interet des nouvelles solutions de dialyse peritoneale

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interet des nouvelles solutions de dialyse peritoneale
INTERET DES NOUVELLES SOLUTIONS
DE DIALYSE PERITONEALE
Jean-Philippe RYCKELYNCK, Angélique THUILLIER-LECOUF,
Maxence FICHEUX, Thierry LOBBEDEZ
Service de Néphrologie – Dialyse – Transplantation rénale
CHU Clémenceau, Caen
La membrane péritonéale est au contact d’environ 3000 à 4000 litres de
dialysat par an. Pendant de nombreuses années, les solutions proposées
se caractérisaient par un pH acide, une concentration élevée en produits de
dégradation du glucose (PDG) toxiques pour le péritoine et source d’effets
systémiques et locaux délétères au long cours (1,2).
La solution idéale doit avoir un pH physiologique, permettre une épuration et une
ultrafiltration adéquates, être dépourvue de toxicité locale et générale, contenir
une substance osmotique peu ou pas absorbée, n’induisant pas de troubles
métaboliques et être d’un coût accessible.
Depuis quelques années de nouvelles solutions sont disponibles mais
probablement insuffisamment utilisées. Le pH est compris entre 7,0 et 7,4
la teneur en GDP est faible minimisant le risque de formation de produits de
glycation, source d’altérations morphologiques et fonctionnelles de la membrane
péritonéale (3). Le tampon est soit un mélange de bicarbonate-lactate (B/L), soit
du lactate (L), soit du bicarbonate (B).
1 – Préservation de la membrane péritonéale
Le CA 125 est un marqueur de la viabilité cellulaire mésothéliale que l’on peut doser
dans l’effluent péritonéal (4). Jones et coll. étudient la concentration en CA 125 du
dialysat drainé chez des patients recevant une solution conventionnelle (pH à 5,5)
avec ceux traités à l’aide d’une solution physiologique (B/L) . Au cours d’un suivi de 6
mois, il est constaté une augmentation significative du CA 125 dans le groupe B/L (5). Szeto et coll. comparent deux groupes de 25 patients recevant soit une solution
conventionnelle (C) soit une solution physiologique (P) à pH neutre, à faible teneur
en PDG et un tampon lactate. A l’issue d’un suivi d’un an, les patients recevant la solution P ont une teneur en CA 125 dans l’effluent péritonéal plus élevée (14,30 ± 2,17 vs 7,36 ± 2,23 U/ml ; p = 0,007) et un taux plasmatique de CRP plus
bas (1,77 ± 0,42 vs 7,73 ± 2,42 mg/l ; p = 0,026) que dans le groupe C (6). Dans
cette même étude, les résultats concernant la teneur en acide hyaluronique dans le
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dialysat drainé, caractérisant la régénération cellulaire mésothéliale, sont également
en faveur de la solution physiologique. Enfin l’étude de Théodoridis et coll. confirme
les résultats précédents lors de l’utilisation d’une solution physiologique à tampon
bicarbonate (7). Le taux de CA 125 augmente de façon significative après 6 mois
d’utilisation de la solution P de 15,07 ± 5,72 à 111,97 ± 66,21 U/ml qui rediminue
à 22,72 ± 16,06 U/ml après 6 mois d’utilisation de la solution C. Ainsi de telles
constatations ont été faites avec les solutions Gambrosol trio®, Physioneal®,
Balance® et Bicavera® (4).
Une baisse progressive de la teneur en CA 125 dans le dialysat est observée au
cours des années précédant l’apparition d’une péritonite sclérosante et encapsulante
(PES). Cette cinétique du taux de CA 125 pourrait être un marqueur précoce de
la PSE (8). Pour Augustine et coll., le pH acide et la concentration élevée en PDG
constituent des facteurs pouvant initier puis accélérer le processus de sclérose
péritonéale (9). La question se pose donc de savoir si les solutions physiologiques
sont capables de réduire la fréquence des PSE. Aucune preuve n’existe à ce jour.
Néanmoins, les données du registre d’Australie et de Nouvelle-Zélande montrent
une diminution de la fréquence des PSE avec aucun cas déclaré chez des patients
incidents au cours de la période 2004-2007 (10). Par ailleurs, il a été montré que
l’utilisation d’une solution bicarbonate pure permet d’améliorer le taux de CA 125
dans l’effluent péritonéal (11).
2 – Le maintien de la fonction rénale résiduelle (FRR)
L’importance du maintien de la FRR n’est plus à démontrer en termes d’élimination
des moyennes molécules et des toxines urémiques, de maintien de l’équilibre
hydrosodé avec un impact favorable sur la survie des patients et sur leur qualité
de vie (12,13). Lysaght et coll. ont montré, il y a de nombreuses années, que le déclin
de la FRR était plus rapide en hémodialyse qu’en Dialyse Péritonéale Continue
Ambulatoire (DPCA) sur une péritode de suivi de 48 mois (14). Il ne semble pas y avoir
d’impact de la modalité de dialyse péritonéale (DPCA vs DPA).
Les solutions physiologiques présentent-elles un avantage concernant le
maintien de la FRR ?
Dans une étude menée par Choi et coll., il n’a été constaté aucune différence entre
une solution C au lactate et une solution P au lactate avec faible teneur en PDG en
ce qui concerne le rapport D/P créatinine, le niveau d’ultrafiltration et celui de la FRR
après un suivi de 12 mois (15). De même Fan et coll. ont évalué la FFR après 12 mois
de suivi chez 57 patients recevant soit une solution C au lactate (61 patients) soit
une solution P (B/L ou L). La réduction de la FRR et du volume urinaire est identique
dans les deux groupes (16).
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A l’opposé, dans une étude multicentrique, ouverte, prospective et randomisée,
ne prenant en compte que des patients incidents, l’analyse en intention de traiter
montre de façon significative une moindre baisse de la FRR en faveur de la solution
biocompatible (p = 0,048) (17). Plus récemment, au cours de l’étude DIUREST, le déclin
mensuel de la FRR est significativement plus faible avec une solution biocompatible
au lactate que celui constaté avec une solution C lors d’un suivi de 18 mois (1,5%
vs 4,3% ; p = 0,04) (18). Une étude est disponible à propos de l’utilisation d’une
solution bicarbonate pure (19). Celle-ci est observationnelle, ouverte, non randomisée,
prospective, au cours de laquelle les patients sont répartis en deux groupes, l’un
recevant une solution C et l’autre la solution P au bicarbonate. La FRR passe de
7,07 à 2,29 ml/mn dans le groupe C et de 7,05 à 4,13 ml/mn dans le groupe P (p
= 0,004). Elle confirme les données antérieures d’une étude réalisée avec un plus
faible effectif (11).
Les études les plus convaincantes sont celles où les patients sont incidents en
DP et chez qui la FRR n’est pas négligeable. Elles excluent les patients transférés
d’hémodialyse chez qui la FRR est faible voire nulle. En effet, quand la FRR est
déjà très faible, il est plus qu’improbable qu’une solution de DP puisse préserver ou
restaurer des lésions avancées de sclérose rénale (20).
3 – Solutions physiologiques et ultrafiltratION péritonéale (UFP)
Les résultats sont très discordants dans ce domaine. A partir de neuf études de la
littérature, Davies rapporte que l’UFP est inchangée à trois reprises, s’améliore une
fois et diminue quatre fois (21). Pour Pajek et coll., une étude réalisée chez 21 patients
montre une moindre UFP avec une solution B/L qu’avec une solution C (22). L’auteur
compare ses résultats à ceux de cinq autres études confirmant la discordance des
résultats. Le rôle des solutions sur la FRR et les apports hydrosodés quotidiens des patients peuvent interférer avec l’UFP. Pour Fan et coll., il n’existe pas de
différence significative de l’UFP sur une période de 4 heures entre une solution P et
une solution C (16).
4 – Solutions physiologiques et infections péritonéales
Au cours des études cliniques initiales concernant la solution B/L en DPA, il n’a
pas été montré de différence significative en terme d’infections péritonéales (IP) en
faveur de cette solution (23). De même la fréquence des IP est faible et identique si on
utilise une solution lactate P ou C à savoir 0,29 épisode par an (1 épisode tous les
41 mois) avec la solution C vs 0,26 épisode par an (1 épisode tous les 46 mois) avec
la solution P (p = 0,48) (24). La probabilité d’être indemne d’IP à 1 an est de 87,5%
et de 75,3% respectivement pour les patients du groupe P et ceux du groupe C (6).
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Seule l’étude de Montenegro et coll. a montré une incidence moindre des IP avec la
solution P au bicarbonate, soit un épisode tous les 35,5 mois-patient vs un épisode
tous les 20,4 mois-patient avec la solution C (p = 0,017) (19).
5 – Solutions physiologiques : survie des patients et de la Technique
Les premiers résultats disponibles ont été rapportés par Lee et coll. (25). En effet,
pour la première fois il est suggéré qu’une solution physiologique plus biocompatible
puisse conférer une meilleure survie des patients après un suivi de 28 mois. La
cohorte comporte 611 patients traités avec une solution P et 551 avec une solution C, la survie étant de 74% et 62% respectivement (p = 0,0032). En étude multivariée
selon un modèle de Cox prenant en compte l’âge, le diabète et le sexe, la différence
persiste (p = 0,0465). Il n’y a pas de différence au niveau de la survie de la technique,
ce qui est confirmé par une autre étude (16).
Dans l’étude de Montenegro, prospective sur 3 ans, mais non randomisée, le nombre
de décès est moindre avec la solution bicarbonate pure (19).
Plus récemment, une étude observationnelle réalisée en Corée du sud a recensé
2163 patients venant de 54 centres sur une période allant de juillet 2003 à décembre
2006 (26). L’objectif primaire est la survie des patients et de la technique. Deux groupes
de 542 patients appariés selon l’âge, le diabète, les comorbidités cardiovasculaires,
le statut socio-économique, l’utilisation d’icodextrine et l’expérience du centre ont
été constitués l’un recevant une solution P (B/L), l’autre une solution C au lactate.
Les décès de causes toutes confondues sont de 9,6% et 18,9% respectivement (p = 0,04). L’utilisation d’icodextrine est associée de façon significative à une
réduction du risque de décès. Un échec de la technique est recensé chez 6,1% des
patients du groupe P et 8,9% chez ceux du groupe C, sans différence significative.
Il s’agit toutefois d’une étude rétrospective avec une utilisation plus fréquente de
l’icodextrine dans le groupe P.
6 – Autres
D’autres paramètres ont été étudiés. Il n’existe pas d’impact des solutions
physiologiques sur les transferts péritonéaux. Il ne semble pas y avoir d’effets
bénéfiques réellement démontrés sur l’état inflammatoire chronique. Même si l’emploi
d’une solution P (B/L) semble réduire le taux d’interleukine 6 dans l’effluent péritonéal
alors que le taux augmente avec une solution C, l’administration d’une solution P
chez des patients recevant de l’icodextrine et des acides aminés ne prévient pas une
augmentation du taux d’interleukine 6 dans le dialysat (27). Une nouvelle fois, seule
l’étude de Montenegro a montré une amélioration du taux plasmatique de la CRP en
utilisant une solution bicarbonate pure.
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Enfin, les solutions à pH neutre permettent une meilleure correction de l’acidose
en DPA et DPCA, réduisent la fréquence des douleurs à l’infusion de même que
l’inconfort abdominal (28).
Au total, les solutions physiologiques disponibles ont apporté des améliorations
incontestables. Leur rôle bénéfique dans le maintien de la fonction rénale résiduelle
est plus que probable. Les données concernant l’amélioration de la survie des
patients demandent à être confirmées. Les solutions physiologiques n’ont pas
d’impact favorable sur la survie de la technique ni sur la fréquence des infections
péritonéales. Elles semblent préserver la membrane péritonéale et doivent donc
être proposées chez les sujets jeunes et chez les patients susceptibles d’être traités
longtemps en dialyse péritonéale. C’est peut-être la façon de réduire la fréquence de
survenue d’une péritonite sclérosante et encapsulante.
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