Tesis Alejandro Amenabar

Transcription

Tesis Alejandro Amenabar
Juillet
2004
Alejandro Amenabar
Une réflexion
sur les pouvoirs de l’imageune femme
Fiche d’analyse de film
Ana TORRENT
Fele MARTINEZ
Eduardo NORIEGA
Miguel PICAZO
Tesis
Espagne ���1996 ���Couleur ���2h10
Scénario
Image
Montage
Musique
Alejandro AMENABAR
Hans BURMANN
Elena SAENZ DE ROZAS
Alejandro AMENABAR et Mariano MARIN
123
L’histoire
Le film s’ouvre sur une scène de suicide dans
le métro ; un agent intervient demandant aux
gens agglutinés de ne pas être morbides et de
circuler. La thèse est posée.
Novembre 1995, facultés des sciences de
l’information et de la communication : une
jeune femme, Angela, fait une thèse sur un
sujet difficile : la violence dans les images,
surtout celle qui ne passe pas à la télévision.
Elle demande à son directeur de thèse, le
professeur Figueroa, de lui trouver de la
documentation filmée car il a accès à un fonds
que les étudiants ne peuvent consulter.
A force de recherches, le professeur
Figueroa trouve enfin une cassette vidéo pour
Angela et va en salle de projection pour la
visionner ; il en mourra et Angela récupèrera
la cassette.
Entre-temps Angela rencontre Chema, un
autre étudiant « cinéphile » qui détient des
films qui pourraient intéresser la jeune femme.
Elle se rend chez lui et assiste à un « snuff
movie » intitulé « Fresh blood », qui filme en
réel une trépanation.
Puis, Chema et Angela regardent ensemble
« la cassette mortelle » : elle montre les
tortures puis le meurtre d’une étudiante,
Vanessa, disparue deux ans plus tôt. Dès lors,
les jeunes gens commencent une enquête.
Angela découvre qu’un étudiant filme sa
petite amie avec le type de camera qui a
servi au snuff movie, il s’agit de Bosco, qui,
se sentant suivi par Angela, se met à la suivre
à son tour. Pour aller un peu plus loin Angela
interroge Bosco sur son passé, prenant le
prétexte d’un reportage.
Chema n’aime pas Bosco et le soupçonne
d’être le psychopathe qui a tué Vanessa. Mais
Angela est fascinée par Bosco. Elle se met à
faire des cauchemars où pulsions érotiques
et pulsions de mort se mêlent et prennent le
visage de Bosco.
Le professeur Castro remplaçant de
Figueroa fixe un rendez-vous à Angela pour
faire le point, dit-il, sur sa thèse. Très vite il
l’interroge sur ce qu’elle sait de la mort de son
professeur car il possède un enregistrement
du système de surveillance qui montre
qu’Angela a volé la cassette visionnée par
Figueroa. Chema téléphone à Angela dans
le bureau de Castro pour lui demander de
s’enfuir; apparemment le professeur est mêlé
aux snuff movies… Angela obéit.
La petite amie de Bosco vient trouver
Angela et lui annonce que Vanessa a été
assassinée par un ami de Bosco qui était en
cours avec eux, cet ami ce serait Chema…
depuis il a sans doute continué car cinq jeunes
filles ont disparu.
Chema reconnaît qu’il connaissait Bosco
mais rien d’autre ; pour se disculper, il se
rend à la médiathèque avec la jeune femme
pour tenter de retrouver les caméras qui ont
servi aux snuff movies : dans les couloirs des
anciennes chaufferies, ils trouvent certaines
preuves mais quelqu’un les a suivis et la
lumière s’éteint. Angela panique. Quand les
lumières se rallument Chema a disparu et tout
à coup Angela est chloroformée.
Elle se réveille ligotée face au professeur
Castro. Mais Chema intervient, il se bat avec
le professeur et, dans la lutte, un coup de feu
part : c’est le professeur qui est tué.
Angela se rend chez Chema ; pendant
qu’il prend une douche, elle range quelques
affaires et découvre une caméra à l’intérieur
de laquelle se trouve une cassette qui porte
son nom : elle a été filmée chez elle à son insu
par Chema ! Angela s’enfuit. En rentrant chez
elle, elle apprend qu’une femme la menace
au téléphone : il s’agit vraisemblablement de
Yolanda, la petite amie de Bosco.
Ne pouvant pas joindre Bosco, elle se rend
chez lui ; il lui explique que Yolanda est folle de
jalousie et qu’elle a probablement tué toutes
les jeunes femmes disparues. Les lumières
s’éteignent à nouveau. Pendant que Bosco
essaie de remettre le courant, Chema s’est
introduit dans la maison ; ils se battent. Angela
se rend dans le garage et découvre que c’est
là que les films ont été tournés. Bosco arrive
alors et révèle qu’il va torturer et tuer Angela :
il met en marche une camera. Dès les premiers
coups, Angela est parvenue à se détacher, elle
blesse Bosco, s’empare de son pistolet et le
tue devant la caméra qui continue à filmer.
Le film s’achève sur une émission de
télévision, «Justice et Loi», qui consacre un
reportage à cette sordide affaire de snuff
movie, et à cette intolérable violence que
personne cependant ne peut s’empêcher de
regarder …
Pistes de réflexion
Pistes de réflexion
Le titre du film d’Alejandro Amenabar est
juste à plus d’un égard ; il renvoie bien sûr à la
thèse qu’écrit son héroïne mais il est également
un film argumentatif où le réalisateur se livre à
une réflexion extrêmement poussée, suite à
une thèse initiale : les gens aiment la violence.
de vue interne
• le point
ouI/ les
égarements
du jugement.
le point
de vue interne
ou les égarements
du jugement.
Le premier constat qui s’impose lorsque l’on
regarde Tesis est assez contradictoire ; d’un
coté l’on trouve la narration assez décousue ;
les événements se superposent les uns aux
autres, avec une progression chronologique
mais sans construction apparente. En ce sens,
Tesis a toutes les caractéristiques d’un bon
film policier ou mieux encore d’un thriller :
suspens, incertitude quant à l’identité du
meurtrier, coups de théâtre se construisent en
juxtaposition sans que l’indice ou l’information
capitale ne soient mis en valeur… Le
spectateur se sent rapidement manipulé.
En même temps, il est pris par un sentiment
de malaise ; ce malaise est lié à ce que
Freud appelait « unheimlich » ou inquiétante
étrangeté. Aucun des personnages principaux
n’est tout à fait «normal» : Chema est un
marginal qui ne recherche que la violence
et la pornographie, il a un coté voyeur très
dérangeant. Bosco est un psychopathe qui
raconte avec un ton égal
qu’il va frapper Angela, lui
tirer une balle dans la tête
puis la dépecer… Le professeur Castro, censé être
un intellectuel, présente
le cinéma comme une
industrie où le spectateur
est le seul maître et du
coup justifie le snuff movie...
Cette inquiétante étrangeté
touche également les lieux : l’appartement
de Chema tient davantage du squat que d’un
véritable logement, les couloirs de l’ancienne
chaufferie sont sombres, insalubres ; en
somme tout est fait pour mettre le spectateur
mal à l’aise.
En y réfléchissant on se rend compte que ce
malaise est celui ressenti par l’héroïne : si tout
est inquiétant et étrange, c’est parce que tout
est perçu de manière subjective par Angela qui
transmet par son regard, par son jugement,
c’est-à-dire par la camera, ses angoisses, ses
hésitations, ses errements. C’est pour cette
raison que les personnages sont si instables.
Bosco est inquiétant parce qu’il se met à suivre
Angela dans les couloirs de la fac ; ces mêmes
couloirs deviennent inquiétants à leur tour
parce qu’Angela se sent en danger. Chema
est rassurant quand Bosco est suspecté de
meurtre mais Bosco devient un allié que l’on
va retrouver lorsque Chema devient suspect ;
Yolanda, la petite amie de Bosco, est une aide
lorsqu’elle informe Angela que Chema connaît
Bosco mais elle devient une rivale dangereuse
lorsque des coups de téléphone très violents
sont passés … En fait, le malaise naît de ce
que le spectateur, tout comme l’héroïne se
sent constamment sur un terrain instable, ne
sachant sur qui ou sur quoi s’appuyer.
et humanité
• Violence
II/ Violence et humanité
La thèse que formule Amenabar est loin
d’être nouvelle : Sommes-nous vraiment les
victimes de la violence dans les media ? Allons
encore plus loin : la violence quotidienne,
celle de la réalité peut-elle vraiment se
donner comme excuse qu’elle a été générée
par la violence des media. Le psychanalyste
américain Bruno Bettelheim affirmait que «si
les adultes n’aimaient pas voir des images de
violence, les media n’en diffuseraient pas une
telle profusion».
La pensée d’Amenabar s’oppose à toute
simplification en même temps qu’elle
s’a f f i r m e s a n s a u c u n e
concession : la violence
existe en l’homme, à l’état de
pulsion ; la nier, c’est renier
notre humanité. Bien sûr, il
faut condamner la pratique
de la violence comme le
fait Angela mais n’est-ce pas
elle qui, paradoxalement, la
nuit rêve de viol, de coups
de couteau et en retire une
forme de plaisir ? Faut-il croire ce qu’elle dit
ou le rêve, cet autre langage qui vient du plus
profond de l’être ?
Si la violence ne la fascine pas alors pourquoi
avoir choisi ce sujet de thèse ? A la vision de la
première cassette, Angela demande à Chema
« Mais qui regarde ce type de film ?», elle
exprime par là son dégoût et Chema de lui
répondre, en porte parole du réalisateur :
«Toi !».
Ce qui est vrai de l’individu l’est tout
autant de la société : la violence fascine tout
le monde ; deux scènes en sont témoins,
construites en une parfaite symétrie. La scène
d’ouverture montre Angela sortant du métro :
un attroupement se crée car un homme s’est
suicidé en se jetant sous le métro ; Amenabar
ne montre rien mais les plus sincères d’entre
nous ne pourront qu’en ressentir un regret…
La scène finale est encore plus exemplaire.
La mort de Bosco et du professeur Castro
donne lieu à un reportage à la télévision; la
présentatrice répète que les images sont
insupportables, un bandeau déconseille
hypocritement aux «âmes sensibles» de
regarder : tout est fait pour attirer l’attention
du spectateur et l’hôpital, la ville et le pays
entier sont devant la télévision. Ceci n’est pas
sans rappeler le voyeurisme dont nous faisons
preuve face à la violence et il n’est pas utile de
rappeler ce qu’au nom de l’information on a pu
diffuser -et regarder- aux cours des dix années
passées : guerre du golfe, 11 septembre,
photographies de tortures dans les prisons
irakiennes ou encore décapitations d’otages
sur internet…
La frontière entre voyeurisme et information
est ténue, Amenabar l’affirme constamment
grâce à la métaphore obsédante du regard :
camera, pupille, regard reviennent sans arrêt ;
«de quelle couleur sont mes yeux ?» demande
Bosco à Angela et ce par deux fois…
abyme
perversité.
etetperversité
•III/MiseMiseenenabyme
Le procédé de la mise en abyme plus
qu’exploité n’est pas une simple coquetterie
mais bien une grille de lecture ; il permet de
réfléchir à la relation entre réalité et fiction.
Nous contacter
Faire un film c’est faire œuvre de fiction,
du moins tant que nous ne sommes pas dans
le documentaire ; dès lors le snuff movie est
presque contre nature puisqu’il s’agit pour
la réalité de dépasser la fiction, dans une
surenchère permanente. Roman Polanski
déclarait : «tous les tabous sexuels ont été
montrés à l’écran et nous pouvons nous
demander quelle sera la prochaine étape de
cette surenchère. Ce pourrait être le meurtre.
Ces films ont un nom : the snuff movie, où
l’assassinat est commis sans simulation… ».
Nous n’avons guère de place pour nous
appesantir sur le sujet mais le danger du snuff
serait justement que la distance introduite
nécessairement par la camera pousse le
spectateur à considérer la scène pourtant
réelle comme moins grave, ce qui reviendrait à
banaliser meurtres et sévices en leur conférant
une dimension de fiction.
C’est sans doute en réponse à ce problème
épineux qu’Amenabar introduit des éléments
réels dans son film: Quand Angela consulte
le fichier de tous ceux qui disposent d’une
camera avec zoom numérique, un nom
apparaît «Amenabar Alejandro». Clin d’œil,
bien évidemment, mais comme la réalité peut
entrer dans la fiction, la fiction peut entrer
dans la réalité : les snuff movies ne sont pas
seulement les sujets de films de fiction, ils
existent ou du moins peuvent exister ( cf.
le terrifiant 8 millimètres de J. Schumacher,
avec Nicolas Cage) et trouveront un public.
Prenons garde de ne pas devenir ce public…
Le film d’Alejandro Amenabar est troublant,
car il ouvre sur une réflexion qui va très loin
et explore les profondeurs de l’être, celles où
se tapissent nos instincts les plus inavoués.
On a beaucoup comparé le jeune réalisateur
espagnol au maître Hitchcock, au moment
de la sortie des Autres ; dans la manipulation
du spectateur, dans l’obsession du regard et
dans la réflexion sur le pouvoir de l’image,
l’influence, ou mieux encore l’hommage, ne
datent pas d’hier.
José DE VARGAS
U n r é s e a u d ’ am i s r é u n i s p a r l a p a s s i o n d u c i n é m a
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