Une création durable au service du plaisir de vivre.
Transcription
Une création durable au service du plaisir de vivre.
Une création durable au service du plaisir de vivre. Brice D'Antras, Historien d'Art Le travail de Mathilde Bretillot se situe résolument dans le domaine des arts décoratifs français. Il est contemporain, rare, raffiné, élégant et cela, avec esprit. Destiné à un aristocratique plaisir de vivre, il est élitaire et donc pas populaire. Il ne concerne pas la grande série qui privilégie la lisibilité immédiate des signes dans une séduction de consommation. Comme autant de strates d’une structure pyramidale, l’élégance, le raffinement et la création au sommet caractérisent l’aboutissement de l’œuvre décorative. Ils nous serviront à progresser dans l’analyse de son travail. Elégance, une histoire d’équilibres - L’élégance consiste à maîtriser le rapport des éléments du projet entre eux et à les intégrer dans leur contexte (social, technique, fonctionnel, commercial…) pour aboutir à une composition harmonieuse du tout. Contrôlé, chaque élément est mis à sa juste place. Maîtrise de multiples données, l’élégance est une gestion de la complexité pour lui découvrir une nouvelle fluidité. Peu tapageuse, elle s’oppose à la réduction du discours par la mise en emphase d’un slogan ou d’un parti-pris (par ex. technique chez François Azambourg ou la fascination très contemporaine de l’image chez Philippe Starck). Les architectures d’intérieur de la galerie Couvrat Desvergnes ou l’hôtel du Mans imposent leur l’élégance classique (c’est à dire équilibrée). Les matériaux, les formes et les fonctions ne provoquent ni n’exaspèrent. Ils correspondent à la destination et au fonctionnement attendu, tout en les flattant ou en les mettant en valeur. Ces espaces sont conçus pour y bien vivre et ne pas s’y sentir agressé par des remises en cause radicales. Discrets et jamais tapageurs, les aménagements de Mathilde Bretillot font oublier leur très solide construction. Ils ne rappellent leur présence que par quelques clins d’œil ou traits saillant, comme un escalier en métal noir, au graphisme orthonormé, qui tranche sur les murs blancs, les arcs de cercle en pointillé sur le miroir des salles de bains ou un rideau inattendu qui ferme le placard de la chambre d’hôtel. - Autre élégance, celle de la mise au point du juste équilibre entre la valeur d’usage et la valeur décorative. La forme si sophistiquée de la coupe de la Manufacture de Sèvres convient à un usage essentiellement décoratif. Celle extravertie et en rondeurs du toboggan correspond à sa vocation ludique et à son installation dans un jardin public. Les ellipses galbées de la balancelle évoquent des jeux ou des discussions précieux. Quant au gode, il s’amuse à tempérer sa provocation par la grande retenue de ses lignes et la transparence de son matériau. Le radicalisme et la brutalité sont incompatibles avec l’élégance. Raffinement ou l’art de la rareté Le raffinement permet à l’élégance de dépasser le convenu, le bon ton, pour accéder, par la rareté, à un élitisme plus culturel (dans le sens du mode de vie) qu’intellectuel. Cette rareté ou originalité est une marque de fabrique déterminante du travail de Mathilde Bretillot. -‐ Rareté des formes. Inattendues et inventives, les formes créées par Mathilde Bretillot surprennent par leur originalité. Designer hors du groupe des revisiteurs de styles et de références, elle n’a pas fait de la citation historique (cf. le travail d’Andrée Putman ou les nombreuses redites actuelles des années 50 et 60) ni du jeu de la redécouverte des « archétypes » (ce que Jasper Morrisson fait avec talent) une réserve à inspirations. Les manches du service de table, le carrossage du toboggan ou les mobiles de la décoration de la boutique d’Elitis inventent des formes. La combinaison de l’originalité et de la retenue de ces dernières situe ces projets dans le domaine d’une création qui ne tape pas à l’œil par un répertoire plus ou moins familier et encore moins par la provocation. Elle recourt à l’irritation de la surprise mais jamais à la violence du chaos, de la provocation ou de la rupture. Là où Ron Arad assène avec talent des proclamations formelles, Mathilde Bretillot s’amuse, ou plus exactement badine avec la forme. Elitaire, sa production requière une culture qui dépasse le sensationnalisme immédiat du signe. Elle intègre le temps. Son travail se découvre progressivement ; il nécessite du temps et du recul pour se laisser apprivoiser. Rareté des matériaux et des techniques. Que ce soit la porcelaine de la Manufacture de Sèvres, l’argent de Christofle ou le cristal de Baccarat, ils sont certes mis en valeur, tout comme le savoir faire des artisans, mais sans que l’œil ne bute sur la prouesse technique (comme dans les productions de Xylos) ou l’exhibition du matériau précieux. « Domestiqué », il ne met pas en avant sa richesse, mais ses qualités plastiques (lustre Montgolfière de Baccarat ou pièces de Christofle). Indispensables et déterminants, la technique et le matériau sont intégrés, chacun à leur place, dans la gestion globale des interactivités des éléments du projet. En plastique ou en faïence de Quimper, la coupe de Sèvres serait absurde. La tension de sa forme et de son décor ne correspond pas à des matériaux moins précieux. -‐ Rareté des fonctionnements. Que ce soit la balancelle ou la bague, elles proposent chacune des utilisations originales et inventives des objets. Dans un registre voisin, les pièces de table dessinées pour Christofle créent un jeu de reflets qui constituent un décor dansant. Des télescopages de propos font aussi partie de cette originalité des fonctionnements. Ainsi, dans la vitrine de Sentou, l’élégance convenue des mains est « perturbée » par un film rose, presque étouffant et quelque peu bordélique. La création, le gène identifiant de l’œuvre Du rare, nous passons maintenant à l’unique, la marque de fabrique du designer, sa personnalité créative. Elle identifie l’ensemble de la production. Il ne s’agit pas ici de faire un portrait socio-psychologique de Mathilde Bretillot mais de cerner quelques traits marquants qui participent à l’alchimie de sa création. - La première constatation est la grande inventivité tant dans la forme que dans le fonctionnement . En marge d’une culture commerciale qui privilégie la re-connaissance des signes consensualisés par le marketing, elle surprend, irrite par l’irruption de l’inattendu mais sans jamais exaspérer ou saturer. - En effet, très marqué par les critères de l’élégance, son travail ne joue pas avec le spectaculaire. Mathilde Bretillot se méfie du sensationnalisme de l’image et des proclamations manifestes. Mené avec une grande rigueur, son propos est délibérément léger. Il vise au plaisir de vivre. Il retrouve le génie aristocratique de la liberté de l’inutile. - Mathilde Bretillot rend le présent aimable. Elle ne part pas à la recherche de l’objet vrai comme Jasper Morrisson, ni ne décrypte les signes avant-coureurs des futurs modes de vie comme Matali Crasset. Sereine, tournée vers le plaisir, sa production évite la violence d’un Gaetano Pesce. Décorative et souriante dans sa mise en scène du présent, elle ne s’aventure pas dans les introspections savantes sur le meuble des frères Bourroulec. Là où ces derniers poussent l’outil de production dans ses retranchements, elle intègre le meilleur des savoir-faire à son projet. - Rigueur Mais cette légèreté n’est pas celle d’une aimable spontanéité. Elle résulte d’un travail très rigoureux dont une des grandes qualités est de passer inaperçu. Dans un registre décoratif similaire mais plus baroques, Garouste et Bonetti poussent beaucoup plus loin que Mathilde Bretillot leur fougue décorative mais ils n’accordent pas la même rigueur dans la gestion de la complexité du projet. Sans qualifier leurs productions, la démarche du duo est baroque, celle de Mathilde Bretillot est classique. -‐ Une production contemporaine. Dans notre époque marquée par la communication, l’image où plus exactement les images sont la clef de notre culture contemporaine. De là la diversité des styles car tous les messages passent dans la communication, pourvu qu’ils soient forts, simples et plus sensationnels que séduisants comme l’ont montré Andy Warhol et Jeff Koons. Contemporaine, Mathilde Bretillot l’est assurément par son travail d’invention d’images pour ses objets ou ses architectures d’intérieur. Mais son classicisme (par opposition au baroque ou au romantisme) ne peut intégrer l’immédiateté du message dans son univers qui revendique le temps. Son travail est beaucoup plus marqué par la construction du projet que par l’expression des émotions. Exceptionnel, Ettore Sottsas avait réussi à allier, dans deux collections de vase, la haute tradition des arts décoratifs français de la Manufacture de Sèvres avec sa vision de la simplicité et la force du message formel contemporain. Toute en retenue, Mathilde Bretillot n’a pas la gouaille nécessaire pour le racolage commercial qui occupe tant de designers qui se situent plus ou moins consciemment dans l’événementiel ou qui créent des collections et des décors kleenex. Son travail occupe une niche particulière, celle du luxe pérenne (en opposition au luxe immédiat et tape à l’œil). Ses créations s’apprécient dans la durée. Et le temps, matière précieuse d’une certaine élite, pourrait devenir une référence déterminante d’un luxe savant. A la culture de la sensation, Mathilde Bretillot préfère le travail plus rare et plus exigeant sur l’émotion. Elle pratique avec toute l’indispensable rigueur nécessaire un dandysme féminin du design. Synthése Situé dans le domaine des arts décoratifs, le travail de Mathilde Bretillot montre une grande invention et une forte originalité plastique et d’usage. Construit avec une grande rigueur, il est marqué par son processus de création classique. Il est destiné à un aristocratique plaisir de vivre. Marqué par la notion du temps ou de la durée, il n’intègre qu’avec réserve la culture contemporaine de la simplicité de l’image au service de l’immédiateté de la sensation. Il s’inscrit dans les recherches actuelles sur le luxe.