DE LA DÉFINITION DE LA CHANSON POPULAIRE Depuis que l

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DE LA DÉFINITION DE LA CHANSON POPULAIRE Depuis que l
Je ne suis pas ni mathématicien, ni économiste, mais je
ne crois pas me tromper en disant que les sommes
affectées partout, en une seule année, aux préparatifs
militaires suffiraient, grosso modo, à la cueillette de la
musique populaire du monde entier.
Béla Bartók
DE LA DÉFINITION DE LA CHANSON POPULAIRE
Depuis que l’intérêt pour la musique populaire s’est révélé, au siècle dernier,
plusieurs écrivains, folkloristes et musiciens ont cherché à donner une définition
exhaustive de ce sujet aussi indéfinissable et mystérieux qu’est la chanson populaire et qui paraît échapper à tout classement et à toute règle, musicale ou littéraire.
Pour tâcher d’éviter la confusion presque inévitable, entre des termes tels que
“populaire”, “folklorique”, etc., je me rapporte à la définition qui me paraît la plus
correcte : celle que Béla Bartók a donnée, partageant le patrimoine du chant populaire en deux genres : la musique “cultivée” d’inspiration populaire d’une part, et
la musique propre aux paysans1.
Le premier genre comprend toutes les mélodies ayant une structure plutôt
simple, composées par des auteurs appartenant à un milieu citadin – ce qui ne veut
pas dire qu’elles ne soient pas connues des paysans, au contraire.
Le second rassemble toutes les mélodies qui représentent l’expression instinctive de la sensibilité musicale et littéraire des paysans, se basant surtout sur la tradition orale, et n’ayant pas d’auteur connu.
Il s’ensuit que dans cet ouvrage j’emploierai le mot “populaire” pour désigner
toute la production qui en fait l’objet en tant que répertoire répandu dans le milieu
populaire, tandis que le mot “folklorique” indiquera le patrimoine anonyme, parvenu jusqu’à nous par transmission orale, qui appartient entièrement aux classes
populaires.
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Cela dit, cette distinction n’épuise pas un sujet aussi débattu, vu qu’entre
“folklorique” et “populaire” il n’existe pas de limite fixe et que toute distinction
ne peut être que relative dans ce domaine.
En Vallée d’Aoste les études concernant le folklore sont limitées à une série
très exigüe d’ouvrages, qui, bien que fragmentaires, témoignent d’une certaine
attention pour un aspect de notre civilisation, dont l’étude et la connaissance peuvent rapprocher l’individu de ses véritables racines, en lui permettant ainsi une
prise de conscience globale de sa culture particulière.
Cette lacune est d’autant plus étonnante – et regrettable – si l’on considère
l’intérêt qui lui dérive au point de vue ethnographique : un intérêt qui lui dérive du
fait d’être à la fois un creuset de peuples différents (qu’on songe aux Walser de la
Vallée du Lys) et une zone extrêmement conservative en ce qui concerne les
modes de vie traditionnels.
On ne peut se passer, toutefois, d’évoquer ici, en passant, quelques “pionniers“ qui ont défriché le domaine du folklore valdôtain à la fin du siècle dernier
et au début du nôtre : Joseph-Siméon Favre, dont il sera question d’ici peu ; le
chanoine Pierre-Antoine Cravel, à qui l’on doit d’intéressantes notes ethnographiques sur plusieurs paroisses de la Vallée2 ; l’abbé Jean-Jacques Christillin,
enquêteur passionné des légendes et des traditions de la Vallée du Lys3 ; Tancrède
Tibaldi4 ; Joseph Cassano4 ; et, plus près de nous, Jules Brocherel, dont l’attention
se tourna surtout vers l’art populaire et les rites de passage5. Récemment, un
renouveau de l’intérêt des milieux intellectuels valdôtains vers le patrimoine
populaire a produit une série d’initiatives, notamment dans le domaine des traditions religieuses6, des légendes7, de la sauvegarde du patois8 et, plus en général, de
l’enregistrement de témoignages sonores sur la vie traditionnelle9.
Pour ce qui concerne plus directement le sujet de cette publication, au point de
vue de l’ethnomusicologie, c’est-à-dire de l’étude systématique de la musique
populaire et folklorique, la Vallée d’Aoste ne possède presque pas de travaux spécifiques.
Les rares références se rapportant à des enquêtes ethnomusicales conduites en
Vallée d’Aoste se trouvent dans les articles que Joseph-Siméon Favre publia dans
Le Valdôtain (1890-1891) et dans Le Mont-Blanc (1894-1898)10, ainsi que dans
l’ouvrage que Tiersot consacra aux chansons populaires des Alpes françaises, et
dont Favre fut l’un des principaux collaborateurs11.
Presque tous les chansonniers parus en Vallée d’Aoste ne présentent qu’un
répertoire formé pour la plupart de chansons non folkloriques, adaptées aux exigences musicales des nombreux groupes chorals locaux, considérés comme les
héritiers de la tradition musicale de la Vallée, et qu’on a poussés seulement dans
ces dernières années vers une tentative de recherche musicale en milieu valdôtain.
31
Le patrimoine populaire, presque entièrement inexploré, risque ainsi de disparaître sans avoir été connu, à cause des modifications profondes qui percent plus
au moins rapidement le tissu social et qui dispersent tout un bagage culturel
s’étant transmis jusqu’à présent d’une génération à l’autre. D’où l’urgence d’une
enquête sur la chanson populaire, en tant qu’expression du patrimoine ethnographique valdôtain ; avant que tout cela ne se perde à jamais.
Mon intérêt vis-à-vis de ce problème me porta, au moment où j’en eus la possibilité matérielle, à donner une petite contribution au travail que l’Association
Valdôtaine des Archives Sonores (AVAS) avait commencé dès sa fondation par
une enquête ayant un caractère ethnomusical.
L’ouvrage, qui en constitue le résultat final, n’est qu’un tout premier aperçu,
modeste et imparfait, sur une branche de la tradition populaire, qui s’est révélée
très originale et riche d’une façon insoupçonnable.
Au cours de l’année scolaire 1981-1982, l’enseignement de l’éducation musicale à l’École Normale de Verrès m’engagea dans la recherche de stimulations
didactiques toujours nouvelles, par lesquelles je voulais accroître l’intérêt des
élèves pour l’approfondissement de toute expression musicale et faire ainsi comprendre la valeur spirituelle que l’art en général a pour la vie humaine.
Dans les quatre classes de l’Institut de Verrès et dans les quatre classes de
l’annexe de Châtillon, il y avait les conditions objectives favorables pour commencer une enquête de ce genre : les élèves provenaient tous de différents villages
de la basse Vallée ; ils étaient intégrés dans une communauté rurale où les héritiers
d’une tradition populaire bien vivante étaient encore présents.
En m’appuyant sur l’AVAS, qui me donna le matériel et m’encouragea dans la
recherche, j’organisai l’enquête, poussée aussi par le grand intérêt et l’enthousiasme
que cette initiative rencontra parmi les élèves dès les premières semaines de travail.
En effet ils n’eurent pas trop de difficultés à enregistrer leurs grands-parents et
les vieillards de leur village, qui de bon gré recouvrèrent le répertoire musical de
leur jeunesse. La recherche fut élargie ensuite à des maisons de repos aussi,
notamment l’“Istituto della Divina Provvidenza” de Saint-Vincent, et la “Domus
Pacis” de Donnas.
Tout cela, au point de vue matériel, donna comme résultat final un grand
nombre de chansons, de récits, de légendes, de souvenirs, de témoignages, de
cahiers à chansons manuscrits etc. ; mais cela permit aussi à l’école, ce qui est
encore plus important, de s’acquitter de l’un de ses principaux devoirs : l’instauration d’un rapport entre les générations, très différent de celui qui constitue la triste
réalité des personnes du troisième âge.
D’une part il y eu la prise de conscience, de la part des jeunes gens, de la
valeur de garder le savoir des anciens, et de l’importance de la récupération des
32
personnes âgées, de leur intégration sociale ; de l’autre la prise de conscience, de
la part des vieux, de pouvoir encore constituer un point de repère et d’appui
valable pour les nouvelles générations.
Voilà donc que l’importance didactique d’une expérience de ce genre ne peut
d’aucune façon être sous-évaluée face aux résultats concrets du travail accompli.
À la fin de l’année scolaire, le matériel recueilli avait tellement augmenté en
ses proportions qualitatives et quantitatives, qu’on envisagea une éventuelle
publication, pour rendre accessible à tout le monde une minuscule partie d’un
patrimoine extrêmement riche et presque inconnu. Cela constitua le point de
départ pour une recherche personnelle, qui aboutit au catalogage des documents
d’importance ethno-musicale des Fonds Brocherel des Archives Historiques
Régionales.
Le travail a ainsi été articulé en deux moments bien définis :
a) tout d’abord le sondage des grands-parents et des vieillards des villages,
effectué au moyen d’un enregistrement et d’une interview personnalisée en
fonction de l’interviewé, qui a précédé l’enquête parmi les hôtes des maisons de repos. Dans cette phase on a aussi recueilli les cahiers à chansons et
les photos publiées dans ce livre.
b) Une fois le matériel recueilli, on a procédé à son classement : les mélodies
enregistrées ont été transcrites, aussi bien que les textes. (Les chansons en
patois et en piémontais, qui présentaient de problèmes liés à la transcription
et à l’écriture du texte ou à la traduction, ont été soumises à l’attention
d’experts tels que M. Alexis Bétemps, président du Centre d’Études Francoprovençales).
Les chansonniers manuscrits ont été classés et constituent la deuxième partie
de cet ouvrage.
Au point de vue quantitatif le travail a produit une masse considérable de
matériel, si l’on considère les limites dans le temps, dans les moyens (techniques
aussi), dans l’espace. Cela témoigne indiscutablement de la richesse de notre
patrimoine populaire, encore bien vivant, ainsi que de l’intérêt et de la sensibilité
des jeunes gens face à certains problèmes et à une certaine réalité ethnographique.
C’est pourquoi on a décidé de devoir publier tout le matériel sonore recueilli,
pour offrir un panorama le plus “complet” possible de tout ce qui effectivement
constituait le vrai répertoire vocal du peuple valdôtain dans le récent passé.
Au point de vue qualitatif l’enquête a permis l’assemblage de plus d’une centaine de chansons, connues, moins connues et presque totalement inconnues, en
patois, en français, en piémontais et en italien, à même d’illustrer une série de thématiques, la plupart propres à la tradition populaire et folklorique courante de
l’Europe occidentale.
33
En détail, les chansons en patois, en français et en piémontais se relient plus
directement aux thématiques classiques du folklore européen, recueilli et étudié
au cours du siècle dernier par les grands folkloristes12.
La plupart des chansons en italien appartiennent au genre des chansons
deguerre, se rapportant surtout à la “Grande guerre”. D’autres proviennent des
“feuilles volantes” 13.
Contrairement aux françaises, qui ont une allure plus archaïque, les versions
italiennes des chansons folkloriques typiques du patrimoine de l’Europe Occidentale se présentent ici, au point de vue du texte, dans leur forme la plus récente.
À remarquer que les chansons en patois, se révélant les plus liées à des facteurs contingents, se situent à la limite des thématiques folkloriques connues. En
général, elles appartiennent au genre satyrique.
Tout cela témoigne d’une lente pénétration de la langue italienne depuis la
Première guerre mondiale ; tandis que, vu la zone géographique considérée, la
basse Vallée, la remarquable influence du piémontais indique une indéniable
osmose avec le Canavais.
Il y a aussi, dans ce recueil, un certain nombre de chansons en langue française qui appartiennent au genre de la romance d’opérette, de la chanson à la mode il
y a 40 ans : elles proviennent de la tradition écrite et n’ont été confiées à la
mémoire que successivement.
Il n’est peut-être pas sans intérêt de prendre en considération le nombre et le
pourcentage des chansons relativement à leur appartenance linguistique et à leur
localisation géographique. En ce qui concerne les chansonniers recueillis, on a la
répartition suivante :
Nombre des
chansonniers
recueillis
Aoste
Arnad
Brusson
Cogne
Courmayeur
Émarèse
Étroubles
Gignod
Hône
Issime
Rhêmes-St-Georges
Saint-Denis
Sarre
Saint-Pierre
Valgrisenche
34
5
2
1
2
4
1
1
1
4
1
1
1
1
1
4
Total des
chansons
433
35
60
106
226
12
44
20
149
75
27
3
38
39
129
Patois Français Piémontais
1
–
–
1
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
389
34
27
44
181
1
37
20
3
45
27
3
1
18
53
2
–
–
2
–
–
–
–
16
–
–
–
–
–
–
Italien Autre
41
1
33
59
45
11
7
–
130
30
–
–
37
21
76
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
Verrès
Divers a
1
3
20
34
–
21
12
11
1
1
7
–
TOTAL
39
1557
23
1020
22
491
1
100
1,5
65,5
1,4
31,5
0,1
% approxim.
–
1b
Chansons, comptines, formulettes et randonnées recueillies par A. Ronc Désaymonet (AHR,
Fonds Brocherel)
b
Parodie du latin ecclésiastique.
a
Pour ce qui est des chansons enregistrées directement la situation est la suivante :
Total des
chansons
Ayas
Aoste
Arnad
Challand-St-Anselme
Châtillon
Diémoz
Donnaz
Doues
Émarese
Fontainemore
Hône
Issime
Issogne
Montjovet
Perloz
Pontey
Pont-Saint-Martin
Quart
Saint-Denis
Saint-Vincent
Ussel
Valtournenche
1
2
13
9
9
7
8
4
4
2
16
6
4
2
1
11
4
4
3
6
4
4
TOTAL
Pourcentage approximatif
Patois Français Piémontais
Italien
1
2
3
1
6
7
4
3
1
1
1
2
1
3
2
2
1
1
2
4
3
2
4
4
6
1
11
2
4
2
1
1
1
2
1
9
2
1
2
1
3
3
4
1
2
124
13
45
16
50
100
10,5
36,3
12,9
40,3
1
1
1
Il existe, de toute évidence, un décalage remarquable entre les données des
deux schémas ci-dessus. Il faut tenir compte que les chansonniers se rapportent à
la situation d’il y a une trentaine d’années au moins (pour les plus récents), et
qu’entre temps ils s’est vérifié en Vallée d’Aoste des transformations socioéconomiques dont on connaît les conséquences sur le plan linguistique. En ce qui
concerne plus particulièrement les chansons en patois et en piémontais, le nombre
réduit de spécimens qu’on retrouve dans les cahiers démontre le caractère éminemment oral de la transmission de ces chansons et s’explique en partie par leur
35
caractère plus contingent, ainsi qu’on l’a déjà remarqué, et par la difficulté de
trouver un code orthographique adéquat.
Au point de vue musical, on ne peut prendre en considération que les chansons dont on a un témoignage sonore déchiffrable.
Les chants se fondent le plus souvent sur les mesures de 6/8 et de 2/4, sans
être encadrées dans des structures rythmiques rigides. Remarquons aussi que ces
deux mesures peuvent se reconduire à une matrice unique, propre à la tradition
orale, qui tend à l’appliquer même aux mélodies provenant de la tradition écrite,
conçues avec des mesures différentes.
La plupart des mélodies peuvent être reconduites au système tonal et leur
ambitus n’est pas très étendu. Pour presque toutes les chansons en italien et en
piémontais, ainsi que quelques-unes en français, le chanteur peut être accompagné
d’une deuxième voix, qui généralement chante une tierce au-dessous de la première. Ce procédé est typique de la polyphonie populaire de l’Italie du nord, alors
qu’en France et en Suisse, par exemple, il est absolument inconnu.
La structure des mélodies est strophique, bien qu’elle soit plutôt élastique et
tende à s’adapter, dans chaque couplet, à la longueur des vers, qui sont souvent
irréguliers. C’est là l’une des principales clefs de l’invention populaire, qui en
reçoit un caractère de fluidité remarquable, en dehors de toute possibilité de codification stricte selon les règles de la musique académique.
D’où la quantité infinie, de variantes possibles et de contaminations réciproques faisant de la musique populaire quelque chose de toujours vivant, d’antinomique par rapport à la notion d’immobilité figée à laquelle le concept de “tradition” est trop souvent associé ; car la chanson populaire se fonde sur un patrimoine capable de trouver en lui-même la sève vitale d’un renouvellement continuel.
La deuxième partie de mon travail a comme objet les nombreux “cahiers à
chansons” ou “chansonniers manuscrits” qu’on a retrouvés au cours de la
recherche des chansons.
Ce sont des cahiers, appartenus en général à des femmes, (plus ou moins lettrées,) qui aimaient y marquer des chansons, parfois mêlées à d’autres sujets
(recettes, conseils, remèdes, lettres etc.) qui leur intéressaient particulièrement, et
dont la longueur pouvait créer des problèmes à leur mémoire.
Or, une étude systématique et scientifique en ce domaine n’existe ni en France, ni en Italie, ayant les folkloristes préféré l’étude de la tradition orale à l’écrite,
en tant que garantie d’une crédibilité plus sûre du matériel folklorique.
Tout de même (et les cahiers recueillis le démontrent) dans les milieux où
l’analphabétisme était presque inconnu dès le début du XIXe siècle, comme la Vallée d’Aoste, la tradition écrite peut être considérée parallèle et complémentaire
par rapport à la tradition orale.
36
En effet, on y a retrouvé un grand nombre de chansons à l’allure typiquement
folklorique, que l’auteur, vraisemblablement, écrivait sur son cahier pour retenir
les couplets, parfois très nombreux, d’une chanson qu’il avait entendu chanter, et
qui l’avait particulièrement frappé.
Les cahiers à chansons témoignent donc d’une civilisation populaire, où, dans
l’ensemble multiforme de ses manifestations collectives ou individuelles, la liberté d’expression originale a produit des résultats concrets très intéressants et riches
de contenus : c’est pourquoi on a cru nécessaire de faire un premier classement
des cahiers.
Presque toutes les chansons de ce recueil, qui ont été enregistrées par les
élèves de l’École Normale de Verrès, ont ensuite été transcrites en notation musicale. Cela a été fait pour rendre accessible à tout lecteur la structure mélodique et
rythmique, qui constituent les deux dimensions essentielles du chant populaire.
Les transcriptions ont donc un caractère impromptu, lié au moment de l’enregistrement, étant donné que les interprétations vocales du chanteur populaire, soumises à des changements continuels, produisent d’innombrables variations et
témoignent de la variabilité du chant populaire et de sa vitalité.
« La recherche folklorique ne peut plus se passer aujourd’hui du phonographe
ou du gramophone. Du point de vue scientifique, la matière authentique est simplement celle qui a été enregistrée par des moyens mécaniques14 ».
Ma transcription n’a donc aucune prétention d’être exhaustive à ce propos et,
du moment que les bandes magnétiques seront à la disposition des gens intéressées à les entendre, au siège de l’AVAS, mon travail a eu comme but une transcription “moyenne”, où j’ai pris généralement en considération le 1er couplet de
chaque chanson.
Pour certaines chansons, où la mémoire du chanteur était défaillante, j’ai préféré noter la musique sur le couplet qui, à mon avis, était le mieux chanté ; mais
j’ai été aussi obligée parfois de transcrire le 1er couplet des enregistrements,
lorsque ceux-ci étaient incomplets, indépendamment de leur qualité.
Tout cela a été fait en considérant que les moyens techniques de notation sont
ceux propres à la musique “cultivée”, qui, à cause d’une structure rationnellement
organisée et réglée, diffère profondément de l’expression populaire.
Mon travail de notation est donc une tentative, plus ou moins réussie, d’adapter ou de concilier deux langages musicaux divergents. Ces problèmes, s’ils sont
remarquables au point de vue mélodique, sont d’autant plus difficiles à résoudre
au point de vue rythmique, où le souffle du chanteur et la variabilité de l’expression échappent aux règles de la notation musicale.
Il a donc fallu recourir à des changements de mesure très fréquents, qui nous
révèlent la particularité de la chanson populaire, caractérisée par un tempo indé37
terminé, fluctuant. (La place des barres de mesure est déterminé par les temps
forts de la mesure).
Je me suis aussi efforcée de transcrire les chansons, en respectant la hauteur
réelle des sons, vu qu’il s’agit d’une anthologie et non pas d’une étude comparative, ce qui aurait requis une transposition de toutes les mélodies sur la même tonalité ; mais, où cela pouvait compliquer la lecture, j’ai transposé les mélodies dans
une tonalité plus facile à lire et à écrire sur la portée. Dans ces cas j’indique la
tonalité originale.
Pour ce qui concerne la notation de la diction, la couleur, le timbre, la manière
et l’intonation avec laquelle sont chantées les mélodies, tout cela ne peut pas se
traduire en notation conventionnelle ; les indications de mouvement ou d’expression que je reproduis sur les textes ne sont que des suggestions expressives qui, si
elles rendent “lisible” d’une part le contenu musical, de l’autre elles ne résultent
que très éphémères et imprécises par rapport à la réalité du chant populaire, fixé
dans toutes ses caractéristiques seulement sur la bande enregistrée.
« Le phonographe représente le plus sûr moyen de parvenir au but suprême,
qui est d’exclure, dans l’extrême mesure du possible, tout élément subjectif, aussi
bien dans la cueillette que dans l’étude de la chanson populaire15 ».
Pour ce qui concerne le catalogue des chansonniers manuscrits, ils sont numérotés selon l’ordre avec lequel on les a retrouvés ; tout d’abord les chansonniers
recueillis à l’occasion de l’enquête orale et après ceux faisant partie des Fonds Brocherel des AHR. Toutes les chansons aussi sont numérotées et on a reporté le titre de
chacune, avec le texte des deux premiers vers du 1ef couplet et le refrain éventuel.
Pour les chansons à l’allure folklorique en français j’ai aussi donné le schéma
de la structure métrique : le nombre de vers de chaque couplet, les rimes du premier couplet, la formule strophique, en me rapportant au système de classement
des chansons folkloriques adopté par M. Delarue ; qui a donné une remarquable
contribution au travail de classement.
Les chansons folkloriques italiennes et piémontaises ont été classées par le
nombre de couplets et les vers originaux dans les manuscrits, n’ayant pas pu pour
leur caractère intrinsèque les rapporter à une formule strophique idéale, comme
celles françaises.
Pour toutes les chansons folkloriques on a donné des remarques ou des notes
concernant l’éventuelle bibliographie, en se limitant aux régions avoisinantes,
c’est-à-dire la Savoie, le Piémont, la Suisse Romande.
D’autre part, les chansons populaires sont partagées en : S.P. = sujet profane,
S.R. = sujet religieux.
Pour les chansons folkloriques, qui sont marquées en caractère gras, on a
donné généralement l’indication du thème illustré dans la chanson.
38
Cela permettra d’identifier tout de suite les caractéristiques des chansons. Un
astérisque indique, par contre, le texte d’une chanson dont on possède au moins
une version musicale publiée dans la première partie de ce travail.
Ils s’ensuivent les tables de consultation pour les chansons folkloriques, en
ordre de cahier, et en ordre alphabétique.
Emanuela Lagnier
NOTES
Béla BARTOK, Scritti sulla musica popolare, 1955, pp. 74-75 (Che cos’è la musica popo-
1
lare).
2
Les notes du chan. CRAVEL ont été publiées dans le 1er tome des Recherches sur l’ancienne liturgie d’Aoste et les usages religieux et populaires valdôtains, Aoste 1969.
J. -J. CHRISTILLIN, Légendes et récits recueillis sur le bord du Lys, Aoste, 1901.
3
T. TIBALDI, Veillées valdôtaines illustrées, Turin, 1911. Id., Serate valdostane - Saggi di
folklore, Torino, 1913.
4
5
L’activité multiforme de Jules BROCHEREL est résumée par L. COLLIARD dans son ouvrage La culture… (cfr. la bibliographie), auquel on renvoie le lecteur ; on se doit de rappeler ici
Arte popolare valdostana (1937) et la revue Augusta Prætoria - Revue valdôtaine de pensée et
d’action régionaliste, dont il fut le fondateur et l’animateur et où il publia plusieurs études sur
le folklore local.
6
Les Archives Historiques Régionales éditent entre autres publications depuis 1969, sous
la direction de M. Lin COLLIARD, la série Recherches sur l’ancienne liturgie d’Aoste et les
usages religieux et populaires valdôtains.
Cfr. l’étude de M. A. BÉTEMPS, La Vallée d Aoste dans les légendes populaires, 8 livraisons parues dans la revue Le Flambeau de 1971 à 1973.
7
8
À rappeler le Nouveau Dictionnaire de patois valdôtain de A. CHENAL et R. VAUTHERIN,
12 tomes parus de 1968 à 1982, et plusieurs initiatives du regretté R. WILLIEN (Théâtre dialectal Le Charaban, Musée Cerlogne, Centre d’Études Francoprovençales, revue Noutro dzen
patoué) et du Comité des Traditions Valdôtaines (concours, fêtes du patois, etc.), ainsi que la
fondation de plusieurs compagnies théâtrales patoisantes.
En 1980, l’Association Valdôtaine des Archives Sonores (AVAS) a été fondée dans le
but de recueillir tout témoignage sonore concernant tous les aspects de la tradition orale valdôtaine. Son siège est à Aoste, Avenue des Lanciers d’Aoste.
9
10
Les écrits de Joseph-Siméon Favre ont été rassemblés par B. SALVADORI, dans son
ouvrage Voyage autour d’un artiste (cfr. la bibliographie).
Sur la collaboration de J. -S. FAVRE, J. TIERSOT, Chansons populaires… (cfr. la bibliographie), pages 15-16.
11
12
Cfr. COCCHIARA, Storia... (cfr. la bibliographie).
Une étude sur la diffusion des “feuilles volantes” serait sans doute intéressante, et pourrait aboutir à des résultats très importants au point de vue de l’histoire sociale.
13
14
Béla BARTOK, Comment..., page 9 (cfr. bibliographie).
15
Béla BARTOK, Comment..., page 10 (cfr. la bibliographie).
39

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