Beethoven intemporel 24 et 25 Novembre à Radio France Marieke
Transcription
Beethoven intemporel 24 et 25 Novembre à Radio France Marieke
Entretien avec Christian Wasselin pour le Journal Fantastique / Radio France Beethoven intemporel 24 et 25 Novembre à Radio France Marieke Spaans, du clavecin au pianoforte Marieke Spaans va jouer trois sonates de jeunesse de Beethoven, le 24 novembre prochain à 18h, à Radio France. Elle évoque ici pour nous les toutes dernières années du XVIIIe siècle, période qui voit le pianoforte l’emporter irrésistiblement sur le clavecin. Marieke Spanns, comment le pianoforte a-t-il peu à peu supplanté le clavecin à la fin du XVIIIe siècle ? Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, plusieurs instruments à touche existaient parallèlement. Il y avait toujours le clavicorde, petit instrument au son très doux, très fin, avec les cordes touchées par une petite pièce appelée « tangente » et non pas par un marteau. C’était l’instrument des familles, l’instrument idéal aussi pour affiner le toucher des doigts et pour ne pas déranger les voisins ! Dans les cours aristocratiques, on utilisait le clavecin, instrument de la haute société, qui produisait un son plus volumineux mais qui était un instrument à cordes pincées. Or, une classe était sur le point de prendre l’ascendant : la bourgeoisie, qui à cette époque découvre le pianoforte, nouvel instrument qui combine la forme du clavecin et la technique du clavicorde, avec non plus des tangentes mais des marteaux, qui peuvent bouger plus librement. Dans toute l’Europe, la bourgeoisie va promouvoir ces nouveaux instruments à marteau. Quel était l’état d’esprit des compositeurs ? Les compositeurs de cette époque, qui étaient aussi interprètes, n’étaient pas spécialisés ; ils jouaient aussi bien du clavecin que de l’orgue selon les circonstances. Mozart dut attendre 1784 pour avoir son premier pianoforte alors qu’il avait déjà composé neuf concertos pour clavier, c’est-à-dire pour clavecin. Beethoven, lui, avait été organiste à Bonn mais aussi claveciniste dans l’orchestre de l’archevêque ; à Vienne, en toute logique, il devint fortepianiste. Dans cette ville, la famille impériale avait compris qu’il était important de suivre le développement de la société et s’était mise à acheter des pianofortes dès la fin des années 1780, alors que la famille royale, à Versailles, entendait préserver la tradition aristocratique du clavecin. C’est avec la Révolution, en France, que le clavecin connaîtra son déclin, pour des raisons autant sociales que musicales. Si on voit imprimé, sur les premières partitions de Beethoven, per il Clavicembalo o FortePiano (« pour le clavecin ou le pianoforte »), c’est qu’à cette époque beaucoup de musiciens amateurs ou professionnels utilisaient encore le clavecin : l’éditeur exprime là un souci commercial. A partir de la Sonate « Pathétique », il y aura une inversion des facteurs (per il Forte-Piano o Clavicembalo, « pour le pianoforte ou le clavecin »), mais toujours en italien, car à cette époque le mot Clavier, avec un c, était utilisé dans les pays de langue germanique pour désigner l’ensemble des instruments à touches. Aujourd’hui, le mot Klavier, avec un k, désigne tous les instruments de la famille du piano. Quel est la place du Hammerklavier dans cette histoire ? Les Allemands parlaient parfois de Flügel, mot qui signifie « aile », pour désigner les clavecins ayant cette forme, le mot Cembalo étant utilisé pour désigner les autres clavecins. Ils se sont mis à parler de Hammerflügel pour désigner le pianoforte, Hammer signifiant « marteau ». Le mot Hammerklavier, c’est-à-dire « clavier à marteaux », désigne le même instrument, mais s’attache à son mécanisme et non pas à sa forme. La célèbre Sonate « Hammerklavier » de Beethoven n’était donc pas destinée à un instrument différent. Mais comme elle était dédiée à l’archiduc Rodolphe, elle fut l’occasion d’utiliser pour la première fois un terme allemand sur la page de titre. A cette époque se développait le nationalisme, ce qui n’a pas empêché l’éditeur Artaria d’utiliser le mot « pianoforte » sur la page de la première édition française, qui fut publiée simultanément à la première édition allemande. Pourrait-on imaginer de jouer au clavecin la Sonate « Hammerklavier » ? C’est déjà très difficile au pianoforte ! Mais au clavecin, ce serait inimaginable car Beethoven utilise la pédale pour ses octaves parallèles, et de toute manière la partition dépasse l’ambitus de cinq octaves qui est celui du clavecin. A moins d’avoir un clavecin à deux claviers. Songez que de 1790 à 1830, grosso modo, on est passé de cinq à huit octaves, avec au départ un poids de 8 grammespar touche pour arriver à 60 grammespar touche ! Il importe vraiment de bien choisir l’instrument. Il arrive aujourd’hui que l’on joue La Création de Haydn avec un pianoforte, mais ce choix n’a pas de sens si l’on veut respecter la tradition de l’époque, car le clavecin, instrument très brillant, aidait les musiciens de l’orchestre à jouer ensemble et assurait à ce dernier une base rythmique. Le pianoforte est un instrument soliste ou chambriste, mais il ne peut pas avoir la fonction rythmique du clavecin. Songez que l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig, en1805, a fait l’achat d’un nouveau clavecin, alors que la mode était passée : c’est qu’au sein de l’orchestre, l’instrument avait toujours sa place. Au fait, quelle différence y a-t-il entre un clavecin et une épinette, entre un clavecin et un virginal ? Le virginal et l’épinette sont des variations du clavecin, de plus petite taille, de prix moins élevé, mais avec la même technique et la même mécanique. C’est la position des cordes par rapport au clavier qui diffère. Elles font un angle de 45° à l’épinette, un angle de 90° au virginal, alors qu’elles sont directement reliées au clavier dans le cas du clavecin. Quels facteurs de piano Beethoven a-t-il fréquentés ? Il était en contact avec Walter et Conrad Graf, les facteurs de Vienne, et avec Nanette Streicher, la fille du facteur Stein, qui s’était mariée avec le virtuose Streicher. Il a reçu en cadeau un magnifique instrument de Broadwood. En France, un facteur comme Érard travaillait d’une manière plus proche d’un Anglais comme Broadwood que des Viennois. Il y avait de grandes discussions entre Beethoven et Walter : Walter a un jour ajouté un modérateur aux instruments qu’il fabriquait, c’est-à-dire une pièce qui réduit le son. Mais il n’a jamais voulu ajouter l’unacorda, mécanisme qui permet de produire un son léger en faisant marteler une seule corde et non plus deux ou trois simultanément, alors que Beethoven le souhaitait. L’instrument que je vais jouer lors du concert du 24 novembre sera muni du modérateur et de l’unacorda, nous serons donc fidèles aux souhaits de Beethoven. Cet instrument est également idéal pour la balance avec le violon ou le violoncelle, qui sont toujours en danger lorsque le pianiste utilise un grand Steinway contemporain. Quant à la Sonate en ut mineur que je vais jouer, elle est parfois appelée la « Petite Pathétique » car elle est écrite dans la même tonalité que la célèbre Pathétique, dont elle partage l’état d’esprit, même si elle n’oublie pas les leçons de C.P.E. Bach, qui à cette époque était encore la référence des compositeurs pour clavier. Que s’est-il passé après la mort de Beethoven ? Qu’a apporté à la facture du piano un musicien comme Liszt ? Au XIXe siècle, tout change : la bourgeoisie l’a emporté, le public des concerts est de plus en plus important, les salles et les orchestres sont eux-mêmes de plus en plus vastes, les instruments sonnent de plus en plus fort, etc. Beethoven est par ailleurs l’un des premiers compositeurs à n’être plus attaché à une cour ; il est soutenu par des mécènes mais il est persuadé de son génie et revendiquait son autonomie. Liszt ira plus loin encore en inventant le statut de vedette ! Quant au piano, il a cessé d’évoluer au XXe siècle. Le piano à queue noir, que nous connaissons, date des années 1920. La mécanique elle aussi a été fixée à cette époque. Vous-même, pratiquez-vous toute la gamme des instruments qu’on désignait autrefois en Allemagne sous le nom générique de clavier ? J’ai commencé à l’âge de huit ans avec le clavecin, instrument que j’ai étudié à Amsterdam chez Gustav Leonhardt. Puis j’ai découvert sous le toit du Conservatoire d’Amsterdam une magnifique collection de pianofortes. J’ai joué sur des instruments de 1826, de 1840, ou sur des copies, mais je n’ai pas encore touché d’instruments plus récents ! Je possède des copies d’instruments de 1788 et de 1812, et au Conservatoire de Cologne, où je travaille, une copie d’un Walter proche de celle que j’utiliserai à Radio France. Un mot sur le diapason… Notre diapason sera à 430. Lors d’un symposium organisé par la BBC, il a été décidé de régler le diapason à 415 pour la musique ancienne, à 392 pour la musique ancienne française, à 440 ou 442 pour la musique plus moderne. Pour la musique classique historique, on a décidé de le fixer à 430. Chaque ville autrefois avait sa hauteur ! C’est pourquoi on voit des flûtes faites de trois morceaux avec, au milieu, un morceau de taille variable de telle façon que les flûtistes puissent s’adapter en passant d’une ville à une autre. Propos recueillis par Christian Wasselin Le concert du 24 novembre à 18h sera diffusé ultérieurement sur France Musique.