TF 1 zappe son modèle économique de base Les nouveaux maîtres
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TF 1 zappe son modèle économique de base Les nouveaux maîtres
À L A U N E Les nouveaux maîtres de la télé TF 1 zappe son modèle économique de base Part de la publicité dans le chiffre d’affaires de TF 1 La première chaîne ne peut plus compter exclusivement sur ses recettes publicitaires pour engranger des bénéfices. Offre rajeunie, changements de supports, etc. : sa réaction est déjà perceptible. Diversifier les sources de revenus D epuis sa privatisation, TF 1 s’est toujours efforcée de réduire sa dépendance à l’égard de la publicité télévisée. Télévision par satellite, chaînes thématiques, distribution de vidéos, Internet et bientôt télévision sur mobile, l’objectif est clair : élargir l’audience et multiplier les supports pour exploiter de nouvelles sources de revenus. U Le cours de Bourse et les recettes publicitaires de la chaîne dirigée par Patrick Le Lay sont moins florissants que ses audiences. incertain, TF 1 va devoir se battre pour défendre chaque miette de son gâteau publicitaire. Première étape, rassurer les annonceurs. « Notre audience ne cesse de progresser, assène ainsi la présidente de TF1 Publicité. En 2005, la durée individuelle d’écoute quotidienne a progressé de soixante secondes pour atteindre soixante-six minutes. Et la chaîne capitalise 958 des 1000 meilleures audiences publicitaires. » La clef de ce succès ? Des programmes consensuels, tels Le Journal de Bridget Jones, Taxi 3 ou le feuilleton « Dolmen », qui détient le record d’audience publicitaire. Le 18 juillet, cette fiction a ainsi servi 25 % des ménagères de moins de 50 ans sur le plateau des annonceurs. Mais cette force de frappe se paie cher : environ 100 000 euros pour un spot de trente secondes. Une somme que certains rechignent désormais à débourser. « Face à la concurrence des marques de distributeurs, les géants de l’agroalimentaire préfèrent réorienter une partie de leurs budgets vers la mise en valeur de leurs produits dans les linéaires ou vers la création de revues pour les consommateurs », constate Philippe Bailly, du cabinet NPA Conseil. Du coup, TF 1 a décidé de revoir sa politique commerciale et de mettre en place un double tarif : concrètement, les secteurs dynamiques (télécoms, automobile ou banques) paient plus cher que les secteurs sous pression (alimentation, produits d’entretien…). Les petites entreprises bénéficient aussi d’un abattement spécifique. Objectif : attirer vers TF 1 des marques comme les cafés Malongo ou les chaussettes Kindy, qui ne pourraient pas D euxième étape, le téléspectateur. Si la ménagère de moins de 50 ans reste son cœur de cible, TF 1 cherche aussi à conquérir un public plus large. Autrefois une et indivisible, sa grille de programmes intègre désormais des émissions et des fictions beaucoup plus ciblées. En lançant « R.I.S. Police scientifique », une fiction française de cinquante-deux minutes tournée et montée à l’américaine, la chaîne a un objectif clair : récupérer les jeunes accros aux séries qui font la richesse de sa rivale M6. Selon Médiamétrie, les premiers épisodes ont ainsi rassemblé plus de 10 millions de téléspectateurs, dont 50 à 55 % de « jeunes » (les moins de 50 ans), soit le même score qu’une émission comme la « Star Academy ». A comparer aux 35 % de moins de 50 ans séduits par la très classique Julie Lescaut. Outre ses propres productions, TF 1 a acquis les droits de diffusion en clair des séries stars aux Etats-Unis : « Lost », « Les Experts » ou « 24 Heures chrono ». Une stratégie gagnante, puisque la durée quotidienne d’écoute des 15-34 ans a augmenté de trois minutes en 2005, atteignant cinquante-huit minutes. Une cible particulièrement prisée par les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès à Internet, dont on s’arrache les budgets publicitaires. Pendant les dix premiers mois de 2005, leurs investissements sur la chaîne ont ainsi progressé de 16,9 %. L’an passé, le budget publicitaire télévisé d’Alice (la filiale de Telecom Italia) a atteint 28,6 millions d’euros, soit l’équivalent de la somme que Procter & Gamble avait décidé de ne plus investir en spots. Autre chantier de la chaîne : « encercler » le téléspectateur tenté par les bouquets thématiques ou par Internet. Elle récupère déjà une partie des infidèles grâce à ses chaînes payantes (Eurosport et LCI en tête), mais l’avenir est avant ▲ ▲ REA G rande prêtresse de la publicité au sein du groupe, Claude Cohen n’est guère habituée à devoir faire les yeux doux aux annonceurs : d’ordinaire, ce sont eux qui se bousculent pour obtenir les meilleurs écrans du prime time. Mais les papiers éparpillés sur sa table de travail – courbes, graphiques et tableaux – en témoignent : dans un contexte économique s’offrir un écran au tarif plein. Pour s’y retrouver, les commerciaux de la régie s’appuient sur un système d’ajustement des tarifs au jour le jour en fonction de l’offre et de la demande (le yield management). Ils ont aussi lancé, début 2006, un grand classique du commerce : le programme de fidélité. « En achetant certains écrans, les annonceurs gagnent des étoiles qu’ils peuvent ensuite échanger contre des espaces gratuits », explique Claude Cohen. En attendant l’appel d’air que représentera l’ouverture de la publicité télévisée au secteur de la grande distribution, en 2007, TF 1 n’a guère d’autre choix que de recourir aux mêmes ficelles que les lessiviers qui ont fait sa fortune. JACK GUEZ/AFP ne dose de Zidane chez les Bleus, un zeste d’Enfoirés, une touche de Navarro : le cocktail gagnant de TF 1 est un classique. Il a encore assuré la toute-puissance de la première chaîne française, avec 97 des 100 meilleures audiences télévisées l’an passé. Seul « maillon faible », la publicité, qui a stagné en 2005. Alors que les spots représentent 57 % de son chiffre d’affaires, le géant de la télévision gratuite subit de plein fouet la politique d’économie de ses principaux annonceurs. Bousculés par une conjoncture défavorable, ses trois plus gros clients ont sérieusement réduit leurs investissements en pub télé. Le budget de Nestlé a chuté de 8 %, celui de Procter & Gamble, de 18 %. Pis : Danone a carrément amputé ses dépenses de... 38 %. De quoi donner des sueurs froides aux dirigeants de TF 1, qui ont dû se contenter d’une hausse des recettes publicitaires de 0,1 %, à 1,65 milliard d’euros (pour un chiffre d’affaires de 2,87 milliards). D’autant que le coût des programmes continue de grimper : + 3 % en 2005 et autant en 2006, sans compter les 100 millions d’euros déboursés pour la diffusion des vingt-quatre plus belles affiches de la Coupe du monde de football, en juin prochain. Résultat : le doute commence à gagner les analystes financiers. M i novembre, l’agence de notation Standard & Poor’s a émis un avis négatif sur les perspectives à long terme de TF 1. Quant à l’action du groupe, elle se traîne en Bourse : 2 % de hausse en un an, contre 22 % pour le CAC 40… dont elle vient d’ailleurs d’être évincée par EDF. Chahuté par ces chiffres et par l’émergence de nouveaux concurrents, Patrick Le Lay n’en démord pourtant pas : TF 1 reste la chaîne de référence, celle qui rassemble toute la famille devant le petit écran et qui garantit aux annonceurs le meilleur « temps de cerveau humain disponible », selon la célèbre formule du PDG. Ce fan de « La méthode Cauet » serait-il aussi un adepte de la non moins célèbre méthode Coué ? L’Expansion / mars 2006 / numéro 706 47 À L A U N E Les nouveaux maîtres de la télé V DR DR endredi 16 décembre 2005, 23 h 50. Magalie s’effondre en larmes dans les bras de Jérémy. Elle vient de remporter contre lui la finale de la « Star Academy » après leur interprétation en duo de « Je ne regrette rien ». TF 1 non plus ! Avec une audience moyenne de TF 1 et Endemol se partagent les 25 centimes 7,2 millions de téléde marge que rapporte chaque vote par SMS. spectateurs pour prises. Une logique de production protreize émissions, la gagnant-gagnant qui priétaire des droits), « Star Ac » est deveprévaut également TF 1 touche 3 à 4 % nue en cinq ans l’un dans le choix du du montant des événe« parrain » de l’émisdes ventes. ments téléviLa chaîne est sion, Neuf Télécom sés les plus pour la cinquième édiégalement attendus. Et tion. L’opérateur de intéressée sans doute le télécommunications aux ventes business le proposait aux télédes CD édiplus rentable spectateurs de suivre tés par Merde TF 1. Dans vingt-deux heures sur cury un timing vingt-quatre les péri(22 euros idéal, les propéties des seize candil’un), des duits dérivés Star Ac Mag » sonneries dats reclus dans un de l’émission «tire à 120 000 château, moyennant pour télé(200 référen- exemplaires. 14 euros en plus de phone moces) apparaissent chaque année bile (1,50 euro l’unité) l’abonnement à son offre télévision et et des billets de la en tête des listes de Internet haut débit tournée (250 000 enNoël des jeunes fans (20,90 euros). Neuf trées à 40 euros). malgré des prix ronTélécom a également Marchand de rêves et delets : 150 euros le parrainé les de paillettes, karaoké, 40 euros le vidéos de TF 1 appose tapis de danse ou le l’émission aussi le logo jeu de société, téléchargea« Star Ac » 20 euros le tee-shirt, bles gratui17 euros le livre « col- sur des protement sur duits très lector ». Agent de liiPod. En éloignés de cence pour le compte échange, le l’univers mud’Endemol (la société logo de l’osical, comme pérateur est les gâteaux BN, les ingré- Le livre collector incrusté dans coûte 17 euros. l’image, une dients Vapratique interdite à la hiné, les entremets télévision. Exploitant Flanby… ou les porle filon au maximum, tions de La Vache qui TF 1 entretient le phérit. « Nous ciblons les nomène tout au long valeurs sûres de l’ende l’année via son fance pour amplifier Star Ac Mag, bestau maximum l’écho de l’émission et boos- seller de la presse pour ados avec un ter l’audience », exDes vêtements tel tirage avoisinant les plique Hubert Taieb, ce débardeur sont 120 000 exemplaires. vendus sur la boutique directeur général adjoint de TF 1 Entreen ligne de TF 1. 48 L’Expansion / mars 2006 / numéro 706 TF 1 zappe son modèle économique ▲ ▲ «Star Ac» : des comptes enchanteurs tout sur le Web. Avec près de 4 millions de visiteurs uniques par mois, selon Médiamétrie, et une audience en progression de 47 %, TF1.fr a conforté en 2005 sa position de leader des sites médias. Et pour « booster » cette audience et maximiser ses revenus publicitaires, le site s’est allié avec Neuf Télécom (plus de 1,5 million de visiteurs uniques par mois), qui reprendra son contenu. Conçu comme une caisse de résonance de l’antenne, TF1.fr est de plus en plus appréciée par les annonceurs. Ecrans surplombant la page d’accueil, vidéos, bannières clignotantes, animations transparentes : le site leur offre toute une panoplie de formats pour capter l’attention de l’internaute. Et cela fonctionne. En 2005, les recettes publicitaires du site ont représenté près du tiers des 69 millions d’euros de son chiffre d’affaires. Avec une marge de progression alléchante : le site de Skyrock, à l’audience comparable, a engrangé deux fois plus de pub (d’où la tentative de rachat de la radio par TF 1 l’été dernier). « Les annonceurs traditionnels sont arrivés sur la pointe des pieds, mais Internet devient incontournable dans leurs campagnes de communication », commente Christian Grellier, directeur général d’e-TF1. A fin d’être présente sur tous les fronts, TF1 a par ailleurs lancé en septembre une nouvelle filiale baptisée TF1 Hors-Média. Comme son nom l’indique, sa raison d’être a peu de chose à voir avec la télévision. Alors que le marché français du hors-média – promotions, mailing, animations commerciales, etc. – pèse deux fois plus lourd que la publicité télévisée (environ 20 milliards d’euros), TF1 commence à placer ses pions sur ce terrain, avec un objectif pour l’heure modeste : 60 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici trois à cinq ans. « L’idée est d’exploiter les marques et l’expertise de TF 1 pour créer de nouvelles synergies », explique Bertrand Humblot, le directeur de TF 1 Hors-Média. Déjà exploitées sous forme de licences de marques, la « Star Academy », « Koh Lanta » ou « Sous le soleil » deviendront ainsi des outils d’animation commerciale dans les supermarchés, sortes de « cadeaux Bonux » nouvelle génération. Bertrand Humblot ne manque pas d’imagination : les téléphiles seront par exemple invités à collecter des indices au milieu des paquets de lessive et de biscuits pour télécharger sur leurs téléphones portables des minividéos liées aux programmes de la chaîne. Deux minutes de la série « Lost » contre deux pots de yaourt : une affaire ! Chloé Hoorman