APPRENDRE A LIRE ET ECRIRE Conférence de Gérard Chauveau,

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APPRENDRE A LIRE ET ECRIRE Conférence de Gérard Chauveau,
APPRENDRE A LIRE ET ECRIRE
Conférence de Gérard Chauveau,
Saint Samson sur Rance, mercredi 5 mars 2004
Cela fait 45 ans que je sévis dans l’Education Nationale, puisqu’il y a 45 ans j’étais instituteur de classe de fin
d’études en région parisienne. C’est quasiment la préhistoire… J’ai travaillé pendant 25 ans comme chercheur à
l’INRP, entre 1976 et le début des années 2000. Là, j’essaie de me retirer progressivement. C’est difficile et, ce
matin, j’interviens avec une double casquette :
Celle de chercheur : je vais vous présenter des travaux de recherche. Il est difficile de résumer, en une
heure, vingt années de recherche sur la lecture, menées avec ma collègue préférée, Eliane Rogovas Chauveau. Vous m’excuserez si c’est trop rapide : on n’aura pas le tem ps de creuser un certain nombre de
points qui mériteraient qu’on y consacre des journées… Je précise d’entrée que le point de vue que je vais
adopter peut vous surprendre un peu, parce que ce n’est pas un point de vue directement pédagogique, ce
n’est pas directement votre point de vue à vous : c’est le point de vue du psychologue de la lecture, c’est le
point de vue de la psychologie du développement du langage écrit chez l’enfant, et c’est donc le point de vue
de la psychologie de l’enfant apprenti lecteur. Mes propos vont être centrés sur le point de vue de l’enfant.
C’est seulement dans un deuxième temps que j’évoquerai le point de vue de l’éducateur, du pédagogue, de
l’enseignant. Il me semble que c’est intéressant pour des enseignants de mieux connaître, de mieux
comprendre ce qu’il y a « dans la tête » des enfants, les comportements et le fonctionnement mental des
jeunes enfants (entre 5 et 7 ans environ) face à l’écrit ou avec l’écrit. Voilà sur quoi ont porté nos recherches.
Celle d’auteur aux éditions Retz, où j’ai publié un certain nombre d’ouvrages : « Comment l’enfant devient
lecteur » en 1997, « Comprendre l’enfant apprenti lecteur » avec une dizaine d’autres chercheurs en
psychologie de la lecture écriture, « Comment réussir en ZEP ? » sur la question de la politique d’éducation
prioritaire.
Je signale aussi que je me suis intéressé aux retombées pratiques de ces travaux de recherche, aux
applications pédagogiques, puisque j’ai co-fabriqué une méthode de lecture pour le CP : « Mika », également
aux éditions Retz, avec deux maitresses de CP. Deuxième application pratique : c’est une action périscolaire
d’aide à la lecture écriture, pour des enfants de CP fragiles sur le plan de la culture écrite, qui est mise en
œuvre par des municipalités en collaboration étroite avec l’Education Nationale. Cela suggère que toutes les
réponses ne se trouvent pas qu’au sein de l’école, du temps strictement scolaire ; une partie des réponses
peuvent se trouver aussi autour de l’école, dans le cadre des activités périscolaires mises en place par des
municipalités ou des associations. Cela s’appelle les Clubs « coup de pousse » en lecture/écriture ; cela
existe dans une quarantaine de villes à travers la France…
-o-o-o-oJe vais essayer de vous parler de l’histoire de l’enfant apprenti lecteur, entre 5 ans environ et 7-8 ans. Si on se
place sur le terrain scolaire, cela correspond à peu près aux enfants de cycle 2… L’histoire, c’est à dire l’évolution
des comportements, des compétences, de ce qu’on peut appeler le savoir lire chez l’enfant et l’accès progressif
aux pratiques de la lecture (J’entends les pratiques sociales et culturelles et pas seulement de la pratique
strictement scolaire de type manuel.).
Quand peut-on dire qu’un enfant commence à lire et à écrire ?
Il est important de signaler qu’il n’y a pas une définition éternelle et définitive de l’activité de lecture et du savoir
lire. On déclarait au milieu du 19e siècle comme personne sachant lire et écrire, une personne qui était capable
de signer au bas d’un document plus ou moins officiel… C’était un des critères largement utilisé il y a un siècle et
demi. C’est encore un critère souvent utilisé par les historiens.
Je rappelle aussi que, jusqu’au milieu du 19 e siècle, on appelait lecteurs des enfants qui étaient capables
d’ânonner des petits énoncés écrits en latin, langue qu’ils ignoraient complètement.
Je rappelle ces deux points pour montrer que la lecture en tant qu’activité et le savoir lire en tant que savoir-faire
ou compétence sont des constructions historiques et culturelles ; il n’y a pas un mètre étalon qui permet de
mesurer de manière définitive ce qu’est exactement l’activité de lecture et ce qu’est exactement le savoir lire.
Tout cela a évolué à travers le temps et continuera à évoluer.
Il est important de préciser de quoi on parle lorsqu’on parle de lecture. Pour prendre un exemple d’aujourd’hui, la
définition que donnerait un maitre de CP, la définition que donnerait un professeur de collège, la définition que
donnerait un bibliothécaire, la définition que donnerait un orthophoniste, en moyenne, ne serait pas tout à fait la
même probablement. Il y a des conceptions, des définitions qui bougent à travers le temps en fonction du
contexte culturel, social, technique, économique… L’arrivée de nouvelles technologies telles que l’ordinateur,
internet, le mail… va probablement faire évoluer les activités, les compétences, les savoir-faire dans le domaine
de la lecture. On connaît encore peu de choses là dessus. Mais on peut faire cette hypothèse. Dans les
différentes institutions professionnelles, c’est aussi très mouvant : il n’y a pas de consensus aujourd’hui sur ces
questions là. Il faut le savoir… Ce qui explique en partie un tas de débats, de polémiques, de controverses qui
existent depuis des années, des dizaines d’années…
Notre conception de la lecture (par ex. chez un débutant de 6 ans/6ans et demi, au niveau du CP), si je dois la
présenter en 2 ou 3 mots, est une conception qui est à la fois langagière et culturelle
Si je propose cette définition, c’est qu’elle s’oppose, elle rompt avec d’autres définitions ou d’autres conceptions.
Cela s’oppose, par exemple, avec la définition de la lecture qui a été dominante pendant très longtemps de
manière implicite dans les esprits, et dominante aussi dans les pratiques : la lecture est une activité de
correspondance terme à terme entre une forme graphique et une forme orale. Ce qu’on a tendance à appeler
aujourd’hui l’activité de décodage. La lecture a été conçue comme cela pendant très longtemps et encore quand
on regarde les pratiques des éducateurs aujourd’hui – que ce soit en famille, à l’école, ou dans d’autres lieux par
exemple avec les orthophonistes – majoritairement les pratiques correspondent à cette définition là. On demande
à l’enfant d’oraliser mot à mot un texte ; et vous connaissez tous cette formule « cet enfant sait lire, mais il ne
comprend pas ce qu’il lit », formule qu’on entend encore assez souvent, notamment dans des ZEP… A la fin du
CP, cet enfant va passer au CE1, il sait lire mais il ne comprend pas ce qu’il lit… C’est donc que ce sont des
enfants, en association avec certaines pratiques éducatives ou méthodologiques des adultes, qui ont développé
une certaine compétence, une certaine habileté : mettre en correspondance une forme graphique, un mot, avec
une forme sonore, avec le mot oral correspondant.
Ce n’est pas du tout cette conception de la lecture que je propose : la lecture est une activité de traitement
d’une production langagière, d’un message verbal mis par écrit.
Pour prendre un exemple simple, cela peut être de petits énoncés écrits qui racontent des petites histoires ou de
petits évènements du style « Les deux petits ours sont dans la neige.», « Le chaton noir grimpe sur le mur.»… En
quoi consiste l’activité de l’enfant face à cela ? Si on est dans une définition langagière, le travail de l’enfant
apprenti lecteur consiste premièrement à se poser une question sur le contenu de ce message verbal, de cette
production langagière. Je pourrai dire que si je devais écrire l’acte de lire en terme de processus ou de
mécanisme (pour prendre un vieux mot) je dirais que le premier mécanisme de la lecture ce n’est pas celui
auquel on pense plus ou moins spontanément depuis des siècles, à savoir-faire « B et A, BA » (ce qui relève du
déchiffrage ou du décodage) ; c’est de se poser une question : « Qu’est-ce que cela veut dire ? ».
Malheureusement, un certain nombre d’enfants ne font pas cela. C’est à dire qu’ils n’entrent pas véritablement en
lecture. Il faut quand même rappeler que les chiffres nationaux indiquent grosso modo (même si en Bretagne
vous êtes mieux placés que la moyenne nationale) que 20 à 25 % des enfants en fin de CP ne sont pas lecteurs
ou sont très mauvais lecteurs : cela fait quand même 1 enfant sur 4 ou 5. Ce n’est pas un petit pourcentage ! Il y
a 20 ou 25 % des enfants de CP qui, peut être, ne font pas ce que je suis en train d’évoquer maintenant, c’est à
dire qui n’interrogent pas le contenu du texte écrit qu’ils ont sous les yeux ; ils partent tête baissée dans le
décodage, ce travail de correspondance terme à terme, cette activité d’oralisation de chacun des fragments écrits
que l’on appelle les syllabes ou les mots, peu importe. On pourrait dire que le premier geste mental (cognitif) que
doit faire l’enfant apprenti lecteur, le premier automatisme que les maitres (notamment au CP, mais avant le CP)
devraient déclencher et installer pour les aider à devenir lecteur, c’est de déclencher ce réflexe : « Mais qu’est-ce
que cela veut dire ? ». Comme on travaille, à ce niveau là, surtout des textes narratifs : « Qu’est-ce que cela
raconte ? C’est l’histoire de qui ? Qu’est-ce qui va se passer ? ». Si on a repéré une image avec deux ours ;
« Qu’est-ce qu’ils vont faire ces deux ours là ? ». C‘est le premier geste.
Et le dernier geste, le dernier mécanisme, ou le dernier processus de l’acte de lire, c’est quand l’enfant est
capable de dire « Ah, ça y est, j’ai compris ! » et qu’il est capable de reformuler, c’est à dire de redire à sa façon
le texte écrit qu’il vient de traiter ; « Ah, ça y est, j’ai compris ! » et en me regardant (et non plus en regardant le
livre) « Ca raconte deux petits ours qui sont dans la neige.». On est bien dans une activité langagière. Lire, c’est
traiter un message verbal mis par écrit, un texte ou au minimum une phrase, et être capable de la comprendre et
de la reconstruire, de la redire.
Deuxième partie de la définition : lire est une activité culturelle. Cela veut dire que l’enfant qui devient lecteur,
vers 6–7 ans, est capable de lire pour quelque chose. C’est à dire que le mobile, le « projet de lecteur de
l’enfant », le but, la motivation de l’enfant, c’est « Je lis pour quoi ? » : je lis pour passer un bon moment avec une
belle histoire, je lis pour m’informer, je lis pour savoir ce que j’ai à faire en mathématique, je lis pour acquérir un
certain nombre de nouvelles connaissances sur la vie des dinosaures parce que cela m’intéresse, je lis pour
correspondre avec telle personne, avoir des nouvelles de ma grand-mère… c’est cela que j’appelle activité
culturelle. L’enfant lit pour quelque chose ; il doit avoir une raison de lire, un intérêt.
Cela veut dire que l’enfant doit être capable de traiter des supports différents. Vous le savez bien, au CP vous
avez des enfants qui disent qu’ils sont capables de lire quand c’est le manuel de la classe qu’ils ont entre les
mains ; si on leur met un autre support sous les yeux « Ah, non, ça je ne sais pas le lire ! ». Ce sont des enfants
qui ne sont pas encore entrés dans cette pratique culturelle : lire c’est être capable de lire sur différents supports.
Un enfant lecteur, c’est quelqu’un qui est capable de lire dans un manuel de temps en temps, en histoire, en
sciences, en mathématiques, qui est capable de lire une affiche, la lettre d’un correspondant, te l article dans un
journal, etc…
Voilà notre conception de la lecture, je tenais à le préciser d’entrée de jeu.
-o-o-o-o-oOn peut, à partir de cette conception langagière et culturelle de la lecture, tirer certaines conséquences ou faire
un certain nombre d’hypothèses : nous appliquons cette approche au processus d’acquisition de la lecture chez
l’enfant. Pour comprendre comment l’enfant progresse, évolue dans le monde de l’écrit, nous utilisons le même
type d’approche. C’est à dire que nous disons que l es deux dimensions essentielles de l’acquisition de la lecture
sont d’une part des compétences langagières (et linguistiques) et d’autre part des compétences culturelles
et des pratiques culturelles.
Cela veut dire concrètement que cette conception langagière et culturelle appliquée au processus, à l’évolution
de l’enfant dans le monde de l’écrit s’oppose aussi à d’autres conceptions que nous avons bien connues
(notamment l’école maternelle) dans les années 60 et 70 : c’était la conception psychomotrice de l’entrée dans
l’écrit. C’était l’époque où on parlait des pré requis en lecture ; on disait « Il faut développer un certain nombre
d’habiletés psychomotrices, perceptivo motrices chez l’enfant ; il faut développer la discrimination visuelle, la
discrimination auditive, l’habileté motrice, le sens de l’orientation, l’organisation dans le temps, dans l’espace… et
ce sont les instruments qui vont préparer la mise en place du savoir lire au moment du CP. »
Ce que je suggère, c’est de dire « Ce qui est à travailler à l’école maternelle, c’est d’abord des compétences
langagières et linguistiques, et d’autre part des compétences culturelles ».
Il faut intégrer l’éducation à l’écrit en maternelle, l’enseignement de l’écrit à l’école élémentaire dans une
pédagogie ou un enseignement plus large qui est celui du langage oral et écrit. Deuxièmement, il faut développer
dès l’école maternelle une éducation à l’écrit ou une pédagogie de l’écrit qui soit une éducation culturelle :
développer toutes les pratiques culturelles autour de l’écrit.
On peut dire aussi, si je remonte encore un peu plus loin dans le temps (je vais faire allusion à ce qu’on peut faire
au niveau du cycle 1) que les origines du langage écrit chez l’enfant sont d’une part du côté du langage oral et
d’autre part du côté du monde écrit ; cela veut dire qu’il faut développer chez les jeunes enfants certaines
compétences langagières à l’oral, certaines compétences linguistiques, notamment celles qui sont intermédiaires
entre la communication orale quotidienne à la maison, avec ses copains, avec sa maitresse, et d’autre part la
communication écrite : par exemple, le langage explicite – être amené à raconter à un groupe un film que j’ai vu à
la télévision mais que les autres n’ont pas vu. Je suis obligé d’être très explicite si je veux que les autres me
comprennent – raconter sur une cassette audio à mes correspondants un événement que j’ai vécu, une sortie
que nous avons faite, mais qu’eux ne connaissent pas. Comme je n’ai pas mes interlocuteurs en face de moi, j e
suis devant le micro, ça m’oblige à être très explicite. Voilà le type d’activité langagière qui prépare, qui facilite
ensuite l’entrée dans le langage écrit.
Autre activité langagière : tout ce qui relève du langage poétique, les activités sur les comptines, sur les
chansons, remarquer les rimes … tout cela prépare l’activité réflexive des enfants sur le fonctionnement du
langage : « Ah ! tiens, bouton, ça se termine comme mouton ». Tout ce qui concerne les jeux de langage, les jeux
de mots, les charades … entre dans cette catégorie de langage poétique.
La deuxième source, c’est la connaissance et la pratique du monde écrit : fréquenter les objets de l’écrit, les lieux
de l’écrit – les bibliothèques, les librairies, les coins lecture, fréquenter les personnes surtout pratiquantes de la
culture écrite. Voilà comment l’école maternelle peut le mieux préparer le développement du lire / écrire.
Voilà grosso modo la conception théorique de nos travaux pendant 20 ans là dessus.
1 – La première étape
Dans l’histoire de l’enfant apprenti lecteur, à partir de quand peut-on dire qu’un enfant commence à apprendre à
lire et écrire ?
Vous le savez, jadis, c’était la position dominante au début des années 80 dans l’école maternelle, on disait qu’un
enfant commence à apprendre à lire et à écrire à 6 ans quand il met les pieds au CP. Aujourd’hui, généralement,
on ne tient plus ce discours là parce que les recherches ont montré que la plupart des enfants avaient déjà des
expériences de l’écrit avant 6 ans et avait déjà certains acquis, certaines connaissances, certaines pratiques du
monde écrit. Mais c’est relativement récent.
Les premières recherches au sens scientifique du terme sur les jeunes enfants de moins de 6 ans et leur pratique
de l’écrit, leur activité intellectuelle sur l’écrit date de la fin des années 70 ; ce n’est pas si vieux que cela ! Les
premières recherches ont été réalisées par Emilia Feireiro avec des enfants français de Genève puis reprises
avec des enfants hispanophones d’Argentine et du Mexique.
Dans nos recherches, nous avons quelques points de repère : nous disons qu’un enfant commence à entrer
véritablement dans l’écrit quand il commence à prendre certaines habitudes que je vais citer maintenant, c’est à
dire quand il commence à avoir des comportements qui deviennent fréquents, réguliers (c’est pour cela que je
parle d’habitudes).
1 – 1 : Première habitude : quand l’enfant prend l’habitude de se faire lire des histoires par un grand qui sait lire
(que je vais appeler lettré, quelqu’un qui maitrise b ien et qui pratique régulièrement lecture et écriture). Ce peut
être un adulte bien sûr, un enseignant, un parent, un animateur, ce peut être aussi un enfant plus âgé, un frère ou
un grand du CM2 ou du collège qui vient de temps en temps lire des histoires à l’école. C’est à installer par les
maitres de maternelle ; et si elle n’est pas encore installée au CP, il faut que cette habitude soit mise en place par
les maitres de CP. La première activité de l’école maternelle dans le domaine de l’écrit, c’est de lire souvent des
histoires aux enfants… et je devrais ajouter pas que des histoires, pas que des textes narratifs ou imaginatifs ou
fictionnels, mais aussi de temps en temps des textes de type documentaire ou de type technique qui intéressent
aussi beaucoup les jeunes enfants. On voit évoluer cette habitude dans le temps chez l’apprenti lecteur : au
début, c’est l’adulte qui prend l’initiative et petit à petit l’enfant va prendre l’initiative dans cette affaire là ; c’est
l’enfant qui va interpeller un adulte, qui va le tirer par la manche pour lui demander de lire ce livre là… « Relis-moi
cette histoire là… »
1 – 2 : Deuxième habitude : l’enfant prend l’habitude de regarder, d’observer et de questionner les pratiques de
lecture et d’écriture des grands , les lettrés. Le petit va commencer à interroger : « Mais qu’est ce que tu es en
train de faire ? Tu es en train de dormir ou quoi ? », va-t-il dire à l’adulte qui a un bouquin entre les mains, et
l’adulte va expliquer ce qu’il est en train de faire ; il va essayer de donner une information à l’enfant. « Mais
qu’est-ce que c’est que ce livre ? Pourquoi tu regardes ce livre ? Mais qu’est-ce que tu lis dans ton journal ? Mais
qu’est-ce que tu es en train d’écrire ? Pourquoi tu écris ? » Deuxième indicateur qui montre que l’enfant est en
train d’entrer dans l’écrit …
Voyez la conséquence de ce que je dis : un des objectifs importants de l’école maternelle, c’est de donner cette
habitude là à tous les enfants et donc de permettre aux enfants de nous observer, ou d ’observer des lettrés et de
les questionner. Conseil aux maitres : montrez-vous dans vos pratiques d’adulte et parlez en à vos élèves.
Permettez aux petits de rencontrer des grands de l’école élémentaire ou du collège pour qu’ils puissent les
observer, les questionner… C’est une excellente façon de former de futurs lecteurs C’est aussi par ce biais là que
l’enfant va s’approprier progressivement nos pratiques de lecture, car fondamentalement, c’est ça apprendre à
lire : ce n’est pas simplement maitriser les mécanismes de base. La maitrise des mécanismes de base de lecture
ne peut intervenir d’après moi que si cela s’inscrit dans un processus beaucoup plus large qui est l’appropriation
des pratiques sociales et culturelles de l’écrit.
Il faut montrer les pratiques de l’écrit, les faire voir aux enfants et en faire des objets de connaissance, des objets
d‘étude, leur permettre de les questionner, les observer, les comprendre… Je vais prendre un exemple : il y a une
quinzaine d’années, en travaillant dans des ZEP de la région parisienne, nous posions systématiquement aux
enfants de GS ou de CP la question suivante : « La maitresse, tu sais ce qu’elle lit ? » Presque toujours les
enfants nous faisaient « Non, je ne sais pas », or je suis en train de pointer là une chose importante, c’est que les
enfants, pour devenir lecteurs, ont besoin de nous, ont besoin de vous comme modèle, comme référent. Nous ne
sommes pas les seuls modèles, les seuls référents, mais nous sommes les premiers : nous les avons 6 heures
par jour à l’école.
Autre exemple, dans un travail de recherche avec des gamins de 5-6 ans, on leur posait la question « Est-ce que
tu connais des gens qui lisent, des gens qui savent lire ? » On a 100 entretiens individuels de ces enfants.
Surprise ! Très peu de ces enfants dans la liste des personnes qu’ils citaient évoquaient les maitres ! On leur
disait « Mais tu n’as pas parlé du maitre… ». Certains disaient « Ah ! oui, j’ai oublié », c’était déjà important de
noter qu’ils n’y avaient pas pensé : cela ne vient pas spontanément à l’esprit de ces enfants là. Plus fort : certains
enfants nous ont dit « Je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu lire… ». Dans ce travail de recherche, presque tous
acceptaient l’idée que la maitresse savait lire mais nous sommes tombés sur 3 gamins qui nous ont dit « Non, la
maitressse sait pas lire » ! Deux d’entre eux ont dit « Elle ne sait pas lire, mais son travail, c’est d’apprendre à lire
aux enfants. » Nous demandions « Mais qu’est-ce qu’elle lit, la maitresse ? », « Elle lit Petit Ours Brun, Boucle
d’Or et les Trois Ours… » « Mais quand elle est dans sa maison ? » Là, rebelote… « Je ne sais pas, je ne l’ai
jamais vue… » « Qu’est ce qu’elle peut bien lire quand elle est dans sa maison ? » Finalement, quand on les
poussait, la majorité de ces enfants répondait « Petit Ours Brun, Boucle d’Or … ». Je vous dis cela pour montrer
qu’un certain nombre d’enfants n’ont aucune idée (ou des idées très imprécises) des finalités de la lecture. Or
devenir lecteur, c’est d’avoir une idée de l’éventail des pratiques sociales et culturelles de la lecture.
Deuxième référent possible, ce sont les grands : les petits vont se rendre compte de « à quoi ça sert » et vont se
voir quatre ou cinq ans plus tard ; ils vont pouvoir s’identifier et se projeter grâce aux grands. Il est très important
de faire rencontrer les grands qui savent lire aux plus petits qui ne savent pas encore lire.
1 – 3 : Troisième habitude : c’est l’imitation . Dans cette première période d’acquisition de la lecture, les jeunes
enfants commencent à nous imiter. Vous savez les formes que cela prend. La première technique, c’est le « faire
semblant ». Devant nous, les gamins vont dire « Regarde, moi aussi je sais lire ! ». Ils prennent le bouquin et se
mettent à le réciter par cœur parce qu’ils ont entendu 20 fois cette histoire et qu’ils la connaissent mot à mot : ils
sont dans l’imitation par la récitation.
Deuxième technique : ils se servent de l’image et font la lecture de l’image (que je préfère appeler interprétation
de l’image) et ens uite ils projettent du sens, ils devinent, ils inventent ce qui peut bien être écrit. Voilà les
premières manifestations de ces imitations.
Même chose pour l’écriture, les gamins viennent nous trouver : « Regarde, j’ai écrit » et ils posent souvent cette
question « Dis -moi qu’est-ce que j’ai écrit ». Ce sont aussi des moments très importants parce que l’adulte fait un
retour. Il va dire à l’enfant « Je vais te lire vraiment ce qui est écrit ». Lire ce n’est pas deviner, raconter : avec le
doigt, il va attirer l’attention de l’enfant sur le fait que lire, c’est traiter les choses écrites.
Je vous signale en passant que certains enfants n’ont pas encore cela au CP. Une des observations qui m’a mis
sur la voie de la recherche lorsque j’étais instituteur, c’est qu’au lieu de regarder le texte au tableau ou sur le livre
certains élèves regardent le nez du maitre… Qu’est-ce que ce type de comportement signifie ? Ces enfants là,
presque toujours, croient que lire, c’est répéter la parole du maitre ; donc, au lieu de traiter l’énoncé écrit, ils
regardent le visage du maitre pour pouvoir répéter à sa suite. Le retour est important car l’enseignant attire le
regard de l’enfant sur la réalité de l’acte de lire.
Même chose pour les productions écrites : l’adulte va dire « Je suis bien embêté, mais là je n’arrive pas à lire ce
que tu as écrit ; qu’est ce que tu as voulu écrire ? Si tu veux, moi je te l’écris». Tout ça, ce sont des habitudes,
des comportements qui constituent la première étape. Cette première étape, que j’appelle « période
d’expériences », c’est la période qui va servir de base pratique pour l’acquisition d’un certain nombre de
connaissances sur l’écrit et de savoir-faire, d’habiletés dans le domaine de la lecture écriture ; il est important que
cette première base soit installée : c’est le rôle essentiel de la grande section de maternelle de poursuivre ce qui
a été entamé en cycle 1 pour vraiment l’installer chez tous les enfants. C’est d’autant plus important chez la
minorité « à risque » d’échec scolaire grave, que ce travail soit fait avant l’entrée au CP. Sinon on risque de
mettre en œuvre un enseignement des mécanismes, des techniques de la lecture qui s’installerait sur du vide. Je
ne dis pas qu’il ne faut pas enseigner la lecture au CP aux enfants fragiles. Je dis qu’il faut obligatoirement
associer l’enseignement formel de la lecture à un travail sur les bases pratiques. Cela suppose une différenciation
pédagogique au CP pour les enfants qui n’ont pas encore installé cela.
Généralement, ces jeunes enfants ont installé ces bases pratiques dans le milieu familial. Certains enfants ont
absolument besoin de l’école, notamment maternelle, pour installer cela.
2 – La deuxième étape
A partir de cette base pratique, l’enfant va commencer à réfléchir car ce sont essentiellement des comportements
qu’il met en place. Il développe donc une activité réflexive, une activité intelligente. Il va commencer à se poser
trois grandes questions sur l’écrit :
« Mais à quoi ça sert d’apprendre à lire ? Qu’est-ce que je pourrai faire quand je saurai lire ? Pourquoi lire ?
Pourquoi apprendre à lire ? » C’est une question qui concerne directement la culture écrite. Le premier objet de
connaissance dans cette deuxième étape, c’est la culture écrite : découvrir les différentes possibilités de la
culture écrite ; découvrir qu’il y a 4 catégories principales de la lecture, de pratique lecturale : la lecture
informative et utilitaire (lire pour s’informer, lire pour se débrouiller dans la vie de tous les jours, lire les étiquettes,
les emballages), la lecture intellectuelle (lire pour apprendre, pour mieux connaître le monde), la lecture littéraire
(lire les belles histoires, lire le patrimoine culturel écrit), la lecture citoyenne (lire pour s’intégrer dans sa
communauté, dans sa cité). Je signale à ce propos que c’est une aberration pour moi de dissocier le travail sur
l’intégration sociale du travail sur les apprentissages scolaires, puisqu’une partie de cette socialisation,
l’établissement de lien social passe par la maitrise de certa ins apprentissages scolaires, et notamment du lire /
écrire. Voilà ce qu’un enfant doit découvrir progressivement grâce à nous ! C’est le résultat d’une éducation, voire
le résultat d’un enseignement.
Cela débouche en général vers l’âge de 6 ans sur ce que nous avons appelé le « projet personnel de lecteur »
: l’enfant est alors capable de savoir pourquoi il va au CP ; il est capable de donner du sens à l’apprentissage de
la lecture qu’il va recevoir dans les semaines qui viennent : « Je suis prêt à aller a u CP parce ce que … » C’est la
capacité à donner à peu près 5 raisons (ou 5 réponses culturelles) d’apprendre à lire. Un éventail de réponses
enfantines : « …comme ça je pourrai lire des livres d’aventures » et le gamin est capable de citer 2/3 titres de
livres qu’il souhaite lire plus tard, « …pour bien travailler à l’école », « … pour apprendre à l’école », « … comme
ça, je pourrai lire des histoires à mon petit frère », « … comme ça, quand je serai papa ou maman, je pourrai lire
des histoires à mes enfants », « … comme ça je pourrai écrire des cartes postales à mes cousins », « … je
pourrai lire le journal, on y apprend plein de choses ». Quand un enfant donne comme cela une gamme de
réponses, nous disons qu’il a un projet personnel de lecteur.
Nous avons montré que les enfants qui avaient installé la base pratique dont j’ai parlé tout à l’heure et qui ont un
projet personnel de lecteur, neuf fois sur dix vont bien réussir au CP. Tout cela fait partie des composantes de
l’acquisition de la lecture ; il y a donc une partie culturelle ou psychoculturelle de l’acquisition de la lecture écriture
qui est importante.
Je dirai que le premier rôle de la fin de la Grande Section de maternelle, l’objectif à atteindre, la proposition que je
fais aux maitres, c’est que tous les enfants sortent de la GS en ayant un projet personnel de lecteur.
Comment travailler cela ? De différentes façons. Premièrement en proposant des activités fréquentes et diverses
de lecture et d’écriture en GS de maternelle, deuxièmement, en réfléchissant sur ces activités là (il ne suffit pas
de faire des choses, il faut aussi réfléchir dessus, en parler, prendre conscience de…), par l’observation et des
entretiens avec des pratiquants de la lecture (que les maitres montrent et parlent de leurs p ropres pratiques de
lecture, par des échanges avec des grands de l’école ou du collège, les amener dans des lieux de la lecture
publique pour rencontrer les adultes qui fréquentent ces lieux là et discuter avec eux).
Comment cela fonctionne cette chose que nous appelons le code ? Comment fonctionne le système d’écriture ?
Au début, les enfants ont des idées là dessus, mais malheureusement, ce ne sont pas des idées pertinentes. Au
cours de cette deuxième période, petit à petit, ils vont comprendre quelle est la nature et le fonctionnement de
notre système d’écriture.
Je vais insister là dessus car ce sont des choses dont nous n’avons pas toujours conscience. On pense que
comprendre le « B A BA » est la chose la plus élémentaire ; or comprendre le principe alphabétique n’est pas du
tout évident. Des exemples… Avec des enfants de 5 à 6 ans, petit exercice en entretien individuel, on leur écrit
deux mots sur une feuille : TRAIN et BICYCLETTE. On demande à l’enfant qui ne sait pas lire « Quelque part j’ai
écrit bicyclette, quelque part j’ai écrit train. A ton avis où est écrit train ? » Ils répondent en pointant le mot
bicyclette. « Pourquoi c’est celui là ? » « Tu vois bien, c’est le plus grand, c’est le plus long.» Donc, ce sont des
enfants qui ne sont pas encore entrés dans la langue écrite. Ils sont dans une pensée que nous avons appelée
« logographique », c’est à dire que pour eux la chose écrite n’est pas de la langue, c’est une sorte de dessin, de
logo qui représente directement l’objet physique. Il doit y avoir un point commun entre cette représentation
graphique et cet objet physique.
En grande section maternelle, voici un petit William qui peut nous tromper en nous donnant des illusions sur son
niveau réel. William sait parfaitement écrire son prénom. Il sait même l’écrire en deux écritures. Au niveau
psychomoteur, c’est donc tout à fait satisfaisant. Sauf que ce n’est pas cela l’important : l’important, c’est
comment l’enfant pense tout cela. C’est le niveau conceptuel. « Bravo, William, tu as bien écrit ton prénom, c’est
très bien. Mais j’ai un ami qui s’appelle William, comme toi. Tu peux écrire le prénom de mon ami ? » Réaction
apparemment étrange de ce petit bonhomme « Ah non ! » « Essaie de réfléchir. Comment tu peux faire pour
écrire William, le prénom de mon ami ? » Au bout de 6 secondes, chrono en main, « Quel âge il a ton copain ? »
« Tu vois, il a à peu près mon âge, dans la soixantaine… » « Ah ! non, je ne sais pas l’écrire » Cela veut dire que
c’est un enfant qui est typiquement dans la logique logographique. Comment a-t-il compris la question des
prénoms écrits ? Je mets en garde les enseignants de maternelle sur cette affaire là. William pense que le
prénom écrit est une sorte de logo personnel, que chaque personne a le sien propre, son propre s ymbole.
Autre exemple avec les prénoms ; c’est une petite Maëva, moyenne section, 5 ans et demi. Dans la même
classe, il y a une autre Maëva, 5 ans et quelques centimètres de moins. Il y a l’activité habituelle sur le prénom,
les étiquettes… sauf que la grande Maëva est tracassée par quelque chose : « Ca va pas parce que deux
étiquettes sont pareilles, la mienne et celle de la petite Maëva qui a les mêmes lettres. Il faut chacune son
étiquette, donc il en faut une autre, avec un autre dessin ». La maitresse passe un peu rapidement sur cette
remarque. La grande Maëva revient à la charge, elle essaie de négocier cela avec la maitresse : « Ca ne peut
pas être la même étiquette, comme moi je suis la grande Maëva, on va écrire mon nom avec des grandes lettres
et elle, en petit. »
Ces élèves commencent à penser de manière intelligente le fonctionnement de la langue écrite, mais ne pensent
pas comme nous. Ils sont à côté d’une pensée linguistique sur l’écrit ; ils n’ont pas compris que ce qu’on écrit,
c’est la représentation de ce qu’on dit et de ce qu’on entend. Donc que l’écrit fait partie de la langue : c’est la
grande découverte que doivent faire les enfants de grande section maternelle. Parmi les élèves qui se retrouvent
en difficulté au CP, une bonne part avait abordé le CP sans avoir compris cela. Ce qui veut dire que toutes les
leçons de lecture qu’on va faire (« Aujourd’hui, c’est le son ou ») leur passent au-dessus de la tête parce qu’ils
n’ont pas compris cette notion essentielle de notre système d’écriture le principe alphabétique. Le deuxième rôle
de l’école maternelle, et plus particulièrement de la Grande Section, c’est d’amener les enfants à la découverte
du principe alphabétique, non pas au savoir lire / écrire, non pas à la maitrise des lettres et du code graphophonétique, mais à comprendre comment ça marche…
Je prends un exemple : voici un petit Ahmed, 6 ans, première semaine de CP, en ZEP. On lui demande d’écrire
une série de mots, par exemple « vélo ». Il écrit grosso modo une sorte de lettre, « J » ou « Z », une marque qui
ressemble à un « E » ou à un « A », il fait une troisième marque qui ressemble à un « T » et termine par une
quatrième marque qui ressemble à un « M » ou un « N ». Tout cela ne semble pas terrible… Sauf que ce n’est
pas cela l’important… L’important n’est pas la trace écrite que fait l’enfant, c’est l’explication qu’il donne :
« Qu’est-ce que tu as écrit Ahmed ?» « J’ai écrit vélo. » « Montre-moi et dis -moi comment tu as fait.» Avec son
doigt, il va pointer chacune des lettres et dire « v – é – l – o ». Voilà ce qu’est un enfant qui a parfaitement
compris le principe alphabétique : il ne sait pas lire et écrire, mais il a compris comment ça marche ! Il est capable
de faire l’analyse phonologique du mot vélo à l’oral et il est capable d’épeler les composant grapho-phoniques du
mot vélo à l’écrit.
Un autre exemple : un enfant qui ne sait pas écrire le mot « chat », mais il a compris que pour l’écrire il faut au
moins 2 éléments écrits qu’on peut appeler des lettres, des lettres -sons (en terme technique des
phonogrammes). Il a compris qu’il fallait la lettre A et autre chose pour transcrire le son CH. Voilà, ce sont des
enfants qui ont compris le principe alphabétique. Ils ont compris que si je déroule à l’oral un énoncé du style
« Les deux petits ours sont dans la neige », cet énoncé écrit à gauche commence par le mot « les » et qu’il va
terminer à droite par le mot « neige ».
Voilà en quoi consiste cette deuxième période, que nous appelons la période de compréhension, parce qu’il ne
s’agit pas encore pour l’enfant d’installer les mécanismes, mais il s’agit de comprendre l’essentiel de la lecture et
de l’écriture.
Il s’agit donc d’installer dans cette période une compétence culturelle qui débouche sur le projet
personnel de lecteur et une compétence linguistique qui est de comprendre le rapport entre la chaine
orale et la chaine écrite.
3 – La troisième étape
Enfin, vous avez la troisième phase, sur laquelle il faut que je dise deux mots. C’est la phase dont on parle depuis
toujours, et qui préoccupe généralement uniquement les spécialistes : c’est la phase de maitrise, celle qui
correspond à ce qui se passe au moment du CP. L’installation véritablement du savoir lire de base.
J’ai consacré 3/4 d’heure à parler des deux premières phases parce que jusqu’à aujourd’hui elles sont largement
négligées dans les réflexions collectives, parce que depuis toujours on a tendance à se focaliser sur la période
numéro trois…
La période numéro trois n’est que la période numéro trois et elle est en grande partie conditionnée, préparée,
facilitée par le travail effectué avant.
En quoi consiste cette période numéro trois ? Là aussi beaucoup de choses incomplètes sont dites, y compris
dans les programmes 2002.
Le premier savoir lire de base, c’est ce qu’Inizan appelait le « tout juste savoir lire », c’est à dire la capacité à
traiter de petits textes écrits inconnus très simples et très courts, du style « Les petits ours sont dans la neige.»
C’est à dire que là, il n’y a pas de problème de compréhension extérieur qui vient perturber l’enfant lecteur
débutant, pas de problème de syntaxe particulier, pas de problème de vocabulaire : n’importe quel enfant de 6
ans francophone est capable de comprendre à l’oral ce genre de petit énoncé d’une seule phrase, qui ne relate
pas une histoire, mais seulement un évènement.
En quoi consistent les opérations et les savoir-faire qui constituent ce savoir lire de base ? Essentiellement,
d‘après mes recherches, il y en a deux.
Pourquoi je dis que je suis en désaccord avec une p artie des programmes 2002 ? C’est que les programmes
concernant le CP ne retiennent que 2 dimensions de la lecture : d’un coté le décodage et l’identification des mots,
d’autre part la compréhension.
Je précise un peu ma position sur la compréhension : il y a une partie de l’activité du lecteur qui n’est pas
spécifiquement une activité de lecture. Pour comprendre l’histoire des 3 petits ours et de Boucle d’Or, il faut faire
preuve d’une certaine intelligence, de la maitrise d’un certain vocabulaire, il faut maitriser la structure du récit ;
mais ce ne sont pas des compétences spécifiques de la lecture. On peut les travailler uniquement à l’oral. Il y a
des difficultés qu’on attribue à la lecture qui sont extérieures à la lecture, qui relèvent de la compréhension. C’est
évident qu’un enfant déficient intellectuel risque fort d’avoir des difficultés de compréhension d’un certain nombre
de textes ; ce ne sont pas des difficultés de lecture. Un enfant qui a des difficultés pour lire un énoncé
mathématique, n’a pas forcément des difficultés propres à la lecture. La preuve, c’est que souvent, en présentant
le même énoncé mathématique à l’oral, l’enfant a des difficultés de compréhension. Il s’agit bien de difficultés de
compréhension extérieures à la lecture. Ou bien c’est un problème de maitrise du langage technique
mathématique (il y a des mots qui sont propres aux mathématiques ou qui ont un sens particulier en
mathématique – le mot ensemble, par exemple), ou bien c’est un problème de niveau de compétence logico
mathématique, ou bien c’est un problème lié à un stress (certains d’entre nous ont un rapport difficile avec les
mathématiques …). « Je ne sais pas le lire parce que moi, en mathématiques, je suis nul ! ». On peut avoir des
explications qui n’ont rien à voir avec la lecture. Attention de ne pas mettre en place des actions de remédiation
ou de soutien à la lecture pour ce type de problème là, qui peut être traité ailleurs : à l’oral ou dans les activités
d’une autre discipline. Je le dis notamment pour les enseignants de collège qui ont tendance à renvoyer cela à
leur collègue de français.
D’après mes résultats de recherche, le savoir lire de base n’est pas constitué de deux composantes, mais de
trois. Vous avez d’une part la compréhension en général (que je laisse tomber pour l’instant) et la maitrise de
deux savoir-faire propres à l’écrit :
- Le décodage (pour être lecteur, l’enfant doit bien maitriser le code de correspondance grapho-phonique,
composé non de 26 lettres mais de 40 ou 45 lettres -sons – distinction que certains enfants ne font pas – dans les
unités de base. Il y a la lettre son « ou », « oi » ; le son « o » a trois transcriptions (également fréquentes) qui
doivent être connues le plus tôt possible au CP (contrairement à une idée reçue datant des années 70). Il n’y a
aucune raison de remettre cet apprentissage à plus tard. Il faut que les élèves de CP aient une connaissance de
ce code le plus tôt possible. Il faut également une bonne maitrise de la combinatoire, c’est à dire de la
combinaison d e ces lettres sons ; il faut enfin une bonne maitrise de la « lecture mécanique» sans référence au
sens, y compris de ce qu’on appelle des pseudo-mots. Cela débouche sur l’identification des mots.
- L’enfant doit mobiliser un deuxième traitement : l’exploration sémantique et syntaxique de la phrase. Cela
veut dire que l’enfant doit prendre l’habitude, non pas de traiter l’unité de base écrite que serait le mot, mais
l’unité de base qui est au minimum la phrase. C’est donc à nous maîtres de CP, et avant en m aternelle, de l’aider
à mettre ce réflexe en place.
Concrètement, cela veut dire qu’il faut installer chez les enfants, le réflexe de regarder ce qui est compris entre
deux points ; ce qui veut donc dire que le travail sur la ponctuation est primordial dans les deux sens du mot, c’est
à dire qu’il est très important et qu’il doit venir très tôt, le plus tôt possible. L’enfant doit délimiter son espace de
travail, qui est la phrase, c’est à dire identifier les deux repères visuels, les repères textuels ou s patiaux : c’est le
point qu’il y a devant et le point qu’il y a à la fin de la phrase. Entre les deux, il va explorer.
Que veut dire explorer ? Cela veut dire parcourir cette quantité d’écrit, de la gauche vers la droite, évidemment
dans un système d’écriture comme le nôtre, mais également de faire des retours en arrière pour corriger pour
vérifier, pour consolider, être sûr que j’ai bien compris, que j’ai bien identifié le mot, éventuellement de faire des
activités de relecture : je parcours cet ensemble pour bien comprendre, pour mémoriser.
Eventuellement explorer veut dire d’être capable de sauter un obstacle. Je bute sur un mot que je n’arrive pas à
décoder, à identifier. Je ne reste pas bloqué sur ce mot, je vais le sauter et je vais me servir du conte xte
linguistique, c’est à dire ce que je vais comprendre, découvrir après, et je vais revenir dessus. Tout cela, ce sont
des gestes, ce sont des mécanismes de base de la lecture.
Pourquoi insister là dessus ?
Ils ne sont pas évoqués dans les programmes 2002. Ils sont absents de la plupart des manuels de lecture que
l’on vous propose dans les maisons d’édition.
Je crois donc qu’il est important que les maîtres travaillent systématiquement et explicitement ce deuxième
savoir-faire, ce deuxième traitement de l’écrit qui est le savoir explorer une phrase écrite
Je viens de parler uniquement de l’exploration, en réalité ce n’est pas une exploration qui n’est qu’exploratoire ou
visuelle, ou visio-spatiale ; c’est une exploration qui est aussi intelligente, c’est à dire que l’enfant doit faire ce
travail d’exploration que je viens d’évoquer très vite, avec un guide de lecture, donc avec un outil pour traiter les
aspects sémantiques du texte, c’est à dire, repérer, chercher, ce que l’on va appeler les informations
sémantiques.
Qu’est ce que cela veut dire concrètement dans l’exemple que j’ai pris : « Les deux petits ours sont dans la
neige. » L’enfant doit utiliser, mobiliser un guide de lecture composé de trois questions : « qui ? quoi ? où ? »
« Cela parle de qui ? Il fait quoi ? Cela se passe où ? » Avec ce guide de lecture, il doit être capable de découper
la phrase en ce que l’on appelle des groupes de sens ou en informations sémantiques.
Voilà le noyau dur du savoir lire de base chez l’enfant.
J’insiste donc sur le fait que les maîtres et les maîtresses de CP doivent travailler ces deux savoir-faire, ces deux
types de mécanismes de base le plus tôt possible au CP, donc dès le premier trimestre.
Pourquoi dis -je cela ?
Nos recherches ont montré que les enfants qui entrent vraiment en lecture au sens technique du terme, c’est à
dire qui entrent vraiment dans le savoir lire, sont les enfants qui ont mobilisé et qui utilisent dès le premier
trimestre ces deux outils, ces deux savoir-faire de la lecture. Cela nous amène à penser que c’est au premier
trimestre qu’il faut mettre l’accent.
4 – La quatrième étape
Je dis un mot à propos de la quatrième étape : c’est la période où les choses continuent évidemment, et où
l’enfant devient capable de faire deux choses : traiter des énoncés plus longs, des petits récits, des petites
histoires. C’est la compétence que j’appelle élémentaire, qui correspond à peu près au cours élémentaire en
opposition au savoir élémentaire de base dont je viens de parler, et qui suppose une autre a cquisition une autre
compétence : c’est que l’enfant ait automatisé les deux grands mécanismes de base, le décodage des mots et
l’exploration des phrases qui deviennent automatiques.
Dans un premier temps, l’enfant qui commence à lire, face à un mot, découpe les syllabes « pe….tit... petit ».
Cela va lui prendre une demi-seconde environ, dans la phase numéro 4, ce travail va lui prendre une fraction de
seconde et va devenir automatique. L’enfant va décoder le mot, l’identifier en un dixième de seconde environ
sans passer par ce travail un petit peu conscient que je viens d’évoquer. Cela devient un réflexe et l’enfant ne sait
même plus comment il a fait pour identifier le mot.
Même chose pour le deuxième mécanisme le deuxième traitement : savoir explorer une phrase écrite. L’enfant
n’est plus en train de se dire : « Je dois regarder tout cela. Cela commence ici et cela finit là. Je dois me poser la
question qui ? Je dois me poser la question quoi ? Je dois me poser la question où ? Je dois faire le découpage
de la phrase, repérer les groupes de sens de la phrase. » Ce travail au niveau de la phrase, ce travail de
découpage et de traitement sémantique et d’exploration - questionnement de la phrase devient automatique
Comment cela devient-il automatique ?
En lisant souvent souvent, souvent, et en faisant des exercices spécialisés :
•
les uns sur la vitesse de décodage des mots ou des pseudo mots,
•
les autres spécialisés sur la vitesse de l’exploration et du questionnement de la phrase.
Au CP et encore plus au CE1, il faut lire souvent, et avoir des batteries d’exercices.
Il faut des entraînements de ces deux habiletés si l’on veut que les enfants de CP atteignent le niveau du savoir
lire élémentaire ;
Voici un exemple extrait des travaux de recherche de deux collègues, Sylvie Seb (IUFM de Lyon) et Roland
Goigoux (IUFM de Clermont Ferrand), qui proposent à la fin du CE1 ce petit texte en lecture silencieuse (10
lignes, 7 phrases écrites). Voici le début de ce texte :
« Ce matin, nous avons accueilli dans la classe, pour la première fois, un camarade italien. François l’a fait
asseoir à coté de lui et lui a demandé son nom. Avec une petite courbette qui nous a tous fait rire, le nouveau a
dit, souriant à toute la classe Angelo. (…) »
1ère question sur le texte
Comment s’appelle le nouveau camarade ? Il s’appelle …
30% des enfants de la fin de CE1 répondent François.
Vous avez donc manifestement près d’un tiers des élèves qui ne maîtrisent pas bien cette deuxième habileté, ce
deuxième savoir-faire qui est « savoir explorer un texte écrit ». Ces enfants n’ont pas pris en compte les deux
premières phrases écrites. Ils ne savent pas traiter des phrases écrites. Ils ne savent pas explorer, questionner
de manière efficace des phrases écrites. Ils ne savent pas prendre en compte la ponctuation.
Qu’ont-ils fait ? Ils ont associé deux mots qui étaient proches spatialement d’où l’importance de former de bons
décodeurs au CP et au CE1 Il faut qu’ils maîtrisent bien cette mécanique, qu’ils l’automatisent et aussi de
former de bons explorateurs et questionneurs de textes.
Questions de la salle
Quelle est la place de la conscience phonologique ?
Tout d’abord qu’est ce que la conscience phonologique ? C’est l’habileté à faire un travail conscient, volontaire,
explicite, sur les éléments, que l’on a l’habitude d’appeler sonores, de l’oral. C’est d’être capable de remarquer
que dans le mot poule, on entend le même son que dans le mot rouge ou que dans le mot loup. C’est donc d’être
capable d’isoler cet élément sonore commun que l’on a l’habitude d’appeler dans le langage familier : un son ; je
préfère dire un son du langage car ce n’est pas du tout un son naturel comme le bruit de l’oiseau. C’est donc une
unité linguistique, que l’on appelle une unité phonologique, ou phonémique puisque d ans le langage technique
des linguistes ou de la psycholinguistique, on appelle cela un phonème.
Cette habileté là joue un rôle important dans la maîtrise de la lecture, mais la question qui se pose est de
connaître la nature du lien entre cette habileté de type métalinguistique et le développement des compétences en
lecture / écriture, puisque cela demande à l’enfant de faire un travail de réflexion, d’analyse, de prise de distance,
sur la parole, sur ce qu’il est en train de dire ou sur ce qu’il est en train d’entendre.
C’est quelque chose de relativement difficile pour les enfants de six ans parce que cela suppose qu’ils adoptent
vis à vis du langage une attitude de linguiste. Au lieu simplement de se contenter de parler, ils vont faire « un
arrêt sur image », pour se demander comment faire pour dire telle chose. Qu’entend-on quand on dit le mot
poule ?
Cette attitude face au langage n’est pas une attitude naturelle : elle est donc à travailler à l’école. Nulle part
ailleurs cela ne sera fait.
Quel est le lien entre cette habileté et le développement des compétences en lecture et en écriture ? C’est là qu’il
y a divergence et débat entre chercheurs. Les uns ont tendance à dire que la conscience phonologique est une
des raisons du succès, et à ranger dans les pré-requis sensoriels et psychomoteurs dont j’ai déjà parlé. Comme
on le disait autrefois, il faut d’abord travailler tout ce qui relève de l’aspect visuel, de l’aspect auditif, ce qui relève
de l’organisation dans le temps, dans l’espace. C’est une acti vité de traitement des unités linguistiques et de
certaines unités que l’on appelle des sons. C’est donc une activité très abstraite. Des enfants, même des adultes,
peuvent être très habiles au niveau de la perception auditive pour traiter des éléments naturels sonores, et ils
peuvent être en sérieuse difficulté lorsqu’il s’agit de traiter ces éléments particuliers que l’on appelle sonores
mais qui sont en réalité abstraits. Comme c’est une difficulté, elle doit être prise à bras le corps par les
enseignants, Il ne faut pas fuir la difficulté, il faut la traiter de face et de front.
Comment la traiter ? Les uns font de cette conscience phonologique un pré-requis, et ont tendance à dire
qu’avant de développer des activités de lecture écriture, il faut travailler cette habileté là à l’oral en maternelle.
Un autre courant considère que cette habileté ne se développe chez les enfants qu’avec la culture écrite et par
l’apprentissage de la lecture / écriture car si nous étions dans un monde de culture orale nous n’en aurions
absolument pas besoin. C’est donc au cours des rencontres avec l’écrit, en position de lecteur, en position de
producteur, que l’enfant va développer avec notre aide ce type d’habileté.
Pour ma part, je pense que c’est effectivement une habileté importante à développer, et que les enfants doivent
la maîtriser à l’entrée au CP pour mettre en place ces deux outils que sont le décodage des mots et le traitement
questionnement / exploration des textes écrits.
En observant des enfants de GS en ZEP qui obtenaient de bons résultats au niveau de la compréhension du
principe alphabétique, nous avons remarqué que les maîtres proposaient régulièrement, quotidiennement, les
activités suivantes :
ð lecture / découverte / exploration d’un petit texte. Evidemment c’est la maîtresse qui jouait un rôle
important en lisant le texte ( les enfants accompagnent, suivent la lecture de la maîtresse ) ou en
guidant leur travail d’exploration. Les enfants vont chercher des informations, repérer des idées, pas
seulement des mots).
ð L’arrêt sur image. Etes vous bien sûr de lire « ours », « girafe », etc ? A ce moment les enfants sont
obligés d’aller chercher des indicateurs grapho-phoniques, car on ne peut pas se contenter d’utiliser le
contexte, la place du mot, …Cela permet de faire le rapport entre le mot que j’entends, que je dis et le
mot écrit.
ð La production d’écrit par la technique géniale de la dictée à l’adulte que nous connaissons depuis au
moins 30 ans (cf. Laurence Lentin, 1970). L’enfant peut être producteur de textes écrits sans savoir
écrire comme il peut être lecteur sans savoir lire. L’adulte n’est pas simplement un secrétaire ; il guide
le travail de réflexion des enfants quand il est en train d’écrire devant eux : il leur parle, il leur explique,
il les sollicite, leur demande de justifier. Il questionne les enfants sur la constitution du mot à l’écrit et à
l’oral.
ð … lire une phrase écrite inconnue (la phrase mystère) pour traiter des éléments grapho-phoniques
On peut compléter ce type de travail par un travail à l’oral et faire des exercices, des jeux de sons, des moments
d’épellation phoniques ou phonétiques.
Je vais vous présenter un travail de recherche effectué sur 10 maîtres de CP de ZEP de région parisienne.
Nous avions fait passer dans un certain nombre de classes, des tests de lecture silencieuse en fin d’année. Dix
classes ont obtenu de bons résultats par rapport aux autres. Nous avons voulu en connaître les raisons.
C’est pourquoi nous sommes allés observer le mode de fonctionnement, les pratiques pédagogiques, les
méthodes de travail de ces dix maîtres.
Bien entendu chacun de ces dix maîtres avait son style, sa personnalité, des supports différents, certains
utilisaient un manuel, d’autres non, mais l’important se trouve dans les points communs à ces dix enseignants.
Il y a une question plus importante que celle toujours récurrente du choix du manuel, c’est celle de la pratique
pédagogique réelle.
Trois caractéristiques communes à ces dix maîtres :
ð Ils consacraient beaucoup de temps à l’activité de lecture / écriture. Tous les jours il y avait 2 heures
et demie d’activités autour de l’écrit. Cela incluait le moment où le maître lisait une histoire aux élèves,
où les élèves étaient en BCD… Cela concerne donc les activités que l’on range maintenant dans la
trilogie lire / parler / écrire. Parler non pas en général mais parler autour de l’écrit, parler à propos d’un
livre, autour d’une histoire lue par le maître ou parler au cours d’une leçon de lecture. Vous
remarquerez donc que ce sont des maîtres qui appliquaient les programmes 2002 avant l’heure. C’est
un point très important que l’on avait peut-être eu tendance à oublier depuis les années 1970. Il faut y
consacrer du temps si l’on veut que nos élèves réussissent. Il faut savoir qu’il y a encore 20 – 25 %
des élèves de CP qui sont en difficulté à la fin de l’année, au moins 15 % des enfants ont de sévères
difficultés à l’entrée au collège.
ð Ces maîtres pratiquaient une pédagogie de lecture que j’appelle ouverte. Il y avait une diversité des
activités de lecture / écriture. Lecture du maître, utilisation de la BCD, réalisation d’albums, réalisation
d’exposition, réalisation d’un journal de classe, pratique de la correspondance scolaire...
ð Ces maîtres avaient une organisation quotidienne de la méthodologie de la lecture commune : 7 ou 8
séquences quotidiennes, courtes (10 à 12 minutes), réparties tout au long de la journée :
•
Préparation à la rencontre du texte. Langage parlé à partir d’une image pour formuler des hypothèses sur le
contenu du texte, de l’histoire, du récit ou à partir d’un texte à épisodes.
•
Rencontre avec le texte. Il ne s’agit pas de travailler la lecture littérale mais de faire un moment de lecture
découverte, un moment d’exploration du texte. Au-delà de la pêche aux mots, il faut aller faire la recherche
des informations sémantiques (comprendre qui / quoi / où ) et établir des relations entre ces mots, entre ces
informations repérées. Après un travail coopératif, collectif, le maître lit la totalité du texte. Eventuellement,
un élève peut ensuite lire le début du texte.
•
Etude systématique d’une phrase extraite du texte. Lecture intégrale, littérale.
Manipulation de mots, remplacement de groupes de mots, justification.
•
Etude, analyse et décomposition d’un mot. Les enfants doivent tous être capables d’identifier le mot…, de
l’écrire, mots intrus.
•
Etude d’un son, d’une correspondance grapho-phonique.
•
Production écrite individuelle. Des activités de reproduction (dictée de phrases, auto dictée, modification d’un
groupe de mots dans une phrase…)
•
Production collective d’un texte par la dictée à l’adulte *
•
Production écrite individuelle « création » ( cette séquence n’était pas quotidienne dans toutes les classes).
C’est donc une méthode de travail rigoureuse, préparée et où les objectifs de trava il sont définis clairement. C’est
une méthode de travail complète où la trilogie lire / parler / écrire est présente. Tous les jours, les différents
niveaux de la langue écrite sont travaillés (texte, phrase, mot, code grapho-phonétique).
Attention, dans ces classes là, on ne confond pas ces dix séquences avec la leçon de lecture.
Quelle peut-être la place du CP au sein du cycle 2 ?
L’intérêt du cycle 2 n’est pas de diluer la question de l’acquisition de la lecture / écriture mais au contraire
d’intégrer le niveau classe dans une continuité (il ne faut pas confondre la GS avec le CP, le CE1 et le CP. Ce qui
peut se faire au CP doit se faire au CP ).
Cela veut dire par exemple qu’il y ait des échanges entre les maîtres, qu’il y ait des classes de cycle, que les
maîtres suivent leurs élèves.
Cela veut dire aussi qu’il faut éviter les ruptures trop brutales (mode de vie en GS et au CP par ex).
Une étude des années 70 a montré qu’au moins 40 % d’enfants qui passaient de la GS au CP connaissaient un
véritable choc qui entraînait une régression au niveau des résultats.
La mise en place des cycles doit permettre aussi de fixer des objectifs clairs à la GS, au CP et au CE1
GS : projet personnel de lecteur et découverte du principe alphabétique
CP : 100% des élèves qui atteignent le savoir lire de base ; traiter et comprendre des textes courts.
CE1 : 100% des élèves qui atteignent le savoir lire élémentaire.
Transcription de l’enregistrement effectuée par P. Percheron (CPC Dinan Sud) et A. Valegeas (CPC Combourg).
Merci à tous les « relecteurs ».