3. Dynamiques d`appropriation et défis interculturels La série

Transcription

3. Dynamiques d`appropriation et défis interculturels La série
Dossier
3. Dynamiques d’appropriation et défis interculturels
Ute Fendler
La série télévisuelle entre appropriation, remédiation et
création: Kadie Jolie, Vis-à-Vis et Commissariat de Tampy
(Burkina Faso)
Dans la mesure où les médias audiovisuels sont d’origine européenne et américaine, l’impact des médias en Afrique est d’abord considéré comme un transfert de
techniques culturelles qui soulève la question de l’utilisation et de l’appropriation
de ces médias. La question se pose de savoir comment un médium nouveau dans
un certain contexte culturel, est adapté aux attentes du public et des utilisateurs et
comment ce médium est éventuellement modifié par ces attentes, mais aussi sous
l’impact de pratiques culturelles divergentes.
Une approche utile dans ce contexte est celle d’Arjun Appadurai qui a décrit les
impacts de la globalisation comme une „construction transnationale complexe de
paysages imaginaires“ („a complex transnational construction of imaginary landscapes“, 1996, 31). Il introduit les notions de „mediascapes“, „ethnoscapes“ et
„ideoscapes“, avec lesquelles il tente de décrire la négociation de relations transculturelles et d’idées et imaginaires qui émergent, voyagent, interagissent dans la
sphère publique, qui, à son tour, est largement occupée par les médias de masse.
Ces rencontres médiatiques jouent sur la réception et la production de formats,
genres et sujets. Dans un rapport de CFI (Canal France International) de 2005 sur
une enquête concernant les habitudes télévisuelles dans 15 pays africains, il est
frappant de constater que trois préférences communes aux publics africains émergent: 1- la fiction produite localement pour un public local; 2- les programmes de
sports en Afrique 3- des informations indépendantes et diversifiées. (CFI, 15.09.2005,
2) L’intérêt principal du public africain peut se résumer à la fiction, l’information et
le sport africain, tous programmes qui permettent aux spectateurs de s’identifier avec
les images et les événements montrés à l’écran. Dans le cas du Burkina Faso, Serge
Balima et Marie-Soleil Frère (2003) soulignent que la programmation pour la télévision
prévoit 50% d’émissions d’origine internationale et 50% nationale (2003: 150).
Notre étude porte sur la production télévisuelle de la RTNB (Radiotélévision nationale du Burkina Faso) en tant que faisant partie du „mediascape“ burkinabè où
les productions locales et internationales se côtoient dans la programmation. On
peut constater que les premières séries télévisuelles ont été produites au début
des années 1990. Auparavant et de manière concomitante, il y avait (et il y a toujours) une forte présence au petit écran de productions latino-américaines, nord69
Dossier
américaines et européennes. Cela explique que les télénovélas sud-américaines
trouvent un public très large de presque 70% des spectateurs au Burkina Faso
(2003: 327). Néanmoins, la demande pour des productions locales de fictions est
grande, car le traitement sur le mode divertissant de sujets actuels qui de plus reflètent la vie sociale des spectateurs, est très apprécié. La question se pose de savoir
si les formats des séries télévisuelles et de télénovélas introduits avant que la production locale ne commence, n’ont pas influencé la création de la télésérie locale.
A ce niveau entre en jeu le concept de la remédiation, soit la réorganisation culturelle d’une société en fonction d’un nouvel espace/agencement médiatique. Selon Jay David Bolter (2005: 14), le processus de remédiation est double. S’il est démontré que l’apparition d’un nouveau médium dans un contexte médiatique particulier modifie l’agencement global des médias dans ce milieu culturel, en même temps,
l’émergence et le développement de nouvelles pratiques sont structurés spécifiquement par l’environnement médiatique. Il distingue essentiellement trois types:
1. remédiation comme médiation de la médiation. Toute médiation dépend
d’autres actes de médiation. Les médias commentent, reproduisent et replacent continuellement d’autres médias.
2. remédiation comme relation inséparable de la médiation et de la réalité: […]
tous les médias médiatisent la réalité.
3. remédiation comme réforme: un processus de reformation de la réalité.
Parallèlement à la croissance de l’importance de la télévision dans la vie quotidienne des populations urbaines en Afrique de l’Ouest, les formes traditionnelles
de communication perdent de terrain. Abdul Ba parle même d’un remplacement de
l’arbre à palabres par la télévision (1999: 8). Il insiste sur le fait que la télévision
s’accapare cette fonction communautaire, la pratique sociale se déplace avec les
acteurs, car les conditions de réception des programmes télévisuels créent une
sorte de communauté de spectateurs qui discutent les émissions. Andreas Hepp
décrit cette émergence d’une communauté de spectateurs comme étant un moment crucial de la rencontre du global et du local. Ces discussions autour du rôle
de la télévision témoignent de la négociation entre discours médiatique et discours
de la vie et de la culture quotidiennes dans un processus communicatif. (1999:
192) Hepp distingue également trois structures communicatives: 1 – la mise en
relation du vu avec les phénomènes de la vie quotidienne, 2 – la création d’une
expérience émotive commune et 3 – l’interprétation du message médiatique. Les
spectateurs commentent les émissions, les imitent éventuellement et intègrent le
message télévisuel dans leur horizon d’attentes. Dans ce processus, le message
est connecté avec les savoirs et codes culturels locaux. Un exemple pour illustrer
ce phénomène pourrait être la réception de la série télévisuelle des années 1990
Sida dans la Cité (Côte d’Ivoire, Burkina Faso) qui permettait aux spectateurs de
discuter le nouveau fléau et ses dangers pour la population sans craindre d’être
soupçonnés de séroposivité à cause de l’intérêt manifesté pour le sujet (Fendler
2000).1 La remédiation de formats et de genres locaux, traditionnels et globaux
70
Dossier
semble être caractéristique du „médiascape“ burkinabè, un phénomène qui
s’accompagne d’une réception active, une remédiation de la réalité.
En présentant trois exemples de formats différents, nous proposons de suivre
plus précisément ces processus de remédiation dans le médiascape burkinabè.
En 1999, la compagnie Jovial produisait Kadi Jolie. Le cinéaste burkinabè de réputation internationale Idrissa Ouédraogo réalisait les premiers épisodes. En six
mois, deux saisons de 20 épisodes chacune ont été produites, ce qui montre le
grand succès rencontré par cette série.
Le synopsis tourne autour du personnage principal, Kadi, une femme toujours
célibataire à 30 ans et qui vit dans la capitale du Burkina, Ouagadougou. La série
raconte les préoccupations de la vie quotidienne comme la recherche d’un bon
mari, du bonheur, de la fortune. Kadi affronte mésaventures et mesquineries avec
l’aide de sa meilleure amie Nora. Ensemble, elles luttent contre l’escroquerie, le
vol, la violence, la charlatanerie. La série met donc en scène la vie quotidienne à
Ouagadougou dont les divers aspects sont traités sous forme d’anecdotes au fil
des épisodes à suivre. Tous ces sujets sont traités avec humour, parfois même
dans un registre burlesque ce qui répond au besoin de divertissement des spectateurs. En même temps, ces sujets sont toujours d’actualité, de telle sorte qu’ils
peuvent toujours initier des débats entre spectateurs, phénomène que Hepp avait
décrit comme la mise en relation du vu et du vécu.
Une caractéristique de la structure narrative est l’ouverture de presque chaque
épisode: Kadi s’entretient avec Nora, face à l’écran, comme si elles s’adressaient
à une troisième personne, un spectateur imaginé. Ainsi, Ouédraogo installe une
atmosphère théâtrale dès le début, l’écran semble être le rideau qui se lève au
moment où les personnages principaux commencent leurs échanges entre eux –
et avec les spectateurs.
Sélom Gbanou avait déjà souligné la parenté des sitcoms ivoiriens avec le théâtre en proposant de parler de „téléthéâtre“ appellation qui conviendrait également à
Kadi Jolie. Mais après l’ouverture qui installe une situation dialogique entre le film
et le public, la série utilise bien d’autres moyens qui témoignent d’une remédiation
de pratiques orales quotidiennes outre celle du théâtre.
Quand les deux amies chuchotent des informations, on crée un suspense car le
spectateur est exclu de la transmission de ces informations. Il est donc obligé
d’attendre le dénouement à la fin. Cette structure semble reprendre le modèle des
énigmes que l’auditeur doit résoudre, pour la littérature orale. Un autre élément
constitutif de la série est l’humour, autant au niveau des types qu’au niveau de la
mimique, des gestes et du scénario. Analysons l’épisode „Le sourd-muet“ à titre
d’exemple.
David arrive à convaincre Kadie et Nora de lui confier leurs économies pour
monter un théâtre de rue qui leur serait profitable à tous trois. Mais il utilise cet
argent pour acheter une mobylette à sa petite amie. Quand les deux amies se rendent compte de l’escroquerie de David, elles portent plainte. David s’arrange avec
le policier en le corrompant.
71
Dossier
L’épisode joue sur les types: David est petit et plutôt chétif, mais sa copine
grande et dominante. Cette contradiction incite à rire mais en même temps ce couple ridicule permet d’aborder un sujet délicat, notamment l’intérêt financier qui se
mêle aux relations amoureuses. David, pour satisfaire son amie doit lui offrir de
coûteux cadeaux. Mais comme il est chômeur, il est obligé de „trouver“ de l’argent
pour ne pas perdre son amie. Ainsi, le déséquilibre dans les couples au niveau de
l’âge et de la situation financière est souligné dans la série pour attirer l’attention
du public sur ces problèmes grandissants.
L’approche humoristique de sujets sociaux délicats est constitutive de la série.
Quand Kadie et Nora se rendent au commissariat pour porter plainte contre David,
elles ont le pressentiment que le policier ne traitera pas cette affaire selon les
règlements juridiques. Elles commentent le comportement du policier, ce qui montre explicitement l’attente des citoyens et des spectateurs envers les représentants
du pouvoir: honnêteté, respect. Ainsi, une complicité entre les protagonistes et les
spectateurs s’installent qui se conforte/s’affirme quand le comportement corrompu
du policier confirme les soupçons. La construction narrative est celle d’une pièce
de théâtre dans laquelle on établit cette complicité entre acteurs et spectateurs aux
dépens d’un troisième acteur. Mais en même temps, on peut constater un processus de remédiation: remédiation d’une attente forgée par la réalité sociale qui est
reflétée dans la série, qui, à son tour, va avoir un impact sur les spectateurs qui
critiquent ouvertement le comportement des policiers à travers la série.
La mise en scène de la critique dans une sorte de comédie, favorise le regard
critique, car elle permet de franchir cette barrière qui protège d’habitude le pouvoir,
une barrière établie par la crainte et une certaine pression sociale.
La série combine donc des techniques narratives orales (le chuchotement, le
dévoilement retardé de secrets, la répétition, des caractères stéréotypés, l’exagération de défauts physiques, moraux ou sociaux) avec celles du théâtre et de la
série télévisuelle. La reprise d’un tel sujet brûlant dans un média „moderne“, audiovisuel, permet de reprendre les techniques narratives et performatives de l’oralité
pour toucher un public citadin, comme Abdul Ba l’avait déjà signalé: l’habitude sociale suit le médium: la télévision prend la place de l’arbre à palabres. On pourrait
donc observer la prolongation de la réalité télévisuelle à la réalité vraie.
Kadi Jolie a été programmée en Côte d’Ivoire et au Sénégal où elle a également
connu un grand succès. Cela s’explique aussi par le style humoristique qui est
semblable à celui du „téléthéâtre“ des „Guignols“ d’Abidjan (Gbanou 2002). Le
médiascape dans un pays ouest-africain comme le Burkina Faso est construit par
des transferts transculturels qui – en raison du contexte historique, des formats et
des techniques – sont dominés en partie par les productions européennes. En
même temps, une forte influence des productions sud-américaines et indiennes
peut être observée. Au-delà de ces influences non-africaines, des transferts régionaux ont également un impact sur le marché local, comme par exemple les séries
ivoiriennes. Ce premier exemple illustre très bien la construction fort complexe du
médiascape.
72
Dossier
Vis-à-Vis est une télésérie conçue par Abdoulaye Dao et produite entre 1999 et
2003 qui vient de recevoir le prix „Pellicule d’or“ en janvier 2010. Cette série a également connu un succès énorme, mais uniquement au Burkina Faso, parce qu’elle
aborde des thèmes sociopolitiques de grande actualité nationale visant un public
local et non pas transrégional. Outre cette concentration thématique, elle est également différente dans sa structure narrative car les épisodes se déroulent dans la
buvette „Vis-à-Vis“, un lieu public où des personnes de couches sociales et culturelles diverses se rencontrent et échangent leurs opinions sur des sujets d’actualité. Il y a quelques rares épisodes qui intègrent aussi des prises à l’extérieur. Ce
format correspond donc plus à une sitcom qu’à une série télévisuelle. Ce choix
peut bien évidemment être lié aux contraintes financières de production. Mais
cette limitation n’a pourtant pas eu de conséquence sur la réception très positive
de la série par les spectateurs burkinabè qui l’appréciaient énormément pour la
critique ouverte de problèmes virulents dans la société burkinabè comme, par
exemple, la question des prix exorbitants des parcelles dans la commune de Ouagadougou. Nous proposons de nous intéresser plus particulièrement à l’épisode
„Buvette en otage“ qui aborde la question de l’abus de pouvoir dans une perspective comparative avec l’épisode de Kadi Jolie.
Un homme en tenue militaire entre dans la buvette et pose son révolver sur la
table. Cette arrivée déclenche une discussion entre Max, le propriétaire de la buvette, Chrysostome, un directeur de société et habitué de la buvette et le soldat
autour de l’usage du pouvoir. Max défend l’idée qu’un lieu public ne doit pas être
investi par les forces de l’ordre sans raison. Chrysostome quant à lui souligne que
les soldats sont des citoyens comme tous les autres, tous égaux devant la loi. Le
soldat quitte alors la buvette pour revenir avec deux autres soldats armés qui commencent à donner des ordres saugrenus aux clients de la buvette: voulant obliger
un client à chanter, un autre à se déguiser en femme et un troisième à faire des
exercices, bref: les militaires veulent les forcer à se livrer à des activités ridicules et
inutiles dans le seul but de manifester le pouvoir attaché à leur statut de soldats
armés. Trois clients résistent et invoquent leurs droits de citoyens, la liberté
d’expression, le pouvoir partagé, mais tous doivent se soumettre à la force brute.
La situation s’inverse grâce à l’arrivée et l’intervention du supérieur des soldats. Il
entre dans la buvette, en tenue civile, comme il est souhaitable dans un lieu public,
et rétablit l’ordre. Il présente ensuite ses excuses aux concitoyens pour la méconduite de ces quelques éléments de l’ordre militaire qui abusent de leur pouvoir.
Dans le contexte burkinabè, un tel épisode est assez surprenant si l’on considère
le fait que le président de la République est un ancien militaire, qui est soupçonné
d’avoir été l’instigateur du coup d’état contre son prédécesseur et ami, Thomas
Sankara. Les militaires avaient et ont toujours un rôle important dans la société.
Les soldats ou les policiers, donc les hommes en uniforme, „en tenue“, comme
ils sont aussi appelés dans cet épisode, inspirent la peur, parce que les cas d’abus
de pouvoirs sont récurrents. La série reprend donc un sujet brûlant pour le traiter
dans la sphère publique qu’est la télévision. Un large public peut suivre l’échange
73
Dossier
des arguments pour et contre „les hommes en tenue“ et leur rôle dans une société
civile. Encore une fois, une série thématise ainsi un problème délicat connu par
tout le monde, mais tabouisé à cause de sa relation avec le pouvoir. L’audace
d’aborder ce problème, de le dévoiler et d’inviter ainsi tous les différents personnages en présence de suivre les arguments tout en les appuyant ou en les contrariant. De cette manière, la série crée un espace public où une discussion ouverte
est rendue possible. Le supérieur étant un homme raisonnable qui respecte les
droits des citoyens et les lois, la critique est un peu affaiblie, parce que les militaires ne sont pas tous présentés comme des irresponsables. Ainsi et surtout les supérieurs sont mis en scène comme des citoyens comme tous les autres qui guident leurs hommes dans la bonne direction pour le bien de la société tout entière.
Bien que ce sujet puisse être adapté à un autre contexte, la série s’adresse
prioritairement au public burkinabè. Cette adresse locale est renforcée par le jeu
d’un des acteurs: Abdoulaye Komboudry qui a joué dans la plupart de grandes productions cinématographiques du Burkina et a gagné une réputation internationale.
Abdoulaye Komboudry est un acteur admiré dans son pays natal parce qu’il incarne la figure de l’homme du peuple qui dit hautement les problèmes et soucis de
la majorité de la population.
Le décor met en place, en quelques éléments caractéristiques, la représentation
d’une buvette populaire typique de celles que la plupart des burkinabè fréquentent.
Et même si le décor ne change jamais, le metteur en scène y introduit du mouvement par la succession de prises continuellement changeantes, qui alternent les
focalisations sur les intervenants dans la discussion ainsi que de gros plans sur
l’arme. Hormis ces variations de cadrage, la scène reste toujours la même, de telle
sorte qu’en effet, cette série pourrait très bien être du théâtre filmé. Ainsi, l’intérêt
du spectateur peut-il se concentrer sur les opinions échangées.
Le réalisateur Dao arrive à tirer profit des avantages du médium et à répondre
aux attentes du public. Il ouvre ainsi l’espace de la parole, un forum d’expression,
à ses spectateurs. L’idée avancée par Abdul Ba que la télévision remplace l’arbre
à palabres, se vérifie tout particulièrement dans le cas de Vis-à-Vis, car la série
met en scène une buvette, un lieu de rencontres public pour échanger des opinions. On pourrait aussi parler d’une remédiation de la sphère publique et de la
réalité selon Bolter, dans deux sens: la série reprend le modèle réel d’échanges
pour le médiatiser et pour permettre un accès à un large public et à travers la série, une discussion sur les valeurs de la société est déclenchée qui pourrait avoir
un impact sur la réalité.
Cette série utilise moins les possibilités techniques de la télévision que Kadi Jolie, à tel point qu’elle semble être plutôt statique, théâtralisée. Ces „faiblesses“ se
transforment pourtant en avantages parce que le style de cette série met l’accent
sur la parole, sur l’échange d’opinions ce qui correspond à une pratique sociale en
perte, mais qui retrouve ici sa place.
Le dernier exemple que je souhaite analyser, est la série policière Commissariat
de Tampy produite par Missa Hébié (2003-05) et qui a également connu un grand
74
Dossier
succès au Burkina Faso. Au centre de cette série, comme le titre l’indique, se
trouve l’équipe du Commissariat de Tampy, un quartier ouagalais. Les personnages sont fortement typisés: le bel inspecteur intelligent Roch qui est un coureur de
jupons, la belle collègue Mouna, émancipée et dynamique, la policière corpulente,
Poupette, le brigadier simple d’esprit, son collègue toujours légèrement ivre et le
chef de l’équipe, le commissaire, toujours fier de l’efficacité de ses agents.
La structure narrative est plus complexe comparativement aux deux exemples
précédents, car le protagoniste change selon l’épisode pour mettre en avant chaque fois un autre membre de l’équipe. Comme cette formule est caractéristique de
presque toutes les séries policières américaines et européennes, on peut constater que la série est inspirée par les influences étrangères tout en conservant des
caractéristiques locales. Car c’est toujours la parole qui est au centre de l’intérêt,
l’échange d’opinions sur les différents comportements et problèmes dans la société. Le Commissariat de Tampy est plus proche de Kadi Jolie dans l’alternance
de séquences statiques et des séquences d’action, car le cadre principal est
constitué par les locaux du commissariat lui-même, que les commissaires et leurs
collaborateurs quittent pour des enquêtes ou des poursuites – plutôt rares – dans
les quartiers de la capitale. La limitation de locaux est encore une fois aussi liée
aux coûts de production, mais Hébié arrive à pallier le déficit d’actions qui en résulte grâce au procédé de focalisation alternée sur les personnages principaux et
les échanges entre les membres de l’équipe. Le réalisateur a ajouté des éléments
supplémentaires, notamment la buvette à côté du commissariat dans la rue. Le
propriétaire de cette buvette est le rival du brigadier dans une affaire amoureuse,
les deux hommes courtisent en effet la même femme policière, et en même temps
il représente la voix du peuple.
L’homme en uniforme qui était un sujet délicat dans les deux séries citées précédemment, apparaît dans cette dernière série comme un héros de la vie quotidienne: le supérieur est irréprochable et attend de son équipe qu’elle défende les
lois et la morale. Les commissaires ont leurs défauts individuels, mais ils n’abusent
pas de leur pouvoir. Cette question de l’abus de pouvoir est cependant mise en
scène, mais de manière minimale et presque ridicule, à travers le personnage du
policier simplet qui aurait tendance à vouloir frapper les détenus, mais qui, en
homme soumis à ses devoirs et à ses supérieurs, contrôle ses réflexes. Les deux
agents simplets de la série condensent donc dans leurs caractères tous les traits
négatifs de la représentation policière, essentiellement les deux motifs de l’abus du
pouvoir et d’alcool, la brutalité, et le manque d’intelligence. Ils apparaissent ainsi
comme des personnages grotesques et comiques qui permettent aux spectateurs
de rire de leurs comportements.
Dans l’épisode „Le bébé abandonné“, pour donner un exemple concret, une
femme est accusée d’avoir abandonné son bébé. Elle accuse le sergent de l’avoir
engrossée et abandonnée après. Le supérieur suspend le sergent de ses fonctions. Ce dernier mène cependant sa propre enquête en cachette. Il découvre que
son ex-copine a utilisé le bébé d’une autre femme pour l’obliger à payer une pen75
Dossier
sion alimentaire. Une fois la tromperie dévoilée, la réputation du sergent peut être
rétablie et le supérieur tente de donner une leçon de morale aux femmes.
De cette courte présentation de trois téléséries burkinabè, on peut conclure que
le médiascape de ce pays est fortement influencé par des formats préexistants et
importés, comme les télénovélas, les sitcoms, les séries policières etc. Les modèles semblent pourtant tout juste déclencher la production locale donnant l’exemple
de ce qu’on peut faire avec le support télévisuel et digital. La deuxième source
semble être le théâtre qui a une tradition assez longue au Burkina Faso – surtout
dans les domaines de la sensibilisation. Il s’agit donc souvent d’un théâtre qui
traite des sujets délicats, mais décisifs pour la société. La scène, souvent une
place de marché ou la rue, ouvre dès le début un espace public où, de manière
didactique, des problèmes de société sont abordés, invitant les spectateurs à
discuter, à échanger pour trouver des solutions.
La télésérie naît de la rencontre de l’arbre à palabres, du théâtre pour le développement, et du format télévisuel. Ce dernier se prête davantage à la présentation
des problèmes de société parce que plusieurs personnages sont mis en scène et
incarnent divers points de vue. L’approche humoristique amortit le choc éventuellement causé par le traitement de sujets tabous et facilite une critique amère. Un
nouvel espace public se crée, prolongeant en quelque sorte les espaces dits traditionnels. La tendance qu’on peut observer est donc celle du développement d’un
médiascape local influencé par des productions globales mais qui sont adaptées et
façonnées par le paysage culturel/ marché local. Une production locale pour un
public local qui reprend dans la télésérie des formats connus en les adaptant au
format télévisuel, les médiatisant.
En termes de remédiation, nous pouvons observer que les trois types présentés
par Bolter et Grusin se manifestent également dans le contexte de l’émergence de
la télésérie burkinabè.
Le médium télévisuel médiatise aussi la réalité, la transmet, choisit un focus,
l’encadre et le met ainsi en exergue ce qui entraîne une réflexion médiatisée sur
problème présenté par un groupe d’intervenants. Le résultat de cette mise en perspective et en situations peut être la remédiation comme réforme, le processus de
réformer la réalité à travers un discours télévisuel qui est en contact immédiat avec
la réalité vécue des spectateurs.
Les directeurs burkinabè utilisent le format télévisuel en le changeant, en
l’adaptant au contexte et aux attentes locaux. Ainsi naît un nouveau type de télésérie ou de sitcom entre théâtre, arbre à palabres et télévision, une nouvelle création
qu’on pourrait appeler „sitcom à palabres“.
Bibliographie
Ang, Ien: Living Room Wars: Rethinking Media Audiences for A Postmodern World, London, 1996.
Appadurai, Arjun: Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalization. Minneapolis/London, University of Minneapolis Press, 1996.
76
Dossier
Appadurai, Arjun: „Disjuncture and Difference in the Global Cultural Economy“, in: Braziel,
Jana E., Mannur, Anita (eds.): Theorizing Diaspora: A Reader. Malden, MA: Blackwell, 2003, 25-48.
Ba, Abdoul: Télévisions, paraboles et démocraties en Afrique Noire. Paris: L’Harmattan,
1996.
Ba, Abdoul: Les téléspectateurs africains à l’heure des satellites. De la case d’écoute à la
parabole, Paris, L’Harmattan, 1999.
Balima, Serge; Frère, Marie-Soleil: Médias et Communications sociales au Burkina Faso.
Approche socio-économique de la circulation de l’information, Paris, 2002.
Butake, Bole: „Cinema, CRTV, and the Cable Television Syndrome in Cameroon“, in:
Tcheuyap, Alexie (ed.): Cinema and Social Discourse in Cameroon. (Bayreuth African
Studies, Bd. 69.) Bayreuth: Thielmann & Breitinger, 2005, 39-61.
Canal France International (ed.): Rapport: Les Enjeux de la télévision en Afrique. Paris:
2005.
Fendler, Ute: „Le Sida à l’écran“. In: Neue Romania. Afro-Romania, 23, 2000, 141-156.
Gbanou, Sélom Komlan: „Le rôle du petit écran: l’exemple ivoirien“ In: Notre Librairie, 149
(octobre-décembre) 2002.
Ginsburg, Faye D., Abu-Lughod, Lila, Larkin, Brian (eds.): Media Worlds: Anthropology on
New Terrain. Berkeley, CA: Univ. of California Press, 2002.
Hepp, Andreas: Netzwerke der Medien. Medienkulturen und Globalisierung. Wiesbaden,
Verlag für Sozialwissenschaften, 2004.
Hoffelt, Sophie: „Sitcoms africaines“, in: Africultures, 49 (juin) 2002.
Larkin, Brian: „Indian Films and Nigerian Lovers: Media and the Creation of Parallel Modernities“, in: Africa, 67 (3/1997), 406-440.
Schulz, Dorothea E.: „Mélodrames, désirs et discussions“ In: Werner, Jean-François (éd.):
Médias visuels et femmes en Afrique de l’Ouest. (Logiques sociales – Etudes culturelles). Paris, L’Harmattan, 2006.
Touré, Kadidia „Telenovelas et dynamiques identitaires à Bouaké et Bamako“ In: Werner,
Jean-François (éd.): Médias visuels et femmes en Afrique de l’Ouest. (Logiques sociales – Etudes culturelles). Paris, L’Harmattan, 2006.
Tudesq, André-Jean: L’Afrique Noire et ses télévisions. Paris, Anthropos/INA, 1992.
Werner, Jean-François: „Comment les Femmes utilisent la télévision pour domestiquer la
modernité“. In: Werner, Jean-François (éd.): Médias visuels et femmes en Afrique de
l’Ouest. (Logiques sociales – Etudes culturelles). Paris, L’Harmattan, 2006.
1
Voir aussi l’analyse de la réception des films hindous au Nigéria par Brian Larkin (1997).
77

Documents pareils