la visibilite critique du costume de cinema dans la presse specialisee

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la visibilite critique du costume de cinema dans la presse specialisee
DU COSTUME A L'ECRAN AU COSTUME A L'ECRIT :
LA VISIBILITE CRITIQUE DU COSTUME DE CINEMA
DANS LA PRESSE SPECIALISEE
IEP DE TOULOUSE
MEMOIRE DE RECHERCHE PRESENTE PAR MLLE ALICE DUCASTAING
DIRECTRICE DU MEMOIRE : MME CHRISTINE ARIBAUD
DATE : 2012
DU COSTUME A L'ECRAN AU COSTUME A L'ECRIT :
LA VISIBILITE CRITIQUE DU COSTUME DE CINEMA
DANS LA PRESSE SPECIALISEE
IEP DE TOULOUSE
MEMOIRE DE RECHERCHE PRESENTE PAR MLLE ALICE DUCASTAING
DIRECTRICE DU MEMOIRE : MME CHRISTINE ARIBAUD
DATE : 2012
« SOME PEOPLE THINK THE MOVIES SHOULD BE MORE LIKE REAL LIFE. I DON'T.
I THINK REAL LIFE SHOULD BE MORE LIKE THE MOVIES.1 »
Extrait du dialogue de Myrna Loy dans To Mary with Love (1936) de John Cromwell
1
« Il y a des gens qui pensent que les films devraient plus ressembler à la vie telle qu'elle est. Moi non. Moi, je
pense que c'est la vie qui devrait ressembler plus aux films. »
REMERCIEMENTS
En préambule à ce mémoire, je souhaite adresser mes remerciements aux personnes
qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à son élaboration ainsi qu’à la réussite de mon
cursus universitaire.
Je tiens à remercier sincèrement Madame Christine Aribaud, ma directrice de mémoire, qui
s'est toujours montrée à l'écoute et très disponible tout au long de la réalisation de ce travail de
recherche, ainsi que pour l'intérêt qu'elle a montré pour mon parcours et le soutien apporté
dans la réalisation de mon projet professionnel.
Mes remerciements s’adressent également à Monsieur Éric Darras, responsable du Master II
« Expertises Culturelles ». pour la qualité de la formation dispensée et la diversité des
intervenants rencontrés, en phase avec les attentes des étudiants.
Je souhaite exprimer toute ma gratitude à l'équipe de la Cinémathèque de Toulouse,
notamment Madame Natacha Laurent, Déléguée Générale, qui m'a accueillie en stage dans
son établissement et Monsieur Christophe Gauthier, Conservateur de la Cinémathèque de
Toulouse, pour m'avoir guidée à travers mes missions et accordé sa confiance pendant la
période de mon stage. Ce stage m'a permis d'acquérir de nombreuses connaissances
indispensables à la réalisation de ce mémoire. J'exprime en particulier toute ma
reconnaissance à Madame Céline Escoulen, Archiviste, pour son soutien et les indications
précieuses qu'elle m'a fournies, ainsi qu'aux documentalistes de la bibliothèque, pour
l'assistance qu'ils m'ont apportée dans mes recherches.
Enfin, je ne saurais oublier de remercier les membres de ma famille pour leur contribution,
leur soutien et leur patience durant l'élaboration de mon mémoire, ainsi que leur relecture
attentive.
AVERTISSEMENT :
L’IEP
DE
TOULOUSE N’ENTEND
MEMOIRES DE RECHERCHE.
LEUR AUTEUR(E).
CES
DONNER AUCUNE APPROBATION, NI IMPROBATION DANS LES
OPINIONS DOIVENT ETRE CONSIDEREES COMME PROPRES A
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE ........................................................................................................ 1
PREMIERE PARTIE- DU COSTUME REEL AU COSTUME A L'ECRAN : LES ENJEUX DU COSTUME
DANS L'ŒUVRE CINEMATOGRAPHIQUE ................................................................................... 10
AVANT-PROPOS ..................................................................................................................... 11
CHAPITRE I- LES REALITES DU COSTUME DE CINEMA ............................................................ 12
CHAPITRE II- HEURS ET MALHEURS DU COSTUME DE CINEMA A L'ECRAN.............................. 27
POUR CONCLURE ................................................................................................................... 48
DEUXIEME PARTIE- DU
COSTUME A L'ECRAN AU COSTUME A L'ECRIT
: LA
PLACE DU
COSTUME DE CINEMA DANS LE CHAMP DE LA CRITIQUE ........................................................ 49
AVANT-PROPOS ..................................................................................................................... 50
CHAPITRE III- LE COSTUME A L'ECRIT : ENTRE OBJET D'ATTENTION ET OBJET CRITIQUE ....... 51
CHAPITRE IV- LES USAGES DU COSTUME ECRIT DANS LA CRITIQUE DE CINEMA .................... 68
CHAPITRE V- MARIE-ANTOINETTE ET LE TRAITEMENT CRITIQUE D'UN FILM EN COSTUME ...... 79
POUR CONCLURE ................................................................................................................... 95
CONCLUSION GENERALE ......................................................................................................... 96
INTRODUCTION GENERALE
Depuis 1948, l'Academy of Motion Pictures Arts and Science, qui récompense
l'excellence de la production cinématographique mondiale depuis 1929, délivre un Oscar de la
meilleure création de costumes établissant une distinction entre les films en noir et blanc et les
films en couleur. Celle-ci s'estompe progressivement pour disparaître définitivement en 1967.
En 2012, pour la première fois depuis la fusion des deux catégories, un film en noir et blanc
reçoit l'Oscar de la meilleure création de costumes. Il s'agit du très plébiscité The Artist (2011)
réalisé par Michel Hazanavicius, dont la création des costumes a été confiée à Mark Bridges.
Cela revêt une importance symbolique particulière dans la mesure où un film en noir et blanc
ne saurait rendre compte pleinement des costumes, dont il manque inévitablement un élément
essentiel, la couleur, renvoyant le spectateur à son imagination. Or, par essence, le cinéma fait
appel à cette imagination puisqu'il demande au spectateur, le temps d'une heure ou deux, de
croire à l'œuvre de fiction.
Comme le font remarquer Alain Masson et Christian Viviani en préambule de leur dossier
relatif au costume à l'écran dans la revue Positif :
« Sujet inépuisable, comme tous les sujets apparemment futiles, le costume soulève en fait des
questions essentielles liées au cinéma.2 »
Telle est la place paradoxale du costume de cinéma : il ne semble pas être reconnu en France
comme un objet d'étude légitime, alors même qu'il constitue un élément essentiel de la fiction,
ce que nous verrons en détail. Le vide littéraire à ce sujet en est d'autant plus remarquable. En
effet, si les universitaires anglo-saxons commencent à s'intéresser au costume de cinéma à
partir des années 1990, cet objet reste encore sous-estimé en France. Les études anglosaxonnes, qui visent à réhabiliter le costume de cinéma comme objet d'étude légitime
soulèvent quelques unes des raisons à ce long désintérêt : le costume de cinéma, qui présente
de fortes interconnexions avec le monde de la mode, apparaît comme un sujet frivole,
féminin, qui ne mérite donc pas d'attention. Parmi les autres raisons de ce désintérêt, on peut
relever les critiques néo-marxistes et féministes de la mode (Street, 2001 : 1). La première
2
MASSON, Alain, VIVIANI, Christian. « Le costume à l'écran ». Positif, n° 425-426, juillet-août 1996, p. 4.
1
entretient l'idée que la mode est l'expression du capitalisme. La seconde dénonce la mode qui
contraint la femme à satisfaire le regard masculin. Toutefois, il existe une explication plus
évidente et qui semble trouver une résonnance particulière dans le cadre critique français
auquel nous nous intéressons ici : le désintérêt pour le costume de cinéma semble être dû,
plutôt qu'à son apparente futilité, à son caractère « accessoire ». secondaire. En effet, il
convient de souligner la place centrale que l'on accorde au réalisateur dans l'œuvre finie au
détriment de ses collaborateurs et notamment de la technique, alors même que le créateur de
costume occupe généralement l'une des premières places après celui-là dans les crédits du
générique (Cook, 1996 : 41). Cette importance accordée au réalisateur - qui est par ailleurs
justifiée dans la mesure où celui-ci est responsable de l'unité de l'œuvre - est peut-être même
d'autant plus vraie en France, qui a vu naître la « politique des auteurs ». à l'initiative des
« Jeunes Turcs » - notamment François Truffaut - dans les Cahiers du Cinéma au début des
années 50. Il s'agit d'une tendance de la critique de cinéma qui vise à confirmer le statut
artistique du cinéma en accordant une place centrale au réalisateur, l'auteur.
Preuve du manque d'intérêt affiché pour le costume de cinéma mais également de la
difficulté de le définir, la quasi-absence d'une entrée « costume » dans les dictionnaires
spécialisés du cinéma au profit de celle de « créateur de costume » ou de « costumier ». qui
constituent par ailleurs deux métiers distincts. Seul le Dictionnaire du Film d'André Roy
(Roy, 1999 : 86) donne une définition relativement complète du costume de cinéma en
présentant quelques-uns de ses enjeux, mais il n'est alors considéré que comme un ensemble
pluriel (« costumes »). Ces définitions ne permettent donc pas de rendre compte de la réalité
et de la diversité du costume de cinéma et le confinent à un aspect uniquement technique de la
réalisation d'un film.
Avant de définir le costume de cinéma tel que nous l'aborderons dans ce mémoire, prenons le
temps de revenir sur un terme polysémique et conceptuel : le « costume ». Dans son sens
premier, il renvoie au type d'habillement spécifique à une zone géographique. Le costume
prend alors pleinement son sens étymologique de « coutume ». Il constitue dans un second
temps la tenue vestimentaire propre à une activité particulière. Dans son sens général, le
costume de cinéma se rapprochera de cette définition. Le costume renvoie également au
vêtement, c'est-à-dire à l'objet fabriqué pour couvrir le corps humain, le cacher, le protéger, le
parer. De même, le costume au cinéma, qui ne constitue pas seulement un objet conceptuel
2
mais un objet réel, constitue avant tout un vêtement dans la mesure où il a pour finalité
d'habiller l'acteur. Enfin, le mot costume renvoie au déguisement ainsi qu'au complet
masculin.
Dans ce mémoire, nous considérerons d'une part le costume de cinéma 3, que nous pouvons
définir comme la tenue vestimentaire propre à l'acteur de cinéma, ainsi que le costume dans
son unicité, que nous définirons comme l'un des ensembles d'habits et d'accessoires portés par
un acteur dans un film.
Dans l'imaginaire collectif la notion de costume de cinéma renvoie à celle de film en costume.
Il est tout d'abord légitime de se questionner sur la pertinence de cette notion dans la mesure
où le costume constitue un élément essentiel au cinéma, intervenant à la base même de la
fiction et du travail d'acteur, comme s'accorde à le dire l'actrice britannique Tilda Swinton :
« Selon moi, ce que je fais n'est pas plus compliqué que ce que font mes enfants qui mettent
en scène une pièce chaque jour. Ils savent que si l'on met un chapeau de vieille dame, on est
une vieille dame. C'est aussi simple que ça.4 »
Dès lors, tout vêtement porté dans un film par un acteur constitue un costume et tout film est
donc nécessairement « en costume ». La notion de film en costume permet néanmoins de
distinguer les films au sein desquels la création des costumes nécessite une recherche
particulière. Toutefois, nous ne saurions restreindre cette notion à celle de film historique, qui
ne permet pas de rendre compte de la diversité des films en costume et constitue une notion
trop connotée dans la mesure où elle implique la prétention à dépeindre une réalité historique.
Nous admettrons donc une définition large du film en costume basée sur l'influence
réciproque qui existe entre la mode et le cinéma. En effet, le cinéma exerce une influence sur
les habitudes vestimentaires comme en témoigne, à titre d'exemple, la paire de jeans que porte
James Dean dans La Fureur de vivre (1955) de Nicholas Ray, qui devient un symbole
d'identification de la jeunesse et est porté encore aujourd'hui à l'échelle internationale ; et la
mode, qui est par définition éphémère, constitue un excellent témoin des mutations de la
société et du passage du temps. C'est pourquoi, lorsque l'on s'interroge sur l'authenticité des
costumes, l'on s'intéresse finalement à leur conformité à la mode d'une période donnée.
3
Dans ce mémoire, nous préciserons « de cinéma » pour parler du costume de cinéma en général et utiliserons le
terme seul de « costume » afin d'évoquer un costume en particulier.
4
TESSON, Charles. « Artiste et modèle : entretien avec Tilda Swinton ». Cahiers du Cinéma, n° 659, septembre
2010, p. 91.
3
Nous définirons donc le film en costume comme un film dont l'intrigue n'est pas
contemporaine de la réalisation. Cette définition volontairement ouverte permet d'y inclure
non seulement les films d'époque - dont l'intrigue est antérieure au XXe siècle (période à
laquelle le corset disparaît entrainant une mutation profonde des silhouettes féminines) - mais
aussi les films de science-fiction et les films fantastiques ainsi que toutes les œuvres dont
l'intrigue se déroule dans un passé proche. En effet, comme le fait remarquer Maud
Molyneux, qui a créé les costume de La Dilettante de Pascal Thomas, un léger décalage
temporel constitue en soi une gageure quant à la création des costumes :
« [La Dilettante] était déjà un film en costumes parce qu'il y avait déjà un très léger décalage
temporel. Le film a été fait en 1998, et l'histoire se passait au tout début des années 90, il
avait coulé pas mal d'eau sous les ponts dans la mode.5 »
Maintenant que nous avons défini notre objet d'étude, revenons sur les raisons qui
m'ont poussé à choisir ce sujet afin d'en expliquer l'intérêt. Passionnée de cinéma 6 , j'ai
toujours apprécié la sensation grisante de me plonger dans un film jusqu'à en oublier qu'il
s'agit d'une œuvre de fiction. C'est pourquoi, j'ai toujours été fascinée par ce pouvoir de la
caméra de transfigurer la réalité (celle du tournage) afin d'en créer une image immatérielle,
cohérente et indépendante (l'œuvre cinématographique).
Dans cette perspective, mener une réflexion sur le costume de cinéma présente un intérêt
certain dans la mesure où il subit cette transfiguration de façon paroxystique. En effet, un
costume est avant tout un vêtement, soit un ensemble d'habits réels, tangibles. Or, il semble
que la caméra ait l'étrange pouvoir de le rendre invisible à l'écran. Paradoxalement, le
vêtement dont est constitué le costume, tout en prenant pleinement son rôle de costume,
redevient simple vêtement aux yeux des spectateurs, quand il ne se fait pas tout simplement
oublier.
En effet, savoir se faire oublier est d'ailleurs ce que l'on attend du costume au cinéma, qui se
doit d'être empreint de réalisme, contrairement au théâtre, univers auquel il fait écho - où le
« non naturel » est admis alors même que ce que l'on voit est « réel ». La conception des
5
COHEN, Clélia. « Maud Molyneux, le salaire du sapeur ». Cahiers du Cinéma, n° 556, avril 2001, p. 48.
Par souci de clarté, nous ne considérerons comme relevant du cinéma que les œuvres de fiction et nous
écarterons de la réflexion les films documentaires et les longs métrages d'animation, qui constituent des objets
particuliers du champ cinématographique et qui ne font - du moins théoriquement - pas appel au costume de
cinéma.
6
4
costumes devient alors un véritable défi, comme le confirme ce témoignage de Jacques
Fonteray, créateur de costumes :
« Pour certains films, il faut que l'on remarque le costume. Mais bien souvent c'est à l'action
que le spectateur doit s'intéresser, et il faut donc que l'on oublie les costumes. Il faut toujours
penser au côté vrai des personnages. Pour un film contemporain, on doit presque arriver à ce
qu'ils ressemblent aux gens que l'on croise dans la rue. C'est parfois difficile de faire un
costume qui ne se voit pas.7 »
Le costume de cinéma présente donc un paradoxe à double titre : d'une part, dans la mesure
où l'importance qu'il revêt n'en fait pas pour autant un objet d'étude légitime et d'autre part, du
fait de la place qu'il occupe à l'écran, où il parvient à être visible et invisible à la fois.
Il paraît donc opportun de mettre en relation cette dialectique de l'invisibilité du costume de
cinéma à l'écran avec son absence de reconnaissance comme objet d'étude légitime, et ce en
analysant sa place au sein d'un champ bien particulier, au croisement du cinéma, de la
littérature et du journalisme et aux enjeux spécifiques : la presse cinématographique
spécialisée et plus précisément, la critique de cinéma.
Le septième art n'a pas toujours été considéré comme tel : d'abord perçu comme un
divertissement « populaire ». il a longtemps été taxé d'impureté du fait des enjeux techniques
et économiques qui lui sont propres. La légitimité artistique du cinéma s'est en fait constituée
en deux temps8 : d'une part, par analogie avec les champs artistiques consacrés, tel que la
littérature, les arts plastiques et le théâtre ; d'autre part, par l'intervention de la critique, qui
autonomise le champ cinématographique, conçu comme un champ artistique à part entière. La
critique de cinéma a donc cela d'intéressant qu'elle est productrice de légitimité dans le champ
cinématographique : elle définit constamment ses tendances, c'est-à-dire ce qui est attendu du
cinéma et donc son essence même. En effet, « si la nature artistique du cinéma fonde la
démarche critique, réciproquement c'est la critique qui vient sans cesse réaffirmer la nature
artistique du cinéma » (Frodon, 2008 : 44).
La problématique de ce mémoire s'énonce donc comme suit : du costume à l'écran au costume
à l'écrit, quels sont les enjeux de la visibilité critique du costume de cinéma? L'objectif de ce
7
KERAËL, Bertrand, AYROLES, Jacques. « Entretien avec Jacques Fonteray, créateur de costumes ». La
Cinémathèque Française [en ligne], 2008 [consulté le 27 avril 2011]. Disponible sur :
http://www.bifi.fr/public/ap/article.php?id=244
8
DUVAL, Julien, MARY, Philippe. « Retour sur un investissement intellectuel ». Actes de la Recherche en
Sciences Sociales, n° 161-162, pp. 4-9.
5
mémoire de recherche est d'évaluer de façon analytique la place du costume de cinéma dans la
critique. Cela permettra par ailleurs de poser les jalons d'une réhabilitation du costume de
cinéma comme objet d'étude légitime en proposant des pistes de réflexion et en expliquant
dans quelle mesure il intervient dans la définition de la nature même du cinéma.
Afin d'étudier la visibilité critique du costume de cinéma dans la presse spécialisée, il
convient de tirer profit de l'abondance comme de l'absence d'information, cette dernière
constituant une information en soi. C'est pourquoi j'ai choisi de mener une enquête
historiographique de la place du costume de cinéma dans une revue spécialisée, les Cahiers
du Cinéma. Je vais à présent revenir longuement sur la méthode de recherche dans la mesure
où elle constitue le fondement de mon travail et permet de comprendre le cheminement de ma
réflexion durant l'élaboration de ce mémoire.
La mode et le costume de cinéma présentant, comme nous l'avons vu plus haut, des
interconnexions, je me suis inspirée librement du Système de la mode (1967) de Roland
Barthes. De même qu'il interroge l'univers de la Mode à travers les descriptions de la presse,
j'ai choisi d'étudier le costume de cinéma et ses enjeux à travers son traitement critique dans la
presse spécialisée. J'ai bien sûr adapté cette méthode aux besoins de ma propre enquête.
Concrètement, j'ai effectué une lecture systématique de la revue doublée d'une analyse
lexicale et sémantique du traitement du costume de cinéma en relevant les informations, le cas
échéant. Cette méthode de recherche présente de nombreux intérêts vis-à-vis du sujet choisi.
D'une part, cette méthode permet au chercheur d'éviter l'écueil des présupposés hâtifs et donc
d'effectuer un travail de recherche valide et digne d'intérêt. En effet, il était ici tentant de
supposer l'absence critique du costume de cinéma dans la presse spécialisée, or cela n'aurait
pas rendu compte de la complexité du traitement critique du costume de cinéma, qui fait
intervenir plusieurs degrés d'analyse et différentes disciplines, notamment l'histoire et la
sociologie. Ce type de recherche permet de mettre en relation les résultats avec les enjeux du
champ dont ils sont issus et d'effectuer des comparaisons dans le temps afin d'évaluer une
éventuelle évolution.
D'autre part, cette méthode fournit un riche document de travail (voir annexe 1) qu'il convient
d'exploiter pleinement. Nous le considérerons comme notre source principale d'informations,
permettant non seulement d'étudier le traitement critique du costume de cinéma, mais aussi
6
d'apporter des éléments de définition et de réflexion à cette notion complexe. Contrairement à
Roland Barthes, je me permettrais toutefois d'élargir mes sources d'informations du fait de la
modestie de mon travail qui n'entend pas constituer une étude sémiologique exhaustive mais
soulever des pistes de réflexion tout en apportant quelques éléments de réponse. De plus,
souhaitant œuvrer à la production et à la diffusion des savoirs, je souhaite donner une tonalité
documentaire à ce travail de recherche en diversifiant et en croisant les sources d'information.
J'ai donc eu recours à quelques lectures théoriques indispensables (voir bibliographie) ainsi
qu'aux discours des artistes eux-mêmes sur leur création (réalisateurs, acteurs et créateurs de
costumes), afin de les mettre en relation avec la réception critique des œuvres.
En ce qui concerne le corpus de l'enquête, j'ai choisi de concentrer mon étude dans une revue
en particulier, les Cahiers du Cinéma. Focaliser l'analyse sur une seule revue permet une
certaine homogénéité des textes et revêt donc un aspect pratique certain. De plus, cela permet
d'effectuer des comparaisons entre les auteurs ainsi que de mener l'étude sur une période plus
longue et d'évaluer une éventuelle évolution. Dans cette perspective, les Cahiers du Cinéma
constituent un champ d'étude intéressant du fait de l'importance historique et symbolique
qu'ils présentent, de leurs enjeux ainsi que de leur ligne éditoriale particulière. En effet, les
Cahiers du Cinéma, créés par André Bazin en 1951, constituent l'une des deux revues
« historiques » toujours en activité9.
Dans un premier temps et dans un souci d'exhaustivité, j'ai mené une enquête liminaire
transversale
sur
les
bases
de
données
disponibles
consacrées
aux
périodiques
cinématographiques. Le premier constat fut l'inexistence dans ces bases de recherche d'une
entrée « costume » au profit de celle de « costumier » et de « film en costume ». ce qui
présente en soi une information essentielle sur l'existence critique du costume de cinéma. De
plus, les Cahiers du Cinéma n'ayant pas fait l'objet d'une numérisation dans leur intégralité seuls certains articles sont disponibles en ligne et ce dans un format qui ne permet pas de faire
une recherche par mot-clé - la recherche ne peut se faire que par thème et le résultat est donc
soumis au biais de l'indexation. J'ai obtenu par ailleurs assez peu de résultats - une dizaine
d'articles d'intérêt variable sur une trentaine d'année (dont la plupart ayant été publiés dans les
années 70) -, ce qui m'informa du faible intérêt pour le thème du costume. Néanmoins, il était
impossible de déduire de ces résultats que le costume soit véritablement absent des Cahiers
9
La deuxième revue est Positif, créée par Bernard Chardère à Lyon en 1952.
7
du Cinéma. Il aurait fallu pour cela lire intégralement les numéros de la revue afin de relever
les références au costume du cinéma.
Ce travail de longue haleine demandant toutefois beaucoup de temps et de concentration et ce
d'autant plus en étant soumis aux horaires d'ouverture de la bibliothèque de la Cinémathèque
de Toulouse (où il existe une collection complète des Cahiers), je dus fixer un cadre précis à
mon sujet pour des raisons pratiques. Toutefois, n'ayant pas une connaissance aiguë de la
revue et ne voulant rien présupposer, j'ai forgé ma méthode de façon empirique en
commençant par lire l'intégralité des numéros de l'année 2010. Cela me permit à la fois de
réaliser l'ampleur du travail (2 à 3h passées par numéro) et de me procurer les connaissances
nécessaires à une délimitation pertinente du sujet.
J'ai donc restreint mon sujet dans le temps en prenant pour repère la sortie du film MarieAntoinette (2006) de Sofia Coppola qui constitue un film en costume d'une certaine
envergure10 et un enjeu pour la réhabilitation du costume de cinéma dont il bouleverse les
codes, le mettant au cœur d'une réflexion sur l'essence même du cinéma. Voulant mener mon
enquête sur cinq années de critique par souci de validité intellectuelle et afin d'évaluer
l'éventuel impact de ce film important sur la place du costume de cinéma dans la critique, il a
fallu que je délimite davantage mon champ d'étude. Forte du travail déjà fourni, je n'eus donc
pas de difficulté à orienter mon travail sur une rubrique spécifique des Cahiers du Cinéma, le
« Cahier Critique ». D'un point de vue intellectuel, celui-ci permet de balayer de façon quasiexhaustive les sorties cinématographiques en France et présente l'intérêt d'une certaine
homogénéité et facilité de lecture tout en étant au cœur de la critique. D'un point de vue
pratique, il m'a permis de ne passer qu'une heure environ par numéro - à raison de 11 numéros
par an sur cinq ans.
Afin de mener mon analyse, j'ai emprunté à Roland Barthes les concepts de vêtement réel,
vêtement-image et vêtement écrit (Barthes, 1967 : 13-15) que j'ai adaptés à mon objet
d'étude : nous considérerons donc le costume réel, le vêtement que porte l'acteur, dont la
structure est technologique ; le costume-image, censé représenter le réel, dont la structure est
iconique ; le costume écrit, qui transforme l'image en langage et dont la structure est verbale.
Aussi, afin d'étudier le costume de cinéma, il conviendrait d'étudier séparément et de façon
exhaustive, chacune de ces trois structures. Cela présente toutefois des difficultés de
10
Milena Canonero, la créatrice des costumes de Marie-Antoinette a été récompensée pour la troisième fois de sa
vie en 2007 par l'Oscar de la meilleure création de costumes. Elle reçut cette même récompense en 1976 pour
Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick et en 1982 pour Les Chariots de feu (1981) de Hugh Hudson.
8
réalisation dans le cadre de ce mémoire de recherche dont la modeste ambition est de fournir
les éléments d'analyse au traitement du costume de cinéma dans la critique. Nous aborderons
toutefois l'ensemble de ses structures et leurs interconnexions tout en ayant conscience des
limites de l'enquête.
Souhaitant tirer profit de l'abondance comme de l'absence d'information, j'avais choisi
comme terrain d'enquête les Cahiers du Cinéma, tout en ayant conscience de la possibilité
d'une absence de visibilité critique du costume, à l'image de sa visibilité théorique. Or,
contrairement à ce à quoi l'on aurait pu s'attendre, le costume de cinéma n'est pas
véritablement absent de la critique, mais fait néanmoins l'objet d'un traitement particulier lié
aux enjeux de ce champ spécifique. En témoigne la récurrence d'un champ lexical fourni du
vêtement. Toutefois, il n'en est pas moins un objet d'étude négligé. En effet, s'il fait l'objet
d'attention, c'est avant tout pour servir les intérêts du critique : il intervient comme élément
d'écriture servant le style de l'auteur (« Le vent agite vêtements et cheveux, fait chanceler les
corps, hache les paroles11 »). Il semblerait donc que le costume réel soit effectivement occulté
par la caméra, qui le réduit à un objet visuel et donc inévitablement empreint d'une valeur
esthétique.
Dans une première partie, nous étudierons donc la translation du costume réel (le vêtement)
au costume à l'écran (le costume-image) en explicitant leurs fonctions et les enjeux qui les
animent ainsi qu'en mettant l'accent sur l'importance du costume de cinéma qui bénéficie
d'une réception ambivalente. Dans une seconde partie, nous poursuivrons ce raisonnement par
l'examen statistique et analytique de la translation du costume à l'écran au costume à l'écrit (le
costume écrit) dans le champ spécifique de la critique de cinéma entre 2005 et 2009 et nous
intéresserons plus particulièrement aux enjeux de la visibilité critique du costume de cinéma
dans le film Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola, qui tout en bouleversant les codes du
film en costume pose la question de la nature même du cinéma : qu'est-ce que le cinéma?
11
BÉGHIN, Cyril. « Vent et or ». Cahiers du Cinéma, n° 657, juin 2010, p. 24 [à propos de Film Socialisme
(2010) de Jean-Luc Godard].
9
PREMIERE PARTIE
DU COSTUME REEL AU COSTUME A L'ECRAN : LES ENJEUX DU
COSTUME DANS L 'ŒUVRE CINEMATOGRAPHIQUE
10
AVANT-PROPOS
L'objectif de cette première partie est d'apporter un éclairage sur l'intérêt critique du
costume de cinéma qui joue un rôle à différents niveaux de l'œuvre cinématographique. Cela
permettra, dans la seconde partie de ce mémoire, de mettre en relation son importance avec le
traitement critique dont le costume de cinéma fait l'objet.
Il est nécessaire d'apporter ici une précision. Dans le contexte actuel de la place grandissante
du numérique dans les différentes étapes de la réalisation cinématographique et notamment
des techniques d'incrustation12, de plus en plus de décors et costumes sont conçus ou articulés
de façon numérique et n'ont pas d'existence matérielle. Cela pose évidemment la question des
frontières du costume de cinéma et du cinéma lui-même. Cette question, qui mérite d'être
soulevée, ne trouvera toutefois pas de réponse ici dans la mesure où elle suppose des
connaissances techniques et/ou une prise de position du chercheur. Dans ce mémoire, nous ne
nous intéresserons au costume de cinéma que dans la mesure où il dispose d'une existence
matérielle préalable à son existence visuelle à l'écran.
En effet, cette partie repose sur la translation du costume réel au costume à l'écran à travers
laquelle le costume de cinéma subit la perte de sa matérialité pour devenir un élément visuel
de l'œuvre de fiction. L'un comme l'autre ont pourtant un rôle essentiel à jouer : le premier
dans la réalisation du film et le second dans l'œuvre finie. Si le costume réel subit une
« perte » à l'écran, il y gagne également une certaine « uniformité ». celle du costume-image,
qui sous cette forme nouvelle poursuit l'œuvre de son prédécesseur.
Afin de distinguer les fonctions du costume réel de celles du costume à l'écran, nous
reviendrons dans un premier temps sur le costume réel afin d'en expliquer les éléments
caractéristiques et ce, en ayant conscience de l'impossibilité d'une définition exhaustive de ce
dernier dans la mesure où la langue ne saurait être « un calque du réel » (Barthes, 1967 : 15).
Dans un second temps, nous aborderons la question du costume tel qu'on le voit à l'écran, le
costume-image, en mettant en relation l'importance qualitative et quantitative qu'il présente
dans le film, notamment le film en costume, avec la réception paradoxale et les appropriations
possibles dont ce dernier est l'objet.
12
L'incrustation consiste à intégrer dans une même image des objets (acteur, décor, etc.) filmés séparément ainsi
que des objets numériques le cas échéant.
11
CHAPITRE I- LES REALITES DU COSTUME DE CINEMA
Le costume de cinéma a une existence réelle et si sa vie de costume est de courte durée
(le temps du tournage), l'objet n'en cesse pas moins d'avoir une existence matérielle une fois
le film achevé. Que devient-il alors? Il n'existe pas de règle précise. Généralement, les
costumes de cinéma sont conservés à la fin du film « pour être régulièrement repris, modifiés,
transformés pour passer d'une production à une autre tant est coûteux l'investissement initial
de leur fabrication.13 »
Objets de fétichisme, certains costumes sont parfois récupérés à la fin du tournage par des
collectionneurs qui y ont accès, y compris les vedettes elles-mêmes. C'est par exemple le cas
de l'actrice américaine Debbie Reynolds (Chantons sous la pluie¸ 1952) qui a dû se séparer
d'une partie de sa collection l'année dernière, notamment de la « subway dress » de Marylin
Monroe dans Sept ans de réflexion (Billy Wider, 1955), qu'elle a vendue aux enchères pour
pas moins de 4,6 millions de dollars.
Plus rarement, aux hasards des dons et achats, les costumes de cinéma atterrissent dans des
cinémathèques, au sein desquelles ils deviennent des objets du patrimoine cinématographique.
En 2007, la Cinémathèque Française, créée en 1936 par Henri Langlois - qui en tant que
collectionneur s'intéressa très tôt au costume de cinéma à titre personnel - compte 1258 pièces
dans la collection de costumes et accessoires14.
La Cinémathèque de Toulouse détient quant-à-elle les costumes et accessoires du film Un
long dimanche de fiançailles (2004) de Jean-Pierre Jeunet15. L'accès à ceux-ci et à l'inventaire
du fonds m'a permis de saisir pleinement la réalité du costume de cinéma - ou devrait-t-on
dire « les réalités » puisque tous les costumes ne sont pas issus des mêmes processus de
fabrication et ne répondent donc pas aux mêmes logiques.
13
BERTHOMÉ, Jean-Pierre. « Le petit doigt sur la couture (à propos de l'exposition « L'Élégance française au
cinéma ») ». Positif, n° 339, mai 1989, pp. 35-39.
14
CARRÈRE, Charlyne. « Costumes de cinéma : conservation et restauration ». La Cinémathèque Française [en
ligne], 2007 [consulté le 27 avril 2011]. Disponible sur : http://www.bifi.fr/public/ap/article.php?id=228
15
Ceux-ci lui ont été donnés par la Warner Bros France en janvier 2006, après leur exposition à la Chapelle des
Carmélites organisée par la Cinémathèque de Toulouse.
12
Étant donné la difficulté de rendre compte de la réalité d'un costume, nous tenterons
dans un premier temps d'apporter des éléments de définition en adoptant une posture
positiviste (définir le costume de cinéma par ce qu'il est) et négativiste (définir le costume de
cinéma par ce qu'il n'est pas) et en prenant pour repère son caractère matériel et tangible avant
de le définir par sa mission première : habiller l'acteur ; ce qui permettra en outre d'évaluer
son importance.
Dans un second temps, nous présenterons les métiers liés au costume de cinéma, l'élément à la
fois technique et artistique de la réalisation. Cela nous permettra d'établir une typologie des
costumes en fonction de leur « origine ». afin de rendre compte des différentes réalités
auxquelles renvoie la notion de costume de cinéma qui peut constituer ou non une création
originale.
Section 1- Le costume réel : Tentative de définition
Comme nous l'avons vu en introduction, le costume de cinéma, ayant une existence
propre, est transfiguré à l'écran pour revêtir une structure iconique et une valeur esthétique. En
effet, le costume de cinéma en tant que vêtement a pour fonctions la protection, la pudeur et la
parure. De plus, il participe à l'esthétique générale de l'œuvre cinématographique. Il constitue
donc un objet visuel cohérent qui donne une impression d'harmonie. Toutefois, celui-ci n'étant
pas figé comme l'est, par exemple un vêtement photographié (qui constitue néanmoins lui
aussi un objet de perception), ce que l'on voit du costume à l'écran est soumis au biais des
perceptions et des sensibilités individuelles - c'est d'ailleurs le cas du cinéma en général : tout
le monde n'a pas les mêmes attentes d'un film et n'en retient pas les mêmes éléments, de
même qu'il est possible de fournir des interprétations différentes d'une même œuvre.
Avoir accès aux costumes réels permet à la fois de se rendre compte d'un certain nombre de
choses que l'on ne voit pas à l'écran, tout en occultant une dimension essentielle du costume
de cinéma, qui est sa finalité première : habiller l'acteur.
13
I.
Ce que l'on ne voit pas à l'écran : La matérialité du costume de cinéma
L'accès aux costumes du film Un long dimanche de fiançailles et l'opportunité de
m'entretenir de façon informelle avec la personne qui a été chargée de l'identification, du
conditionnement et de l'inventaire de ces costumes, me permit d'appréhender deux vérités
essentielles du costume de cinéma : si un costume est constitué de plusieurs habits, un habit
n'est pas nécessairement un élément de costume.
A. Le costume, un ensemble d'habits
Il convient de rappeler ici ce qui peut paraître une évidence : un acteur peut porter
plusieurs costumes dans un même film et c'est même très souvent le cas (surtout dans les
films se déroulant sur plus d'une journée). En effet, de même qu'une personne normale, le
personnage « se change » (à l'écran ou non) en fonction de la situation spatio-temporelle et de
l'action. À titre d'exemple, l'actrice Audrey Tautou, qui incarne Mathilde dans Un long
dimanche de fiançailles, endosse plusieurs costumes en fonction du moment de la journée et
du lieu où elle se trouve. Elle porte, par exemple, une chemise de nuit lorsqu'elle est couchée,
qu'elle ne porte évidemment pas lorsqu'elle sort de chez elle ; de même, elle porte une tenue
plus décontractée chez elle à la campagne que lorsqu'elle se rend à Paris, où elle porte
manteau, chapeau et gants.
Cela est en fait révélateur de ce qu'est le costume de cinéma : une tenue complète adaptée à
une situation particulière et donc un ensemble constitué de plusieurs unités, que nous pouvons
qualifier d'habits. Or, l'ensemble de ces habits n'est pas nécessairement visible à l'écran. D'une
part, dans la mesure où les costumes sont conçus pour être vus comme des ensembles et un
œil non entraîné n'en verra pas les détails ; d'autre part, car certains habits en cachent d'autres.
En effet, le processus d'habillage - et cela n'est pas spécifique au cinéma - consiste à endosser
des couches successives : au moins deux - les sous-vêtements et les vêtements -, sinon plus en
fonction du cadre spatio-temporel (lieu géographique, saison...). Au cinéma comme à la vie,
les acteurs ne sont pas nus sous le manteau et la conception du costume va parfois même
jusqu'aux sous-vêtements notamment dans les films d'époque où le port du corset, par
exemple, est essentiel pour saisir les silhouettes avec justesse. Les dessous deviennent alors
14
essentiels puisqu'ils « donnent sa forme au costume ». comme le fait remarquer la créatrice de
costumes Gabriella Pescucci qui ne fait que des films d'époque (selon ses propres dires)16.
Prenons
justement
l'exemple
du
costume que porte Audrey Tautou
lorsque Mathilde se rend à Paris
(photographie ci-contre). Celui-ci est
constitué non seulement de la veste, du
chapeau et des gants que l'on voit à
l'écran, mais également de la jupe et du
corsage que l'on entrevoit sous le
manteau, ainsi que d'un jupon que
nous pouvons soupçonner par un
Figure 1 Audrey Tautou dans Un long dimanche de
fiançailles (Jean-Pierre Jeunet, 2004)
Source : Photo Bruno Calvo - Warner Independent Pictures
regard attentif à la forme de la jupe mais que nous ne voyons pas directement à l'écran.
De même que la caméra a le pouvoir d'unifier un ensemble vestimentaire, elle a celui
de transformer les matières et les textiles dont ce dernier est constitué. Un habit est constitué
d'un ensemble de matières (notamment textiles mais pas uniquement), de couleurs et de
coutures. Les costumes, en tant qu'ensembles d'habits, sont tout cela et sont plus ou moins
travaillés en fonction du budget et des besoins du film, tout en tenant du pouvoir du cinéma à
transfigurer les objets.
Aussi, voir un costume en dehors du reflet que leur donne l'écran peut constituer une
expérience déroutante provoquant la surprise (les costumes ont parfois de très belles finitions
qui ne se voient pas à l'écran) ou la déception. Dans les Cahiers du Cinéma, une critique
s'exprime à propos de l'exposition « Les plus belles robes du cinéma » qui a eu lieu en 2002
au Pavillon des Arts à Paris :
« Dans All about Eve, Ann Baxter porte une toilette de satin dont les broderies diamantées
scintillent comme elles ne le feront jamais devant nos yeux, au Pavillon des Arts.17 »
16
CHAMBARET, Chloé. « Gabriella PESCUCCI, Chef Costumière ». Objectif cinéma [revue en ligne],
2000/2011 [consulté le 14 juillet 2012]. Disponible sur : http://www.objectif-cinema.com/interviews/058.php
17
COHEN, Clélia. « Souvenirs de tissus ». Cahiers du Cinéma, n° 564, janvier 2002, pp. 26-27.
15
B. L'habit ne fait pas le costume
Si le costume est constitué d'un ensemble d'habits, tout habit au cinéma n'est pas
nécessairement un élément de costume. En effet, il existe au moins deux cas où l'habit n'est
pas l'élément d'un costume ; le critère étant son port ou non par un acteur.
Dans le premier cas, l'habit constitue un élément direct de la narration dans la mesure où il
intervient dans l'intrigue. Dans Fight Club (David Fincher, 1999), par exemple, Marla Singer
(Helena Bonham Carter), entre dans une laverie automatique suivie de près par Jack/Tyler
Durden (Edward Norton), vole des habits dans plusieurs machines à laver avant de ressortir.
Jack, qui n'a pas compris ce qui se jouait sous ses yeux, s'exclame « hey, you left half your
clothes! » avant de la suivre à nouveau, dans une friperie cette fois, où elle les revend. Ces
habits ne constituent pas des éléments de costumes dans la mesure où personne ne les
endosse. Toutefois, ils apparaissent bel et bien à l'écran et jouent donc un rôle. Ils
interviennent en fait comme éléments narratifs du film, ils servent à raconter l'histoire, à poser
les bases de la relation entre les deux personnages.
Dans le deuxième cas, l'habit constitue un élément du décor. Pour continuer avec l'exemple de
Fight Club, on aperçoit furtivement dans cette même friperie des habits sur des cintres. Ceuxlà non plus ne constituent pas des costumes, ils n'interviennent pas non plus directement dans
la narration ; ils ont en fait un rôle figuratif, ils servent à signifier au spectateur que l'action se
déroule dans une friperie.
Au cinéma, l'habit peut donc constituer un élément de la narration ou un élément du décor
sans être pour autant l'élément d'un costume ; ce qui ne veut pas dire que le costume de
cinéma ne peut à son tour servir la narration ou le décor, au contraire. Un costume ne peut
donc être défini sûrement comme tel que dans la mesure où il habille l'acteur, sa finalité
première.
II.
Habiller l'acteur : Enjeux et contraintes
Nous reviendrons sur la finalité première et pratique du costume de cinéma : habiller
l'acteur ; en expliquant les enjeux et contraintes qui lui sont liés, afin de mettre en évidence
16
l'importance du costume de cinéma dans la réalisation d'un film à la fois du point de vue de
son rôle et de la recherche dont il fait l'objet.
A. « Faire le personnage »
Le costume de cinéma a pour finalité première d'habiller l'acteur, ce faisant il
contribue à « faire le personnage ». D'une part, il complète le jeu de l'acteur en donnant un
certain nombre d'indications sur le personnage au spectateur, ce que nous verrons plus en
détail dans le deuxième chapitre de ce mémoire ; d'autre part, il intervient à la base même du
travail d'acteur. Non seulement il lui donne des indications sur le « caractère » qu'il doit
incarner mais l'opération même qui consiste à habiller l'acteur, transfigure celui-ci : il entre
dans le personnage. Annie Paradis, ethnologue de l'Université de Toulouse 2, a étudié ce
phénomène à l'opéra, « peu à peu la personne s'efface, le personnage apparaît. 18 » Cela
procure une sensation, un transport que tous les acteurs connaissent (y compris ceux qui n'ont
joué la comédie qu'en amateur) et tentent de traduire par des mots. L'acteur américain Jason
Schwartzman, qui incarne Louis XVI dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, déclare :
« Enfiler le costume, c'est important pour moi. À chaque nouvelle couche, on voyage dans le
temps. Les costumes à eux seuls changent tout. Physiquement. On se sent différemment. Nos
épaules se redressent, on a le dos droit, la tête droite. Ça nous facilite la vie.19 »
De même, Kirsten Dunst, qui joue quant-à-elle le personnage de Marie-Antoinette raconte :
« Ça aide de porter un corset. Je la voyais comme un oiseau qui veut s'échapper, fuir toutes
ses contraintes.20 »
En effet, comme l'indique Gabriella Pescucci à propos des corsets - mais cela est vrai pour
l'ensemble des costumes - porter ceux-ci « permet aux acteurs d'être dans les mêmes
conditions physiques (et donc mentales) que les personnages. 21 »
18
PARADIS, Annie. « Faire le personnage : art et pouvoir de l'habilleuse à l'opéra ». Vêture et pouvoir, 2003,
pp. 109-121.
19
COPPOLA, Sofia (réal.). Marie-Antoinette. 2006. Paris, Pathé Distribution, 2007. Édition collector 2 DVD et
livret [propos de Jason Schwartzman et Kirsten Dunst tels qu'ils sont retranscrits et traduits de l'américain dans
les sous-titres français du DVD 2 dans le « Making-of » du film].
20
Ibid.
21
CHAMBARET, Chloé. Op. cit.
17
B. Contraintes techniques
Toutefois, la finalité première du costume de cinéma présente un certain nombre de
contraintes d'un point de vue technique. Si le costume doit habiller l'acteur, il doit avant tout
habiller le corps de l'acteur, faire corps avec l'acteur. Il se doit donc d'une part d'être adapté à
la morphologie particulière de l'acteur et éventuellement « corriger » celle-ci. Jacques
Manuel, créateur de costumes et réalisateur français de la première moitié du XX e siècle, qui
esquisse dans La Revue du Cinéma une histoire du costume de cinéma, déclare :
« Il ne faut pas croire que la star ait toujours la ligne idéale du mannequin de la couture, et
cependant, à l'écran, il faut tendre à en donner l'illusion. Chaque robe sera donc conçue en
vue de pallier les déficiences physiques de l'artiste et de mettre en valeur ses qualités. Il est
donc absolument impossible de dessiner les maquettes des costumes d'un film avant de savoir
par qui les toilettes seront portées.22 »
C'est d'ailleurs ce que fait le vêtement d'une manière générale, qui n'a pas seulement pour but
de couvrir et protéger le corps humain, mais aussi de le parer. Les créateurs de costumes, s'ils
peuvent avoir des divergences dans la conception de leur travail, s'accordent donc
généralement sur le fait qu'ils ne peuvent créer les costumes qu'en ayant connaissance de
l'acteur à habiller.
D'autre part, le costume, s'il constitue un « guide » pour l'acteur, ne doit pas pour autant
entraver ses gestes ou le gêner. Il doit donc permettre confort et liberté de mouvement à
l'acteur à travers le nombre de prises que requiert le tournage. En effet, pendant le tournage et
parce qu'il est porté par l'acteur, le costume peut être mouillé, tâché, abîmé, subir des
déchirures... Il faut donc faire face à ce genre d'imprévus. C'est pourquoi les costumes sont
très souvent conçus en deux exemplaires, comme l'indique Gabriella Pescucci :
« Pour les rôles principaux, j'en ai toujours deux exemplaires, que je fais nettoyer (il existe
des maisons spécialisées dans le nettoyage de costumes) deux ou trois fois chacun.23 »
22
MANUEL, Jacques. « Esquisse d'une Histoire du costume de cinéma ». La Revue du Cinéma, n° 19-20,
automne 1949, pp. 3-63.
23
CHAMBARET, Chloé. Op. cit.
18
De plus, c'est parfois le scénario lui-même qui implique une modification du costume à
l'image : mouillé sous la pluie, tâché de sang, déchiré dans un combat... C'est pourquoi il faut
parfois prévoir plusieurs exemplaires d'un même costume selon le nombre de prises :
« Quand Charles Berling, dans Un jeu d'enfant, s'explose la tête sur le lavabo, il s'agit pour
Pascaline Chavanne [créatrice des costumes du film] de bien s'informer sur le découpage de
la séquence. Selon l'angle et le nombre de plans, la scène peut ne nécessiter qu'une chemise
propre et une autre tâchée de sang. Mais s'il s'agit d'un plan séquence, il faudra prévoir
suffisamment de chemises identiques afin de ne pas limiter le nombre de prises.24 »
Le costume de cinéma constitue donc un objet technique et mérite, en tant que tel,
l'attention particulière d'un spécialiste. Nous reviendrons à présent sur le travail de création
afin d'établir une typologie des costumes de cinéma.
Section 2- Pour une typologie des costumes de cinéma
Si nous n'avons jusqu'à présent parlé que de créateurs de costumes pour éviter les
confusions et puisque ce sont eux qui travaillent à la conception des costumes en amont, ils
sont généralement entourés d'une équipe plus ou moins conséquente, selon la taille de la
production et du poids accordé aux costumes dans le film. Comme nous allons le voir à
présent, il existe en effet plusieurs métiers liés au costume de cinéma qu'il convient ici de
distinguer.
Analyser le processus de création nous permettra dans un second temps, de revenir sur
l'interdépendance entre le costume de cinéma et la mode, afin d'établir une typologie des
costumes de cinéma, qui peuvent constituer ou non une création originale, et n'auront pas
nécessairement la même fonction à l'écran.
24
MARVIER, Marie. « Le scénario et... la costumière ». Synopsis, n° 15, septembre-octobre 2001, pp. 120-121.
19
I.
Le travail de création
Nous allons ici tenter une typologie des métiers liés au costume de cinéma tout en
expliquant bien qu'il ne s'agit pas de catégories hermétiques, avant d'analyser le processus
même de création.
A.
Le créateur de costumes, le costumier et l'habilleur
L'inventaire des costumes du film Un long dimanche de fiançailles dénombre 16
personnes ayant participé à la création des costumes en dehors de la créatrice de costumes
elle-même, Madeline Fontaine (Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, Séraphine) et pas
moins de 7 postes différents (assistante créatrice de costumes, chef costumière, costumiers,
costumières atelier, costumier patineur, modiste et assistantes). Il s'agit toutefois d'une grosse
production, dont le budget est estimé à 47 millions de dollars par Internet Movie Database
(IMDb), qui constitue la base de donnée cinématographique en ligne la plus complète et une
véritable référence dans ce domaine. Ces postes, créés pour les besoins du film et parce que
son budget le permet ne rendent donc pas véritablement compte des métiers du costume de
cinéma, qui correspondent à un faisceau de fonctions et de savoir-faire.
Nous pouvons en fait distinguer trois fonctions essentielles liées aux costumes de
cinéma et nous fonderons pour cela sur la typologie établie par Jean-Pierre Berthomé dans
Positif25: la conception et l'exécution des costumes, l'habillage de l'acteur. Si dans le langage
courant, l'on utilise indifféremment créateur de costumes et costumier, il s'agit d'une erreur
terminologique dans la mesure où ceux-ci renvoient à deux fonctions différentes.
Le créateur de costumes conçoit les costumes, dans le sens où il crée les costumes par
l'esprit et en constitue des maquettes détaillées qui serviront à leur exécution, et participe ainsi
à l'esthétique générale du film. Il est donc un artiste avant tout et est souvent issu d'une
formation idoine.
25
BERTHOMÉ, Jean-Pierre. Op. cit.
20
Le costumier exécute les costumes, dans la mesure où il intervient directement ou
indirectement - il a alors un rôle de coordinateur - dans leur fabrication. Il s'agit d'un
technicien, il doit donc tenir compte des contraintes que nous avons vues plus haut afin de
confectionner des costumes non seulement esthétiques mais aussi pratiques.
L'habilleur est chargé quant à lui de conserver les costume en état durant le tournage , de les
tenir prêts à l'emploi et d'aider les acteurs à les endosser. Il a donc un rôle logistique.
Bien entendu, ces catégories ne sont pas hermétiques et peuvent se confondre. En effet, dans
une petite production, on peut très bien imaginer une même personne concevoir et exécuter
les costumes ainsi qu'habiller les acteurs. Il n'y a d'ailleurs pas toujours de créateur de
costume attitré à un film et c'est parfois le réalisateur lui-même qui met la « main à la pâte ».
ne serait-ce que pour s'assurer que les costumes soient conformes à ses attentes.
B. Analyse du processus de création
Revenons à présent sur le processus de création. Nous avons vu que des questions
d'ordre technique interviennent dans la création, mais celle-ci, avant d'être technique, revêt un
aspect pratique et surtout artistique.
Lorsque le créateur s'attelle à la conception des costumes, les acteurs n'ont pas toujours été
choisis et le créateur ne peut donc que s'appuyer sur les informations concrètes fournies par le
scénario, qui constitue pour lui un véritable document de travail lui permettant de répondre la
plupart du temps aux questions d'ordre pratique, c'est-à-dire le cadre spatio-temporel dans
lequel se déroule l'intrigue. Cela permet au créateur de réfléchir aux looks, de sélectionner les
matières adéquates. Il s'agit d'un travail de documentation et échantillonnage, afin de rendre
une idée encore abstraite de plus en plus concrète. La créatrice de costumes, Pascaline
Chavanne raconte :
« Je fais des dossiers par séquence. Ce sont des dossiers de tissus, de couleurs,
d'iconographie, avec des reproductions de tableaux, des photos, des échantillons.26 »
26
MARVIER, Marie. Op. cit.
21
S'il est évident que les costumes revêtent un caractère artistique, les questions d'ordre
artistique sont beaucoup plus difficiles à documenter que celles d'ordre pratique. En effet, le
scénario suffit rarement pour connaître l'esprit du film, plus difficile à saisir. Parfois, le
réalisateur a une idée très précise de ce qu'il attend des costumes du film. Sofia Coppola, par
exemple, constitue avant chacun de ses films ce qu'elle appelle un « reference book ». un livre
de style contenant les images qu'elle s'est faites du film durant son écriture :
« Chaque livre de style définit l'univers d'un film, l'ambiance, les coloris, je les montre à tous
les responsables techniques. J'utilise des images trouvées dans des journaux, des livres, des
films...27 »
Toutefois, si le réalisateur fait appel à un créateur c'est aussi parce que celui-ci est luimême porteur d'un discours artistique, dont les créations à l'écran sont le témoin. Il est donc
généralement choisi sur la base d'une reconnaissance mutuelle du travail de l'autre entre le
réalisateur et lui et bénéficie parfois d'une certaine liberté. Le créateur discute donc avec le
réalisateur, pour connaître la tonalité générale qu'il veut donner au film, ainsi qu'avec le
décorateur et avec le directeur artistique, le cas échéant. Connaître les acteurs principaux et
donc les physiques à habiller constitue évidemment une étape décisive dans la création
artistique, qui va être orientée par ces corps avec les enjeux et contraintes que nous avons vu
plus haut. Il réunit des matériaux et des éléments iconographiques et enfin, il dessine, il
constitue des maquettes des costumes à exécuter.
Les costumes à l'écran qui renvoient à des costumes réels ont donc cela de particulier
que ces derniers renvoient initialement eux-mêmes à une image, celle que s'en fait le créateur
de costumes, dont les maquettes à elles seules constituent déjà de véritables œuvres d'art. Cet
aspect du travail du créateur de costumes n'est pas sans rappeler le travail du couturier dans le
monde de la mode. Le cinéma entretenant avec ce dernier une relation particulière.
27
FRODON, Jean-Michel. « [Entretien avec] Sofia Coppola : Tout était possible du moment qu'on restait dans
l'esprit du film ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai 2006, pp. 24-28.
22
II.
La mode et le cinéma : Les costumes de cinéma
La mode et le cinéma, comme nous l'avons vu en introduction, exercent une influence
l'un sur l'autre ; mais ils sont en réalité liés par bien plus que cela : leur relation est en fait une
relation d'interdépendance, celle-ci ayant un impact sur les types de costumes existant.
A. Une relation d'interdépendance
Correspondant de la revue Positif, Jean-Pierre Berthomé synthétise la relation
d'interdépendance qui existe entre la mode et le cinéma :
« Dans le même temps où le cinéma s'empare de la mode pour profiter de sa capacité à
cristalliser un désir, la mode s'offre sans retenue au cinéma pour profiter de sa capacité à
populariser ce désir et proposer au public un modèle.28 »
Cette relation de réciprocité trouve son origine dans l'histoire du costume de cinéma, dont il
est parfois considéré que la grande époque s'étend de 1930 à 1965 environ. Dans sa définition
des costumes, André Roy considère que « l'art du costume se perd à partir des années 60, sauf
pour certains genres de films comme le film historique et le film de science-fiction (Roy,
1999 : 86). »
Il convient d'apporter ici quelques précisions sur cet « âge d'or » du costume de cinéma. Il fait
effectivement référence à une période débutant dans les années 30 à Hollywood, où l'attention
et le soin porté aux costumes associés à de grands noms tels que Travis Banton pour
Paramount et Adrian pour MGM font figure d'exemple, notamment en France dans un
contexte où la légitimité artistique du cinéma gagne du terrain alors que les costumes sont
encore beaucoup empruntés au théâtre, donnant aux acteurs l'air d'être costumés au lieu d'être
habillés pour le rôle, ce que déplore le créateur de costumes et réalisateur, Claude Autant-Lara
en 1949 :
« Le Wardrobe Department n'est pas à Hollywood un endroit où l'on plaisante et chaque
costume est soigneusement étudié pour participer, sans jamais détonner, à l'action générale ;
ce qui explique que les acteurs américains aient l'air de porter leur vêtements personnels et
28
BERTHOMÉ, Jean-Pierre. Op. cit.
23
non pas des habits de location. Sur les écrans français, hélas! les acteurs ont le plus souvent
l'air d'être costumés et rarement habillés en fonction de leur rôle.29 »
L'idée de réalisme des costumes et plus généralement, du cinéma par rapport au théâtre, même
si elle n'est pas formulée comme telle, apparaît. Paradoxalement, ce réalisme est associé à un
certain spectaculaire. En effet, non seulement les créateurs de costumes des grands studios
américains sont de véritables stars mais c'est également à cette époque que la haute-couture
s'invite à Hollywood, ou devrait-on plutôt dire, y est accueillie à bras ouverts : en 1931, Coco
Chanel est invitée à signer un contrat d'un million de dollars avec MGM apportant à l'image
de ce dernier le glamour associé à son nom (Bruzzi, 1997 : 3).
Les couturiers commencent alors à habiller indifféremment au cinéma comme dans la vie de
tous les jours les acteurs - et surtout les actrices -, qui deviennent les « supports publicitaires »
de ceux qui les habillent30. Audrey Hepburn fut, par exemple, habillée dans de nombreux
films ainsi que dans la vie de tous les jours par Hubert de Givenchy, dont elle fut l'égérie.
Il arrive que certains couturiers deviennent le temps d'un film créateurs de costumes pour le
cinéma dans le sens ils sont responsables du film entier. Christian Dior, par exemple, fut le
créateur des costumes d'une dizaine de films. Mais, le plus souvent, le couturier intervient
dans les costumes d'un film sans pour autant en être le créateur. Il peut, par exemple, prêter
une robe pour les besoins d'un film. Tout le monde est gagnant dans la mesure où c'est plus
facile et moins coûteux pour la production que de faire créer le costume pour le film, d'autant
plus que le couturier, bénéficiant d'une publicité gratuite, acceptera volontiers d'officier à titre
gracieux ou pour un prix dérisoire.
B. Typologie des habits de cinéma
Les exemples que nous avons vu montrent bien à quel point la création des costumes
de cinéma fait l'objet d'élaborations et d'emprunts variés ; nous tenterons d'en établir à présent
une classification, qui ne saurait toutefois être exhaustive. Précisons d'abord que les différents
costumes d'un même film, mais également les différents habits d'un costume, peuvent avoir
29
AUTANT-LARA, Claude. « Le costumier de cinéma doit habiller des caractères ». La Revue du Cinéma,
n° 19-20, automne 1949, pp. 64-67.
30
BERTHOMÉ, Jean-Pierre. Op. cit.
24
des origines diverses et que, quand bien même les habits d'un costume n'auraient pas été
fabriqués initialement pour le cinéma, la tenue dans son ensemble fait l'objet d'une conception
originale. Nous nous intéresserons donc ici aux origines de l'unité « habit » plus pertinente
que celle de costume.
Celui-ci peut constituer une création originale dans la mesure où il a été fabriqué pour le
film, que cela soit d'après une conception du créateur de costumes ou, plus rarement, d'un
couturier. Bien que la présence de la haute-couture au cinéma est peut-être moins évidente
aujourd'hui que durant l'âge d'or du costume de cinéma, la présence de Jean-Paul Gauthier au
Festival de Cannes 2012 en tant que membre du jury agit comme un rappel. Il a lui-même
participé à de nombreux films, que cela en qualité de créateur de costumes (Le Cinquième
élément, La Mauvaise éducation) ou de façon plus ponctuelle (Kika, La Piel que habito).
L'habit de cinéma peut également constituer
un emprunt dans la mesure où il n'a pas été
initialement conçu pour le film mais est utilisé
comme tout ou partie d'un costume de cinéma. Il
peut alors être emprunté au cinéma lui-même :
comme nous l'avons vu, les costumes sont souvent
gardés et réutilisés dans d'autres films, comme le
montrent les images ci-contre 31 , tirées d'un site
internet amateur, Recycled Movie Costume, qui
Figure 2 Julia Ormond dans Lancelot
(Jerry Zucker, 1995) et Lara Jean
Chorostecki dans la mini-série Camelot
(M. Salomon, S. Schwartz, C. Donnelly, J.
Podeswa, 2011).
Source : Recycled Movie Costume.
répertorie les costumes réutilisés. Si nous ne
saurions tenir pour vrai l'ensemble des informations qu'il délivre, il a le mérite de soulever une
question importante du costume de cinéma.
L'habit de cinéma peut également constituer un habit qui n'a pas été initialement conçu pour le
cinéma, il est alors emprunté au monde de la mode et, plus précisément, au prêt-à-porter, qui
par opposition à la haute-couture est constitué de pièces vendues finies et non conçues sur
mesure. Philippe Claudel, écrivain et réalisateur, a écrit un livre sur la façon dont il a réalisé
son film Il y a longtemps que je t'aime (2008), en ce qui concerne les costumes, il explique :
31
Katie Bugg Designs. RecycledMovieCostumes [en ligne], 2009 [consulté le 17 juillet 2012]. Disponible sur :
http://www.recycledmoviecostumes.com/ancientmedieval008.html
25
« Je voulais absolument que les costumes des personnages soient en rapport avec leurs
moyens financiers. (...) Pour « habiller » Elsa [Zylberstein], j'ai passé un dimanche à
découper des vêtements dans des catalogues comme celui de La Redoute, des Trois Suisses.
J'ai fait des collages, des assemblages et le lundi je l'ai ai apportés à Jacqueline [Bouchard,
la costumière], en lui demandant de trouver des vêtements semblables, en évitant absolument
les boutiques et les vêtements de couturier, mais en allant plutôt chez H&M, Zara, Monoprix,
Carrefour, etc. (Claudel, 2008 : 44-45) »
De plus, dans le cas de costumes réalisés grâce à des emprunts au prêt-à-porter, les habits ne
sont pas toujours expressément achetés pour film, ils peuvent être récupérés chez les uns et
chez les autres. Les entretiens donnés par les artistes (réalisateurs et acteurs) dans les Cahiers
du Cinéma m'ont permis de me rendre compte de cette réalité. Jean-Marie Straub, par
exemple, l'exprime à propos des costumes du film Ces rencontres avec eux (2006) réalisé
avec sa compagne Danièle Huillet :
« Les vêtements qu'ils portent dans le film sont choisis, mais souvent chez eux, ou au
supermarché du coin, ou chez un voisin. Ou c'est un pantalon à moi. Celui qui est assis sous
l'olivier a un vieux chapeau à moi, celle qui parle avec lui porte un collier qui est le seul
cadeau riche que j'aie jamais fait à Danièle - on l'a acheté quand on faisait des repérages
pour Moïse et Aaron, à un paysan dans la campagne de Louxor.32 »
Le costume de cinéma revêt donc un aspect matériel et technique ainsi que des réalités
variées. Maintenant que nous avons appréhendé celles-ci, nous nous intéresserons au
costume-image et donc à l'aspect visuel et immatériel du costume de cinéma, dont étudierons
l'importance et la réception ambivalente.
32
BURDEAU, Emmanuel, FRODON, Jean-Michel. « L'important est l'éventail : Entretien avec Danièle Huillet
et Jean-Marie Straub ». Cahiers du Cinéma, n° 616, octobre 2006, pp. 36-39.
26
CHAPITRE II- HEURS ET MALHEURS DU COSTUME DE
CINEMA A L'ECRAN
À l'écran, le costume de cinéma réel est transfiguré pour adopter une structure
iconique, c'est-à-dire qu'il devient un objet visuel, participant de l'esthétique du film, ici
considérée comme l'ensemble des caractéristiques formelles de l'œuvre et n'ayant pas valeur
de jugement. Si le costume réel a pour finalité d'habiller l'acteur, le costume à l'écran, dont on
doit justement oublier qu'il habille l'acteur et non le personnage, est débarrassé de toute
finalité pratique dans la mesure où « il ne sert plus à protéger, à couvrir ou à parer, mais tout
au plus à signifier la protection, la pudeur ou la parure » (Barthes, 1967 : 19) ; il n'est
toutefois pas dépourvu de fonctions et joue un rôle essentiel dans la narration. En effet, « le
costume, en tant que moyen mis à la disposition du réalisateur, porte en soi des possibilités
expressives immenses qui nuancent, qualifient et même déterminent le langage
cinématographique.33 »
Jean-Michel Frodon, critique de cinéma et directeur de la rédaction des Cahiers du Cinéma de
2003 à 2009, considère l'œuvre d'art comme un « objet troué » et explique que « la définition
même de l'œuvre d'art est de n'être pas finie, c'est son spectateur (son auditeur, son lecteur)
qui la complète pour lui-même (Frodon, 2008 : 9-10). »
Le cinéma constitue toutefois un art singulier, qui partage une particularité avec la littérature
dans la mesure où l'œuvre cinématographique de fiction, tout comme le fait un roman, raconte
une histoire. Ils constituent, chacun à leur façon, une structure narrative, qui repose donc en
partie sur l'adhésion préalable du spectateur et demandent un double investissement de sa part.
Le terme de fiction renvoie d'ailleurs en premier lieu à la tromperie et on peut dire dans un
certain sens que c'est ce que fait le cinéma : il trompe le spectateur, lui faisant tenir pour vrai
ce qui est en réalité une mise en scène. Le costume de cinéma à l'écran participe à cette mise
en scène par sa valeur expressive.
33
AURIOL, Jean-Georges, VERDONE, Mario. « La valeur expressive du costume dans le style de film ». La
Revue du Cinéma, n° 19-20, automne 1949, pp. 87-113.
27
Le but de ce chapitre est de mettre en exergue l'importance du costume de cinéma à
l'écran ainsi que l'ambivalence de sa réception. Ce qui nous permettra de donner quelques uns
des facteurs explicatifs de la visibilité et du traitement critique dont il fait l'objet, en dehors
bien entendu des enjeux spécifiques au champ de la critique de cinéma, que nous aborderons
dans la deuxième partie de ce mémoire.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons donc à la valeur expressive du costume de
cinéma, qui n'est pas conçu au hasard et fait même l'objet d'une attention particulière ; nous
tenterons d'évaluer celle-ci en analysant la place qu'il occupe dans la production
cinématographique et notamment dans la production de films en costume.
Dans un second temps, nous verrons que ces films en costume, qui renvoient comme nous
l'avons expliqué en introduction à des genres différents, font l'objet d'une réception
ambivalente par le public, dont nous tenterons une analyse, mais restent néanmoins très prisés
par les sociétés de production.
Section 1- De l'importance du costume de cinéma à l'écran
Dans cette première section, nous expliquerons l'importance du costume de cinéma à
l'écran qui « n'est pas un simple accessoire décoratif mais un élément de la forme du récit
même du film34 ». Il a, comme nous l'avons vu plus haut, une valeur expressive. Celle-ci va se
manifester de deux façons.
En tant qu'élément visuel, le costume intervient dans l'esthétique du film, encore une fois
l'esthétique n'a ici pas valeur de jugement mais renvoie à la forme du récit. De plus, il
constitue également un élément du contenu même du récit dans la mesure où il fournit un
certain nombre d'informations au spectateur par sa seule présence à l'écran.
34
AURIOL, Jean-Georges, VERDONE, Mario. Op. cit.
28
Concrètement, l'importance que l'on accorde à la place du costume à l'écran va se traduire par
la place qu'il occupe dans la production cinématographique en général et sa part plus ou
moins grande dans le budget d'un film.
I.
Les valeurs du costume à l'écran
Lorsque nous nous plongeons dans un roman, nous sommes immédiatement
confrontés au style de l'auteur et découvrons ensuite l'intrigue qui se noue. Il en est de même
lorsque nous regardons un film, seul le langage diffère. Le costume de cinéma constitue un
élément du langage cinématographique et prend une valeur esthétique et narrative à l'écran.
A. Une valeur esthétique
Le langage cinématographique constituant un langage visuel, il se préoccupe
nécessairement d'esthétique. En effet, le choix des plans, de l'angle des prises de vue, de la
luminosité, des décors, des costumes et même des acteurs participent de l'esthétique voulue
par le réalisateur. Comme nous l'avons vu, la conception des costumes se fait en harmonie
avec l'esprit de l'œuvre et les différents responsables artistiques du film.
De même, la façon de filmer les costumes importe puisque le costume à l'écran n'est que le
reflet du costume réel. Il ne suffit pas que celui-ci soit impeccable pour que son image à
l'écran soit réussie et ce, non seulement du fait de la transfiguration qu'il subit mais également
des choix opérés lors des prises de vues et au moment du montage, comme le souligne
Gabriella Pescucci dans un entretien à la revue Positif :
« Je sais que dans un film, si tu as de la chance, on verra 60% de ton travail. Il arrive souvent
que tu te crèves pour réaliser une paire de chaussures ou un vêtement brodé jusqu'aux pieds.
Et au montage, le réalisateur ne laissera qu'un gros plan - ou bien la réplique sera dite off.
Souvent le théâtre est mieux, le costume s'offre complètement à la vision du public.35 »
35
MASI, Stefano. « Dessiner est fondamental : Entretien avec Gabriella Pescucci ». Positif, n° 425-426, juilletaoût 1996, pp. 72-78.
29
Les choix opérés par le réalisateur quant à l'esthétique du film dépendent de l'effet
recherché. Sofia Coppola dépeint dans Marie-Antoinette un univers décadent aux tonalités
« pop » et aux couleurs vives et s'attache à montrer l'évolution du personnage éponyme à
Versailles en distinguant les étapes de sa vie par des ambiances et des choix photographiques
particulier. Lance Acord, le directeur de la photographie, s'exprime à ce sujet :
« C'est né d'une conversation avec Sofia. C'est comme si... C'est comme si on choisissait une
approche tape-à-l'œil, une approche plus colorée de la photographie. C'est beaucoup plus
pop, plus lumineux, plus vif. Pour moi c'était un vrai défi, je n'avais jamais fait ça. Il fallait
faire ça en gardant une profondeur de champ, sans tomber dans un éclairage télé. Il fallait
trouver l'équilibre, notamment avec les équipes de décoration et de costumes. 36 »
Figure 3 Kirsten Dunst dans Marie-Antoinette (Sofia Coppola, 2006)
Source : Pathé Distribution.
Les photographies ci-dessus montrent bien l'évolution des ambiances à laquelle participent
pleinement les costumes. On découvre Marie-Antoinette en Autriche avant son départ pour
Versailles, elle porte alors une tenue d'une grande sobriété, aux couleurs plutôt ternes. Le
directeur de la photographie dit à ce sujet :
« On voulait que l'Autriche ait un côté plus sombre, que l'ambiance soit plus sinistre. Mais
quand elle arrive à Versailles, on plonge dans un monde aux couleurs vives, au couleurs
acidulées.37 »
Il s'agit de la période de son adolescence à Versailles, qui constitue un véritable défilé de
robes aux couleurs bonbon inspirées par les macarons (qui apparaissent eux aussi à l'écran).
Dans la troisième image, Marie-Antoinette est partie pour s'installer au Petit Trianon où elle
se libère des contraintes de Versailles. Elle porte alors de simples robes blanches sans corset.
Lance Acord explique :
36
COPPOLA, Sofia (réal.). Marie-Antoinette. 2006. Paris, Pathé Distribution, 2007. Édition collector 2 DVD et
livret [propos de Lance Acord tels qu'ils sont retranscrits et traduits de l'américain dans les sous-titres français du
DVD 2 dans le « Making-of » du film].
37
Ibid.
30
« Lorsqu'elle part et se libère de tout cela, dans sa phase Petit Trianon, ça devient plus
naturaliste. (...) La caméra est plus libre, parfois même à l'épaule, à l'image de la période
qu'elle vit. Dans la troisième partie, elle retourne à Versailles, et Versailles à la fin du film est
un endroit plus sombre, plus austère. (...) Son monde s'écroule. 38 »
En effet, dans la dernière partie du film Kirsten Dunst troque ses robes aux couleurs acidulées
pour des robes noires ; l'ambiance s'alourdit annonçant la fin que tout le monde connaît.
Par ailleurs, la valeur esthétique des costumes, en dehors de participer à l'esthétique
générale du film, joue un rôle quant à la crédibilité des personnages mais également, et cela
est généralement occulté des discours, à leur désirabilité. La crédibilité et la désirabilité sont
essentielles au cinéma puisqu'elles vont permettre l'adhésion du spectateur à la fiction. En
effet, celle-ci repose sur sa capacité à divertir, c'est-à-dire à détourner le spectateur de ce qui
l'occupe ou le préoccupe. Le costume participe à ce divertissement dans la mesure où la
crédibilité des personnages va susciter la croyance du spectateur, et leur désirabilité, qui n'a
pas nécessairement un sens érotique, va amener le spectateur à s'identifier aux personnages et
donc à s'investir pleinement dans la fiction.
B. Une valeur narrative
Le costume revêt une valeur narrative dans la mesure où il donne au spectateur à la
fois des informations sur le cadre spatio-temporel dans lequel se déroule l'intrigue et sur
l'identité des personnages.
En ce qui concerne la définition du cadre spatio-temporel, le costume agit en quelque
sorte comme le fait un complément circonstanciel de temps ou de lieu dans un roman.
D'une part, les costumes permettent, lorsqu'ils leur sont fidèles, d'identifier le lieu
géographique et l'époque particuliers auxquels renvoie le film. En effet, comme nous l'avons
vu en introduction, le mot costume renvoie à la coutume et constitue donc le type
38
Ibid.
31
d'habillement relatif à une zone géographique. Plus généralement, on peut le dire du vêtement
qui constitue un élément culturel, donc relatif à un territoire particulier, et évolutif dans le
temps.
D'autre part, les costumes constituent un repère spatio-temporel dans le déroulement même de
l'intrigue. En effet, pour reprendre l'exemple de Marie-Antoinette, les changements de
costumes de Kirsten Dunst servent à montrer le temps qui passe. Le film ne comporte qu'une
seule indication spatio-temporelle véritablement explicite, puisque textuelle, au début du
film : « Autriche, 1768 » ; or, l'intrigue se déroule sur une vingtaine d'année puisque l'histoire
s'achève en 1789 au début de la révolution française. Ensuite, hormis les références d'abord
discrètes au contexte historique, ce sont les robes de Marie-Antoinette qui rythment le film.
Les changements de robes en fonction des ambiances que nous avons vus plus haut, servent
en fait à délimiter les étapes de la vie de Marie-Antoinette dans le temps et dans l'espace. Les
indications spatio-temporelles explicites ne sont plus nécessaire puisque les costumes s'en
chargent de façon implicite. De même, le « défilé de robes » décrit plus haut, qui correspond à
sa période versaillaise à pour but d'accentuer les journées passées sans que le mariage de
Marie-Antoinette avec le roi Louis XVI ne soit consommé, une période qui dura sept ans.
En ce qui concerne l'identification des personnages, le costume permet de donner un
certain nombre d'informations sur leur appartenance sociale. Il existe selon Bourdieu, un
habitus vestimentaire dans la mesure où le vêtement a une utilité sociale, celle de la
distinction. En effet, les usages du vêtement varient en fonction de l'appartenance sociale des
individus, qui vont, pour schématiser, rechercher fonctionnalité ou élégance. Dans MarieAntoinette, les tenues recherchées des membres de la cour de Versailles tranchent avec celles
du peuple français déguenillé qui s'insurge à la fin du film, ne laissant aucun doute sur
l'appartenance sociale des uns et des autres.
De plus, les costumes informent le spectateur de la personnalité des personnages et de leurs
intentions à l'écran. Dans le film de Sofia Coppola, par exemple, les robes écarlate et bleu roi
de Madame du Barry [Asia Argento], la maîtresse du roi Louis XV, un personnage à la fois
grave et teinté d'une certaine vulgarité, détonnent avec les robes couleur macarons qui
dénotent l'ingénuité et la frivolité de la jeune Marie-Antoinette lors de ses débuts à la cour de
France.
32
Par ailleurs, les costumes permettent de reconnaître à l'écran un personnage spécifique, c'està-dire un personnage connu du public, qui a une existence en dehors du film. Il peut s'agir
d'un personnage historique - existant ou ayant existé - ou bien d'un personnage de fiction
préexistant au film et issu d'une autre œuvre, cinématographique ou non, dont celui-ci serait
une adaptation ou un remake. Le costume constitue alors une panoplie, c'est-à-dire un
ensemble d'éléments caractéristiques à un personnage.
Face à la recrudescence des biopics, dans lesquels est bien plus souvent louée la ressemblance
de l'acteur au personnage historique - qui passe par les costumes et le maquillage - que sa
capacité à l'incarner véritablement, les exemples de recours à ces panoplies sont nombreux.
Prenons néanmoins un exemple simple pour illustrer notre propos : le personnage de Jules
César apparaît dans de très nombreux films ; nul besoin de l'annoncer à l'écran, la toge et la
couronne de lauriers permettent à n'importe qui de l'identifier comme tel d'un simple coup
d'œil.
De même, l'époque est aux super-héros issus des comics américains : chacun d'entre eux
dispose d'une panoplie propre qui permet de les identifier immédiatement à l'écran. Cela peut
paraître moins évident en ce qui concerne l'adaptation d'œuvres purement littéraires, mais tout
le monde reconnut les lunettes rondes d'Harry Potter lorsqu'il arriva sur nos écrans.
II.
Le poids du costume de cinéma dans la production cinématographique
Étant donné la difficulté d'accès au budget détaillé des films, nous tenterons à présent
d'évaluer la part du costume de cinéma dans la production cinématographique en nous basant
sur les éléments d'analyse dont nous disposons, notamment une étude du CNC (Centre
National du Cinéma et de l'image animée) concernant les coûts de production des films en
201139.
La limite de cette démarche repose d'une part sur l'étendue de l'étude qui se limite aux films
d'initiative française ayant reçu l'agrément de production du CNC en 2011 (ce dernier étant
obligatoire) et d'autre part, sur l'aspect général de ces chiffres. Nous complèterons donc notre
39
CNC. « Les coûts de production des films en 2011 : Films d'initiative française ayant reçu l'agrément de
production en 2011 ». CNC [en ligne], mars 2012 [consulté le 19 juillet 2012]. Document téléchargeable sur :
http://www.cnc.fr/web/fr/ehdes/-/ressrouces/1567924
33
analyse par le recours au générique des films, qui bien qu'il ne constitue pas un document
chiffré, permet d'évaluer de façon plus subjective l'importance accordée aux costumes dans la
production.
A. La part du poste « décors et costumes » dans la production
Le CNC distingue trois catégories de postes de production : les rémunérations
regroupent les droits artistiques, le personnel, l’interprétation, les charges sociales et la
rémunération du producteur ; les coûts techniques sont constitués des moyens techniques et
des dépenses de pellicules et de laboratoires ; les coûts de tournage intègrent quant-à-eux les
décors et costumes, les transports, défraiements et frais de régie, les assurances et frais divers
ainsi que les frais généraux et les imprévus. La première de ces catégorie représente à elle
seule entre 50 et 60% du budget du film, la deuxième entre 10 et 20% et la dernière entre 20
et 30%.
Intéressons nous d'abord à la part du poste « décors et costumes » dans la production
cinématographique française. Si, la part du poste « décors et costumes » dans la production
cinématographique française est relativement stable, se situant entre 7,2 et 9,1% de 2003 à
2011 (source : CNC), les dépenses réelles liées au poste « décors et costumes » peuvent varier
beaucoup d'une année sur l'autre en fonction du coût des films et de la nature des films
produits. En effet, le coût total du poste « décors et costumes » a, par exemple, subi une baisse
de 43,24% entre 2010 et 2011 passant de 85,52 M€ à 48,54 M€ (source : CNC), ce qui
s'explique par « le caractère exceptionnel de l’année 2010, qui comptait des films à budget
élevé ayant eu fortement recours à ce type de dépenses : reconstitutions historiques (Coco
Chanel et Igor Stravinsky, La Rafle) ou adaptations de bandes-dessinées (Les Aventures
extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Lucky Luke).40 »
De plus, de manière générale, la part du poste « décors et costumes » augmente
proportionnellement au coût des films. J'ai conçu le graphique ci-dessous à partir des données
chiffrées du CNC afin d'illustrer ce propos. En 2011, par exemple, elle se situe entre 4,6 %
pour les films à moins de 1 M€ et 10,5 % pour les films au budget supérieur à 15 M€.
40
Ibid.
34
12
10,5
10
7,4
8
7
7,4
7,5
2009
5,6
6
2010
4,6
2011
4
2
0
> 1 M€
1-2,5 M€
2,5-4 M€
4-5,5 M€
5,5-7 M€
7-15 M€
> 15 M€
Figure 4 Poids du poste « décors et costumes » (%) dans la production cinématographique française
en fonction du coût total des film (M€) de 2009 à 2011.
Lecture du graphique : « En 2011, le poste « décors et costumes » occupait 7% des dépenses de
production des films dont le budget se situe entre 4 et 5,5 M€. »
Source : CNC
Toutefois, l'analyse de la part du poste « décors et costumes » dans la production
cinématographique ne suffit pas à rendre compte du poids du costume de cinéma.
D'une part, il convient de la nuancer dans la mesure où les costumes ne représentent que
10,4% des dépenses relatives aux « décors et costumes » en 2011 (12,1% si on y inclut les
dépenses de postiches et maquillage), dont la majeure partie est absorbée par les dépenses de
« décors » (76,5% en 2011), c'est-à-dire les dépenses relatives aux studios, aux décors
naturels intérieurs et extérieurs, aux meubles et accessoires, ainsi que les frais divers et de
décoration (source : CNC). Le reste étant absorbé par les effets spéciaux.
D'autre part, il convient d'ajouter que les dépenses liées aux costumes n'interviennent pas
seulement dans le tournage mais aussi dans les rémunérations. En effet, comme nous l'avons
vu dans le chapitre I, les costumes d'un film bénéficient d'une équipe technique plus ou moins
conséquente qu'il convient de rémunérer. En 2011, 4,2% des dépenses de personnel, qui
représentent pour leur part 18,7% du coût total du film, sont allouées aux costumes (source :
CNC). Par ailleurs, la rémunération moyenne de l'ensemble du personnel lié aux costumes
augmente de façon exponentielle en fonction du coût du film, comme le montre le graphique
ci-dessous. Elle est environ deux fois plus importante pour un film dont le budget est
35
supérieur à 15 M€ que pour un film dont le budget se situe entre 7 et 15 M€ et 3,5 fois plus
importante que la moyenne de l'ensemble.
200000
180982
180000
160000
140000
120000
91714
100000
80000
60000
40000
20000
22880
2322
31842
39650
37185
9457
0
< 1 M€
1-2,5 M€ 2,5-4 M€ 4-5,5 M€ 5,5-7 M€
7-15 M€
> 15 M€ Ensemble
Figure 5 Dépense moyenne de personnel allouée aux costumes (€) dans la production d'un film de
fiction français en fonction du coût total du film (M€) en 2011.
Lecture du graphique : « En 2011, la dépense moyenne de personnel allouée aux costumes d'un film
de fiction français dont le budget se situe entre 4 et 5,5 M€ était de 31 842 €. »
Source : CNC
B. Ce que nous dit le générique
Le générique d'un film, s'il ne permet pas de connaître le budget alloué aux costumes,
en dit long sur les dépenses de personnel dans la mesure où il fournit la liste plus ou moins
longue de l'équipe qui a participé à la création des costumes, à leur confection et à l'habillage
des acteurs et qui a pour cela été rémunérée.
Intéressons nous à deux films dont nous avons déjà parlé et qui disposent d'un budget
comparable dans la mesure où il s'agit de très grosses productions dont le budget est supérieur
à 15 M€ : Un long dimanche de fiançailles (Jean-Pierre Jeunet, 2004), dont le budget est
estimé à 47 millions de dollars et Marie-Antoinette (Sofia Coppola, 2006), dont le budget est
estimé à 40 millions de dollars (source : IMDb). Le premier compte en plus de la créatrice de
costume, Madeline Fontaine, une équipe de 19 personnes ; le second compte en plus de la
créatrice de costumes, Milena Canonero, une équipe de 55 personnes.
36
La différence de taille entre ces deux équipes ne peut s'expliquer par le budget des films
(supérieur pour Un long dimanche de fiançailles) mais bien par l'attention différente portée
aux costumes, qui ont un rôle central dans Marie-Antoinette et revêtent un aspect plus
secondaire dans Un long dimanche de fiançailles. Non seulement, ces deux films dépeignent
deux périodes historiques distinctes : la fin du XVIIIe siècle et le début du XXe siècle, entre
lesquelles le vêtement a gagné en simplicité, notamment par la perte du corset mais également
par l'allégement des ornements41 ; mais il est difficile de faire un film sur Marie-Antoinette,
« Madame Déficit ». reine de France impopulaire, dont les dépenses frivoles la font tenir pour
responsable de la misère du peuple, sans montrer les robes accusatrices. Cela justifie la taille
de l'équipe liée aux costumes, qui traduit l'importance qui leur est accordée dans le film.
En effet, si la part relative aux costumes augmente de façon exponentielle par rapport au coût
total du film, la part du budget allouée aux costumes dépend de la nature du film et de
l'importance que l'on accorde aux costumes à l'écran. Gabriella Pescucci explique par exemple
qu'il est difficile d'expliquer à un producteur pourquoi un costumier devrait coûter de l'argent
pour un film contemporain. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles certains créateurs
de costumes préfèrent participer à des films d'époques : les moyens financiers qui leur sont
alloués sont tels qu'ils bénéficient d'une plus grande liberté de création, leur permettant de
créer véritablement, que dans un film contemporain, pour lequel certaines sociétés de
production estiment qu'il « suffit de prendre ce qu'il y a dans la garde-robe de l'acteur,
gratuitement bien sûr.42 »
Le costume de cinéma, qui de par ses valeurs esthétiques et narratives, revêt un rôle
essentiel à l'écran, fait donc l'objet de plus ou moins d'attention en fonction de l'appréciation
de l'importance de ce rôle dans le film par le producteur, qui finance le film, et le réalisateur,
qui devra faire des choix pour tenir son budget. Comme nous l'avons vu, le costume de
cinéma fait l'objet d'une attention particulière au sein des film dits « en costume » dans la
mesure où il y est plus « visible » que dans les films dont l'intrigue est contemporaine où les
costumes sont constitués des vêtements de tous les jours. Nous verrons à présent la réception
ambivalente dont bénéficie le film en costume de la part des différents acteurs du champ
cinématographique.
41
En effet, au début du XXe, les lignes épurées introduites par Coco Chanel révolutionnent la mode de l'époque
et sont devenues le symbole de l'élégance, comme le montre le film Coco avant Chanel (Anne Fontaine, 2009)
dans lequel Audrey Tautou (Un long dimanche de fiançailles) incarne Gabrielle Chanel.
42
MASI, Stefano. Op. cit.
37
Section 2- Le film en costume : Une réception ambivalente
S'intéresser à la réception des œuvres revient à se questionner sur leurs publics - qu'ils
soient compétents ou profanes - et les usages et appropriations qu'ils en font. L'analyse de la
réception des films en costume présente toutefois une difficulté : la notion de film en costume,
comme nous l'avons en introduction, ne renvoie pas à un mais à plusieurs genres
cinématographiques qui n'ont de commun que la recherche particulière dont les costumes font
l'objet, c'est-à-dire assez peu. Il n'existe donc pas d'enquête ou de données qualitatives quant à
la réception de ce type de film.
Néanmoins, nous pouvons faire appel aux données quantitatives que nous fournit le « boxoffice » des films, c'est-à-dire le chiffre d'affaire ou le nombre d'entrées qu'ils génèrent ; celuici nous permet d'évaluer la « popularité » des films en costume. Si le box-office ne constitue
pas une source de légitimation artistique du cinéma (cf. controverse récente autour du film
Bienvenue chez les Ch'tis (Dany Boon, 2008) qui ne reçut aucun César alors qu'il constitue à
ce jour le deuxième plus grand succès au box-office en France après Titanic (James Cameron,
1997) et le plus grand succès d'initiative française), il ne faut néanmoins pas occulter la
dimension commerciale de celui-ci, qui lui permet d'exister.
En effet, le champ cinématographique constitue un champ artistique particulier du fait de la
multiplicité de ses agents (artistes, techniciens, sociétés de production, de distribution, État,
etc.) qui y participent avec des logiques non seulement artistiques mais commerciales.
Dans un premier temps, nous tenterons une analyse de la réception du film en costume par le
public dans la deuxième moitié des années 2000, qui sont au cœur de ce mémoire de
recherche. Nous n'aborderons pas dans cette section la réception du film en costume par la
critique - bien que celle-ci constitue une part du public au sens large - mais dans la deuxième
partie de ce mémoire.
Dans un second temps, il est nécessaire de revenir sur l'image dont bénéficie le film en
costume auprès des acteurs qui officient en amont de la production, notamment le réalisateur,
le producteur et l'État, afin de comprendre les enjeux liés à la sortie d'un film en costume,
dont participe la réception par le public.
38
I.
La réception du film en costume : Éléments d'analyse
Afin d'étudier la réception du film en costume, nous reviendrons dans un premier
temps sur cette notion et ce à quoi elle renvoie. Dans un second temps, nous nous
intéresserons à la place du film en costume au sein du box-office français dans la deuxième
moitié des années 2000 avant d'en étudier les tendances.
A. Retour sur la notion de film en costume
Étant donné la complexité et la diversité de la notion de film en costume, il convient
d'en établir les critères de définition. En effet, le genre est un critère nécessaire mais
insuffisant pour déterminer le caractère « costumé » d'un film ; il convient de le combiner
avec un second critère : la période dans laquelle se déroule l'intrigue, qui peut être antérieure,
contemporaine, postérieure à la réalisation ou indéterminée.
Si le genre historique laisse peu de doutes sur le caractère « costumé » du film dans la mesure
où il est porteur, par définition, d'un certain recul vis-à-vis de la période qu'il dépeint, certains
genres ne sont pas prédestinés à être costumés. La comédie, par exemple, n'est pas un genre
que l'on associe au costume, pourtant une comédie peut être costumée si elle se déroule dans
une période antérieure à la réalisation (Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Alain Chabat,
2002). De même, si l'on associe volontiers la science-fiction au costume, un film de sciencefiction peut très bien se dérouler dans une période contemporaine à la réalisation ; c'est
notamment le cas des films catastrophe (Le Jour d'Après, Roland Emmerich, 2004).
Réciproquement, la période dans laquelle se déroule l'histoire est insuffisante pour définir un
film en costume puisque de nombreux films se déroulent dans une réalité « alternative ».
difficilement datable ; c'est notamment le cas des films relevant de la fantaisie (la trilogie du
Seigneur des Anneaux, Peter Jackson, 2001-2003) ou du fantastique.
Nous considérerons donc les films en costume comme ceux dont l'intrigue est antérieure ou
postérieure à la réalisation ou encore dans une période indéterminée puisque fantaisiste, par
opposition aux films dont l'intrigue est contemporaine à la réalisation.
39
B. La place du film en costume au box-office français de 2005 à 2009
S'intéresser à la réception du film en costume par le biais du box-office présente
évidemment des limites.
D'une part, cela restreint l'analyse aux films en costume « grand public ». En effet, tous les
films n'ont pas les mêmes « chances » de départ : les films à gros budget sont aussi les films
les mieux distribués ; ils bénéficient d'une meilleure promotion et d'une programmation plus
conséquente. Aussi, il n'est pas possible d'attribuer le succès d'un film au seul mérite d'un nom
ou d'un genre.
D'autre part, le cinéma a de particulier la variété de ses formes d'accès et la fréquentation des
salles de cinéma n'est qu'une forme parmi d'autres d'accès au cinéma ; aussi, répond-elle à des
logiques particulières, différentes du visionnage d'un DVD sur un téléviseur ou encore d'un
film téléchargé sur un ordinateur. En effet, il s'agit non seulement d'une activité culturelle
mais aussi d'une activité sociale : aller voir un film au cinéma ne signifie pas nécessairement
que l'on en apprécie le genre, cela peut avoir pour simple but de tromper l'ennui.
Enfin, il est difficile d'établir des comparaisons valides entre des périodes éloignées de
l'histoire du cinéma sur la base du chiffre d'affaire des films ou du nombre d'entrées alors que
les structures de coûts des films, les valeurs monétaires et la pratique du cinéma ont évolué.
Néanmoins, la fréquentation des salles de cinéma est souvent une activité de groupe qui
repose beaucoup sur le bouche-à-oreille. Ainsi s'intéresser aux résultats des films en costume
au box-office sur une courte période permet d'évaluer leur « popularité ». ce qui constitue en
soi une information intéressante quant à leur visibilité et l'image dont ils bénéficient. Nous
nous attacherons donc ici à l'analyse des films (hors films d'animation et documentaires) ayant
dépassé un million de spectateurs au box-office français de 2005 à 2009 en évaluant la place
que le film en costume y occupe.
Sur 197 films ayant dépassé un million d'entrées au box-office français entre 2005 et
2009, 73 au moins peuvent être considérés comme des films en costume (tous genres
confondus) soit environ 37% des films (voir tableau ci-dessous). Ce qui est considérable dans
un pays comme la France, où le genre le plus prisé est la comédie, qui n'est pas par essence un
40
genre costumé. L'enquête d'Olivier Donnat sur les pratiques culturelles des français place la
comédie en tête des genres préférés des français (44% des personnes interrogées déclarent les
films comiques comme étant l'un de leurs deux genres préférés) avant les films d'action (31%)
et les thrillers (28%). Les films historiques sont quant-à-eux sixièmes de ce palmarès (11%)43.
Films en costume
Total des films
Proportion des films
en costume (%)
2005
20
37
54
2006
9
35
25,7
2007
15
36
41,7
2008
16
43
37,2
2009
13
46
28,3
Total
73
197
37
Tableau 1 Part des films en costume parmi les films ayant réalisé plus d'un million de
spectateurs au box-office français entre 2005 et 2009.
De plus, les trois premières places au palmarès de chaque année (or animation) sont
largement occupées par des films en costume (Harry Potter, Star Wars et Le Monde de
Narnia en 2005 ; Spider-Man, Harry Potter et Pirates des Caraïbes en 2007). Seule l'année
2006 fait figure d'exception avec seulement neuf films en costumes ayant dépassé le million
de spectateur et un seul parmi les trois premiers du palmarès (Pirates des Caraïbes 2 : Le
Secret du coffre maudit, Gore Verbinski, 2006). Cela peut suggérer une diminution cette
année-là de la production de films en costume à gros budget : il s'agit par exemple d'une
année sans Harry Potter (une exception dans les années 2000 où il en sort pratiquement un
par an). Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement une diminution de la production de
films en costume mais la production de films moins « grand public ». qui ne dépassent pas les
frontières nationales en ce qui concerne les sorties en salle ou qui ne bénéficient que d'un
public ciblé. Les Fantômes de Goya (Miloš Forman, 2006), par exemple, ne sort en France
qu'en juillet 2007 et réalise 56 606 entrées (source : Allociné).
43
DONNAT, Olivier. Les Pratiques culturelles des Français à l'ère numérique : Enquête 2009. Paris : La
Découverte / de la Culture et de la Communication, 2008. Résultats complets disponibles sur :
http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/08resultat.php
41
L'année 2006 est également l'année de la sortie de Marie-Antoinette de Sofia Coppola, qui
arrive 27ème au box-office (hors films d'animation et documentaires) avec 1 222 462 entrées
en 30 semaines. Il est l'un des deux seuls films en costume d'époque à avoir reçu un tel succès
au box-office entre 2005 et 2009 avec le film français Molière de Laurent Tirard, arrivé 25ème
au box-office français en 2007 avec 1 242 083 entrées en 18 semaines. Il convient donc de
s'intéresser de plus près aux tendances du film en costume à succès dans les années 2000.
C. Les tendances du film en costume dans les années 2000
Afin de discerner les tendances du films en costume à succès dans les années 2000, il
est pertinent de distinguer les films français des films étrangers en costume, ces derniers étant
exclusivement d'initiative américaine et britannique en ce qui concerne les films ayant
dépassé le million d'entrées au box-office français entre 2005 et 2009. Notons la place
importante des films en costume d'initiative étrangère vis-à-vis de ceux d'initiative française.
En effet, sur 73 films en costumes, 52 sont d'initiative américaine et britannique contre
seulement 21 d'initiative française ; soit 71,2% contre 28,8%. Cela s'explique d'une part par
l'importance des films d'initiative étrangère au box-office français : sur 197 films ayant réalisé
plus d'un million d'entrées au box-office français entre 2005 et 2009, 118 sont d'initiative
étrangère (ici, tous pays confondus), soit 59,9% des films (voir tableau ci-dessous). D'autre
part, cela traduit un « goût » moins affirmé pour le film en costume en France qu'à l'étranger :
seulement 26,6% des films français sont en costume contre 44% des films étrangers.
Films d'initiative française Films d'initiative étrangère Total
Films en costume
21
52*
73
Total des films
79
118
197
Tableau 2 Nationalité des films en costume ayant réalisé plus d'un million d'entrées au boxoffice français entre 2005 et 2009.
*Ceux-ci sont exclusivement d'initiative américaine ou britannique.
En ce qui concerne les tendances du film en costume étranger et notamment américain,
nous constatons que le succès de Gladiator (Ridley Scott, 2000), non seulement d'un point de
42
vue commercial (en France, il est quatrième au box-office pour l'année 2000) mais aussi
institutionnel (il fut récompensé de cinq Oscars dont celui de la meilleure création de
costumes pour Janty Yates), redore l'image du péplum. Il sera notamment suivi par Troie
(Wolfgang Petersen), La Passion du Christ (Mel Gibson), Le Roi Arthur (Antoine Fuqua) et
Alexandre (Oliver Stone) en 2004, 300 (Zack Snyder) en 2006 et plus récemment Le Choc des
Titans (Louis Leterrier, 2010) ; ceux-ci ne bénéficièrent toutefois ni du même succès ni de la
reconnaissance de leur prédécesseur.
De plus, à partir de 2001, deux phénomènes majeurs marquent le cinéma en costume, le
plaçant sous le sceau de la littérature fantastique : l'arrivée à l'écran du personnage d'Harry
Potter créé par J. K. Rowling avec la sortie d'Harry Potter à l'école des sorciers (Chris
Columbus), le premier volet d'une saga de huit films, qui occuperont systématiquement l'une
des trois premières places au box-office sur une période de dix ans, et l'adaptation en une
trilogie du roman Le Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien par Peter Jackson, dont les
deux premiers volets occupent consécutivement la troisième place du box-office en 2001 et
2002 puis la deuxième en 2003 (une année sans Harry Potter).
Enfin, les années 2000 sont également celles des super-héros issus des comic books
américains, notamment les héros de Marvel, qui souffrant d'une image vieillissante sont remis
au goût du jour sur petit écran avant d'investir le grand : X-Men (Bryan Singer) sort en 2000
suivi de près par Spider-Man (2002), Daredevil (2003), Hulk (2002), The Punisher (2004),
Les 4 Fantastiques (2005), Ghost Rider (2007), Iron Man (2008), Thor (2011), Captain
America (2011), pour ne citer qu'eux. Aujourd'hui, Avengers (Josh Whedon, 2012) est
considéré comme le troisième plus grand succès mondial après Avatar et Titanic de James
Cameron (source : IMDb).
S'ils sont moins nombreux, on peut néanmoins relever les tendances des films français
en costume. En 2001, le phénomène « Amélie Poulain » marque de façon significative le
cinéma français. Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2001) qui connaît
un succès (8 636 041 entrées en 83 semaines) et une reconnaissance considérables, est nominé
pour le César des meilleurs costumes (finalement attribué au film Le Pacte des loups,
Christophe Gans, 2001) alors qu'il ne constitue pas un film en costume à proprement parler (il
s'agit d'une comédie dont l'intrigue se déroule en 1997, soit seulement quatre avant la
réalisation). Or, le plus fréquemment les films nominés pour le César des meilleurs costumes
43
sont de véritables films en costume. Il va ouvrir la voie à type particulier de comédies, qui
mettent à l'honneur la figure du local hero et plus généralement des personnages typés,
inscrits dans un passé proche (XXème siècle) ou atemporel, qu'ils soient ou non issus de la
littérature.
Cette dernière, comme c'est le cas au niveau international, constitue en France une source
d'inspiration pour le cinéma des années 2000. Toutefois, c'est alors la littérature nationale et
éventuellement européenne (franco-belge en ce qui concerne la bande-dessinée) qui fait
l'objet d'une adaptation cinématographique. En ce qui concerne la bande-dessinée, ce sont les
personnages d'Astérix et Obélix, Lucky Luke, Iznogoud et récemment Adèle Blanc-Sec qui
ont été adaptés au grand écran. En ce qui concerne la littérature, ce sont des classiques de la
littérature française ou des séries littéraires : Arsène Lupin de Jean-Paul Salomé en 2004, Mon
petit doigt m'a dit et Le Crime est notre affaire de Pascal Thomas en 2005 et 2008 et les
OSS 117 de Michel Hazanavicius en 2006 et 2009, par exemple.
Par ailleurs, les biopics ou films biographiques sont également à l'honneur : La Môme (Olivier
Dahan, 2007), Molière (Laurent Tirard, 2007), Mesrine : L'Instinct de mort et L'Ennemi
public n°1 (Jean-François Richet, 2008), Coco avant Chanel (Anne Fontaine, 2009), pour ne
citer qu'eux.
Si les films en costume bénéficient globalement d'une bonne réception, il convient de
la nuancer.
D'une part, l'attrait pour les film en costume au budget élevé tient davantage à la promotion du
film, qu'au caractère costumé du film. Le succès de Marie Antoinette, par exemple, relève à la
fois de sa dimension commerciale (un film à gros budget) et du nom de Sofia Coppola, qui
bénéficie d'un statut d'auteur et de l'association à celui de son père Francis Ford Coppola (qui
est, par ailleurs, producteur du film).
D'autre part, le succès des films en costume ne signifie pas que tous les genres auxquels ils
renvoient bénéficient de la même réception. La fiction prévaut sur le film historique et les
périodes de l'histoire représentées ne bénéficient pas toutes du même attrait. Il semblerait que
les films en costumes d'époque (dont l'intrigue se déroule avant le XXème siècle), les péplums
mis-à-part, soient passés de mode. Comme nous l'avons vu, le succès des films est lié à leur
production, c'est pourquoi il est intéressant d'étudier de plus près à l'image dont bénéficient les
44
films en costume du côté de la production afin de comprendre les logiques qui leur sont
inhérentes.
II.
L'image du film en costume dans le champ de la production
Afin de comprendre les enjeux liés à la création de films en costume, il convient
d'étudier l'image dont ils bénéficient dans le champ de la production de la part des différents
acteurs qui y interagissent.
A. Un défi pour le réalisateur
Le point de vue que nous aborderons en premier lieu est celui du réalisateur.
Instigateur du projet cinématographique, il est porteur du discours artistique dans lequel
s'inscrivent les choix du genre et du caractère costumé ou non du film. Outre le goût plus ou
moins marqué du réalisateur pour le film en costume (certains ne font que des films en
costume, d'autre exclusivement des films contemporains), le film en costume bénéficie d'une
image ambivalente. En effet, il semble que le film en costume présente une contrainte pour
certains réalisateurs. Le réalisateur kazakh Darejan Omirbaev, par exemple, qui adapte le
roman Anna Karénine de Léon Tolstoï (1877) à la période contemporaine avec son film
Chouga (2008), s'explique sur son choix dans un entretien aux Cahiers du Cinéma :
« Pourquoi est-ce que je transpose le film à l’époque contemporaine ? Parce que
généralement tout ce fatras historique (costumes, décors, carrosses, etc.) attire trop
l’attention du spectateur et la détourne du principal : les sentiments.44 »
L'emploi du mot « fatras » n'est pas anodin. En effet, faire un film en costume représente un
travail supplémentaire. Un film en costume d'époque implique notamment une certaine
reconstitution historique qui suppose certaines lourdeurs dans la réalisation à la fois d'un point
de vue financier et du point de vue de la préparation des acteurs. Sofia Coppola, par exemple,
explique que le tournage de Marie-Antoinette fut éprouvant :
44
ZVONKINE, Eugénie. « Karénine kazakhe : Entretien avec Darejan Omirbaev ». Cahiers du Cinéma, n° 659,
septembre 2010, pp. 34-35.
45
« L'ensemble était assez stressant. La majeure partie des dépenses était assignée aux
costumes et aux lieux de tournage, il était donc souhaitable de ne pas faire traîner les prises.
Mais l'attente provoquée par l'habillage et le maquillage des acteurs faisait naître parfois
certaines frustrations.45 »
Le film en costume d'époque présente donc une difficulté particulière. De ce fait, il devient un
défi pour le réalisateur qui s'intéresse à une période spécifique de l'histoire. En effet, celui-ci
va chercher l'équilibre entre la reconstitution historique et son discours artistique, quitte à
rompre avec les conventions du genre (comme le fait Sofia Coppola), équilibre tel que son
film aura à la fois le soutien des financeurs qui permettront à son film d'exister et une
réception favorable du public et de la critique, qui participeront à sa consécration. Le risque
étant de ne faire à leurs yeux qu'une reconstitution historique ou au contraire de prendre trop
de libertés vis-à-vis de l'histoire.
B. Un enjeu commercial
Si le cinéma existe c'est aussi du fait de sa dimension commerciale. En effet, un film
est coûteux et nécessite des fonds dont un réalisateur ne dispose généralement pas à lui seul
(mis à part des réalisateurs tels que Steven Spielberg qui ont déjà réalisé de nombreux
blockbusters).
En France, il existe différents types de producteurs : hormis le réalisateur qui peut également
être producteur, la production peut être confiée à des sociétés de production, aux chaînes de
télévision et à l'État français, par l'intermédiaire du CNC. Si ce dernier, en tant
qu'établissement public, a pour mission le soutien à la création par le biais de subventions
(notamment l'avance sur recettes), une société de production ne finance un projet
cinématographique que dans la mesure où elle va tirer des bénéfices de l'exploitation du film.
Or, un film en costume peut représenter un enjeu commercial important pour une société de
production. En effet, la recherche des costumes, notamment dans certains genres de films,
participe au spectaculaire du film, très recherché par les sociétés de production puisqu'il
garantit a priori son succès commercial.
45
COPPOLA, Sofia (réal.). Marie-Antoinette. 2006. Paris, Pathé Distribution, 2007. Édition collector 2 DVD et
livret [propos de Sofia Coppola tels qu'ils sont retranscrits dans le livret du DVD, p. 5].
46
C. Une appropriation par l'État
Il convient également de s'intéresser à la réception du film en costume par l'État
français, qui non seulement soutient financièrement le cinéma mais lui assure une
reconnaissance symbolique ainsi qu'un public, à travers le système scolaire. Comme le
souligne Julien Duval dans Actes de la Recherche en Sciences Sociales :
« Les programmes de l'enseignement secondaire, à travers le « patrimoine littéraire » (Le
Colonel Chabert, Cyrano de Bergerac, etc.) ou les figures et grands moments de l'histoire
nationale (Napoléon, la guerre de 1914, l'Occupation, etc.), fournissent la matière privilégiée
de productions à gros budgets en partie conçues pour contribuer au rayonnement
national. 46 »
Il existe donc une interdépendance entre le cinéma en costume et notamment le film
historique et l'État dans la mesure où dans le même temps où l'État procure une légitimité à
l'œuvre cinématographique, celle-ci participe à la légitimation de l'action étatique.
Le film Marie-Antoinette, par exemple, reçut le Prix de l'Éducation Nationale 2006 alors
même que Sofia Coppola ne prétend pas à une reconstitution historique fidèle, au contraire, et
s'intéresse à la figure historique de Marie-Antoinette pour en faire un portait de femme
atemporel dans la lignée de ses films précédents (Virgin Suicides, 1999 et Lost in Translation,
2003). Comme l'indique Christine Juppé-Leblond (Ministère de l'Éducation Nationale) dans
son discours de présentation du prix, « le film de Sofia Coppola est si peu historique qu'il
devient historiquement incontestable. 47 » Ce faisant non seulement l'État français se
réapproprie une œuvre cinématographique américaine mais il lui fournit un cadre
pédagogique.
46
DUVAL, Julien. « L'art du réalisme : Le champ du cinéma français au début des années 2000 ». Actes de la
Recherche en Sciences Sociales, n° 161-162, mars 2006, pp. 96-115.
47
COPPOLA, Sofia (réal.). Marie-Antoinette. 2006. Paris, Pathé Distribution, 2007. Édition collector 2 DVD et
livret [propos de Christine Juppé-Leblond tels qu'ils sont retranscrits dans le livret du DVD, p. 9].
47
POUR CONCLURE
Pour conclure cette première partie, nous pouvons reprendre les propos de JeanGeorges Auriol et Mario Verdone (La Revue de Cinéma) qui expriment de façon significative
l'importance du costume de cinéma en 1949, dans un contexte de légitimation de l'art
cinématographique :
« Il est incontestable, en tout cas, qu'utilisé au début dans la confusion et au hasard, le
costume de cinéma a été peu à peu transformé jusqu'à posséder une richesse plastique
nouvelle, façonnée par la lumière, le mouvement et la photographie ; puis, chez certains
cinéastes complets, jusqu'à acquérir une qualité symbolique dynamique, tout en s'intégrant
parfaitement dans le corps de l'œuvre cinématographique pour exprimer à la fois le caractère
des êtres animés sur l'écran, la pensée de l'auteur, la nature du récit et résonner dans une
harmonie générale.48 »
Paradoxalement, il semble que c'est à travers l'autonomisation du cinéma vis-à-vis des autres
champs artistique, que le costume de cinéma ait perdu de son intérêt théorique. En effet, celuici ne constituant pas un objet propre au cinéma car issu de l'art théâtral, il devient un objet
secondaire de la théorie cinématographique.
Nous avons à présent posé les bases théoriques de notre enquête et fait l'état des lieux de la
réception du costume de cinéma et de ses enjeux. Ce dernier constitue une mise en garde des
pièges à éviter si l'on veut mener une réflexion constructive autour du costume de cinéma. En
effet, ce n'est qu'en accordant au costume de cinéma une place légitime comme objet d'étude
que l'on peut en dénoncer correctement les travers. L'image ambivalente dont bénéficie le
costume de cinéma ne risque-t-elle pas d'en faire une « cible facile » pour la critique?
48
AURIOL, Jean-Georges, VERDONE, Mario. Op. cit.
48
DEUXIEME PARTIE
DU COSTUME A L'ECRAN AU COSTUME A L'ECRIT : LA PLACE DU
COSTUME DE CINEMA DANS LE CHAMP DE LA CRITIQUE
49
AVANT-PROPOS
Cette deuxième partie, qui constitue le cœur de ce mémoire, a pour objectif l'analyse
de la place du costume de cinéma dans la critique. Forts des éléments d'information et de
réflexion que nous avons réunis dans la première partie, nous procéderons à présent au bilan
de l'enquête historiographique menée dans les Cahiers du Cinéma afin d'évaluer la place
occupée par le costume de cinéma dans la critique à la fois d'un point de vue quantitatif et
qualitatif.
La démarche analytique adoptée dans cette partie accompagne la progression de la réflexion à
travers le déroulement de l'enquête et la découverte des « strates » du costume écrit - Barthes
parle de « géologie » du vêtement écrit (Barthes, 1967 : 48) ; aussi peut-on relever différents
niveaux d'analyse.
Dans un premier temps, j'ai procédé au dépouillement systématique du Cahier Critique des
Cahiers du Cinéma de la deuxième moitié des années 2000 en relevant le cas échéant les
occurrences du mot « costume » et le champ lexical de l'habillement. Nous nous intéresserons
donc dans un premier chapitre aux résultats « bruts » de l'enquête qui nous permettront à
travers l'analyse d'un système terminologique d'évaluer la visibilité critique du costume de
cinéma dans la critique, que nous distinguerons de sa connotation critique.
Dans un second temps, j'ai mené une analyse sémantique des données recueillies en
m'intéressant à leur contexte et donc aux sens du costume écrit, que j'ai mis en relation avec
les enjeux spécifiques au champ de la critique de cinéma. Dans un second chapitre, nous
nuancerons donc les résultats obtenus en expliquant les connotations dont le costume de
cinéma est porteur dans l'exercice critique.
Enfin, il est pertinent d'élargir le propos de l'enquête par une étude de cas. Nous mènerons
donc dans un dernier chapitre une analyse plus approfondie autour d'un film en particulier :
Marie-Antoinette (Sofia Coppola, 2006) qui, comme nous l'avons vu dans la première partie
de ce mémoire, constitue l'un des rares films en costume d'époque à avoir connu un tel succès
et une telle reconnaissance symbolique dans la deuxième partie des années 2000. Nous
étudierons donc le traitement critique dont il fait l'objet, en effectuant une comparaison entre
deux revues spécialisées : les Cahiers du Cinéma et Positif, tout en analysant les enjeux qui
lui sont liés et les problématiques qu'il soulève.
50
CHAPITRE III- LE COSTUME A L'ECRIT : ENTRE OBJET
D'ATTENTION ET OBJET CRITIQUE
Dans ce chapitre, qui a pour objectif l'analyse de la visibilité critique du costume de
cinéma, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Le costume de cinéma fait-il
l'objet d'attention dans la critique? Le costume de cinéma, objet d'attention, constitue-t-il
pour autant un objet critique?
En préambule à ce chapitre et afin de comprendre la progression de la réflexion lexicale, il est
nécessaire de revenir sur certains éléments de méthode.
Il convient d'apporter une précision quant à l'usage de l'expression « visibilité critique ». Il
s'agit ici d'évaluer de manière objective l'espace visuel que le costume de cinéma occupe dans
la critique et non les significations dont il est porteur, que nous aborderons en deuxième partie
de ce chapitre et dans le chapitre suivant. Au contraire nous considérerons que le costume
écrit est porteur d'une « connotation critique » lorsqu'il constituera un objet critique, c'est-àdire un objet jugé par le critique et non seulement un objet d'attention.
De plus, nous ne saurions généraliser les résultats obtenus dans ce chapitre à la critique de
cinéma dans son ensemble, que nous pouvons définir comme l'art de juger les œuvres
cinématographiques ; ils se limitent aux articles critiques étudiés, soit l'ensemble des articles
contenus dans le « Cahier Critique » des Cahiers du Cinéma entre 2005 et 2009, dont nous
avons exclu les critiques de documentaires et de films d'animation ainsi que les entretiens
avec les artistes, qui relèvent du journalisme de cinéma et non de la critique. Si les deux
activités se confondent souvent, il convient de distinguer l'exercice critique des pratiques
journalistiques qui répondent à des logiques différentes.
Par ailleurs, il est ici approprié d'effectuer une délimitation théorique du champ lexical étudié,
basée sur les observations que j'ai pu faire durant la lecture « naïve » des Cahiers du Cinéma
préalable à l'enquête. Celle-ci me permit d'examiner les manières dont on fait référence au
costume de cinéma dans la critique : directe en évoquant la notion même de costume ou
indirecte par le détour du champ lexical de l'habillement, dont nous devons toutefois écarter
51
d'emblée les usages figurés : tous les verbes relatifs à l'habillement peuvent par exemple faire
l'objet d'équivoque (revêtir, endosser, etc.).
En effet, il convient de rappeler que le costume tel qu'il est écrit - ou comme nous pouvons le
dire ici, « décrit » - ne saurait rendre compte du costume réel mais bel bien du costume-image,
celui que l'on voit à l'écran. Il est donc soumis au biais de la perception et du langage
disponible pour en rendre compte. Ce dernier est contenu dans le champ lexical de
l'habillement. À l'exemple de Roland Barthes qui adapte l'opposition conceptuelle
saussurienne de la langue et de la parole à l'objet d'étude de la Mode, nous pouvons considérer
le costume comme la structure vestimentaire dont l'habillement est la forme actualisée,
individualisée et portée (Barthes, 1967 : 30).
Nous procéderons donc dans un premier temps à l'évaluation de la visibilité critique du
costume de cinéma dans les Cahiers du Cinéma en nous appuyant sur les résultats concrets de
l'enquête avant d'expliquer, dans un second temps, que la visibilité relative du costume de
cinéma dans la critique ne signifie pas pour autant que celui-ci soit porteur d'une connotation
critique.
Section 1- De la visibilité critique du costume de cinéma
Afin d'évaluer la visibilité critique du costume de cinéma nous nous appuierons sur le
vocabulaire employé pour y faire référence dans les Cahiers du Cinéma ainsi que la fréquence
à laquelle on y fait allusion. Ces éléments concrets constituerons la base de la réflexion menée
dans cette partie.
Nous aborderons dans un premier temps les références directes au costume en expliquant les
difficultés rencontrées lors de l'enquête. Dans un second temps, nous expliquerons que la
faiblesse des références au costume de cinéma n'est qu'apparente. En effet, il convient de
s'intéresser non seulement aux références directes mais aussi indirectes au costume de cinéma
à travers la richesse du vocabulaire disponible pour en rendre compte, dont nous établirons
l'inventaire terminologique.
52
I.
Le costume de cinéma, absent de la critique?
Nous effectuerons dans un premier temps un bilan statistique de la place du costume
de cinéma dans la critique en expliquant les difficultés de la démarche et en nuançant les
résultats obtenus avant de fournir dans un second temps des éléments d'analyse à ses
évolutions éventuelles entre 2005 et 2009.
A. Bilan statistique
L'enquête historiographique a porté sur les articles du Cahier Critique des Cahiers du
Cinéma entre 2005 et 2009, hors entretiens, critiques de documentaires et critiques de films
d'animation, soit au total 1262 articles.
Lors de mon enquête liminaire, je me suis intéressée à la place du costume de cinéma dans les
Cahiers du Cinéma en repérant les occurrences du mot « costume ». Toutefois, cette
démarche s'est rapidement avérée limitée. En effet, d'un point de vue statistique, il est plus
pertinent de s'intéresser au nombre d'articles faisant référence au costume de cinéma qu'aux
occurrences du mot dans la mesure où un même article peut employer plusieurs fois le mot
« costume » a des fins purement littéraires.
Il est également pertinent de souligner ici que les articles réunis dans le Cahier Critique sont
plus ou moins longs en fonction de leur place dans la maquette du journal : entre une et
plusieurs pleines pages pour les premiers articles du Cahier Critique à quelques lignes pour
les articles suivants. La taille de l'article conditionne donc nécessairement l'exercice critique
qui se doit d'être plus ou moins synthétique en fonction de la place qui lui est accordée.
Sur les 1262 articles étudiés, seuls 54 emploient le mot « costume » ou l'un de ces dérivés
(« costumé ». « costumade »....) au moins une fois soit environ 4,3% des articles. Il s'agit d'un
chiffre relativement faible, d'autant plus que tous ces articles ne font pas nécessairement
directement référence au costume de cinéma mais à l'un des sens du mot costume qui, comme
nous l'avons vu en introduction constitue un terme polysémique.
Aussi l'une des difficultés de ce travail de recherche a été de distinguer les utilisations du mot
relevant du costume de cinéma de celles faisant référence au vêtement, au complet masculin,
53
à la panoplie et, plus rarement, au costume traditionnel. S'il est généralement relativement aisé
de distinguer les références au complet masculin de celles au costume de cinéma - d'autant
plus si le mot « costume » est associé à celui de « cravate » ou de « chemise » -, la distinction
entre l'utilisation du mot « costume » comme synonyme de vêtement et celle faisant référence
au costume de cinéma est plus complexe. Dans la phrase suivante, par exemple, l'auteur
évoque clairement le complet masculin :
« L'air renfrogné et la taille massive du tueur en imposent, mais la bonne idée, c'est l'attachécase et le costume qui semblent en faire un cadre after-hours.49 »
En revanche, dans l'extrait suivant, il est plus difficile de dire si l'auteur utilise le verbe
« costumer » comme synonyme d'« habiller » ou s'il fait effectivement référence au costume
de cinéma :
« Costumée comme un adolescent, avec un sweat à capuche ou le pull de son frère, Nina
traîne son vieux jean au milieu des sapins.50 »
Nous considérerons ici que « costumée » est utilisé comme synonyme d'« habillée » dans la
mesure où ce n'est pas Nina, le personnage, qui porte le costume mais bien l'actrice, Isabelle
Menke, qui incarne Nina. L'auteur fait certes référence au costume de cinéma puisqu'Isabelle
Menke porte elle aussi jean et pull lors du tournage, mais de façon indirecte puisqu'il
n'emploie pas le terme de costume dans le sens de costume de cinéma.
En appliquant les distinctions nécessaires, nous obtenons les résultats suivants :
Articles comportant une référence directe
au costume de cinéma
Articles comportant une référence directe
ou indirecte au costume de cinéma
Total des articles étudiés
2005
6
2006
5
2007
5
2008
6
2009
8
Total
30
69
71
51
67
54
312
284
247
257
251
223
1262
Tableau 3 Bilan statistique de la place du costume de cinéma dans le Cahier Critique des
Cahiers du Cinéma de 2005 à 2009 (en nombre d'articles).
49
DELORME, Stéphane. « Midnight Meat Train de Ryuhei Kitamura ». Cahiers du Cinéma, n° 648, septembre
2009, p. 40-41.
50
DELORME, Stéphane. « Passager, clandestin ». Cahiers du Cinéma, n° 617, novembre 2006, p. 17-18 [à
propos de Montag de Ulrich Köhler].
54
Nous pouvons relever 30 articles faisant directement référence au costume de cinéma,
avec le vocabulaire suivant : « costume (-d'époque) ». « costumé ». « costumade [sic] ».
« film en costume ». « roman en costume ». « costumier ». « chef costumière ». C'est
relativement faible compte tenu des 1262 articles étudiés : environ 2,4% des articles font
directement référence au costume de cinéma.
Le costume de cinéma semble donc à première vue un objet d'attention négligé. Néanmoins,
comme nous l'avons vu avec l'exemple précédent, le costume de cinéma peut-être évoqué de
façon indirecte par le biais du champ lexical de l'habillement : dans l'exemple que nous avons
vu, « sweat à capuche ». « pull ». « jean » sont autant d'unités du costume de l'actrice qui
servent ici à le décrire et ainsi donner des informations sur le personnage.
Il convient donc de nuancer l'absence « apparente » du costume de cinéma dans la critique : si
l'on cumule les références directes et indirectes au costume de cinéma, on obtient 312 articles
l'évoquant, soit 24,7% des 1262 articles étudiés. Le costume de cinéma fait donc bel et bien
l'objet d'attention dans un quart des articles publiés dans le Cahier Critique des Cahiers du
Cinéma en 2005 et 2009.
B. Une place constante entre 2005 et 2009
Effectuer l'enquête sur cinq ans avait non seulement pour objectif d'obtenir des
résultats valides, mais aussi de pouvoir évaluer une éventuelle évolution de la place du
costume de cinéma dans la critique. Or, les résultats présentés dans le tableau précédent ne
permettent pas d'apprécier d'évolution significative de la place du costume de cinéma dans les
Cahiers du Cinéma entre 2005 et 2009. En effet, la part des articles faisant référence de façon
directe ou indirecte au costume de cinéma est relativement constante : 24,3% en 2005, 28,7%
en 2006, 19,8% en 2007, 26,7% en 2008 et 24,2% en 2009.
Les variations entre chacune des années sont à chercher d'une part du côté des sorties cinéma
et de leur caractère plus ou moins costumé. En effet, l'on peut considérer que les costumes
d'un film en costume, tel que nous l'avons défini dans le chapitre II de ce mémoire, tendent à
être plus visibles à l'écran puisqu'ils contrastent avec les vêtements « ordinaires » et donc plus
susceptibles de faire l'objet d'attention dans la critique.
55
D'autre part et surtout, ces variations s'expliquent par le turn-over des critiques, leur
conception de l'exercice critique (dont nous expliquerons les enjeux dans le chapitre suivant)
et leur « intérêt » plus ou moins prononcé pour le costume de cinéma (que nous mesurerons
par défaut par le nombre d'articles faisant référence de façon directe ou indirecte au costume
de cinéma).
À nombre d'articles quasiment égal 51 dans le Cahier Critique entre 2005 et 2009 hors
entretiens et critiques de documentaires et de films d'animation, la rédactrice Charlotte Garson
par exemple fait référence de façon directe ou indirecte au costume de cinéma dans environ
40% de ses articles publiés dans le Cahier Critique entre 2005 et 2009 tandis que le rédacteur
Vincent Malausa y fait référence dans environ 10% des ses articles
De plus, les critiques ne font pas référence de façon égale au costume de cinéma d'une année
sur l'autre : la première y fait référence de façon massive en 2008 (environ 50% de ses articles
faisant référence au costume de cinéma sont publiés en 2008) tandis que le second n'y fait
référence qu'à partir de 2007. Cela ne semble toutefois pas lié au nombre de films en costume
dont ils font la critique.
Maintenant que nous avons abordé la place du costume de cinéma dans la critique d'un
point de vue quantitatif et statistique, nous procéderons à l'inventaire terminologique du
vocabulaire rencontré à travers l'enquête pour évoquer le costume de cinéma de façon
indirecte afin d'effectuer une analyse qualitative et sémantique de la place du costume de
cinéma dans la critique.
II.
Inventaire terminologique
Nous distinguerons dans notre inventaire terminologique le vocabulaire relevant du
champ lexical de l'habillement et les autres champs lexicaux se rapportant au costume de
cinéma dans la critique.
51
Respectivement 99 articles pour Charlotte Garson et 95 pour Vincent Malausa.
56
A. Le champ lexical de l'habillement
De même que Roland Barthes constitue une « liste des espèces et des genres »
employés dans le journal de mode (Barthes, 1967 : 123-130), nous établirons un inventaire
des unités vestimentaires relevées dans le corpus étudié en les classant par catégories. Nous
simplifierons les catégories utilisées par Barthes qui se justifiaient dans une étude au centre de
laquelle se trouvait le vêtement. En effet, si l'analyse de la place du costume de cinéma dans
la critique passe par l'étude du champ lexical de l'habillement, l'objet de notre enquête reste le
costume de cinéma lui-même et non le vêtement. De plus, les critiques de cinéma ne
constituant généralement pas des experts de la mode et de l'habillement, le vocabulaire
employé pour faire référence au vêtement, bien qu'étendu, est nécessairement moins pointu
que celui employé dans un journal de mode.
Nous avons constitué les genres des unités d'habits en tenant pour critère principal la partie du
corps qu'ils couvrent (tête, haut, bas, ensemble, pieds...) mais également leur fonction
(protection, pudeur, parure) afin de réunir les vêtements aux caractéristiques similaires dans
des catégories relativement homogènes. À titre d'exemple, nous avons réunis tous les sousvêtements dans une seule et même catégorie : bien qu'ils ne couvrent pas tous la même partie
du corps, ils ont une fonction commune. Néanmoins, il ne s'agit pas de catégories hermétiques
et certains mots polysémiques entrent dans plusieurs catégories : le voile et le foulard, par
exemple, peuvent constituer aussi bien un élément de pudeur que de parure. Les catégories
que nous avons établies revêtent donc avant tout un aspect pratique : elles ont pour unique
objectif de rendre compte de la diversité du vocabulaire employé pour faire référence au
costume de cinéma dans la critique.
Voici donc, par ordre alphabétique du genre, le champ lexical de l'habillement présent dans le
corpus étudié :
1. Accessoires : accessoire / accessoirisation ; bracelet électronique ; canne ; cape ; cravate ;
éventail ; gant / ganté ; écharpe ; foulard ; lunettes ; mitaines ; parapluie ; pipe ; Ray-Ban ;
tablier.
2. Bijoux : alliance ; bagouze ; bijou ; boucles d'oreilles ; chaînette ; collier ; médaille /
médaillé.
57
3. Bas : bermuda ; culottes courtes ; froc ; minijupe ; pantacourt ; pantacuir ; pantalon ; pattes
d'eph' ; jean ; jupe ; short.
4. Chaussures : baskets ; bottes ; chaussons ; chaussures (- de sport ; paire de -) / chausser ;
Converse ; godasses ; godillots ; mules ; Nike ; rangers ; talons (- aiguilles) ; tennis.
5. Coiffures : bandana ; bandeau ; barrette ; béret ; bob ; bonnet ; Borsalino ; cagoule /
cagoulé ; casque / casquetté ; casquette ; chapeau ; coiffe / coiffé ; couronne ; foulard ;
heaume ; hijab ; mitre ; Stetson ; tchador ; voile / voilé.
6. Détails : boutons / reboutonner ; bretelles ; col ; décolleté ; épaulette ; éperons ;
fanfreluche ; froufrou ; jabot ; lacets ; manches ; pli ; poche ; ruban ; semelles ; talons.
7. Ensembles : armure ; bleu de travail ; bikini ; combinaison / combi ; complet / costume /
costard (- cravate ; - sur mesure) ; coque ; cotte ; djellaba ; jogging ; kimono ; maillot de bain ;
nuisette ; pagne ; peignoir ; pyjama ; robe (- de mariée ; - d'avocat ; - de chambre ; - de
soirée ; - du soir) ; salopette ; sari ; scaphandre ; smoking ; survêtement / survêt ; tailleur ;
toge ; tunique ; uniforme ; yukata.
8. Hauts : chemise ; chemisier ; corsage ; débardeur ; gilet ; maillot ; marcel ; polo ; poncho ;
pull (- over) ; sweatshirt / sweat (- à capuche) ; tricot ; t-shirt.
9. Sacs : attaché-case ; baluchon ; malle ; sac (- à main ; - à dos) ; sacoche ; valise.
10. Sous-vêtements : bas ; calbar / caleçon ; chaussette ; collant ; culotte ; dessous ; moulebite / moule-burne / slip ; socquette ; sous-vêtement ; soutien-gorge / soutif (- push-up) ;
string.
11. Surtouts : anorak ; blouson ; doudoune ; imperméable / imper ; loden ; manteau
(chinchilla ; fourrure) ; pardessus ; perfecto ; veste.
12. Termes généraux : accoutrement ; affublé ; attifé ; changer / changement ; costume
[habit traditionnel ; panoplie ; tenue ; uniforme] (- de protection) ; déguenillé ; (se) draper ;
épaisseur ; endimanché ; endosser ; enfiler ; essayer / essayage (séance d' -) ; garde-robe ;
habit / déshabiller / (s') habiller / habillé / (se) rhabiller / rhabillé ; oripeau ; panoplie ; passer ;
porter / porté ; vêtement (couches de -) / vestimentaire / revêtir / revêtu / vêtir / vêtu ; tenue (d'apparat ; - de prière ; - de ville ; petite - ; - traditionnelle).
58
B. Les autres champs lexicaux
De plus, au cours de notre enquête historiographique, nous avons relevé au moins trois
autres champs lexicaux qui permettent de faire référence de façon indirecte au costume de
cinéma :
1. Le champ lexical de la couture et de la blanchisserie : acrylique ; amidon / amidonné ;
bure ; Cajoline ; ciré ; coupe ; couture ; cuir ; dentelle ; drapé ; étoffe ; feutre ; fourrure ;
imprimé ; jean ; laine (alpaga ; cachemire ; mérinos) ; lycra ; machine à coudre ; mite ;
recoudre ; repriser ; résille ; satin ; soie ; tissu (- imprimé) ; tricot ; velours.
2. Le champ lexical du déguisement : apparence ; costumé ; (se) déguiser / déguisé /
déguisement ; masque ; métamorphose ; mimétisme ; paraître ; travestir / travesti /
travestissement.
3. Le champ lexical de la mode : défilé ; fashion (- culture ; - victim) ; haute-couture ;
imitation ; look / relooker ; mannequin ; marques52 (- de fringues) / Adidas / Brook Brothers /
Calvin Klein / Chanel / Demonia / Gola / H&M / Lanvin / Marlboro Classics / Missoni /
Nike / Paul Smith / Reebok ; mode / anti-mode.
Les champs lexicaux de la mode et de la couture participent à la description du costume à
l'écran tandis que celui du déguisement est employé notamment lorsque celui-ci intervient
directement dans l'intrigue, comme c'est le cas dans l'exemple suivant :
« Travesti en jeune druidesse par Adamas, qui vient d'une famille où l'on aime décidément à
se déguiser, Céladon se mêle à la fête. Paraître aux yeux de qui ne le sait pas encore, par la
grâce du déguisement : le plus shakespearien des stratagèmes ouvre la dernière ascension du
film, une ligne intense dont la jubilation se nourrit du rêve éveillé que la protection des
apparences offre aux amants.53 »
La référence au costume de cinéma peut sembler ici moins évidente, à la fois du fait de
l'absence d'un vocabulaire proprement descriptif et de la particularité de ce cas de figure où le
costume, tout en conservant son statut de costume de cinéma, adopte dans l'intrigue du film la
52
Nous avons rangé les marques utilisées comme noms communs dans le champ lexical de l'habillement et celles
utilisées comme qualificatifs dans le champ lexical de la mode. La marque « Nike » est utilisée des deux façons
et donc délibérément présent dans les deux catégories.
53
MACÉ, Arnaud. « Des bergers dans le vent ». Cahiers du Cinéma, n° 626, septembre 2007, p. 20-22 [à propos
de Les Amours d'Astrée et de Céladon d'Éric Rohmer].
59
fonction de déguisement : il ne sert pas seulement à travestir l'acteur mais également a
modifier l'apparence du personnage de sorte à le rendre méconnaissable. Il s'agit néanmoins
d'une référence indirecte au costume de cinéma dans la mesure où l'usage du champ lexical du
déguisement donne à imaginer le costume.
La richesse et la diversité du vocabulaire employé par les critiques pour y faire
référence atteste donc bien de la visibilité critique du costume de cinéma, présent bon gré mal
gré dans un quart des articles étudiés. Il est néanmoins traité de façon particulière et s'il
constitue bien un objet d'attention cela ne signifie pas pour autant qu'il constitue un objet
critique. Nous tenterons donc à présent une analyse de la connotation critique du costume de
cinéma dans les Cahiers du Cinéma.
Section 2- De la connotation critique du costume de cinéma
À la lumière des résultats « bruts » exposés dans la section précédente ainsi que
d'extraits d'articles tirés du corpus étudié (l'intégralité des extraits d'articles faisant référence
au costume de cinéma sont disponibles en annexe), nous analyserons la manière dont le
costume de cinéma fait l'objet d'attention afin d'expliquer ce que cela implique quant à sa
connotation critique, c'est-à-dire à la manière dont il fait l'objet de jugement.
I.
Le costume de cinéma comme objet d'attention
Nous verrons que si le costume de cinéma constitue parfois un objet d'attention en tant
que tel, il se fait le plus souvent oublier au profit du vêtement, dépossédé de ce qui en fait un
élément technique du film.
60
A. Le vêtement au détriment du costume de cinéma
Nous pouvons considérer que dès lors qu'il y a référence directe au costume de cinéma
dans la critique, celui-ci constitue un objet d'attention en soi dans la mesure où il est
directement et clairement évoqué. Néanmoins, nous avons vu que les références directes au
costume de cinéma sont relativement rares et qu'il est le plus souvent évoqué de façon
indirecte, par le biais de la description.
Si le costume de cinéma fait l'objet d'attention, c'est en fait principalement en tant qu'élément
visuel du film et non comme un élément technique qui a fait l'objet d'une élaboration
particulière. Comme nous l'avons vu, le costume écrit ne saurait théoriquement rendre compte
que du costume-image et non du costume réel qui s'efface à l'écran ; il aurait néanmoins été
légitime de supposer qu'il en soit autrement dans l'exercice critique dans la mesure où pour
construire sa critique, un critique de cinéma mobilise non seulement sa perception du film lors
de sa visualisation mais également ses connaissances du cinéma, de sa technique et de son
histoire.
Il semble toutefois que le critique de cinéma, qui constitue un spectateur sinon expert au
moins averti, oublie tout comme le profane le costume au profit du vêtement à travers sa
transfiguration du réel à l'écran ou, plus précisément, la fonction du costume de cinéma, qui
est d'habiller l'acteur au profit des finalités du vêtement signifiées par le costume-image.
Paradoxalement, si nous pouvions établir une distinction entre le vêtement et le costume réel
dans la mesure où le premier est compris dans le second, porteur d'une finalité non plus
seulement pratique mais également technique, vêtement et costume-image se confondent.
C'est donc principalement en tant que vêtement, dépouillé de toute finalité technique, que le
costume de cinéma fait l'objet d'attention dans la critique.
En témoigne la faiblesse des références directes au costume au profit d'une description des
vêtements tels qu'on les voit à l'écran à l'aide du champ lexical de l'habillement ainsi que
l'emploi des verbes relatifs à l'habillement qui est révélateur de la place paradoxale qu'occupe
le costume de cinéma dans la critique. En effet, c'est bien souvent le personnage qui « porte »
le vêtement au détriment de l'acteur, sauf dans les cas où le critique fait intervenir une
remarque concernant le jeu de l'acteur. Sur 17 occurrences du verbe « porter » (utilisé comme
synonyme d'endosser) seulement quatre renvoient aux acteurs - en l'occurrence, aux actrices.
Dans l'extrait suivant, par exemple, cela a pour but de louer la prestation de l'actrice :
61
« La scène épate d'autant plus que Drew Barrymore y porte avec chien des lunettes fumées
accordées à un look seventies.54 »
B. Un désintérêt pour la technique
Même quand le costume est directement évoqué dans la critique, c'est rarement d'un
point de vue technique. Le créateur de costume n'apparaît pas systématiquement dans la fiche
technique du film et même quand c'est le cas le costume ne fait pas nécessairement l'objet
d'attention dans l'article qui lui est associé. Seuls deux articles (écrits par le même auteur)
parmi les 1262 étudiés font clairement référence à la technique puisqu'ils évoquent les «
costumiers » pour le premier et la « chef costumière » pour le second :
« De ce détail au film dans son ensemble, l'échec d'Oliver Twist tient à la même vanité de la
performance. Décorateurs, menuisiers, peintres, costumiers... l'industrie a bien travaillé, la
reconstitution du Londres de Charles Dickens, précise et monumentale, impressionne un
temps. On s'y croirait. Mais on n'y est pas, faute de chair, de vie.55 »
« La chef costumière dit avoir conçu les tenues du héros en prenant comme modèle, non
l'homme de la rue, mais la star représentative de chaque décennie : Gary Cooper pour les
années 1940, James Dean et Marlon Brando pour les fifties, Steve McQueen pour les sixties.
Au passage, l'acteur Brad Pitt incarne donc chacun de ses prédécesseurs dans la lignée de
stars qu'il est sensé prolonger.56 »
Toutefois, si le premier des deux extraits relève bien de l'exercice critique et constitue un
exemple révélateur de la place paradoxale du costume de cinéma qui se doit d'être impeccable
tout en sachant se faire oublier et, comme nous allons le voir, de l'image ambivalente dont il
fait l'objet dans la critique, le second relève de l'exercice journalistique puisque l'auteur
rapporte les propos de Jacqueline West, la chef costumière du film L'Étrange Histoire de
Benjamin Button (David Fincher, 2008).
54
TESSÉ, Jean-Philippe. « Le Come-Back de Marc Lawrence ». Cahiers du Cinéma, n° 622, avril 2007, p. 50.
NEYRAT, Cyril. « Oliver Twist de Roman Polanski ». Cahiers du Cinéma, n° 605, octobre 2005, p. 40-41.
56
NEYRAT, Cyril. « L'âge des images ». Cahiers du Cinéma, n° 642, février 2009, p. 12-14 [à propos de
L'Étrange Histoire de Benjamin Button de David Fincher].
55
62
Ces deux exemples permettent néanmoins de souligner que le costume de cinéma peut
prendre plusieurs significations dans l'exercice critique, qui ne relèvent pas nécessairement du
jugement mais aussi, par exemple, de l'information. Nous verrons à présent de quelle manière
se manifeste la connotation critique du costume de cinéma dans les Cahiers du Cinéma.
II.
Quelle critique possible pour le costume-image?
Nous étudierons à présent à travers quelques exemples la connotation critique du
costume de cinéma tout en rappelant qu'il constitue un objet critique largement négligé.
A. Les critiques du costume de cinéma
Les références directes au costume de cinéma sont particulièrement intéressantes dans
la mesure où elles sont généralement porteuses d'une connotation critique révélatrice de
l'image ambivalente et de l'exigence dont le costume de cinéma fait l'objet parmi le public
particulier que constituent les critiques de cinéma.
Si la beauté des costumes d'un film est appréciée, une trop grande recherche dans
l'esthétique des costumes parasite le film dans la mesure où elle détourne le spectateur de ce
qui est important, l'intrigue, et confère au film un aspect « décoratif ». qui prend sous la plume
du critique, le sens d'« accessoire » :
« (...) on voit surtout des danses traditionnelles et contemporaines, solitaires ou collectives ;
des décors volontairement nus, bricolés et pourtant grandioses ; un foisonnement d'étoffes et
de couleurs, de costumes et d'accessoires.57 »
« Mise à plat des matières : la texture générale s'avère décorative - jolis décors, jolis
costumes, joli vernis jaunâtre de la photographie, joli jazz de piano-bar, comme si un
trompettiste se cachait toujours dans le placard.58 »
57
THIRION, Antoine. « Le feu aux poudres ». Cahiers du Cinéma, n° 633, avril 2008, p. 49 et 51 [à propos de
Opera Jawa de Garin Nugroho].
63
Dans le premier extrait, les costumes, bien que « foisonnants » sont associés à la grandeur
simple du décor tandis que dans le deuxième extrait, l'utilisation péjorative du mot
« décorative » associée à cette liste de « jolis » signifie que le critique attend plus d'un film
que son caractère esthétique. Roland Barthes, qui s'intéresse quant à lui au costume de théâtre,
appelle cela la « maladie esthétique ». soit « l'hypertrophie d'une beauté formelle sans rapport
avec la pièce.59 »
De même, le caractère spectaculaire des costumes n'est pas nécessairement une qualité
pour le critique dans la mesure où il étouffe l'art cinématographique :
« Beaucoup d'effets spéciaux, d'ivresse du pouvoir, de costumes chatoyants, d'Oedipe
exubérant, de dames peu vêtues et siliconées, de paysages vus du ciel montés cut avec du gros
plan "au cœur de l'action" (le fameux choix du point de vue à Waterloo, Stendhal ou Hugo,
Stone s'en fiche comme de son premier pixel).60 »
La recherche de spectaculaire à laquelle participe le costume ne cache pas l'enjeu économique
du film, notamment des grosses productions qui, comme nous l'avons vu dans le chapitre
précédent, ont recours à ce genre de procédé. Roland Barthe parle de « maladie de l'argent »
et dit à ce propos :
« C'est une maladie très fréquente dans notre société, où le théâtre est toujours l'objet d'un
contrat entre le spectateur qui donne son argent, et le directeur qui doit lui rendre cet argent
sous la forme la plus visible possible ; or il est bien évident qu'à ce compte-là, la somptuosité
illusoire des costumes constitue une restitution spectaculaire et rassurante.61 »
Ce que Barthes dit en 1955 à propos du théâtre est aujourd'hui valable à propos du cinéma,
aussi le critique de cinéma signifie-t-il qu'il n'est pas dupe des intentions du film.
58
AUBRON, Hervé. « À plat ». Cahiers du Cinéma, n° 617, novembre 2006, p. 30-31 [à propos de Le Dahlia
noir de Brian De Palma].
59
BARTHES, Roland. « Les maladies du costume de théâtre ». Théâtre populaire, n° 12, mars-avril 1955.
60
FRODON, Jean-Michel. « Alexandre d'Oliver Stone ». Cahiers du Cinéma, n° 597, janvier 2005, pp. 51-52 :
61
BARTHES, Roland. Op. cit.
64
Enfin, les critiques s'intéressent au réalisme des costumes mais de façon assez
paradoxale. D'une part, les costumes d'un film se doivent être réalistes à la fois du point de
vue de la conformité historique mais aussi de leur crédibilité :
« D'époque? Par la vitre des berlines s'aperçoit pourtant plus d'une Twingo verte, tandis qu'à
l'arrière-plan, sur le boulevard Saint-Germain, s'attardent quelques badauds de 2005 en
baskets Gola. Pire, les costumes sentent la mite ou au contraire l'amidon (...).62 »
Cet extrait illustre ce double écueil : à en croire le critique, non seulement les costumes de J'ai
vu tuer Ben Barka (Serge Le Péron, 2005) présentent des anachronismes flagrants mais ils
détonnent par leur grossièreté, si bien que les acteurs ont l'air déguisés et le costume ne se fait
pas oublier comme il le devrait.
D'autre part, les films en costumes d'époque impliquant une reconstitution historique
minutieuse ont plutôt « mauvaise presse » dans la critique de cinéma :
« Plus honorable que bien des costumades grand-bretonnes, Jane étonne cependant par ce
contournement de l'écriture, c'est-à-dire du féminisme.63 »
L'utilisation du néologisme péjoratif « costumade » pour faire référence au film en costume
indique clairement l'opinion négative de son auteur à ce sujet. Aussi, pour le critique un film
en costumes d'époque réussi est souvent un film réussi malgré les costumes, qui revêtent
tantôt lourdeur (extrait n°1), désuétude (extrait n°2), voire passéisme (extrait n°3) :
« Il aura suffit de quelques plans, la proximité et la distance, la pudeur et l'empathie, une
élégance discrète du cadre en contrepoids aux excès des costumes et des décors.
L'inexplicable miracle de Virgin Suicides et des Lost in translation se répète ici, malgré des
obstacles - lourdeur de la production, lourdeur de la référence historique - très
supérieurs.64 »
« Décors, costumes, chapeaux et bijoux, auraient tout pour fabriquer encore un film
d'antiquaire, et il y a mille motifs de redouter cet enlisement (...), la marque de Frears est
d'allier à des choix d'objets et de matières réellement gracieux un irréductible humour. (...)
62
BURDEAU, Emmanuel. « Série BB ». Cahiers du Cinéma, n° 606, novembre 2005, p. 39 [à propos de J'ai vu
tuer Ben Barka de Serge Le Péron].
63
GARSON, Charlotte.. « Jane de Julian Jarrold ». Cahiers du Cinéma, n° 627, octobre 2007, p. 36.
64
FRODON, Jean-Michel. « La vive folie de l'étrangère ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai 2006, pp. 36-38 [à
propos de Marie-Antoinette de Sofia Coppola].
65
En quoi ses films se distinguent des innombrables films "à déco", à commencer par ceux de
James Ivory.65 »
« Subsiste cependant ceci, seule réserve et vraie question : l'amour du verbe paraît ici s'allier
naturellement avec certaine affectation de passéisme, décors et costumes surannés, gestes
guindés des messieurs (dont l'élocution est parfois délicate à saisir), dames en robes vieille
France – comme si le choix du parlé signifiait aussi, étrange exil, retrait mi-dandy mi-ringard
hors de l'époque.66 »
Lorsqu'il réussit un film en costume, le mérite du cinéaste semble donc d'autant plus
important que la gageure était de taille aux yeux du critique, pour qui la réalisation d'un film
en costume ne peut relever que du défi, comme l'indique le commentaire suivant :
« Au commencement, le panache. Travailler l'aventure en costumes.67 »
La position du critique vis-à-vis du film en costume semble en fait relever d'une lassitude visà-vis d'un genre de film, les films en costume d'époque, accusé de pécher systématiquement
par excès sans se renouveler, que cela soit par excès d'esthétisme, de spectaculaire ou de
vérisme. Barthes parle de « maladie du vérisme » qu'il définit comme « l'hypertrophie de la
fonction historique » et consiste à privilégier la reconstruction historique au détriment de la
pièce avec pour conséquence que l'« on voit bien que c'est vrai, et pourtant l'on y croit pas.68 »
Bien qu'il ne le soit que de façon implicite entre 2005 et 2009, le film en costume d'époque est
taxé d'académisme et la remarque formulée par le critique Thierry Jousse dans les Cahiers du
Cinéma en 2000, semble être encore valable dans la deuxième moitié des années 2000 :
« Par une restriction curieuse, ce mot d'académisme s'applique aujourd'hui essentiellement
aux films d'époque comme si l'habit faisait forcément le moine. Même les défenseurs de ces
films se croient le plus souvent obligés d'énumérer les pièges à éviter, comme si on ne pouvait
produire du film en costume qu'une critique privative. 69»
65
FRODON, Jean-Michel. « Rire sous cape de velours ». Cahiers du Cinéma, n° 644, avril 2009, p. 34 [à propos
de Chéri de Stephen Frears].
66
BURDEAU, Emmanuel. « Mystification ou l'histoire des portraits de Sandrine Rinaldi ». Cahiers du Cinéma,
n° 599, mars 2005, p. 46.
67
MÉRANGER, Thierry. « Voleurs de chevaux de Micha Wald ». Cahiers du Cinéma, n° 628, novembre 2007,
p. 44.
68
BARTHES, Roland. Op. Cit.
69
JOUSSE, Thierry. « L'habit ne fait pas l'académisme ». Cahiers du Cinéma, n° 548, juillet-août 2000, pp. 4243.
66
B. Un objet critique négligé
Si les références directes au costume de cinéma présentent quasi-systématiquement
une connotation critique, ce n'est pas le cas des références indirectes, bien plus nombreuses,
qui n'en comportent que dans quelques rares cas exceptionnels. De plus, si critique il y a,
celle-ci relève alors davantage du jugement de valeur que d'une distanciation vis-à-vis de
l'objet. Or, selon Jean-Michel Frodon, celle-ci constitue le véritable sens de la critique qui ne
se réduit pas à la rupture et l'affrontement, bien qu'ils en constituent des manifestations
possibles (Frodon, 2008 : 9).
Les qualificatifs accolés aux unités vestimentaires décrites dans les articles étudiés témoignent
de cet aspect de l'exercice critique qui, rappelons le, constitue avant tout l'opinion d'un
auteur :
« Affublé dans ce film-ci d'un improbable costume fraise-praliné, il déploie un allant dans les
scènes de lit (plus souvent ailleurs que dans un lit) qui n'a d'égal que son impondérable
alliage d'humour et de mélancolie en toutes circonstances.70 »
Ici, le qualificatif « improbable » engage le jugement du critique qui signifie que ledit
costume n'est pas de son goût. En revanche, le qualificatif « fraise-praliné » sert la description
dudit vêtement, comme c'est le cas de la plupart des qualificatifs qui lui sont associés à travers
les références indirectes au costume de cinéma.
Étant donné la faiblesse relative des articles faisant directement référence au costume
de cinéma, qui ne sont eux-mêmes pas tous porteurs d'une connotation critique, nous pouvons
conclure que le costume de cinéma, bien qu'il fasse effectivement l'objet d'attention, constitue
un objet critique très largement négligé et dont les possibilités critiques sont sous-exploitées
(son aspect technique, notamment). Pour comprendre l'attention dont il fait néanmoins l'objet,
il convient à présent d'analyser les autres connotations dont il est porteur à travers l'exercice
critique, qui s'expliquent par les enjeux particuliers de ce champ d'études.
70
FRODON, Jean-Michel. « Comique de combat ». pp. 31-32 [à propos de L'Histoire de Richard O. de Damien
Odoul].
67
CHAPITRE IV- LES USAGES DU COSTUME ECRIT DANS LA
CRITIQUE DE CINEMA
Dans le chapitre précédent, nous avons évalué la visibilité critique du costume de
cinéma et expliqué qu'elle peut être porteuse d'une connotation critique, mais que celle-ci
reste largement minoritaire. Ce chapitre a donc pour objectif d'expliquer l'attention portée au
costume de cinéma dans la critique. Nous répondrons donc à la question suivante : Pourquoi
s'intéresse-t-on au costume de cinéma dans la critique?
Pour répondre à cette question, il convient de revenir sur les spécificités et enjeux de ce
champ d'étude particulier. En effet, la critique de cinéma peut être considérée comme un
champ social selon l'acception bourdieusienne du terme aux confins entre les champs
cinématographique, journalistique et littéraire et avec lesquels la critique est en interaction.
Le terme « critique » renvoyant à des réalités différentes, il est à présent nécessaire d'effectuer
une mise au point terminologique. Nous distinguerons par souci de clarté l'exercice critique
de la critique de cinéma dans son ensemble. Nous considérerons celle-ci comme « tout
énoncé qui, même à propos d'un seul film, porte un point de vue sur un ensemble plus large,
auquel se réfère, volontairement ou pas, le film qui suscite l'exercice critique » (Frodon,
2008 : 27) ; ce dernier constituant quant-à-lui l'activité littéraire consistant à juger les œuvres
d'art exercée par le critique.
La critique de cinéma constitue donc le système littéraire au sein duquel s'inscrit la structure
verbale du costume de cinéma dont nous avons appréhendé la richesse dans le chapitre
précédent, suggérant la place prépondérante de la description dans l'exercice critique, qui
consiste dans ce cas particulier à transformer un objet visuel en langage - contrairement à la
littérature, par exemple, où la description s'appuie sur un objet caché (Barthes, 1967 : 24).
Afin de comprendre les usages du costume de cinéma dans ce dernier, nous nous attarderons
dans un premier temps sur les spécificités et enjeux qui sous-tendent le champ de la critique
de cinéma, avant d'expliquer dans un second temps les fonctions de la description dans
l'exercice critique et les connotations dont le costume de cinéma est porteur à travers sa
description dans le système littéraire particulier que constitue la critique de cinéma.
68
Section 1- La critique et le critique : Retour sur les enjeux
d'un champ d'études
Afin de comprendre les logiques relatives au champ de la critique cinématographique,
nous tenterons dans un premier temps une définition générale de la critique de cinéma en
expliquant les enjeux qu'elle représente vis-à-vis du champ cinématographique dans son
ensemble et entre les revues spécialisées en particulier, dont les Cahiers du Cinéma qui
constituent notre terrain d'enquête. Dans un second temps, nous nous intéresserons à l'agent
central de notre champ d'étude, le critique de cinéma, à ses motivations ainsi qu'à sa façon
d'appréhender l'exercice critique, qui constitue avant tout un engagement personnel.
I.
La critique et le cinéma : Présentation des enjeux
Nous expliquerons dans un premier temps les éléments caractéristiques de la critique
de cinéma, détentrice d'un capital symbolique, qui constitue l'objet de luttes entre les agents
du champ cinématographique dans son ensemble et du champ de la critique de cinéma en
particulier, ce que nous verrons dans un second temps.
A. La notion de critique de cinéma : Tentative de définition
Il convient de préciser que nous nous intéressons à l'une des formes que prend la
critique de cinéma parmi celles existantes : la critique de cinéma dans la presse spécialisée.
L'exercice critique y constitue donc un exercice littéraire défini par un cadre institutionnel
particulier. Cela exclut non seulement la critique cinématographique radiophonique et
télévisuelle, mais aussi les critiques cinématographiques issues de la presse généraliste
(quotidienne ou hebdomadaire) et intermédiaire (c'est-à-dire les revues dans lesquelles le
cinéma occupe une place importante mais qui ne lui sont pas entièrement dédiées, comme Les
Inrockuptibles, Télérama, etc.).
69
De même, nous ne nous intéressons qu'à la critique professionnelle et non à la critique
amateur, ce qui exclut aujourd'hui une frange de la critique qui s'est développée sur internet
constituée par les commentaires publiés sur les espaces communautaires. En effet, si François
Truffaut, qui jugeait en 1972 que le cinéma était le seul art resté populaire sur lequel tout le
monde pouvait encore librement s'exprimer, disait « tout le monde a deux métiers : le sien et
critique de cinéma » (source : Institut National de l'Audiovisuel - INA), le critique
professionnel et le profane s'expriment selon des modalités différentes.
Il reste cependant difficile de donner une définition précise de la critique de cinéma pour la
simple et bonne raison qu'il n'en existe pas une mais plusieurs. En effet, quand bien même
nous nous intéressons au cas précis de la critique de cinéma dans la presse spécialisée, la
notion de critique renvoie à des méthodes, des approches et des ambitions différentes.
Néanmoins, nous pouvons en relever les principales caractéristiques afin d'en expliquer les
enjeux.
Nous définirons la critique de film comme le procédé consistant à juger les œuvres
cinématographiques. Néanmoins, si la critique de cinéma, qui comporte quant-à-elle un
jugement plus général sur le cinéma et sa dimension artistique, est a priori à distinguer de la
critique de film qui ne concerne qu'un film en particulier, nous considérerons comme JeanMichel Frodon que la première est inévitablement présente dans la seconde, même si c'est de
façon involontaire (Frodon, 2008 : 27), dans la mesure où le critique n'est pas seul face au
film mais accompagné de son bagage culturel, de ses attentes du cinéma et du contexte
entourant le film (autres sorties cinéma, films du même réalisateur, etc.).
La critique a d'ailleurs cela d'intéressant qu'elle présente une certaine « idée du cinéma »
(ibid.). En effet, comme nous l'avons vu, « si la nature artistique du cinéma fonde la démarche
critique, réciproquement c'est la critique qui vient sans cesse réaffirmer la dimension
artistique du cinéma » (Frodon, 2008 : 44). Bien qu'elle ne constitue pas une autorité
incontestable comme les autres critiques artistiques dans la mesure où le cinéma est encore
considéré comme un art relativement populaire, la critique de cinéma donc est détentrice d'un
capital symbolique particulier au sein du champ cinématographique : elle constitue une source
de légitimation de l'œuvre cinématographique en lui conférant une valeur symbolique.
C'est pourquoi la critique de cinéma est l'objet d'intérêt de la part des autres acteurs du champ
cinématographique, notamment des sociétés de production pour qui reconnaissance publique
est synonyme de gain économique. En effet, si le rôle de la critique dans le choix des
70
spectateurs d'aller voir un film, évalué à environ 7% (Frodon, 2008 : 42), paraît faible, elle
n'est pas à négliger selon Jean-Michel Frodon, qui considère que qu'elle « pèse un poids très
supérieur aux 7% auprès de groupes de spectateurs restreints mais ayant un rôle qui peut être
décisif ». notamment pour les films ne disposant pas de moyens de production élevés et dont
la carrière commerciale n'est pas nécessairement assurée (Frodon, 2008 : 42-43).
B. La place des Cahiers du Cinéma dans le champ de la critique
Non seulement il s'opère au sein du champ cinématographique une lutte pour la
reconnaissance symbolique, mais il se produit au sein du sous-champ de la critique de cinéma
une lutte pour le capital symbolique de légitimation artistique du cinéma, soit pour la
définition même du cinéma et indirectement pour une conception particulière de l'exercice
critique.
Les Cahiers du Cinéma, qui constituent notre terrain d'enquête, s'inscrivent historiquement
dans cette lutte pour le capital symbolique en opposition à la revue Positif. Bien que la
« guerre des revues » ne revête aujourd'hui qu'un caractère artificiel et symbolique, des
divergences quant à la conception de l'exercice critique perdurent.
Dès le début des années 50, les critiques des Cahiers du Cinéma, les « Jeunes Turcs ». dont la
plupart passeront à la réalisation dans les années 60 au sein du mouvement cinématographique
de la « Nouvelle Vague ». élaborent la « Politique des auteurs » qui, en mettant le cinéaste au
cœur de la réalisation, affirme la dimension artistique du cinéma. Dans un contexte politique
tendu, marqué par la guerre froide et la Guerre d'Algérie, les critiques majoritairement de
gauche de la revue Positif prônent un cinéma engagé et reprochent l'absence de prise de
position politique des Cahiers, accusés de dérives droitières.
De cette opposition historique entre les Cahiers du Cinéma et Positif persistent deux lignes
éditoriales particulières. Jean-Michel Frodon les résume comme suit (Frodon, 2008 : 58) :
« (...) on peut dire que Positif, tout en revendiquant ses goûts critiques, privilégie un rapport
descriptif au cinéma, fondé sur le contenu des films et l'accumulation des connaissances,
tandis que les Cahiers incarnent un rapport plus aventureux, plus exploratoire vis-à-vis de ce
qui se joue dans les films et entre eux, au nom de ce qu'engagent les choix de mise en scène. »
71
Il semble donc schématiquement que la revue Positif s'intéresse davantage au fond, au
contenu, et les Cahiers du Cinéma à la forme, à l'esthétique de l'œuvre cinématographique.
Ceci pouvant constituer un facteur explicatif de l'importance de la description du costume de
cinéma dans l'exercice critique, dans la mesure où, comme nous l'avons vu au chapitre II, il
participe en tant qu'élément visuel du film à l'esthétique du film. Il convient à présent de
s'intéresser de plus près à l'exercice critique et aux enjeux qu'il représente pour le critique de
cinéma.
II.
Le critique de cinéma et l'exercice critique
Nous analyserons dans un premier temps la place du critique dans le champ de la
critique de cinéma, avant de nous intéresser au travail d'écriture à proprement parler que
constitue l'exercice critique.
A. La place du critique dans le champ de la critique de cinéma
Dans un contexte de lutte pour la reconnaissance symbolique, le critique de cinéma est
soumis à des pressions, liées à la nature de son travail. Le critique de cinéma est titulaire du
double statut de journaliste et de journaliste spécialisé, il dispose non seulement de la carte de
presse mais de la carte de critique de cinéma. De ce fait, il est en contact direct avec les
attachés de presse des sociétés de distribution, qui ont pour objectif de promouvoir les films
auprès des médias, et son travail s'appuie donc sur le matériel et les outils promotionnels qui
lui sont destinés : dossiers de presse, projections de presse et, plus récemment, screeners
(DVD destinés aux acheteurs et aux critiques).
Les distributeurs, conscients de l'enjeu que constitue un avis critique favorable, adoptent donc
des stratégies dans le but d'acquérir cette valeur symbolique, qui vont jusqu'aux cadeaux
(offres de voyage, rencontres avec les artistes, gadgets...) mais aussi aux menaces. En effet,
les distributeurs, qui sont aussi annonceurs publicitaires, disposent d'un moyen de pression
vis-à-vis de la presse qui dépend financièrement de l'achat d'encarts publicitaires. De plus, les
sociétés de
distribution font parfois partie
du même
groupe
que les revues
72
cinématographiques. Inversement, le critique est sollicité comme défenseur des productions
indépendantes au nom de leur position de faiblesse.
Dans ce contexte de travail, l'enjeu pour le critique est de conserver son indépendance d'esprit
et sa liberté d'écriture afin d'accéder à la reconnaissance de ses pairs et du public et ainsi
préserver sa légitimité. En effet, la motivation du critique, bien qu'il puisse se réjouir d'avoir
contribué à son succès, ne se trouve pas dans la promotion d'un film qu'il a aimé (Frodon,
2008 : 37), elle est a cherché dans l'essence même de l'exercice critique.
B. La place de l'écriture dans l'exercice critique
À la base de l'exercice critique, se trouve un élan commun à la plupart des spectateurs
après avoir vu un film, et plus généralement au public face à l'œuvre d'art : le « désir de
parole » (Frodon, 2008 : 28). Il est d'autant plus grand si le cinéma revêt la forme d'une
passion. La critique de cinéma dans la presse écrite spécialisée donne un cadre à cette passion,
qui est celui de l'écriture. Celle-ci constitue un élément essentiel de l'exercice critique. En
effet, pour Jean-Michel Frodon, il faut aimer deux choses pour devenir critique : voir des
films et écrire (Frodon, 2008 : 2-3).
Dans l'exercice critique, l'écriture va devenir pour le critique le moyen privilégié pour traduire
les émotions ressenties lors de sa rencontre avec l'œuvre. C'est pourquoi l'engagement critique
est avant tout un engagement personnel marqué par l'utilisation du « je ». que celui-ci soit
explicite ou implicite, et si l'exercice critique consiste à créer une distance vis-à-vis de l'objet,
celle-ci n'affiche pas une volonté d'objectivité, au contraire.
C'est pourquoi le style de l'écriture constitue un élément essentiel de l'exercice critique. En
effet, Jean-Michel Frodon déclare que « le style n'est pas, pour la critique, un ornement, il est
le moyen de construire des ponts entre deux modes d'expression différents (le cinéma et
l'écriture), et de produire de la pensée par la construction même de ce pont » (Frodon, 2008 :
18).
La critique de cinéma constitue donc un système d'écriture à la fois narratif et stylistique.
Narratif, dans la mesure où le critique n'écrit pas seulement pour lui mais pour être lu ; le
partage des impressions concernant un film implique donc nécessairement des références au
73
film (à son intrigue, à son esthétique ou à sa technique en fonction des idées que le critique
souhaite faire passer). Stylistique, dans la mesure où la forme de l'écriture va constituer en
quelque sorte la marque de fabrique du critique, le style de l'auteur, et va ainsi contribuer à sa
singularité au sein du champ.
Ce n'est donc que sous l'éclairage des enjeux liés à l'exercice critique et des
particularités du système littéraire particulier que constitue la critique de cinéma, que nous
pouvons comprendre la façon dont le costume de cinéma, alors costume-écrit, s'y inscrit et y
prend sens.
Section 2- Les connotations du costume-écrit dans la critique
de cinéma
Comme nous l'avons vu à travers la richesse et la diversité de l'inventaire
terminologique employé pour faire référence au costume de cinéma dans la critique, celui-ci
fait principalement l'objet de description. Celle-ci consiste à transformer un objet, ici le
costume-image, en langage. Afin de comprendre la place importante du costume-écrit dans le
corpus étudié, nous analyserons les fonctions de la description et expliquerons comment elles
se traduisent concrètement au sein de la critique de cinéma qui a la particularité de constituer
un système littéraire à la fois narratif et stylistique.
I.
Le costume-écrit au sein d'un système narratif
Après avoir expliqué la place de la description dans la critique de cinéma, nous nous
intéresserons à plus précisément à la description du costume de cinéma et à sa connotation
dans un système narratif.
74
A. La place de la description dans la critique de cinéma
La critique de cinéma constitue, comme nous l'avons vu plus haut, un système narratif
et ce notamment lorsqu'il s'agit précisément d'une critique de film, ce qui est le cas des articles
de notre corpus. En effet, la critique, s'appuyant sur un ou plusieurs film, comporte
nécessairement une part de récit.
Les critiques voient les films et publient leurs critiques dans les revues spécialisées avant leur
sortie en salle ; en principe, les spectateurs ont donc accès à la critique avant d'avoir accès au
film. Bien entendu tous les spectateurs n'accordent pas le même crédit à aux critiques, qui
suscitent aussi bien l'admiration que l'hostilité, et ceux qui lisent les critiques des revues
spécialisées ne le font pas pour les mêmes raisons. Pour certains, un avis favorable dans la
critique peut constituer l'élément déclencheur les poussant à aller voir le film ; d'autres les
liront après avoir vu le film, pour confronter leurs impressions ou chercher des éléments
explicatifs. Pour les premiers, la critique de film constitue parfois le premier contact avec le
film. Celle-ci se doit donc d'être compréhensible pour un public qui n'a pas vu le film et ne
sait pas nécessairement de quoi il parle ; c'est ici que la narration intervient.
Or, cette narration n'est pas le fruit de l'imagination du critique : elle est censée transposer le
film, un objet visuel, en langage et a donc recours à la description. Celle-ci fixe la perception
de l'œuvre et adopte une fonction d'information.
B. Le costume-écrit comme élément d'information
Le costume de cinéma, en tant qu'élément visuel du film par excellence, est donc
décrit dans la critique et fait l'objet de ce point de vue là d'une attention relativement
importante (toutes proportions gardées). En témoigne la richesse du champ lexical de
l'habillement relevé dans le chapitre précédent et notamment la récurrence du verbe « porter »
conjugué à la troisième personne du singulier (« il/elle porte... ») et du participe passé du
verbe « vêtir » (« vêtu(e) de... ») qui annoncent la description. De même, des qualificatifs et
précisions sont associés aux unités vestimentaires décrites.
75
L'attention est entre autre portée sur les couleurs (« chemise blanche ». « costume crème ».
« robe rouge »...), la matière (« manteau en fourrure ». « robe de bure ». « veste en cuir »...),
le motif (« écharpe écossaise ». « pyjama rayé ». « caleçon fantaisie »...), la marque (« baskets
Gola ». « tailleur imitation Chanel ». « chemise Marlboro Classics »...), la taille (« chapeau
trop grand ». « robe courte ». « talons trop hauts »...), l'esthétique (« beau pardessus ».
« blouson nul ». « improbable costume »...), le port (« chemise ouverte ». « lacets noués ».
« cravate desserrée »...), l'état (« godillots crottés ». « col amidonné ». « pantalon déchiré »...)
et la fonction sociale de l'unité vêtement (« robe de mariée ». « veste militaire ». « tenue
d'écolière »...).
La descriptions des costumes comporte deux types d'information dans la critique. D'une part,
elle permet de fournir une information au lecteur concernant l'intrigue qui se noue, et ce
notamment si le costume y joue un rôle actif :
« Ailleurs il se coupe en se rasant, à la limite du col et du cou, afin d'avoir l'alibi de s'isoler
pour changer de chemise quand il sera dans la Tanière du Loup où Hitler tient meeting
autour de ses généraux.71 »
L'unité vestimentaire est alors peu décrite en elle-même et s'inscrit dans une description plus
large qui est celle de la scène du film dans laquelle elle apparaît.
D'autre part, la description des costumes permet de dresser le portrait physique et/ou moral
des personnages à l'écran :
« À quoi pensent-ils, Hervé et Camel, l'un avec son pull-over marron à losanges, l'autre avec
ses habits de fan de métal, veste en jean sans manches, t-shirt à tête de mort?72 »
La description est alors généralement plus fournie et mobilise les différents types de
qualificatifs disponibles, que nous avons vus plus haut. Dans cet exemple, unités
vestimentaires (« pull-over ». « habits ». « veste ». « t-shirt »), couleur (« marron »), motifs
(« à losanges ». « à tête de mort »), matière (« en jean »), forme (« sans manche ») et même
« identité » (« habits de fan de métal ») se côtoient en l'espace de deux lignes et en disent déjà
long sur les personnages du film de Riad Sattouf : ce sont des adolescents lambda.
71
BURDEAU, Emmanuel. « Noire chevauchée ». Cahiers du Cinéma, n° 642, février 2009, p. 22-23 [à propos
de Walkyrie de Bryan Singer].
72
TESSÉ, Jean-Philippe. « Boys boys boys ». Cahiers du Cinéma, n° 646, juin 2009, p. 42 et 43 [à propos de
Les Beaux Gosses de Riad Sattouf].
76
II.
Le costume-écrit au sein d'un système stylistique
Afin de comprendre la place du costume-écrit au sein du système stylistique que
constitue la critique de cinéma, nous expliquerons dans quelle mesure les choix opérés dans la
description participent du style de l'auteur, avant de nous intéresser à la connotation
rhétorique du costume-écrit.
A. La description au service du style de l'auteur
Comme l'indique Roland Barthes à propos du vêtement, nous pouvons dire que le
costume décrit est un costume fragmentaire dans la mesure où « il est le résultat d'une série de
choix, d'amputations » : on nous dit certaines parties du costume et l'on en oublie d'autres
(Barthes, 1967 : 27). Dans l'extrait suivant par exemple, il est évident que l'acteur Shia
LaBeouf ne porte pas seulement une veste en cuir, mais aussi très probablement un t-shirt, un
pantalon et des chaussures (parmi les unités vestimentaires visibles à l'écran), néanmoins
seule celle-ci retient l'attention du critique :
« Ça continue par un retour aux années 1950 : Indiana a vieilli, son fils Mutt (Shia LaBeouf,
agréable) porte une veste en cuir et conduit une moto Brando (...).73 »
Ce choix résulte du style de l'auteur qui compare implicitement l'acteur d'Indiana Jones et le
royaume du crâne de cristal avec Marlon Brando dans L'Équipée sauvage (László Benedek,
1953). Si l'évocation de la veste contribue à dresser le portrait du personnage de Mutt, elle
constitue pour le critique un moyen d'attester sa propre connaissance du cinéma et participe de
ce fait à la légitimation de son propos.
De même, le choix même des mots employés pour décrire le costume de cinéma dans la
critique participe du style de l'auteur. En effet, en fonction du propos de l'auteur, ceux-ci ne
sont pas toujours les plus neutres et n'ont donc pas seulement une fonction d'information mais
aussi une fonction emphatique :
73
RENZI, Eugenio. « Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal de Steven Spielberg ». Cahiers du
Cinéma, n° 635, juin 2008, p. 45.
77
« Mesrine est un Montana décoloré, en costards beiges et ternes survêts acryliques.74 »
Dans cet extrait, qui comporte lui aussi une référence cinématographique - cette fois au
Scarface de Brian De Palma (1983) avec l'évocation du personnage de Tony Montana -,
l'auteur utilise délibérément les mots « costards » et « survêts » alors qu'il pourrait employer
les termes plus neutres de « costume » et « survêtement ». L'usage de mots familiers semble
ici vouloir coller à la figure de gangster « cheap » qui est décrite.
B. La connotation rhétorique du costume-écrit
Quelle que soit la fonction de la description du costume de cinéma (informative ou
emphatique), force est de constater qu'elle ne sert à rien d'un point de vue pratique. En effet,
même quand la description a un caractère informatif, celle-ci demeure fragmentaire et ne
constitue nullement un élément essentiel du récit.
Le costume écrit revêt donc parfois une connotation purement rhétorique. Comme le souligne
Roland Barthes à propos de la description de mode, celle-ci « ne vise pas à isoler certains
éléments pour en en louer la valeur esthétique, mais simplement à rendre intelligible d'une
façon analytique les raisons qui font précisément d'une collection de détails un ensemble
organisé ». le costume écrit constitue donc comme le vêtement écrit dans le journal de mode,
un « instrument de structuration » du récit (Barthes, 1967 : 28).
Dans l'extrait suivant par exemple l'évocation des « godasses » n'a pas de connotation
informative mais rhétorique, elle sert le trait d'esprit du critique :
« La récup’ est pourtant le motif esthétique de ce film étrangement bâclé, au nom d’une
idéologie du bout de ficelle et des clochards poétiques jusqu’au bout des godasses.75 »
Le costume de cinéma, s'il fait l'objet d'attention dans la critique, ne constitue donc pas
nécessairement un objet d'intérêt en soi mais un instrument servant les intérêts du critique, qui
s'approprie la valeur esthétique.
74
AUBRON, Hervé. « Appel à tous les postiches ». Cahiers du Cinéma, n° 639, novembre 2008, p. 61-62 [à
propos de Mesrine : l'ennemi public n°1 de Jean-François Richet].
75
TESSÉ, Jean-Philippe. « Micmacs à tire-larigot de Jean-Pierre Jeunet ». Cahiers du Cinéma, n° 650,
novembre 2009, p. 56-57.
78
CHAPITRE V- MARIE-ANTOINETTE ET LE TRAITEMENT
CRITIQUE D'UN FILM EN COSTUME
Ce cinquième et dernier chapitre, constitue une étude de cas et une ouverture à ce
mémoire de recherche. Il a pour objectif d'approfondir la réflexion menée dans cette partie à
travers l'étude comparée du traitement critique d'un film en particulier, Marie-Antoinette de
Sofia Coppola (2006).
D'une part, concentrer l'analyse sur un film en particulier prend un aspect pratique évident
dans la mesure où cela permet d'effectuer une comparaison de traitement entre deux revues et
donc d'aborder deux conceptions de l'exercice critique, au sein desquelles le costume de
cinéma n'occupe pas nécessairement la même place. Le choix de confronter les Cahiers du
Cinéma et Positif, les deux principales revues cinématographiques françaises s'est imposé
comme une évidence, du fait de le caractère historique et de leur opposition légendaire.
D'autre part, le film de Sofia Coppola présente un intérêt critique à plus d'un titre. Film en
costumes d'époque et film à caractère historique (puisqu'il prétend dépeindre - bien que
librement - la vie de Marie-Antoinette au château de Versailles), le costume de cinéma y
occupe une place essentielle et intervient même directement dans la narration du film.
De plus, bouleversant les codes d'un genre réputé conformiste et démodé, il suscite à la fois la
polémique et la reconnaissance symbolique. La polémique, du fait des libertés prises avec
l'Histoire et de l'interprétation particulière d'un épisode de l'Histoire de France du point de vue
de son personnage le plus controversé, la reine Marie-Antoinette d'Autriche ; la
reconnaissance symbolique puisque le film reçoit le prix de l'Éducation Nationale lors de la
59ème édition du Festival de Cannes en 2006. Cette reconnaissance est d'ailleurs symbolique à
double raison puisque Marie-Antoinette, « la reine de France la plus mise en scène au
cinéma76 ». est filmée par une américaine (la dernière mise en scène de Marie-Antoinette par
un américain date de 1938, il s'agit de Marie-Antoinette de W. S. Van Dyke). Celle-ci aurait
d'ailleurs été mise en garde contre « la réaction du public français, soit parce que les français
76
TULARD, Jean. « Marie-Antoinette, la reine de l'écran ». Le Figaro [en ligne], mis-à-jour le 13/08/2010
[consultation le 14 juillet 2012]. Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/cinema/2010/08/14/0300220100814ARTFIG00004-marie-antoinette-la-reine-de-l-ecran.php
79
n'aiment pas Marie-Antoinette, soit parce qu'ils n'aiment pas que d'autres traitent leur histoire
nationale.77 »
Par ailleurs, le film engendre des questionnements non seulement sur le costume de cinéma
(le film reçut l'Oscar de la meilleure création de costumes en 2007) et le film en costume
d'époque mais aussi sur le cinéma lui-même. Pour toutes ces raisons, il est pertinent de
s'intéresser à la réception critique du film et plus particulièrement dans la critique française,
où il semble faire l'unanimité (les Cahiers du Cinéma et Positif lui octroient respectivement
quatre et cinq étoiles sur cinq sur le site internet Allociné) alors même que le film en costume
d'époque a plutôt « mauvaise presse ». comme nous l'avons expliqué au chapitre III de ce
mémoire.
Nous expliquerons donc dans un premier temps l'intérêt critique que représente le film MarieAntoinette, à travers les questions qu'il soulève, avant d'analyser dans un second temps avec
précision, le traitement critique dont il fait l'objet dans les Cahiers du Cinéma et dans Positif.
Section 1- De l'intérêt critique du film Marie-Antoinette
Avant de nous attaquer au traitement critique à proprement parler dont MarieAntoinette fait l'objet, nous reviendrons sur les intérêts critiques que le film présente, c'est-àdire les questions qu'il soulève, soit les différentes façons possibles d'aborder le film, afin
d'appréhender celles qui sont privilégiées par les critiques.
Nous nous intéresserons dans un premier temps à l'originalité du film de Sofia Coppola, qui
« dépoussière » le genre du film en costume dont il bouleverse les codes, avant d'expliquer,
dans un second temps, dans quelle mesure ce film soulève un questionnement sur l'essence
même du cinéma et de quelle manière le costume de cinéma prend part à ce questionnement.
77
FRODON, Jean-Michel. « [Entretien avec] Sofia Coppola : Tout était possible du moment qu'on restait dans
l'esprit du film ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai 2006, pp. 24-28.
80
I.
Le renouvellement d'un genre cinématographique
Nous expliquerons ici l'originalité du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola qui tout
en appartement aux deux genres cinématographiques du film en costume d'époque et du film
historique (qui, comme nous l'avons vu, ne se confondent pas nécessairement), rompt avec les
codes du premier et s'autorise des libertés historiques.
A. Une reconstitution historique
Expliquons d'abord en quoi le film de Sofia Coppola constitue bel et bien une
reconstitution historique.
D'une part, le film prétend dépeindre la vie de Marie-Antoinette à Versailles. Plusieurs
« indices » en témoignent : outre le titre évocateur du film, celui-ci comporte des références
historiques précises bien que discrètes et figurant au second plan de l'intrigue.
En effet, le film ne comporte qu'une seule indication spatio-temporelle explicite au début («
Autriche, 1768 »), mais évoque néanmoins le contexte politique de l'époque à travers les
scènes de discussion diplomatique entre Marie-Antoinette et l'Ambassadeur Mercy (Steve
Coogan) ainsi que les scènes du Conseil du roi, qui visent à expliquer le déficit de la France
par son soutien à la Révolution Américaine. Dans la dernière partie du film, la référence
historique se précise avec la scène où le personnage de Marie-Antoinette s'imagine
prononçant la phrase restée célèbre que le peuple lui attribue (« Qu'ils mangent de la brioche!
» ou en anglais dans le film « Let them eat cake! ») ainsi que la fameuse scène historique où
Marie-Antoinette apparait au balcon face au peuple mécontent.
D'autre part, le décor de l'époque est reconstitué de façon très minutieuse puisque le film est
tourné dans le véritable Château de Versailles, ce qui confère une profondeur historique à
certaines scènes clé du film, notamment le rituel d'habillement dont Marie-Antoinette fait
l'objet dans sa chambre à coucher, son mariage avec Louis XVI dans la chapelle royale, ainsi
que la scène du balcon décrite plus haut.
De même que le décor, les costumes participent à la reconstitution historique. Si certaines
libertés sont prises en ce qui concerne les couleurs qui reflètent et accompagnent l'évolution
81
psychologique du personnage ainsi que la sensibilité artistique de la réalisatrice et de la
créatrice de costume (Milena Canonero), ils constituent néanmoins des reproductions des
habits de l'époque dont ils conservent les caractéristiques physiques. En effet, les actrices
portent réellement des corsets et la lourdeur du processus d'habillage des acteurs fait écho à
celle de l'habillage d'autrefois. De plus, un réel effort est fourni pour montrer la multiplicité et
la recherche des tenues de Marie-Antoinette : on peut en compter au moins 60 costumes
différents rien que pour son personnage dans le film, qui constituent toutes des créations
originales.
B. Rupture des codes et libertés historiques
En rompant avec les codes du film en costume d'époque et en s'autorisant des libertés
historiques, Marie-Antoinette présente un enjeu pour le renouvellement du film en costume
d'époque qui, taxé d'académisme, semble s'essouffler si l'on en croit les remarques lassées et
ironiques qu'il suscite dans la critique (voir chapitre III).
En effet, le générique de début donne le ton du film : Marie-Antoinette ne correspond pas à
l'idée que l'on se fait d'un film en costume d'époque. Le rose fuchsia prédominant et le
morceau Natural's not in it de Gang of Four, un groupe de post-punk britannique, sont
évocateurs et annoncent les libertés et anachronismes du film.
L'anachronisme musical se poursuit tout au long du film, qui alterne morceaux de musique
classique (notamment de Rameau et Vivaldi) et morceaux rock et post-punk des années 80
(Bow Wow Wow, Siouxsie and the Banshees, The Cure, New Order) et plus contemporains
(The Strokes) qui rythment la vie de Marie-Antoinette. Pendant le bal masqué, par exemple,
scène centrale au film à la fois parce qu'elle survient au milieu du film et parce qu'il s'agit de
la scène de rencontre entre Marie-Antoinette et le comte suédois Hans Axel von Fersen qui va
entraîner une évolution du personnage, le morceau joué est Hong Kong Garden de Siouxsie
and the Banshees (1978).
La relation amoureuse entretenue entre Marie-Antoinette et le comte de Fersen constitue
d'ailleurs une interprétation de l'histoire puisque s'il est indéniable qu'il y eut une relation
entre eux (Fersen participa notamment aux préparatifs de la fuite de Varennes en 1791), rien
82
n'atteste qu'ils furent amants, cela semblerait même improbable selon les historiens 78 .
Toutefois, la relation avec Fersen permet ici de montrer l'évolution psychologique du
personnage de Marie-Antoinette, qui découvre son propre désir, alors qu'elle essaye
jusqu'alors de susciter celui de son mari.
Autre anachronisme, l'apparition furtive d'une paire de
Converse (voir photographie ci-contre) dans la garde-robe de
Marie-Antoinette, qui deviendra un symbole du film et en
résume presque à lui seul le propos : Marie-Antoinette est une Figure 6 La paire de Converse de
adolescente paumée dans Versailles.
Marie-Antoinette.
Source : Pathé Distribution.
Par ailleurs, Sofia Coppola prend des libertés quant à la restitution des personnages
historiques : Marie-Antoinette (Kirsten Dunst) est une américaine d'origine allemande,
Louis XV (Rip Torn) est texan et la Comtesse du Barry (Asia Argento) est italienne. Dans ce
Versailles cosmopolite, la langue parlée est l'anglais. Il s'agit en outre d'un anglais américain
et plus précisément californien puisqu'il s'agit de l'origine de la majorité des acteurs et d'un
langage simple dépouillé des fioritures de l'époque.
De plus, alors même que l'intrigue du film se déroule sur plus de 20 ans (de 1768 à 1789), le
personnage de Marie-Antoinette, s'il évolue psychologiquement ne vieillit pas physiquement :
l'actrice Kirsten Dunst, qui a 23 ans pendant le tournage du film, est tantôt plus vieille tantôt
plus jeune que le personnage qu'elle incarne, qui a 14 ans au début du film et 35 ans à la fin.
Enfin, Sofia Coppola rompt avec les codes du genre de par ses choix de prise de vues :
« Je m'étais aussi fixée quelques principes : pas de grands plans-tableaux comme souvent
dans les films historiques, pas de mouvements de caméra tape-à-l'œil. Les prise de vues
privilégient une relation d'intimité, les plans rapprochés sur les acteurs, la peau, les visages,
avec des prises relativement longues.79 »
La reconstitution historique, si elle est évidente et précise, ne constitue donc pas
l'objectif du film, mais un prétexte pour dépeindre un personnage de Marie-Antoinette,
78
CAMY, Gérard, COMBENAVE, Gilles et SANSON, Annick. « L'histoire en liberté » in COPPOLA, Sofia
(réal.). Marie-Antoinette. 2006. Paris, Pathé Distribution, 2007. Édition collector 2 DVD et livret [p. 10-13].
79
FRODON, Jean-Michel. Op. cit.
83
véritable sujet du film, qui inspire la réalisatrice et lui permet de développer un propos plus
large et atemporel sur la condition féminine.
II.
Marie-Antoinette et le cinéma en question
Les libertés historiques prises par la réalisatrice au nom d'un discours artistique
rappellent la nature du cinéma, qui en tant qu'art, est en perpétuel questionnement.
A. Analyse d'un discours artistique
Comme nous l'avons souligné plus haut, la reconstitution historique ne constitue pas
l'intérêt principal de la réalisatrice qui est le personnage de Marie-Antoinette lui-même :
« (...) ça m'a paru un défi intéressant de faire un film d'époque, du moment où il était
consacré à un personnage dans lequel je me reconnaissais : je ne m'intéresse pas beaucoup
aux films en costumes d'habitude, je n'ai rien contre mais ce n'est pas ce vers quoi j'irais
naturellement.80 »
La réalisatrice, sans pour autant réhabiliter la figure de Marie-Antoinette à proprement parler
dont elle souligne la frivolité et la décadence, brosse un portrait du personnage entièrement
basé sur son propre point de vue, ce qui permet sinon de justifier son comportement, du moins
de le comprendre.
Marie-Antoinette est avant tout une femme confrontée à des problèmes de femme et si elle
n'est « ni parfaite, ni totalement innocente 81 ». il est néanmoins possible de s'identifier à
certains des aspects de sa vie dont Sofia Coppola a voulu dépeindre le côté profondément
humain. Les « lourdeurs » de la reconstitution historique trouvent dans le film un écho
particulier : adolescente propulsée à la cour de France, Marie-Antoinette est elle-même
confrontée au poids de l'étiquette qu'elle supporte mal comme l'illustre la scène du rituel de
l'habillement au début du film où, embarrassée par sa nudité, elle attend qu'on l'habille.
80
Ibid.
COPPOLA, Sofia (réal.). Marie-Antoinette. 2006. Paris, Pathé Distribution, 2007. Édition collector 2 DVD et
livret [propos de Sofia Coppola tels qu'ils sont retranscrits dans le livret du DVD, p. 3].
81
84
Cette situation et son incapacité à intéresser son mari et à assurer sa seule mission qui est de
donner un héritier à la France, la pousse à se construire un monde à part à Trianon afin
d'oublier le poids de sa condition. Les références secondaires et tardives au contexte politique
français ont pour but de montrer qu'elle vit coupée du monde réel et des affaires politiques :
elle ne prend conscience de cette situation dont elle est accusée d'être la cause qu'à la fin du
film où son monde bascule.
Les libertés historiques et anachronismes que s'autorise Sofia Coppola servent donc le propos
de la réalisatrice qui considère que bien que situés dans un cadre historique précis, les
problèmes de Marie-Antoinette revêtent un caractère atemporel :
« Je ne voulais pas prendre la dimension historique trop au sérieux, mais qu'on se sente à la
fois transporté dans un autre temps et qu'il y ait un écho avec aujourd'hui.82 »
En effet, Marie-Antoinette s'inscrit dans la lignée des films précédents de la réalisatrice,
Virgin Suicides (1999) et Lost in translation (2003) : les héroïnes de Sofia Coppola sont des
adolescentes et chacun de ses trois films (nous pourrions aujourd'hui étendre le propos à
Somewhere, son dernier film sorti en 2010) en soulignent des aspects différents.
Aussi, le visuel et la musique pop-rock, « les couleurs de jeunes filles83 » qui caractérisent les
costumes, permettent de mettre en évidence cet état d'adolescence, dont l'anachronique paire
de Converse devient le symbole. Sofia Coppola déclare même :
« (...) les recherches sur le plan visuel m'ont plus servi que les informations historiques. Je ne
tenais pas à devenir une experte, il fallait seulement que j'aie assez d'informations pour
laisser ensuite mon esprit imaginer. Je n'ai jamais exigé une précision historique rigoureuse,
il suffisait que ça soit crédible, que rien ne bloque la relation entre le film et le spectateur.84 »
Cette phrase souligne le caractère secondaire de la reconstitution historique qui a pour unique
but de servir de base à l'œuvre cinématographique. En effet, si le film séduit, cela semble être
justement parce qu'il ne s'agit pas d'une simple reconstitution mais bien parce que celle-ci
s'inscrit dans un projet artistique ambitieux. Cela permet de soulever la question des attentes
et de la définition même du cinéma, au sein de laquelle s'inscrit le costume de cinéma.
82
FRODON, Jean-Michel. Op. cit.
FERRARI, Jean-Christophe, TOBIN, Yann. « Entretien avec Sofia Coppola : La respiration des personnages,
le bruit des tissus ». Positif, n° 544, juin 2006, pp. 8-11.
84
FRODON, Jean-Michel. Op. cit.
83
85
B. La place du costume dans la définition du cinéma
Bien entendu, chacun peut avoir des attentes différentes du cinéma et de l'œuvre
cinématographique. Les Cahiers du Cinéma et Positif, par exemple, entretiennent à partir des
années 50 deux conceptions opposées du cinéma, qui pourraient participer, si l'on simplifie à
l'extrême, d'un débat plus large et ancien : celui de « l'art pour l'art85 » contre l'art engagé86.
S'il est donc difficile de définir le cinéma par l'une des multiples attentes qu'il suscite sans
prendre position, nous pouvons néanmoins en affirmer la dimension artistique par le fait
justement qu'il est l'objet d'attentes et donc par la relation qu'il entretient avec le spectateur.
Jean-Michel Frodon définit l'œuvre d'art comme « un objet troué, où il y a du manque, un
espace ouvert que chacun de ceux qui le recevront comblera à sa manière, en continuant à
partir des émotions suscités dans une direction singulière, avec des effets de compréhension
qui peuvent être immensément variés » (Frodon, 2008 : 9-10).
Nous pouvons donc définir le cinéma par sa capacité à créer cette ouverture ou comme
l'indique Sofia Coppola à « ne pas bloquer la relation entre le film et le spectateur87 ». Avec
une telle conception de l'œuvre cinématographique, il est pertinent de remettre en question la
nécessité de réalisme dont on entoure l'œuvre, nécessité passant par l'authenticité des
costumes lorsqu'il s'agit d'un film en costume d'époque, qui se doivent d'être incontestables au
risque d'invalider l'œuvre toute entière.
D'une part, l'authenticité des costumes d'un film est techniquement impossible dans la mesure
où, si l'on voulait prendre l'expression au pied de la lettre, il faudrait pour cela utiliser comme
costumes de cinéma les véritables habits ayant été portés par les personnages ou groupes
sociaux représentés. Or, même en faisant cela, les habits étant soumis à l'usure du temps, il
n'auraient pas le même éclat que lors de leur fabrication et ne seraient pas portés de la même
façon par les acteurs qu'ils l'étaient à l'époque, aussi poussé que soit le travail d'acteur pour
incarner le personnage. De plus, même si elle fait l'objet d'un documentation très précise et
utilise au maximum les textiles de l'époque, la création des costumes, à moins de disposer
85
Théorie élaborée par Théophile Gauthier au XIXème siècle selon laquelle l'art n'a pas à être utile ou vertueux
mais constitue un but en soi.
86
Défendu à partir de la moitié du XXème siècle par Jean-Paul Sartre à propos de la littérature dans Les Temps
Modernes, la revue comporte également des critiques cinématographiques de cette inspiration, notamment les
articles de Raymond Borde qui sera également membre du comité de rédaction de Positif de 1954 à 1967.
87
FRODON, Jean-Michel. Op. cit.
86
d'une documentation matérielle, est nécessairement soumise à l'iconographie de l'époque
(enluminures, tableaux, vitraux, fresques, mosaïques, dessins, statuaire...), dont la véracité est
également critiquable puisqu'elle même constitue une interprétation revêtant un caractère
souvent symbolique88.
D'autre part, la recherche d'authenticité à tout prix n'est pas nécessairement souhaitable dans
la mesure où celle-ci risque de nuire à la relation entre le film et le spectateur. Lorsqu'il parle
de la « maladie du vérisme » (que nous avons abordée au chapitre III), Roland Barthes
explique :
« (...) le costume conçu comme une addition de détails vrais, absorbe, puis atomise toute
l'attention du spectateur, qui se disperse loin du spectacle, dans la région des infiniment
petits. Le bon costume, même historique, est au contraire un fait visuel global ; il y a une
certaine échelle de la vérité, au-dessous de laquelle il ne faut pas descendre faute de quoi on
la détruit.89 »
Si l'on ne devait retenir qu'une attente du costume de cinéma et du cinéma en général,
c'est donc sa crédibilité, c'est-à-dire sa capacité à être cru, plutôt que son réalisme, soit sa
capacité à reproduire le réel, dans la mesure où ce n'est qu'à partir de ce postulat que le film
peut créer l'ouverture et s'exprimer pleinement en tant qu'œuvre artistique. De plus, il convient
de rappeler, comme nous l'avons vu au chapitre I, que le costume de cinéma peut être
considéré comme une œuvre d'art en soi puisqu'il fait l'objet d'une création selon la sensibilité
artistique du réalisateur et du créateur de costumes. Dès lors, il est pertinent d'analyser la
manière dont le film Marie-Antoinette - et à travers lui le costume -, qui semblent pleinement
remplir ce contrat artistique puisque la crédibilité et préférée à une reconstitution historique
fidèle, sont traités dans la critique, dont la démarche trouve justement son fondement dans la
dimension artistique du cinéma.
88
DELORT, Robert. « Écrire l'histoire du costume : L'exemple des draps et des fourrures ». Histoire et images
médiévales, n° 6, août-septembre-octobre 2006, pp. 4-12.
89
BARTHES, Roland. « Les maladies du costume de théâtre ». Théâtre populaire, n° 12, mars-avril 1955.
87
Section 2- Étude comparée du traitement critique du film
Marie-Antoinette dans les Cahiers du Cinéma et dans Positif
Dans cette section, nous procéderons à une étude approfondie du traitement dont le
film Marie-Antoinette fait l'objet dans la presse spécialisée en comparant les articles critiques
publiés à son sujet dans les Cahiers du Cinéma90 et dans Positif91.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la réception du film dans les deux revues,
afin de comparer deux conceptions différentes de l'exercice critique ; cela nous permettra dans
un second temps, d'analyser avec plus de précision de quelle manière le costume de cinéma,
qui constitue un élément essentiel du film Marie-Antoinette, s'inscrit dans chacun de ces
exercices critiques.
I.
Analyse de la réception critique de Marie-Antoinette de Sofia Coppola
Nous tenterons ici une analyse de la réception critique de Marie-Antoinette en nous
appuyant sur des éléments visuels, la place que le film occupe au sein du numéro, ainsi que
sur le traitement critique dont le film fait l'objet, qui constitue dans les deux cas un « pari »
réussi mais pour des raisons différentes.
A. La place du film dans la revue
Globalement, on peut dire que le film occupe une place similaire dans les Cahiers du
Cinéma et dans Positif : il constitue le film évènement dans les deux cas puisque l'article qui
lui est consacré (dont la longueur est sensiblement similaire : deux pages) constitue dans les
deux cas le premier article critique du numéro bien qu'il se situe à un emplacement différent
du fait de l'organisation différente des rubriques entre les deux revues.
90
91
FRODON, Jean-Michel. « La vive folie de l'étrangère ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai 2006, pp. 36-38.
ROUYER, Philippe. « Marie-Antoinette : Lost in Versailles ». Positif, n° 544, juin 2006, pp. 6-7.
88
Notons toutefois que les deux numéros concernés par la critique du film de Sofia Coppola ne
sont pas sortis en même temps : les Cahiers du Cinéma publient un article critique en mai
2006, soit avant la 59ème édition du Festival de Cannes qui a lieu du 17 au 28 mai 2006 et sa
sortie en salle le 24 mai 2006, tandis que celui de Positif est publié après le décernement du
palmarès et sa sortie en salle, en juin 2006. On peut donc supposer que les Cahiers du Cinéma
font en quelque sorte un pari sur le film tandis que Positif présente son film « coup de cœur ».
De même, chacune des deux revues présente un entretien avec la réalisatrice Sofia Coppola.
Même si celui-ci a été réalisé par l'auteur de l'article critique (Jean-Michel Frodon) dans les
Cahiers du Cinéma et par des personnes différentes de l'auteur de l'article critique dans Positif
(Jean-Christophe Ferrari et Yann Tobin en ce qui concerne l'entretien et Philippe Rouyer pour
ce qui est de l'article), on peut supposer que les deux articles critiques s'appuient tous deux sur
les informations recueillies dans l'entretien pour interpréter le film.
La seule véritable différence réside dans le fait
que Marie-Antoinette fait la une des Cahiers
tandis que seul le nom de la réalisatrice apparaît
sur celle de Positif. Toutefois, cela peut
s'expliquer par le mois de décalage entre les
deux numéros : même si Positif avait voulu
mettre Marie-Antoinette en une de son numéro,
Figure 7 Unes des numéros des Cahiers du Cinéma (n°
612, mai 2006) et Positif (n°544, juin 2006) contenant un
article critique sur le film Marie-Antoinette de Sofia
Coppola. Sources : Cahiers du Cinéma et Calindex.eu
la revue n'aurait pu le faire un mois après que
les
Cahiers
l'ait
fait
au
risque
de
se
décrédibiliser.
B. Un « pari » réussi
Si Jean-Michel Frodon (Cahiers du Cinéma) et Philippe Rouyer (Positif) considèrent
le film de Sofia Coppola comme un « pari » réussi, terme qu'ils utilisent tous deux pour
qualifier le film, ils n'attribuent pas cette réussite aux mêmes facteurs explicatifs. De plus, si
de manière générale les éléments qui font l'objet d'attention dans les deux articles sont les
mêmes (générique, distribution, décors, costumes, musique), on constate une différence
fondamentale dans la construction même de l'article : celui de Jean-Michel Frodon (Cahiers)
89
constitue un article clairement argumentatif tandis que celui de Philippe Rouyer (Positif) est
davantage narratif.
En effet, après avoir souligné l'originalité du film par une description - qui constitue
plutôt une énumération des éléments - du générique (« guitares rock, overdose de pâtisserie,
minauderie outrée de miss KD [sic], titres fuchsia qui éclatent sur l'écran »), Jean-Michel
Frodon construit son article autour de sa thèse principale : le film de Sofia Coppola constitue
un pari. Il énumère donc dans un premier temps les risques du film : le fait de construire tout
le film
autour du personnage impopulaire de Marie-Antoinette, la distribution
hollywoodienne, la « lourdeur » de la référence historique (incluant décors et costumes) et de
la production.
Il explique dans un second temps pourquoi ce film constitue une réussite alors que « toutes les
raisons d'échouer sont là » : Jean-Michel Frodon l'attribue principalement à la réalisatrice
Sofia Coppola, dont il multiplie les évocations (huit au total) et qu'il considère comme une
« excellente cinéaste ». soit une véritable auteure92 dont il souligne le rôle central dans le
film. Il admet tout de même un rôle important mais néanmoins secondaire à l'actrice Kirsten
Dunst qui contribue à la réussite du film de Sofia Coppola par sa « connivence sans faille ».
Les anachronismes ne l'intéressent d'ailleurs que dans la mesure où il reflètent la liberté de la
réalisatrice et affirment « tranquillement que ce film est fait aujourd'hui, par des gens du
XXIème siècle, avec une technologie moderne appelée cinéma ». ce qui constitue une raillerie
supplémentaire vis-à-vis d'un genre qu'il ne tient vraisemblablement pas en haute estime. La
légitimité du film tient à ce que le propos du film est atemporel, à la fois passé et actuel.
Au contraire, l'article de Philippe Rouyer est à la fois narratif, descriptif et explicatif
mais peu argumentatif. Les éléments qui font l'objet d'attention sont enchâssés dans une
narration quasi-chronologique du film : il décrit le plan inséré dans le générique, la situation
initiale en Autriche, la découverte de Versailles et de son étiquette, la situation finale ; il
explique à travers eux les effets des différents choix artistiques (le choix des couleurs, de
centrer l'histoire sur le personnage de Marie-Antoinette, de tourner dans le décor réel du
Château de Versailles, etc.). Il établit également des ponts entre Marie-Antoinette et d'autres
92
Selon la conception qu'en fait la « politique des auteurs ». que nous avons déjà évoquée.
90
films (Eyes Wide Shut, Le jour le plus long...), notamment l'un des autres films de Sofia
Coppola, Lost in Translation, auquel le titre de l'article (« Lost in Versailles ») fait clairement
référence. L'idée de pari n'intervient qu'à la fin de l'article, en guise de conclusion :
« Elle [Kirsten Dunst] n'est pas pour rien dans la réussite du pari audacieux relevé par Sofia
Coppola : signer un film intimiste et stylisé dans le cadre contraignant d'une superproduction
historique. »
Philippe Rouyer avance certains risques communs à ceux cités par Jean-Michel Frodon mais
de façon moins insistante et sans les nommer comme tels : la distribution, qui « aurait pu
laisser craindre un effet Jour le plus long (défilé de vedettes qui empêchent de croire aux
figures historiques qu'elles incarnent), mais dont la dimension cosmopolite ajoute au contraire
« au côté bigger than life de l'ensemble » et le « cadre contraignant d'une superproduction
historique ». Bien qu'il évoque le talent de la réalisatrice qui n'a « pas son pareil pour filmer la
solitude ». il insiste davantage sur les qualités du jeu de l'actrice principale comme élément de
la réussite du film. Il s'intéresse assez peu à la reconstitution historique, si ce n'est au tournage
du film dans le véritable Château de Versailles qui donne un certains poids aux scènes finales,
et contourne quant-à-lui la question de la légitimité du film, qui s'appuie sur « les thèses de
l'historienne Antonia Fraser » et dans lequel le réalisme historique est remplacé par un
« réalisme psychologique ».
On est donc bien confrontés à deux façons d'envisager la critique : l'une plutôt
démonstrative et influencée par la politique des auteurs, l'autre plutôt descriptive et dont le
caractère explicatif se fonde sur une certaine connaissance du cinéma. Analysons à présent la
manière dont le costume de cinéma s'inscrit dans les deux conceptions de l'exercice critique à
travers ces deux exemples précis.
II.
La place du costume de cinéma dans le traitement critique du film
Le costume de cinéma occupe une place importante dans chacun de ces deux articles
critiques mais fait l'objet d'un traitement différent, qui correspond à deux conceptions
91
particulières de l'exercice critique et s'inscrit dans la représentation propre à l'auteur du film
en costume.
A. Les costumes de Marie-Antoinette dans les Cahiers du Cinéma
Jean-Michel Frodon ne s'intéresse au costume de cinéma que par des références
directes : il utilise trois fois le mot costume dans son article dont une fois dans l'expression
« film en costume ». Comme nous l'avons vu dans le chapitre III, les références directes au
costume de cinéma suggèrent leur connotation critique dans la mesure où le costume de
cinéma constitue alors un objet d'attention en soi.
Ici, la connotation critique du costume de cinéma correspond à la vision de Jean-Michel
Frodon du film en costume d'époque qui semble se situer entre le désintérêt et le dédain,
comme en témoigne sa façon d'évacuer la question de l'originalité du film vis-à-vis du genre :
« Voilà pour les précautions oratoires et la componction du film en costume Grand Siècle, les
affaires sérieuses peuvent commencer. »
De même, la reconstitution historique constitue un « obstacle » au film. Jean-Michel Frodon
insiste sur la « lourdeur » de la reconstitution historique qu'il évoque à deux reprises : la
première lorsqu'il énumère les raisons d'échouer du film dont elle fait partie, la deuxième pour
insister sur le mérite d'autant plus grand de la réalisatrice à réussir son film malgré la
reconstitution historique.
Les deux références directes au costume sont associées aux deux évocations de la lourdeur de
la reconstitution historique et servent à l'accentuer : au mot costume est tantôt accolé l'adjectif
« surchargé » et tantôt l'idée d'excès (« excès des costumes et des décors »). La pesanteur de
la reconstitution historique semble ici n'avoir d'égal que l'insistance avec laquelle le critique
l'évoque afin d'en transmettre non seulement l'idée mais la sensation. N'étant pas en ellemême argumentée la pesanteur des costumes relève d'une appréciation personnelle de l'auteur
et non d'une critique constructive basée sur une mise à distance de l'objet.
De plus, si l'auteur effectue bel et bien une critique des costumes ce n'est que dans le but de
servir son propos, qui réside dans la mise en évidence du talent de la réalisatrice, capable de
réussir même un film en costumes d'époque :
92
« L'inexplicable miracle de Virgin Suicides et de Lost in Translation se répète ici, malgré des
obstacles - lourdeur de la production, lourdeur de la référence historique - très supérieurs. »
B. Les costumes de Marie-Antoinette dans Positif
La place des costumes de Marie-Antoinette dans l'article critique publié dans Positif
est plus complexe à analyser du fait de la multiplicité des références indirectes dont il fait
objet et dont la première constitue probablement la moins évidente :
« Au commencement, un plan enchâssé dans le générique, détaché de l'histoire à suivre,
donne le ton. Comme la vision sublime de Nicole Kidman laissant choir sa robe noire en
exergue de Eyes Wide Shut. »
Si l'auteur n'évoque pas directement la robe portée par Kirsten Dunst dans Marie-Antoinette, il
compare néanmoins sa manière de la porter avec celle de Nicole Kidman de porter la sienne
dans le film Eyes Wide Shut. L'évocation de cette deuxième robe et d'une image que le
critique suppose connue du public contribue donc à la description de la scène dont le costume
constitue un élément essentiel puisqu'il suggère la lascivité du personnage, qui donne le ton.
L'intérêt de l'auteur se porte ensuite sur la valeur narrative du costume dans le film puisqu'il
évoque « l'obligation de se dénuder pour se débarrasser de tous les oripeaux de son ancienne
vie » et fait plus tard référence aux scènes d'habillage. Il semble ici répondre à Jean-Michel
Frodon qui accusait les costumes d'ajouter de la « lourdeur » à l'intrigue : c'est au contraire,
l'intrigue qui justifie la « pesanteur » des costumes, vécue comme telle par le personnage luimême.
Le critique s'intéresse particulièrement au jeu des couleurs qui caractérise l'esthétique du film
mais participe, comme nous l'avons vu au chapitre II, à la narration du film dont il délimite les
périodes. Aussi, Philippe Rouyer, tout en soulignant les effets des changements de couleurs
dans le film s'en sert pour structurer son propre récit du film qui suit un ordre chronologique :
« Le bleu vif dont se retrouve accoutrée la future dauphine n'est pas laid, mais son éclat
paraît une agression pour celle qui ne l'a pas choisi. »
93
« Il faut dire qu'entretemps le chromatisme du film a abandonné ce que la réalisatrice
appelle les "couleurs macaron" (rose fuchsia, mais aussi vert menthe et jaune canari) pour
des teintes plus sombres, annonciatrices d'un dénouement funeste. »
Il est ici intéressant de noter que la seule référence à la reconstitution historique dénote la
vision statique que le critique en a et qui participe, tout comme sa lourdeur dépeinte par JeanMichel Frodon, de la réception générale dont le genre fait l'objet :
« Tant dans la représentation plastique (les teintes rose fuchsia qui s'étalent sur les murs et
les parures) que dans son propos (...), le film évite la reconstitution figée pour proposer un
spectacle vivant et fort. »
La référence indirecte aux costumes (« les teintes roses fuchsia qui s'étalent sur (...) les
parures ») est ici porteuse d'une connotation critique positive puisque les costumes tels qu'ils
sont conçus contribuent selon Philippe Rouyer a pallier le défaut de vivacité de la
reconstitution historique.
Il est donc intéressant de voir qu'un même élément constitutif de l'œuvre
cinématographique, ici le costume de cinéma, peut faire l'objet d'interprétations radicalement
opposées dans la critique de cinéma en fonction de la sensibilité de son auteur, de la tonalité
de son discours et du message qu'il veut faire passer.
94
POUR CONCLURE
Pour conclure cette seconde partie, nous pouvons affirmer la visibilité du costume de
cinéma dans la critique qui fait l'objet d'attention dans un quart des articles étudiés. Il demeure
néanmoins un objet critique largement négligé et sous-exploité dans la mesure où sa visibilité
relative ne se double que rarement d'une connotation critique.
En effet, le costume écrit est avant tout porteur d'une connotation informative et souvent
purement rhétorique, servant le style de l'auteur, qui lutte pour la reconnaissance symbolique
dans le champ social de la critique de cinéma. Faisant donc rarement l'objet d'attention pour
ce qu'il est réellement, un élément technique du film, il est implicitement traité comme un
élément qui lui est accessoire et ne soulève pas de questions essentielles.
Or, notre étude de cas, construite autour du film Marie-Antoinette de Sofia Coppola, qui
s'inscrit pleinement dans la définition du film en costume, montre à quel point il s'agit là d'un
présupposé participant de l'image ambivalente qui entoure ce genre cinématographique. Le
traitement critique opposé dont les costumes du film de Sofia Coppola font l'objet dans les
Cahiers du Cinéma et Positif en témoigne : le costume de cinéma n'est ni accessoire, ni
dépourvu d'intérêt critique, au contraire. Il pose la question essentielle des attentes que l'on a
vis-à-vis du cinéma et participe ainsi à la définition de celui-ci en tant qu'art à part entière.
95
CONCLUSION GENERALE
Si le costume de cinéma est bel et bien visible dans la critique, il n'en constitue pas
moins un objet relativement transparent du fait du désintérêt relatif qu'il suscite. Celui-ci
relève en partie de sa position paradoxale puisqu'il réussi la pirouette d'être considéré à la fois
comme un élément essentiel et accessoire du film : essentiel, dans la mesure où la présence du
costume de cinéma relève de l'évidence, tout comme celle des acteurs dont il semble
consubstantiel et ne mérite de ce fait pas d'attention particulière ; accessoire, puisque le
costume ne constitue pas un objet proprement cinématographique, mais initialement emprunté
à l'art théâtral.
De plus, le costume de cinéma participe à la crédibilité du film, qui constitue comme nous
l'avons expliqué, la condition sine qua non à l'adhésion du spectateur. La création des
costumes d'un film fait donc l'objet d'un travail de recherche particulièrement poussé afin que
ceux-ci s'intègrent pleinement et naturellement à l'œuvre cinématographique de manière à se
faire oublier et que celle-ci apparaisse comme crédible. Le désintérêt apparent pour le
costume de cinéma peut donc en partie s'expliquer par son caractère abouti. Bien que la
critique ne saurait être considérée que dans la rupture et l'affrontement, cette prise de position
est néanmoins tentante puisque l'opposition est généralement considérée comme un signe
d'indépendance, ce qui constitue un enjeu pour le critique. Aussi, peut-on supposer que si le
critique ne s'intéresse que rarement au costume de cinéma, c'est aussi parce qu'il est souvent si
bien conçu qu'il n'y a rien à en dire.
Par ailleurs, le traitement critique du costume de cinéma est associé à la réception ambivalente
dont le film en costume fait l'objet à la fois de la part des critiques et du public en général. Le
film en costume d'époque notamment est implicitement considéré comme un genre sclérosé
où la reconstitution historique se fait au détriment de la créativité de l'œuvre, le costume de
cinéma est alors regardé avec méfiance voire avec mépris. L'étude du cas de Marie-Antoinette
s'est donc révélée particulièrement intéressante : s'inscrivant pleinement dans le genre du film
en costume d'époque, il constitue néanmoins un grand succès à la fois commercial et
symbolique. Le film de Sofia Coppola a cela de particulier qu'il constitue un film en costume
96
qui n'a pas pour but d'en être un, comme en témoignent les libertés qu'il s'autorise vis-à-vis du
genre.
Le costume de cinéma devient néanmoins un élément d'appréciation critique du film, suscitant
deux interprétations très contrastées (ce qui constitue par ailleurs l'apanage de la critique).
D'une part, celles-ci attestent du fait que la place du costume de cinéma à l'écran n'est pas
aussi évidente qu'elle en a l'air et qu'elle suscite des questionnements à la fois vis-à-vis du
film lui même et des attentes que l'on a du cinéma. D'autre part, la valeur tantôt négative
tantôt positive que prend le costume de cinéma dans la critique du film fait toucher du doigt
l'idéologie dont est entouré l'exercice critique. Celui-ci constitue avant tout un exercice
stylistique défini par plusieurs facteurs, en particulier l'histoire de la critique de cinéma.
Raymond Borde écrivait : « Évoquer un montage, un dialogue, une couleur, bref parler de
cinéma en termes de cinéma, devient l'aveu d'une faiblesse. 93 » Cette phrase, énoncée en
1955, en pleine « guerre des revues », garde aujourd'hui toute sa pertinence.
D'autres aspects déterminants à l'exercice critique sont la ligne éditoriale de la revue, les
enjeux du champ cinématographique, ainsi évidemment que la sensibilité personnelle de
l'auteur, car il ne faut pas l'oublier, le cinéma, en tant que Septième Art, constitue avant tout
une expérience sensible.
93
BORDE, Raymond. « Pour une méthode dans la critique de cinéma ». Les Temps Modernes, n° 119, novembre
1955, pp. 730-739.
97
ANNEXES
Le document en annexe est la compilation des extraits d'articles critiques comportant
des références directes ou indirectes (soulignées dans le document) au costume de cinéma
dans le Cahier Critique des Cahiers du Cinéma entre l'année 2005 et 2009 (n° 597-651). Il
constitue le résultat brut de l'enquête historiographique et la base de notre réflexion. De plus,
il témoigne du souci d'exhaustivité de ce travail de recherche.
Annexe 1 : Extraits des articles critiques faisant directement ou indirectement référence
au costume de cinéma entre l'année 2005 et l'année 2009 dans les Cahiers du Cinéma
(n° 597-651)
TRESVAUX, Xavier. « Le plus beau jour de ma vie de Julie Lipinski ». Cahiers du
Cinéma, n° 597, janvier 2005, p. 54 :
« Qui est sensible au charme de la vieille dame surliftée relookée H&M devrait céder à celui
d'une comédie qui balaye les préjugés (féminisme, liberté sexuelle, unions libres) et réhabilite
les rêves purs de jeune fille : mariage intime et île déserte. Vous laisserez-vous retourner le
cerveau par la robe haute-couture, l'adresse au spectateur, le dessin animé intégré, les grands
yeux, la belle bouche, les grains de beauté d'Hélène de Fougerolles (Lola, 30 ans, élevée au
prince charmant)? Non. Refusez ces avances drapées dans une fashion culture qui camoufle à
peine la dictature narcissique de son imaginaire. »
BÉGAUDEAU, François. « Les Dalton de Philippe Haïm ». Cahiers du Cinéma, n° 597,
janvier 2005, p. 52 :
« Soit hybridation glorieuse : le film s'assumerait cheap sans la contribution parodique. Il
ferait comme Los Panchos, groupe mexicain dont les Daltons ont piqué les oripeaux pailletés,
et qui font force de leur ignorance en musique pour servir un Carmen de bruitage dans un
espagnol de touriste japonais. »
FRODON, Jean-Michel. « Alexandre d'Oliver Stone ». Cahiers du Cinéma, n° 597,
janvier 2005, pp. 51-52 :
« Beaucoup d'effets spéciaux, d'ivresse du pouvoir, de costumes chatoyants, d'Oedipe
exubérant, de dames peu vêtues et siliconées, de paysages vus du ciel montés cut avec du gros
plan "au cœur de l'action" (le fameux choix du point de vue à Waterloo, Stendhal ou Hugo,
Stone s'en fiche comme de son premier pixel). »
HANSEN-LØVE, Mia. « Clou et blessures ». Cahiers du Cinéma, n° 597, janvier 2005,
pp. 48-49 [à propos de L'Autre Rive de David Gordon Green] :
« Pour le comprendre, il faut revenir à La Nuit du chasseur. Quelle différence entre les deux
récits? Lillian Gish n'existe plus ; la petite fille devient un petit garçon, et la mère un père
viril, cool (la pipe et les bottes), veuf. »
1
THIRION, Antoine. « Asia en cuisine ». Cahiers du Cinéma, n° 597, janvier 2005, pp. 4546 [à propos de Le Livre de Jérémie d'Asia Argento] :
« L'entrée en scène d'Asia Argento est saisissante. Blonde cadrée en contre-plongée à hauteur
de jambes infinies, pin-up de 23 ans en tablier de ménagère, Sarah accueille sur le pas d'une
modeste maison de banlieue l'enfant que les services sociaux lui ont retiré à la naissance.
Malgré son déguisement de maman modèle, Jérémie ne s'y trompe pas. Il ne reconnait pas
comme sa mère la junkie aux allures de Courtney Love. »
« (...) ou encore, il [Jérémie] porte robe, bouclettes blondes et rouge à lèvre pour ressembler à
sa mère. »
BURDEAU, Emmanuel. « Opéra savon ». Cahiers du Cinéma, n° 597, janvier 2005,
pp. 38-40 [à propos d'Aviator de Martin Scorsese] :
« Gangs of New-York atteignait une sorte de limite : impossible de démêler les couches de la
mise en scène des couches humaines, le feuilleté des plans de l'entassement des cadavres sur
Paradise Square, les strates du montage de la pile de vêtements protégeant la nudité de
Cameron Diaz. »
« Au sortir de son isolement, H.H. portera moustache, cicatrices et canne. »
BURDEAU, Emmanuel. « Le Fantôme de l'opéra de Joel Schumacher ». Cahiers du
Cinéma, n° 598, février 2005, p. 34 :
« Plusieurs fois déjà fut décrite dans ces pages l'affinité du numérique avec le feuilleton et la
reconstitution historique ; avec l'euphorie du mécanique ; avec les scénarios de masque et de
peau. Cas récents : Catwoman, Arsène Lupin, Un long dimanche de fiançailles, Aviator. Bien
que les effets spéciaux y soient plus discrets, le film de Choumacaire (ainsi qu'on prononçait
chez Renoir) s'ajoute aujourd'hui à la liste. Et comme précédemment il faudrait y faire une
recension complète des couleurs et des matières : l'eau où baigne le repaire du fantôme, la cire
qu'il coule au dos d'une enveloppe, celle avec quoi il a moulé une doublure de son aimée, le
caoutchouc (?) de son masque, la dentelle d'une robe, le frou-frou d'un danse, le jabot d'une
chemise, les chevelures abondantes de tous, le rose aux joues des deux patrons, le face
d'albâtre de la diva Daae (Emmy Rossum, ses dents, ses boucles). Tout un étal d'étoffes, tout
un magasin de cosmétique. Voiler, dévoiler, il n'est question que de ça : du lissé ou des rides
qu'affiche un visage, des plis qui ondulent une image - jusqu'en ce plan, le plus beau du film,
montrant le fantôme à moitié incognito derrière la courbe et l'éclat du lustre géant de la grande
salle. »
2
BURDEAU, Emmanuel. « L'Ex-femme de ma vie de Josiane Balasko ». Cahiers du
Cinéma, n° 598, février 2005, p. 34 :
« Thierry Lhermitte? Innamovible. Toujours aussi sec, toujours aussi bleu roi, toujours aussi
1985 (jean, sweat, tennis). »
« Reste la Josy, Balasko Josiane autocastée en psy transsexuelle portant fourrure de chien et
tailleur imitation Chanel. »
FRODON, Jean-Michel. « En attendant le déluge de Damien Odoule ». Cahiers du
Cinéma, n° 598, février 2005, p. 33 :
« Flanqué d'un drôle de longiligne, attifé d'un yukata et d'une coupe d'hurluberlu, il accueille
en paires successives les théâtreux, on boit, on a dû fumer hors champ pour rigoler ainsi hors
de propos, les gens de scène déclament et pérorent, hanté par la mort, Pierre Richard
contemple ces facéties d'un air pénétré, se livre à des gesticulations burlesques, se console
avec une de ses invitées. »
COUMOUL, Sylvain. « Donne-moi le danger ». Cahiers du Cinéma, n° 598, février 2005,
pp. 30-31 [à propos de Bashu, le petit étranger de Bahram Beyzaï] :
« Il suffit de voir par exemple l'introduction du personnage de Nahid, les yeux écarquillés, le
visage en gros plan mais surcadré par ce qu'on croit être un tchador (le film comme arrêté,
crispé sur cette image trompeuse puisqu'il s'agit, on le découvrira bientôt, d'un simple
foulard), pour comprendre que c'est depuis la nature heurtée du montage que peut advenir le
"message" - en l'occurrence ici, une charge contre l'islamisation du pays. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « La Visite de Nicolas Guicheteau ». Cahiers du Cinéma, n° 599,
mars 2005, p. 49 :
« Entre Bruxelles et Paris, Joséphine chausse bottes et empoigne baluchon, fait le trajet, trace
la route, demande gîte et couvert à qui saura ouvrir la porte pour l'accueillir. »
DELORME, Stéphane. « Berlin, Méditerranée ». Cahiers du Cinéma, n° 598, février
2005, pp. 23-24 [à propos de Marseille d'Angela Schanelec] :
« Il y a deux coups de semonce foudroyants : dans le premier, Sophie sort d'un restaurant à
Marseille, et la coupe raccorde sur un passage piétons où elle est rattrapée, interloquée, par
une employée qui court lui rendre son bonnet (...) »
3
« Le film se termine dans un échange, comme il avait commencé : dès son arrivée en train,
Sophie est forcée de donner ses vêtements à un agresseur en fuite (lui aussi). La scène n'est
pas montrée mais elle est vécue comme un viol, à la fois comme la symbolisation de toute la
violence quotidienne et intolérable de Berlin et comme la mise à nue du désir de
transformation de l'héroïne. Cette fois le grand saut est le bon, Sophie déshabillée,
dépossédée, peut changer de vie, pas seulement d'appartement. »
BURDEAU, Emmanuel. « Mystification ou l'histoire des portraits de Sandrine Rinaldi ».
Cahiers du Cinéma, n° 599, mars 2005, p. 46 :
« Subsiste cependant ceci, seule réserve et vraie question : l'amour du verbe paraît ici s'allier
naturellement avec certaine affectation de passéisme, décors et costumes surannés, gestes
guindés des messieurs (dont l'élocution est parfois délicate à saisir), dames en robes vieille
France – comme si le choix du parlé signifiait aussi, étrange exil, retrait mi-dandy mi-ringard
hors de l'époque. »
BURDEAU, Emmanuel. « Iznogoud de Patrick Braoudé ». Cahiers du Cinéma, n° 599,
mars 2005, p. 44 :
« Etait-il gros? Etait-il maigre? C'est la question qui se pose constamment, à voir ses bonnes
joues fendues de stries les faisant paraître ballon mal gonflé, vêtement trop ample pour la tête
qu'elles habillent néanmoins. A le chercher enseveli sous sa coiffe et quelques poufs. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « L'Envoûtement de Shanghai de Fernando Trueba ». Cahiers du
Cinéma, n° 599, mars 2005, p. 43 :
« Erice avait choisi de ne montrer aucune image de Shanghai, seulement des signes : éventail,
robe, parfum. »
BURDEAU, Emmanuel. « De battre mon coeur s'est arrêté, de Jacques Audiard ».
Cahiers du Cinéma, n° 599, mars 2005, pp. 42-43 :
« Avec Romain Duris – beau blouson de cuir, enviable collection de chemises - Audiard a
sans doute voulu mettre en crise la tchatche, la convertir en agitation toute physique,
symphonie de gestes, phrasé strictement corporel. »
BÉGAUDEAU, François. « Boudu de Gérard Jugnot ». Cahiers du Cinéma, n° 599, mars
2005, p. 41 :
4
« Corps clodo qu'on fait se jeter aux eaux pour l'en sauver, corps aviné qu'on relève d'une
chute, corps puant qu'on habille en Lanvin, corps niqueur qui soudain s'amourache. »
BURDEAU, Emmanuel. « Blonde et Brune de Christine Dory ». Cahiers du Cinéma,
n° 599, mars 2005, p. 41 :
« Mais ça décolle dix minutes et quelques années plus tard, à la faveur de retrouvailles entre
les deux amies et d'une magique robe noire que Blonde dérobe à Brune. »
« Échange nocturne de robes entre deux blondes également plantureuses et presque jumelles,
dans le halo hostile mais équivoque d'une air autoroute. »
BÉGAUDEAU, François. « Bab el Web de Merzak Allouache ». Cahiers du Cinéma,
n° 599, mars 2005, pp. 40-41 :
« Femme voilée virant poétesse sous l'effet du whisky, maghrébins des Minguettes appelés
« immigris » à Alger où la famille les a parachutés, Paris de Marc Lavoine chanté au karaoké
par Faudel, petite Gauloise défiant au karaté les hommes de son père algérien. »
REHM, Jean-Pierre. « Preuve par trois ». Cahiers du Cinéma, n° 599, mars 2005, pp. 3637 [à propos de Cinéastes à tout prix de Frédéric Sojcher] :
« Trois mages ici, pour couronne, l'un cagoule noire en laine, les deux autres la chevelure
blanche, casquettée à l'occasion, de l'âge bien senti. »
« Et un joyeux pêle-mêle de genre improbables, du policier brutal au film en costume appuyé
de maquette au fond du jardin, d'effets spéciaux maison, de travelling « comme Kubrick ». de
cascades à haut risque, porté par le plus prolifique, Rousseau : Les Marcheurs de la Grande
Armée, Le Goulag de la terreur. »
« Certes, la couleur locale est de la partie, et ce sont les acteurs, tous amateurs, qui lui donnent
son nuancier. Curé à la scène, bedeau à la ville ; inspectrice de police sous la nymphette en
bikini ; sénateur belge prêtant sa contenance à une toge romaine ; professeur de français en
sosie du réalisateur ; gros bras vendeur de grande surface ; etc. »
LEQUERET, Élisabeth.« Puzzle à Tel Aviv ». Cahiers du Cinéma, n° 599, mars 2005,
pp. 33-34 [à propos d'Avanim de Raphaël Nadjari] :
« Ici aussi, une femme courrait dans les rues de Tel Aviv. Or, comme la putain en herbe de
Mon Trésor, elle porterait Tshirt éclatant et longs cheveux dénoués. »
5
« Les rayons de ce pâle soleil portent bien au-delà de la scène. Ils brillent encore lorsque
Michale, à peine rhabillée, arrive en trombe dans le bureau de son comptable de père. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Front de mer ». Cahiers du Cinéma, n° 599, mars 2005, pp. 3233 [à propos de La Vie aquatique de Wes Anderson] :
« Voici la team Zissou, du nom d'un Cousteau ricain à bonnet rouge qu'interprète Bille
Murray (...). »
« Extrait d'un doc où l'équipe, prise dans les glaces polaires, s'adonne au plongeon en slip. »
LEQUERET, Élisabeth.« Une femme et des couteaux ». Cahiers du Cinéma, n° 599, mars
2005, pp. 28-30 [à propos de Moolaadé de Ousmane Sembène] :
« Dans une cour déboulent quatre fillettes. Elles viennent d'échapper au couteau des
exciseuses, elles implorent aide et protection auprès d'une femme en pagne, Collé. »
BURDEAU, Emmanuel. « Les Enfants de Christian Vincent ». Cahiers du Cinéma,
n° 600, avril 2005, p. 52 :
« Portrait pour portrait, peut-être serait-il alors temps, vingt ans après Marche à l’ombre et
Les Spécialistes, d’en brosser un de l’intrigant Gérard Lanvin. Lanvin, comme le costume
cher offert à Boudu dans l’affreux remake de Jugnot. Gérard, comme Marcel ou Roger au
bistrot. »
« Là est peut-être l’unique singularité de ces Enfants : dans ses bons moments (la scène du
pyjama), la mauvaise grâce lanvinienne y mute gaucherie, brusquerie pataude, force fragile. »
GARSON, Charlotte. « Crustacés et coquillages d’Olivier Ducastel et Jacques
Martineau ». Cahiers du Cinéma, n° 600, avril 2005, p. 51 :
« Crustacés et coquillages attend beaucoup de ce que l’on pourrait appeler sa signalisation
Demy : aplat de couleurs pastel, typage des personnages (mère semi-hollandaise à vélo, père
garagiste en bleu de travail, plombier gay à l’accent californien, un aux belles fesses), et
surtout, impératif de fantaisie. »
« Mais en programmant que tout finirait par des chansons, Ducastel & Martineau escamotent
une question cruciale : comment s’opère le changement de régime entre dialogue et chansondanse ? Seule réponse ici, le « forçage » de la fantaisie suggère que les traces de transpiration
et bretelles de soutien-gorge transparentes aperçues dans les numéros dansés sont moins des
6
marques sympathiques d’un artisanat de home movie que les indices du dur labeur qu’il faut à
Crustacés et coquillages pour clamer sa légèreté. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Brice de Nice de James Huth ». Cahiers du Cinéma, n° 600,
avril 2005, p. 51 :
« Qui est Brice de Nice (dites Braïce de Naïce, comme Holiday on Ice) ? Gentil neuneu vêtu
en yellow inventé par Jean Dujardin, roi de la casse (du verbe casser : « j’te casse »), unique
surfer de Nice. »
FRODON, Jean-Michel. « Les frontières et les limites ». Cahiers du Cinéma, n° 600, avril
2005, pp. 36-38 [à propos de La Blessure de Nicolas Klotz] :
« Il voit les corps noirs parqués, entassés, il capte les lumières, visages et uniformes bleu
métallisé, police orthogonale, jeunes flics aussi effrayés de ce qu'ils infligent que les
immigrants sont effrayés de ce qu'ils subissent encore.
Ils demandent l'asile politique, officiellement on ne peut pas les renvoyer sans examen de leur
dossier, les hommes en uniforme ont pour mission de prendre de vitesse la procédure,
remettre de force tout le monde dans l'avion avant que l'administration républicaine ait pu se
mettre en marche. »
« Plasticité affichée de la composition des plans, choix de la durée qui fait émerger de l'ombre
des cachots le modelé d'un visage, l'élégance d'un tissu imprimé, la tension d'un corps. »
« Mais voici Johnny, qui fait du business et « protège » les jeunes filles black en détresse,
voici Steve qui travaille à rester bien assis dans les canapés défoncés, le joint impavide, voici
le T-shirt rouge de Moktar, qui ira chercher des cerises dans l'arbre, et les bidons d'eau à
remplir au cimetière voisin, pas si proche, voilà les filles qui ont trop peur, ou pas assez, une
guitare qui chante arabe, des poissons lavés dans la bassine dont l'eau se trouble, des murs
pourris, des jours d'inquiétude de la démolition de l'abri. »
TRESVAUX, Xavier. « Trois couples en quête d’orages de Jacques Otmezguine ».
Cahiers du Cinéma, n° 601, mai 2005, p. 59 :
« Débarrassez les acteurs et actrices des sourires automatiques, des chemises ouvertes et
pantalons blancs, des dialogues usants de la vie courante : « - Ça va ? – C’est plutôt à toi qu’il
faudrait demander ça. »
7
MÉRANGER, Thierry. « New-York Masala de Nikhil Advani ». Cahiers du Cinéma,
n° 601, mai 2005, p. 57 :
« D’abord clinquant tel une vieille ganache excentrique, le film s’assoupit puis ronfle dans ses
habits usés, folklore de province et commissaires moustachus. »
THIRION, Antoine. « Frères de sang de Kang Je-gyu ». Cahiers du Cinéma, n° 601, mai
2005, pp. 54-55 :
« À l’abri de la poussière et du Temps, Jinsuk a conservé une paire de chaussures vernies
transmises par Jin-tae. Singeant Titanic, dans son élection d’un détail, Kang croit sans doute
trouver la marque de son allégeance aux faits réels. Or c’est tout le contraire qui arrive : la
paire de chaussures réduit la guerre à une anecdote. »
GARSON, Charlotte. « Dans les trous du monde ». Cahiers du Cinéma, n° 601, mai 2005,
pp. 50-51 [à propos de I love Huckabees de David O. Russel] :
« Markowski, puis plus tard son alter ego Tommy (Mark Wahlberg), exécutent en
permanence une gymnastique éthique qui relie le moindre objet de consommation courante à
son origine et à sa destination mondialisées (ne pas oublier que cette belle paire de chaussures
vient d’un atelier clandestin). »
THIRION, Antoine. « Maladie kazakhe ». Cahiers du Cinéma, n° 601, mai 2005, p. 48 [à
propos de Shizo de Guka Omarova] :
« C’est-à-dire tout le contraire d’un trouble comportemental : si l’adolescent se tait ou
s’absente, ce n’est pas par autisme mais par ruse, par suradaptation à un monde de misère et
de crime où les figures masculines traditionnelles (parrain mafieux, motard en perfecto,
boxeurs épais) affirment présence en même temps que vulnérabilité. »
BÉGAUDEAU, François. « Présentateur vedette la légende de Ron Burgundy d’Adam
McKay ». Cahiers du Cinéma, n° 602, juin 2005, pp. 49-50 :
« La préhistoire de la télé câblée – milieu des seventies – dans laquelle le préambule off invite
à se replonger, c’est d’abord ce temps où il y avait des moches à l’antenne. Et par exemple
des moustachus, des qui laissaient le col ouvert sur leur torse moquetté. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Orlando Vargas de Juan Pittaluga ». Cahiers du Cinéma,
n° 602, juin 2005, p. 48 :
8
« Ça ne fonctionne pas, ça ennuie, une telle application à miser sur la dureté, sur
l’intransigeance, à injecter de l’étrangeté et une épouse en robe du soir (Elina Löwensohn) qui
se demande ce que fait son mari dans les couloirs de l’opéra. »
GARSON, Charlotte. « Dear Wendy de Thomas Vinterberg ». Cahiers du Cinéma,
n° 602, juin 2005, pp. 45-46 :
« Estherslope, trou du cul minier où vivent Dick (Jamie Bell) et ses jeunes amis, est garanti
étanche contre l’aujourd’hui : langage épuré de toute trace sociale, vêtements indatables, terre
battue, porche de bois et cour carrée de western. »
DELORME, Stéphane. « Creep de Christopher Smith ». Cahiers du Cinéma, n° 602, juin
2005, p. 44 :
« Lorsque l’héroïne au petit matin fait juste un pas pour sortir du tunnel et marcher sur le quai
éclairé, elle rentre, hagarde, dans la normalité sociale ; un puis deux costards-cravates vont au
boulot, nous sommes rassurés. »
BÉGAUDEAU, François. « La différence entre un corps ». Cahiers du Cinéma, n° 602,
juin 2005, pp. 37-38 [à propos de Douches froides d’Antony Cordier] :
« La marge de manœuvre est donc faible, et les embardées fictionnelles aussi infimes que les
300 grammes perdus en expirant à fond pour se vider d’air à la pesée d’avant match, ou en
s’emmitouflant sous une huitaine d’épaisseurs en plein juin. »
« Entre le bourgeois Clément, fils du propriétaire du club, et Mickaël, fils de chauffeur de taxi
et de femme de ménage, juste la ligne constamment mobile de leur deux kimonos accolés. »
« D’abord Clément fait remarquer à Mickaël, pourtant sportif plus performant que lui, qu’il
faut qu’il desserre ses chaussures, car au bout de dix minutes de footing les pieds gonflent. »
DELORME, Stéphane. « Les démons ». Cahiers du Cinéma, n° 602, juin 2005, pp. 36-37
[à propos de Sin City de Frank Miller et Roberto Rodriguez] :
« Évidemment le risque est grand, un pas de travers et l’absolu prend la pose, la publicité
guette à l’orée du mythe. Lorsque tout est porté par des furies masculines Hartigan et Mary,
pas de problème ; mais dans le troisième récit, plus faible, du quartier des prostituées, le
bellâtre Dwight (Clive Owen) ne fait pas le poids, et ses Converse rouges aux pieds font très
mal. L’héroïsme bigger than life ne pardonne pas aux petits bras. Quant aux déesses Helmut
Newton des comics, elles sont réduites à un défilé statique de putes habillées chez Demonia,
9
Rosario Dawson en Catwoman empotée et Devon Aoki, icône Lancôme, en pâle Go Go
Yubari. »
BURDEAU, Emmanuel. « Nouvelles du monde ». Cahiers du Cinéma, n° 602, juin 2005,
pp. 30-32 [à propos de The World de Jia Zhang-ke] :
« Rien n’y manque, certes, de ce qupi fait le cliché des années 2000 et de leur cinéma : (…).
Mais aussi : l’extension des codes occidentaux à la planète, la contrefaçon chinoise de la
haute-couture européenne, l’universel emballage sous cellophane – notre temps est celui des
« textiles de synthèse ». dit Jia dans l’entretien. »
THIRION, Antoine. « Seule la mort peut m'arrêter de Mike Hodges ». Cahiers du
Cinéma, n° 603, juillet-août 2005, p. 53 :
« Tête basse, barbe et chemise de bucheron jusqu'aux trois-quarts du film, il ne se venge
qu'après avoir retrouvé son ancien visage. Lequel se trouve être à peu près celui d'un Bond :
Bentley, costume sur mesure, coiffure sans épi. Soit l'exact opposé de ce que laissaient
attendre colère rentrée, rage intérieure, mou qui bout. Le loi du milieu où Hodges plonge ses
personnages, les forçant à retrouver intacte leur identité d'antan, se traduit chez l'acteur par
une remontée d'automatismes : devant la glace, reboutonner sa chemise effacer du plat de la
main les plis du costume, redresser le dos, reprendre son souffle. »
DELORME, Stéphane. « Mr and Mrs Smith de Doug Liman ». Cahiers du Cinéma,
n° 603, juillet-août 2005, pp. 51-52 :
« Le scénario, lui, ne tranche pas entre les deux sexes mais se permet un écart réjouissant dans
la façon dont chacun se trahit : elle par sa dextérité (elle saisit au vol une bouteille de rouge),
lui par sa maladresse (il a pissé sur sa chaussure droite...). »
BURDEAU, Emmanuel. « La Moustache d'Emmanuel Carrère ». Cahiers du Cinéma,
n° 603, juillet-août 2005, pp. 50-51 :
« Un homme, après en avoir allusivement mentionné le projet à son épouse, se rase la
moustache, fait un peu durer le suspens (tête plaquée dans le pull, facéties...) puis, révélant sa
nouvelle face d'imberbe, constate penaud et bientôt vénère l'indifférence de ses proches : mais
non, je t'assure, tu n'as jamais porté de moustache. »
10
NEYRAT, Cyril. « Code 68 de Jean-Henri Roger ». Cahiers du Cinéma, n° 603, juilletaoût 2005, p. 48 :
« Drôle de manière de dire à son personnage : pose ton sac, Anne, déchausse tes baskets,
remballe tes questions à la con. »
BÉGAUDEAU, François. « Au suivant! de Jeanne Biras ». Cahiers du Cinéma, n° 603,
juillet-août 2005, pp. 47-48 :
« Elle le regarde, elle regarde sa cravate à fleurs dépareillée, elle ne le croit pas. »
BÉGAUDEAU, François. « Calmer le jeu ». Cahiers du Cinéma, n° 603, juillet-août
2005, p. 46 [à propos de Whisky Romeo Zulu d'Enrique Piñeyro] :
« Pull, jeans, sac à dos de prof d'anglais, cheveux à peine gras, calvitie discrète, tassé dans sa
chaise avec les fesses jamais pile calées dans l'assise, comme s'il devait en glisser jusqu'à
s'étaler par terre comme une flaque puis disparaître absorbé par le sol. »
BURDEAU, Emmanuel. « The Island de Michael Bay ». Cahiers du Cinéma, n° 604,
septembre 2005, p. 43 :
« Le recyclage du cinéma, attraction d'un autre siècle, en long défilé de pubs pour marques
prestigieuses de bateaux, de téléphones, de chaussures, de vêtements : le clone Jordan 2 Delta
ravi de découvrir son modèle dans la vitrine d'une boutique chic de Los Angeles, autrement
dit nulle autre que Scarlett "The Lips" Johansson vendant, clonant son image pour une
campagne Calvin Klein, la mise en abîme fait froid dans le dos, même si la trouvaille est
maline, et le raccourci saisissant. »
FRODON, Jean-Michel. « Paradise now d'Hany Abu-Assad ». Cahiers du Cinéma, n°
604, septembre 2005, pp. 41-42 :
« Abu-Assad sait tirer le meilleur parti de l'apparence de ces corps dont on a fait connaissance
avec T-shirts crasseux et visages à la barbe négligée, et qui se sont endimanchés en men in
black pour aller perpétrer leur attentat. »
FRODON, Jean-Michel. « Grabuge de Jean-Pierre Mocky ». Cahiers du Cinéma, n° 604,
septembre 2005, p. 39 :
11
« Non plus, comme le prouve a contrario l'enthousiasmante performance de Michel Serrault,
commissaire amoureux impuissant de sa femme kabyle évoluant en bottes de cheval dans le
cloaque du monde, avec une malice et une présence qui fait tant défaut au reste du film. »
DELORME, Stéphane. « Pédophobe et deppophile ». Cahiers du Cinéma, n° 604,
septembre 2005, pp. 31-32 [à propos de Charlie et la chocolaterie de Tim Burton] :
« Il refuse tout contact, porte des gants, et dès sa première apparition ciseaux en main, on tient
là un Edward aux mains d'argent vieilli qui ne serait jamais sorti de son château. »
« Mais les retrouvailles du père et du fils, loin de détendre le récit, forment le pic phobique de
Charlie, l'un et l'autre remuant leurs doigts dans des gants hermétiques comme des nageoires
de pingouin. »
GARSON, Charlotte. « The President's Last Bang d'Im Sang-soo ». Cahiers du Cinéma,
n° 605, octobre 2005, pp. 42-43 :
« Echo ironique à cette censure cache-misère, un militaire ému devant le cadavre nu du
président assassiné ôte sa casquette et l'applique en cache-sexe. »
THIRION, Antoine. « Revolver de Guy Ritchie ». Cahiers du Cinéma, n° 605, octobre
2005, p. 42 :
« Le mafieu dodu (Vincent Pastore, regretté Pussy des Soprano) n'est-il qu'un rigolo en
survet'? »
NEYRAT, Cyril. « Oliver Twist de Roman Polanski ». Cahiers du Cinéma, n° 605,
octobre 2005, pp. 40-41 :
« De ce détail au film dans son ensemble, l'échec d'Oliver Twist tient à la même vanité de la
performance. Décorateurs, menuisiers, peintres, costumiers... l'industrie a bien travaillé, la
reconstitution du Londres de Charles Dickens, précise et monumentale, impressionne un
temps. On s'y croirait. Mais on n'y est pas, faute de chair, de vie. »
BURDEAU, Emmanuel. « Ma sorcière bien aimée de Nora Ephron ». Cahiers du Cinéma,
n° 605, octobre 2005, pp. 39-40 :
« (...) aux premiers plans d'Eyes Wide Shut, Kubrick la montrait s'essuyant les fesses en robe
de soirée (...). »
12
LEQUERET, Élisabeth. « Je ne suis pas là pour être aimé de Stéphane Brizé ». Cahiers
du Cinéma, n° 605, octobre 2005, p. 38 :
« Dans son coin, l'huissier ne dit rien mais on sent bien que sous sa cravate Brooks Brothers,
il y a un cœur qui bat. »
THIRION, Antoine. « Panser l'art ». Cahiers du Cinéma, n° 605, octobre 2005, p. 34 [à
propos de Cindy, the doll is mine de Bertrand Bonello] :
« Un modèle : elle-même, hier jeune femme déguisée fifties, star blonde américaine, starlette
brune italienne, libraire, secrétaire, femme fatale, ménagère années baby-boom. »
GARSON, Charlotte. « Faire le mur ». Cahiers du Cinéma, n° 605, octobre 2005, p. 32 [à
propos d'Alex de José Alcala] :
« Quand Alex, gueule de bois, rencontre à l'aube son amant qui se fait un col avec des copains
cyclistes, et que celui-ci l'entraîne faire l'amour entre deux murs, froc sur les genoux, la
séquence qui s'arrêterait là dirait, volens nolens, la violence du vite fait bien fait, des amours
sans lendemain. Or la caméra continue de tourner, l'amant remonte la culotte d'Alex : "T'as les
fesses à l'air... Dis donc, j'vais être frais, moi... »
HANSEN-LØVE, Mia.« Échec et smash ». Cahiers du Cinéma, n° 605, octobre 2005,
pp. 28-29 [à propos de Match Point de Woody Allen] :
« Noirs et blancs en accord avec un protagoniste sombre et migraineux, lui-même le plus
souvent vêtu d'une chemise blanche sous un complet ou une veste sombre. »
BÉGAUDEAU, François. « La matière, infiniment ». Cahiers du Cinéma, n° 605, octobre
2005, pp. 24-26 [à propos de L'Enfant de Luc et Jean-Pierre Dardenne] :
« Dans L'Enfant, Bruno porte. Toute autre caractérisation serait superficielle - ascendants
psychologiques, enracinement en périphérie de la société, chapeau qu'on croit d'abord un
raffinement actor's studio piqué au Johnny Boy de Mean Streets, et que Bruno troque tôt
contre de l'argent. »
BURDEAU, Emmanuel. « Pour un cinéma subtil ». Cahiers du Cinéma, n° 605, octobre
2005, pp. 20-22 [à propos de Be With Me d'Eric Khoo] :
13
« Ce n'est bien sûr pas la même chose, de parader à 16 ans en t-shirt moulant griffé "I'm a
star", et de promener à 50 sa neurasthénie de bibendum parmi les malls et les rues de
Singapour. »
BÉGAUDEAU, François. « In Her Shoes de Curtis Hanson ». Cahiers du Cinéma,
n° 606, novembre 2005, p. 45 :
« Désormais, on fait travailler cette glandeuse (dans un hôpital pour vieux), on apprend à lire
à cette crétine (par un prof de littérature à la retraite soigné au même hôpital), on voile d'une
combinaison les jambes les plus sexy de la planète Terre. »
BURDEAU, Emmanuel. « Combien tu m'aimes? de Bertrand Blier ». Cahiers du Cinéma,
n° 606, novembre 2005, pp. 43-44 :
« Ensuite d'entendre l'éternel Gégé - son flingue, son costume rayé, ses mains au cul - partager
son admiration mâle pour la môme Bellucci (Monica, épouse Cassel) avec l'ex-Inconnu
Bernard Campan, avec le fameux Professeur Rollin, avec Edouard Baer en personne - son pull
en V, sa veste en velours, son sourire dandy. »
BURDEAU, Emmanuel. « Série BB ». Cahiers du Cinéma, n° 606, novembre 2005, pp. 39
[à propos de J'ai vu tuer Ben Barka de Serge Le Péron] :
« D'époque? Par la vitre des berlines s'aperçoit pourtant plus d'une Twingo verte, tandis qu'à
l'arrière-plan, sur le boulevard Saint-Germain, s'attardent quelques badauds de 2005 en
baskets Gola. Pire, les costumes sentent la mite ou au contraire l'amidon (...). »
« (...) de l'autre il [Serge Le Péron] renoue avec tout un imaginaire médiocre de cinéma à la
papa : gouaille titi, apaches à chapeaux, cabaret enfumé, petite actrice en robe légère. »
FRODON, Jean-Michel. « L'école de la chair ». Cahiers du Cinéma, n° 606, novembre
2005, pp. 28-29 [à propos de Backstage d'Emmanuelle Bercot] :
« Quelque chose se produit, qui tient à Isild Le Besco, qui joue Lucie la chtite prolote, et à sa
manière de rôder dans les couloirs du Plazza Athénée, de se nourrir de restes du room service
abandonnés sur la moquette, de se camper devant les gardes du corps, de porter son blouson
nul. »
BURDEAU, Emmanuel. « L'écrit les cris ». Cahiers du Cinéma, n° 606, novembre 2005,
pp. 24-26 [à propos de Three Times de Hou Hsiao-hsien] :
14
« Blanc sur noir, les casques de la moto que chevauchent Zhen et Jing sont constellés de
graffitis, mots et pictogrammes indistinctement mêlés. »
« Dès 1911, l'écrit se donne au contraire un espace propre, et les costumes finement ouvragés
de Chang et de son aimée commencent à les fondre dans la riche tapisserie des "enclaves" :
les cœurs, les corps, la politique deviennent un texte indéchiffrable ou funestement chiffré. En
2005 enfin, le processus est achevé : Jing a griffé son cou d'un ¥ rouge, et superposé pardessus quatre ou cinq couches de vêtements (...). »
THIRION, Antoine. « La Vérité nue d'Atom Egoyan ». Cahiers du Cinéma, n° 607,
décembre 2005, p. 70 :
« Envers de la légende, chauds secrets du showbiz, cœurs noirs sous peaux roses, cerveaux
calculateurs sous mises en plis, mèches folles, Ray Ban et moules-bites, rien n'y manque. »
RENZI, Eugenio. « Une fois que tu es né de Marco Tullio Giordana ». Cahiers du
Cinéma, n° 607, décembre 2005, pp. 69-70 :
« Déguisé en Kurde, le garçon échappe ainsi au kidnapping, et débarque illégalement en
Sicile, comme n'importe quel autre immigré. »
BÉGAUDEAU, François. « Hustle and Flow de Craig Brewer ». Cahiers du Cinéma,
n° 607, décembre 2005, p. 66 :
« Jay se cherche encore, n'a pas encore revêtu sa panoplie, on le verra se passer autour du cou
sa première chaîne. Chemise ouverte sur tee-shirt blanc, petite moustache latina et cheveux
épais, il n'est pas complètement prêt pour MTV. »
COUMOUL, Sylvain. « L'Arc de Kim Ki-duk ». Cahiers du Cinéma, n° 607, décembre
2005, p. 62 :
« Avec montage en veux-tu en voilà (la fille mange : dix secondes, trois plans) et attaques de
séquences fondées sur quelque plan-alibi (un échelon par exemple où se succèdent des
godillots, pour dire que du monde arrive sur le bateau). »
DELORME, Stéphane. « Scellé par un baiser ». Cahiers du Cinéma, n° 607, décembre
2005, pp. 58-59 [à propos de La Saveur de la pastèque de Tsai Ming-Liang] :
« Ainsi, dans la première scène, la plus troublante, l'acteur enfonce son doigt dans une
pastèque ouverte qu'une actrice déguisée en infirmière tient entre ses jambes. »
15
« Dans un gag bref, génial, l'actrice porno attaquée par des fourmis (invisibles) se défait
vivement de ses vêtements dans un ascenseur bondé ; ce strip-tease a lieu à l'endroit même où
l'héroïne paranoïaque s'était méfiée à tort d'un inconnu monté seul avec elle. »
BURDEAU, Emmanuel. « Le Secret de Brokeback Mountain d'Ang Lee ». Cahiers du
Cinéma, n° 608, janvier 2006, pp. 47-48 :
« Mais dans le même temps, le cinéaste entend se tenir quitte de toute opération frontalement
critique en donnant à lire l'évidence du désir dans la littéralité de ses images de nature et de
virilité - montagne de Brokeback, grands espaces et troupeaux de bêtes, bottes et Stetsons,
chemises Marlboro Classics. »
« (...) de même, il ne restera de leur passion que le talisman d'un peu de sang séché sur une
énième chemise à carreau. »
BÉGAUDEAU, François.
« Olé ! Florence Quentin ». Cahiers du Cinéma, n° 608,
janvier 2006, p. 47 :
« Politesse toujours, respirer par le nez, épousseter les nappes, lunettes verres teintés : planqué
dans le neutre, Gad attend son heure. »
BÉGAUDEAU, François. « Madame Henderson présente de Stephen Frears ». Cahiers
du Cinéma, n° 608, janvier 2006, p. 46 :
« Du thriller social (Dirty Pretty Things), du social sans thriller (The Van), du fantastique en
costume (Mary Reilly), du costume sans fantastique (ce Madame Henderson présente), du
film d'espionnage (Point Limite), du film (Liam) : embrassé sur ces quinze dernières années,
Stephen Frears force la sympathie, sage abeille butinant de commande en commande sans y
verser nul miel labellisé. »
« Lors de la première répétition, les poules recrutées en province retardent le moment de faire
tomber le peignoir, cela fait un peu de tension, un peu de durée pour installer quelque chose. »
BURDEAU, Emmanuel. « Appelez-moi Kubrick de Brian Cook ». Cahiers du Cinéma,
n° 608, janvier 2006, p. 43 :
« La folle tordue Alan Conway (true story) entre et sort de scène, change de costume, troque
un pantalon de golf pour une jupette, réajuste mitaines ou bas résille, collectionne accents et
sacs à main, alterne chic Paul Smith et débraillé de même copyright. »
16
AUBRON, Hervé. « Angel-A de Luc Besson ». Cahiers du Cinéma, n° 608, janvier 2006,
p. 42 :
« Elle ressemble à la Jeanne d'Arc d'il y a six ans, mais avec une robe courte et des cheveux
platines au carré. »
THIRION, Antoine. « Hollywood-Portugal ». Cahiers du Cinéma, n° 608, janvier 2006,
pp. 40-41 [à propos de Odete de João Pedro Rodrigues] :
« Odete, vêtue des habits de Pedro, mime une sodomie sur Rui, nu, qui crie de plus en plus
fort le nom de son amant décédé. »
DELORME, Stéphane. « La mort d'un Monsieur ». Cahiers du Cinéma, n° 608, janvier
2006, pp. 36-37 [à propos de La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu] :
« La spécificité de ce Monsieur Lazarescu, 63 ans, veuf, ivrogne, est qu'il n'a plus rien pour se
draper, juste un pyjama rayé et un bonnet sur la tête ; abandonné de tous, bientôt à moitié nu,
il souffre d'une maladie mortelle. »
« Avec son blouson orange "Asistent", marqué d'une croix, elle est aussi démunie que
l'adolescent arborant un sweat rouge "Lifeguard" dans Elephant. »
GARSON, Charlotte. « Discours de la cathode ». Cahiers du Cinéma, n° 608, janvier
2006, pp. 28 et 30 [à propos de Good Night, and Good Luck de George Clooney] :
« Persuadés qu'ils parviennent à cacher leur mariage (interdit par CBS entre ses employés), ils
ôtent leurs alliances le matin, roucoulent comme des pigeons traqués près du distributeur
d'eau. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Tony Takitani de Jun Ichikawa ». Cahiers du Cinéma, n° 609,
février 2006, pp. 41-42 :
« Elle trouve auprès de lui un certain bien-être qui ne fait pas taire sa manie, l'achat compulsif
de vêtements, dans laquelle elle engloutit toutes ses économies. »
GARSON, Charlotte. « The King de James Marsh ». Cahiers du Cinéma, n° 609, février
2006, pp. 41 :
« On le soupçonne plutôt d'éprouver sincèrement les menus plaisirs du familialisme middleclass, enfiler ses chaussons de feutre et essuyer consciencieusement la lunette des WC après
usage. »
17
BURDEAU, Emmanuel. « Fauteuils d'orchestre de Danièle Thompson ». Cahiers du
Cinéma, n° 609, février 2006, pp. 37-38 :
« Le scénario de Fauteuils d'orchestre étale une si collante guimauve que le film ne laisse pas
même ce recours d'apercevoir de purs exercices de jeu à travers la leçon de vie. Cécile de
France porte une doudoune rose, Claude Brasseur martyrise une théière, Suzanne Flon
zinzinne doucement, Christopher Thompson ronchonne, Albert Dupontel peaufine son
numéro d'anti-intello. Peanuts. »
FRODON, Jean-Michel. « Cache-cache d'Yves Caumont ». Cahiers du Cinéma, n° 609,
février 2006, pp. 36-37 :
« Les couleurs vives des habits qu'arbore la femme espagnole du docteur affichent avec une
agressivité muette, et qui se croit joyeuse, une manière d'être là à l'opposé des ternes et
fonctionnels vêtements de travail de Raymond. »
DELORME, Stéphane. « Petits farcis ». Cahiers du Cinéma, n° 609, février 2006, pp. 3435 [à propos de Nouvelle Cuisine de Fruit Chan] :
« Errant en foulard et lunettes noires, telle la Fedora de Billy Wilder, elle devient accro au
fœtus au point de dévorer le fils de son mari volage. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Le style et les gants ». Cahiers du Cinéma, n° 609, février 2006,
pp. 26-28 [à propos de L'Ivresse du pouvoir de Claude Chabrol] :
« Laquelle sensualité rebondit sur le corps de l'actrice Isabelle Huppert, filmée comme une
prêtresse de l'accessoire, gants et sac à main rouge vif, lunettes violettes. De même qu'elle
touche du doigt le caleçon fantaisie de François Berléand, PDG en prison, ou la chaînette en
or sur cravate de Jean-François Balmer, intermédiaire louche. »
GARSON, Charlotte. « Toi et moi de Julie Lopes-Curval ». Cahiers du Cinéma, n° 610,
mars 2006, p. 44 :
« À l'arrivée, c'est la demi-caricature : sœurs nunuches en chemisiers à pois, dialogues
jonglant avec les clichés. »
RENZI, Eugenio. « Romanzo criminale de Michele Placido ». Cahiers du Cinéma, n° 610,
mars 2006, pp. 42-43 :
18
« On aime l'histoire de ces petits durs qui durent, où les décennies, les modes, les looks se
succèdent à une vitesse calée sur celle des Affranchis. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « La Panthère rose de Shawn Levy ». Cahiers du Cinéma, n° 610,
mars 2006, p. 42 :
« Aux côtés d'un Jean Reno étonnamment hagard et absent des débats, S.M. [Steve Martin]
module un burlesque un peu détaché, et s'affaire à donner le change : assumant l'imposture et
le costume trop grand pour lui, l'acteur fonce humblement dans une demi-imitation de Peter
Sellers. »
BURDEAU, Emmanuel. « Braqueurs amateurs de Dean Parisot ». Cahiers du Cinéma,
n° 610, mars 2006, pp. 38-39 :
« Ensemble, les époux Harper enchaînent les hold-up, déguisés tantôt en Blues Brothers,
tantôt en Sonny and Cher, tantôt en Présidents des États-Unis. »
FRODON, Jean-Michel.
« Ciné-cosmos ». Cahiers du Cinéma, n° 610, mars 2006,
pp. 31-32 [à propos de DR9 de Matthew Barney] :
« De lents préparatifs, un ballet comme suspendu d'ouvriers en cotte bleue et casque orange,
un bateau qui vogue sur un océan d'anthologie, un homme, une femme, des signes, de la
matière. »
« Mais aussi bien l'exact mélange de splendeur et de ridicule des costumes archaïques portés
par Björk et Barney à bord du navire voguant vers une tempête surnaturelle, ou la ligne de
partage précisément tenue entre danse-gag piquée au dessin animé et chorégraphie
chromatique des cercles oranges (les casques), ou encore l'équilibre intenable et pourtant
maintenu entre l'esthétisme et le gore des manipulations qui feront de deux invités
occidentaux du bateau japonais chasseur de baleine deux nouveaux géants de la faune
marine. »
BURDEAU, Emmanuel. « Jean-Philippe de Laurent Tuel ». Cahiers du Cinéma, n°611,
avril 2006, pp. 58-59 :
« Si la manoeuvre est claire, alors l'arnaque aussi. Elle élèverait au carré celle du biopic :
claironner telle une révélation que Johnny est bien Johnny, qu'il chante, s'habille, sue comme
Johnny. »
19
BÉGAUDEAU, François. « Enfermés dehors d'Albert Dupontel ». Cahiers du Cinéma,
n° 611, avril 2006, p. 57 :
« Restent les moments où Dupontel artiste laisse à Dupontel acteur le temps d'incarner la belle
tension d'un clodo déguisé en flic et s'armant de rigorisme sans abdiquer sa bonté bébête. »
BÉGAUDEAU, François. « Camping sauvage de Christophe Ali et Nicolas Bonilauri ».
Cahiers du Cinéma, n° 611, avril 2006, p. 55 :
« Tout vu le cirque que fera Camille équipée de sa jupe courte en jean, éternelle vierge pute
du cinéma français, désespérée par romantisme, romantique par désespoir, teigne au cœur
d'enfant, enfant au cœur de teigne, un peu de la Bonnaire ado (admettons, car qu'est-ce que
fout Isild Le Besco avec maman et beau-papa?) et tout le reste pompé, c'en est troublant, à
l'infernale Adjani de L'Été meurtrier. »
BURDEAU, Emmanuel. « Basic Instinct 2 de Michael Caton-Jones ». Cahiers du
Cinéma, n° 611, avril 2006, p. 54 :
« C'est un épisode des Soprano, saison 3 ou 4, on ne sait plus. Quelques jeunes loups décident
de braquer en cagoules la partie de poker de leurs aînés, afin de gagner le respect de ceux-ci
(...). »
BURDEAU, Emmanuel, RENZI, Eugenio. « 16 Blocs de Richard Donner et Les Brigades
du Tigre de Jérôme Cornuau ». Cahiers du Cinéma, n° 611
, avril 2006, p. 54 :
« Illumination de Jack : revêtir Eddie d'un anonyme costume crème afin que, se mêlant au
passagers, il puisse échapper aux balles ennemies. »
BURDEAU, Emmanuel. « Agent doublé ». Cahiers du Cinéma, n° 611, avril 2006, pp. 5253 [à propos de OSS 117 de Michel Hazanavicius] :
« Ce dernier peut bien invoquer le Belmondo du Magnifique, l'opération est inverse : au playboy ravalé bouffon succède le guignol en smoking d'alpaga. »
NEYRAT, Cyril. « Décollé serré ». Cahiers du Cinéma, n° 611, avril 2006, pp. 51-52 [à
propos de Wassup Rockers de Larry Clark] :
« Jonathan est le leader nonchalant d'une bande de jeunes Américains originaires du Salvador,
qu'une prédilection pour les jeans serrés condamne au statut de parias au royaume des
pantalons baggy. »
20
GARSON, Charlotte. « Par monts et pare-brise ». Cahiers du Cinéma, n° 611, avril 2006,
p. 47-48 [à propos de Le Fataliste de João Botelho] :
« Entre la narratrice et sa protagoniste, le même rapport du corps au tissu, de la chaussure
pointue au cou de pied, de la semelle au sol. »
BURDEAU, Emmanuel, RENZI, Eugenio. « Terreur pour tous ». Cahiers du Cinéma,
n° 611, avril 2006, pp. 42-44 [à propos de V pour Vendetta de James McTeigue et Inside
Man, l'homme de l'intérieur de Spike Lee] :
« Des terroristes et d'honnêtes quidams affublés de pied en cap d'un même uniforme les
rendant provisoirement indiscernables et égaux, c'est l'image où se rejoignent deux films qui
sortent des semaines-ci, V pour Vendetta de James McTeigue et Inside Man de Spike Lee. »
« S'adressant via la télévision aux masses d'une Grande-Bretagne virée totalitaire, le terroriste
V a pris soin, afin d'échapper à l'assaut des forces de l'ordre, de revêtir les employés de la
chaîne national d'un costume identique au sien : grande cape noire, masque dessiné d'une
barbe fine et d'un inamovible sourire empruntés au légendaire saboteur Guy Fawkes. »
« C'est une des audaces du film : ne jamais arracher le masque pour découvrir les traits du
génial Hugo Weaving, à qui la trilogie Matrix avait déjà offert le rôle en or de l'agent Smith. »
« Une telle division des moyens et des fins exige un artifice d'art ; elle suppose de cantonner
le terrorisme à une chimère, un pur jeu de masques, précisément. »
« Cette ambivalence trouve une formulation nette dans la propre bouche de V : celle d'un
masque dont on ne sait s'il dissimule plutôt une chair, ou plutôt une idée. »
« Confusion encore : les terroristes jonglent avec les otages, les partagent entre hommes et
femmes, puis entre employés et clients ; les déshabillent puis les rhabillent tous de la même
tenue de peintre qu'eux mêmes portent ; les maltraitent, les déplacent, se mêlent à eux. »
« Aux scènes dans la banque, le cinéaste mélange des flash forward sur les interrogatoires,
tout le monde portant encore le même costume, la palette ocre d'une DV ajoutant encore une
nouvelle couche d'uniformité. »
BÉGAUDEAU, François. « Quatre étoiles de Christian Vincent ». Cahiers du Cinéma,
n° 612, mai 2006, p. 58 :
« Que maquillée et décolletée Franssou demeure Franssou, que Stéphane n'habite le Carlton
qu'au prix de ruses bas-de-gamme, voilà qui importe peu puisque le changement de dimension
n'est pas le but de la manœuvre. »
21
BÉGAUDEAU, François. « Camping de Fabien Onteniente ». Cahiers du Cinéma, n° 612,
mai 2006, p. 55 :
« Version plus appréciable, c'est Antoine Duléry baptisé Paulo mais dont le bob et la
moustache peinent à retenir la drôlerie toute citadine ; ou l'autre Gégé, Lanvin, dont le
costume beige de docteur en vacances ne corsète qu'un temps la gouaille audiardienne. Et
puis Mathilde Seigner, qu'une scène voit, d'abord cocue altières, lèvres closes et cou tendu,
fiel retenu par respect pour les convenances, se transformer en charretière vindicative. Elle se
lève de sa chaise de restaurant, promet d'en faire baver au mari infidèle (...), relève sa jupe
pour taper sur des fesses qu'elle déclare à disposition de tous. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « A Bittersweet Life de Kim Jee-woon». Cahiers du Cinéma,
n° 612, mai 2006, p. 54 :
« Lorsque Sun Woo découvre que la jeune femme batifole avec son amant, au lieu de tuer
celui-ci il l'épargne - erreur fatale qu'il devra payer comptant : enterré vivant, subissant divers
désagréments, Sun Woo, donc va se venger. En costard. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « 30 ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai 2006, pp. 44-45 [à propos
de La gueule que tu mérites de Miguel Gomes] :
« Parce que Francisco sombre, il s'est évanoui en jouant du ukulélé habillé en cow-boy avec le
chœur des sept nains, puis s'est cogné la tête dans la voiture de Vera, sweet Vera, qu'il voulu
embrasser une deuxième fois. »
« Il faut bien ça pour sauver le pauvre Francisco et sa panoplie de shérif, le gling-gling de ses
éperons et son chapeau trop grand qui lui donnent un air d'avorton multicolore. »
NEYRAT, Cyril. « Hervé, Philosophe Gaulois ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai 2006,
pp. 43-44 [à propos de On ne devrait pas exister de HPG] :
« Vêtu de noir, sa tête chauve perdue dans l'obscurité du décor, il existe à peine. Il a beau se
déshabiller en une ultime bravade, ce ne change rien, il était déjà nu. »
« Quant à Hervé, il ne cesse de changer de peau : à poil, vêtu de noir, de blanc, de son
costume de Condoman, aucune différence. C'est la joyeuse immanence d'un film qui,
pourtant, semble passer à plusieurs reprise de la fiction ou du rêve à la réalité : lorsque
Condoman saute d'un avion et atterrit sur la terrasse d'une jeune femme très décolletée, ou
lorsque Julius et son disciple, vêtus de combinaisons rose fluo et semblable aux petits vieux
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de Mulholland Drive, attaquent Hervé réfugié la nuit dans la Cinémathèque. Sauf que dans
l'univers excessif de Hervé, nu ou déguisé, fiction ou réalité, c'est pareil. »
BURDEAU, Emmanuel. « Un art désarmé ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai 2006,
pp. 39-40 [à propos de Volver de Pedro Almodóvar] :
« Pendant qu'elle éponge, Raimunda entend sonner à la porte ; passant une robe de chambre,
elle va ouvrir : c'est le voisin venu lui confier à la veille d'un voyage les clés de son restaurant.
Celui-ci repère sur le cou de Raimunda une tâche suspecte. ¿ Que pasa ? Réarrangeant son
vêtement, portant un instant la main à son cou, Raimunda fait alors cette fabuleuse réponse :
"Cosas de mujeres...", "des trucs de femmes..." Voilà. »
FRODON, Jean-Michel. « La vive folie de l'étrangère ». Cahiers du Cinéma, n° 612, mai
2006, pp. 36-38 [à propos de Marie-Antoinette de Sofia Coppola] :
« Sofia Coppola se jette dans son film, nous y balance avec elle, comme on plonge
bravement : guitares rock, overdose de pâtisseries, minauderie outrée de miss KD [Kirsten
Dunst], titres fuchsia qui éclatent sur l'écran. Voilà pour les précautions oratoires et la
componction du film en costumes Grand Siècle, les affaires sérieuses peuvent commencer. »
« Toutes les raisons d'échouer sont là, l'artifice hollywoodien mêlé à la lourdeur du décorum
historique, Marianne Faithfull en Impératrice d'Autriche et le gros Louis XV avec un accent
californien et des grimaces de pilier de saloon, les canassons, les meubles dorés, les valets en
costumes surchargés, les souvenirs plus ou moins précis de la véritable histoire comme on l'a
apprise à l'école. »
« L'héroïne du film est une jeune fille, et Sofia Coppola sait filmer les jeunes filles. (...) C'est
ainsi. C'est ainsi parce qu'elle est, tout simplement, une excellente cinéaste. Il aura suffit de
quelques plans, la proximité et la distance, la pudeur et l'empathie, une élégance discrète du
cadre en contrepoids aux excès des costumes et des décors. L'inexplicable miracle de Virgin
Suicides et des Lost in translation se répète ici, malgré des obstacles - lourdeur de la
production, lourdeur de la référence historique - très supérieurs. »
FRODON, Jean-Michel. « Voyage en Arménie de Robert Guédiguian ». Cahiers du
Cinéma, n° 613, juin 2006, pp. 40-41 :
« À mesure que s'empilent les imageries d'un Épinal transplanté à Erevan, mélangeant clip
touristique et résumé historico-politique pour révision du Brevet (la ville - qui a aussi ses
pauvres et ses trafiquants -, la campagne, la montagne, les églises très anciennes, les cafés, la
23
nourriture typique, les chansons, les costumes, la glorieuse guerre du Karabakh, le Mont
Ararat dont il faut avoir parlé un jour...), se profile une question. Tandis qu'Ariane Ascaride
joue les Tintin en talons hauts, tout cet artifice finit par interroger à rebours les premiers films
de Guédiguian. »
GARSON, Charlotte. « Martyre au logis ». Cahiers du Cinéma, n° 613, juin 2006, pp. 3334 [à propos de Bashing de Masahiro Kobayashi] :
« Virée de son boulot, quittée par son copain, abreuvée d'injures téléphoniques, elle voit
même des jeunes fouler d'un coup de Nike rageur son dîner acheté avec tant de gourmandise
(...). »
AUBRON, Hervé. « Enamourés ». Cahiers du Cinéma, n° 613, juin 2006, pp. 32-33 [à
propos de Changement d'adresse d'Emmanuel Mouret] :
« Tous les personnages lorgnent vers la fin des années 1960 : cravate, velours et écharpe
écossaise pour David (...). »
BURDEAU, Emmanuel. « Grandperret par les chemins ». Cahiers du Cinéma, n° 613,
juin 2006, pp. 26-28 [à propos de Meurtrières de Patrick Grandperret] :
« Là, la folie des patients se manifeste principalement par des sautes d'humeur, passages sans
transition de la tendresse à la méfiance, du sourire à la menace, telle femme venant se plaindre
d'un vol pour ensuite demander, tout miel, qu'on lui prête ce si joli collier pour son rendezvous du soir (...). »
« (...) si Nina et Lizzy, mini-jupes et talons hauts, sont d'abord des proies sexuelles pour ceux
qu'elles rencontrent, ce possible monnayage ne suffit pas à leur définir une place, fût-ce
sordidement. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Qui m'aime me suive de Benoît Cohen ». Cahiers du Cinéma,
n° 614, juillet-août 2006, pp. 58-59 :
« Il s'achète des t-shirts, tombe la cravate, retrouve un bassiste qui, musicien, porte bagouzes,
pantacuir et chapeau de circonstances. »
DELORME, Stéphane. « Bébé requin ». Cahiers du Cinéma, n° 614, juillet-août 2006,
pp. 56-57 [à propos de Baby Boy Frankie d'Allen Barron] :
« Il n'a pas de corps, juste un beau pardessus bien raide, des gants, des chaussures cirées. »
24
FRODON, Jean-Michel. « Ficelles de Troie ». Cahiers du Cinéma, n° 614, juillet-août
2006, p. 53 [à propos de Call Me Agostino de Christine Laurent] :
« L'autre femme aussi, celle qui doit réparer la jambe du petit dieu, Marianne tendue sur ses
talons aiguilles et ses lubies gestionnaires, subira le sortilège ; pas tout à fait celui de l'amour,
mais d'un commerce auquel préside le facétieux unijambiste de marbre. »
THIRION, Antoine. « Musique pour Asies ». Cahiers du Cinéma, n° 614, juillet-août
2006, pp. 49-50 [à propos de Vagues invisibles de Pen-ek Ratanaruang] :
« Entre ces deux films, Tadanobu Asano s'est laissé pousser les cheveux, a ôté les lunettes du
bibliothécaire rigide qu'il incarnait dans Last Life. »
« Dans Last Life, un Japonais austère et méticuleux rencontrait une Thaï bordélique et franche
dont la sœur, Nid, travaillait comme hôtesse dans un bar monnayant un érotisme nippon
(costumes d'écolière, socquettes, etc.) : dans ce personnage se croisaient Japon et Thaïlande,
et son fantôme permettait justement le rapprochement des deux étrangers. »
« Un Chinois vend des armes sous des habits de bonze, un yakusa vante la grandeur du
karaoké tout en promettant la mort à son hôte, et Kyoji, regardez bien l'affiche, découpe aussi
bien le poisson que les corps. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Twelve and Holding de Michael Cuesta ». Cahiers du Cinéma,
n° 615, septembre 2006, p. 36 :
« Au lieu de rôder autour de lui, on conseille à Michael Cuesta de regarder les films de Larry
Clark, où les kids sont sans cesse renvoyés à leur condition d'enfants (...), parce que
justement, ce sont des enfants, pas des psys en couettes et culottes courtes. »
DELORME, Stéphane. « Pirates des Caraïbes : le secret du coffre maudit de Gore
Verbinsky ». Cahiers du Cinéma, n° 615, septembre 2006, pp. 34-35 :
« Autour, naviguent pêle-mêle le Hollandais volant, la femme pirate Anne Bonney (Keira
Knightley, plus convaincante travestie), le kraken (poulpe géant qui fait craquer les navires),
un vaisseau fantôme, une cargaison d'âmes... »
« Cet égocentrisme libère la mise en scène : gigotant à la marge, il s'occupe davantage de se
trouver un chapeau ou d'éviter un bocal qui tangue au-dessus de sa tête que d'écouter ce qu'on
lui raconte. »
« Perroquet, pantin, girouette, Depp entasse tout ce qu'il peut sur son corps travesti, collier de
doigts ou peinture d'yeux. »
25
FRODON, Jean-Michel. « Le Maître d'armes de Ronny Yu ». Cahiers du Cinéma, n° 615,
septembre 2006, p. 33 :
« Le film est en effet un vibrant plaidoyer pour l'indépendance économique et culturelle de la
Chine, dont les deux scènes-chocs sont la raclée infligée par Jet li à un hercule américain vêtu
d'un short aux couleurs de la bannière étoilée (remake de Rocky Balboa explosant le géant
orné de la faucille et du marteau dans Rocky 4), et le même héros de la fierté chinoise
dérouillant des représentants des puissances impérialistes européennes et japonaises. »
DELORME, Stéphane, TESSÉ, Jean-Philippe. « Bleu d'enfer de John Stockwell ».
Cahiers du Cinéma, n° 615, septembre 2006, p. 31 :
« Pauvre Stockwell obligé de filmer une enquête, la tentation de l'or blanc, les
narcotrafiquants bagués, alors que ce beach boy, en éternel juillettiste, ne craque que pour
Galak : bleu profond, bleu d'enfer, bikinis minis, mines bronzées. »
« Au milieu Jessica Alba flotte. Pauvre Stockwell obligé de filmer la bimbo sur le plancher
des vaches, son slip en amorce, alors que ce petit baigneur, en éternel aoûtien, ne s'intéresse
qu'aux sirènes (...). »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Rire et ravissement ». Cahiers du Cinéma, n° 615, septembre
2006, pp. 22-23 [à propos de La Jeune Fille de l'eau de M. Night Shyamalan] :
« Le plan bascule autour d'un pivot (le moment même de la révélation, figuré par ce
changement d'axe) et découvre le visage ahuri d'un body-builder en jogging, dont la bouche
bée laisse entrevoir un morceau du gâteau reposant dans l'assiette en plastique qu'il tient d'une
main tremblante. »
FRODON, Jean-Michel. « L'ivresse du non-pouvoir ». Cahiers du Cinéma, n° 615,
septembre 2006, p. 20 [à propos de Jardins d'automne d'Otar Iosseliani] :
« Cette admirable vieille dame est jouée par le non moins admirable Michel Piccoli. Perruque,
robe, bas et chaussures de femme, voix un peu tirée vers l'aigu, il s'agit bien de jouer la vieille
dame, comme au spectacle. Et il s'agit d'autre chose : on voit mamie, on voit Piccoli. Il ne se
cache pas derrière elle ni sous le déguisement, au contraire. Étant tout à fait Michel Piccoli, il
est superlativement la vieille dame. Et une sorte de puissance joyeuse, très au-delà de ce que
dit et fait le personnage, surgit. »
26
DELORME, Stéphane. « Sur la terre plus qu'au ciel ». Cahiers du Cinéma, n° 615,
septembre 2006, pp. 10-12 [à propos de Flandres de Bruno Dumont] :
« Que les deux marchent les poings dans les poches, que les échanges se bornent à quelques
mots. »
« Le groupe de soldats semble entièrement désarmé ; couchés au ras du sol, ouverts à tout
vent, les gommes sont à nu, uniquement protégés par leurs casques qu'une balle peut crever. »
DELORME, Stéphane. « Severance de Christopher Smith ». Cahiers du Cinéma, n° 616,
octobre 2006, pp. 50 et 52 :
« Smith se laisse même aller à un comique bas de gamme : corps éventré sur chanson enjouée,
bimbos tissant une échelle de corde à base de soutifs, rot au milieu du chaos. »
GARSON, Charlotte. « Le Pressentiment de Jean-Pierre Darroussin ». Cahiers du
Cinéma, n° 616, octobre 2006, p. 50 :
« L'aventurier du déclassement conserve son costume, son stylo de marque, sa part
d'héritage. »
BURDEAU, Emmanuel. « Le Diable s'habille en Prada de David Fraenkel et Thank you
for somking de Jason Reitman ». Cahiers du Cinéma, n° 616, octobre 2006, p. 48 :
« Son dilemme ébouriffe : l'assistante parviendra-t-elle à être performante sans vendre son
âme, voire carrément devenir une fashion-victim? »
BURDEAU, Emmanuel. « Frears dans l'interrègne ». Cahiers du Cinéma, n° 616,
octobre 2006, pp. 33-34 [à propos de The Queen de Stephen Frears] :
« Une immense photo d'elle en surplomb d'Elizabeth vêtue de noir, toute menue et lèvres
pincées, l'affiche atteste que la souveraine du titre est bien l'ex-épouse de l'héritier de la
couronne britannique. »
« À sa manière précise, mais dénuée d'intention polémique, le cinéaste ne peint donc
décidément pas Elizabeth seule et en majesté, mais le profond anachronisme britannique, par
exemple la proximité d'un Premier Ministre en maillot de la Juve et d'une Reine en total look
Barbour sous le signe contre-nature d'une aristocrate du commun. »
BÉGAUDEAU, François. « La Cour est dans la cour ». Cahiers du Cinéma, n° 616,
octobre 2006, pp. 32-33 [à propos de Bamako d'Abderrahmane Sissako] :
27
« L'activité ininterrompue alentour garantit à l'image les compositions contrastées (robe
d'avocat et chèvre), furtives, aléatoires, occasionnées par le tranquille artisanat du dispositif. »
DELORME, Stéphane. « Strangers in Paradise ». Cahiers du Cinéma, n° 616, octobre
2006, pp. 29-30 [à propos de Mala Noche de Gus Van Sant] :
« Descendant du Kid déguenillé de Chaplin, Johnny se cache comme il peut derrière une
poubelle lorsqu'un flic lui court après. »
« Il les borde, les habille, les emmène en virée dans sa voiture. »
BÉGAUDEAU, François. « Bon genre ». Cahiers du Cinéma, n° 616, octobre 2006, p. 28
[à propos de Poltergay d'Éric Lavaine] :
« Depuis s'en trouvent prisonniers cinq fantômes en pantalon moulant et chemise satin, qui
hantent gentiment les lieux en dansant sur Boney M. »
FRODON, Jean-Michel. « Jo et Paul vont en bateau ». Cahiers du Cinéma, n° 616,
octobre 2006, pp. 24-26 [à propos de Dans Paris de Christophe Honoré] :
« "N'étant pas le héros de cette histoire, je m'accorde le droit d'en être le narrateur" nous
déclare, face caméra et en t-shirt sur le balcon... qui au fait? »
THIRION, Antoine. « Babel de Alejandro Gonzàlez Iñárritu ». Cahiers du Cinéma,
n° 617, novembre 2006, p. 33 :
« Ce dernier paraît surpris lorsqu'un inspecteur l'en informe dans le hall de son immeuble
tokyoïte, mais peu intéressé au demeurant car sa femme est morte, et sa fille sourde compense
ses carences affectives en paradant sans culotte. »
AUBRON, Hervé. « À plat ». Cahiers du Cinéma, n° 617, novembre 2006, pp. 30-31 [à
propos de Le Dahlia noir de Brian De Palma] :
« Mise à plat des matières : la texture générale s'avère décorative - jolis décors, jolis
costumes, joli vernis jaunâtre de la photographie, joli jazz de piano-bar, comme si un
trompettiste se cachait toujours dans le placard. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « L'usage du monstre ». Cahiers du Cinéma, n° 617, novembre
2006, pp. 20-21 [à propos de The Host de Bong Joon-ho] :
28
« Dans la chapelle ardente, la famille Park hurle son chagrin en se roulant par terre, l'oncle
cogne son frère, tandis qu'au fond du plan apparaît un militaire en combi jaune, armé d'un
mégaphone, qui, avant de donner des ordres, se ridiculise en glissant sur le parquet. »
DELORME, Stéphane. « Passager, clandestin ». Cahiers du Cinéma, n° 617, novembre
2006, pp. 17-18 [à propos de Montag de Ulrich Köhler] :
« La singularité de Montag tient d'abord à son personnage curieusement intermédiaire, à michemin entre le garçon et la femme antonionienne. Costumée comme un adolescent, avec un
sweat à capuche ou le pull de son frère, Nina traîne son vieux jean au milieu des sapins. »
GARSON, Charlotte. « The Last Show de Robert Altman ». Cahiers du Cinéma, n° 618,
décembre 2006, p. 40 :
« Il lui faut transformer la voix de Guy Noir, véritable personnage de A Prairie Home
Companion, en privée de pacotille, et introduire un ange blond en imper blanc qui vient
chercher les morts et sauver les meubles. »
LEQUERET, Élisabeth. « Requiem de Hans-Christian Schmid ». Cahiers du Cinéma, n°
618, décembre 2006, pp. 38 et 40 :
« (...) discrète reconstitution historique des années 1970 dans la communauté estudiantine de
Tübingen (où triomphent lodens et cols pelle à tarte), inspirée d'un fait divers dont un
générique final peu scrupuleux de chantage au réel ne se prive pas de donner la triste chute. »
AUBRON, Hervé. « Red Road de Andrea Arnold ». Cahiers du Cinéma, n° 618,
décembre 2006, p. 38 :
« Là, une puissance s'entrevoit, ça sent le bouc : Clyde est une faune en survêtement,
pestilentiel et magnétique. »
DELORME, Stéphane. « Le Prestige de Christopher Nolan ». Cahiers du Cinéma, n° 618,
décembre 2006, pp. 37-38 :
« Il y avait une très belle idée dans Batman Begins, précédent film de Christopher Nolan
également avec Christian Bale. Le méchant, joué par le blue-eyed Cillian Murphy, jetait de la
poudre au yeux de ses adversaires, enfilait un masque, et s'agitait dans tous les sens devant
des victimes terrifiées, le masque rendu monstrueux par les effets stupéfiants de la poudre. »
29
GARSON, Charlotte. « Mon colonel de Laurent Herbiet ». Cahiers du Cinéma, n° 618,
décembre 2006, p. 37 :
« Sanglotant, car sous sa panoplie de gendarme bat le cœur d'une femme, le lieutenant Galois
(Cécile de France), qui lit le journal intime d'un aide de camp disparu pendant la guerre
d'Algérie. »
TESSÉ, Jean-Philippe.
« Hors jeu de Jafar Panahi ». Cahiers du Cinéma, n° 618,
décembre 2006, pp. 34 et 36 :
« (...) les femmes sont interdites de stade, donc la fille se déguise en garçon, mais elle va vite
se faire arrêter. »
MÉRANGER, Thierry. « Le Cheval de Saint Nicolas de Mischa Kamp ». Cahiers du
Cinéma, n° 618, décembre 2006, p. 31 :
« Revient alors en mémoire, à l'occasion du joli plan où la fillette inexpérimentée chevauche
sans coup férir la cavale de l'homme à tête de mitre, le fameux montage interdit. »
DELORME, Stéphane. « Showgirl ». Cahiers du Cinéma, n° 618, décembre 2006, pp. 2223 [à propos de Black Book de Paul Verhoeven] :
« Et la jeune femme de laver ses chaussures en les plongeant dans la chasse d'eau. »
« [Dans Miami Vice de Michael Mann] Les flics sont infiltrés sans effort parce qu'à Miami
tout le monde se ressemble et parce qu'ils sont hyper pros. C'est l'apogée du
professionnalisme, un cinéma en Ray-ban qui glisse d'un monde à l'autre. »
BURDEAU, Emmanuel. « Inflitrer, exfiltrer ». Cahiers du Cinéma, n° 618, décembre
2006, pp. 18-20 :
« [Dans Miami Vice de Michael Mann] Crockett et Tubbs la jouent chemise ouverte et profil
haut, ils fusent comme hors-bord en baie de la Havane. »
« (...) cette terreur glisse aujourd'hui sur l'image et s'y profile d'autant mieux que celle-ci ne
trahit rien : l'inamovible masque de V, voleurs et quidams affublés du même uniforme chez
Spike Lee [dans Inside Man], ou bien encore l'hybride imperturbable Joey Cusack/Tom Stall
dans History of Violence. »
« [Les Infiltrés de Martin Scorsese] Trop énervé, trop truculent : le langage fleuri d'Ellerby, le
flic que croque avec gourmandise Alex Baldwyn ; les jurons de Dignam et les biscotos sous la
chemise de son interprète, le beau bodybuildé Mark Wahlberg (...). »
30
« Grand nettoyage de printemps, ainsi qu'il se confirme dans les dernières minutes, avec tous
ces corps tombant comme des mouches et la survenue de Dignam/Wahlberg en infirmière de
la mort intégralement revêtue de plastique. »
DELORME, Stéphane. « Fur : portrait imaginaire de Diane Arbus de Steven
Shainberg ». Cahiers du Cinéma, n° 619, janvier 2007, p. 31 :
« Le voisin fabrique des perruques, bloque les canalisations avec des touffes et confectionne
un manteau de cheveux qui, raccordé à la chevelure noire de Kidman, forme un ensemble du
plus bel effet. »
DELORME, Stéphane. « The Fountain de Darren Aronofsky ». Cahiers du Cinéma,
n° 619, janvier 2007, pp. 30-31 :
« Un conquistador chevelu au XVIe cherche l'Arbre de vie, un scientifique possédé cherche la
fiole éternelle, et pendant ce temps-là le petit prince vole en position de yogi (dans un pyjama
rayé rappelant désagréablement les camps). »
« Elle inquiète aussi avec ses relents curaillons et rituels costumés révélant l'arrière-fond
religieux des dévots courbés, le nez dans leur claviers. »
LEQUERET, Élisabeth.« Lutte des castes ». Cahiers du Cinéma, n° 619, janvier 2007,
p. 27 [à propos de Saimir de Francesco Munzi] :
« (...) la mise en scène prend la tangente. Doublement : par un découpage qui isole chaque
cambrioleur et le livre à la joie enfantine de la découverte (un manteau de fourrure, deux
chandeliers, un lot de photos de famille richement encadrées) ; et par les Quatre Saisons de
Vivaldi qui nappent soudain la bande-son. Cette musique dit bien la façon dont Francesco
Munzi regarde le monde qu'il filme. Il s'agit de neutraliser la brutalité du casse en le réduisant
à sa dimension la plus grisante. Mais, tout aussi bien, de souligner l'incongruité d'une corps
malingre incapable, à l'instar du héros de Sang et or, de résister à l'appel d'une piscine
turquoise ou d'un somptueux manteau de fourrure. »
« De retour au campement, une vieille gitane arrachera d'un seul geste chinchilla et
argenterie. »
GARSON, Charlotte. « Précipitations ». Cahiers du Cinéma, n° 619, janvier 2007, pp. 1819 [à propos de Les Climats de Nuri Bilge Ceylan] :
31
« Remarquent que Serap, son ex aux chaussures pointues, vient de lui servir en amuse-gueule
une noisette "pourrie", Isa n'a de cesse, se jetant sur elle, de lui fourrer dans la bouche cette
petite graine, curseur fou de son machisme égotique. Les corps violemment abouchés se
rapprochent de l'objectif jusqu'au fondu au noir, mais c'est la machine à coudre de la mère
d'Isa qui ouvre le plan suivant, reprisant le pantalon déchiré dans l'effort. "Quand est-ce que tu
vas t'installer, avoir des enfants?" Tout craquage, si béant soit-il, se voit aussitôt recousu, tout
désir, scellé. »
« Isa n'embrasse la neige qu'en de larges panoramiques pris de sommets, fend un troupeau de
moutons dans son anorak waterproof, confine son lyrisme sec à un squelette de boîte à
musique égrenant une Lettre à Élise édentée. »
NEYRAT, Cyril. « Primer de Shane Caruth ». Cahiers du Cinéma, n° 620, février 2007,
p. 63 :
« Quatre beaux gosses en chemise blanche passent leur temps libre à mettre au point des
brevets qu'ils espèrent vendre, lorsque deux d'entre eux bricolent par hasard une machine à
voyager dans le temps. »
BÉGAUDEAU, François. « Nue propriété de Joachim Lafosse ». Cahiers du Cinéma,
n° 620, février 2007, pp. 61-62 :
« Ainsi négocié, dilaté, ce ballet de nuisettes et de caleçons, de maman sous la douche
pendant que fiston au lavabo, promet moins de frottements moites que de frictions
énergiques. »
« Une indifférence systématique eût fini par trahir une soumission consentie et remonter de la
cave la panoplie sadomasochiste. »
BÉGAUDEAU, François. « Molière de Laurent Tirard ». Cahiers du Cinéma, n° 620,
février 2007, p. 61 :
« Rhabillé en jeune romantique chevelu, l'ami Poquelin y revient de sa longue tournée en
province torturé par le désir de s'adonner à la noble tragédie, et ainsi le voit-on dès la première
scène absorbé par les lignes à écrire. »
MALAUSA, Vincent. « Massacre à la tronçonneuse : le commencement de Jonathan
Liebesman ». Cahiers du Cinéma, n° 620, février 2007, pp. 60-61 :
32
« De l'ogre grotesque et dégénéré inventé par Tobe Hooper (1973), on apprendra ainsi les
lourds antécédents dermatologiques (le masque, c'était donc ça) et le licenciement abusif qui,
du jour au lendemain, le transforma en machine à tronçonner (bon sang mais c'est bien sûr). »
THIRION, Antoine. « Hollywoodland d'Allen Coulter ». Cahiers du Cinéma, n° 620,
février 2007, p. 60 :
« L'enjeu n'est pas la vérité nue, mais le pays d'Hollywood, ses studios et ses pavillons, ses
costumes de super-héros pareils à des pyjamas défraîchis, et le travail d'acteurs qui, même au
fond du trou, trouvent encore - tel Reeves - le moyen de faire valoir leur don comique ou leur
talent musical. »
GARSON, Charlotte. « The Good German de Steven Soderberg ». Cahiers du Cinéma,
n° 620, février 2007, p. 60 :
« (...) inutile de chercher le vrai Allemand, le bon, et s'il meurt dans un uniforme français
d'emprunt en sosie miniature de De Gaulle, c'est uniquement pour faire furtivement image. »
« De Jake découvrant que sa petite amie est devenue une prostituée (Paisà) au garçon en
culottes courtes jouant près d'une rivière d'où Jake avait tiré un cadavre (Allemagne année
zéro), le mélange d'expressionnisme hollywoodien et néoréalisme italien brouille surtout ce
qui ravissait dans Black Book (...). »
NEYRAT, Cyril. « Day Night Day Night de Julia Loktev ». Cahiers du Cinéma, n° 621,
mars 2007, pp. 34-35 :
« L'arrivée de l'homme cagoulé et leur premier dialogue révèle le motif du voyage : le
lendemain, elle doit sauter avec sa bombe en plein Times Square. »
« Les plus belles séquences sont ainsi celles du conditionnement de la kamikaze par le
commando : trouver la tenue adéquate, répéter les consignes, mémoriser une nouvelle identité.
Loktev traduit l'expérience affective de la jeune femme par une série de contrastes simples :
entre la masse virile des hommes à l'abri sous leur cagoule et la frêle silhouette à visage
découvert (...). »
« Le cinéma, dit-on, est l'art privilégié des premières fois. Day Night Day Night fait éprouver
l'intensité des dernières : dernière pizza, dernier brossage de dents, derniers lacets noués. »
BURDEAU, Emmanuel. « Angel de François Ozon ». Cahiers du Cinéma, n° 621, mars
2007, pp. 33-34 :
33
« Elle l'obtiendra, vite et fort, continuant dès lors d'écrire au même rythme, se construisant
une vie dont tout indique qu'elle illustre l'œuvre : mélange d'eau de rose et de vitriol, défilée
de grandes robes rouges dans un palais nommé Paradise et décoré, comment dire, avec un
mauvais goût affolant, une triomphale vulgarité. »
FRODON, Jean-Michel. « Le 4e morceau de la femme coupée en 3 de Laure Marsac ».
Cahiers du Cinéma, n° 621, mars 2007, p. 33 :
« Orange aguilles. Les chaussures. Elles sont orange, à talons aiguilles. On les remarque
beaucoup, aux pieds de Laure Marsac, parce que le premier film de Laure Marsac, avec Laure
Marsac donc, est composé de moments qui ne se remarquent pas. »
« Ah oui, il y a aussi une porte rouge comme le corsage rouge de Louise, c'est un autre
moment "voyant", comme les chaussures. »
BURDEAU, Emmanuel. « L'air popu ». Cahiers du Cinéma, n° 621, mars 2007, pp. 2930 [à propos de La Môme d'Olivier Dahan] :
« Si l'effort de contextualisation est à peu près nul, en revanche Dahan ne lésine pas sur la
reconstitution : bordel début de siècle, débauche de figurants et bérets dans les cafés, cabarets,
gouaille appuyée de Sylvie Testud et d'Emmanuel Seigner. »
« La narration alterne les époques, mais à vrai dire la chanteuse n'est jamais jeune : quasi
aveugle à neuf ans, défigurée par les boutons, puis marchant jambes arquées, dent en avant,
voix éraillée, squelettique dans sa robe noire. »
BURDEAU, Emmanuel. « C'est Don Quichotte qui vous appelle ». Cahiers du Cinéma,
n° 621, mars 2007, pp. 20-22 [à propos de Honor de cavalleria d'Albert Serra] :
« Ainsi de la silhouette d'un chevalier en armure, heaume baissé, qui surgit bord cadre en
conclusion de la reprise d'une épisode fameux (...). »
GARSON, Charlotte. « Scandaleusement célèbre de Douglas McGrath ». Cahiers du
Cinéma, n° 622, avril 2007, pp. 57-58 :
« À ceux qui jugeaient Philip Seymour Hoffman bourré de tics, l'Anglais Toby Jones
semblera juste en mister Magoo débarquant avec malles et fourrures (...). »
BÉGAUDEAU, François. « Le Prix à payer d'Alexandra Leclère ». Cahiers du Cinéma,
n° 622, avril 2007, pp. 56-57 :
34
« Caroline s'avère aussi calculatrice qu'Odile-Baye, qui ne partage encore sa vie avec JeanPierre-Clavier que parce que ça lui paye ses robes. »
BURDEAU, Emmanuel. « Par effraction d'Anthony Minghella ». Cahiers du Cinéma,
n° 622, avril 2007, pp. 55-56 :
« Jude Law obtempère, mais il peut peu : ses émotions sont aussi informes que ses pulls.
Entre gris clair et gris foncé, ceux-ci résument le virage pris dernièrement par sa carrière.
Retour cette fois en 2007 : le spectateur qui, dans vingt ans, voudra comprendre la
lyophilisation actuelle d'un certain cinéma, devra s'attarder à ces détails de garde-robe. »
BÉGAUDEAU, François. « L'Éveil de Maximo Oliveros de Auraeus Solito ». Cahiers du
Cinéma, n° 622, avril 2007, p. 53 :
« Autarcique au carré, Maximo Oliveros offre deux communautés en une. Le quartier, on l'a
dit, poche sous-prolétaire dans la capitale, et la petite coterie de gamins habillés en folles,
poche dans la poche. Plain-pied toujours : les beaux jeunes garçons à barrettes colorées sont
posés là sans chichis, tordant du cul comme dans ces concours de Miss Monde qu'ils
s'amusent à singer. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Le Come-Back de Marc Lawrence ». Cahiers du Cinéma,
n° 622, avril 2007, p. 50 :
« La scène épate d'autant plus que Drew Barrymore y porte avec chien des lunettes fumées
accordée à un look seventies. »
BURDEAU, Emmanuel, TESSÉ, Jean-Philippe. « 300 de Zack Snyder ». Cahiers du
Cinéma, n° 622, avril 2007, p. 49 :
« Entre deux estocades, le drapé des tuniques se sculpte dans un marbre éphémère ; une
chevelure féminine ondule langoureusement, mêlant ses mèches aux remous de l'eau en même
temps qu'aux voltes d'un vêtement léger, et translucide (...). »
BURDEAU, Emmanuel. « Une ruine pour quoi faire ». Cahiers du Cinéma, n° 622, avril
2007, pp. 28-31 [à propos de Still Life de Jia Zhang-ke] :
« C'est un ferry baptisé "The World" qui, aux premières minutes, conduit le taciturne San
Ming dans la vallée des Trois Gorges, avec pour unique bagage un pauvre sac bleu et un
immuable marcel blanc. »
35
ZEPPENFELD, Axel. « Miss Montigny de Miel van Hoogenbemt et Irina Palm de Sam
Garbarski ». Cahiers du Cinéma, n° 623, mai 2007, p. 51 :
« Garbarski se pose longuement dans cette pièce où, vêtue d'un tablier de ménagère troisième
âge, la dame confrontée au trou du mur dépasse son dégoût jusqu'à devenir experte. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Komma de Martine Doyen ». Cahiers du Cinéma, n° 623, mai
2007, p. 50 :
« Amnésique, l'homme s'habille prestement, ramasse au pif le portefeuille d'un cadavre,
s'élance claudiquant dans la ville. »
DELORME, Stéphane, TESSÉ, Jean-Philippe. « Idiocracy de Mike Judge et Les
Vacances de Mr. Bean de Steve Bendelaock ». Cahiers du Cinéma, n° 623, mai 2007,
p. 48 :
« Avec son pantacourt, ses gros yeux, ses mimiques d'un autre âge, Rowan Atkinson impose
sa laideur intemporelle. »
MACÉ, Arnaud. « Récit d'amour et cri du désir ». Cahiers du Cinéma, n° 623, mai 2007,
pp. 42-43 [à propos de Une vieille maîtresse de Catherine Breillat] :
« (...) pourtant, avertie par de prévenant amis, elle apprend la liaison qui a uni, dix ans durant,
Marigny à une demi-mondaine espagnole, la Vellini (Asia Argento, déguisée en espagnole). »
NEYRAT, Cyril. « Pays natal, matière plastique ». Cahiers du Cinéma, n° 623, mai 2007,
pp. 40-42 [à propos de I Don't Want to Sleep Alone de Tsai Min-liang] :
« Lorsqu'un gigantesque incendie répand une épaisse fumée dans la ville et contraint les
habitants à porter des masques de protection, le plastique monte aux visages : à cause d'une
pénurie de masques, les plus pauvres, dont Rawang et Hsiao Kang, utilisent des sacs de
supermarché. Joyau burlesque : Hsiao Kang et Chyi tentent de faire l'amour avec leurs
masques, les enlèvent pour s'embrasser et finissent par renoncer, secoués de quintes de toux. »
« Un gros plan très impressionnant s'attarde sur la tête de l'homme dans le coma pendant sa
toilette : la manière dont Chyi lui savonne le visage et le cheveu de ses mains gantées est
effrayante, les mouvements et les sons qu'elle produisent créent la sensation physique du
plastique. »
36
AUBRON, Hervé. « Connaît-on la chanson ? ». Cahiers du Cinéma, n° 624, juin 2007,
pp. 29-30 [à propos de Les Chansons d'amour de Christophe Honoré] :
« Avertisseur et gyrophare référentiels s'emballent concernant Jacques Demy, passion
ancienne chez Honoré et attendue dans le cadre musical : patronyme d'une des héroïnes (Julie
Pommeraye, du nom du fameux passage nantais), rue se transformant en tapis roulant, où
flotte Ludivine Sagnier en manteau sixties, reprise des titres de chapitres des Parapluies de
Cherbourg, ou encore citation d'un emblème de ce dernier film - Deneuve coiffée d'une
couronne de galette des rois, invoquées via sa fille Chiara Mastroianni. »
NEYRAT, Cyril. « Préhistoire de la terreur ». Cahiers du Cinéma, n° 624, juin 2007,
pp. 24-26 [à propos de Zodiac de David Fincher] :
« L'extraordinaire scène du face-à-face dans l'usine entre Allen et la police est à la limite du
fantastique : ils le tiennent, là devant eux, les indices s'accumulent comme par magie, et
pourtant il leur échappera, comme il avait échappé, les vêtements tâchés de sang, aux deux
policiers qui l'avaient croisé après le meurtre du chauffeur de taxi. »
[Auteur non renseigné], « Die Hard 4 : retour en enfer de Len Wiseman ». Cahiers du
Cinéma, n° 625, juillet-août 2007, pp. 43-44 [article incomplet] :
« Un peu de cosmétique vient juste recouvrir l'image de ce fard maronnasse dont le "réalisme"
glauque prive de couleurs les films musclés d'aujourd'hui, et qui s'accord parfaitement au Tshirt de McClane, d'abord clair puis de plus en plus sale. »
LEQUERET, Élisabeth.« Délice Paloma de Nadir Moknèche ». Cahiers du Cinéma,
n° 625, juillet-août 2007, p. 43 :
« Madame Aldjéria porte un faux sac Chanel et un survêtement à ses couleurs - rouge vert
blanc. »
« Sa fille adoptive, ancienne prostituée, porte désormais le voile et obéit au quart de cil à son
barbu de mari. »
« Le film fait son sel de cette duplicité vitale dans une scène de parc où, en un tour de voile,
Madame Aldjéria se transforme de rombière froufroutante en ombre discrète. »
BÉGAUDEAU, François. « Après la bataille ». Cahiers du Cinéma, n° 625, juillet-août
2007, pp. 38-39 [à propos de Raisons d'État de Robert de Niro] :
37
« Dans Wilson, il y a beaucoup du Harry Caul qui, joué par Gene Hackman, traversait
Conversation secrète vêtu du même imper sans forme, beige parmi le beige de la pierre des
immeubles, ou des mêmes costumes standard, fondus dans la gamme minimale des couleurs
commune aux deux films. »
NEYRAT, Cyril. « Une espèce d'idiot ». Cahiers du Cinéma, n° 625, juillet-août 2007,
pp. 28-30 [à propos de Le Metteur en scène de mariages de Marco Bellocchio] :
« Ici le merveilleux thème associé à Bona, emprunté à Carlo Crivelli, accompagne les belles
séquences : l'étrange chorégraphie aux chiens dans le palais désert, la rencontre avec Bona
dans l'église, sa recherche dans le couvent, deux chiens de berger veillant un mannequin en
robe de mariée. »
« Elica répète un geste qui cristallise le lyrisme rebelle de Bellocchio : arracher le voile de la
mariée, le piétiner, dénuder le visage, soulever tous les voiles qui séparent la pellicule ou la
bande vidéo de la peau, de la chair du monde. »
RENZI, Eugenio. « Harry Potter et l'Ordre du Phénix de David Yates ». Cahiers du
Cinéma, n° 626, septembre 2007, pp. 40 et 42 :
« Du proviseur au profs, tous ont un look baba-cool (...). »
GARSON, Charlotte. « Hairspray d'Adam Shankman ». Cahiers du Cinéma, n° 626,
septembre 2007, p. 40 :
« (...) l'actrice non professionnelle est une "vraie grosse" qui sait danser, mais sa mère Edna
(Divine chez Waters) est interprétée par Travolta plus une combinaison de latex. »
« (...) si même le finale de Grease de Randal Kleiser troquait les costumes d'époque pour des
déhanchements sous lycra libérateurs parce qu'anachroniques, Hairspray 2007 s'érige en
choucroute parfaitement amidonnée. »
LEQUERET, Élisabeth.« Le Corps sublimé de Jérôme de Missolz ». Cahiers du Cinéma,
n° 626, septembre 2007, pp. 38-39 :
« Saudek a une prédilection pour les femmes plus ou moins mûres et diversement
consentantes, dont il exhibe les visages et les corps rendus méconnaissables : visages
surmaquillés cachés sous des oripeaux de nymphettes post-hamiltoniennes ou fesses et seins
plantureux émergeant de sobres robes de bure. »
38
DELORME, Stéphane. « La grande séduction ». Cahiers du Cinéma, n° 626, septembre
2007, pp. 32-33 [à propos de La Naissance des pieuvres de Céline Sciamma] :
« La natation synchronisée permet de placer la séduction d'emblée sur le terrain de l'érotisme.
La grande se love autour de la petite, lui remet la bretelle de son maillot de bain, lui prend la
main, ou en s'approchant trop près lui demande : "Est-ce que je pue de la gueule?" »
FRODON, Jean-Michel. « Comique de combat ». pp. 31-32 [à propos de L'Histoire de
Richard O. de Damien Odoul] :
« Affublé dans ce film-ci d'un improbable costume fraise-praliné, il déploie un allant dans les
scènes de lit (plus souvent ailleurs que dans un lit) qui n'a d'égal que son impondérable alliage
d'humour et de mélancolie en toutes circonstances. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Les flaques ». Cahiers du Cinéma, n° 626, septembre 2007,
pp. 30-31 [à propos de Retribution de Kiyoshi Kurosawa] :
« Des meurtres sont commis avec une rare violence, et la brutalité de l'acteur Kôji Yakusho
(son septième film avec K.) n'est pas pour rien dans la sensation d'écrasement qui, dès
l'ouverture - un type tue une fille en robe rouge, en lui enfonçant longuement la tête dans une
flaque d'eau boueuse -, vous tient et ne vous lâche plus. »
« Et puis un fantôme en robe rouge vient le tourmenter, lui reprochant sa mort, et n'y
comprend toujours rien. »
« Pour Kurosawa, les fantômes existent, cela ne fait aucun doute. Ils ne sont pas la projection
d'un refoulé ni les robes rouges que la psychose hallucine, encore moins des métaphores. »
MACÉ, Arnaud. « Des bergers dans le vent ». Cahiers du Cinéma, n° 626, septembre
2007, pp. 20-22 [à propos de Les Amours d'Astrée et de Céladon d'Éric Rohmer] :
« D'antiques bergers, vêtus de tuniques et de rubans, dans les pâtures, sur les berges de la
rivière ; (...). »
« Lorsqu'il adapta Chrétien de Troyes (Perceval le Gallois, 1978), le cinéaste expliquait par la
rigueur de son réalisme le choix de faire évoluer ses chevaliers dans un décor artificiel inspiré
de l'imaginaire de l'époque, avec ses étranges arbres qu'aucun vent n'anime. Était
insupportable au cinéaste l'idée de photographier un chevalier en costume d'époque auprès de
la matière obstinément présente d'un arbre. Non que les chevaliers n'aient jamais traversé de
forêts peuplées d'arbres véritables : c'était plutôt qu'un tel évènement est à jamais inaccessible
à l'enregistrement photographique. »
39
« Nous marchâmes avec des nymphes : la caméra suit des déesses sur les chemins, avec leur
chariot en forme de bateau et leurs grandes robes blanches translucides où vient jouer le vent,
tout simplement. »
« Galatée, éprise du berger, refuse de le laisser repartir ; une de ses suivantes, Léonide (Cécile
Cassel, en divinité espiègle et habile), travestit le jeune berger en femme pour le sortir du
château, et l'amener dans la forêt qui sépare les deux pays. »
« Travesti en jeune druidesse par Adamas, qui vient d'une famille où l'on aime décidément à
se déguiser, Céladon se mêle à la fête. Paraître aux yeux de qui ne le sait pas encore, par la
grâce du déguisement : le plus shakespearien des stratagèmes ouvre la dernière ascension du
film, une ligne intense dont la jubilation se nourrit du rêve éveillé que la protection des
apparences offre aux amants. »
« Elles s'entr'aident à se déshabiller, la chemise d'Astrée ne sait que tomber et laisser paraître
son sein. Au réveil encore, elle offre ce sein à la lumière du matin. »
« Cette frénésie, appelée à ruiner les apparences du travestissement de Céladon, révèle à
Astrée leur vérité : la ressemblance qui l'aimantée à la druidesse ne mentait pas, elle lui
ramène son Céladon d'entre les morts. »
GARSON, Charlotte. « This Is England de Shane Meadows ». Cahiers du Cinéma,
n° 627, octobre 2007, p. 40 :
« De la banlieue usée d'après le Free Cinema, Shane Meadows hérite un anachronisme qui fait
l'intérêt de This Is England : comme Shaun qui se fait appeler "Janis" par ses camarades pour
cause de pattes d'eph' perimées en 1983, il adopte une esthétique loachienne des années 1970 ;
mais certains rejetons se sont déjà faits la boule à zéro, déboussolant l'idéologie Family Life. »
DELORME, Stéphane. « Paranoiak de D.J. Caruso ». Cahiers du Cinéma, n° 627,
octobre 2007, pp. 37-38 :
« Le bracelet électronique à la cheville permet joliment de circonscrire l'espace : délimitation
du périmètre autorisé qui n'épouse même pas les contours du jardin, alerte rouge dès que
franchi. »
GARSON, Charlotte. « Jane de Julian Jarrold ». Cahiers du Cinéma, n° 627, octobre
2007, p. 36 :
40
« Comment filmer l'écriture ? Récemment, seul Truman Capote a apporté une réponse
stimulante, périmant le faux nez de Kidman-Woolf dans The Hours comme le manteau de
fourrure de Capote 2 (Scandaleusement célèbre). »
« Plus honorable que bien des costumades grand-bretonnes, Jane étonne cependant par ce
contournement de l'écriture, c'est-à-dire du féminisme. À la rentrée 2006, la même Anne
Hathaway ratait déjà sa révolte anti-mode dans Le Diable s'habille en Prada. »
BURDEAU, Emmanuel. « 99 F de Jan Kounen ». Cahiers du Cinéma, n° 627, octobre
2007, p. 31 :
« Traits qui s'enterrent sous les cheveux, les lunettes et le début de barbe, son imitation de
l'écrivain en créatif puant mais rongé de mauvaise conscience l'annulerait presque, tout
comme les morphings devant la glace entre son visage et celui du "Beig", ou les caméos de ce
dernier en serial noceur puis hôtesse de l'air. »
AUBRON, Hervé. « Dans le tuyau ». Cahiers du Cinéma, n° 627, octobre 2007, p. 27 [à
propos de Michael Clayton de Tony Gilroy] :
« L'un des collègues de Clayton, Arthur, pète les plombs en pleine négociation, où il se
déshabille en guise de mue. »
« Clooney, quoi d'autre, quoi de neuf ? Élégance des barbes de deux jours et des cravates
desserrées, vernis bleuâtre des lofts et des buildings, brutalité feutrée des assassins en cols
blancs. »
THIRION, Antoine. « Écrire ». Cahiers du Cinéma, n° 627, octobre 2007, pp. 18-19 [à
propos de Avant que j'oublie de Jacques Nolot] :
« En écrivant il se rhabille peu à peu. Le roman est peut-être fini lorsqu'après un raccord
brutal, Pierre sort d'une voiture vêtu d'une robe et d'une perruque, sans moustache, dernier
masque bouleversant d'un écrivain qui ne devient l'autre que par un apprêt supplémentaire. »
MÉRANGER, Thierry. « Voleurs de chevaux de Micha Wald ». Cahiers du Cinéma,
n° 628, novembre 2007, p. 44 :
« Au commencement, le panache. Travailler l'aventure en costumes. »
« Demeure malgré tout la réussite incontestable de plans où, dépouillés de leurs oripeaux de
pauvres, les corps humaines et animaux parviennent en beauté à se faire roseaux sauvages. »
41
MALAUSA, Vincent. « Halloween de Rob Zombie ». Cahiers du Cinéma, n° 628,
novembre 2007, p. 38 :
« Un temps possible de Halloween (John Carpenter, 1978) serait l'entêtement : les longues
plages de vide et l'inexpressif tueur au masque blanc observant, du fond des perspectives, ses
victimes en silence. »
THIRION, Antoine. « Mythologie ». Cahiers du Cinéma, n° 628, novembre 2007, pp. 3334 [à propos de American Gangster de Ridley Scott] :
« Comiquement, les soucis viennent dès lors que Lucas, discret homme d'affaires, ne parvient
pas gérer ceux qui l'entourent et que, pour honorer le cadeau de sa femme, il se rend à des
occasions mondaines vêtu d'un couteux manteau de fourrure. »
« Porter un manteau de fourrure lors du mythique combat Ali vs Frazier est la seule faute que
commet Frank Lucas, mais elle est fatale : c'est de cette manière que Richie Roberts met à la
tête de l'organigramme affiché au bureau un homme dont il ne connaissait auparavant même
pas l'existence. »
AUBRON, Hervé. « La guerre retranchée ». Cahiers du Cinéma, n° 628, novembre 2007,
pp. 27-28 [à propos de La France de Serge Bozon] :
« Des biffures burlesques ou grotesques viennent écorner les cols impeccablement blancs des
mods, tout comme l'éraillement menace les chansons du film. »
FRODON, Jean-Michel. « La belle et la brute ». Cahiers du Cinéma, n° 629, décembre
2007, p. 30 [à propos de Le Chaos de Youssef Chahine et Khaled Youssef] :
« Sous des masques, des maquillages et des oripeaux fictionnels volontairement surlignés,
tous les personnages sont incroyablement charnels. »
DELORME, Stéphane. « Vitus, l'enfant prodige de Fredi M. Murer ». Cahiers du
Cinéma, n° 630, janvier 2008, p. 42 :
« Manque alors la cruauté d'une vie que Murer s'évertue à pacifier alors qu'il est évident que
les frictions le fascinent : au début l'enfant prodige est un monstrueux "enfant tambour"
exhibé devant les collègues ; à la fin, baignant richissime dans son petit costume au centre
d'un appartement vide, il devient presque une allégorie absurde du capitalisme. »
42
SCHWEITZER, Ariel. « La Visite de la fanfare d'Eran Kolirin ». Cahiers du Cinéma,
n° 630, janvier 2008, p. 42 :
« L'humour de La Visite de la fanfare réside dans le jeu de contrastes créé par cette situation :
l'extravagance des uniformes des musiciens égyptiens tranche avec la grisaille des HLM de la
ville israélienne, le bleu de leurs uniformes réfracte la lumière blanche et aveuglante du
désert. »
GARSON, Charlotte. « Shotgun Stories de Jeff Nichols ». Cahiers du Cinéma, n° 630,
janvier 2008, p. 41 :
« On peut voir dans ce retour des fils refoulés une remontée à la surface de l'Amérique d'en
bas, boue au bottes et pick-up truck déglingué. »
GARSON, Charlotte. « Gone Baby Gone de Ben Affleck ». Cahiers du Cinéma, n° 630,
janvier 2008, p. 38 :
« Médaille de baptême au cou, jogging par tous les temps, vocabulaire idoine quand il enquête
dans les bars (son "golio" adressé à une ancienne connaissance qui le cherche vient vraiment
du cœur), le jeune Affleck joue avec grâce le rôle d'un enfant du quartier pas mécontent de
revenir fouiner chez ses anciens camarades de lycée, eussent-ils mal tourné. Pendant ce
temps, l'aîné transforme le roman de Lehane en un conte initiatique taillé sur mesure pour lui,
une histoire de petit garçon ("Retourne lire Harry Potter !" lance le vieux flic devant ses traits
adolescents) qui ne grandit que devant la vision insoutenable d'un autre petit garçon lui aussi
médaillé - mais violé et tué. »
FRODON, Jean-Michel. « La Légende de Beowulf de Robert Zemeckis ». Cahiers du
Cinéma, n° 630, janvier 2008, p. 36 :
« Le parti pris de Robert Zemeckis, grand explorateur des espaces intermédiaires entre cinéma
et images de synthèse, est en effet ici d'unifier dans un certain degré de fausseté tout ce qui
apparaît à l'écran : éléments de décors et de costumes générés sur ordinateur, corps et visages
de comédiens. »
THIRION, Antoine. « Avenue de France ». Cahiers du Cinéma, n° 630, janvier 2008,
pp. 30-31 [à propos de Le Tueur de Cédric Anger] :
« L'homme d'affaires arrache les boutons de sa chemise et offre son torse à un coup de feu qui
ne viendra pas (...). »
43
TESSÉ, Jean-Philippe. « En arrière, jeunesse ». Cahiers du Cinéma, n° 630, janvier 2008,
p. 29 [à propos de Body Rice de Hugo Veira Da Silva] :
« Le relief du sud du Portugal, son dur soleil qui invite les corps à la torpeur et l'hébétude, son
sol rocailleux et la poussière qu'y soulèvent les moteurs diesel et les rangers sans lacets des
filles portant la mèche boudeuse, ce relief s'offre en territoire décharné où rien n'est possible
sauf une tabula rasa. »
RENZI, Eugenio. « Prudence, désir ». Cahiers du Cinéma, n° 630, janvier 2008, pp. 27-28
[à propos de Lust, Caution d'Ang Lee] :
« L'engagement passe rapidement des feux de la rampe à la discrétion de la lutte clandestine.
Des uns à l'autre, la jeune femme a l'occasion de montrer son talent pour le mimétisme. Dans
la peau de Mme Mak, sa modestie d'étudiante s'oublie pour laisser place à l'élégance de la
bourgeoisie. Ainsi déguisée, elle intègre le cercle de mah-jong de Mme Yee, et s'approche du
lit de son mari, chef de la police collaborationniste, le redoutable Mr. Yee, cible de
l'organisation secrète. »
MALAUSA, Vincent. « Le grand retour ». Cahiers du Cinéma, n° 630, janvier 2008,
pp. 20-22 [à propos de No Country for Old Men d'Ethan et Joel Coen] :
« Les bottes du flic se débattant dessinent un chaos de gomme noires sur le lino, une gerbe de
sang du gibier blessé par Moss s'inscrit en rouge vif sur le sable argenté. »
GARSON, Charlotte. « Garage de Lenny Abrahamson ». Cahiers du Cinéma, n° 631,
février 2008, pp. 41-42 :
« Pour apprécier la fable à la Loach, mâtinée d'inflexions bressioniennes, il faut donc accepter
d'épouser sa myopie. Croire comme l'idiot qu'un camion-remorque, avec ses autocollants de
pin-up, est un véritable lupanar à roulettes ; imaginer avec lui l'épicière en bikini lorsque
celle-ci lit une brochure de voyage. »
THIRION, Antoine. « Filatures de Yau Hai-no et Triangle de Tsui Hark, Ringo Lam et
Johnnie To ». Cahiers du Cinéma, n° 631, février 2008, p. 41 :
« D'un côté Simon Yam, incognito sous un tricot beige, une barbe de quatre jours et quinze
kilos supplémentaires, filmé à un arrêt de bus bondé depuis le toit d'un building. De l'autre
Simon Yam, facilement reconnaissable malgré un look d'employé terne et des lunettes
44
empruntée à Johnnie To, filmé dans une cabine de téléphone d'un point de vue mimant la
vidéo de surveillance (...). »
ZEPPENFELD, Axel. « La pente de l'été ». Cahiers du Cinéma, n° 631, février 2008,
p. 36 [à propos de Muskin de Yasmin Ahmad] :
« Yasmin Ahmad ne tombe pas pour autant dans la fruste fabrication de tableaux et travaille
plutôt par discrètes métonymies (les sous-vêtements mis à sécher). »
GARSON, Charlotte. « Le bout des lèvres ». Cahiers du Cinéma, n° 631, février 2008,
p. 35 [à propos de René O et Soudain soulever la poêle au-dessus de sa tête, allumer
comme possible la cigarette au brûleur de Thomas Bauer] :
« Première partie, extérieur jour à l'arrière du pick-up de René, sweat-shirt à gros macaron au
logo du Ford. »
BURDEAU, Emmanuel. « Le Nouveau Protocole de Thomas Vincent ». Cahiers du
Cinéma, n° 632, mars 2008, p. 37 :
« Écrit sur mesure pour l'athlète Clovis Cornillac, Le Nouveau Protocole veut redonner vie au
thriller politique des années 1970. La chemise est à carreaux, la barbe drue, la caméra tremble,
tous les chats sont gris et deux marginaux solitaires se dressent contre le système : on s'y
croirait. »
« Rasé de près, relooké en vigile, il s'avance l'arme au poing dans une salle de conférence et
commet l'irréparable, devant une foule saisir en arrière-plan, avec une élégance toute
hitchcockienne (on pense à l'Albert Hall de L'homme qui en savait trop). »
DELORME, Stéphane. « Mon Fürher : la vraie véritable histoire d'Adolf Hitler de Dani
Levy ». Cahiers du Cinéma, n° 632, mars 2008, p. 36 :
« La seconde raison, encore plus honteuse si possible, est de viser à une réconciliation. Car
c'est un Juif qui apprend à aimer Hitler présenté sous un jour sympa, mèche défaite et jogging
crade sur le dos. »
GARSON, Charlotte. « Bye Bye ». Cahiers du Cinéma, n° 632, mars 2008, pp. 25-26 [à
propos de John John de Brillante Mendoza] :
« "Va laver ton fils !" lance-t-elle à l'une des habitantes, claquant ses mules chics sur les
marches de terre avant de lancer plus loin à une autre : "Encore enceinte?" »
45
NEYRAT, Cyril. « Les Larmes de Madame Wang de Liu Bing-jian ». Cahiers du Cinéma,
n° 633, avril 2008, p. 61 :
« Un client potentiel s'attarde sur sa poitrine en feignant de regarder les jaquettes qu'elle cache
sous son blouson, des flics la dépouillent de sa marchandise, son mari se retrouve en prison
pour avoir tabassé un compère de jeu, la petit fille est abandonnée par ses parents (...). »
BENEY, Christophe. « Funny Games U.S. de Michael Haneke ». Cahiers du Cinéma,
n° 633, avril 2008, p. 60 :
« Déplacés au pays de Disney, leurs gants blancs et leurs culottes courtes convoquent
bizarrement ceux du vrai grand héros américain : Mickey Mouse. »
« Terroristes et coloristes (les gants, toujours), ils font cracher des gerbes écarlates sur ces
murs immaculés, plus blancs encore que dans le premier épisode. »
FRODON, Jean-Michel. « Mal de mère ». Cahiers du Cinéma, n° 633, avril 2008, pp. 5657 [à propos de Désengagement d'Amos Gitai] :
« Assez ivre de vin et de frustration, assez dépassée, très femme et très enfant - c'est comme si
tous les sens du mot "fille" en français (en anglais il faudrait au moins girl, chick, daughter et
bitch) étaient exacerbés et déstabilisés par Juliette Binoche, perchée sur ces talons trop haut
dans cette maison trop grand et trop imposante, ce décor d'opéra à la fois désert et surchargé
qu'elle habite en héroïne tragique, mais avec des angoisses de gamine et des mesquinerie de
mégère provinciale. »
LEQUERET, Élisabeth.« Visons du ciel ». Cahiers du Cinéma, n° 633, avril 2008, pp. 5556 [à propos de Lady Jane de Robert Guédiguian] :
« Le film les retrouve raisonnablement embourgeoisés et oublieux d'un passé pourtant point si
lointain, à l'instar du revolver de François, amoureusement emmailloté et enfoui dans un coin
de jardin, ou des tatouages de guerre de Muriel, camouflés sous ses tailleurs de
commerçante. »
« Et le gros paquet de cocaïne raflé avec une facilité désarçonnante par François pour payer la
rançon, puis devenu inutile, se transforme immédiatement : Mini rouge vif, manteau en
cachemire et costume sur mesure. »
GARSON, Charlotte. « Vous êtes ici ». Cahiers du Cinéma, n° 633, avril 2008, pp. 5253 [à propos de Rome plutôt que vous de Tariq Teguia] :
46
« Ou, c'est la même chose, qu'il sont engloutis de l'intérieur, tel le regard kilométrique de
Kamal ("Sur les photos tu es déjà en fuite" note Zina) ou le visage féminin dissimulé sous un
hijab ("Et toi tu disparais", répond Kamal). Même le sweatshirt de Zina porte un imprimé
militaire. »
THIRION, Antoine. « Le feu aux poudres ». Cahiers du Cinéma, n° 633, avril 2008, pp.
49 et 51 [à propos de Opera Jawa de Garin Nugroho] :
« Mais on voit surtout des danses traditionnelles et contemporaines, solitaires ou collectives ;
des décors volontairement nus, bricolés et pourtant grandioses ; un foisonnement d'étoffes et
de couleurs, de costumes et d'accessoires. »
AUBRON, Hervé. « En Somme ». Cahiers du Cinéma, n° 633, avril 2008, pp. 46-48 [à
propos de Le Premier Venu de Jacques Doillon] :
« À la descente d'un train en provenance de Paris, Costa (Gérald Thomassin, Petit Criminel
d'autrefois), survêt' et corps taillé au couteau, se fait courser par la gracile Camille
(Clémentine Beaugrand). »
GARSON, Charlotte. « Jeu de dupes de George Clooney ». Cahiers du Cinéma, n° 634,
mai 2008, p. 54 :
« Le titre original, littéralement "les têtes de cuir", fait référence au casque que portaient les
joueurs de foot américain. »
BENEY, Christophe. « Semi-Pro de Kent Alterman ». Cahiers du Cinéma, n° 634, mai
2008, p. 56 :
« Le fétichisme de la reconstitution rejoint celui des Anderson, Wes et les survêtements de sa
Famille Tenenbaum, Paul Thomas et la chanson miaulée par Dirk Digler dans Boogie
Nights. »
BENEY, Christophe. « Iron Man de Jon Favreau ». Cahiers du Cinéma, n° 634, mai
2008, p. 52 :
« Le futur Iron Man en viendra même à prendre Stan Lee, son créateur, surpris avec une
blonde à chaque bras lors d'une arrivée sur tapis rouge, pour Hugh Hefner, avant de regretter
plus tard que la presse confonde l'alliage or et titane de son armure avec du fer.
47
Dans ce grand amalgame des référents et des matières, entre effeuillages et séances
d'essayage, fétichisme et érotisme aseptisé, le super-héros incarne tout le spectre de
l'entertainment for men élevé au rang de Bible sur papier glacé (...). »
GARSON, Charlotte. « L'amour l'après-midi ». Cahiers du Cinéma, n° 634, mai 2008,
p. 48 [à propos de Trop jeunes pour mourir de Pascal Park Jin-pyo] :
« Lorsqu'ils enfilent des habits de mariés et se font photographier, célèbrent-ils leur
anniversaire de mariage ? Se marient-ils ainsi sur le tard ? Posent-ils ainsi pour le film ? Les
trois hypothèses se recouvrent : qu'ils jouent leur propre rôle ou soient filmés "en direct" ne
change rien à l'atemporalité de leur passion. »
MÉRANGER, Thierry. « Ode pavillonnaire de Frédéric Ramade ». Cahiers du Cinéma,
n° 635, juin 2008, pp. 48-49 :
« La famille Ramade - père, mère, fille et fils, ci-devant réalisateur - est en première ligne,
fixant le plus souvent l'objectif, interprétant, parfois costumée, les textes prérédigés qui
constituent sa genèse. »
RENZI, Eugenio. « Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal de Steven Spielberg ».
Cahiers du Cinéma, n° 635, juin 2008, p. 45 :
« Ça continue par un retour aux années 1950 : Indiana a vieilli, son fils Mutt (Shia LaBeouf,
agréable) porte une veste en cuir et conduit une moto Brando, les crânes de cristal sont cachés
dans le scénario d'un film de Don Siegel, dont le titre en véeffe semble avoir été prévu pour
qu'on le cite ici : L'Invasion des profanateurs de sépultures. »
GARSON, Charlotte. « El Asaltante de Pablo Fendrik ». Cahiers du Cinéma, n° 635, juin
2008, p. 44 :
« Une fois pris le parti de rester au plus près, physiquement comme temporellement, de ce
costard-cravate qui trame un mauvais coup, aucun choix formel n'est plus à faire : le champ
sera obturé par ses épaulettes, sa course occasionnera autant de saccades de la caméra, et les
plans, séquences comme de bien entendu, s'étireront jusqu'à ce que rien ne s'ensuive, aux
toilettes comme à la pharmacie ou dans le taxi. »
THIRION, Antoine. « Mélancolie de l'anticipation ». Cahiers du Cinéma, n° 635, juin
2008, pp. 40-41 [à propos de Sparrow de Johnnie To] :
48
« Une élégante femme en talons aiguilles vacille dans l'escalier d'une ruelle, manque de peu la
bûche, et se retourne quand une antique caméra la prend en photo. »
« Si l'on résume Sparrow à des talons aiguilles vacillant sur la pierre abîmée, c'est qu'ici le
problème est un peu différent. »
MACÉ, Arnaud. « Voir venir les morts ». Cahiers du Cinéma, n° 635, juin 2008, pp. 3738 [à propos de Chroniques des morts de George A. Romero] :
« L'acteur sui jour la momie, poursuivant une blonde, avance trop vite : c'est bien plus
lentement qu'il doit se rapprocher d'elle, s'accrocher à la robe. L'actrice, qui commence à
comprendre qu'il s'agit probablement, étant donné la coupe de la robe, d'en profiter pour lui
dévoiler les seins, se révolte. Elle ignore qu'elle aura plus tard l'occasion de refaire cette scène
à la perfection, avec un vrai zombie qui lui arrachera bel et bien la robe, pour le plaisir du
même Jason, armé de sa caméra numérique, qui préférera alors réussir la scène qui lui venir
en aide. »
GARSON, Charlotte. « Les grands s'allongent par terre d'Emmanuel Saget ». Cahiers du
Cinéma, n° 636, juillet-août 2008, pp. 49-50 :
« Emmanuel Saget signe un premier film aux plans séquences explorant élégamment
l'obscurité, aux décadrages attentifs au moindre geste, taon imaginaire chassé rageusement par
le père dans sa voiture déglinguée ou vieux gilet marronnasse que Gina improvise parapluie. »
« Il soustrait même le visage de son actrice sous un rideau de cheveux et noie son corps dans
le gilet, barrant d'avance le moindre soupçon de cheminement vers l'inceste. »
BENEY, Christophe. « Lake Tahoe de Fernando Eimbcke ». Cahiers du Cinéma, n° 636,
juillet-août 2008, p. 49 :
« L'adolescent endosse malgré lui le rôle de passeur, chargé de renouer des liens quand tout
s'est décousu, de pallier avec ceux de sa génération l'absence des géniteurs, d'endosser des
costumes trop grands (le maillot de base-ball du père sur les épaule du petit frère), trop tôt
(Lucía, la vendeuse de pièces automobiles, si jeune et déjà mère), de se créer des modèles
(elle a appelé son fils Che - "tu sais, Che" dit-elle à Juan en levant le poing - tandis que
David, son collègue, s'inspire des préceptes de Bruce Lee). »
THIRION, Antoine. « L'Incroyable Hulk de Louis Leterrier ». Cahiers du Cinéma,
n° 636, juillet-août 2008, p. 48 :
49
« Mille audaces auxquelles Marvel a préféré l'enthousiasme enfantin de Louis Leterrier pour
un craquage de pantalon - Bruce Banner passe beaucoup de temps à l'anticiper en essayant des
vêtements trop larges et en lycra. »
REHM, Jean-Pierre. « News from Sousse ». Cahiers du Cinéma, n° 636, juillet-août 2008,
pp. 41-42 [à propos de VHS Kahloucha de Nejib Belkadhi] :
« C'est-à-dire, d'abord, le cinéma se copie, et MK, très habité en maillot de bain sur la plage,
aussi fébrile que Tarantino dans ses bonus, de citer ses dieux (...). »
« Se réjouir des acrobaties loufoques du Tarzan des Arabes, leur pote en slip épique. Rire de
ses déguisements, de ses grimaces, de son incessant passage en contrebande dans la contrée
des possibles. »
« Tarzan, son calbar et leurs sosies sortent vainqueurs. »
THIRION, Antoine. « Entre les murs ». Cahiers du Cinéma, n° 636, juillet-août 2008,
pp. 38-39 [à propos de Soit je meurs, soit je vais mieux de Laurence Ferreira Barbosa] :
« Lucas (Émile Berling) est bien le blaireau que laissait présager sa popularité au lycée - une
visite clandestine chez ses parents confirme qu'il fait de la voile, a deux sœurs Jacadi, pose
pouces levés poncho sur la tête. »
« Il suffit d'une visite clandestine pour que la salle de classe deviennent à son tour un espace
ouvert où l'on rentre à sa guise - belle scène où Martial revient en cours comme au retour
d'une nuit arrosée, habillé d'un smoking volé chez Lucas. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « La Possibilité d'une île de Michel Houellebecq ». Cahiers du
Cinéma, n° 637, septembre 2008, p. 46 :
« Laissons méditer d'autres exégètes sur celle qui mène jusqu'à l'oeuvre écrite et ses thèmes,
la description de la médiocrité par exemple, qui dans le film et via l'épisode du touriste belge
en short ressemble à un Poelvoorde-movie dégénéré. »
MALAUSA, Vincent. « Mr. Woodcock de Craig Gillespie ». Cahiers du Cinéma, n° 637,
septembre 2008, p. 45 :
« Sans une once de prétention, cette fable d'initiation vaut d'abord pour la performance
décapante de Billy Bob Thornton en Père Fouettard des gymnases, terreur des binoclards et
Pinochet des petits gros en jogging. »
50
MALAUSA, Vincent. « Martyrs de Pascal Laugier ». Cahiers du Cinéma, n° 637,
septembre 2008, pp. 44-45 :
« Le principe d'accumulation se résume à quelques trouées bienvenues du Grand-Guignol
(trépanation, écorchage...) tandis qu'une parabole mystique digne du Réseau Voltaire (un
grand complot international ourdi par une petite mémé à lunettes noires) ruine la montée en
puissance. »
FRODON, Jean-Michel. « Le soleil se lève aussi de Jiang Wen ». Cahiers du Cinéma,
n° 637, septembre 2008, p. 44 :
« Cet embrouillamini de chaussons magiques, de coquineries montrées/cachées, de chromos
paysagers entre verte campagne du Yunnan et désert de Gobi ravalés au statut de papier peint
folklorique, jusqu'à la joliesse surlignée à mort des visages, des corps et des costumes
engloutissent sans retour le seul aspect intéressant du projet de Jiang Wen (...). »
GARSON, Charlotte. « Be Happy de Mike Leigh ». Cahiers du Cinéma, n° 637,
septembre 2008, p. 40 :
« Gardez la banane, c'est ce que lance, sourire aux lèvres, la trentenaire Londonienne Poppy à
son libraire grincheux ou à son moniteur d'auto-école raciste - c'est d'ailleurs le seul trait
d'ironie de cette ingénue toujours contente au total look Camden Lock. »
« Dans High Hopes, la couleur était du côté de la sœur grotesque, au rouge à lèvre pétant et à
la tenue irisée, tandis que Be Happy dépeint la sœur comme une pauvresse névrosée, laissant
le kit bonne mine aux collants rouges et aux jupes vertes de Poppy. »
GARSON, Charlotte. « Une histoire de famille de Helen Hunt ». Cahiers du Cinéma,
n° 638, octobre 2008, p. 41 :
« Même Colin Firth, le Valmont qui a fini chez Bridget Jones, use en vain son accent anglais
et ses pantalons à côtes. »
MALAUSA, Vincent. « Tonnerre sous les tropiques de Ben Stiller ». Cahiers du Cinéma,
n° 638, octobre 2008, pp. 40-41 :
« À chercher ainsi le "vrai" sous le déluge fake des déguisements et des costumes de la
parodie, le film finit par laisser les comédiens face à une questionnement métaphysique sur
l'art du bien jouer. »
51
RENZI, Eugenio. « Séraphine de Martin Provost ». Cahiers du Cinéma, n° 638, octobre
2008, p. 39 :
« Yolande Moreau campe un personnage qui n'a qu'une seule direction, mais dont la
démarche simplette fait bon ménage de plusieurs allures - populaire, coquine, allumée. Et qui
habille sous la même tenue noire une sauvageonne et une dandy. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Max la menace de Peter Segal et Rien que pour vos cheveux de
Dennis Dugan ». Cahiers du Cinéma, n° 638, octobre 2008, pp. 38-39 :
« Combat de titans entre deux agents spéciaux : Steve Carell/Max la Menace, raide comme un
manche à balai, en costumes stricts, vs Adam Sandler/Zohan, demi-dieu du Mossad, en
moule-burnes et coiffure eighties. »
ZEPPENFELD, Axel. « Mange, ceci est mon corps de Michelange Quay ». Cahiers du
Cinéma, n° 638, octobre 2008, p. 38 :
« Douze enfants haïtiens cheminent en file indienne vers une grande maison. Rasés, lavés, ils
s'assoient à un festin aux assiettes vides, reçus par une femme blanche en habits coloniaux
(Sylvie Testud) et un homme puis son double albinos. »
GARSON, Charlotte. « Killer of Sheep de Charles Burnett ». Cahiers du Cinéma, n° 638,
octobre 2008, p. 38 :
« C'est d'ailleurs ce que partagent la tête de mouton dépecée à l'abattoir et la tête de chien en
caoutchouc portée en masque par une fillette : non un quelconque statut de métaphores
anthropomorphes, mais la perte d'une prérogative humaine. »
BENEY, Christophe. « Couleurs éphémères ». Cahiers du Cinéma, n° 638, octobre 2008,
pp. 33-34 [à propos de Vicky Cristina Barcelona de Ramin Woody Allen] :
« (...) overdose d'écarlate (Juan Antonio est d'abord désigné par sa chemise rouge, avant
d'apparaître à l'image), (...). »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Le dernier soldat ». Cahiers du Cinéma, n° 638, octobre 2008,
pp. 26-27 [à propos de De la guerre de Bertrand Bonello] :
« (...) la secte du Royaume, menée par une Italienne vêtue de blanc, avec ses rituels
caricaturaux, ridicules si on les regarde de travers (retrait du monde, méditation, découverte
52
de l'autre, atelier de création, expression corporelle, etc.), est considérée pour ce qu'elle, très
sérieusement. »
BURDEAU, Emmanuel. « Le vol et la vedette ». Cahiers du Cinéma, n° 638, octobre
2008, pp. 24-26 [à propos de Coluche, l'histoire d'un mec d'Antoine de Caunes et
Mesrine : l'instinct de mort de Jean-François Richet] :
« Le premier exhibe son bide et ses fausses barbes, ses innombrables postiches. Le second se
gave de spaghettis, parade en salopette de bébé et porte lunettes roses. »
NEYRAT, Cyril. « Rabah, le patron ». Cahiers du Cinéma, n° 638, octobre 2008, pp. 2022 [à propos de Dernier Maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche] :
« On se souvient du bob orange, volé au baigneur de Seurat, ponctuant les paysages ouverts
de Bled Number One. »
GARSON, Charlotte. « Stella de Sylvie Verheyde ». Cahiers du Cinéma, n° 639,
novembre 2008, pp. 70-71 :
« Inspirée par le Pialat des années 1970 quand elle filme la mère (Karole Rocher, fidèle à
Sylvie Verheyde depuis Un frère) et encline au travelling furtif quand apparaît Guillaume
Depardieu en clochard habitué du café et ami de la fillette, la caméra de Nicolas Gaurin (le
jeune chef op' de Douches froides) en fait le personnage le plus mystérieux - sur lui,
moustaches et pattes d'eph' glissent, trouant la petite musique naturaliste. »
BENEY, Christophe. « L'Art de la pensée négative de Bård Breien ». Cahiers du Cinéma,
n° 639, novembre 2008, p. 66 :
« Les bandanas rouges distribués par un fan de Voyage au bout de l'enfer déguiseront tous ces
clowns, arborant veste militaire ou perruque de travers, lors d'une parodie vaguement queer de
la roulette russe. »
AUBRON, Hervé. « Appel à tous les postiches ». Cahiers du Cinéma, n° 639, novembre
2008, pp. 61-62 [à propos de Mesrine : l'ennemi public n°1 de Jean-François Richet] :
« C'est que cette épaisseur n'est pas psychologique, elle réside bien dans ce bide crânement
bombé par Cassel, prêt à faire éclater tous les boutons de chemise. »
« Mesrine est un Montana décoloré, en costards beiges et ternes survêts acryliques. »
53
RENZI, Eugenio. « Pressing ». Cahiers du Cinéma, n° 639, novembre 2008, pp. 60-61 [à
propos de Two Lovers de James Gray] :
« On est frappé par sa démarche sur le ponton, imposante mais accompagnée du geste
enfantin de traîner une veste derrière soi - tout comme Linus traîne sa couverture dans les
bandes dessinées de Charles Schulz. »
NEYRAT, Cyril. « La sérénité des anges ». Cahiers du Cinéma, n° 639, novembre 2008,
pp. 54-55 [à propos de À l'aventure de Jean-Claude Brisseau] :
« Alors que l'auteur des Anges allait jusqu'à prêter sa chemise à son alter ego dans le film,
Brisseau se divise ici en deux personnages (...). »
DELORME, Stéphane. « Le rêveur secret ». Cahiers du Cinéma, n° 639, novembre 2008,
pp. 52-54 [à propos de Quatre nuits avec Anna de Jerzy Skolimowski] :
« Le récit est truffé de flash-back qui nous ramènent au viol, aux interrogatoires, au procès, à
la prison, tandis qu'Okrasa s'occupe d'Anna, lui refait les ongles, recoud ses vêtements, se
rend utile sur de tout petits détails qu'elle ne remarquera sans doute pas. »
« Il a le temps de détailler : la main qui s'accroche au filet, les ongles vernis qui crèvent le
collant, le poisson qui tombe à terre dans un flop. »
THIRION, Antoine. « L'homme-sables ». Cahiers du Cinéma, n° 639, novembre 2008,
pp. 42-44 [à propos de Hunger de Steve McQueen] :
« Un homme plonge des mains écorchées dans l'eau, déplie et revêt des vêtements amidonnés,
prend le petit-déjeuner qu'on lui sert, sort, ouvre la barrière séparant l'allée d'une rue de
banlieue pavillonnaire irlandaise, vient s'assurer qu'elle n'annonce aucun danger. »
ZEPPENFELD, Axel. « La Terre des hommes rouges de Marco Bechis ». Cahiers du
Cinéma, n° 640, décembre 2008, p. 52 :
« La tragédie n'a rien de fictionnel : ces Indiens du Brésil se consument à mesure qu'ils
consomment le monde moderne. Téléphones portables, baskets, reliques absurdes de leur
dérèglement sont poussées dans la tombe avec eux. »
« Au premier plans du film, déguisés contre salaire dans leurs tenues traditionnelles, pour se
montrer aux touristes, les Indiens paraissent dans une distance, un jeu critique - bien que
cynique - avec leur identité et leur image. »
54
DELORME, Stéphane. « Super Blonde de Fred Wolf ». Cahiers du Cinéma, n° 640,
décembre 2008, pp. 51-52 :
« Quelques cours de mouillages de tee-shirt plus tard, les nerds sont devenues des bimbos. »
« Au lieu de les voir passer d'un coup de baguette magique de la tenue stricte ou gothique au
bikini, on préfèrerait apprécier comment c'est le strict qui devient sexy, ou le gothique
désirable. »
« Pas pulpeuse même si elle multiplie les petites tenues, pas idiote même si elle mélange les
morts, elle est plutôt une éternelle candide avec un gros bon fond de boy-scout. »
GARSON, Charlotte. « Le Plaisir de chanter d'Ilan Duran Cohen ». Cahiers du Cinéma,
n° 640, décembre 2008, p. 51 :
« Si l'on n'échappe ni à la galerie de portraits, ni à ses coquetteries afférentes (improbable
robe Missoni de la fonctionnaire de la DST), la double ceinture du chant et du genre sangle
opportunément les velléités locales. »
GARSON, Charlotte. « Mascarades de Lyes Salem ». Cahiers du Cinéma, n° 640,
décembre 2008, p. 50 :
« Salem chatouille gentiment sous le masque, avec un soupçon de roublardise : comment ne
pas penser, devant le voile "oublié" de Rym et son chaste "pas tout de suite" adressé à son
amant cherchant un simple baiser, à la fougue de Goucem dans Viva Laldjérie, minijupe sous
djellaba? »
MALAUSA, Vincent. « Johnny Mad Dog de Jean-Stéphane Sauvaire ». Cahiers du
Cinéma, n° 640, décembre 2008, pp. 48-49 :
« La force du film tient autant à sa croyance dans l'impact du lieu (Monrovia balayé de long
en large) que dans sa fougue mimétique : costumes délirants, surnoms hollywoodiens, culture
gangsta, langue intraduisible, chaque séquence s'en tient implacablement au quotidien de
défonce, de rites et superstitions dans lequel baignent les enfants-machines. »
THIRION, Antoine. « Gymnastique internationale ». Cahiers du Cinéma, n° 640,
décembre 2008, pp. 42-43 [à propos de Burn After Reading de Joel et Ethan Coen] :
« L'image zoome d'une vue satellite des États-Unis à un couloir d'un bâtiment de la CIA,
tandis que le générique mené tambour battant est continué par le claquement des talons de
Malkovich en route vers le bureau où va lui être signifié son licenciement. »
55
GARSON, Charlotte. « Mobiles hommes ». Cahiers du Cinéma, n° 640, décembre 2008,
p. 40 [à propos de Louise-Michel de Benoît Delépine et Gustave Kervern] :
« Sa figure tutélaire, travestie en son temps par nécessité sociale, ne tolèrerait pas qu'on place
l'art (fût-il finlandais) au-dessus des origines télévisuelles du gag. »
« Valise métallique, chaussures de claquettes, parapluie à motifs, poignée de porte, flingues
rafistolés : autant d'accessoires métalliques que les comiques exhibent comme à pierre-feuilleciseaux, tantôt enveloppés dans le gag, tantôt laminés par lui. »
BURDEAU, Emmanuel. « Herbe folle ». Cahiers du Cinéma, n° 640, décembre 2008,
pp. 38-39 [à propos de Délire Express de David Gordon Green]:
« Un huissier de justice glandeur, un revendeur d'herbe amoureux de son chat mort et un
dealer cool en pyjama et bandeau Björn Borg. Nous sommes familiers de ces manières et de
ces accoutrements. »
« Le mon de la bande Apatow est certes celui de la banalité, mais une banalité continûment
remuées d'avatars et de métamorphoses : Dale se déguise en infirmier ou en livreur afin de
pouvoir remettre ses convocations avant qu'on lui claque la porte au nez, Saul adapte ses
persona selon les clients, Red le salue avec des mimiques de trappeurs. »
« Une succession folle de descriptions trop minutieuses et de décisions impossibles dans un
monde où le verbe construit à toute vitesse des univers à la fois parallèles et voisins du nôtre,
signés et flottants ; des phrases qui vont si vite du scato au mytho ou au mélo qu'elles
déchirent la paroi censée protéger l'un de l'autre le métaphorique du littéral ; des dinners, des
peignoirs et des balades en voiture, une longue baston en appartement... Nous sommes déjà
passés par là : ces éléments appartiennent aussi aux films de Quentin Tarantino. »
DELORME, Stéphane. « The Spirit de Frank Miller ». Cahiers du Cinéma, n° 641,
janvier 2009, p. 38-39 :
« (...) Miller fait du Miller en accrochant une cravate rouge sur la silhouette noire du justicier
et en le jetant de toit en toit sous une voix rauque chantant son amour ténébreux pour sa ville
adorée (vous avez dit Sin City ?). »
« Samuel L. Jackson s'adonne à la grandiloquence à cœur joie dans une séquence assez
ahurissante de studio, pas si loin du Hitler de Syberberg, où déguisé en nazi, il finit écrasé par
un immense aigle de pierre. »
56
MALAUSA, Vincent. « Le Bon, la brute et le cinglé de Kim Jee-woon ». Cahiers du
Cinéma, n° 641, janvier 2009, p. 32 :
« Le Bon, la brute et le cinglé, western-bibimbap lorgnant sur Leone et Tarantino, confirme la
fadeur de Kim, apôtre d'un cinéma frimeur tournant en rond malgré la multitude de ses
costumes (Deux soeurs, A bitterweet life). »
AUBRON, Hervé. « En ce miroir ». Cahiers du Cinéma, n° 641, janvier 2009, pp. 2627 [à propos de Le Miroir magique de Manoel de Oliveira] :
« Quand bien même maître d'œuvre de la supercherie, le faussaire en chef (incomparable Luis
Miguel Cintra) ne peut comiquement s'empêcher de clamer des bénédictions lorsque la Vierge
d'occasion se présente pour la première fois avec son costume. »
NEYRAT, Cyril. « Les instantanés de l'âme ». Cahiers du Cinéma, n° 641, janvier 2009,
pp. 22-23 [à propos de Nuit de chien de Werner Schroeter] :
« Malgré sa lassitude, Ossorio est encore capable d'un tel instantané, lorsqu'il se jette nu dans
la baignoire avec son masque de loup. »
RENZI, Eugenio. « La lutte à mort d'Ernesto Guevara selon le dialecticien Steven
Soderbergh ». Cahiers du Cinéma, n° 641, janvier 2009, pp. 18-20 [à propos de Che :
L'Argentin et Guerilla de Steven Soderbergh] :
« L'élégance de Kafka/Jeremy Irons chez le Che déguisé en fonctionnaire de UEA, ce dernier
campé par un Benicio del Toro impeccable. »
AUBRON, Hervé. « Mauvaise fièvre ». Cahiers du Cinéma, n° 642, février 2009, pp. 3839 [à propos de Tony Manero de Pablo Larraín] :
« Il endosse même le décorum du dictateur, dont la tenue d'apparat, d'un blanc claquant,
n'était somme toute pas si éloignée de celle de Travolta dans La Fièvre. »
« En lui, l'euphorie chimique du disco croupit, de sous-vêtements élimés en tôles rouillées, en
un salpêtre gris brun - qui n'est pas exempt de quelques coquetteries arty. »
DELORME, Stéphane. « Présences détectées ». Cahiers du Cinéma, n° 642, février 2009,
pp. 28-30 [à propos de L'Autre de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic] :
« Le moment génial où Anne-Marie fait gigoter ses bottes devant un miroir n'est pas
seulement l'instant effrayant où on se dit qu'elle a basculé de l'autre côté ; c'est aussi du
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mécanique plaqué sur du vivant, hautement risible, comme si une folle refaisait avec ses pieds
la danse des petits pains de Charlot dans La Ruée vers l'or. »
BURDEAU, Emmanuel. « Noire chevauchée ». Cahiers du Cinéma, n° 642, février 2009,
pp. 22-23 [à propos de Walkyrie de Bryan Singer] :
« Ailleurs il se coupe en se rasant, à la limite du col et du cou, afin d'avoir l'alibi de s'isoler
pour changer de chemise quand il sera dans la Tanière du Loup où Hitler tient meeting autour
de ses généraux. Une sacoche remplie d'explosifs, un combiné de téléphone, des casquettes
sur un porte-manteaux joueront là un rôle crucial. Ailleurs encore, Stauffenberg fait volteface, claque les talons, tend haut son moignon et hurle "Heil Hitler !". »
« Deux mots ne sont pas prononcés, dans Walkyrie : « terrorisme » et « super-héros ». Le
premier est pourtant le sujet, encore et toujours. Quant au second, il fallait la mutilation de
Stauffenberg, qu'un bandeau couvre son œil mort, qu'il perde une main et trois doigts à l'autre,
que toute sa personne s'assombrisse, que son uniforme devienne une cape pour que, nouvel XMan ou Superman de moins, il prenne la tête du complot et le mène jusqu'à un échec qui sera
aussi un triomphe, celui de l'honneur. »
NEYRAT, Cyril. « L'âge des images ». Cahiers du Cinéma, n° 642, février 2009, pp. 1214 [à propos de L'Étrange Histoire de Benjamin Button de David Fincher] :
« La chef costumière dit avoir conçu les tenues du héros en prenant comme modèle, non
l'homme de la rue, mais la star représentative de chaque décennie : Gary Cooper pour les
années 1940, James Dean et Marlon Brando pour les fifties, Steve McQueen pour les sixties.
Au passage, l'acteur Brad Pitt incarne donc chacun de ses prédécesseurs dans la lignée de stars
qu'il est sensé prolonger. »
BURDEAU, Emmanuel. « Hourra pour la viande ». Cahiers du Cinéma, n° 642, février
2009, pp. 8-11 [à propos de The Wrestler de Darren Aronofsky] :
« Darren Aronofsky n'a pas grand-chose à ajouter à ce visage désormais orné d'une longue
chevelure blonde : un sonotone, des collants verts fluo, quelques blessures de plus gagnées sur
le ring et quand même, pour faire bonne figure, deux mois d'entraînement intensif auprès d'un
coach professionnel. »
MALAUSA, Vincent. « Vendredi 13 de Marcus Nispel ». Cahiers du Cinéma, n° 643,
mars 2009, pp. 40-41 :
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« Une poignée d'ados campeurs débarque non loin de Crystal Lake, l'antre de Jason, le
boogeyman débilitant au masque de hockey et aux gros godillots crottés, et se fait trucider
sitôt la nuit venue. »
BENEY, Christophe. « La Vague de Dennis Gansel ». Cahiers du Cinéma, n° 643, mars
2009, p. 40 :
« Figée en logo, déclinée sur tous les supports publicitaires, des façades d'immeubles aux
écrans d'ordinateur, l'onde marine se pare de la fausse innocence d'une marque de fabrique
(avec un supplément d'irrévérence, elle aurait pu ressembler au reflet de la virgule Nike) et
impose à ses adeptes sa norme vestimentaire (chemise blanche d'employé de bureau plutôt
que brune). »
« Le rassemblement au bord de l'eau des prosélytes de « La Vague » ressemble à l'after d'une
réunion de surfeurs, la rixe avec les punks vaut moins comme une bataille idéologique que
comme affrontement de looks. »
« Omniprésente, stagnante, elle est bien d'aujourd'hui, signe avant-coureur et tranquille de
futurs conflits territoriaux motivés par le seul ultra-capitalisme, quand la prochaine guerre
mondiale verra s'affronter, armes à la main, les soldats d'Adidas et ceux de Reebok. »
BURDEAU, Emmanuel. « Les Noces rebelles de Sam Mendes ». Cahiers du Cinéma,
n° 643, mars 2009, pp. 37-38 :
« Une épaisseur de réalité (chapeaux, voitures, robes) qui n'est d'autre qu'une chimère. »
THIRION, Antoine. « Castro Camera ». Cahiers du Cinéma, n° 643, mars 2009, pp. 3435 [à propos de Harvey Milk de Gus Van Sant] :
« Les anges de Gus Van Sant se lancent dans la politique. Depuis Castro Street, ils gèrent et
relancent le commerce, encaissent les violences policières, saisissent des mégaphones,
documentent leur mouvement, s'affairent dans leur QG et finissent par entrer à la mairie en
sweats à capuche, au service du premier candidat ouvertement homosexuel, dont l'âge n'a pas
effacé l'élan juvénile, à entrer en fonction. »
« Portant cheveux longs, barbe fournie, veste courte et jeans serrés, vivant d'amour et de
marijuana, Milk filme et photographie le voisinage, pulvérisant à nouveau sur le film des
grains impurs. »
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MÉRANGER, Thierry. « One steppe beyond ». Cahiers du Cinéma, n° 643, mars 2009,
pp. 27-28 [à propos de Tulpan de Sergey Dvortsevoy] :
« La jeune fille désirée n'est plus que la tulipe (« tulpan ». évidemment) représentée sur la
pièce d'étoffe abandonnée aux mains d'un enfant. »
FRODON, Jean-Michel. « Ils mourront tous sauf moi de Valeria Gaï Guermanika ».
Cahiers du Cinéma, n° 644, avril 2009, pp. 38-39 :
« Avantage pour Guermanika, du moins vis-à-vis de ses spectateurs occidentaux, les
ressemblances avec les situations similaires dans un film américain, français ou espagnol du
même genre sont aussi intéressantes que les différences : ces jeunes filles, et les garçons aussi
bien, ressemblent en de nombreux points à des ados du Wisconsin, de Picardie ou de Galice,
mêmes habits, même vocabulaire, même imaginaire... »
« Puisque si ces ados portent les mêmes jeans et les mêmes chaussures, écoutent la même
musique et usent les mêmes téléphones portables que les membres de leur génération sous
d'autres longitudes, le passage de leur environnement à ce monde-là s'est fait avec une si
vertigineuse rapidité qu'il a laissé une infinité de traces traumatiques qui ne demandent qu'à
ressurgir. »
GARSON, Charlotte. « L'Idiot de Pierre Léon ». Cahiers du Cinéma, n° 644, avril 2009,
p. 38 :
« L'image numérique impose aux décors et aux costumes une immédiateté insoutenable (...). »
BENEY, Christophe. « Duplicity de Tony Gilroy ». Cahiers du Cinéma, n° 644, avril
2009, pp. 37-38 :
« (...) Julia Roberts porte un string. Un scoop tel que même ses partenaires semblent ne pas y
croire. Recueilli au pied d'un lit par sa propriétaire, l'accessoire érotique fait l'objet d'un gros
plan dès les premières minutes. Il se transforme plus tard en véritable trophée, brandi par
l'héroïne à la face incrédule de Clive Owen, fausse pièce à conviction destinée à lui faire
avouer une éventuelle aventure. Interloqué, il nie. Elle, satisfaite, annonce finalement qu'elle
va enfiler le fameux sous-vêtement, puisque c'est le sien.
Le supplément de malice du bluff ne tient pas seulement au soulagement de l'accusé au terme
de l'échange (laissé aux seuls regard des spectateurs, il trahit une infidélité avérée et redouble
l'effet comique), mais à sa réaction première : il se demande d'où peut bien venir ce dessous
féminin, mais ne pense pas une seule seconde qu'il puisse appartenir à sa complice et
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maîtresse. Entre les mains de Julia Roberts, le string devient donc un leurre, un accessoire de
mise en scène trop superficiel pour être honnête, au même titre que les soutien-gorge push-up
d'Erin Brokovich, destiné à sexualiser sommairement un corps. (...) Julia Roberts sera
toujours pour Hollywood la fille d'à côté, éternelle vierge dont le sourire désarmant restera le
seul outil de séduction, et sur laquelle les attributs de la femme fatale paraîtront aussi
crédibles que le dentier porté par l'interprète d'un vampire. »
FRODON, Jean-Michel. « Rire sous cape de velours ». Cahiers du Cinéma, n° 644, avril
2009, p. 34 [à propos de Chéri de Stephen Frears] :
« Renouant, vingt ans après Les Liaisons Dangereuses, avec un roman français en costume
adapté par Christopher Hampton, il enjambe d'un bond une filmographie aussi fournie que
disparate, inégale sans doute, mais où toujours s'affirme sa personnalité, d'autant mieux qu'il
n'en fait guère étalage. C'est-à-dire : un désir, un choix, un goût.
Le goût est ce qui s'impose aussitôt comme une évidence dans cette adaptation des romans de
Colette, Chéri et La Fin de Chéri. Décors, costumes, chapeaux et bijoux, auraient tout pour
fabriquer encore un film d'antiquaire, et il y a mille motifs de redouter cet enlisement tandis
que se trame la liaison entre la courtisane vieillissante et le jeune fils d'une de ses consœurs
nettement plus tapée, puis les arrangements de mariage d'argent, de fuite et de vengeance,
d'avidités croisées portant sur le plaisir, l'argent, la conquête, l'espoir de rester jeune. Le film
enveloppe ces machinations de soie, de velours, d'arabesques art nouveau, la marque de
Frears est d'allier à des choix d'objets et de matières réellement gracieux un irréductible
humour. Frears apprécie le graphisme d'une décoration d'intérieur ou la tenue d'une robe, mais
en même temps ça le fait rire, d'un rire qui est celui du réalisateur de The Snapper et de The
Van. Et il tient à partager en même temps son admiration pour des objets aux formes
recherchées et l'amusement qu'ils lui inspirent. En quoi ses films se distinguent des
innombrables films "à déco", à commencer par ceux de James Ivory. »
« Clown blanc et auguste, mais au féminin et couverts de bijoux, c'est un délicat prodige
d'aller chercher les ressources de ces contrastes et glissements tout en racontant l'histoire des
séductions et des jalousies en miroir d'une demi-mondaine sur le retour et d'un dandy
immature. »
SCHWEITZER, Ariel. « Entre les choses, l'humain ». Cahiers du Cinéma, n° 644, avril
2009, p. 33 [à propos de Nulle part, terre promise d'Emmanuel Finkiel] :
61
« C'est aussi la scène où, dans un centre commercial, l'enfant kurde croise le regard d'un autre
enfant de son âge qui vante les mérites de ses chaussures de sport à peine acquises. A lieu de
détourner le regard, le petit immigré défie frontalement l'autre, bloque le flux du récit, exhibe
son maillot jaune de l'équipe du Brésil dont il a refusé de se séparer depuis le début du
voyage. »
BENEY, Christophe. « Les mon(s)tres ». Cahiers du Cinéma, n° 644, avril 2009, pp. 3132 [à propos de Watchmen - Les Gardiens de Zack Snyder] :
« Spectre Soyeux Il porte le costume de sa mère, le Spectre Soyeux original ; le Hibou
reprend un rôle créé par un autre : peu importe que les corps changent, puisque le masque
reste, inaltéré. »
FRODON, Jean-Michel. « Le grand arbre de la réduction ». Cahiers du Cinéma, n° 644,
avril 2009, pp. 16-18 [à propos de Villa Amalia de Benoît Jacquot] :
« Il y a surtout de la folie dans le film lui-même, dans sa construction, ses surplaces, son
attention aux sacs poubelle remplis des habits qu'on abandonne, aux formulaires de
procuration, aux procédures bancaires et douanières, au déménagement des pianos, aux
changements de serrure, de trains, d'habits, d'hôtels. »
FRODON, Jean-Michel. « La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld ». Cahiers du
Cinéma, n° 645, mai 2009, p. 61 :
« Dès la première séquence, tout est joué : l'entrée en classe des ados fait d'eux, d'emblée et
sans retour, ce qu'on ne saurait appeler autrement qu'un tas de merde. Un tas indifférencié et
haïssable. C'est ainsi que le film les voit et semble-t-il avec lui un grand nombre de gens
(aussi de journalistes, d'enseignants etc.) : de détestables esclaves de l'arriération du tiers
monde et de l'islamisme, arriération aggravée de leur asservissement à la Star Ac' et aux
marques de fringues, exacerbée par le règne sans frein des pulsions, sexe et brutalité
meurtrière. »
FRODON, Jean-Michel. « Coco avant Chanel d'Anne Fontaine ». Cahiers du Cinéma,
n° 645, mai 2009, pp. 60-61 :
« Toute la caractérisation de la jeune Gabrielle dite Coco tient en effet à son anticonformisme,
et à son penchant à retirer le superflu, à combattre la mode alors dominante de la fanfreluche
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et du décorum. Alors que le film est, lui, d'un conformisme de plomb, et accumule les
accessoirisations décoratives. »
MÉRANGER, Thierry. « Le Dieu du stade ». Cahiers du Cinéma, n° 645, mai 2009,
pp. 47-48 [à propos de Looking for Eric de Ken Loach] :
« (...) l'écorché de My name is Joe entraînait déjà une bande de footeux dont les maillots
étaient floqués au nom d'anciennes idoles (...). »
FRODON, Jean-Michel. « Le combat dans l'ombre ». Cahiers du Cinéma, n° 645, mai
2009, pp. 36-38 [à propos de Vengeance de Johnnie To] :
« Les bons, les méchants, les motifs du récit : bizarre travail de scénariste, de régisseur ou de
directeur de production pour savoir qui est qui, qui fait quoi, quel costume et quel accessoire
(dramatique et moral) il faut continuer d'accoler à chacun pour s'y retrouver. »
RENZI, Eugenio. « Terminator renaissance de McG ». Cahiers du Cinéma, n° 646, juin
2009, p. 49 :
« Dès lors, tout épisode commence par quelques saynètes comiques sur le genre :
l'extraterrestre s'approprie les costumes des indigènes (habits et habitus confondus). »
BENEY, Christophe. « Departures de Takita Yojiro ». Cahiers du Cinéma, n° 646, juin
2009, p. 45 :
« Au contraire : devant la rigueur mécanique des gestes de l'employé des pompes funèbres,
ancien violoncelliste professionnel, ses effets de manche (changer la tenue du défunt, sans
jamais le montrer nu), sa trousse à maquillage, la caméra semblerait presque envieuse de ce
sens du toucher et jalouse de la facilité à concrétiser sans moyens techniques, simplement
avec les mains, le pouvoir de l'escamotage et la puissance de conservation par-delà la mort qui
sont habituellement siens. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Boys boys boys ». Cahiers du Cinéma, n° 646, juin 2009, pp. 42
et 43 [à propos de Les Beaux Gosses de Riad Sattouf] :
« À quoi pensent-ils, Hervé et Camel, l'un avec son pull-over marron à losanges, l'autre avec
ses habits de fan de métal, veste en jean sans manches, t-shirt à tête de mort? »
« Dans ce cadre-là, la drôlerie du film tient à une justesse du trait, à une précision jamais prise
en défaut qui laisse l'impression de balayer d'un coup toutes les tares gentilles de
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l'adolescence boutonneuse : dans le minuscule de mille détails (la masturbation dans les
chaussettes, cette manière, au matin, d'enfiler son pull et son polo de la veille, même pas
séparés, etc.) aussi bien que dans le majuscule de la weltanschauung de nos 14 ans (la peur
d'aller en prison à la moindre micro-bêtise, le rapport dilaté du temps qui vous fait prendre la
plus petite décision pour la plus définitive des résolutions, etc.). »
AZALBERT, Nicolas. « La vie en ce jardin ». Cahiers du Cinéma, n° 646, juin 2009,
pp. 40-41 [à propos de Fausta de Claudia Llosa] :
« De même une robe de mariée étendue sur un lit, lorsque celui-ci est poussé par Fausta, se
pourvoit de la tête emmaillotée de sa mère, gisant à même le sol, sous le lit, en attente de
sépulture. »
SCHWEITZER, Ariel. « Bronson de Nicolas Winding Refn ». Cahiers du Cinéma,
n° 647, juillet-août 2009, p. 47 :
« Très convaincant dans sa dimension âpre et la description de la violence physique, le film
s'affaiblit toutefois avec le recours à un cadre théâtral montrant Bronson sur scène, habillé et
maquillé comme un acteur, commentant sa propre histoire devant une foule de spectateurs. »
THIRION, Antoine. « À l'envers, à l'endroit, à l'excès ». Cahiers du Cinéma, n° 647,
juillet-août 2009, pp. 43-44 [à propos de Portrait de femmes chinoises de Yin Li-chuan] :
« Daping a quant à elle conservé une amie d'enfance, celle-là même qui lui a appris à le tricot
et à qui elle destine son premier vêtement, une écharpe. »
THIRION, Antoine. « La question du vampire ». Cahiers du Cinéma, n° 647, juillet-août
2009, pp. 33-34 [à propos de Le Temps qu'il reste d'Elia Suleiman] :
« Elia Suleiman, ici plus Bela Lugosi que Buster Keaton, traverse des temps et des espaces où
même un vampire se trouve mal à l'aise. Où même un vampire est désœuvré, condamné à
errer en pyjama, comme si tout le sang avait déjà été donné et qu'il ne subsistait plus qu'une
terre desséchée et, selon l'expression consacrée, exsangue. »
AUBRON, Hervé. « Zone quadrillée ». Cahiers du Cinéma, n° 647, juillet-août 2009,
pp. 30-32 [à propos de Public Enemies de Michael Mann] :
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« D'accord, on vous lancera quelques pardessus et borsalinos, flingues et mitraillettes. Mais ne
vous attendez pas à un bal costumé sur fond de jazz-club, ou alors juste quelques instants, le
temps que Dillinger emballe Billie (Marion Cotillard). »
« De cet artisanat du shérif, il passe d'un coup au costume du FBI et se coule sans peine dans
ses protocoles. »
AZALBERT, Nicolas. « Le Petit Nicolas de Laurent Tirard ». Cahiers du Cinéma, n° 648,
septembre 2009, pp. 42-43 :
« Derrière les visages angéliques et les sourires mielleux, derrière les culottes courtes et les
cols amidonnés, derrière le bien-être et le bien-ordonné, Le Petit Nicolas, film-Cajoline (où
tout sent bon et tout est doux), prône, à l’instar de son homonyme, un discours douteux. »
DELORME, Stéphane. « Midnight Meat Train de Ryuhei Kitamura ». Cahiers du
Cinéma, n° 648, septembre 2009, pp. 41-42 :
« Dans les wagons, un tueur veille, les mains posées sur un énorme attaché-case d'où il sortira
le moment venu un marteau de boucher. »
« L'air renfrogné et la taille massive du tueur en imposent, mais la bonne idée, c'est l'attachécase et le costume qui semblent en faire un cadre after hours. »
« Face au tueur, un photographe curieux mouillant sa chemise pour récupérer des images
morbides est une personnage longtemps attachant dans sa quête non pas de photos chocs mais
de bonnes photos. »
BÉGIN, Cyril. « G. I. Joe : le Réveil du Cobra de Stephen Sommers ». Cahiers du
Cinéma, n° 648, septembre 2009, pp. 40-41 :
« Chez les G. I. Joes, il y a un sombre ninja, une belle rousse, un black rigolo, un beur
survolté et un blanc un peu mélancolique, mais tous ces insipides fantastiques se retrouvent à
un moment ou à un autre enfoncés dans des coques de fer - quelque chose comme un destin,
pour ces ex-figurines de plastique. »
« Pour plus de scaphandres, explosions et têtes de Marines (la comparaison s'arrête là), allez
plutôt voir Démineurs de Kathryn Bigelow. »
MALAUSA, Vincent. « Les veilleurs ». Cahiers du Cinéma, n° 648, septembre 2009,
pp. 36 et 38 [à propos de Démineurs de Kathryn Bigelow] :
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« Mais Démineurs tire aussi sa singularité de cet embarras, et peut-être sa plus belle idée : le
costume de protection que le sergent James doit enfiler pour s’approcher des zones explosives
le transforme en une espèce de cosmonaute au pas lourd et maladroit. Lançant, au début, une
bombe fumigène pour faire diversion dans une rue poussiéreuse, le gros bibendum semble
évoluer dans un espace lunaire lesté d’une aberrante pesanteur. Bigelow multiplie ces
références ironiques à une sorte de « déconquête de l’espace » en dressant un véritable
inventaire inversé du film de science-fiction : visions subjectives de l’homme-machine,
souffle amplifié, petit robot monté sur chenilles de l’ouverture, plans tremblés et brouillés,
reflets de l’explosion dans la vitre du casque, etc. Impossible, dès lors, de prendre comme tel
le plan final montrant James, employé dans une nouvelle compagnie, s’avancer fièrement
dans sa combinaison sur fond de hard rock. »
TESSON, Charles., « Dansons sous l’Aïd ». Cahiers du Cinéma, n° 648, septembre 2009,
pp. 34-35 [à propos de Saawariya de Sanjay Leela Bhansali] :
« Entièrement tourné en studio dans un décor somptueux, à la mesure des élans
chorégraphiques (une ruelle avec des flaques d’eau, bordée de fresques de fleurs de lotus, se
transforme, par la grâce des comédiens en jeu de marelle), il recrée une Venise partiellement
reconnaissable (gondoles, canaux, ponts, clochers) et transfigurée par la présence indienne,
picturale, artistique, religieuse et musicale (chansons et danses), sans oublier les personnages
et les costumes. »
« Souvent Sakina porte des saris noirs, un parapluie noir, et Bhansali aime filmer ses beaux
yeux luisants d'un noir de jais. »
« Étonnant mélange des genres et des registres, pour le moins réjouissant, à l’aplomb presque
chahinien. L’autre scène se déroule dans l’enceinte d’une mosquée, pendant les fêtes de l’Aïd,
avec des hommes en tenue de prière, vêtus de blanc, et Raj, en tenue de ville, qui chante ses
louanges à la lune, et accessoirement à Sakina, sur la terrasse (les femmes ne sont pas admises
en bas). »
GARSON, Charlotte. « Michael "Hunger" Fassbender ». Cahiers du Cinéma, n° 648,
septembre 2009, p. 33 :
« Pour son rôle dans Inglorious Basterds - un critique de cinéma devenu un agent secret
anglais déguisé en soldat allemand -, le perfectionnisme a d'abord consisté à lui faire
visionner des dizaines de films de George Sanders. »
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GARSON, Charlotte. « Eau vive ». Cahiers du Cinéma, n° 648, septembre 2009, pp. 3233 [à propos de Fish Tank d’Andrea Arnold] :
« Simple vigile dans un entrepôt les jours de semaine, Connor (Michael Fassbender), nouveau
petit ami de la mère inspecté sous toutes les coutures de son jean taille basse par l’aînée Mia,
attrape une carpe dans la rivière comme s’il avait fait ça toute sa vie. »
« Ces suées solitaires dans un squat décrépi (filmé dans un grain sous-exposé mais non
numérique) se prolongent en une belle invention visuelle dans les autres séquences
suspendues du film – conte de fée quand Mia feint le sommeil pour que Connor la porte au lit,
conte cruel quand, au ruisseau idyllique de la pêche, succède une heure plus tard l’estuaire
agité de la Tamise où Mia précipite une fillette déguisée en princesse. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Alien Nation ». Cahiers du Cinéma, n° 648, septembre 2009,
pp. 29-30 [à propos de District 9 de Neill Blomkamp] :
« Le film hélas s’en remet à un héros assez insupportable, rond-de-cuir en débardeur, timide
et nerveux, chargé de faire évacuer la population du « district 9 » vers un autre camp de
réfugiés. »
Cyril Béghin, « Bonne piste ». Cahiers du Cinéma, n° 648, septembre 2009, pp. 27-28 [à
propos de 36 Vues du pic Saint-Loup de Jacques Rivette] :
« Lorsque Vittorio s’arrête pour dépanner Kate, il y a une belle décapotable noire, une
chemise impeccable, le maintien forcé d’une action sans parole où Castellito souligne, un peu
clownesque, le moindre de ses gestes, tout cela dans le paysage nu d’un coin du Languedoc. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Thirst de Park Chan-Wook ». Cahiers du Cinéma, n° 649,
octobre 2009, p. 38 :
« Park ne manque pas d’idées, c’est sûr, mais sa balourdise le fait voisiner avec Jean-Pierre
Jeunet (la scène des chaussures, attention poésie) et le film, interminable après une première
heure bien tenue, finit par faire passer l’envie de bouffer du curé une seconde de plus. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Rose et noir, de Gérard Jugnot ». Cahiers du Cinéma, n° 649,
octobre 2009, p. 36 :
« Ça se passe au seizième siècle, Jugnot joue au couturier complètement folle (rose) qui doit
créer, sur ordre du roi, une robe pour la fille du Grand Inquisiteur d’Espagne (et noir). »
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Nicholas Elliott, « The Informant ! de Steven Soderbergh ». Cahiers du Cinéma, n° 649,
octobre 2009, p. 34 :
« On s’interroge aussi sur le choix d’une irritante musique rétro pleine d’entrain, et surtout sur
la voix off de Mark, qui recouvre sans cesse les dialogues avec ses considérations sur la
qualité des pulls mérinos ou l’espérance de vie. »
MÉRANGER, Thierry. « Allemagne années zéro ? ». Cahiers du Cinéma, n° 649, octobre
2009, pp. 24-26 [à propos de Le Ruban blanc de Michael Haneke] :
« La germanité officiellement délaissée depuis Funny Games en 1997, s’inscrit désormais
dans une perspective historique, que le recours au film en costume – inédit chez le cinéaste –
semble cautionner et illustrer. »
« Si le visage d’une paysanne accidentée reste couvert par un voile et si les coups de schlague
assénés aux enfants punis retentissent derrière une porte close, c’est bien au sens propre qu’il
faudra se contenter du « bien entendu » et de l’ « ouï-dire ».
TESSÉ, Jean-Philippe. « Micmacs à tire-larigot de Jean-Pierre Jeunet ». Cahiers du
Cinéma, n° 650, novembre 2009, pp. 56-57 :
« La récup’ est pourtant le motif esthétique de ce film étrangement bâclé, au nom d’une
idéologie du bout de ficelle et des clochards poétiques jusqu’au bout des godasses. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Classe gardée ». Cahiers du Cinéma, n° 650, novembre 2009,
p. 52 [à propos de Rapt de Lucas Belvaux] :
« Si la caractérisation des personnages reste immobile (chacun son rôle, seule l’image du
héros se défait), quelques chose attire une immédiate adhésion : une manière de poser les
personnages, dont il aime à savourer les détails (le savoureux ravisseur marseillais dont la
grosse moustache déborde sur la cagoule, les policiers venus d’ailleurs, tous en costume
cravate, sauf un, le plus bourru. »
GARSON, Charlotte. « Strella de Panos H. Koutras ». Cahiers du Cinéma, n° 651,
décembre 2009, p. 48 :
« Strella, interprétée par un vrai transsexuel, incarne dans sa garde-robe et son espace
domestique l’esthétique semi-réaliste du film lui-même : la lèvre supérieure légèrement
moustachue, le long cheveu noir, Mina Orfanou a le charme rauque d’une Ronit Elkabetz
68
quand elle séduit Yiorgos dans un motel miteux, mais plus tard on découvre que son intérieur
chatoie de couleurs almodovariennes. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Limits of control de Jim Jarmusch ». Cahiers du Cinéma,
n° 651, décembre 2009, p. 45 :
« Son nouveau film fait peine à voir. On y suit deux heures durant un homme impassible et
secret, genre taiseux en costard, qui se rend en Espagne pour accomplir une étrange mission. »
« La narration se résume finalement à un dépliant touristique, tandis qu’une grande idée de
cinéma en chasse une autre : le héros commande deux expressos à la fois, change de costume
quand il voyage d’un lieu à l’autre – ce genre de choses. C’est-à-dire qu’on s’ennuie : une
scène, un lieu, un costume, un acteur, deux cafés – l’addition. »
TESSÉ, Jean-Philippe. « Père et maire ». Cahiers du Cinéma, n° 651, décembre 2009,
p. 42 [à propos de La Famille Wolberg d’Axelle Ropert] :
« Simon est posé comme un homme ordinaire (notable de province) et un excentrique
atemporel (chapeau bien porté, phrasé inspiré, mélomanie érudite). »
TESSON, Charles. « Il était Humbert ». Cahiers du Cinéma, n° 651, décembre 2009,
pp. 36-37 [à propos de Le Père de mes enfants de Mia Hansen-Løve] :
« Tout le film est partagé entre les signes du passé et une imagerie plutôt actuelle (jusqu’au
bermuda et baskets portés par le fils) qui n’en finissent pas de brouiller non le sens (encore
une fois le film est aussi limpide qu’une eau claire), mais le raccord entre les choses. »
« Le film doit en partie sa réussite à Louis-Do de Lencquesaing, admirable dans le rôle du
producteur, dont le jeu restitue le grand écart entre une fuite en avant dans le travail et les
oublis envers la famille (le spectacle des fillettes au début, la belle scène au sujet des boucles
d’oreilles de sa fille, qui continuera de les porter après sa mort). »
CHAUVIN, Jean-Sébastien. « Deux dents et dehors ». Cahiers du Cinéma, n° 651,
décembre 2009, pp. 34-36 [à propos de Canine de Yorgos Lanthimos] :
« Canine se présente comme une parabole sur le totalitarisme, et il ne fait aucun doute que le
souvenir de la dictature des colonels imprègne le film par éclats : impossible de ne pas y
penser quand, dans la deuxième séquence, une jeune femme assise sur le siège passager d’une
voiture porte un bandeau noir sur les yeux. »
69
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
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3
TABLE DES MATIERES
Introduction générale ............................................................................................................... 1
Première Partie- Du costume réel au costume à l'écran : Les enjeux du costume dans
l'œuvre cinématographique ................................................................................................... 10
Avant-propos ...................................................................................................................... 11
Chapitre I- Les réalités du costume de cinéma ................................................................ 12
Section 1- Le costume réel : Tentative de définition ....................................................... 13
I.
Ce que l'on ne voit pas à l'écran : La matérialité du costume de cinéma................... 14
A. Le costume, un ensemble d'habits .......................................................................... 14
B. L'habit ne fait pas le costume ................................................................................. 16
II.
Habiller l'acteur : Enjeux et contraintes ................................................................. 16
A. « Faire le personnage » .......................................................................................... 17
B. Contraintes techniques ........................................................................................... 18
Section 2- Pour une typologie des costumes de cinéma ................................................... 19
I.
Le travail de création ................................................................................................. 20
A. Le créateur de costumes, le costumier et l'habilleur .............................................. 20
B. Analyse du processus de création .......................................................................... 21
II.
La mode et le cinéma : Les costumes de cinéma ................................................... 23
A. Une relation d'interdépendance .............................................................................. 23
B. Typologie des habits de cinéma ............................................................................. 24
Chapitre II- Heurs et malheurs du costume de cinéma à l'écran .................................. 27
Section 1- De l'importance du costume de cinéma à l'écran ............................................ 28
I.
Les valeurs du costume à l'écran ............................................................................... 29
A. Une valeur esthétique ............................................................................................. 29
B. Une valeur narrative ............................................................................................... 31
II.
Le poids du costume de cinéma dans la production cinématographique ............... 33
A. La part du poste « décors et costumes » dans la production .................................. 34
B. Ce que nous dit le générique .................................................................................. 36
Section 2- Le film en costume : Une réception ambivalente ........................................... 38
I.
La réception du film en costume : Éléments d'analyse .............................................. 39
A. Retour sur la notion de film en costume ................................................................ 39
B. La place du film en costume au box-office français de 2005 à 2009 .................... 40
C. Les tendances du film en costume dans les années 2000 ....................................... 42
II.
L'image du film en costume dans le champ de la production ................................ 45
A. Un défi pour le réalisateur ...................................................................................... 45
B. Un enjeu commercial ............................................................................................. 46
C. Une appropriation par l'État ................................................................................... 47
Pour conclure ...................................................................................................................... 48
Deuxième Partie- Du costume à l'écran au costume à l'écrit : La place du costume de
cinéma dans le champ de la critique ..................................................................................... 49
Avant-propos ...................................................................................................................... 50
Chapitre III- Le costume à l'écrit : Entre objet d'attention et objet critique............... 51
1
Section 1- De la visibilité critique du costume de cinéma ............................................... 52
I.
Le costume de cinéma, absent de la critique? ........................................................... 53
A. Bilan statistique ...................................................................................................... 53
B. Une place constante entre 2005 et 2009 ................................................................ 55
II.
Inventaire terminologique ...................................................................................... 56
A. Le champ lexical de l'habillement.......................................................................... 57
B. Les autres champs lexicaux.................................................................................... 59
Section 2- De la connotation critique du costume de cinéma .......................................... 60
I.
Le costume de cinéma comme objet d'attention ........................................................ 60
A. Le vêtement au détriment du costume de cinéma .................................................. 61
B. Un désintérêt pour la technique ............................................................................. 62
II.
Quelle critique possible pour le costume-image? .................................................. 63
A. Les critiques du costume de cinéma ...................................................................... 63
B. Un objet critique négligé ........................................................................................ 67
Chapitre IV- Les usages du costume écrit dans la critique de cinéma .......................... 68
Section 1- La critique et le critique : Retour sur les enjeux d'un champ d'études ............ 69
I.
La critique et le cinéma : Présentation des enjeux ..................................................... 69
A. La notion de critique de cinéma : Tentative de définition ..................................... 69
B. La place des Cahiers du Cinéma dans le champ de la critique .............................. 71
II.
Le critique de cinéma et l'exercice critique............................................................ 72
A. La place du critique dans le champ de la critique de cinéma ................................. 72
B. La place de l'écriture dans l'exercice critique ........................................................ 73
Section 2- Les connotations du costume-écrit dans la critique de cinéma ....................... 74
I.
Le costume-écrit au sein d'un système narratif .......................................................... 74
A. La place de la description dans la critique de cinéma ............................................ 75
B. Le costume-écrit comme élément d'information.................................................... 75
2
II.
Le costume-écrit au sein d'un système stylistique ................................................. 77
A. La description au service du style de l'auteur ........................................................ 77
B. La connotation rhétorique du costume-écrit .......................................................... 78
Chapitre V- Marie-Antoinette et le traitement critique d'un film en costume .............. 79
Section 1- De l'intérêt critique du film Marie-Antoinette ................................................ 80
I.
Le renouvellement d'un genre cinématographique .................................................... 81
A. Une reconstitution historique ................................................................................. 81
B. Rupture des codes et libertés historiques ............................................................... 82
II.
Marie-Antoinette et le cinéma en question ............................................................ 84
A. Analyse d'un discours artistique............................................................................. 84
B. La place du costume dans la définition du cinéma ................................................ 86
Section 2- Étude comparée du traitement critique du film Marie-Antoinette dans les
Cahiers du Cinéma et dans Positif ................................................................................... 88
I.
Analyse de la réception critique de Marie-Antoinette de Sofia Coppola .................. 88
A. La place du film dans la revue ............................................................................... 88
B. Un « pari » réussi ................................................................................................... 89
II.
La place du costume de cinéma dans le traitement critique du film ...................... 91
A. Les costumes de Marie-Antoinette dans les Cahiers du Cinéma ........................... 92
B. Les costumes de Marie-Antoinette dans Positif ..................................................... 93
Pour conclure ...................................................................................................................... 95
Conclusion générale ............................................................................................................... 96
3
RESUME
Ce mémoire de recherche traite de la place du costume de cinéma dans la presse
spécialisée et plus particulièrement dans le champ de la critique de cinéma, caractérisé par une
lutte des agents pour la reconnaissance. Tout en expliquant l'intérêt critique du costume de
cinéma, ce travail a pour but d'en analyser la visibilité dans la critique, à la fois d'un point de
vue quantitatif et qualitatif. Il permet de répondre aux questions suivantes : S'intéresse-t-on au
costume de cinéma dans la critique? Comment? Et surtout, pourquoi?
Ce travail de recherche s'appuie sur les résultats concrets d'une enquête historiographique
menée sur un terrain spécifique, la revue des Cahiers du Cinéma, et sur une période donnée
de cinq années récentes. Les résultats bruts de l'enquête servent de base à une analyse lexicale
et sémantique du traitement critique du costume de cinéma, qui fait du moins l'objet
d'attention à défaut de critique, et l'explication de ses résultats tient compte de l'apport de
différentes disciplines, notamment de l'histoire et de la sociologie.
Il se termine par une étude de cas qui a pour but à la fois d'approfondir et d'élargir le propos :
il s'agit d'une analyse comparée dans les Cahiers du Cinéma et dans Positif du traitement
critique d'un film en costume, Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006), qui permet
d'appréhender pleinement les enjeux du costume de cinéma et de sa critique vis-à-vis de
l'essence même de ce dernier.
MOTS CLES
Costume, Cinéma, Critique, Histoire, Authenticité.
ILLUSTRATION DE LA PREMIERE DE COUVERTURE
Photographie de l'actrice Marisa Berenson pendant le tournage de Barry Lyndon (1975) de
Stanley Kubrick.