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chaire d’étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique couvert Rabault.indd 1 Hugues Rabault En compagnie de Niklas Luhmann : épistémologie, politique et droit Hugues Rabault est professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur du pôle « Droit comparé » de l’IRENEE. Il est auteur, notamment, de L’État entre théologie et technologie. Origine, sens et fonction du concept d’État (2007) et L’interprétation des normes : l’objectivité de la méthode herméneutique (1997). Les Presses de l’Université Laval ont publié les livres suivants de Niklas Luhmann : La légitimation par la procédure (2001) ; Le pouvoir (2010) et, surtout, son ouvrage central : Systèmes sociaux. Esquisse d’une théorie générale (2010). UN MONDE SANS RÉALITÉ ? UN MONDE SANS RÉALITÉ ? Niklas Luhmann (1927-1998) est couramment considéré comme le sociologue allemand le plus important de la seconde moitié du xxe siècle. Juriste, de formation et de profession, il s’engagea, à partir des années soixante, dans l’élaboration d’une théorie générale de la société. L’influence qu’exerce son œuvre s’étend aujourd’hui à tous les champs des sciences humaines. L’ouvrage propose une introduction, à travers une série d’études concernant des thèmes majeurs : les fondements épistémologiques, la sociologie politique et la sociologie du droit. Dans la perspective d’une recherche de théorie du droit, l’auteur met en évidence les enjeux concrets d’une sociologie consacrée à la fonction sociale du droit. Hugues Rabault En compagnie de Niklas Luhmann : épistémologie, politique et droit Collection Dikè 12-11-30 09:35 UN MONDE SANS RÉALITÉ? En compagnie de Niklas Luhmann : épistémologie, politique et droit Hugues Rabault UN MONDE SANS RÉALITÉ? En compagnie de Niklas Luhmann : épistémologie, politique et droit Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. © Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés. Dépôt légal 4e trimestre 2012 ISBN : 978-2-7637-9701-4 PDF : 9782763797021 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval. Remerciements L’auteur exprime ses remerciements à la revue Droit & Société et à son directeur Jacques Commaille, et à la revue Droits et à son directeur Stéphane Rials, pour l’autorisation accordée pour la republication des études qui composent l’ouvrage. L’auteur tient en outre à témoigner de façon particulière de sa gratitude à la revue Droit & Société, notamment à André-Jean Arnaud, pour les encouragements prodigués et l’accueil de ses recherches consacrées à Niklas Luhmann. Avant-propos A SSUREMENT, nous vivons en un monde où il ne fait pas bon cheminer seul. Les solitaires, lorsqu’ils aspirent à la vérité passent pour fous. Et de fait, souvent ils s’égarent. L’auteur de ces lignes voudrait proposer ici une série d’études qui est en somme le fruit de plus de dix ans de lectures et de réflexions. Au cœur de ce qu’il est courant de désigner comme la problématique de l’ouvrage se trouve le concept de réalité. Il est des domaines où la réalité est un problème. Tel est plus particulièrement le cas du droit. Qu’est-ce qu’un contrat, la propriété, un bien immeuble, etc. ? Le droit est plein d’institutions qui ne peuvent être montrées, désignées, mais auxquelles on doit se contenter d’assigner une définition. On peut s’entendre sur le fait qu’un contrat est un accord de volonté, que la propriété représente un ensemble de droits sur des choses, etc. Tout cela n’est pas dénué de réalité, mais il s’agit d’une toute autre réalité que celle que l’on peut observer à travers un microscope ou un télescope. Si l’on voulait parler de la réalité du droit, il faudrait, comme ont le verra, se contenter de l’idée de sémantique. Cela signifie que le droit produit sa propre réalité. Or il est à la fois incontestable que cette réalité fonctionne, c’est-à-dire qu’on ne peut lui échapper, et que par ailleurs elle comporte quelque chose d’imaginaire, de fictif, ou en d’autres termes de culturel. C’est là ce qu’on pourrait appeler le mystère de l’ontologie juridique. L’auteur de ces lignes s’était déjà avancé dans ce type de spéculation, lorsque le hasard mit dans ses mains Le droit de la société de Niklas Luhmann, qui venait d’être publié sous forme de livre de poche. Si l’on peut dire que certains livres peuvent changer la vie d’un homme, celui-là en fait indiscutablement partie. Luhmann nous dit que le droit est une machine, une machine non triviale, une machine historique. On pourrait parler en d’autres termes d’un système de traitement de l’information. Or cette machine dispose de cette étrange capacité de produire de la réalité, de produire sa propre réalité, c’està-dire de produire une réalité qui fonctionne. Lorsqu’on parle de droits, de propriété, etc., les discours ambiants l’attestent, on 1 parle de quelque chose à quoi on attribue une réalité, à savoir, dans le vocabulaire de la métaphysique traditionnelle, quelque chose qui relève d’une ontologie. En même temps, nous savons aussi que ces droits n’existent pas vraiment au sens des lois de l’attraction, des atomes, etc. Nous savons, en d’autres termes, que les droits et les obligations, relèvent d’une construction sociale. Lorsque nous lisons dans la Déclaration de 1789 que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, nous savons qu’il ne s’agit pas d’une réalité biologique, comme si l’on affirmait que les hommes naissent en vagissant, avec la capacité de respirer, ou que les poules pondent des œufs. En somme, pour ceux qui vivent immergés dans le droit, la réalité du droit est une énigme. Mais à y réfléchir, cette énigme se reproduit dans divers domaines de la vie. C’est le cas de l’économie par exemple. Qu’est-ce que les prix, la monnaie, etc. ? Le juriste dira que le prix est un élément du contrat de vente. L’économie est semblable au droit, une réalité artificielle, mais qui fonctionne. La monnaie fiduciaire est le produit d’une manière de convention. Cependant, on connaît les extraordinaires effets d’une telle convention. Et c’est ainsi que nous scrutons sans relâche le taux de croissance, l’inflation, les cours boursiers, etc. La nature ontologique de la monnaie, et cela n’est naturellement pas le fait du hasard, est analogue à celle du droit. Nul doute, nous dit Niklas Luhmann, que la réalité existe. Voilà une proposition énigmatique. Si l’on part des postulats de l’ontologie classique, l’hypothèse même d’un doute suscite le doute. La réalité existe bien, puisque, comme il vient d’être dit, non seulement il existe une réalité, mais il en existe même plusieurs. Le droit, l’économie, la politique, etc., produisent leur réalité. Lorsque Luhmann distingue plusieurs concepts de réalité, la réalité, une réalité seconde qui fonctionne à côté de la réalité, puis une pluralité de réalités parallèles produites par des systèmes sociaux, il semble que la réalité ancienne, ou plutôt son concept, à savoir la sémantique de la réalité, change de statut. D’où le titre proposé. On oppose le réel et le virtuel, souvent pour dénoncer le virtuel. Mais le virtuel existe depuis longtemps. Le droit est précisément un monde virtuel, mais qui 2 induit des effets réels. Le droit est une sémantique qui fut créée, pour simplifier, par les Romains, et qui fonctionne encore aujourd’hui. Cette sémantique ne puise pas dans une quelconque réalité. Elle fut plutôt le fruit d’une pratique. Le fameux passage de Rousseau où celui-ci évoque le premier homme qui dit « Ceci est à moi », à savoir l’inventeur de la propriété, ne dit pas autre chose. Le droit est une sémantique qui crée de la réalité. Mais l’analyse peut être étendue à nombre de domaines de la vie humaine. Il y a tant de ces réalités, qu’il ne s’agit plus de l’ancienne réalité. L’ancienne réalité était comme la république française une et indivisible. Tel n’est n’est plus le cas de la réalité d’aujourd’hui. Nous vivions dans un monde sans Dieu, on peut se demander si l’on ne verse pas désormais dans un monde sans réalité. La vie universitaire d’aujourd’hui n’offre pas toujours le loisir de rédiger de grands traités ambitieux. Le savant est souvent réduit à se contenter d’écrire des textes de circonstance sur la base de sources de hasards et d’intuitions provisoires. Mais après tout il ne s’agit là que d’une affaire de style littéraire. La fugacité n’exclut pas la profondeur. Est proposée au lecteur une série d’études par trop incomplètes et insatisfaisantes, mais qui peuvent ouvrir des voies. Le volet déterminant est celui de l’épistémologie. L’œuvre de Niklas Luhmann renouvelle entièrement ce domaine, souvent négligé en France pour ce qui est des sciences humaines. Les apports en la matière sont ensuite appliqués à la politique, parce qu’il s’agit d’un sujet qui ne peut laisser personne indifférent. Le droit en revanche est une discipline ésotérique, le lieu d’une technologie sociale rébarbative. C’est pourquoi il mérite d’être placé à la fin du recueil. Notons cependant qu’on peut poser l’hypothèse que le droit fut véritablement le laboratoire de la théorie de Luhmann, juriste de formation, et de profession une partie de sa vie. L’auteur de ces lignes ne désespère pas de donner un jour une présentation synthétique de la théorie du droit de Niklas Luhmann. Pour conclure cette présentation, disons que l’œuvre de Niklas Luhmann est obscure et mystérieuse. C’est que Luhmann pensait qu’il est impossible de s’extraire de la sémantique ordinaire sans sortir du langage ordinaire. 3 Toutefois, l’auteur a toujours pris soin d’essayer de ramener la langue de Luhmann à un français à peu près accessible. C’est aussi parce qu’il croyait que telle est la nature profonde de la langue française. Quoi qu’il en soit il en appelle à l’indulgence du lecteur et le remercie de sa patience. Il espère que celui-ci en sera récompensé, et qu’il sera tenté d’approfondir sa connaissance en se plongeant directement dans l’œuvre de Niklas Luhmann. Maintenant, et par gratitude envers le lecteur, il est temps résumer le propos. Quant à l’épistémologie, objet du premier chapitre, le premier texte porte sur la question de la clôture des systèmes. La théorie de Niklas Luhmann peut sembler baroque et inutile. Sa nécessité tient pourtant à l’impossibilité, désormais, de penser l’épistémologie comme transparence de la relation entre un sujet pensant et un monde qui pourrait être défini comme lui étant extérieur. On tend davantage à comprendre la réalité comme le produit d’un sujet enfermé en lui-même. Mais ce sujet sans objet perd de la sorte sa qualité de sujet : c’est pourquoi il devient dans la théorie de Luhmann un système. La théorie des systèmes ne naît donc pas ex nihilo. Elle est le résultat d’une évolution et de la convergence d’une pluralité de perspectives. C’est ce point qu’il s’est agi de retracer. L’originalité de la théorie de Niklas Luhmann réside dans le principe suivant : si les systèmes font preuve d’une certaine ouverture, leur clôture est un principe bien plus déterminant. Le deuxième texte entre plus avant dans l’épistémologie de Niklas Luhmann. Le système se trouve dans une relation problématique à lui-même. Comment traite-t-il cette situation ? L’une des façons de réussir en la matière consiste dans la production du sens : les systèmes engendrent des codes et des programmes, etc. C’est ainsi qu’émerge une réalité indépassable, la sémantique. Nous aurons beau nous évertuer, nous sommes enfermés dans la sémantique : nous nous efforçons de percer à jour le sens de la réalité, mais notre réalité immédiate n’est autre que la sémantique. En d’autres termes, et voilà l’objet même de ce livre : Niklas Luhmann nous amène à l’idée que la réalité est dans le système et non à l’extérieur du système. Le troisième texte évoque la conclusion sociologique 4 paradoxale à laquelle on aboutit. La réalité commune de la société contemporaine est moins le produit de la science que des médias de masse : ceux-ci ont la fonction, dans la société globalisée et hautement différenciée, de produire l’illusion d’une réalité commune. Quant à la politique, objet du deuxième chapitre, l’approche de Niklas Luhmann peut être résumée plus rapidement. La politique est une mythologie fondamentale de l’Occident. Le problème tient ici tout entier, aujourd’hui, dans le surmenage de la politique. Il nous semble que « tout est politique », que la démocratie est la solution universelle, etc. D’où la dimension critique d’une approche de la politique comme sous-système au sein de la société. La politique, enfermée dans son cercle de présuppositions, ne traite que des questions politiques. Par exemple, à la différence de l’économie, la politique ne produit pas de biens et de services. De même, il serait vain d’attendre de la politique la production de vérités, qui relève de la science, etc. Mais la politique a également aussi, et par conséquent, une certaine propension à tenter de prendre le contrôle des autres systèmes sociaux : l’économie, la science, l’art, la religion, etc. L’État apparaît ici avant tout comme le symbole∗ central de la politique. La politique est donc non le commun dénominateur de la relation sociale, mais un sous-système parmi d’autres, dont il serait illusoire d’attendre des résultats trop ambitieux. Enfin, dans l’éventail des sujets traités, le droit, objet du troisième chapitre, est la sémantique dont la fonctionnalité est la plus facile à démasquer. Pour Luhmann, le droit n’a pas pour finalité un horizon absolu de justice, il n’est pas non plus un simple instrument de la démocratie. C’est aussi un sous-système fonctionnel, qui impose ses contraintes aux autres systèmes. Le premier texte applique au droit la théorie de la clôture des systèmes : le droit comme système clos s’observe et se décrit, et c’est ainsi que naît la théorie juridique. Celle-ci est donc une nécessité interne du système. En revanche, ce que la théorie du ∗ L’État est donc non une réalité objective mais une sémantique. L’auteur a développé par ailleurs cette approche, issue de Niklas Luhmann. Voir Hugues Rabault, L’État entre théologie et technologie. Sens, origine et fonction du concept d’État, Paris, L’Harmattan, 2007, notamment, p. 12-13. 5 droit décrit n’est que ce qu’elle voit, c’est-à-dire le système vu de l’intérieur. La théorie du droit est aveugle à la seule question vraiment digne d’intérêt au plan scientifique, celle de savoir ce à quoi sert le droit, quelle est sa fonction. Sur ce dernier point, les développements proposés dans le second texte se contentent d’une présentation partielle de la théorie de Luhmann, mais qui permet de comprendre son enjeu. Le droit contribue au sein de la société à produire de la confiance. Toutefois, le concept de confiance doit être vidé de toute connotation emphatique : la confiance n’est qu’un mécanisme analysable d’un point de vue psychologique et sociologique. Dès lors, et c’est l’objet du troisième texte, on peut voir le droit comme une sémantique fonctionnelle particulière, destinée à un traitement spécifique de la question des attentes des systèmes sociaux et psychiques. Comment le droit remplit-il cette fonction ? Cela pourrait être l’objet d’un ouvrage ultérieur. Le lecteur dispose alors d’un panorama certes sélectif, mais aussi synthétique, du système de Niklas Luhmann. Une telle sophistication théorique est-elle bien utile ? C’est à cette question que répond la conclusion. La société est un système différencié en une pluralité de sous-systèmes fonctionnels : c’est une garantie de souplesse et d’adaptabilité. La « sociétémonde » décrite par Luhmann rappelle le meilleur des mondes possibles de Leibniz : on ne peut trop espérer mieux, mais on peut en tout cas redouter pire. Un danger pourrait résider dans la menace d’une « dédifférenciation », qu’illustre le phénomène totalitaire. Le système juridique, par exemple, contribue au maintien de la différenciation fonctionnelle des systèmes sociaux. On peut tirer de la sorte nombre d’enseignements pratiques de la théorie sociologique de Niklas Luhmann. Mais au plan théorique, l’enjeu principal est la mise à distance d’un vieux mythe, le mythe de la réalité. Si le lecteur ne croit déjà plus en la réalité, la lecture de ce livre lui sera inutile. 6 Chapitre 1 Épistémologie 7 8 L’apport épistémologique de la pensée de Niklas Luhmann : un crépuscule pour l’Aufklärung ?∗ DEUS TENEBRA EST IN ANIMA POST OMNEM LUCEM RELICTA. (Le Livre des XXIV Philosophes, sentence XXI)1 son activité au sein d’une discipline Qscientifique inscrit ne peut ne pas être frappé d’une certaine UICONQUE naïveté du savoir : derrière les discours les plus méthodiquement construits ne cessent de se profiler des archétypes eschatologiques. Le scientifique prétend plus ou moins secrètement œuvrer dans le contexte d’un acheminement de l’humanité. Cela est également vrai des sciences humaines, comme la science politique, la sociologie ou le droit. L’exemple du juriste restera le plus frappant : qui davantage que celui-ci veut avoir pour vocation une forme de salut de l’humanité ? Les ouvrages de Niklas Luhmann sont tous parcourus par une préoccupation commune : réinscrire les différents savoirs dans le contexte d’une fonctionnalité relative. Aussi le regard qu’il porte, et qu’il nous fait porter sur nous-même, sous les traits d’une inflexible systématicité et d’une érudition sans faille, implique-t-il une teinte d’ironie qui fait de sa science tout autre chose qu’une doctrine austère. C’est pourquoi la disparition récente de Niklas Luhmann constitue une perte, non seulement pour la sociologie, mais également, d’une façon plus générale pour la pensée. D’un autre côté, il est certain que la pensée de Niklas Luhmann poursuivra son cours, tant à travers ceux qu’il aura influencé, que dans les efforts de ceux qui chercheront à surmonter l’implacable rigueur de son système critique. L’œuvre de Niklas Luhmann peut être envisagée sous des angles divers : pensée du droit, de la communication, de l’histoire des sociétés, etc. Cependant, ses multiples apports restent traversés par une entreprise unique, qui consiste en un ∗ Droit et société, n° 42-43, 1999, p. 449-465. Cet article fut publié comme hommage de la revue à Niklas Luhmann. 1 Le Livre des XXIV Philosophes (anonyme, XIIIe siècle), Grenoble, Editions Jerôme Millon, 1989, p. 156. 9 immense effort pour repenser la question de la connaissance sous l’angle d’une théorie des systèmes. Rappelons que si les bases de la méthode adoptée sont posées dès la fin des années soixante, son application systématique se trouve mise en œuvre en 1984 avec la parution de Soziale Systeme. À partir de cette date, Niklas Luhmann analyse comme systèmes sociaux l’économie, la science, le droit, la religion, l’art, etc. Le dernier ouvrage paru présente la société dans son ensemble en tant que système social (Die Gesellschaft der Gesellschaft, 1997) et vise de la sorte à la clôture de l’entreprise. Il s’agit alors d’atteindre le cœur de l’interrogation sociologique. La pensée de Niklas Luhmann, dans sa mise en œuvre de la théorie des systèmes, participe, au plan de la sociologie, d’une étape décisive, de la pensée du sujet à la pensée de la totalité sociale. La totalité sociale n’est pas seulement la société envisagée dans sa globalité, mais c’est une totalité différenciée à travers la multiplicité des systèmes sociaux. Sur cette base, Niklas Luhmann abandonne le terrain traditionnel de la fiction du sujet souverain au plan de la connaissance : la connaissance n’est pas le produit d’une activité individuelle démultipliée, mais de systèmes sociaux. Il suffit à cet égard de ramener la problématique à la question de la société en tant qu’objet de science. Qu’est-ce que la société ? Comment émerge-t-elle à la conscience ? L’apparence tautologique d’une analyse de la société comme système social est moins frappante en langue allemande qu’en français puisque le concept de société (Gesellschaft) doit être distingué quant à son étymologie de l’adjectif social (sozial, emprunté à la langue française par les philosophes du XIXe siècle). L’idée fondamentale, dans la conception proposée par Niklas Luhmann, est que tout discours portant sur la société est en même temps un discours émanant de la société. La société ne constitue pas l’objet d’un sujet (le scientifique) la transcendant dans sa situation d’observateur. La science est un fait social, et son activité, même lorsqu’elle porte sur la société, ne peut être extraite du contexte social. Il s’agit donc de rompre avec l’idéal naïf du positivisme scientiste d’une science ayant un point de vue absolu sur un univers d’objets. C’est pourquoi la société en tant que concept apparaît en fait 10 comme le résultat d’une activité réflexive, que Niklas Luhmann désigne par la notion d’« autodescription ». Cela explique le titre de son dernier ouvrage : la société comme concept et comme réalité ne peut être que « la société de la société », parce qu’elle doit être rapportée à un système au sein duquel elle surgit comme objet de pensée. L’élément déterminant d’une telle perspective tient à la mise en œuvre de la théorie des systèmes dans le contexte de la sociologie. La société comme système social, c’est la société comme système complexe, comme système autopoïétique, c’est-à-dire comme système impliquant par essence le phénomène de l’« auto-observation ». Le renversement introduit de la sorte est épistémologique ou, plus largement, gnoséologique (erkenntnistheoretisch)2. Toutefois, il convient d’insister sur le fait que la perspective proposée par Niklas Luhmann poursuit dans l’héritage d’une tradition philosophique allemande qui a su réaliser un déplacement décisif, pour l’interrogation relative à la connaissance, avec l’émergence de l’idéalisme objectif. De la sorte, la conception mise en œuvre s’inscrit dans un mouvement général de la pensée qui converge vers l’abandon des catégories fondées par l’Aufklärung, à travers la dépossession du sujet dans l’ordre de la pensée, initiée d’abord par la Naturphilosophie, au profit d’une réinscription de l’humain dans un contexte global, social, naturel, historique, etc., irréductible. Dès lors, l’apport de la pensée de Niklas Luhmann, dans l’ordre d’une interrogation scientifique, au plan de la connaissance comme dans l’univers des représentations sociales ou politiques, tient à ce qu’elle nous dégage de la structuration des représentations autour d’une idée de l’individu souverain, en particulier dans sa mise en scène juridique privée ou politique, telle qu’elle forme la base des schémas à l’œuvre dans la culture occidentale. 2 SoSy, p. 647 et s. ; Syso, p. 557 et s. 11 I – Société et connaissance : nécessité épistémologique de la sociologie La sociologie de Niklas Luhmann nous ramène à une question primordiale : comment naît la connaissance, qu’est-ce que ce nous croyons être « connaissance » ? Il faut insister sur le caractère novateur de la théorie en cause. Il y a là une rupture radicale au regard de l’histoire de la sociologie comme discipline. Niklas Luhmann lui-même insiste sur les blocages induits notamment par les présupposés de la sociologie néomarxiste, et que permet de surmonter la théorie des systèmes3. Cependant, développer de façon exclusive cet aspect de sa théorie recèle un danger : cela menace d’isoler l’œuvre, et, plus particulièrement, de la cantonner dans le contexte de la sociologie. Certes, les travaux de Niklas Luhmann relèvent de la sociologie. Pourtant, leur portée excède le champ académique de la sociologie : la sociologie doit davantage y être perçue comme le moyen de poser les questions fondamentales. Que l’on soit ou non sociologue, la sociologie de Niklas Luhmann nous concerne, car elle traite de la communication au sein de la société, et donc, en dernière analyse, de la connaissance d’une façon générale au sens où la connaissance est primitivement liée au phénomène de la communication. L’enjeu de l’interrogation ainsi posée, au plan de la sociologie, dans un champ de savoir donné (sociologie de l’économie, de la science, du droit, de l’art, etc.), tient à la prise en compte d’un élément que les différents discours scientifiques tendent à éluder d’une façon spontanée – c’est-à-dire en tant que discours scientifiques –, à savoir la fonction sociale du discours. Le discours scientifique, et cela est vrai pour tous les domaines académiques, dans une filiation qualifiable de positiviste, prétend, habituellement, décrire un objet, une réalité absolue. Chaque science définit de la sorte son objet : la physique, l’économie, le droit, etc. La sociologie de Niklas Luhmann, en revanche, place au cœur des discours leur essence sociale. C’est en ce sens qu’il considère l’économie, la science, le droit, l’art, comme des systèmes 3 GdG, p. 11. 12 sociaux. Ce sont des systèmes au sein de la société, soumis à la nécessité d’une adaptation à l’environnement social mouvant, s’inscrivant dans le contexte d’attentes sociales, et en interaction avec la société. Le discours scientifique cesse d’être simplement un discours sur un objet, mais il suppose une dialectique complexe, impliquant son inscription au sein de la société. D’un autre côté, il est tentant de considérer le discours scientifique sous l’angle de sa fonction, et en particulier de sa finalité sociale. Cependant, si une simplification épistémologique consiste à affirmer que le discours scientifique a pour but la pure description d’un objet absolu, une autre banalité réside dans l’idée que le discours scientifique vise, d’une façon unilatérale, à répondre à une finalité sociale. Cela est plus particulièrement vrai en ce qui concerne les sciences humaines. La sociologie, l’économie ou la science juridique peuvent aisément se concevoir comme au service d’une téléologie sociale. Il s’agira alors d’accomplir quelque chose comme le progrès matériel ou moral de l’humanité ou d’une société donnée. La conception proposée par Niklas Luhmann permet de dépasser de telles analyses : en tant que systèmes sociaux, l’économie ou le droit, par exemple, supposent ce que Niklas Luhmann nomme l’« auto-observation », l’« autodescription », l’« autoréférentialité », comme éléments constitutifs des systèmes. Cela signifie que les savoirs scientifiques circonscrits sont différenciés, ont une logique propre, qui répond à la différenciation des systèmes dont ils participent. C’est précisément cette perspective qui permet d’intégrer à la lecture des discours émanant des systèmes sociaux une relativité novatrice. Le point de départ de la pensée de Niklas Luhmann consiste donc en l’application à la sociologie de la théorie des systèmes. Qu’est-ce que la théorie des systèmes ? C’est, selon les termes de Niklas Luhmann, une Supertheorie, c’est-à-dire une théorie à vocation universelle4, dans la mesure où elle pose le concept de système comme universellement applicable. Le concept de système peut être utilisé vis-à-vis d’objets divers. Les systèmes 4 SoSy, p. 19 ; Syso, p. 39. 13 sociaux ne sont que des systèmes parmi d’autres systèmes. L’enjeu épistémologique de la théorie des systèmes, dans un tel contexte, est de mettre en évidence la logique systémique de l’émergence d’une conscience, et en dernière analyse d’une connaissance. L’intérêt de la théorie des systèmes tient à la critique qu’elle permet, dans l’épistémologie actuelle, du vieux schéma positiviste scientiste de la dichotomie sujet/objet. Quatre catégories de systèmes peuvent être distinguées : les machines, les organismes, les systèmes psychiques et les systèmes sociaux5. Ces systèmes s’analysent au regard de leur complexité. C’est la distinction machines triviales/non triviales (triviale/nichttriviale Maschinen)6. « Les systèmes vivants créent pour leurs cellules un environnement particulier, qui les protège et permet leur spécialisation, à savoir des organismes. Ils se protègent à travers des frontières matérielles dans l’espace. Les systèmes psychiques et les systèmes sociaux développent leurs opérations comme des opérations observantes, qui permettent que le système lui-même se distingue de son environnement – et ceci bien que (et nous devons ajouter : parce que) l’opération ne peut trouver place que dans le système. »7 Dans le cadre de systèmes complexes, le problème de la connaissance est rapporté à la question du rapport entre système et environnement (Umwelt). La connaissance, ou la conscience, ne sont pas conçues comme rapport sujet/objet absolu, mais comme éléments liés à l’adaptation du système à son environnement. Les systèmes complexes s’adaptent à un environnement mouvant par le biais d’une activité réflexive, qualifiée d’autopoiesis, c’est-à-dire d’autocréation, ou d’autoreproduction (Selbstreproduktion), qui garantit la modification (c’est-à-dire une automodification) du système en vue de cette adaptation, s’inscrivant dans le contexte du rapport système/environnement. Pour dire les choses simplement, le système ne saisit le monde qu’à travers la perception qu’il a de lui-même. C’est l’idée de l’autoréférentialité (Selbstreferenz). Le thème est décliné de façons variées : auto-observation, 5 SoSy, p. 16 ; Syso, p. 36. RdG, p. 58. 7 GdG, p. 45. 6 14 autodescription, auto-organisation, etc. Ce thème est lié à la notion de clôture (Geschlossenheit) du système : c’est seulement par la reflexivité que le système accède au monde de la conscience et de la communication. Il suffit d’évoquer, à cet égard, le système psychique. Le sujet n’est en relation avec le monde qu’à travers ses perceptions, ses sentiments. Le monde n’existe que par un phénomène d’auto-observation en quoi consiste la conscience : « les émotions ne sont pas des représentations relatives à l’environnement, mais des adaptations internes à des situations problématiques internes des systèmes psychiques »8. Cette analyse vaut également pour la question des représentations concernant la société au sein de la société considérée comme système complexe, et aussi bien, par exemple, pour le droit envisagé comme système social, ou l’art, ou l’économie, ou la science, etc. Cependant, le système psychique reste au cœur de tous les processus : système psychique et systèmes sociaux apparaissent et se développent à travers un phénomène de co-évolution9. De la sorte, ce sont des présupposés épistémologiques traditionnels qui sont remis en cause : Niklas Luhmann se réfère, pour les qualifier, au concept dégagé par Gaston Bachelard d’obstacle épistémologique10. Sur le plan de la sociologie, ces présupposés revêtent des aspects divers. Mais on peut les ramener à un principe initial, selon lequel « la société consiste en des humains concrets et des relations entre humains »11. D’un tel axiome découle un ensemble de doctrines qui sont à la base des représentations sociologiques, juridiques, économiques, etc. Mentionnons la théorie du contrat social12. Nul n’ignore la place de cette théorie dans les conceptions juridiques. La société, comme ensemble de sujets juridiques, implique dans sa constitution l’existence d’un contrat. Naturellement ce contrat n’a aucune réalité sociologique : il n’y a pas de lieu ou de temps où un tel contrat a pu être conclu. En 8 SoSy, p. 371 ; Syso, p. 331. SoSy, p. 367 ; Syso, p. 328. 10 GdG, p. 23. 11 GdG, p. 24. 12 GdG, p. 27. 9 15 termes juridiques, il s’agit d’une fiction qui conditionne le fonctionnement du droit comme système. Niklas Luhmann parle d’une « construction circulaire ». La sociologie commence avec la remise en cause du contrat social comme théorie sociologique, chez Emile Durkheim ou Max Weber13. Voilà le problème situé du point de vue de l’objet, c’est-à-dire du point de vue de la société. En termes épistémologiques, le blocage s’incarne essentiellement dans le clivage sujet/objet, lié au présupposé sociologique mentionné précédemment. Un monde de sujets individualisés n’existe que par la médiation d’un objet commun. En un mot, les représentations à l’œuvre dans la société, juridiques, politiques, épistémologiques, etc., impliquent une profonde cohérence qui relève de l’auto-observation globale de la société comme système. Sur la base d’une critique de l’axiomatique sociologique, on débouche nécessairement sur une remise en cause des conceptions épistémologiques appliquées de façon générale. Niklas Luhmann substitue à l’idée du savoir comme produit de l’activité d’un sujet le principe de la conscience comme manifestation d’un système : « le sujet est l’autoréférence elle-même comme fondement de la connaissance et de l’action »14. L’interrogation épistémologique abandonne le clivage sujet/objet pour faire place à la distinction entre système et environnement. À la question « Qui pense ? », la réponse cesse d’être simple. Ce qui pense c’est le système : la société comme système, l’économie comme système, le droit comme système, le psychisme comme système… En quelque sorte, le sujet pensant est mis de côté afin de penser la subjectivité comme produit du social. Mais c’est encore exprimer les choses d’une façon schématique. Il importe de percevoir qu’à travers le psychisme les opérations d’autoobservation et donc d’autoreproduction des systèmes sociaux trouvent le lieu de leur réalisation. Par exemple, à travers le juriste, c’est le droit qui se pense. Aussi le sujet n’est-il pas pleinement souverain au plan de la connaissance. Ainsi le sujetjuriste n’a-t-il pas un point de vue absolu sur l’objet droit. Le juriste français, allemand, américain peuvent prétendre avoir un 13 14 GdG, p. 27. GdG, p. 868. 16 avis définitif sur la nature du droit. Mais l’expérience prouve qu’un tel avis n’est pas le propre d’un individu. L’avis du juriste reflète toujours davantage son insertion dans un contexte juridique particulier qu’une position authentiquement individuelle. En somme, c’est un système juridique singulier qui pense à travers le juriste. Le juriste est, en d’autres termes, le réceptacle de l’auto-observation du système, et, plus précisément, d’un système juridique singulier. Au regard d’un tel exemple, il est possible de relever l’intérêt d’une compréhension de ce qui peut être qualifié d’autonomie gnoséologique des systèmes sociaux. Mais il serait possible de multiplier de telles illustrations, en montrant, de même, comment la diversité des systèmes économiques trouve une expression à travers les doctrines professées dans le contexte académique. En somme, l’apport de la théorie de Niklas Luhmann, du point de vue épistémologique, tient à la mise en évidence du mode selon lequel les discours participent de phénomènes sociaux. II – L’enracinement idéaliste de la gnoséologie de Niklas Luhmann Cette perspective est-elle révolutionnaire ? Il faut admettre que c’est le cas pour l’épistémologie de secteurs particuliers du savoir, comme le droit ou la sociologie. Cependant, du point de vue d’une épistémologie générale, l’œuvre de Niklas Luhmann s’inscrit au sein d’une histoire qui s’achemine vers l’abandon de la souveraineté du sujet dans l’ordre de la pensée. Il convient de revenir aux origines des conceptions épistémologiques actuelles. Les théories épistémologiques grecques nous ont transmis, notamment à travers le néo-platonisme chrétien et la scolastique, l’opposition de deux concepts : phainomenon et nooumenon. La notion de phainomenon désigne ce qui relève de la perception et est traduite par les termes de représentation ou de phénomène (en allemand, Erscheinung, du verbe erscheinen, apparaître). Le concept de nooumenon désigne ce qui relève de l’intellect, de l’intelligence, de l’esprit, ou de la pensée (en grec, nous). En d’autres termes, la question de la 17 connaissance est profondément liée à la structure intelligence/perception – qui renvoie à la dichotomie âme/corps (psychè/sôma) –, selon une tradition déterminante pour la pensée occidentale. Ce clivage fonde les grandes questions posées par la philosophie médiévale, et notamment la fameuse querelle des universaux. L’un des problèmes essentiels tient dès lors à la difficulté qu’il y a à penser l’harmonie entre le savoir intellectuel et la perception. Cela explique l’importance et la nécessité, jusqu’au XVIIIe siècle, d’une théorie des idées innées, partagée sous des formes diverses par les auteurs (Descartes, Spinoza, Leibniz et leurs successeurs, tels Malebranche ou Wolff), c’est-à-dire, pour simplifier, d’une conception où l’entendement humain se trouve en contact avec la réalité par l’intermédiaire de la divinité. L’ordre des concepts correspond à l’ordre de l’expérience : la création est à la fois15 création de l’ordre de la réalité perçue (la substance étendue de Descartes) et de l’ordre de la pensée (la substance pensante). Le rapport sujet/objet, sujet/réalité, bénéficie de la médiation de la création divine. Plus exactement, la réalité est essentiellement réalité divine de la création, que ce soit dans l’ordre de la pensée ou de la perception. Cette perspective est ancienne. Elle est véhiculée, notamment, par la conception thomiste. Les concepts sont la base essentielle de la connaissance, car ils permettent d’ordonner le monde des perceptions et conditionnent la connaissance de la nature. La rupture instituée par l’empirisme anglo-saxon, avec Locke, tient à l’abandon de la théorie des idées innées16 : toute connaissance est inférée, de façon exclusive, de l’expérience, dans la filiation d’un autre courant marquant de la scolastique, le nominalisme. D’un autre côté, pour Locke, le fait même que la connaissance soit possible prouve l’existence d’un ordre extérieur. L’empirisme comme méthode, combiné avec le thème de la tabula rasa, débouche sur une foi naïve dans l’aptitude humaine à la connaissance. 15 Voir l’hypothèse du « malin génie », chez Descartes (Méditations, 1641), la théorie de l’harmonie préétablie, chez Leibniz (Monadologie, 1714), la théorie de la substance chez Spinoza (Ethica ordine geometrico demonstrata, 1677). 16 John Locke, An Essay concerning Human Understanding (1690). 18 Parmi les héritiers de l’épistémologie de Locke, il faut mentionner Hume17, dont la conception penche cependant davantage vers le scepticisme et dont la gnoséologie a tant marqué Kant. La théorie épistémologique accède de la sorte à une interrogation axée autour de la question de la place du sujet au sein du monde et donc dans le processus de fondation de la connaissance. Ce mouvement participe de ce que Niklas Luhmann nomme la « fuite dans le sujet » (die Flucht ins Subjekt)18. Mais, sur le plan épistémologique, le sujet va, petit à petit, prendre une telle place dans la philosophie allemande du e XIX siècle, à travers les œuvres de Kant, puis de Fichte, Schelling et Hegel, que cela débouche, progressivement, sur la dissolution de l’objet, et, par conséquent, sur l’abolition du clivage sujet/objet. En somme, alors même que se développe l’épistémologie naïve du scientisme, dérivée de l’empirisme anglo-saxon, la philosophie dégage la contradiction inhérente à cette épistémologie. C’est pourquoi il est possible d’affirmer que la position épistémologique de Niklas Luhmann s’enracine dans la filiation de l’idéalisme allemand. Tout d’abord, à travers la gnoséologie kantienne et post-kantienne, le principe est posé que l’origine du savoir, est, au moins en partie, le sujet19. Si Kant ne revient pas aux concepts innés de l’héritage scolastique, il limite les effets de l’idée d’un entendement humain considéré comme tabula rasa. Un apport majeur, pour l’idéalisme allemand, de la conception kantienne tient au rôle attribué à la praxis dans la connaissance. C’est en particulier avec les deuxième et troisième critiques20, chez Kant, que l’inscription de l’homme dans l’univers pratique, c’est-à-dire dans un ordre du désir moral (l’impératif catégorique) et dans un ordre des finalités de l’action humaine et divine (jugement téléologique), devient déterminante. C’est le premier de ces deux aspects que Fichte, refusant le thème d’une chose en soi, 17 David Hume, Enquiry concerning Human Understanding (1748). GdG, p. 1016. 19 Immanuel Kant, Kritik der Reinen Vernunft (1781). 20 Immanuel Kant, Kritik der praktischen Vernunft (1788) ; Kritik der Urteilskraft (1790). 18 19 d’un objet extérieur, développe. L’idée peut être résumée de la sorte : le « je » (Ich) se pose lui-même, et se posant lui-même, pose le « non-je » (Nicht-Ich)21. Comme le souligne Niklas Luhmann : « Lorsqu’on comprend le sujet (transcendental) en sorte qu’il ne dépend que de lui-même, on transforme le problème de l’être-dans-le-monde en un problème de l’être-ensoi-même. »22 Les philosophes allemands déclinent cette perspective de façons variées. Citons Schopenhauer23 : « Le monde est ma représentation. – Cette proposition est une vérité pour tout être vivant et pensant, bien que, chez l’homme seul, elle arrive à se transformer en connaissance abstraite et réfléchie. Dès qu’il est capable de l’amener à cet état, on peut dire que l’esprit philosophique est né en lui. Il possède alors l’entière certitude de ne connaître ni un soleil ni une terre, mais seulement un œil qui voit ce soleil, une main qui touche cette terre ; il sait, en un mot, que le monde dont il est entouré n’existe que comme représentation dans son rapport avec un être percevant, qui est l’homme lui-même. » Déjà, chez Fichte, les thèmes de la réflexivité (Reflexion), du cercle (Zirkel) et du système sont placés au cœur de l’épistémologie comme conséquences du dépassement du clivage intelligence/sensibilité (Verstand/Sinnlichkeit) hérité chez Kant de la tradition scolastique24. On passe, nécessairement, à une logique de l’auto- (Selbst-), découlant du principe de la réflexivité – autodétermination (Selbstbestimmung)25, autofondation (Selbstbegründung), etc. – impliqué par le fait que le système se trouve, en quelque sorte, enfermé en lui-même, selon le principe de la clôture (Geschlossenheit). Aujourd’hui, comme le montre Niklas Luhmann, il faut tenir compte de l’inscription du psychisme dans l’expérience sociale : « Le sujet s’efforce vers une 21 Johann Gottlieb Fichte, Über den Begriff der Wissenschaftslehre (1794), Stuttgart, Reclam, 1972, p. 73. 22 GdG, p. 870. 23 Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation (Die Welt als Wille und Vorstellung, 1819), traduction A. Burdeau, 14ème édition, Paris, PUF, 1996, p. 25. 24 Johann Gottlieb Fichte, op. cit., p. 64 et s. 25 Ibid., en particulier, p. 74. 20 ‘autoréalisation’ – et il atteint cela à travers un copiage de modèles d’individualité, qu’il trouve dans la vie et avant tout dans la littérature. » C’est le principe de l’autodescription : « Le sujet se détermine comme sujet par distinction d’avec l’objet (im Unterschied zum Objekt), et c’est précisément la façon par laquelle il engendre la distinction d’avec l’objet. »26 On perçoit ici la manière dont le principe de l’autoréférentialité découle nécessairement de l’abolition du clivage sujet/objet. Cependant, dans le contexte de la perspective adoptée par la sociologie de Niklas Luhmann, le sujet n’est plus seulement l’individu, comme dans l’idéalisme de Fichte. Chez Luhmann, la théorie des systèmes, dont on saisit l’enracinement dans la tradition philosophique allemande, est appliquée, non plus au sujet singulier, mais à des entités collectives. La société n’est plus fonction de l’individualité, mais l’individu concrétise le collectif dans la mesure du principe de l’interpénétration des systèmes psychiques et des systèmes sociaux27. L’idéalisme allemand avait déjà perçu le problème. Dès lors qu’on nie l’objet, pour le réduire à un phénomène (Erscheinung) ou à une représentation (Vorstellung), que devient ce sujet sans objet ? Pour Schelling, avec la Naturphilosophie, c’est le monde qui pense à travers le sujet28. Pour Hegel, le sujet n’est que le réceptacle de la réalisation de l’Esprit29. C’est la fameuse distinction entre l’idéalisme subjectif (Fichte) et l’idéalisme objectif ou l’idéalisme absolu de la Naturphilosophie de Schelling ou de la phénoménologie de Hegel. Au fond, quelque chose pense, mais il est naïf de croire que ce quelque chose est un individu, par exemple, le Chrétien responsable en propre de ses actes dans le contexte de la morale, le citoyen dans le domaine du politique, c’est-à-dire un sujet souverain dans l’ordre de la pensée. Ce qui pense est une totalité : un système dans sa réflexivité. Il peut donc être affirmé, par exemple, qu’à 26 GdG, p. 871. SoSy, p. 289 ; Syso, p. 266. 28 Friedrich Wilhelm Joseph Schelling, System des transzendentalen Idealismus (1800). 29 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Phänomenologie des Geistes (1807). 27 21 travers le juriste c’est le droit comme système qui se pose, qu’à travers le sociologue c’est la société comme système, etc. Insistons sur le fait que l’individualisme en tant que conception théorique, héritage du thème chrétien de la responsabilité morale, se diffuse dans l’ordre du politique avec la Révolution. La société cesse d’être un ordre du collectif, distinguant ontologiquement les hommes suivant leur place (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent, selon une tradition remontant à l’époque médiévale), pour devenir un ordre atomisé dans l’individuel, en vertu d’un principe qui se trouve au cœur de la doctrine libérale, notamment chez Adam Smith, et qui s’inscrit dans l’héritage individualiste et matérialiste de l’empirisme d’un Locke et de nombre d’auteurs anglo-saxons, tels que, en particulier, Mandeville30. L’importance de la conception de Marx, c’est-àdire d’une conception réellement sociologique, dans l’émergence d’une perspective permettant l’abolition du sujet, tient à ce qu’il prend pleinement en compte les acquis de l’idéalisme de Hegel. Ce qui pense à travers le sujet, c’est non plus l’Esprit, mais les rapports de production. C’est ainsi qu’il peut surmonter l’ontologie individualiste libérale du sujet, et les concepts de « droit », de « liberté » et de « propriété » qui lui sont liés. III – Illusion, interprétation et autodescription comme fondements de la connaissance Chacun percevra dès lors une critique qui ne manquera pas d’être formulée vis-à-vis de la conception proposée par Niklas Luhmann : ne porte-t-elle pas atteinte aux fondements du moment de l’histoire dont notre conception politique est tellement tributaire, c’est-à-dire aux catégories de l’Aufklärung ? Ne verse-t-on pas dans un monde où apparaît relativisée la clarté des schémas politico-juridiques sur la base desquels repose le fonctionnement des sociétés libérales ? Force est d’admettre que le projet envisagé par la théorie des systèmes sociaux démonte d’une façon globale la perspective 30 Bernard Mandeville, The fable of the Bees (1714). 22 individualiste tout à la fois au plan sociologique et au plan épistémologique. La société cesse d’être un agrégat d’individualités pures et, en même temps, la connaissance n’est plus le fait d’individus mais de systèmes. Il résulte de cette orientation que la théorie du progrès elle-même se trouve remise en cause. Car derrière la science il n’y a pas de vérité, mais seulement les opérations d’un système social donné. L’humanité ne saurait s’acheminer, selon les catégories héritées de l’eschatologie chrétienne, vers un ailleurs dégagé de la contingence du temps. La gnoséologie chrétienne, comme celle du progrès, dépendait de l’idée d’une vérité, c’est-à-dire d’une ouverture : la théorie des systèmes sociaux implique au contraire l’idée de clôture. La connaissance est de façon profonde ressassement, piétinement, surplace inlassable. Ce qui caractérise, pour Niklas Luhmann, la modernité, c’est plutôt l’exacerbation de la relativité. La société contemporaine n’est plus fondée sur une représentation dominante, mais sur des représentations. C’est le phénomène de la différenciation des systèmes sociaux : économie, droit, art, etc.31 Là encore, il est possible de repérer un héritage philosophique. La dépossession du sujet pensant a été initiée de longue date. Chez Schopenhauer, proche à bien des égards de Schelling ou de Hegel, quoiqu’il s’en défende, seul le génie est réellement sujet. L’humanité n’est dans la plupart de ses œuvres que la victime des lois d’une nature vouée à la perpétuation de la souffrance. La subjectivité passe du phénomène (Erscheinung) à la représentation (Vorstellung). Mais cette fois rien n’échappe à la représentation. Comme chez Fichte, il s’agit de tirer les conséquences de la contradiction inhérente à l’idée kantienne de la chose en soi. Comment pourrais-je inférer l’existence d’un objet extérieur à ma représentation, alors que mon seul objet est précisément cette représentation. Chez Schopenhauer, pour l’homme du commun, pour celui qui ne parvient pas à s’extraire des miroitements de la représentation, il n’y a pas de connaissance, mais seulement l’illusion. Nietzsche, en disciple de Schopenhauer, reprendra le thème 31 GdG, p. 595 et s. 23 fondateur de la manipulation, en particulier pour critiquer la morale. Qu’est-ce que la morale, qu’est-ce que le droit, qu’estce que la politique ? Il s’agit d’abord de la tyrannie de la masse exercée sur l’individu32. Toutefois, Nietzsche en reste à une sotériologie de l’individu. Le salut réside, pour le sujet, dans le fait de renouer avec sa nature d’individu. Un apport de la pensée de Nietzsche consiste précisément en la prise en compte de ce que ce que la pathologie individuelle doit au collectif. Dans La volonté de puissance, on trouve ce propos remarquable : « L’étude de la société est inestimable, car l’homme comme société [nous soulignons : der Mensch als Gesellschaft] est beaucoup plus naïf que l’homme comme ‘unité’. »33 On repère un trait qui trouve ses racines chez Schopenhauer. Chez Marx, la problématique est inversée. C’est l’individu qui devient une pathologie du social, à travers l’idéologie et le phénomène de l’aliénation. Il est important de noter cette émergence au XIXe siècle d’une théorie de l’illusion, chez des auteurs aussi divers que Schopenhauer, Marx ou Nietzsche : il s’agit de penser la cohérence de l’erreur, son implacable logique. L’erreur est toujours d’une quelconque utilité, que ce soit pour la classe dominante, les finalités de la nature ou de la société. C’est précisément là que se joue cette étrangeté du sujet par rapport à lui-même, qui est au cœur de l’interrogation sur la connaissance. Suis-je vraiment moi-même lorsque je pense, ou ne suis-je pas plutôt pensé par autre chose ? Ces thèmes impliquent une efficacité particulière dans leur application à l’optimisme de l’épistémologie scientiste, qui poursuit dans les traces de l’empirisme anglo-saxon. Ni une science conçue sur le mode des sciences de la nature (Naturwissenschaften), ni une métaphysique naïve fondée par une ontologie du sujet, ne sauraient nous permettre d’accéder aux questions les plus essentielles. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les sciences qui traitent de l’humain, ce que les Allemands désignent par les concepts de Geisteswissenschaften ou de Kulturwissenschaften (sciences de l’esprit 32 Friedrich Nietzsche, Zur Genealogie der Moral (1887). Friedrich Nietzsche, Der Wille zur Macht, §716, Stuttgart, Kröner, 1980, p. 484. 33 24 ou de la culture). Il n’est pas possible de penser la société abstraction faite de la situation du sujet en son sein. Dès lors, on en est réduit à passer du thème scientiste de la description (Beschreibung) au thème de l’interprétation (Auslegung). Les sciences de la sociétés (l’histoire, le droit, la sociologie), ne peuvent plus être conçues sur le modèle naïf originel des sciences de la nature – modèle d’ailleurs contesté y compris dans le domaine de l’épistémologie des sciences exactes –, sur le modèle de la description unilatérale d’un objet34. C’est la révolution herméneutique : l’interprétation régit les sciences de l’humain, car l’objet d’investigation y est le sujet lui-même. Inversement, et en conséquence, on peut formuler la chose de façon abrupte en posant que, en dernière analyse, le sociologue c’est la société, l’historien c’est l’histoire, le juriste c’est le droit, etc. En somme, la sociologie est un phénomène social, la science historique un phénomène historique, la science du droit un phénomène juridique. Les sciences humaines, rapportées à leur contexte, ne peuvent échapper à leur objet. Il devient impensable de placer la science comme transcendant son objet. Mais au-delà de l’idée d’interprétation, Niklas Luhmann met en œuvre le concept d’autodescription (Selbstbeschreibung). Le sujet n’est pas pleinement sujet, mais il est l’objet même qui se décrit. Dans une conception à la Hegel on pourrait dire que l’objet prend conscience de lui-même (devient être-en-soi-etpour-soi = An-und-für-sich-Sein), mais cela supposerait une vision historisante, toujours naïve. Si la société s’autodécrit, c’est parce qu’elle se trouve inscrite dans un contexte où l’autodescription est une condition de son existence en tant que système. IV – La place du système psychique : convergence épistémologique de la sociologie et de la psychologie Une question déterminante pour l’épistémologie tient dès lors au problème du rapport entre les systèmes sociaux et le sujet 34 Parmi les auteurs marquants, il faut mentionner Martin Heidegger, Sein und Zeit (1927), Karl Jaspers, Von der Wahrheit (1947). 25 connaissant. Niklas Luhmann fait appel au concept d’interpénétration des systèmes35. Les humains et leurs rapports aux systèmes sociaux constituent un environnement des systèmes sociaux et non seulement une part de la société. Inversement, les systèmes sociaux participent de l’environnement des systèmes psychiques. Systèmes sociaux et systèmes psychiques se trouvent donc distingués et irrémédiablement séparés du fait même de la clôture comme élément constitutif du système autopoïétique. Cela suppose naturellement que la théorie des systèmes sociaux intègre une théorie du psychisme comme système. Là encore, un détour historique s’impose, car c’est à la psychanalyse qu’on doit d’avoir su envisager effectivement le psychisme humain comme système fermé sur lui-même, comme système autoréférentiel. On retrouve, dans le domaine de la psychologie, certains acquis de l’idéalisme. L’un des concepts essentiels repris de la philosophie par la psychanalyse est celui de représentation (Vorstellung). Le concept de représentation doit être couplé avec celui d’affect (Affekt). La pulsion (ou instinct) (Trieb) s’exprime à travers les deux modes, affect et représentation. Sans entrer dans le détail, il convient de souligner que l’innovation de la psychanalyse tient à la substitution de la topique inconscient/préconscient/conscient au rapport entre sujet et objet. La réalité est la réalité de la pulsion et de son destin considéré de façon globale. Aussi la réalité psychique est-elle opposée à la réalité matérielle. Le fantasme (Phantasie) est particulièrement intéressant : il permet de comprendre comment la pulsion agit au plan de la représentation. Ainsi le fantasme vient-il réaliser un désir frustré dans la réalité : cela peut, par exemple, se traduire par des comportements tels que la dénégation ou le déni d’une représentation, d’un désir ou d’une réalité. Pour le psychanalyste, de tels phénomènes font partie de la réalité subjective du patient. Dès lors que le sujet expose son expérience, son discours est tout autre chose que la description unilatérale d’une réalité. C’est en ce point qu’on retrouve appliquées dans le contexte de la psychologie des attitudes 35 SoSy, p. 286 et s. ; Syso, p. 263 et s. 26 parallèles à la critique herméneutique du scientisme. À cet égard, on abandonne un réalisme naïf et binaire opposant sujet et objet, vérité et erreur. Pour comprendre le sujet, il convient d’appréhender pleinement sa réalité subjective et son inscription dans l’ordre du désir. Le « moi » cesse d’être une donnée pour devenir l’élément de la topique ça/moi/surmoi (Es/Ich/ÜberIch) rendant compte de l’économie des pulsions. On a bien affaire à une logique de système. Nul n’ignore la théorie du « surmoi » (Über-Ich). On sait que Freud a dégagé cette notion de l’analyse de la mélancolie ou du deuil pathologique. Le sujet se trouve alors dans une dynamique de l’auto- (selbst-) : autoaccusation, auto-punition, auto-reproche, auto-observation… Dès lors, on perçoit combien la constitution du sujet est autoréférentielle. En particulier, la psychanalyse met en évidence un élément moteur dans le psychisme humain : le moi idéal (Idealich), qui constitue un moi fantasmatique, impliquant des phénomènes d’identification aux figures parentales ou aux idéaux collectifs. C’est là qu’on arrive au sommet de ce qui mérite la dénomination de dynamique de l’auto-, avec une notion clef de la psychanalyse : le concept de narcissisme36. Mais il convient d’insister sur le fait que le narcissisme, pour la psychanalyse, n’est pas un phénomène dévalorisé. Il s’agit d’un élément commun aux psychismes humains. Disons, en un mot, que le narcissisme recouvre d’une façon large tout ce qui découle de l’auto-érotisme (Autoerotismus), c’est-à-dire l’amour porté à soi-même, l’investissement libidinal sur le soi propre, avec toutes ses composantes fantasmatiques, qui peuvent aller jusqu’à la pathologie, comme dans les délires d’auto-persécution, d’auto-observation, ou encore la mégalomanie. Il importe de saisir combien, dans cette dynamique on pénètre au cœur de la vie humaine : toute vie, tout désir, tout imaginaire humain, et donc, toute réalité humaine, passe par le narcissisme. Ajoutons que l’analogie permettant le passage de l’analyse de l’individuel à l’analyse du collectif est effectuée par Freud lui-même à travers la psychologie des masses (Massenpsychologie). Ainsi, la métapsychologie montre que le 36 Sigmund Freud, Zur Einführung des Narzissmus (1914). 27