Dʹapparition relativement récente 49 , les méthodes dʹévaluation telles qu’elles se sont développées récemment, sont appliquées uniquement aux politiques qui ne concernent pas la totalité de la population. Elles reposent sur des données microéconomiques, consistent à suivre des individus bénéficiaires dʹune mesure avant le bénéfice de la mesure, pendant, et après, pour, au final, dégager le contraste entre la situation de ces individus et celles de personnes nʹayant pas été bénéficiaires du dispositif. Depuis une quinzaine dʹannées, à partir, notamment, des travaux de James Heckman, Prix Nobel dʹéconomie en 2000, qui a construit des modèles économétriques évaluant lʹefficacité et le coût pour la collectivité américaine de programmes dʹaide aux chômeurs et aux exclus. 49
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En pratique, lʹévaluation est appliquée aux divers volets des politiques de lʹemploi : stages de formation ; emplois subventionnés des secteurs public ou privé ; prime de retour à l’embauche ; politique d’accompagnement des chômeurs. Les trois niveaux de lʹévaluation et la fiabilité des résultats Lʹévaluation est réalisée à trois niveaux. Il sʹagit à la fois dʹapprécier lʹadéquation des effets mesurés avec les objectifs attendus de la mesure, dʹidentifier les déterminants du comportement des individus face au dispositif, et de mesurer lʹeffet global de ce dernier sur la société. Le but éventuel étant dʹétendre ou non le dispositif à une population plus large. Des résultats peuvent être obtenus sur chacun de ces niveaux, avec pour certains, un degré de fiabilité décroissante, et pour dʹautres (le premier et, dans certains cas, le deuxième) la ʹforce de lʹévidenceʹ. Lʹexpérimentation La difficulté méthodologique principale de l’évaluation est de dissocier dans les évolutions observées ce qui tient à l’effet de la mesure de ce qui tient à la population. L’expérimentation permet de résoudre cette difficulté, en utilisant différentes méthodes 50 . Seules les expérimentations produisent des résultats indiscutables et rencontrent, de ce fait, lʹadhésion. Les enseignements des expériences étrangères de retour à lʹemploi A lʹétranger, des évaluations ont été menées sur certains dispositifs dʹincitation au retour à lʹemploi. Sʹil est possible dʹen tirer des enseignements, il est cependant difficile de ne sʹappuyer que sur elles pour la mise en œuvre de dispositifs spécifiques à la France. • Lʹexpérience du ʹSSPʹ au Canada Dispositif expérimental dʹaide au retour à lʹemploi ciblé sur les parents isolés, le Self‐Sufficiency Project (SSP) est une prime versée pendant 36 mois, en cas de retour à lʹemploi après avoir perçu pendant un an un revenu d’assistance. Lʹexpérimentation, faite avec un groupe traité et un groupe de contrôle, a eu des effets très significatifs et incontestables sur le retour à l’emploi. Le SSP est une expérience contrôlée, qui permet de mettre en évidence un effet direct, dʹestimer et de valider un modèle de comportement, et de simuler lʹeffet de variation des paramètres du dispositif. Le consensus existe sur les méthodes, et les résultats des analyses coûts/bénéfices au niveau des bénéficiaires sont robustes. 50 Parmi ces méthodes, le tirage au sort de deux populations (assez grandes), au sein de la population éligible et lʹaffectation de l’une d’entre elles (appelée ʹgroupe de contrôleʹ) au traitement. COE décembre 2005
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En revanche, lʹévaluation de l’effet global du SSP sur la société se révèle beaucoup plus complexe, en raison, notamment, du très grand nombre dʹhypothèses. Ces effets nʹont pas ici la force de lʹévidence. • Deux dispositifs similaires dans leurs objectifs et opposés dans leurs résultats : lʹ ʹEITCʹ aux Etats‐
Unis et le ʹWFTCʹ au Royaume‐Uni Semblables dans leur philosophie, et évalués au moyen de méthodes similaires, deux programmes dʹaide au retour à lʹemploi, lʹun aux Etats‐Unis, lʹautre au Royaume‐Uni, ont des effets différents. La question se pose donc de la compréhension de ces différences. Aux Etats‐Unis, lʹEarned Income Tax credit (EITC) est un crédit dʹimpôt pour les bas revenus, destiné aux individus ayant des enfants qui reprennent un emploi 51 . Il est plus généreux depuis 1986, pour rendre le retour à lʹemploi plus attractif. Il nʹest pas destiné aux femmes sans enfant. Le principe de l’évaluation repose sur la comparaison des différences d’offre de travail entre les femmes avec enfant et les femmes sans enfant (a priori inéligibles), avant et après la réforme de 1986. Sa limitation est lʹabsence de modèle structurel, la mesure du seul effet global, et lʹignorance du mécanisme en jeu. Les résultats de lʹévaluation font apparaître que la situation des femmes avec enfant s’est améliorée et que celle des femmes sans enfant sʹest détériorée. On estime que sans la réforme de 1986, le taux de participation des femmes avec enfant aurait évolué comme celui des femmes sans enfant. Ces résultats sont intéressants, même sʹils donnent lieu à discussion (évaluation faite sur toutes les femmes, même non éligibles au dispositif). Au Royaume‐Uni, le Working Families Tax Credit (WFTC) est aussi une subvention de retour à lʹemploi par crédit dʹimpôt 52 . A partir dʹune méthode d’évaluation identique, les résultats diffèrent et montrent que cette réforme n’a pas marché aussi bien que l’EITC pourtant moins généreux. La compréhension de ces différences reste limitée. Une réponse encore grossière est apportée, considérant que de meilleures données et un cadre d’observation amélioré permettraient lʹestimation dʹun modèle expliquant pourquoi lʹEITC produit des effets supérieurs au WFTC. • Le cas de la France : les spécificités de la Prime pour lʹemploi (PPE) La Prime pour l’emploi (PPE) est un crédit d’impôt de 475€ maximum, dʹune durée illimitée et versée tous les mois, destinée à encourager le retour à lʹemploi. Son montant est relativement faible (10 fois moins élevé qu’aux Etats‐Unis). Les études sont très peu nombreuses, mais indiquent que ce dispositif a, au mieux, un effet modeste et temporaire sur le retour à l’emploi. Les politiques actives d’emploi Dʹune durée illimitée et dʹun montant de 5 140 $ maximum (pour un couple avec un enfant, OCDE 2005). Dʹune durée illimitée et dʹun montant de 6 000 £ maximum (pour un couple avec un enfant, OCDE 2005). 51
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Les politiques actives de lʹemploi reposent sur trois outils essentiels : la formation ; les contrats aidés dans le secteur marchand ou non marchand, et les subventions à l’embauche. Les évaluations menées apportent plusieurs enseignements : ‐ plus les programmes sont proches du marché du travail, plus les gages de succès sont importants ; ‐ la formation a des effets assez faibles, voire négatifs, sur la sortie du chômage, (effet de lock‐in). De plus, lʹimpact sur la qualité de l’emploi retrouvé reste mal connu ; ‐ des publics différents appellent des mesures différentes ; ‐ dans les pays qui disposent de données précises sur les trajectoires des demandeurs dʹemplois (Suisse, Suède), des résultats sont susceptibles de faire consensus. En France, les données étaient jusque récemment assez mauvaises. La constitution récente de panels par la DARES permet cependant de montrer les effets positifs du Contrat initiative emploi (CIE) pour les personnes entrées dans le dispositif en 1999, et les effets moins positifs des Contrats emploi solidarité (CES) et des stages d’insertion et de formation à l’emploi (SIFE). Les politiques modifiant contrôle, sanctions et accompagnement mettent fréquemment simultanément en œuvre lʹensemble de ces éléments. Aussi, il est difficile de distinguer les effets précis des uns et des autres. ‐ Le contrôle de l’effort effectif de recherche a des effets qui peuvent être importants, mais qui dépendent beaucoup des individus. Pour Van den Berg et Van der Klauw (2004), le contrôle nʹa aucun effet significatif sur le retour à l’emploi des individus les plus employables. Pour Dolton et O’Neill, 1996, Blundell et al., 2004, le contrôle est efficace lorsquʹil est ciblé sur des individus dont les perspectives d’emploi sont plus mauvaises. Le profilage est donc la condition dʹefficacité d’un système de contrôle. ‐ Les sanctions ont des effets positifs sur le retour à l’emploi. Selon Abbring et al. (2005), les sanctions doublent durablement les taux de sortie du chômage aux Pays‐Bas. Pour Van den Berg et al. (2005), les résultats sont similaires et de même ampleur pour des individus recevant un revenu d’assistance aux Pays‐Bas. Selon Lalive et al. (2002), l’avertissement préalable aux sanctions augmente aussi le taux de sortie. ‐ L’accompagnement et l’aide à la recherche d’emploi ont des effets positifs observés en France sur la sortie du chômage (Crépon, Gurgand, Dejemeppe), mais plus forts sur la durée de l’emploi retrouvé. Quand lʹaccompagnement est réduit au profit du contrôle, les effets sont en revanche faibles (Van den Berg et Van der Klauw, 2004). Bruno Crépon a apporté quelques éléments de conclusion à son intervention : ‐ à lʹévidence, lʹeffet des politiques nʹest pas toujours celui que lʹon recherche ; ‐ on peut apprendre des expériences étrangères, mais on ne peut pas sʹappuyer uniquement sur elles ; ‐ lʹévaluation des politiques dʹemploi en France se heurte à plusieurs difficultés : une certaine réticence à la mise en œuvre dʹexpérimentations ; lʹabsence de fichiers longitudinaux permettant le suivi des individus ; les difficultés du passage de lʹétude à une évaluation partagée et reconnue institutionnellement. COE décembre 2005
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2‐ Chômage et exclusion sociale (Denis Fougère) Pour Denis Fougère, chômage et exclusion sociale ont une double causalité : le chômage de masse est générateur d’exclusion, mais, en retour, l’exclusion est un ʺmultiplicateurʺ du chômage en raison du confinement des individus dans la précarité, de la transmission intergénérationnelle du chômage et de sa concentration territoriale. La précarisation des parcours professionnels Les emplois précaires à bas salaires progressent : la proportion d’actifs occupés dans des emplois précaires (CDD ou intérim), à temps plein ou à temps partiel, rémunérés à des niveaux de salaire inférieurs au salaire médian est passée entre 1990 et 2002 de 5,9 à 7,5% dans le cas des hommes, de 7,6 à 10,4% dans celui des femmes. La précarisation des trajectoires professionnelles sʹaccroît : en 20 ans, la proportion d’actifs en chômage ou en emploi précaire trois ans de suite est passée de 4% des actifs à plus de 9%, après avoir atteint un maximum égal à 11% en 1997. Les transitions emploi/chômage sont plus heurtées, avec une croissance continue de la fréquence des transitions vers l’emploi précaire, des transitions vers le chômage très fréquentes et contra‐cycliques, et des transitions vers les contrats à durée indéterminée rares et pro‐
cycliques. La protection sociale est mal adaptée aux évolutions du marché du travail : la précarisation a des conséquences directes sur la protection sociale des salariés (notamment pour l’ouverture des droits à l’assurance‐
chômage). Aussi, il est nécessaire de repenser l’ensemble de la protection sociale pour prendre en compte les grandes tendances des marchés du travail contemporains. Dʹautres exemples de constats en lien avec le chômage Chômage et santé : le chômage détériore la santé (Mesrine, 2000 ; Kuhn, Lalive et Zweimuller, 2004), et une mauvaise santé rend plus difficile le retour à l’emploi. Chômage (ou pauvreté) des parents ont des liens avec lʹéchec scolaire des enfants (Goux et Maurin, 2005), en raison, notamment, du surpeuplement des logements. Chômage et délinquance : le chômage (et la pauvreté) accroissent le nombre de délits (Entorf et Spengler, 2000 ; Kelly, 2000 ; Fougère, Kramarz et Pouget, 2005). En outre, la hausse de la délinquance provoque la fuite des ʺclasses moyennesʺ (Levitt et Cullen, 1999 ; Fougère, Kramarz et Pouget, 2005) et accroît la concentration des problèmes. De nombreuses études ces dernières années sont toutes convergentes sur ce point. Aujourdʹhui, un nouveau courant de chercheurs sʹempare de ces questions, pour tenter de quantifier les effets dʹhystérèse. Le constat général Lʹexistence dʹun noyau dur de la pauvreté COE décembre 2005
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La montée continue du chômage et de la précarité a engendré l’exclusion durable d’une part croissante de la population hors de la sphère de l’emploi. On peut aujourd’hui parler d’un noyau dur de la pauvreté, c’est‐à‐dire de personnes, et parfois de ménages entiers, durablement pauvres. Malgré l’amélioration de la situation macroéconomique de la fin des années 90, ce noyau dur de la pauvreté a résisté, comme le montrent les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Ces nouvelles formes de pauvreté sont de plus en plus ancrées dans certaines zones urbaines ou péri‐
urbaines. Le cumul des difficultés vécues par les personnes et ménages pauvres : ‐ pour près des deux tiers des allocataires de minima sociaux qui recherchent activement un emploi, cette recherche d’emploi se heurte à des contraintes financières et matérielles (difficultés de garde d’enfants, coût ou absence de transports, etc.) ; ‐ les difficultés d’accès au logement se doublent souvent, pour les ménages les plus pauvres, de difficultés d’accès aux services bancaires et financiers ; ‐ la corrélation est très forte entre difficultés scolaires et pauvreté monétaire : le taux de retard en sixième est de 35% pour les enfants des familles les plus pauvres, contre 12% pour les enfants des ménages les plus riches (pauvreté des enfants, illettrisme). Une ségrégation urbaine plus sensible a été éclairée par des travaux divers Les difficultés socio économiques se polarisent dans l’espace des villes et de leurs quartiers (Maurin, 2004 ; Guilluy et Noyé, 2005). En 1999, dans les zones urbaines sensibles, la proportion de chômeurs était de 25,4%, celle des non diplômés chez les 15 ans et plus de 33,1% (17,7% en moyenne nationale), et celle des salariés en CDD, intérim et stages était de 20% (12,1% en moyenne nationale). Une disjonction sʹest accrue entre domicile et lieu de travail, sensible en particulier pour tous ceux dont l’emploi est localisé dans le centre des grandes villes. Le sur‐ chômage des immigrés et des français enfants d’étrangers Le taux de chômage des travailleurs étrangers est le double du taux de chômage des travailleurs de nationalité française, le triple pour les travailleurs originaires d’un pays d’Afrique. Les jeunes Français d’origine maghrébine sont deux fois et demi plus souvent en chômage que les jeunes Français d’origine française, quel que soit leur niveau d’études (Fougère et Pouget, 2004). Une grande partie de lʹécart de salaire entre salariés de parents français et salariés de parents africains est expliquée par les différences de caractéristiques observables (niveau d’éducation, expérience de travail, etc.). En revanche, les caractéristiques observables sont incapables dʹexpliquer les écarts de fréquence d’accès à l’emploi (Aeberhardt, Fougère, Pouget et Rathelot, 2005). L’école est‐elle encore un vecteur d’intégration ? L’accès à l’enseignement supérieur ne progresse plus, et la part des jeunes qui sortent du système éducatif initial sans diplôme professionnel ou sans diplôme général supérieur au brevet ne décroît plus ; elle reste à un niveau élevé : près d’un sortant sur cinq. COE décembre 2005
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Le phénomène de ségrégation sociale dans les établissements scolaires n’aurait pas progressé de manière importante dans la période récente, mais se serait concentré sur certaines zones urbaines et y exercerait un effet local important, peu sensible à un niveau agrégé. Ainsi, Felouzis (2004) a mis en évidence une ségrégation ʺethniqueʺ au sein des collèges de la région bordelaise. Les grandes orientations pour l’action Pour Denis Fougère, cinq pistes dʹaction devraient être engagées pour remédier à cette situation. ‐ Réduire les distances physiques et sociales au marché du travail, par le désenclavement des quartiers, lʹamélioration des dessertes par transports collectifs, les aides aux activités économiques créatrices d’emploi dans les zones concernées (y compris par la mise en place de politiques de micro‐crédits). ‐ Accélérer la construction de logements sociaux locatifs (création dʹun service public de caution, permettant notamment aux jeunes ménages d’accéder plus facilement au premier logement) 53 . ‐ Renforcer l’aide aux ménages pauvres avec enfants, par exemple en instaurant une allocation familiale dès le premier enfant (sous conditions de ressources), et en relevant les majorations pour enfants dans les barèmes des minima sociaux et de l’aide au logement. ‐ Concentrer l’effort et les moyens d’éducation et de formation, notamment en réduisant de façon significative, pour les catégories d’élèves les plus en difficulté, le nombre moyen d’élèves par classe, et ce dès la maternelle. ‐ Lutter contre les discriminations à l’œuvre dans les processus d’accès à la formation, à l’emploi et au logement et à la santé. Les expérimentations étrangères Les programmes de lutte contre les ghettos Aux Etats‐Unis, des programmes de lutte contre les ghettos ont été engagés, centrés autour dʹune action sur les personnes, avec l’idée de les sortir des ghettos. ‐ Le programme Gautreaux, mis en œuvre à Chicago à partir de 1976, était ciblé sur les ménages noirs ayant des faibles revenus et vivant dans des immeubles publics d’habitation. Le programme leur offrait des aides financières afin de s’installer dans des quartiers périphériques comptant moins de 30% de Noirs. Les études réalisées ont montré qu’après déménagement, les résultats scolaires des enfants des familles concernées se sont significativement améliorés. Il en a été de même pour les perspectives d’emploi de leurs parents. ‐ Le U.S. Department of Housing and Urban Development a étendu ce programme sous la forme d’une expérimentation baptisée Moving to Opportunity (MTO), conduite à partir de 1994 dans cinq grandes villes : Baltimore, Boston, Chicago, Los Angeles, et New‐York. Etaient éligibles à ce programme expérimental les ménages vivant dans des immeubles publics d’habitation et dans des quartiers où le taux de pauvreté dépassait 40%. Les aides prenaient la forme de bons (vouchers) permettant de louer des appartements à des propriétaires privés ou de se reloger dans des quartiers moins pauvres, ainsi quʹune aide dans la recherche et l’installation. Ce programme a amélioré les conditions de vie des ménages bénéficiaires, et notamment du point de vue de leur santé et de leur sécurité (Katz, Kling et Leibman, 2001). Ces questions ont été très largement analysées et développées dans le rapport de Jean‐Paul Fitoussi, Eloi Laurent et Joël Maurice, ʺSégrégation urbaine et intégration socialeʺ, Conseil dʹanalyse économique, n°1‐2004, janvier 2004. 53
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Malheureusement, les perspectives d’emploi et de revenu des parents ne semblent pas avoir été significativement modifiées par le programme. La réduction de la taille des classes La plus vaste expérimentation à ce jour a été conduite aux Etats‐Unis dans le cadre du projet STAR (Student/Teacher Achievement Ratio), qui a concerné près de 110 000 élèves répartis aléatoirement dans des classes de 13 à 17 élèves ou de 22 à 26 élèves, depuis la dernière année de maternelle jusqu’à l’équivalent du CE2. Les résultats de cette expérience sont sans ambiguïté : le passage dans une classe de taille réduite a un effet bénéfique pour les élèves appartenant aux minorités et aux ménages pauvres. Par ailleurs, l’essentiel du gain est obtenu dès la première année, et les effets perdurent au cours des années suivantes, sans pour autant que les écarts se creusent (Krueger, 2001). L’ ʹaffirmative actionʹ Certains économistes 54 expliquent les discriminations dans lʹemploi par la théorie de la ʺdiscrimination statistiqueʺ : les préjugés des employeurs tiennent à la carence des informations dont ils disposent. Les écarts de salaires à l’embauche entre groupes reflètent, dans le cas des minorités, la moindre précision des informations disponibles sur la qualité des candidats (effets de CV, mais surtout absence de garants). Cette situation peut conduire les membres des minorités à sous investir en formation, conduisant ainsi à la création dʹun cercle vicieux. Les solutions à cette situation sont donc à rechercher dans lʹamélioration de l’information statistique et dans sa diffusion, dans la mise en œuvre des politiques d’equal pay, ou même d’affirmative action, qui consiste à forcer le recrutement des individus issus des minorités dans les emplois qualifiés. L’affirmative action a une justification du point de vue de l’efficacité économique si le coût des distorsions allocatives est inférieur à celui du sous investissement en capital humain. Des études empiriques restent à mener sur cette question non résolue théoriquement. Sʹagissant de lʹapplication de l’affirmative action aux Etats‐Unis, l’accent est unilatéralement mis sur ses effets pervers. Toutefois, l’ensemble des études empiriques disponibles oblige à nuancer l’analyse (Holzer et Neumark, 2000) : sʹil nʹy a pas de conclusions nettes sur l’efficacité productive (coût/production), il nʹy a pas non plus dʹeffets négatifs avérés, particulièrement en matière de criminalité. Une étude d’Arcidiacono (2005) met en lumière que l’existence de politiques d’affirmative action à l’entrée des universités (règles d’admissions et aides financières) influencent fortement la décision de suivre des études supérieures. II‐ La discussion 1‐ Sur lʹévaluation des politiques et leurs résultats Lʹexposé de Bruno Crépon a suscité de nombreuses questions. Lʹintérêt des travaux menés a été souligné, même sʹils révèlent certaines limites et appellent affinements ou compléments. Pour une organisation, son intérêt principal est dʹinciter à réfléchir sur des sujets nouveaux et potentiellement troublants, parmi lesquels le fait que les politiques actives de lʹemploi peuvent avoir effets Aigner et Cain, Lundberg, Rotschild et Stiglitz. 54
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négatifs pour les individus ou que les dispositifs de contrôle/sanction/accompagnement peuvent être positifs. Lʹessentiel du débat a porté sur la comparabilité des différents dispositifs et sur les difficultés d’apprendre sur les effets induits dʹune mesure sur lʹensemble de la société. ‐ Plusieurs membres du groupe ont observé quʹil était difficile de comparer des dispositifs de contrats aidés et de formation, alors que ces dispositifs ne sʹadressent pas aux mêmes publics. Les conclusions sur les contrats aidés semblent hâtives, car elles ignorent notamment les effets dʹaubaine et les populations différentes auxquels sʹadressent ces contrats. En outre, la question de l’adéquation des formations nʹest pas prise en compte, et leurs effets durables sur le retour à lʹemploi ne sont pas suffisamment analysés. A ce propos, une organisation a souhaité disposer dʹune évaluation plus fine des dispositifs de formation, sʹattachant aux caractéristiques des individus. Il a été indiqué sur ce point que des travaux étaient en cours avec D. Fougère et M. Ferracci à partir du fichier de lʹUNEDIC, destinés au suivi des effets de la formation sur le retour à lʹemploi et sur les salaires. ‐ De la même façon, le ʺraccourciʺ utilisé pour apporter un jugement comparatif global entre CIE et CES a semblé contestable à plusieurs organisations. Il y a, en effet, un danger de simplification en rapprochant lʹévaluation d’études diverses qui portent en fait sur des dispositifs différents (en termes, notamment, de durée de travail, de nature des emplois et de rémunération) et sʹadressent à des populations différentes. Les difficultés de comparaisons tiennent également à la grande segmentation du marché du travail. De plus, par définition, les personnes non bénéficiaires de CES ou de CIE se situent dans des marchés du travail où il existe des contrats de ce type. ‐ Un participant a en effet insisté sur le fait que le but premier de la politique dʹemploi était de parvenir à une baisse du taux de chômage global. Dans cette mesure, les trois niveaux de lʹévaluation (sur la population active, la durée du chômage et le taux de chômage) sont trois sujets très différents. Certains dispositifs peuvent améliorer la situation de certaines catégories sans diminuer pour autant le taux de chômage global. Ainsi, les résultats mitigés des premières évaluations faites du CES, à partir du panel de la DARES, ne prennent pas en considération le fait que le CES a permis de faire émerger des emplois qui n’existaient pas, ou de diminuer la concurrence sur le marché du travail sur dʹautres postes. Lʹapproche micro économique retenue pour lʹévaluation des dispositifs de retour à lʹemploi repose, sur un postulat implicite, à son avis contestable, selon lequel l’offre de travail crée de l’emploi. ‐ Pour un autre participant, les travaux sur panels de la DARES représentent un progrès considérable, mais on peut regretter quʹils ne tiennent pas compte de variables inobservées, telles que les motivations des individus. En outre, les effets de sélection par le Service public de lʹemploi peuvent parfois peut conduire à inverser les résultats. Ceci doit conduire à une certaine prudence dans lʹutilisation de leurs résultats. ‐ Un participant a mentionné lʹexistence dʹévaluations validées sur les contrats de qualification, quʹil serait intéressant dʹexploiter car ce dispositif mixte contrat de travail et formation. 2‐ Sur les liens entre la nouvelle équation sociale et le chômage COE décembre 2005
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La pertinence dʹune réflexion du groupe de travail sur ces problématiques a été largement partagée. Une organisation a considéré que le Conseil devra travailler à des propositions précises sur ces sujets, comportant à la fois sur des actions à court terme et à long terme. Pour un membre du Conseil, le chômage de longue durée est une forme d’exclusion, qui génère dʹautres formes dʹexclusion. Elle se traduit par la privation de lʹindividu de toutes capacités de participation à l’échange. Il serait utile de faire la distinction entre exploitation et exclusion ; dans le premier cas, le lien social n’est pas rompu et une régulation collective reste possible. Lʹexclusion, en revanche, ne se régule pas. Dans ce contexte, le Conseil dʹorientation pour lʹemploi devra trouver un point dʹéquilibre entre un marché du travail fortement régulé, mais avec une forte hausse des prélèvements obligatoires, ou une baisse des prélèvements dans un marché du travail dérégulé. Le CERC a consacré plusieurs de ses travaux aux liens très forts entre le chômage structurel et lʹexclusion, avec une question centrale lourde : lʹéloignement croissant du domicile et du lieu dʹemploi pose, notamment, la question des lieux de garde pour les enfants et ouvre le débat sur la solvabilisation de la demande ou la fourniture dʹéquipements collectifs. Lʹensemble des questions abordées par Denis Fougère a conduit un membre du groupe à insister sur lʹimportance des flux et de la mobilité, que notre système, dans son ensemble, ne favorise pas de manière harmonieuse (transports, marqueurs sociaux, ….). Cette situation porte préjudice aux plus fragiles. Enfin, pour relier les deux exposés, un participant sʹest interrogé sur le rôle des emplois aidés dans la lutte contre lʹhystérèse. Pour Denis Fougère, ces dispositifs sont une réponse datée, dans le contexte actuel de chômage structurel de masse. En conclusion de la réunion, Raymond Soubie a donné des précisions sur la suite des travaux sur le thème des causes du chômage. ‐ Francis Kramarz élabore un document de synthèse qui rendra compte des travaux du groupe de travail mais qui, à ce stade, nʹengagera que ses rédacteurs et non le groupe lui‐même. Les présentations des différents intervenants et les comptes rendus des différentes séances du groupe y seront jointes. ‐ Ce document sera soumis aux membres du Conseil lors de la réunion plénière du jeudi 22 décembre, non dans la perspective de son adoption par le Conseil, mais pour constituer une base au débat et à la réflexion critique, susceptible de demandes de compléments. Ces échanges permettront de définir les orientations principales pour la poursuite des travaux du groupe. COE décembre 2005
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