Du Pacs au mariage homosexuel La famille, repère des jeunes

Transcription

Du Pacs au mariage homosexuel La famille, repère des jeunes
dOssier
État des lieux
Du Pacs au mariage
homosexuel
La création du pacte civil de solidarité (Pacs) en 1999 a suscité
des débats enflammés. Ce dispositif est aujourd’hui entré dans
les mœurs et on peut observer une évolution du débat public.
La société en danger ?
Les arguments invoqués alors sont de
trois types. Tout d’abord, le Pacs remettrait
en cause les fondamentaux de notre société.
Ce n’est pas faux dans l’absolu, car on sait
que les alliances sont une structure sociale
fondamentale. Mais certains opposants,
comme Christine Boutin ou Philippe de
Villiers, brandissent la menace d’une véritable destruction de la société, ce qui peut
paraître apocalyptique.
Deuxième argument, la nouvelle union
interroge quant à la place des enfants,
transformés en simples instruments du
bon plaisir des adultes. Là encore, l’argument est excessif mais de vraies questions
sont posées. Simplement, l’évolution qui
tend à intégrer les enfants dans un imaginaire de la réalisation de soi, voire de développement personnel est générale et les
sociologues l’ont repérée de longue date ;
on ne voit pas pourquoi elle se poserait
avec une acuité particulière pour les homosexuels.
Un troisième argument, développé notamment par Claude Goasguen, apparaît
comme une variante plus fine des deux
premiers. L’enjeu principal serait une certaine définition de la famille par la parentalité. Admettre une union homosexuelle
aboutit alors soit à remettre en cause cette
définition, soit à ouvrir la porte à l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. Cette position renvoie aux débats
qui ont permis l’évolution du droit de la
famille dans les années 1970, en le recentrant autour de la parentalité. Des personnalités de gauche, comme la sociologue
Irène Théry, émettent elles aussi des
doutes sur l’opportunité de créer une
union civile déconnectée de la parentalité,
sauf à la situer explicitement dans un domaine distinct de celui du droit de la famille : la présomption de paternité étant
centrale dans la définition juridique de la
famille, cela n’aurait pas de sens de parler
de présomption de paternité entre deux
hommes ou deux femmes, car celle-ci est
en réalité une présomption de procréation.
Irène Théry invitait ainsi à ne pas s’inscrire
dans le « déni des corps ».
.10 Les idées en mouvement
Quinze ans plus tard, la
parentalité au cœur des débats
Les débats d’aujourd’hui montrent une
évolution. La question des alliances ne fait
plus guère polémique. L’ensemble de la
controverse s’est recentrée sur la question
de l’accès à la parentalité : possibilité
d’adopter pour les couples d’hommes,
accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes.
Certains spécialistes ont fait évoluer
leur position. Irène Théry note ainsi que les
familles homoparentales se développent
depuis le début des années 2000, et que la
question du « mariage homosexuel » est
plutôt dans le domaine du symbolique. Par
ailleurs, la loi de 2005 a fait disparaître en
droit la différence entre filiation légitime et
naturelle : la présomption de paternité n’est
donc plus le « cœur » du mariage.
Les positions évoluent aussi chez les
politiques. Une partie de la Droite et du
Centre, avec des personnalités comme
François Bayrou, se dit contre le mariage
homosexuel mais favorable à une union
civile, c’est-à-dire à une égalité de droits
© Céline Mihalachi/AFP
E
n 1998-99, l’opposition suscitée par
le Pacs est idéologique et morale et
elle recoupe le clivage gauche-droite
(même si quelques personnalités de droite,
comme Roselyne Bachelot, sont favorables
au Pacs, et qu’une partie du PS vote en traînant les pieds).
avec les couples mariés en matière de succession, par exemple.
Les opposants les plus déterminés sont
plutôt issus de la société civile. Leurs positions se sont affinées et recentrées sur la
question de l’enfant : les discriminations
qu’il peut subir, son développement, et
dans le cas d’une adoption un choix qu’il
ne validerait pas forcément.
La Gauche apparaît divisée sur des
questions comme la gestation pour autrui,
la procréation médicalement assistée, ou
l’adoption. Ce qui varie surtout, c’est la
façon de poser ces questions, et les références qu’on met en œuvre pour y répondre. Une partie des opposants exprime
une inquiétude sur des conséquences encore inconnues, tandis que ceux qui se déclarent favorables à une conception large
du mariage pour tous mettent en avant la
réalité des familles homosexuelles qui
existent déjà et se révèlent bien souvent des
familles comme les autres.
Le débat en comprend ainsi plusieurs,
selon une architecture complexe. Les questions posées en 1998-99 n’ont pas disparu,
mais le centre de la discussion s’est déplacé,
des menaces pour la société à des problèmes
plus précis touchant aux droits de l’enfant.
Au cœur de cette discussion on peut distinguer deux niveaux de débat : une polémique
au nom des principes (« un enfant a droit à
un papa et une maman »), et une discussion
sur la réalité empirique (en sait-on assez sur
le développement des enfants dans les familles homoparentales, etc.).
●●Richard Robert
La famille, repère des jeunes
La famille est une institution d’une vitalité étonnante, consolidée plutôt qu’ébranlée par les
mutations culturelles du XXIe siècle. Le mouvement vers l’individuation l’a transformée, mais elle
demeure un port d’attache intangible des adolescents comme des plus âgés.
D
ans une société en doute sur ellemême et qui navigue à vue vers son
avenir, pour l’individu, le cercle des
proches constitue plus que jamais le creuset
des affects, des attentes et des références. Le
cercle des proches ? Bien sûr, comptent
beaucoup les relations affinitaires qui se
tissent au cours de la vie scolaire, ce fameux
monde des pairs au sein duquel s’exercent
les expériences juvéniles. Mais, curieusement, la socialisation via les pairs, pourtant
intensifiée par la fréquentation de l’école et
des activités de loisirs à un âge très précoce,
n’entame en rien la valorisation de la famille,
et de toute façon, ne se positionne pas contre
elle.
« J’aime maman »
Qui de votre entourage compte le plus
pour vous aider à devenir adulte ? MAMAN,
le mensuel de la Ligue de l’enseignement
plébiscitent en cœur 92 % des adolescents
de 15-18 ans interrogés dans une enquête
sur les rapports adolescents/adultes (enquête Fondation Pfizer 2012). Le père
(74 %) vient après, puis, dans l’ordre, les
amis, les frères et sœurs, la grand-mère et
beaucoup plus loin, les professeurs. Cette
enquête révèle des ados particulièrement
soucieux de trouver des repères, de s’inscrire dans une histoire familiale, voire dans
la grande Histoire tout court. Les 15-18 ans
peignent en rose les liens familiaux, en réclament la protection, trouvent que la
transmission des valeurs par leurs parents
fonctionne bien – respect et honnêteté sont
les premières valeurs citées. Cet investissement de la famille n’est pas toujours clairement perçu par les adultes qui se polarisent
sur le malaise des jeunes et s’inquiètent de
leurs excès divers et de leur évasion vers
n° 206
FÉVRier 2013
des mondes parallèles, en particulier par le
biais de la communication numérique.
Un trait culturel français
Ce choix « pro famille » est d’ailleurs
un trait culturel de l’Hexagone. La mobilisation en faveur de l’enfant est particulièrement vive en France, où le désir de parentalité est fortement affirmé – peu de
personnes ne souhaitent pas d’enfant – et
se concrétise par le meilleur taux de fécondité en Europe avec l’Irlande. La famille
moderne fonctionne plutôt sur la complicité relationnelle et presque tous les enfants, individuellement, se sentent soutenus moralement et sont matériellement
aidés par leurs géniteurs au cours de cette
traversée qui achemine vers le statut
d’adulte, un soutien économique qui fluctue évidemment en fonction des moyens de
dOssier
« Est-ce naturel ? Non ! Mais c’est
précisément ce qui définit l’humanité »
Les débats enflammés autour du mariage homosexuel et de l’homoparentalité voient s’opposer des systèmes de références variés,
de la morale à la nature en passant par différentes traditions philosophiques. Le point de vue d’un anthropologue est utile pour
remettre en perspective ces différentes approches. Entretien avec Maurice Godelier 1.
Idées en mouvement : Que peut
apporter l’anthropologie au
débat sur le mariage
homosexuel ?
Maurice Godelier : Son
point de vue n’est évidemment
pas prescriptif, mais la perspective descriptive et analytique dans
laquelle elle s’inscrit permet de
poser quelques repères, qui
peuvent aider à mieux formuler le
débat.
La question des alliances, par
exemple, a trouvé dans la diversité des sociétés humaines des
formes très différentes, dont le
mariage tel que nous le connaissons n’est qu’une variante parmi
d’autres. L’homosexualité, par ailleurs, est non seulement reconnue
dans de nombreuses sociétés mais
elle apparaît dans certaines
d’entre elles comme une véritable
institution. Néanmoins, il ne faut
pas se dissimuler que la question
de l’homoparentalité est inédite.
Cette nouveauté n’est en rien disqualifiante, mais elle incite à la
prudence. En particulier, et sur ce
point l’anthropologie a son mot à
dire, sous les questions touchant
aux alliances et à l’organisation en
quelque sorte horizontale de la
famille, se jouent d’autres questions, touchant à la filiation.
En d’autres termes, la question
des enfants serait prioritaire sur
celles de parents ?
Je ne le dirais pas exactement
en ces termes, mais on peut en
tout cas considérer qu’elle est plus
délicate et demande à être considérée avec attention. Essayons de
dégager les questions qui se
posent, en distinguant ce qui ressort de l’idéologie, ou simplement
d’une tradition particulière, et ce
qui pose réellement question.
Tout d’abord, il n’est pas inutile
de rappeler que l’homosexualité
n’est pas une sexualité anormale :
c’est simplement une autre sexualité. Par ailleurs, les homosexuels
ne se définissent pas seulement par
leur différence ou par leur sexualité, et c’est précisément le propre
de l’homophobie que de les réduire à cette différence. On peut au
contraire insister sur ce qu’ils ont
en commun avec les hétérosexuels… et rappeler que le désir
d’enfant, considéré aujourd’hui
comme allant de soit pour les seconds et pas pour les premiers, est
en réalité, pour tous, un phénomène social et culturel plutôt récent, associé au mouvement de
valorisation de l’enfance qui a
commencé au siècle des Lumières
avec notamment l’Émile de JeanJacques Rousseau. Auparavant, le
rapport aux enfants était centré sur
l’idée de descendance. Aujour­
d’hui, il ne s’agit plus seulement de
transmettre un nom : l’enfant revêt
une valeur nouvelle, il représente
un idéal de réalisation de soi. Ce
désir moderne d’enfant est une
nouveauté, et si cette nouveauté
saute aux yeux dans le cas des homosexuels, elle concerne aussi les
hétérosexuels. Tout cela pour vous
dire qu’il faut se garder d’essentialiser les comportements. Plus largement, la référence à la nature me
semble dénuée de sens : certes, les
couples homosexuels sont infertiles, mais chez les Baruya, chaque
individu a plusieurs pères et plusieurs mères. Est-ce naturel ? Non !
Mais c’est précisément ce qui définit l’humanité.
Vous parliez de repères : où en
trouver dans cette vaste
diversité culturelle ?
En anthropologue, je vous répondrai que les sociétés sont
construites sur des systèmes de
différences, et que l’une des différences fondamentales concerne le
masculin et le féminin – quelles
que soient les valeurs portées par
chaque foyer. Si subjectivement l’enfant est
porté aux nues, collectivement ce choix se
révèle beaucoup moins évident lorsqu’on
regarde la difficulté de la société française à
intégrer professionnellement les nouvelles
générations. Mais paradoxalement, c’est
aussi face à ces difficultés d’insertion que la
famille se révèle une valeur refuge et les solidarités familiales, y compris économiques,
sont plus actives que jamais.
Compte tenu de ces évolutions, les
conditions pour que se manifestent des
conflits de génération au sein des familles
sont moins réunies qu’autrefois. L’heure n’est
plus à la révolte contre les parents, qui, dans
un pays en crise, offrent le meilleur rempart
contre les aléas de l’existence. Alors que les
jeunes sont porteurs d’innovation, notamment en raison de leur maîtrise des nouveaux outils technologiques et mais aussi par
leurs expériences et par leurs goûts culturels,
les différences d’approches du monde entre
générations subsistent. Mais elles sont davantage vécues sous l’égide des apports mutuels entre classes d’âge que sous l’angle des
antagonismes. Simultanément, les modes de
vie et les valeurs qui distinguent les généra-
© Meyer/Tendance Floue
Les conflits
intergénérationnels s’apaisent
tions se sont rapprochés, un modèle relativement unifié émerge que l’on pourrait décrire ainsi : grande permissivité pour la vie
personnelle, demande d’ordre et de sécurité
pour la cité. Comme dans toute unité de vie
humaine et de tous les temps, la famille est
un terrain potentiel de tensions et de sentiments exacerbés, mais de façon générale,
sous la bannière d’une tolérance réciproque,
les liens intra familiaux semblent aujourd’hui
relativement apaisés.
●●Monique Dagnaud
Monique Dagnaud est sociologue, directrice de
recherche au CNRS. Elle a notamment publié La Teuf.
Essai sur le désordre des générations (Seuil, 2008).
Les idées en mouvement
ces deux catégories, qui varient
évidemment d’une culture à
l’autre. C’est dans cette perspective que l’on peut reprendre le
débat sur l’homoparentalité : ce
qui importe, c’est que les attitudes
dites masculines ou féminines
soient assumées, quelle que soit la
personne qui les assume. La paternité et la maternité sont des
fonctions, un ensemble de responsabilités vis-à-vis de l’enfant,
à assumer à travers des conduites
sociales et affectives. Dans les sociétés, ces fonctions peuvent se
répartir entre plusieurs personnes
qui les assument. Et elles le font.
Vous parliez de filiation : au-delà
de la question du masculin et du
féminin, se pose celle de
l’ascendance. Le don de sperme
est anonyme. Si la procréation
médicalement assistée est
autorisée pour les couples de
lesbiennes, comme le souhaitent
des parlementaires, ne risquet-on pas d’organiser la
conception d’enfants privés de la
connaissance d’une partie de
leur ascendance biologique ?
Je suis contre l’anonymat du
don. Donner du sperme ou un
ovocyte n’est pas donner du matériel biologique, mais offrir à
quelqu’un la capacité d’être parent.
La référence au donneur doit être
présente puisqu’elle fait partie du
processus moderne de conception
de la vie. Il faut que dans l’histoire
de vie que les parents transmettent, la référence à la naissance
soit claire pour l’enfant, et considérée comme une création, pas une
honte. Il y a de ce point de vue une
grande responsabilité des parents
homosexuels. Mais elle existe aussi
pour les couples hétérosexuels qui
recourent au don de sperme ou
d’ovocytes pour avoir un enfant.
●●Propos recueillis par
Richard Robert
1. Directeur d’études à l’École des
hautes études en sciences sociales,
Maurice Godelier a notamment
publié Métamorphoses de la parenté
(Flammarion, 2010). Il a reçu la médaille
d’or du CNRS en 2001 pour l’ensemble
de son œuvre.
le mensuel de la Ligue de l’enseignement
n° 206
FÉVRier 2013 11.