Mayotte, un département perpetuellement transitoire

Transcription

Mayotte, un département perpetuellement transitoire
Mayotte, un département perpétuellement transitoire
Par Thomas M’SAÏDIE
ATER en droit public à l’UPVD (Université de Perpignan Via Domitia).
VIIIe Congrès du droit Constitutionnel Français (AFDC) à Nancy
Communication au Congrès de l’AFDC (Nancy 16-18 juin 2011)
Résumé de l’article
L’Île de Mayotte, depuis son rattachement à la France en 1841 n’a pas cessé d’hériter
d’un certain nombre de particularités qui ont profondément affecté l’efficacité de son
fonctionnement, mais essentiellement sa stabilité statutaire. Elle a vacillé entre plusieurs
statuts constitutionnels qui ont comme dénominateur commun, leur caractère innovatoire,
transitoire et éphémère. Depuis la loi de 2001, Mayotte s’est lentement rapprochée du statut
de département, bien que son fonctionnement en qualité de département puisse se constater
dans la pratique depuis quelque temps auparavant elle s’est également profondément enlisée
dans une phase transitoire interminable faisant d’elle un « département perpétuellement
transitoire ».
La présente étude se propose donc de tracer les vicissitudes qui ont jalonné cette île
dans sa marche vers sa départementalisation, tout en montrant qu’en réalité, l’Île au Lagon, en
plus d’être un département dans les faits depuis un certain temps, va être un département qui,
malheureusement est condamnée à être sempiternellement transitoire. Dès lors ce territoire
insulaire demeure singulier puisque le régime transitoire dans lequel il se trouve est non
seulement perceptible dans le fonctionnement déguisé de Mayotte en département, mais se
trouve également prolongé par la soumission préalable de cette île au droit commun.
Thomas M’SAÏDIE
1
Sommaire
Mayotte, un département perpétuellement transitoire ................................................................ 1
Résumé de l’article ................................................................................................................. 1
Sommaire ................................................................................................................................ 2
Introduction. ........................................................................................................................... 3
I) Un régime transitoire perceptible dans le fonctionnement déguisé de Mayotte en
département ............................................................................................................................ 6
A) Un alignement imparfait de Mayotte sur les départements et régions d’outre-mer....... 7
B) Une précision superflue : "Département de Mayotte" ................................................. 11
II) Un régime transitoire prolongé par la soumission préalable de Mayotte au droit commun
.............................................................................................................................................. 14
A) Une érection au statut de département subordonnée à une mise à niveau au droit
commun : Mayotte, le seul département transitoire de la République .............................. 15
B) Une parfaite collectivité départementale expérimentale .............................................. 22
Bibliographie : ...................................................................................................................... 30
Thomas M’SAÏDIE
2
Introduction.
« Il y a des Etats où les lois ne sont qu’une volonté transitoire et capricieuse du
souverain1 ». Cette citation de Montesquieu garde toute son acuité, son actualité si l’on
analyse l’histoire institutionnelle de Mayotte depuis l’installation de la souveraineté française
sur l’Île le 25 avril 1841.
L’histoire institutionnelle de Mayotte n’a pas cessé de défrayer la chronique tant elle a
connu des bouleversements qui ont fragilisé sa construction. Cette instabilité statutaire
remonte à 1841. Il est, en effet, aisé de constater que l’Île au Lagon, avec ses 374 km2 et ses
190 000 habitants, a dès le départ été dépourvue de toute autonomie quant à sa propre
administration. Elle dépendait de l’Île Bourbon jusqu’au 29 août 1843 date à laquelle elle
deviendra une dépendance de Nosy-Be (Madagascar qui était une colonie française). Dès lors
l’Île de Mayotte va être administrée par « un Commandant supérieur résidant à Nosy-Be ».
Une solution qui se voulait avant tout provisoire, comme le constate l’ancien préfet de
Mayotte Philippe Boisadam2.
C’est l’ordonnance royale du 10 novembre 1844 qui va transférer l’administration de
l’Île à Dzaoudzi, constituant ainsi "Mayotte et dépendances". Toutefois l’Île demeure sous
l’autorité de Madagascar jusqu’à ce que le décret du 14 juillet 1877 vienne en disposer
autrement, en procédant à la séparation des deux îles.
En somme l’administration de l’île va vaciller entre l’Île de la Réunion (voir en ce
sens le décret du 23 janvier 1896 qui va à nouveau placer la colonie de Mayotte et les
protectorats sous l’administration de la Réunion) et Madagascar (voir le décret du 9 avril 1908
qui va rattacher la colonie de Mayotte et les autres îles de l’archipel des Comores, au
gouvernement général de Madagascar et dépendances). Il faut attendre la loi du 9 mai 1946
pour que Mayotte se voie confier définitivement sa propre administration. Elle héritera au
passage du statut de Territoire d’outre-mer, en prenant le nom de « territoire des Comores ».
L’île dispose donc d’une autonomie administrative dont le chef-lieu était situé à Dzaoudzi
avant d’être transféré à Moroni, pour ensuite être établi à Mayotte.
Ce petit rappel historique témoigne de la péripétie qui a marqué l’évolution
institutionnelle de Mayotte et permet de cerner l’intérêt de la présente étude. Suite au
1
Montesquieu De l’Esprit des lois, Livre XXVI, Chapitre II, 2.
2
Pilippe Boisadam, Mais que faire de Mayotte ?, L’Harmattan, 2009, p.71,
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3
référendum organisé dans l’archipel des Comores le 22 décembre 19743, le statut de Mayotte
va emprunter le chemin périlleux et tortueux menant vers le statut du département sans y
parvenir totalement.
Mayotte, avec son statut de collectivité départementale introduite par la loi de 2001,
s’écarte profondément de la famille de COM prévue par le constituant de mars 2003 pour se
rapprocher d’une manière imparfaite, mais certaine, du statut de département. Le droit
commun se trouve étendu progressivement à Mayotte depuis 1976. Dès lors un paradoxe
commence à apparaître puisqu’il est très complexe de déterminer s’il s’agit d’un département
sur le plan fonctionnel et non juridique ou s’il s’agit d’un département sur le plan juridique et
non fonctionnel, ou les deux.
Pour mieux cerner l’objet de la présente étude, il convient d’indiquer ce que l’on
entend par département, sur le plan juridique mais également sur le plan fonctionnel.
L’expression département apparaît dès sa création le 22 décembre 1789 comme une division
administrative neutre qui a pour objet premier de rapprocher les administrés de
l’administration4. En effet, le terme de département, « a été choisi pour exprimer la neutralité
de la nouvelle division qui voulait couper les liens avec le passé5 ». La loi des 26 février et 4
mars 1790 va opérer au découpage des départements6. En plus du découpage du département
en arrondissements, cantons et communes, la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) va
procéder à la création des préfectures et sous-préfectures. Cette loi va poser le principe selon
lequel le préfet, chargé de l’administration, est « l’organe exécutif unique du département ».
Apparaît alors le Conseil général en 1800, en remplacement de conseil départemental
(introduit en 1789), qui va demeurer une assemblée délibérante.
Par conséquent on peut définir le département, sur le plan juridique, comme étant une
circonscription administrative de l’Etat et une structure administrative distincte de
l’administration de l’Etat, ayant le statut de collectivité territoriale depuis la loi du 10 août
3
Didier Maus, Jeannette Bougrab, Françsois Luchaire, un républicain au service de la République, Publications
de la Sorbonne, Coll de republica, 2005, p. 327. Voir également la loi n° 75-560 du 3 juillet 1975 relative à
l’indépendance du territoire des Comores, JORF du 4 juillet 1975, pp. 6764-6765.
4
Henri Oberdorff, Les institutions administratives, Armand Colin, 4ème édition, 2004, p. 10.
5
Michel Verpeaux, Droit des collectivités territoriales, PUF, 2eme Collection, 2008.
6
Voir le Titre II de la Constitution de 1791 qui dispose que « le royaume est un et indivisible ; son territoire est
distribué en quatre-vingt-trois départements ».
Thomas M’SAÏDIE
4
1871, dont le but est d’assurer des missions visant à satisfaire les intérêts d’une population
d’un territoire déterminé.
Sur le plan fonctionnel, il convient de s’attacher aux organes présents dans le
département et permettant la mise en œuvre des affaires d’intérêt départemental en ce sens
que la présence de ces organes permettent de déterminer l’organisation administrative d’un
territoire de l’Etat. Il y a lieu de retenir essentiellement deux organes, la préfecture et le
Conseil général. On sait que dans le département « le représentant de l’Etat et de chacun des
membres du Gouvernement », qui « a la charge des intérêts nationaux, du contrôle
administratif et du respect des lois » est le préfet. Cependant, certains domaines sont confiés
au Conseil général qui dispose donc des compétences dans des matières à l’échelle
départementale. La loi du 2 mars 1982 va confier aux conseillers généraux de nouvelles
compétences et va transférer l’exécutif au président du Conseil général. Il en résulte donc
qu’un département sur le plan fonctionnel requiert la présence d’un préfet représentant de
l’Etat et du Conseil général dont l’exécutif est confié à son président.
Eu égard à ces définitions, comment situer la collectivité territoriale de Mayotte ?
S’agit-il d’un département au sens juridique et fonctionnel ? Il n’est hélas pas aisé de situer
Mayotte par rapport au reste de l’outre-mer tant celle-ci emprunte, comme il sera examiné un
peu plus loin, aussi bien l’allure d’un département et région outre-mer (DROM) que celui
d’une collectivité outre-mer (COM). L’Île va hériter d’un statut inédit qui ne permet pas de la
classer ni parmi les départements d’outre-mer, ni parmi les territoires d’outre-mer. La loi du
11 juillet 2001 ne fera qu’accentuer cette difficulté dès lors que Mayotte ne saurait être rangée
convenablement parmi les catégories classiques prévues par le constituant du 28 mars 2003
lequel a revu la physionomie institutionnelle de l’outre-mer. En effet, la révision
constitutionnelle du 28 mars 2003 a entendu modifier le paysage institutionnel de l’outre-mer
en créant deux catégories de collectivités territoriales, d’une part les départements et régions
outre-mer (DROM) et d’autre part les collectivités outre-mer (COM), le cas de la NouvelleCalédonie reste régi par le « Titre XIII » de la Constitution. De ce fait, « il n’y a donc
juridiquement plus de place pour l’existence de collectivités sui generis ultra-marines».
Il importe de préciser que par transitoire, il convient de comprendre le passage d’un
régime à un autre régime qui se veut beaucoup plus stable. En réalité, Mayotte a connu une
Thomas M’SAÏDIE
5
évolution institutionnelle contra-cyclique7 qui va expliquer le caractère transitoire de tous les
régimes juridiques régissant son statut. Dès lors, la spécificité statutaire de l’Île renforce l’idée
selon laquelle l’Île de Mayotte demeure soumise à un régime transitoire. Si le rapport
Bonnelle reconnait que le caractère provisoire du statut introduit depuis la loi 24 décembre
1976, est « par lui-même, créateur d’incertitudes et d’insécurité juridique », son maintien
jusqu’à ce jour n’a pas, semble-t-il, préoccupé davantage les pouvoirs publics.
Au même titre que le président de la République Nicolas Sarkozy clamait avec
intonation que « Mayotte, c’est la France, Mayotte restera française », l’on ne peut résister à
l’envie de répliquer avec force et par un aphorisme résumant bien la situation de ce territoire :
« Mayotte, c’est un département transitoire, Mayotte restera un département perpétuellement
transitoire ». Dès lors, comment ce territoire, qui, à la base, devait acquérir le statut de
« département français » depuis la loi de 1976, s’est-il retrouvé confiner dans un statut
perpétuellement transitoire, nonobstant la récente loi organique ?
Tenter de répondre à cette question, c’est s’engager à démontrer que le régime
transitoire est particulièrement perceptible dans le fonctionnement déguisé de Mayotte en
département (I), en ce sens que ce territoire connait un fonctionnement quasi-similaire aux
DROM. Mais aussi, ce régime transitoire va être prolongé par la soumission préalable de
Mayotte au droit commun (II).
I) Un régime transitoire perceptible dans le fonctionnement déguisé de Mayotte en
département
Si l’on s’en remet au fonctionnement des institutions locales de Mayotte, il est aisé
d’identifier la présence du statut de département. En effet, le statut dont jouit l’Île au Lagon,
ainsi que le fonctionnement des institutions locales sont autant des faisceaux d’indices
permettant de reconnaître l’existence pratique du statut du département, alors que
juridiquement il n’en est point. Dès lors Mayotte constitue un « faux » département d’outremer dont le fonctionnement relève d’un « vrai » département d’outre-mer. Il s’agit en réalité
d’un alignement imparfait de Mayotte sur les départements et régions d’outre-mer (A).
7
Fred Constant, « Des statuts à la carte pour les Outre-mer français. Vers de nouveaux schémas de partage des
responsabilités ? », La documentation française, Regards sur l’actualité n°355, Novembre 2009, p.28.
Thomas M’SAÏDIE
6
Ce sentiment se précise d’autant que le législateur, en érigeant l’Île au Lagon en
qualité de département, a apporté une précision particulièrement superflue (B), renforçant
l’idée selon laquelle Mayotte serait un département qui se veut avant tout différent des autres.
A) Un alignement imparfait de Mayotte sur les départements et régions d’outre-mer
Français depuis le traité du 25 avril 1841, Mayotte, n’a pas cessé de fonctionner
comme un département. La loi n°1871-08-10 du 10 août 1871 relative aux conseils généraux
a été, en effet, étendue à Mayotte par l’ordonnance n°77-449 du 29 avril 19778. On peut y
lire : « Pour l’application à Mayotte des dispositions de la loi du 10 août 1871 les expressions
« collectivité territoriale de Mayotte » et « commission restreinte » sont substituées aux
expressions « département » et « commission départementale »9 ». Même si dans les
départements le pouvoir qui en principe est dévolu au préfet est ici exercé par le représentant
du Gouvernement, les cloches de la départementalisation ont sonné, et le fonctionnement des
institutions locales n’en est pas neutre.
En vertu des ordonnances n°77-449 et n°77-450 du 29 avril 1977, Mayotte est
résolument assimilée à un département et connait un fonctionnement administratif similaire
aux autres départements. Cela se traduit, in concreto, par la création d’un conseil général élu
dans 17 cantons et un représentant de l’Etat. Cette situation, somme toute particulière pour
une collectivité territoriale non départementalisée, a été orchestrée par le législateur ordinaire
qui a transformé le statut de Mayotte en collectivité territoriale. Un statut qui se voulait avant
tout théoriquement provisoire, mais qui s’est révélé, dans la pratique10, durable, jusqu’à
l’érection éventuelle de l’île au Lagon en département11.
En dépit de l’épisode d’atermoiement du législateur12 qui va laisser cette Île sans statut
constitutionnel stable pendant quelques décennies, le fonctionnement administratif va
8
Ordonnance n°77-449 du 29 avril 1977 portant extension et adaptation à la collectivité territoriale de Mayotte
de la loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux, JORF du 30 avril 1977, p.2489.
9
Voir l’article 2 de l’ordonnance n°77-449 du 29 avril 1977.
10
Voir en ce sens, le rapport Bonnelle. « Réflexions sur l’avenir institutionnel de Mayotte : rapport au secrétaire
d’Etat à l’outre-mer », La documentation Française, p. 15.
11
Voir l’article 1 de la loi n°76-1212 de 24 décembre 1976.
12
La population mahoraise devait être consultée conformément à l’article 1, alinéa de la loi n°76-1212 du 24
décembre 1976 dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de cette loi. Cette disposition sera
Thomas M’SAÏDIE
7
demeurer inchangé, quand bien même le décret n°94-41 du 13 janvier 1994 va porter le
nombre de cantons à 19. Henry Jean-Baptiste, ancien député de Mayotte avait souligné le 8
novembre 1997 à l’occasion des cérémonies marquant le 20ème anniversaire de la création du
Conseil général de Mayotte, devant le secrétaire d’Etat à l’outre-mer qui était Jean-Jack
Queyranne, que « le conseil général fut dès l’origine considéré certes comme un emprunt à
l’institution départementale de droit commun, mais déjà comme un premier pas dans
l’évolution de Mayotte vers le statut de DOM ».
Sous l’impulsion de l’accord sur l’avenir de Mayotte du 27 janvier 200013, approuvé
par référendum à plus de 72% du suffrage exprimé le 2 juillet 2000, le législateur va
reconnaître, ce qui était qu’une réalité pratique sur l’île depuis quelques temps. En effet, tout
en voulant rompre avec la « longue période d’incertitude liées à un statut provisoire14 », il va
ériger l’île en « collectivité départementale15 ».
Derrière cette appellation se cache en réalité, une manière bien modérée et insidieuse
pour le législateur de reconnaître que l’Île au Lagon fonctionne comme un département. « Il
ne s’agit donc pas d’un département, mais d’une collectivité territoriale spécifique, dont
l’appellation montre cependant qu’elle est déjà doté de certains caractères des
départements16 ». Ainsi, cette appellation entend amorcer le statut du département et rompre
abrogée par la loi n°79-1113 du 22 décembre 1979 relative à Mayotte. La consultation qui devait intervenir trois
ans après, soit en 1979, va être ainsi prorogée en cinq ans (v. la loi n°79-1113 du 22 décembre 1979 relative à
Mayotte, JORF du 23 décembre 1979, p. 3254).
Cependant, l’alinéa 2 du premier article de la loi n°76-1212 du 24 décembre 1976 a été abrogé par la loi n°791113 du 22 décembre 1979 relative à Mayotte, prorogeant le délai de la consultation cinq ans après la
promulgation de la loi. Il convient également de noter, comme le constate Patrick Schultz, que « le 12 mai 1976,
sur le bureau de l’Assemblée nationale, un projet de loi qui, dans son article 1 er disposait que « Mayotte constitue
au sein de la République française un département d’outre-mer » » (voir Fasc. 131, JurisClasseur Administratif).
Mais le projet sera avorté.
13
Accord du 27 janvier 2000 relatif à l’avenir de Mayotte, JORF du 8 février 2000. En réalité, cet accord
découle des propositions du rapport Bonnelle (voir en ce sens François Bonnelle, Réflexions sur l’avenir
institutionnel de Mayotte : rapport au secrétaire d’Etat à l’outre-mer, La documentation Française, 128p.). Parmi
les cinq propositions présentes dans ce rapport, toutes aspiraient à l’évolution de statut de l’île au Lagon en tant
que département, même si la dernière proposition suggérait le maintien du caractère sui generis. C’est donc à la
suite du rapport Bonnelle qu’une mission interministérielle s’est rendue à deux reprises à 1998 et juillet 1999
pour mener des négociations avec les élus locaux afin d’aboutir à un « accord sur l’avenir de Mayotte ».
14
Accord du 27 janvier 2000 relatif à l’avenir de Mayotte, JORF du 8 février 2000.
15
Voir les stipulations du premier article alinéa 3 de la loi n°2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte,
JORF n°161 du 13 juillet 2001, p.11199.
16
Jean-Yves Faberon, Jacques Ziller, Droit des collectivités d’outre-mer, LGDJ, 2007, p.301.
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8
avec le rattachement de Mayotte à la « fausse17 » famille de COM depuis la révision
constitutionnelle de mars 2003.
Quand bien même il a fallu attendre en 2007 pour que les actes pris par le Conseil
général deviennent exécutoires18, il convient de relever que la loi n°2001-616 du 11 juillet
2001 n’a pas seulement érigé Mayotte en collectivité départementale, elle a aussi transféré
l’exécutif au Président du Conseil général après les élections cantonales de mars 2004. Dès
lors Mayotte flotte entre spécialité législative et identité législative. Du point de vue pratique,
l’île reste soumise, depuis la révision constitutionnelle de 2003, à la « spécialité législative
avec des exceptions relevant de l’identité législative ». Il s’agit ici de « garder la spécialité
législative tout en bénéficiant des éléments départementaux ».
Mais la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 va réellement reconnaître cette
île comme relevant de l’identité législative à partir du 1er janvier 2008, mais assorties des
exceptions relevant de la spécialité législative. L’île est donc soumise au régime de
l’application de plein droit des lois et règlements 19, ce qui n’est pas une nouveauté en soi. Un
« faux » département qui hérite là des mécanismes régissant un « vrai » département20, telle
est la particularité de l’île de Mayotte. Autrement dit, Mayotte se trouve aligné d’une manière
totalement imparfaite sur les départements et régions d’outre-mer en ce sens qu’elle va hériter
du principe d’identité législative régissant donc les DROM (art. 73) tout en conservant
certains éléments relevant de la spécialité législative (art. 74).
Cette observation se vérifie d’autant plus que les lois n°2001-616 du 11 juillet 2001 et
n°2007-223 du 21 février 2007 ont entendu doter l’Île d’un certain nombre de mécanismes
régissant un département au sens de l’article 73 de la Constitution. De ce fait l’Île de Mayotte
est manifestement assimilée, du point de vue fonctionnelle, à un département au sens de
l’article 73, mais sur le plan juridique, elle demeure ranger parmi la famille des COM
jusqu’en mars 2011.
17
Michel Verpeaux, Droit des collectivités territoriales, PUF, 2eme Collection, 2008, p.56.
18
Ibid. Voir aussi en ce sens l’article 2, alinéa 3 de la loi n°2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, JORF
n°161 du 13 juillet 2001, p.11199.
19
Loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à
l’outre-mer, JORF du 22 février 2007, p.3121.
20
Ainsi que le constate à juste titre Rakotondrahaso Faneva, il ne s’agirait ni plus ni moins que d’un « Canadadry », Rakotondrahaso Faneva « Mayotte, le statut de pays et territoire d’outre-mer de l’Union : un pis-aller ? »
Revue juridique de l’Océan Indien, Novembre 2009, p. 74.
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9
Pour s’en convaincre, il suffit de faire une lecture attentive des dispositions relatives à
la collectivité départementale de Mayotte figurant dans le Code général des collectivités
territoriales (CGCT). En vertu de l’article L. 3531-3, « les articles L. 3121-3 à L. 3121-26
sont applicables à la collectivité départementale de Mayotte, sous réserve des dispositions du
1° de l’article L. 3571-1 ». Ces articles régissant les organes du département et qui sont
étendus à Mayotte encadrent principalement la démission des conseillers généraux et la
dissolution du conseil général.
La présence du conseil général sur l’Île de Mayotte qui a été soulignée à l’article
L3531-1 du CGCT et deux organes chargés d’assister le conseil général rappelle clairement le
fonctionnement des DROM. D’une manière identique que dans les DROM, il y a un conseil
économique et social ainsi qu’un conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement à
Mayotte. L’existence de ces organes rappellent des pratiques antérieurs qui consistent, « en
l’absence de textes explicites, à appliquer les dispositions en vigueur en métropole » sur ce
territoire ultra-marin. En conséquence, la présence à Mayotte des organes propres à un
département permet d’affirmer que cette collectivité départementale (jusqu’au 31 mars 2011)
se trouve irréfutablement alignée sur les autres départements français, sans l’être réellement
du point de vue juridique.
Bien qu’il ne s’agisse aucunement d’un alignement parfait de Mayotte sur les DROM,
il faut admettre, ainsi que l’a fait Olivier Gohin, que son particularisme est « juridiquement
plus subtil et politiquement plus innovant21 », ce qui offre, par conséquent aux autorités
politiques centrales plus de marge de manœuvre, produisant ainsi un statut à la carte pour
Mayotte appelé « Département de Mayotte ».
Tirant, en effet, les conséquences de la consultation de mars 2009 à laquelle les
mahorais avaient derechef exprimé massivement leur attachement à la République française
(95,2% des suffrages exprimés), les lois organique n°2010-1486 du 7 décembre 2010 et
ordinaire n°2010-1487 du 7 décembre 2010 ont érigé ce territoire en « Département de
Mayotte », avec une précision déroutante.
21
Voir Olivier Gohin, Groupe de réflexion sur l’évolution institutionnelle de Mayotte, Réunion du vendredi 27
juin 1997, « Note relative à Mayotte, version DOM », inédit, p. 6. Voir également Emmanuel Roux, « L’octroi
des compétences à la collectivité départementale de Mayotte : alignement ou transfert ? », in Laurent Sermet,
Jean Coudray (Dir.), Mayotte dans la République, Montchrestien, 2004, p. 148.
Thomas M’SAÏDIE
10
B) Une précision superflue : "Département de Mayotte"
A la suite du référendum organisé le 29 mars 2009, la loi organique n°2010-1486 du 7
décembre 2010 répond enfin aux demandes itératives des mahorais, en érigeant l’Île au
Parfum au statut de « Département de Mayotte ». On serait presque tenté de pousser un cri de
soulagement, tant la population mahoraise s’est évertuée pendant plus d’une trentaine
d’années à demander ce statut de département. Enfin le statut de département est reconnu ! At-on envie de clamer.
Fort malheureusement ce statut n’est guère satisfaisant, comme il conviendra de le
démontrer, dès lors, on ne peut laisser l’enthousiasme guidé notre plume. A compter du
renouvellement du conseil général de Mayotte, c’est-à-dire le 31 mars 2011, l’Île au Lagon
devient « Département de Mayotte ». On se souvient de la loi précitée de 1946 qui parlait de
« département français », s’agissant de la Guadeloupe, Guyane, Martinique et la Réunion et
non de département « de la Guadeloupe », « de la Guyane » etc. ou de la loi du 19 juillet 1976
relative à l’organisation de Saint-Pierre-et-Miquelon qui mentionnait seulement le mot
« département22 » ou enfin du projet de loi avorté du 12 mai 1976 qui stipulait que « Mayotte
constitue au sein de la République française un département d’outre-mer ».
A la lumière de ces exemples, une question mérite d’être soulevée. En effet, pourquoi
le législateur organique a-t-il ressenti le besoin inexpliqué de préciser soigneusement
« Département de Mayotte » ? Les deux lois qui régissent le « Département de Mayotte », à
savoir la loi organique n°2010-1486 et la loi ordinaire n°2010-1487 du 7 décembre 2010 ne
mentionnent pas « de façon simple et franche, que Mayotte est enfin classée ou érigée, à son
tour, en un département français, voire en tant que sous-catégorie constitutionnelle, en un
département d’outre-mer23 ». Dès lors, il ne serait pas impertinent de comprendre par
« Département de Mayotte » qu’il s’agit là d’un prolongement du statut sui generis dont ce
territoire bénéficiait auparavant, dans la mesure où seule la notion de "collectivité" a été
retirée du statut de « collectivité départementale de Mayotte » introduit par la loi n°2001-616
du 11 juillet 200124.
22
Loi n°76-664 du 19 juillet 1976 relative à l’organisation de Saint-Pierre-et-Miquelon, JORF du 20 juillet 1976,
p. 4323.
23
Olivier Gohin, « La départementalisation de Mayotte », La Semaine Juridique Administration et Collectivités
territoriales n°3, 17 janvier 2011, p.2.
24
Loi n°2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, JORF n°161 du 13 juillet 2001, p.11199.
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11
L’expression « Département de Mayotte » renvoie donc à un département qui est
propre à Mayotte. Autrement dit, comme le faisait autrefois Aimé Césaire 25 en jouant avec les
mots, Mayotte ne serait pas « un département à part entière », mais « un département
entièrement à part ». De ce point de vue Mayotte ne serait pas un département en tant que tel,
comme entendu par les dispositions de l’article 73 de la Constitution, mais un département
remodelé sur mesure et propre à Mayotte. Ce qui justifierait pleinement les nombreuses
exceptions et adaptations découlant de son application effective dès le 31 mars 2011. Ces
adaptations, à première vue, vont bien au-delà des celles précisées par le juge constitutionnel
dans sa décision n°84-174 DC du 25 juillet 198426. A cet égard la ministre de l’outre-mer
Marie-Luce Penchard, reconnaissait que « la départementalisation de Mayotte est
historiquement et juridiquement un processus progressif et adapté ». De ce fait l’emploi de
l’expression « Département de Mayotte » laisse une large marge d’intervention au
gouvernement pour « bricoler » un département pour Mayotte qui ne correspond pas
nécessairement aux attentes de la population et des élus.
C’est sans doute ce qui a incité les élus locaux à rejeter à l’unanimité les projets de loi
organique et ordinaire soumis à l’assemblée générale de l’Île au début du mois de juillet 2010.
Ils ont désapprouvé les deux projets de loi, au motif que « des nombreuses dispositions
législatives et règlementaires ne contribuent qu’imparfaitement à mettre en place une
départementalisation réellement adaptée à la situation mahoraise ». Pour ces raisons, l’ancien
président du Conseil général Ahmed Attoumani Douchina, dont la fidélité au Président de la
République n’est plus à démontrer faut-il le souligner, a demandé aux conseillers généraux
d’émettre un avis défavorable contre les projets de loi. Ce qui a eu pour conséquence de
précipiter un déplacement de la ministre de l’outre-mer Marie-Luce Penchard à Mayotte pour
tenter de lever toute ambiguïté relative aux deux projets de lois.
La loi organique de décembre 2010 prescrit avec itération l’expression « Département
de Mayotte ». Ne devrait-elle pas mentionner simplement département, ou département
français, comme l’avaient fait les lois de 1946 et de 1976 ? Car, sans cette précision superflue,
Mayotte aurait retrouvé le statut tant convoité par la population, puisqu’il s’agirait d’un
« département français », alors qu’ici, il s’agit seulement d’un « Département de Mayotte ».
25
Aimé Césaire faisait valoir, pour souligner la lenteur du processus d’assimilation de la Martinique, que
Martinique est un « département à part entière et entièrement à part ».
26
Décision n°84-174 DC du 25 juillet 1984, journal officiel du 28 juillet 1984, p.2493 (Cons.5) ; Voir également
la décision n°82-152 DC du 14 janvier 1983.
Thomas M’SAÏDIE
12
L’absence de précision aurait également suggéré une parfaite intégration, voire assimilation
de Mayotte aux autres départements français et donc un fonctionnement analogue. Ou,
s’agirait-il de faire entrer Mayotte « dans une catégorie inédite et particulière au sein de
l’ensemble des collectivités territoriales » ? Ce qui serait, dans cette hypothèse, en total
désaccord avec la décision du juge constitutionnel n°82-147 DC du 2 décembre 1982 qui
exige, hormis les adaptations prévues dans le texte fondamental, l’alignement parfait des
statuts des départements d’outre-mer sur les départements métropolitains27 ? Une
interprétation littérale de l’expression « Département de Mayotte » permet de soulever
utilement cette interrogation et d’y apporter, par là-même, une réponse affirmative. D’autant
que le gouvernement souhaitait manifestement une différenciation tranchée entre le
« Département de Mayotte » et les autres départements.
Cette idée se trouve entretenue par l’utilisation d’un « D » majuscule sur l’expression
« Département de Mayotte ». L’emploi de « D » majuscule, comme l’observe finement
Olivier Gohin, demeure ambigu28. Cet emploi de majuscule, qui d’ailleurs a été repris par le
Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-619 DC du 2 décembre 2010, démontre
particulièrement qu’il s’agit là d’un statut atypique exclusivement réservé à Mayotte, telle une
identité, tel un signe de nom propre. Autrement dit Mayotte serait une collectivité nommée
« Département de Mayotte », et par conséquent une sous-catégorie de DROM.
Cette différence se ressent également au niveau de son fonctionnement puisque l’Île au
Lagon va être la première Collectivité unique, quand bien même la Martinique et la Guyane
connaîtront une évolution similaire.
Néanmoins, si l’on opère une interprétation téléologique de l’expression
« Département de Mayotte », l’on peut déduire qu’il s’agit bel et bien, d’un Département
similaire aux autres départements de la métropole, malgré l’écart matériel qui peut y subsister
et malgré cette précision superflue.
Au demeurant, la référence faite à l’expression « Département de Mayotte » ne doit
pas cacher la réalité juridique qui considère, comme le suggère Olivier Gohin, que « Mayotte
27
Décision n°82-147 DC du 2 décembre 1982 sur la loi portant adaptation de la loi n°82-213 relative aux droits
et libertés des communes, des départements et régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la
Réunion, JO du 4 décembre 1982, p. 3666 (cons.4). Voir l’analyse de cette décision par Louis Favoreu, RDP,
1983, p. 333 et Pierre Avril, Jean Gicquel, Pouvoirs, 1983 (25), p. 183.
28
Olivier Gohin, « La départementalisation de Mayotte », op. cit., p. 4.
Thomas M’SAÏDIE
13
est bien un département d’outre-mer – et cela seulement – et on s’en tiendra là, sans recours,
désormais à une Majuscule inutile et provocante, au surplus inconstitutionnelle à la lecture de
l’article 73 et illégitime au regard du résultat du référendum de 2009 ».
En définitive, le fonctionnement déguisé de Mayotte en département, qui se constate
aussi bien dans l’alignement imparfait de ce territoire sur les DROM, que dans son appellation
ambiguë introduite par le législateur organique, prolonge le régime transitoire dans lequel ce
territoire est inextricablement enlisé depuis quelques décennies. Un régime transitoire qui est
particulièrement visible dès lors que Mayotte est soumise, d’une manière totalement inédite,
au respect préalable du droit commun avant l’accès au statut de département.
II) Un régime transitoire prolongé par la soumission préalable de Mayotte au droit
commun
Depuis la première constitution écrite de 1791 laquelle excluait les colonies et
possessions françaises dans l’Asie, l’Afrique et l’Amérique de son champ d’application,
l’outre-mer française est essentiellement marquée par des changements institutionnels.
Mayotte n’a pas dérogée à cette règle dans la mesure où elle s’est vue imposer des
particularités statutaires inédites faisant d’elle et la Nouvelle-Calédonie les territoires
insulaires ayant hérité le plus de statuts depuis l’instauration de la Ve République par De
Gaulle. Ces deux territoires constituent des vraies « cobayes » statutaires permettant
l’expression de l’imagination juridique et politique des différents gouvernements de la
République française. Mayotte constitue, à cet égard, la seule collectivité territoriale soumise
à un régime transitoire avant son accession au statut de département. Dit autrement l’Île au
Lagon est l’unique collectivité territoriale dont l’érection au statut de département demeure
subordonnée à une mise à niveau au droit commun départemental (A), et donc au respect
rigoureux d’une période transitoire.
Le régime transitoire initié par le comportement du législateur du 24 décembre 1976
justifie certainement que ce territoire ait bénéficié du « sur-mesure » sur le plan institutionnel
jusqu’à ce jour. Ce régime semble être le corollaire de toute une série de mesures émanant
aussi bien des pouvoirs publics que du législateur lui-même et applicables à ce territoire. A la
lumière de l’histoire institutionnelle de ce territoire ultra-marin, il y a lieu de constater que sa
soumission à une mise à niveau, ou du reste, à une période transitoire relève en réalité d’une
Thomas M’SAÏDIE
14
multiplication
d’expériences
juridiques,
faisant
de
Mayotte
une
véritable
terre
d’expérimentation juridique (B).
A) Une érection au statut de département subordonnée à une mise à niveau au droit
commun : Mayotte, le seul département transitoire de la République
L’on se souvient de la fameuse loi du 19 mars 1946 qui a érigé les "quatre vieilles"
colonies en « département français d’outre-mer29 ». Celle-ci a, en effet, entendu mettre fin à
l’application du principe de la spécialité législative qui était en vigueur sur ces quatre
territoires. « Les textes législatifs et réglementaires de la République n’étaient applicables
qu’après promulgation locale par le gouverneur dans la colonie30 ».
Cette loi du 19 mars 1946 va donc rompre avec le régime des "décrets-coloniaux" en
instaurant le principe dit "d’assimilation ou d’identité législative"31 en vertu duquel « les lois
et les règlements sont applicables de plein droit32 ». Le passage du statut de colonie en statut
de département s’est fait sans à-coups, sans transition, sans besoin d’établir un quelconque
pacte. Le législateur a érigé la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion en
département français sans qu’il y ait lieu d’observer une période transitoire.
Le cas de Mayotte est particulièrement inédit, en ce sens qu’il y a eu plusieurs phases
avant l’attribution du sésame tant attendu par les mahorais, à savoir la départementalisation de
l’île. C’est l’accord sur l’avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 qui va déclencher
cette longue et interminable période transitoire avant l’accès de l’Île au statut de département.
La signature de cet accord soulève deux observations. D’une part, l’Île se voit promise
à un avenir institutionnel instable durant une décennie (à laquelle il faut rajouter les deux
décennies précédentes), d’autre part elle doit répondre à une sorte de cahier de charges pour
pouvoir être éligible au statut tant demandé par la population. De ce fait l’Île se voit soumise à
une sorte de "critère de Copenhague" version française qui est loin d’être issue d’une
29
Voir l’article 1er de la loi n°46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la
Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française, JORF du 20 mars 1946 p.2294
30
Jean-Yves Faberon, Jacques Ziller, Droit des collectivités d’outre-mer, LGDJ, 2007. p.41
31
Jacques Ziller, Les DOM-TOM, L.G.D.J., 1996, p.27.
32
Art. 73 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Thomas M’SAÏDIE
15
interprétation d’un texte réglementaire, législatif ou constitutionnel. Il s’agit simplement
d’une volonté politique que d’instaurer des conditions à l’accès au statut de département. La
seule légitimité de cet accord est qu’il a été approuvé par référendum. Une énième
consultation à laquelle les mahorais ont répondu massivement "oui".
Mais peut-on réellement voir une vraie légitimité derrière cette approbation massive
de la population mahoraise de l’accord sur l’avenir de Mayotte du 27 janvier 2000 ?
L’expérience du passé (les différentes consultations qui ont succédé l’accès des Comores à
l’indépendance) nous incite à plus de circonspection. En effet, la motivation des mahorais a
été telle qu’ils n’ont jamais réellement hésité à manifester leur amour pour la République,
voyant donc dans chaque consultation, une occasion renouvelée de crier haut et fort leur
attachement aux valeurs de la République, pour ne pas tomber sous le joug de l’ennemi juré
(les Comores). De ce point de vue, le gouvernement n’encourait aucun risque réel de voir
l’accord rejeté par les mahorais, d’autant que celui-ci semble laisser naître l’espoir de voir
l’Île au Lagon s’éloigner définitivement d’une éventuelle intégration aux Comores.
Il est, en effet, impensable pour les mahorais d’être un jour dans le giron de l’Union
des Comores, ce qui serait synonyme d’absence de liberté si l’on se réfère à la fameuse phrase
prononcée par les « chatouilleuses » aux termes de laquelle les mahorais veulent « être
français pour être libres ». Dès lors toute consultation populaire se solde nécessairement par
une majorité spectaculairement écrasante pour le maintien de Mayotte au sein de la
République, conférant ainsi au gouvernement une grande latitude quant à ses agissements. Par
conséquent, les mahorais, à part approuver les mesures prises par le gouvernement, même si
l’assemblée générale a eu l’audace de rejeter les deux projets de lois organiques au début de
mois de juillet 2010, ils ne se sentent pas tellement dans une position dans laquelle ils peuvent
entamer des négociations ou discussions équilibrées avec Paris, par crainte de voir le projet de
département s’éloigner encore davantage. D’où l’adhésion sans faille de tous les élus à tout
projet qui leur est soumis.
En tout état de cause, les mahorais répondront oui à toute question qui a un lien direct
ou non à leur avenir institutionnel. A partir de ce constat, pourquoi ne pas leur soumettre des
actes présentant des conditions contraignantes et inédites que le gouvernement sait d’avance
que la population acceptera ? Rien ne semblait, en effet, s’opposer à cette tentation qui s’est
soldée par deux accords, à savoir l’accord sur l’avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier
2000 et le Pacte pour la départementalisation du 8 janvier 2009.
Thomas M’SAÏDIE
16
Le gouvernement semble avoir toute sa liberté pour imposer des conditions
particulièrement rigoureuses aux mahorais à l’accès au statut de département. L’ancien
Président de la République Jacques Chirac, lors de son discours à Mayotte sur la place des
marchés à Mamoudzou le 19 mai 2001, le reconnaissait sans équivoque que l’accession de
Mayotte au statut de département ne saurait être opérée que sous le respect de deux
conditions : « le respect des principes et de l’unité de la République, la consultation des
populations ». La première condition qui a une portée générale suggère une extension des
règles de droit commun sur l’Île avant son accès au statut de département. Dans le
prolongement du discours de Jacques Chirac, le Président de la République Nicolas Sarkozy
indiquait à la veille du référendum du 29 mars 2009 que « l’évolution institutionnelle se fera
donc progressivement sur la base du Pacte pour la départementalisation, accepté par les élus
de Mayotte, qui décrit le chemin qui reste à parcourir ».
Si l’un des deux accords a eu l’approbation populaire, l’autre (Pacte pour la
départementalisation) a été imposé d’une manière unilatérale. Rédigé sous un ton
particulièrement péremptoire, le Pacte pour la départementalisation, qui n’a fait l’objet
d’aucune publication officielle et dont l’auteur n’est pas identifiable, est un cahier de charges
bien fourni qui doit être observé pendant et après la période transitoire. Il entend, en effet,
tracer les grandes lignes relatives à l’accession de Mayotte au statut de département.
Globalement, le pacte prévoit que « les transferts de compétences, là où la
décentralisation n’a pas été complète, seront engagés ». Il prévoit également la substitution de
la justice locale à la justice républicaine (l’ordonnance du 3 juin 2010 met fin à la justice
« cadiale »). Il impose, à moindre mesure, la maîtrise de la langue française aux mahorais, et à
plus forte mesure l’acquisition d’une « identité incontestable »33 avant l’accès au statut de
département. Ce dernier élément, qu’il conviera de gloser ci-après, a nécessité la création
d’une administration de mission (Commission de Révision de l’Etat-Civil = CREC) qui doit
disparaître à l’aune du département. L’idée étant ici de rompre avec le statut personnel dont
jouissent certains mahorais.
En imposant la disparition du statut personnel comme un préalable à l’érection de
Mayotte en département, n’est-il pas là un moyen d’aller à l’encontre des dispositions des
33
Le choix des mots peut être sujet à débat dès lors que l’expression « identité incontestable » suggère
indubitablement que l’identité locale est contestable. Or celle-ci est tout simplement différente de celle
classiquement utilisée dans l’Hexagone.
Thomas M’SAÏDIE
17
articles 72-3 et 75 de la Constitution. Rappelons en effet que l’article 75 dispose que « les
citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article
34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ». Le Conseil
constitutionnel avait jugé dans sa décision n°2003-474 DC du 17 juillet 2003 « qu’il résulte
de la combinaison de ces dispositions que les citoyens de la République qui conservent leur
statut personnel jouissent des droits et libertés de valeur constitutionnelle attachés à la qualité
de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations34 ».
La position du juge constitutionnel rend très contestable les raisons motivant les
pouvoirs publics à remettre en cause le statut civil de droit local en ce sens qu’ils imposent le
changement de l’état-civil aux mahorais avant l’accès de leur île en DROM. Ils indiquaient
que « cette situation est inacceptable pour l’Etat ». En effet, afin d’inciter les mahorais à
procéder à la modification de leur état-civil, le Pacte pour la départementalisation mettait en
cause la fiabilité du statut personnel des mahorais en mentionnant effectivement que ces
derniers ne disposaient pas « d’un état-civil fiable », et par conséquent ne pouvaient jouir des
droits fondamentaux résultant de la nationalité française. Une telle affirmation méconnait
incontestablement la position du juge constitutionnel dans sa décision du 17 juillet 2003
précitée et par conséquent demeure incompatible à la Constitution.
Il convient de relever par ailleurs que cette période transitoire s’étale, si l’on se réfère
au fameux Pacte pour la départementalisation du 8 janvier 2009, de 1 à 25 ans suivant le
développement économique de l’Île au Parfum. Comme il sera étudié ci-après, le législateur
(organique et ordinaire) reconnait à Mayotte le statut de département à partir du 31 mars
2011, mais ne lui dote pas de tous les moyens juridiques et financiers pour connaître un
fonctionnement analogue aux autres départements. Ainsi, par définition et conformément à
l’article 72-3 de la Constitution un DROM est régi par l’article 73. Bien que le constituant luimême prévoie des « adaptations tenant compte aux caractéristiques et contraintes particulières
de ces collectivités » il n’en demeure pas moins que le principe étant l’application de plein
droit des lois et règlements, et donc l’identité législative. Or l’effectivité de ce principe à
Mayotte demeure assez discutable sur le plan fonctionnel tant il y a plus d’exceptions que
d’applications de plein droit des textes législatifs et réglementaires. Autrement dit, il y a plus
34
Décision n°2003-474 DC du 17 juillet 2003 sur la loi de programme pour l’outre-mer, JO du 22 juillet 2003, p.
12336 (Cons. 29).
Thomas M’SAÏDIE
18
que des simples adaptations au sens de l’article 73 qui sont mis en pratique dans ce nouveau
département.
Une situation similaire a déjà nécessité l’intervention du juge constitutionnel dans sa
décision n°82-147 DC du 2 décembre 1982 qui a pris le soin de préciser que « le statut des
départements d’outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la
seule réserve des mesures d’adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de
ces départements d’outre-mer ». Le Conseil constitutionnel souligne que « ces adaptations ne
sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d’outre-mer une organisation
particulière, prévue par l’article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d’outre-mer35 ».
Le principe d’identité législative s’applique sur l’Île d’une manière progressive et
adaptée. Mayotte demeure donc régie, dans certains domaines, par les dispositions de l’article
74 de la Constitution36. Or l’article 74 entend encadrer seulement et essentiellement les autres
territoires ultra-marins non-départementalisés conformément à l’article 72-3 de la
Constitution. Par conséquent Mayotte reste soumise au principe de spécialité législative alors
35
Décision n°82-147 du 2 décembre 1982 sur la loi portant adaptation de la loi n°82-213 relative aux droits et
libertés des communes, des départements et régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la
Réunion, JO du 4 décembre 1982, p. 3666 (cons.4).
36
Voir le Considérant 4 de la décision n°2010-619 DC du 2 décembre 2010 sur la loi organique relative au
Département de Mayotte. « Considérant que l'article 2 de la loi organique abroge les dispositions organiques du
code général des collectivités territoriales relatives à la procédure de référé−suspension ouverte aux membres du
conseil général de Mayotte ou des conseillers territoriaux de Saint−Barthélemy, de Saint−Martin et de
Saint−Pierre−et−Miquelon ; qu'il abroge également, à compter de la première réunion suivant le renouvellement
partiel de l'assemblée délibérante de la collectivité départementale de Mayotte en 2011, les dispositions
organiques du même code prises sur le fondement de l'article 74 de la Constitution ; que, s'il maintient en
vigueur, jusqu'au 1er janvier 2014, certaines de ces dispositions, cette mesure transitoire, dérogeant au
droit commun, a pour seul objet de permettre à la collectivité de Mayotte de passer du régime de l'article
74 à celui de l'article 73 sans interruption de sa gestion ; qu'eu égard à sa portée limitée et à son caractère
non renouvelable, elle n'est pas contraire à la Constitution ; que, conformément à l'article 72 de la Constitution,
les dispositions en cause pourront être modifiées par le législateur ordinaire dès la mise en place du Département
de Mayotte ; que l'article 2 n'est pas contraire à la Constitution ». En condensé, même si l’article 2 de la loi
organique du 7 décembre 2010 abroge les dispositions organiques prises sur le fondement de l’article 74C, il
n’en demeure pas moins que certaines de ces dispositions sont tout bonnement maintenues. Ce qui contredit
sensiblement la position d’Olivier Gohin qui soutient que « dans une collectivité territoriale de l'article 73,
comme Mayotte, à partir du 31 mars 2011, il n'y a pas de principe d'identité et des exceptions de spécialité : il y a
l'identité et des adaptations, voire des dérogations plus ou moins fortes à cette identité (…) » ; Olivier Gohin,
« La départementalisation de Mayotte », La Semaine Juridique Administration et Collectivités territoriales n°3,
17 janvier 2011, p.5. Il y a réellement des exceptions relevant de la spécialité législative qui restent en vigueur
dans ce nouveau département.
Thomas M’SAÏDIE
19
même qu’il s’agit là d’un département sur le plan juridique à partir du 31 mars 201137. Le
juge constitutionnel dans sa décision n°2010-619 DC du 2 décembre 2010, justifie cette
particularité en indiquant que le maintien en vigueur, jusqu’au 1 er janvier 2014, de certaines
dispositions organiques du CGCT qui sont censées être abrogées « à compter de la première
37
Pour être exact, l’idée avancée par les autorités publiques locales et nationales selon laquelle Mayotte serait un
département depuis le 31 mars 2011 présente quelques failles qu’il convient de gloser. En effet, elle semble en
décalage avec la pratique effective de la règle du quorum. La règle du quorum impose la présence physique de
deux tiers de ses membres pour pouvoir délibérer, sans quoi la réunion « se tient de plein droit trois jours plus
tard ». (art. L 3122-1 du CGCT). Or tous les élus de la majorité présidentielle (UMP) n’étaient pas présents lors
de la réunion du 31 mars 2011. Leur absence a eu pour conséquence l’impossibilité de constituer le quorum. Le
doyen d’âge, conformément aux règles prévues dans le CGCT, après avoir constaté que le quorum n’était pas
atteint au début de la séance a mis fin à celle-ci. Les élus de l’opposition ont continué la réunion élisant ainsi à
titre symbolique le plus jeune membre qui faisait, par ailleurs office de secrétaire.
Suite à cette réunion du 31 mars 2011, Marie-Luce Penchard, ministre de l’outre-mer, et Hubert
Derache, préfet de Mayotte, ont déclaré que le département était bel et bien effectif. Cette information sera
relayée par les médias locaux et nationaux notamment Le Figaro du 31 mars 2011 qui mentionne que « l’île
devient officiellement le 101ème département français ce jeudi, malgré le report de l’élection du président de son
conseil général ». Une telle affirmation peut-elle être justifiée par le seul fait que la réunion a eu lieu ?
Autrement formulé, l’ouverture de la réunion suffit-elle à rendre effectif le « Département de Mayotte »?
Ces questions ne peuvent recevoir nécessairement qu’une réponse négative étant donné que le quorum
conditionne le déroulement de la réunion suivant le renouvellement de l’assemblée délibérante. Autrement dit
une réunion ne peut avoir lieu sans la présence de ce quorum et ce d’autant que ce dernier doit être vérifié avant
celle-ci. La régularité d’une telle réunion est remise en cause (TA, Amiens, 9 février 1988, Gainec c/ Cne de
Oissy : Lebon T.653). Le Conseil d’Etat a en effet, estimé que « le quorum doit être atteint au début de la séance
qui ne peut être régulièrement déclarée ouverte qu’après vérification du quorum » (CE, 23 mars, 1988, Lefèvre,
req. n° 89992 : Lebon 293 ; Voir également CE, ass., 11 décembre 1987, Election du président du Conseil
régional de Haute-Normandie, le Vern c/ Fossé, req. n°77054 : Lebon 415). L’analyse menée par Jean-Pierre
Courtejaire et Michel Verpeaux va également dans ce sens ; Jean-Pierre Courtejaire et Michel Verpeaux,
« L’élection des présidents des assemblées locales et le quorum », AJDA 2004, p. 954.
Cette exigence est d’autant plus importante qu’en cas de suspension de séance, le juge impose la
vérification du quorum à la reprise de celle-ci (CE 4 novembre 1936, El. De Plestant : Lebon 956), « sauf s’il ne
s’agit que d’une courte interruption de séance de pur fait » (CE, 18 novembre 1931, Leclert et Lepage).
Dans la mesure où la présence de 2/3 des Conseillers généraux est la condition sine qua non pour que le
doyen d’âge puisse procéder à l’ouverture régulière de la séance, en vertu de la règle du quorum, on peut
considérer, à juste titre que la réunion qui s’est déroulée le 31 mars 2011 à l’hémicycle Younoussa BAMANA
n’a pas permis de rendre effectif le « Département de Mayotte ». En effet, celle-ci ne pouvait valablement être
déclarée au regard des jurisprudences Lefèvre, le Vernc/Fossé. Par conséquent, il convient de répondre à
Monsieur le Préfet Hubert Derache et Mme la Ministre de l’outre-mer Marie-Luce Penchard, que le
département n’est valablement effectif qu’à partir du 3 avril 2011 lors de l’élection du président du Conseil
général.
En définitive, le « Département de Mayotte » n’a pas pu être légalement constitué lors de cette première
réunion qui a suivi le renouvellement de l’assemblée délibérante en date du 31 mars 2011. En réalité, bien que
matériellement la réunion ait eu lieu, elle ne saurait être regardée comme étant régulière à la lumière des
jurisprudences précitées dès lors que son déroulement demeure profondément subordonné au respect de la règle
du quorum.
Thomas M’SAÏDIE
20
réunion suivant le renouvellement partiel de l’assemblée délibérant de la collectivité
départementale de Mayotte en 2011 » constitue « une mesure transitoire, dérogeant au droit
commun » ayant « pour seul objet de permettre à la collectivité de Mayotte de passer du
régime de l’article 74 à celui de l’article 73 sans interruption de sa gestion38 ».
L’Île de Mayotte continue donc à hériter de la spécialité législative en dépit de la
reconnaissance juridique de son statut de département. Elle se trouve en effet, dans une
situation d’ « hermaphrodisme » constitutionnel en ce sens qu’elle est soumise aussi bien au
principe d’identité législative qu’au principe de spécialité législative. Le système fiscal reste
particulièrement révélateur puisqu’il est soumis au principe de spécialité législative, ce qui est
en totale contradiction avec ce que prévoyait l’accord de 2000. Ainsi l’accord sur l’avenir de
Mayotte de 2000 mentionnait la modernisation du système fiscal et douanier en se
rapprochant de celui de l’Hexagone et des autres DROM dès le 1er janvier 2008. Or le Pacte
pour la départementalisation de Mayotte relève qu’il existe des difficultés pratiques, justifiant
donc que « la loi, en 2007, a dû repousser l’échéance de l’identité fiscale au 1er janvier
2014 ». L’article 11 de la loi n°2010-1487 du 7 décembre 2010 relative au Département de
Mayotte dispose que « le code général des impôts et les autres dispositions de nature fiscale
en vigueur dans les départements et régions d’outre-mer sont applicables à Mayotte à compter
du 1er janvier 2014 ». Le code des douanes est également « applicable à Mayotte à compter du
1er janvier 2014 ».
Plusieurs domaines sont par conséquent soumis à une phase transitoire, notamment les
« domaines de la fiscalité, de la propriété immobilière et de l’urbanisme, de la protection
sociale, du droit syndical, du droit de travail, de l’entrée et du séjour des étrangers, ainsi que
des finances communales ».
En définitive, force est de convenir qu’aucun territoire n’a à ce jour été soumis à un
régime transitoire avant son accession effective au statut de département. Les différents
exemples du passé nous permettent d’appuyer cette thèse. En effet, la loi de 1946 a érigé les
quatre villes colonies en département sans conditions préalables, tout comme la loi du 19
juillet 1976 avait érigé Saint-Pierre-et-Miquelon en statut de département39, là aussi sans
38
Décision n°2010-619 DC du 2 décembre 2010 sur la loi organique relative au Département de Mayotte (Cons.
4).
39
Loi n°76-664 du 19 juillet 1976 relative à l’organisation de Saint-Pierre-et-Miquelon, JORF du 20 juillet 1976,
p. 4323.
Thomas M’SAÏDIE
21
conditions préalables. On peut également évoquer l’exemple des Saint-Martin et SaintBarthélemy qui ont vu leur statut constitutionnel évolué sans conditions préalables. Ces deux
territoires sont passés du statut de département au statut de collectivité outre-mer régis par
l’article 74 en vertu de la loi organique du 21 février 2007 40 sans observer une quelconque
période transitoire. Mayotte constitue, en n’a pas douté, la seule collectivité qui reste soumise
à un régime transitoire. A cet égard le rapport Jacques Foch du 29 mars 2001 est synonyme de
limpidité en ce qu’il mentionne que « la mise en œuvre du statut de collectivité
départementale doit ouvrir une période transitoire pendant laquelle Mayotte aura la possibilité
de se rapprocher le plus possible du droit commun de la République dans tous les secteurs 41 ».
Par conséquent elle demeure soumise au respect d’un calendrier particulièrement critiqué (par
les élus locaux) et critiquable, eu égard à l’analyse qui précède. La CREC, à qui revient la
lourde tâche de doter la population de Mayotte d’une « identité incontestable » doit, par
exemple, achever ses travaux de révision de l’état-civil avant la fin du mois d’avril 201142.
Au demeurant la soumission de cette île au respect d’un programme particulier avant
son érection au statut de DROM, prolonge le régime transitoire dans lequel ce territoire est
inextricablement enlisé depuis quelques décennies. Le maintien et la mise en vigueur d’un
certain nombre de mesures qui ne sont plus appliquées ou qui n’ont encore jamais été
appliquées dans une autre collectivité territoriale en font une parfaite collectivité
départementale expérimentale.
B) Une parfaite collectivité départementale expérimentale
L’un des éléments les plus frappants pour un juriste, une fois à Mayotte, c’est la
particularité remarquable dont hérite cette île d’un point de vue fonctionnel. Il faut remonter à
la période marquée par les vicissitudes qui ont jalonné cette île à la suite de l’accession des
40
Loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à
l’outre-mer, JORF du 22 février 2007.
41
Voir le rapport (AN) n°2967 de Jacques Floch du 29 mars 2001 sur le projet de loi n°2932 relatif à Mayotte, p.
19.
42
Afin de s’assurer que la CREC pourra honorer ses travaux dans le délai qui lui est imparti, le législateur a
assoupli les règles relatives au fonctionnement de cette administration de mission, tout en insérant une limitation
dans le temps de la possibilité de la saisir. Cette possibilité fait obstacle à toute saisie de la CRECE depuis le 31
juillet 2010. Voir en ce sens, l’article 57 de la loi n°2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement
économique des outre-mer (LODEOM), JORF n°0122 du 28 mai 2009, p. 8816.
Thomas M’SAÏDIE
22
îles voisines à la pleine souveraineté internationale pour mieux cerner en quoi Mayotte
demeure une terre d’expérimentation juridique. En effet, suite à l’accession des Comores à
l’indépendance, la loi n°75-1337 du 31 décembre 1975 prévoit la consultation des mahorais si
une majorité des suffrages exprimés manifestait son maintien au sein de la République. La
consultation interviendra le 8 février 1976, et conformément à la loi du 31 décembre 1975, les
mahorais manifestent leur souhait (63,8%) de voir l’île au Lagon érigé en statut de
département, en refusant le maintien du statut de territoire d’outre-mer hérité de la IVème
République.
L’Île de Mayotte se voit donc dotée d’un statut provisoire par la loi du 24 décembre
1976 après la consultation de février 1976 qui s’est soldée par une majorité de 99,4% en
faveur du maintien de l’Île au sein de la République. Dès lors vont se succéder une série
d’expérimentation faisant de ce territoire ultra-marin une terre d’expérimentation par
excellence43.
In globo, il s’agit des textes ou institutions qui ont montré leur faille dans l’Hexagone
et de ce fait ne sont plus appliqués, mais qui trouvent une autre vie à Mayotte. Ce qui a pour
conséquence de sombrer cette île, tant protégée par Younoussa Bamana, Zaïna M’déré et bien
d’autres figures emblématiques, dans la situation qu’était la France dans les années soixantedix. Il peut s’agir également des textes et institutions inédits qui sont appliqués seulement à
Mayotte dont certaines sont justifiées par le principe de la spécialité législative. On peut, en
guise d’illustration, évoquer l’existence à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon d’un
Tribunal supérieur d’appel qui dispose des compétences comparables à celles des cours
d’appel situées dans le reste de la France, y compris l’outre-mer. Pourquoi ne pas l’appeler
simplement une cour d’appel, comme les autres, d’autant que la définition donnée par le
ministère de la justice semble admettre que cette juridiction correspond « en métropole à la
cour d’appel »? On peut également se référer à la création de la Commission de révision
d’état-civil (CREC), qui a pour objet de revoir en profondeur l’identité locale des mahorais.
Il existe donc une kyrielle d’expérimentations qui sont toujours d’application à
Mayotte, mais dans le cadre de cette étude, nous retiendrons trois séries d’expérimentation.
43
On peut évoquer, en guise d’illustration, le seul cas connu sous la Vème république d’un préfet élu et non
nommé par décret présidentiel. En effet, Younoussa Bamana a été le seul préfet élu qu’a connu l’histoire de la
Vème République.
Thomas M’SAÏDIE
23
Première expérimentation notable, c’est le statut lui-même qui n’a jamais existé
auparavant. Un statut sur mesure dont le fondement est l’article 72 de la Constitution va être
octroyé à cette collectivité. La loi n°76-1212 du 24 décembre 1976 précitée va en effet doter
Mayotte d’un statut sui generis, qui va connaître un fonctionnement administratif atypique.
On notera au passage la précision du législateur du 22 décembre 1979 selon laquelle « l’île de
Mayotte fait partie de la République française et ne peut cesser d’y appartenir sans le
consentement de sa population ». Une antienne qui sonne bien à Mayotte et qui a le mérite de
rasséréner la population locale, tout en permettant au gouvernement d’adopter une attitude
très critiquable dans l’absolue mais qui ne sera pas décriée par les mahorais.
Cette précision introduite par le législateur semble particulièrement superfétatoire dès
lors que l’appartenance de Mayotte à la République a été verrouillée par le constituant de
1958. En effet, l’article 53 de la Constitution verrouille définitivement l’appartenance des
outre-mers au sein de la République dans la mesure où il dispose que « nulle cession, nul
échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations
intéressées ». Le Conseil constitutionnel souligne sans équivoque dans sa décision n°75-59
DC du 30 décembre 1975 que « l'île de Mayotte est un territoire au sens de l'article 53 ». Et
par conséquent, ainsi qu’a jugé le Conseil des sages, « cette île ne saurait sortir de la
République française sans le consentement de sa propre population44 ».
Mais comme à l’accoutumée, dire au mahorais que Mayotte ne cessera d’appartenir à
la France sans leur consentement ou pour reprendre la formule du président de la République
Nicolas Sarkozy qu’ils sont « français depuis 1841, c’est-à-dire depuis plus longtemps que
Nice ou que la Savoie » et qu’il faille pour cela « faire la départementalisation », constitue
une éloquence tribunitienne et donc un moyen subtile pour les gouvernements d’haranguer la
population. Derrière ce laïus on peut y voir une manœuvre politicienne visant à assurer une
majorité de suffrages lors des prochaines échéances électorales, comme le démontre assez
clairement le discours du sénateur Soibahadine Ibrahim. Celui-ci martelait sans ambages, en
parlant de la départementalisation de Mayotte initiée par le président de la République, que
« Nicolas Sarkozy n’était pas obligé de le faire si l’on se réfère à la pratique de ses
prédécesseurs depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, aucun d’entre eux n’a
respecté les termes de la loi de 1976 et de 1979. S’il l’a fait c’est qu’il attend le retour de
44
Décision n°75-59 DC du 30 décembre 1975, sur la loi relative aux conséquences de l’autodétermination des
îles des Comores, JO du 3 janvier 1976, p. 182.
Thomas M’SAÏDIE
24
l’ascenseur ». Il faut que les « mahorais lui accordent majoritairement leurs suffrages en 2012,
s’il est candidat à sa propre succession à la Présidence de la République ».
Une deuxième expérimentation peut être soulevée, il s’agirait du fonctionnement
atypique des administrations mahoraises et l’instauration des mesures qui ne sont plus
d’application dans l’Hexagone. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut évoquer deux
exemples patents, la patente et le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti).
S’agissant de la patente, elle constitue une taxe issue de l’article 7 des lois du 2-17 mars 1791,
connu sous le nom du décret d’Allarde instituant le principe de la liberté du commerce et de
l’industrie. Ce texte, de portée fiscale, va établir le droit de la patente qui sera supprimé par la
suite par la loi du 29 juillet 1975. Or cette loi sera ressuscitée à Mayotte et connaîtra une
application effective pendant quelques temps, puisqu’elle est toujours en vigueur à ce jour. En
ce qui concerne le SMIG, celui-ci a été instauré le 11 février 1950 et remplacé par le SMIC
(Salaire minimum interprofessionnel de croissance) le 2 janvier 1970 lequel s’applique sur
tout le territoire métropolitain, dans les DROM et dans les collectivités d’outre-mer de SaintBarthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il ne s’applique donc pas à
Mayotte. Cette dernière se voit imposer le SMIG qui constitue un régime obsolète et
particulier justifiant ainsi les écarts des salaires entre l’Hexagone et l’Île au Parfum.
Troisième expérimentation, il conviendra d’évoquer le statut transitoire introduit en
2001 qui va, certes aboutir à un statut stable, mais qui là encore va constituer une première
pour la République française. En effet, si la loi organique du 7 décembre 2010 érige cette
collectivité territoriale en « Département de Mayotte », il n’en est pas moins vrai que l’Île va
constituer la première collectivité territoriale unique substituant ainsi à un département et à
une région d’outre-mer. L’Île de Mayotte « sera la première à devenir département et région
sous forme d’une collectivité unique ». Une manœuvre qui est prévue par la révision
constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi organique du 1er août 2003 relative à
l’expérimentation par les collectivités territoriales. Mais c’est essentiellement la loi n°20101563 du 16 décembre 2010 (Art. L. 4124-1) sur la réforme des collectivités territoriales qui
va encadrer cette possibilité en ce qu’elle précise qu’ « une région et les départements qui la
composent peuvent, par délibérations concordantes de leurs assemblées délibérantes,
demander à fusionner en une unique collectivité territoriale exerçant leurs compétences
respectives ». Il s’agit ici des régions et départements métropolitains. S’agissant de l’outremer c’est l’article 73, dernier alinéa qui va encadrer cette faculté. En effet, aux termes de
l’article 73 de la Constitution, « la création par la loi d’une collectivité se substituant à un
Thomas M’SAÏDIE
25
département et une région d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique
pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues
au second alinéa de l’article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces
collectivités45 ».
Il résulte de ces dispositions que la transformation d’un DROM en collectivité unique
est strictement subordonnée au consentement de la population. Que s’est-il passé pour
Mayotte ? Comment s’est-elle retrouvée à expérimenter en avant-première cette réforme sur
les collectivités territoriales ? Pour mieux répondre à ces questions, il convient de situer le
propos dans le contexte du 29 mars 2009. Il s’agit là d’une date fatidique, historique pour les
mahorais puisqu’elle marque la dernière consultation de la population sur la transformation de
Mayotte en département.
Conformément à l’accord sur l’avenir de Mayotte et au Pacte pour la
départementalisation, les mahorais ont été appelés à se prononcer sur l’avenir institutionnel de
leur île. Il s’agit tout simplement de la mise en œuvre de l’article 72-4 de la Constitution qui
prévoit qu’ « aucun changement, pour tout ou partie de l’une des collectivités mentionnées au
deuxième alinéa de l’article 72-3, de l’un vers l’autre des régimes prévus par les articles 73 et
74, ne peut intervenir sans que le consentement des électeurs de la collectivité ou de la partie
de collectivité intéressée ait été préalablement recueilli dans les conditions prévues à l’alinéa
suivant. Ce changement de régime est décidé par une loi organique ».
La difficulté qui s’est présentée pour le cas de Mayotte est que le gouvernement s’est
certes plié au respect de la volonté du constituant en consultant les mahorais sur leur avenir
institutionnel, mais a introduit adroitement une autre question en même temps. En sachant
pertinemment que les mahorais allaient massivement approuver le statut de département (plus
de 95% ont dit oui), le gouvernement a saisi l’occasion pour faire d’une pierre deux coups, en
leur soumettant en même temps à la question sur la transformation du DROM en collectivité
unique. Ainsi, en répondant oui au changement de Mayotte en département, ils répondent
également oui à la transformation de ce nouveau département en collectivité unique. La
question du référendum est ainsi formulée : « approuvez-vous la transformation de Mayotte
en une collectivité unique appelée « Département », régie par l’article 73 de la Constitution,
exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d’outre-mer ? ».
45
Voir également la décision n°2010-618 DC du 9 décembre 2010 sur la loi de réforme des collectivités
territoriales, JO du 17 décembre 2010, p. 22181 (cons. 18).
Thomas M’SAÏDIE
26
Une lecture stricte des dispositions de l’article 72-4 (al.1 et 2) sur lesquelles se fondent
le référendum de mars 200946, permet de remettre en cause ce choix de regrouper deux
questions en une seule en ce sens qu’il semble souffrir d’incompatibilité à la Constitution. En
effet, l’article 72-4 subordonne le passage d’un régime à un autre au consentement de la
population, mais prévoit une seule consultation qui doit porter sur une seule des matières
visées à l’alinéa 2 (« une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son
régime législatif »). A cet égard le passage précisant que « lorsque la consultation porte sur un
changement prévu à l’alinéa précédent », conforte cette idée selon laquelle la consultation de
mars 2009 est incompatible à la Constitution, au regard des dispositions de l’article 72-4,
nonobstant l’avis du Conseil d’Etat du 8 juillet 2009.
L’opportunité d’un tel choix peut également être remise en cause. Si, l’avis du Conseil
d’Etat du 8 juillet 2009 souligne qu’« aucune règle, ni aucun principe de valeur
constitutionnel, ne fait cependant obstacle à ce que ce double consentement soit recueilli au
travers d’une question unique portant sur celui des régimes d’application de l’article 73 retenu
par le Président de la République en application du second alinéa de l’article 72-4 de la
Constitution », il aurait été, en effet, plus judicieux et opportun de soumettre à la population
mahoraise à « deux questions distinctes, la première portant sur le passage à l’article 73 de la
Constitution et la seconde sur l’organisation institutionnelle proposée47 ». Certains élus locaux
à l’instar de l’ancien président du Conseil général Saïd Omar Oili n’ont pas eu le sentiment
que « le respect des exigences de clarté et de loyauté régissant toute consultation
référendaire » ait été rempli, nonobstant la position du Conseil d’Etat qui estime l’inverse.
D’ailleurs la campagne électorale était catégoriquement et strictement axée sur le statut de
département, aucun élu (local ou national) ne soulevait l’autre partie de la question, comme si
elle était inexistante48.
46
Il ne pouvait en être autrement puisque le dernier alinéa de l’article 73 n’encadre que la procédure référendaire
réservée exclusivement aux DROM.
47
Voir l’avis du Conseil d’Etat sur la Consultation de Mayotte, du 8 janvier 2009, qui soulevait cette
interrogation.
48
Seul le statut de département faisait la « une » dans les médias locaux. On notera également qu’il n’y a eu
aucun débat contradictoire durant cette campagne électorale. A cet égard, la position du président du Conseil
général Ahmed Attoumani Douchina devant les médias locaux, à la suite du dépôt de la résolution du Conseil
général du 18 avril 2008 à Paris visant à la transformation de Mayotte en département, peut extrêmement
surprendre. Celui-ci martelait en effet, que « la campagne pour le oui est déjà lancée ».
Thomas M’SAÏDIE
27
Ce choix de regrouper les deux questions en une seule est d’autant plus
incompréhensible pour les mahorais que le gouvernement, dans des conditions analogues, a
soumis à la Martinique et à la Guyane à deux référendums distincts. L’un portant sur leur
passage à l’article 74 de la Constitution, l’autre sur la transformation de ces deux DROM en
collectivité unique49.
Au-delà de ces considérations, les pouvoirs publics n’en ont pas moins entendu
imposer à Mayotte une expérimentation de nouveau genre. La nouvelle collectivité unique de
Mayotte soumise au régime de l’article 73, portant le nom de « Conseil général de Mayotte »
se veut être précurseur (Martinique et Guyane vont devenir Collectivité unique suite au
référendum de janvier 2010) et exercera les compétences dévolues au Conseil général (au
département) mais également au Conseil régional (à la région).
La difficulté insurmontable qui se pose dans ce dernier cas est qu’à la lecture des
dispositions de l’article 73 de la Constitution, la transformation de deux collectivités, que sont
le département et la région, en une collectivité unique suggère que ces deux collectivités aient
existé auparavant. Or Mayotte n’a jamais été un département et encore moins une région pour
pouvoir être soumise d’une manière drastique à la procédure prévue au dernier alinéa de
l’article 73C. Par conséquent d’un point de vue purement juridique la « Collectivité
départementale » ne pouvait se substituer à un département et une région à travers la création
d’une collectivité unique sans être frappée d’incompatibilité à la Constitution.
Mayotte demeure donc une sempiternelle terre d’expérimentation juridique, qui
parvient parfois à inspirer les autres collectivités ultra-marines, mais dont la structure incite à
rester dans l’expectative.
Nonobstant qu’elle connaisse un fonctionnement identique à celui réservé aux autres
départements, Mayotte demeure une collectivité départementale jusqu’au 31 mars 2011. Une
collectivité territoriale qui a l’apparence d’un département sans réellement avoir la
49
Le 10 janvier 2010 la Guyane et la Martinique devaient répondre à la question « Approuvez-vous la
transformation de la Guyane (ou Martinique) en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la
Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la
République ? ». La population de ces deux collectivités territoriales a répondu massivement "non" à cette
question (plus de 70% en Guyane et plus de 78% en Martinique pour le non). Le Gouvernement, à la suite de la
réponse négative à ce référendum, a soumis à ces deux DROM un autre référendum portant cette fois-ci sur leur
transformation en collectivité unique. « Approuvez-vous la création en Guyane d’une collectivité unique
exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 de la
Constitution ». A cette question la population des deux Île de l’Océan Atlantique ont répondu oui.
Thomas M’SAÏDIE
28
fonctionnalité d’un département, telle se résume la situation particulière de Mayotte jusqu’au
31 mars 2011. On peut même indiquer sans crainte qu’il s’agit en réalité d’une collectivité
départementale expérimentale, qui doit à terme laisser place à un département au sens de
l’article 73 de la Constitution.
En définitive la situation assez inédite dans laquelle se trouve Mayotte permet non
seulement d’affirmer que ce territoire se trouve dans une phase perpétuellement transitoire,
mais aussi d’avancer que la particularité territoriale peut imposer (à une moindre mesure) au
constituant un comportement adapté. La particularité du « Département de Mayotte », qui
peut résider dans son appellation, ne gomme pas totalement le sentiment mitigé que ce statut
provoque. D’une part l’on a tendance à assigner un dessein autre que celui qui doit être celui
d’un département français, comme l’a fait maladroitement Michèle Alliot-Marie à la veille du
référendum du 29 mars 2009 en précisant « que la départementalisation avait pour but de
conforter la place de Mayotte dans la République ». Une place, rappelons-le, qui est garantie
d’une manière infrangible par le constituant, indépendamment du statut constitutionnel de
l’Île. D’autre part les élus locaux se sont longuement laissé émouvoir, sinon bercer par les
effets d’une sorte de "main invisible", pour reprendre l’expression d’Adam Smith, qui
pourrait résorber les difficultés (juridiques, politiques, économiques et sociales) existant
actuellement sur le territoire, par un geste automatique, naturel provoqué par la seule
départementalisation de Mayotte. Autant admettre, une telle attitude conduirait probablement
ce 101ème département et 5ème DROM à une apoplexie foudroyante et donc à un échec
regrettable rappelant les mauvais souvenirs de l’expérience de Saint-Pierre-et-Miquelon50
(1976-1985).
Si le statut de département conféré à ce territoire ultra-marin marque irréfragablement
« la fin d’un combat souvent difficile, tout en ouvrant une phase nouvelle », il n’est dès lors
pas surprenant que sa réussite demeure tributaire à l’implication nationale et locale dans sa
construction. Seule, en effet, une implication accentuée et appropriée des uns et des autres
pourrait sortir Mayotte de sa perpétuelle phase de transition en permettant à cette Île de
conquérir une place louable sur le plan national voir même sur le plan de l’Union (Mayotte
50
Ce territoire ultra-marin a été érigé en département d’outre-mer par la loi du 17 juillet 1976 malgré
l’opposition de la population locale. Un statut qui s’est avéré inadapté aux réalités locales et qui a été mal
accueilli par la population locale parce qu’il suggérait l’application contraignante du régime douanier de l’Union,
rendant donc improbable la relation de cette Île avec le Canada. L’échec de ce statut a précipité le gouvernement
à doter ce territoire de l’ancien statut de TOM dont il héritait auparavant.
Thomas M’SAÏDIE
29
étant l’un des 6 PTOM51 les plus pauvres). Ce faisant, il conviendra, en définitive de tirer
profit des mécanismes juridiques et économiques prévus en droit national et sortir ce territoire
de sa phase transitoire, pour pouvoir prétendre tirer profit des mécanismes, pour le moins
contraignants, prévus en droit de l’Union, lors de l’éventuelle érection de Mayotte en statut de
RUP52 (région ultrapériphérique).
Bibliographie :
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PUF, 1992.
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Revue juridique et Politique des Etats francophones, 2006-1, pp. 41-49.
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1841-2000, L’Harmattan, 531p.
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Novembre 2009.
-Diémert (S.), « Le droit de l’outre-mer », Pouvoir 2005/2, n° 113, p. 101-112.
51
Les Pays et territoires outre-mer (PTOM) désignent les territoires qui sont seulement associés à l’Union et
relevant de la souveraineté d’un Etat membre.
52
Une possibilité qui est ouverte par l’article 355, paragraphe 6 TFUE qui introduit une clause passerelle
permettant le passage du statut de PTOM au statut de RUP et inversement, sans la révision du traité. Voir
également Rakotondrahaso Faneva, « Mayotte, le statut de pays et territoire d’outre-mer de l’Union : un pisaller ? » Revue juridique de l’Océan Indien, Novembre 2009, pp. 73-91.
Thomas M’SAÏDIE
30
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-« L’évolution du statut de Mayotte au sein de la République française : aspects
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Thomas M’SAÏDIE
31
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