Forum Social Africain

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Forum Social Africain
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Compte rendu des activités
du réseau international Frantz Fanon
au forum social africain
(Niamey, Niger, 24-28 novembre 2008)
Réseau international Frantz Fanon
L
e forum a débuté dans l’après-midi du 25 novembre avec la « grande
marche de la dignité africaine ». Des milliers et des milliers de personnes venues de toute l’Afrique ont défilé avec tambours, trompettes, musiques
et danses et des slogans contre le FMI, la BM et l’OMC, « Vive l’Afrique,
À bas les impérialistes, les APE », « Vive l’Afrique des peuples en marche
contre la mondialisation néolibérale ». « Un autre monde est possible, une
autre Afrique est possible. »
Tout cela était vibrant, plein de force et revivifiait les motivations de chacun
d’entre nous. La confiance et l’enthousiasme manifestés par la jeunesse, les
femmes et les paysans venus nombreux par caravane et d’autres moyens, ont
permis des échanges tournés vers l’avenir, la transformation sociale, en conjuguant social, liberté, écologie, paix, droits et égalité.
Bamako 2006 (forum mondial polycentrique), Nairobi 2007 (forum social
mondial) et aujourd’hui Niamey 2008 (forum social africain), tous ces forums
témoignent d’une participation, d’un intérêt croissant de la jeunesse ainsi que
du haut niveau des débats dans les plénières et dans les ateliers. Ce fut un
forum bien organisé.
Les noms des salles donnent une idée du sérieux et de la profondeur de
l’orientation politique : Kwame Nkruma, Gamel Nasser, Thomas Sankara,
Lumumba, Myriam Makeba, Julius Nyéréré, Modibo Keita, Djibo Bakari,
Amilcar Cabral. Ces noms évoquent le réveil du continent africain et confirment le refus actuel de la subjugation et de la domination impérialistes sous
toutes ses formes ainsi que le besoin d’un changement profond.
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Avant l’inauguration, la question de l’immigration a été représentée par un
groupe d’artistes du Mali, eux-mêmes victimes de cette tragédie, sous la direction de Souleymane Koly ; ils ont fait vivre cette question dans sa réalité
la plus touchante et la plus poignante. Nous ne pouvons que regretter qu’il ne
soit pas possible de voir cette pièce en France et ailleurs.
Tout au long des trois jours, les débats, les discussions et les interpellations
dans les plénières et les ateliers étaient animés, engagés et pleins d’intérêt.
Les thèmes des trois plénières : « L’Afrique dans l’arc des crises », « l’Afrique dans la géopolitique mondiale », « Les défis de la construction démocratique en Afrique », traduisaient le sérieux avec lequel étaient confrontées les
réalités dont nous sommes aujourd’hui les victimes.
Les ateliers ont abordé de nombreuses questions telles que la crise alimentaire et agricole, les problèmes des femmes, des enfants, de la jeunesse, des
paysans, de la dette, de l’immigration, la nouvelle conception de l’universalisme, l’action contre les théories du choc des civilisations, les services publics, le droit à la terre, la souveraineté, l’éducation et de nombreuses autres
questions.
Après un FSE à Malmö, peu encourageant, le Forum de Niamey a, par sa
mobilisation et sa grande participation, prouvé que le forum reste et pourra
être encore longtemps l’espace ouvert de convergences des pensées et des
militants pour un autre monde solidaire.
Le campement Frantz Fanon de la jeunesse a été le point de rencontre de
la jeunesse africaine prête à comprendre, à défier et à s’organiser pour affronter tous les fléaux et tous les conflits qui affligent l’Afrique. Cet espace lui a
permis de libérer son dynamisme et de faire entendre à ce monde sourd que
« l’Afrique est prête à relever les défis et que l’avenir est prometteur ». Le fait
que la jeunesse se soit retrouvée dans ce campement nommé Frantz Fanon
exprime bien l’idée que Fanon reste d’actualité et qu’il est l’expression même
de la résistance contre la mondialisation néolibérale et de la lutte pour l’émancipation du continent africain.
Le forum de Niamey a plus que jamais affirmé la détermination des peuples
d’Afrique à poursuivre et consolider les luttes sur tous les fronts pour que
l’Afrique soit « libérée » et qu’elle reste une force dans l’ensemble du mouvement altermondialiste international.
Nous avions plusieurs objectifs :
1. Contribuer au maximum d’échanges transversaux afin de mieux connaître la situation, de s’enrichir des diverses expériences et actions contre le libéralisme dans la crise actuelle.
2. Échanger entre militants et intellectuels d’Afrique, d’autres continents,
sur les enjeux d’une autre mondialisation, d’autres rapports entre peuples,
pays et continents.
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Compte rendu des activités du réseau international Frantz Fanon au forum social africain
3. Débattre autour de l’état des réflexions et analyses sur les problématiques de sortie du colonialisme, du néocolonialisme, des dominations et aliénations.
4. Poursuivre et étoffer le réseau, le travail engagé lors du FSM de Nairobi.
5. Contribuer à populariser les œuvres de Frantz Fanon, leur actualité, contribuer à la création de « centres Frantz Fanon », de « cercles Frantz Fanon ».
6. Présenter la brochure « Lettres du Sud au Nord », prendre des contacts
pour poursuivre.
7. Structurer la coordination internationale du Réseau.
Nous avons tenu trois séminaires avec une participation de 60 à 80 personnes dont plus du tiers ont participé aux trois séminaires. Beaucoup d’autres,
qui ne pouvaient revenir en raison d’engagements antérieurs, ont tenu à dire
leur satisfaction et leur volonté de poursuivre. La brochure « Lettres du Sud au
Nord » a été très bien appréciée. De nombreuses inscriptions au réseau ont été
réalisées. Plusieurs personnes se sont engagées pour la direction, la coordination du réseau, pour la création de cercles.
De l’avis de toutes et tous, les thèmes de nos ateliers se sont bien articulés.
Ces ateliers étaient trop riches pour les résumer en quelques lignes. Quelques
idées en ressortent.
Lors de l’atelier L’universel et les universels, le débat a mis en avant le
sens de l’internationalisme aujourd’hui et une vision de l’universel qui tue la
diversité.
L’atelier La civilisation humaine et les civilisations. Le choc des civilisations, à partir d’une analyse des résistances face au colonialisme, a mis en
avant des éléments très novateurs notamment sur le droit et la confrontation
entre le vouloir et le réel. Il a permis d’aborder la question des rapports entre
cultures, territoires, frontières.
Le troisième atelier sur L’actualité de la mémoire de l’esclavage et du colonialisme pour agir ensemble contre le capitalisme et le libéralisme a beaucoup porté sur les contenus du rassemblement antilibéral et la notion d’altermondialisme.
L’importance de la résurgence d’intérêt pour les œuvres de Frantz Fanon
est largement confirmée. Cet intérêt est très lié à des recherches d’identité
et de perspectives politiques. En Afrique, un mouvement d’émancipation et
d’autonomie s’interroge sur l’identité, les valeurs africaines, le repérage des
aliénations, les axes de luttes.
Une partie de la jeunesse d’Afrique mène des recherches entre affirmation
identitaire et ouverture, rassemblement des peuples, identification des combats
communs. Cette jeunesse a la chance d’être en convergence avec un travail
idéologique, scientifique, mené sur ces questions par nombre d’universitaires
et d’intellectuels africains depuis des années. C’est l’enjeu de luttes très fortes
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entre replis, cassures, guerres civiles ou nouvelles émancipations humaines.
Puiser dans leur histoire devient essentiel. Quelle lecture de cette histoire ?
En ce qui nous concerne, nous tenions à ne pas intervenir à « l’occidental
de gauche ». Nous tenions à prendre le temps de l’écoute, d’un dialogue réel.
Nous avons tenu à affirmer fortement que nos interventions étaient liées à
l’utilité de ces combats pour nous, là où nous vivons, dans nos pays et continents, en Europe.
Nous avons noué des liens avec nombre des 23 intellectuels qui ont lancé la
lettre ouverte de réponse à Sarkozy, après son scandaleux discours de Dakar.
Il a été décidé de créer des centres ou cercles Fanon dans plusieurs pays (Niger,
Côte d’Ivoire, Guinée, Sénégal, Mali, Algérie, Bénin, Togo, Mauritanie), de
coordonner le travail et de renforcer la coordination internationale. Les suites
de la brochure « Lettres du Sud au Nord » sont attendues. Nous envisageons
également un colloque sur la part africaine des cultures d’Europe : la production des grands mythes fondateurs, le lien esclavage racisme contemporain et
nazisme, l’esthétique, le politique avec l’impossibilité d’issues en Europe sans
l’Afrique, et vice versa.