évaluation des impacts psychosociaux de l`attaque de Duma

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évaluation des impacts psychosociaux de l`attaque de Duma
Palestine: évaluation des impacts
psychosociaux de l'attaque de Duma
Octobre 2015
Depuis 2012, Médecins du Monde France (MdM) met en œuvre un programme d’intervention
d’urgence visant à prévenir et à atténuer l'impact psychologique et psychosocial de la violence des
colons sur les communautés palestiniennes dans 27 villages du Nord de la Cisjordanie particulièrement
exposés à ce type d’incidents.
En août 2015, MdM connaît sa plus importante intervention depuis le début du projet, suite à
l’incendie criminel de Duma. L’impact psychologique et psychosocial est sans précédent et va bien audelà du village affecté par cette attaque. Cette factsheet revient sur ce cas, ses impacts, et les
événements qui ont suivi.
© MdM 2015
Duma : rappel des faits
Le 31 juillet dernier, au milieu de la nuit, des colons s’introduisent dans le village de Duma au sud de
Naplouse et mettent le feu à deux maisons. L’une d’entre elle est vide. Dans l’autre, l’incendie surprend
dans leur sommeil Sa’ad et Reham Dawabsheh ainsi que leurs deux enfants. Dans ce village où tout le
monde se connaît, les voisins sont réveillés par leurs cris. Ali, 18 mois, est brûlé vif. Les parents arrivent
à s’extraire des flammes, brûlés à 80%. Ils mourront dans les semaines suivantes. A ce jour, seul
Ahmed, 4 ans, a survécu à l’incendie criminel ; il est encore hospitalisé, le corps brûlé à 60%.
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Les auteurs de l’attaque laissent derrière eux deux graffitis en hébreux : « vengeance » et « Longue vie
au Messie ». Le meurtre est interprété comme une opération du « prix à payer ». Le mouvement mène
des actions de représailles contre les palestiniens chaque fois que le gouvernement israélien prend
une décision qui lui semble défavorable aux intérêts des colons. Deux jours avant Duma, deux
bâtiments de la colonie de Beit El, construits illégalement sur un terrain palestinien privé, avaient été
démolis suite à une décision de justice.
Alors que l’attaque est internationalement condamnée, y compris par le gouvernement d’Israël, les
attaques de palestiniens par des colons se sont intensifiées après Duma. Dans ses seuls villages
d’intervention, MdM a dû faire face à 14 autres cas entre le 1er août et le 15 septembre, soit plus de
deux par semaine.
En outre, aucun des auteurs de l’attaque n’a à ce jour été arrêté.
Le bilan de l’intervention de MdM : un impact sans précédent
qui pourrait s’inscrire dans la durée
Afin de préserver la période de deuil, les équipes de MdM ont commencé l’intervention 3 jours après
l’attaque, après les funérailles d’Ali Dawabsheh, le bébé de 18 mois tué dans l’incendie. 72 personnes
ont bénéficié d’une première visite de soutien parmi lesquelles des victimes directes (parents proches
des familles vivant dans les deux maisons qui ont été incendiées) et indirectes (voisins, équipes de
secouristes, collègues des victimes). L’intervention a duré plusieurs semaines, émaillée par l’annonce
des décès de Sa’ad (une semaine après les faits) et Reham (le 7 septembre)
L’impact émotionnel est tel que pour la première fois, des gens viennent activement solliciter le
soutien de MdM.
L’intervention en chiffres
Suite aux besoins identifiés lors de la première visite, près de la moitié des bénéficiaires rencontrés
ont reçu les « premiers soins psychologiques », contre une moyenne d’environ un tiers dans les cas
habituels.
82% des bénéficiaires s’estiment gravement touchés et risquent de développer des troubles de
stress post-traumatique.
D’après les évaluations réalisées durant le premier mois d’intervention:
 45% de nos bénéficiaires ont déclaré être incapable de mener les activités quotidiennes
(travail, ménage, cuisine, éducation des enfants)
 36% de nos bénéficiaires ont déclaré être incapables de participer à des activités et
événements sociaux;
 67% ont rapporté de forts sentiments de peur et d'insécurité;
 48,4% ont le sentiment d'être coupable (ne pas être en mesure d'assurer la protection des
maisons et des familles)
 71% ont déclaré des difficultés à dormir;
 52% ont signalé des maux de tête;
 75% ont rapporté des flashbacks.
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Les équipes de MdM ont également été très affectées par l’intervention. Entendre raconter encore et
encore le récit de l’événement a suscité des réactions émotionnelles nécessitant des sessions de
supervision par un psychologue externe à l’organisation.
11 personnes ont été identifiées comme ayant besoin d’une intervention spécialisée et ont été
référées à des services de santé mentale. Entre 30 et 40 autres devraient participer à des groupes de
soutien à partir d’octobre afin de renforcer leur résilience et leurs mécanismes d’adaptation pour faire
face aux incidents dans un contexte de violences chroniques.
Les témoignages
« J’étais choquée, assise sur le canapé, comme figée, je ne savais pas quoi faire !! Je ne savais pas ce
qui était arrivé, je regardais Reham, tout son corps brûlé, qui saignait, la peau qui fondait à cause des
brûlures, elle n’arrêtait pas de me répéter «Ils nous ont brûlés, ils nous ont brûlé, je sais qu’Ali est mort,
où est Ahmad ??? Il n’est pas mort, je le sais ». Ensuite, mon frère a amené sa voiture pour emmener
Sa’ad et Reham au centre de santé d'Aqraba parce qu'il n'y a pas de service de santé à Duma. Il m'a
demandé de venir avec lui. Lorsque nous avons atteint Aqraba, nous avons découvert qu'il n'y a pas de
services pour les grands brûlés, donc nous avons continué jusqu’à l'hôpital de Rafidia à Naplouse.
Reham m'a demandé: « Comment est mon visage? Qu'est-ce qui est arrivé à Ahmad? S'il vous plaît
dites-moi?! S'il vous plaît répondez-moi » (…) Après l'accident, je n’ai même pas changé de vêtements,
je n’ai même pas pris une douche, maintenant je me sens si triste, je ne peux plus dormir… je fais de
mauvais rêves… des cauchemars… j’ai des flashbacks… je dors avec mes parents, je ne peux pas
respirer… je ne peux plus sortir, je n’ai plus faim, j’ai mal au ventre, je ne suis plus en mesure de nettoyer
la maison. Même si les fenêtres sont fermées je ne me sens pas en sécurité. Qu’est-ce qu’il se passera
si les colons reviennent brûler notre maison ? (…) La vie ne redeviendra jamais normale »
Aminah, 30 ans, la voisine de Reham et Sa’ad qui les as accueilli et accompagné à l’hôpital la nuit de
l’incident.
«Ce fut le moment le plus difficile de ma vie jamais, surtout quand je suis me suis retrouvé seul avec lui
dans l'ascenseur. Personne ne pouvait s’approcher de lui et je l’ai porté seul. »
Yasser, 38 ans, le secouriste qui a porté le corps brûlé d’Ali, 18 mois, dans la chambre mortuaire.
«Je suis la dernière personne qui les a vus .... Ils étaient à la maison avec ma famille avant que ça arrive.
Lorsque ma belle-sœur préparait le biberon pour Ali, elle m'a demandé de m’occuper de lui ... c’était la
première fois qu’il m’acceptait, qu’il était à l’aise dans mes bras… ce fut le dernier biberon qu’il a bu…
Je ne peux pas oublier leurs sourires, notre conversation… j’ai l’impression qu’ils viennent à peine de
quitter ma maison, et je ne me sens pas en sécurité, avec la nuit vient la peur, l’horreur… »
Hafsa, 27 ans, la sœur de Sa’ad chez qui la famille a passé la soirée avant l’attaque de leur maison.
« Depuis la nuit où nous avons vu des colons [près de notre maison], on ne sort plus après 19h. Mes
enfants ont des cauchemars, ils se réveillent en criant ‘ils veulent nous brûler !’ »
Une mère de famille, dans un autre village du sud de Naplouse
« J’ai le cœur lourd…. Je suis fatiguée de tout ça »
Un travailleur social de MdM pendant une séance de supervision, parlant des difficultés d’entendre
encore et encore les récits des victimes
Conclusion: une attaque tragique dans un contexte de violences chroniques
L’incident critique de Duma a eu un impact psychologique et psychosocial sans précédent, non
seulement sur les victimes directes (familles de Riham et Sa'ed), mais aussi sur les individus et les
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familles indirectement impliqués dans l'incident: les voisins, les collègues de Reham, les habitants du
village en général, les équipes de secours, et le personnel de MdM.
En outre, nous observons que les impacts psychologiques et psychosociaux de cet événement vont
bien au-delà du village de Duma. Cet incident tragique se place dans un contexte de harcèlement
permanent de certains colons contre les communautés palestiniennes.
Entre 2006 et 2014, le nombre de ces attaques a été multiplié par quatre, atteignant un total de 2100
agressions sur la période. Dans sa zone d’intervention, MdM fait face en moyenne à une agression par
semaine. La violence s’est encore intensifiée avec l’escalade des tensions depuis octobre. Beaucoup
interprètent le meurtre des colons qui l’a engendrée comme une vengeance pour le crime de Duma.
On peut s’attendre à ce que cette recrudescence des attaques, faisant directement suite à cet
événement à haut potentiel traumatique, provoque des réactions psychologiques amplifiées sur des
populations déjà fragilisées. Si seule une minorité de personnes ont des troubles de santé mentale,
une majorité ressent un stress intense et se sent physiquement et émotionnellement menacée.
 Comment les communautés peuvent alors trouver l'équilibre émotionnel quand ils savent que
les attaques vont se reproduire?
 Comment les parents peuvent-ils assurer la sécurité physique et émotionnelle de leurs
enfants, quand ils se sentent stressés, anxieux et déprimés à propos de la situation?
Tant que la situation politique ne changera pas, les communautés continueront d'être socialement et
psychologiquement affecté et en besoin d’interventions psychosociales de qualité.
Recommandations
Selon l’organisation Israélienne Yesh Din, seuls 1,9% des cas de plaintes contre des attaques commises
par des colons aboutissent à une condamnation. Cette impunité encourage la répétition des attaques.
Dans les zones B et C (98% de la Cisjordanie), les accords d’Oslo prévoient qu’Israël a la responsabilité
de la sécurité. Par ailleurs, selon le droit international, en tant que puissance occupante, Israël doit
assurer la protection des palestiniens. C’est le gouvernement Israélien qui doit protéger les
communautés palestiniennes des colons violents.
Les Etats tiers, dont la France, ont la responsabilité du respect du droit international et des droits
fondamentaux des palestiniens. En tant que partenaires d’Israël (accords d’associations, dialogues
politiques), ils doivent faire pression sur le gouvernement d’Israël et lui demander des comptes pour
qu’il endosse ces responsabilités, mette fin à l’impunité et assure la sécurité des palestiniens.
Contact :
Anne-Sophie Simpere
Coordinatrice du plaidoyer
MDM-France - Mission Palestine
Email: [email protected]
+972 (0) 595 94 06 50
+ 972 (0) 549 08 73 67
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