Les Hindous de « castes inférieures » au Pakistan : égalité refusée

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Les Hindous de « castes inférieures » au Pakistan : égalité refusée
Les Hindous de « castes inférieures » au Pakistan : égalité
refusée
Il n’est plus possible de nier les faits
Pour tout Hindou de « caste inférieure » (ou dalit) au Pakistan, une lecture rapide de la
Constitution sera une expérience particulière. En effet, sur le papier, la nation honore les
promesses de son père fondateur, Muhammad Ali Jinnah. Quand la nation musulmane a vu le
jour en 1947, celui-ci a rejeté toute forme de discrimination, l’Islam prêchant l’égalité.
Néanmoins, plus de 60 ans plus tard, une majorité d’Hindous de « castes inférieures » ont
personnellement été confrontés à la discrimination.
Cependant, peu d’Hindous de « castes inférieures » pourront lire des informations sur cette
différence flagrante entre la loi et la praxis. Un taux d’analphabétisme supérieur à 75% est la
norme parmi les dalits ; chez les femmes, ce chiffre se rapproche davantage de 90%. Cela
n’empêche pas seulement les individus de chercher un meilleur avenir : une faible éducation
démontre aussi la négligence de l’État vis-à-vis d’une communauté de personnes considérées
comme « intouchables ».
L’attitude du Pakistan à
l’égard des Hindous de
« castes inférieures » est
depuis longtemps une
question
de
doubles
mesures et de dénégation.
La plupart des Pakistanais
– Musulmans ou Hindous –
savent à quelle caste ils
appartiennent. Tout le
monde est conscient que
certaines de ces castes sont
« plus
égales
que
d’autres ». Au bas du Figure 1 Sans terre, les dalits doivent accepter des travaux lourds et peu payés
classement, les Hindous de
« castes inférieures » subissent une double discrimination en tant que non-Musulmans dans un
État musulman et en tant que dalits. Toutefois, cette discrimination n’est pas reconnue
officiellement. Par conséquent, il n’y a pas de législation contre ce type de pratique, ce qui
explique pourquoi l’impunité est courante. Chacun peut abuser des dalits, que ce soit par le
travail forcé ou même le viol, sans être importuné.
On ne peut cependant plus nier l’évidence. Une nouvelle étude importante menée auprès de
750 ménages dans les régions de Sindh et du Sud du Penjab, démontre à quel point la
discrimination affecte chaque aspect de la vie des Hindous de « castes inférieures » au
Pakistan : au quotidien, quand on leur refuse un verre à boire ou une invitation à un mariage ;
en société, quand on ne leur propose que des écoles médiocres ou quand des médecins
insistent pour utiliser des instruments différents pour les traiter ; dans leurs rares rencontres
avec les plus hauts échelons de la société, où les Hindous de « castes inférieures » sont
pratiquement absents au parlement ou dans toute autre position de pouvoir.
Un mot à propos des termes
Au Pakistan, trois termes sont employés pour
qualifier les victimes de la discrimination de
castes. « Castes répertoriées » est le terme
officiel employé par l’État pour désigner les
Hindous de « castes inférieures ». À l’échelle
internationale, ces « intouchables » ou
« parias » se réfèrent de plus en plus à euxmêmes comme dalits – « personnes brisées ».
La dénégation commence par les chiffres
Le Pakistan abrite 332 343 Hindous de « castes inférieures », soit une minorité de 0,25% dans
une nation dont les habitants sont principalement musulmans. Selon le recensement officiel de
1998, le nombre d’Hindous de « castes supérieures » s’élève à plus de 2,1 millions. Après une
consultation en 2007, des représentants d’Hindous de « castes inférieures », y compris cinq
anciens législateurs, ont soutenu que ces informations n’étaient pas correctes. Ils pensent que
la discrimination et la dénégation de l’État de ces problèmes commencent par les chiffres et
ils estiment que la population
d’Hindous de « castes inférieures »
est de plus de deux millions. Plutôt
que d’être une minorité parmi les
Hindous, les dalits sont la majorité.
Une reconnaissance officielle d’un
tel chiffre rendrait difficile pour
l’État de maintenir le manque
actuel
d’initiatives
de
développement pour les Hindous
de « castes inférieures ».
En 2006, le parlement a approuvé 6
000 projets dans le cadre d’un
programme national visant à réduire la pauvreté. Aucun de ces projets ne ciblait les problèmes
Figure 2 Les débits de thé sont différents pour dalits et non dalits
auxquels est confronté ce groupe particulier. La négligence de l’État se reflète dans les
programmes de la Banque mondiale et d’autres agences de financement internationales au
Pakistan. Les communautés de « castes inférieures » ont rarement la priorité.
Tout ceci laisse la grande majorité d’Hindous de « castes inférieures » coincés dans un cercle
vicieux : la pauvreté et le manque de terres obligent les dalits à réaliser des travaux souvent
mal payés. Nombreux sont ceux qui contractent des emprunts auprès de leurs employeurs et
qui n’arrivent pas à les rembourser. Cela les piège dans la servitude et les oblige souvent à
faire travailler leurs enfants aussi. Ces enfants, n’ayant pas reçu d’éducation, deviennent euxmêmes une partie de la population analphabète du Pakistan. Ils ne peuvent pas se battre pour
des statuts plus importants – pour lesquels même les dalits bien instruits sont souvent
discriminés – ou pour une vie politique où ils auraient le pouvoir de changer la situation
actuelle pour les Hindous de « castes inférieures ». Pour le moment, l’Assemblée nationale ne
compte aucun membre dalit.
85%
Pourcentage d’Hindous de « castes
inférieures » gagnant entre 500 et
3 000 roupies par mois – le salaire
minimum officiel est de 4 600
roupies.
(Étude IIDS de 750 ménages, 2007)
La discrimination commence à la maison…
Etre un Hindou de « caste inférieure » au Pakistan ne vous définit pas seulement comme
appartenant à une caste particulière et à un groupe religieux. Cela détermine aussi ce que vous
faites et où vous vivez.
D’après d’anciennes traditions, les dalits seraient prédestinés à faire des travaux particuliers et
souvent peu respectés comme du nettoyage et des travaux agricoles. Ils résideraient dans des
zones séparées à la périphérie du village ou de la ville pour que les autres ne soient pas
« contaminés » par les « intouchables ».
L’ « intouchabilité » est indéniable dans toutes les sphères privées et publiques de la vie. La
discrimination quotidienne dans les aspects les plus insignifiants du quotidien est souvent ce
qui rend la vie des dalits particulièrement insupportable. Comme ce fut le cas pour les Noirs
lors de l’apartheid en Afrique du Sud, les dalits sont considérés tellement impurs qu’ils ont
besoin de leur propre vaisselle et de leurs propres couverts.
Lutter pour honorer les devoirs
internationaux
Le Pakistan est signataire de plusieurs conventions et
déclarations internationales qui obligent l’État à mettre
fin à toutes les formes de discrimination et à faire
respecter les principes des droits de l’homme.
Néanmoins, les relations avec les organismes
internationaux, comme le Comité pour l’élimination de la
discrimination raciale (CERD) des Nations unies,
démontrent un manque de volonté d’adhérer a ces
principes. Le fait de ne pas reconnaître le problème de la
discrimination se reflète dans la législation nationale qui
– contrairement à la situation en Inde – ne présente
aucune loi contre la discrimination de castes. Il est alors
pratiquement impossible pour les dalits de chercher à
obtenir des compensations auprès des tribunaux.
… mais est tacitement approuvée par l’État
Au sein de l’espace public, l’humiliation continue. Lorsqu’ils se rendent aux services de
santé, il n’est pas rare pour les dalits de rencontrer des médecins et des infirmières qui
refusent de les toucher. À l’école, les dalits découvrent un programme essentiellement basé
sur des enseignements islamiques et sur l’étude obligatoire du Coran. En outre – à nouveau
apparemment avec
l’approbation
des
autorités
–
les
enseignants
les
traitent comme des
élèves de seconde
classe,
les
soumettent à un
vocabulaire péjoratif,
les assoient au fond
de la classe et les
humilient au moyen
de
châtiments
corporels.
Figure 3 Des filles dalits travaillent dès leur plus jeune âge, en fabriquant notamment des tapis
Parmi les castes répertoriées, une étude réalisée en 2007 auprès de 750 ménages montre que
15% des personnes interrogées sont allées à l’école primaire, 2% ont suivi un enseignement
secondaire supérieur et seulement 1% a décroché un diplôme universitaire.
Selon la Commission des droits de l’homme au Pakistan, aucun Hindou de « caste inférieure »
n’a jamais été nommé comme juge ou magistrat. De plus, alors que 84% des dalits sont sans
terre, l’État garde le contrôle des terres qui ont été confisquées quand les Hindous sont partis
pour l’Inde au moment de la fondation de l’État du Pakistan en 1947 et pendant les guerres
ultérieures en 1965 et 1971.
Le désir sexuel rend les « intouchables » attirantes
Les femmes hindoues de « castes inférieures » au Pakistan sont généralement au bas de la
hiérarchie dans un pays musulman où l’inégalité des sexes est omniprésente. Cependant, le
désir sexuel peut rendre même les intouchables attirantes. De nombreuses filles et femmes
dalits sont violées par des Musulmans et il s’agit souvent de viols collectifs. Ces derniers sont
rarement dénoncés en raison des craintes de victimisation excessive de la part de la police qui,
dans tous les cas, est connue pour ne pas prendre de mesures contre les responsables.
D’autres femmes sont persuadées par la ruse, sexuellement exploitées et abandonnées. Elles
sont aussi parfois contraintes de se marier après s’être converties à l’Islam. Les enlèvements
de filles et de femmes laissent aux familles un sentiment d’impuissance totale puisqu’elles
attendent l’annonce de la conversion. Une fois qu’elle a eu lieu, les autorités leur disent
généralement d’oublier cette histoire. En effet, comment une fille musulmane peut retourner
chez ses parents qui sont des Hindous de « castes inférieures » ?
Certaines filles dalits cherchent volontairement à épouser des Musulmans pour sortir de la
pauvreté. Toutefois, si ces mariages échouent, les femmes converties se retrouvent souvent à
la rue – appartenant alors ni à la communauté musulmane, ni aux « castes répertoriées ».
10%
Pourcentage de filles hindoues de
« castes inférieures » qui vont à l’école.
La moyenne nationale pour les filles
est de 48%. Une éducation faible, voire
inexistante, est une des raisons
principales justifiant que les femmes
deviennent des victimes faciles de
mariages forcés et de conversion à
l’Islam.
(Étude IIDS de 750 ménages, 2007)
Les relations politiques permettent l’esclavage perpétuel
En 1996, Manu Bheel a, pendant peu de temps, symbolisé une histoire de changement, quand
il faisait partie des 1 000 travailleurs agricoles asservis à être libérés dans la province de
Sindh. La plupart d’entre eux étaient des Hindous de « castes inférieures », contraints de
travailler en tant que travailleurs asservis dans des conditions ressemblant à l’esclavage et ce
après que la pauvreté les avait obligés à contracter des emprunts auprès de leurs propriétaires.
C’est un destin que partagent des centaines de milliers de dalits.
La libération de Manu Bheel a été suivie d’un programme de réinsertion à la suite duquel il
est parvenu à créer une nouvelle vie pour lui et sa famille en tant que travailleur salarié.
Cependant, son bonheur a été de courte durée. Deux ans après sa libération, neuf membres de
sa famille ont été enlevés, prétendument par des hommes envoyés par son ancien propriétaire,
Abdul Rahman Mari. Ce dernier a agi en toute impunité, comme c’est le cas pour la majorité
des abus commis contre des dalits au Pakistan. En mai 2008, l’affaire n’était toujours pas
résolue.
83,6%
Pourcentage d’Hindous de « castes
inférieures » qui n’ont pas de
terre. Etre sans terre est souvent à
l’origine de la pauvreté qui oblige
les individus à devenir des
travailleurs asservis. Sans terre, il
y a peu d’accès au crédit.
(Étude IIDS de 750 ménages, 2007)
75%
Pourcentage de récolte habituellement
retenu par le propriétaire quand il
partage le résultat avec le travailleur.
Ce dernier doit généralement payer
pour les graines et autres apports, ce
qui laisse très peu de bénéfices et
l’oblige à contracter d’autres emprunts.
Comme le travailleur est généralement
analphabète, il est souvent escroqué par
le propriétaire qui fait les comptes.
(Étude IIDS de 750 ménages, 2007)
La souffrance d’une femme est un potentiel perdu pour la nation
La majorité du débat concernant les Hindous de « castes inférieures » au Pakistan se
concentre sur la douleur ressentie par les victimes de la discrimination. On porte beaucoup
moins d’attention au prix payé par une nation qui empêche certains de ses citoyens de
développer complètement leur potentiel.
Alya Oad, âgée de 28 ans, est une des rares femmes dalits qui ont réussi à obtenir un diplôme
d’études supérieures en administration des affaires. Elle était convaincue d’être parvenue à
mettre fin au système de castes et de classes quand elle a décroché un travail. Néanmoins,
quelques mois après l’accueil chaleureux de ses collègues, les attitudes ont commencé à
changer. « Tu trompes les gens avec ton nom. Pourquoi as-tu un nom comme une
Musulmane ? Tu es une Hindoue de caste inférieure et on ne le savait pas », a affirmé un de
ses collègues. Alya Oad a alors donné sa démission et a quitté son poste.
La destination suivante
était
Islamabad.
Les
premières réponses étaient
positives quand elle s’est
renseignée
sur
les
emplois.
Cependant,
quand elle s’est présentée
avec ses papiers, personne
ne voulait employer une
dalit. « Cette caste devient
un
fléau »,
s’est-elle
lamentée. « Je ne sais pas
comment
m’en
débarrasser. Pourquoi les Figure 4 A quand des dalits libres et égaux?
gens ne me considèrent
pas comme un être humain ? »
Une nation pauvre comme le Pakistan se permet de gâcher de précieux potentiels en ne faisant
pas de place pour les contributions des dalits. Les Hindous de « castes inférieures » perdent
depuis longtemps confiance en l’État et en d’autres niveaux de gouvernement. Pas moins de
94,7% des personnes interrogées soutiennent ne pas récolter les fruits du système de conseil
municipal, à savoir l’autorité qui leur est la plus proche. Les Hindous de « castes inférieures »,
ainsi que d’autres groupes marginalisés, ne participent pas à la politique alors que les mêmes
familles politiques, qui ont dirigé le pays pendant les six dernières décennies, continuent à
dominer toutes les sphères du gouvernement.
D’après un document IDSN, 2008 - Photos : Jakob Carlsen
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