KAREL APPEL

Transcription

KAREL APPEL
Karel
Appel
œuvres sur pa p i er
K arel
Appel
œ u v r e s s u r pa p i e r
sous la direction
de Jonas Storsve
introduction
j onas Storsve
Le nom de l’artiste néerlandais Karel Appel est intimement lié aux activités du
Âgé d’à peine vingt ans, Karel Appel reçoit une formation artistique à l’acadé-
groupe Cobra, qui eut une durée de vie certes brève mais qui marqua de façon
mie des Beaux-arts d’Amsterdam pendant l’occupation allemande. L’expérience
décisive l’art européen au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les
des travaux collectifs du groupe Cobra et la rencontre avec ses collègues danois,
membres de ce mouvement international et communautaire – belges, danois
tous plus âgés et plus expérimentés que lui, sera bénéfique pour l’évolution de
et néerlandais – fondé à Paris en novembre 1948 et qui cessa l’activité collective
son art. Après la commande malheureuse d’une peinture murale pour l’hôtel de
après l’Exposition internationale d’art expérimental organisée à Liège en
ville d’Amsterdam, qui fut recouverte peu de temps après sa réalisation, Appel
octobre-novembre 1951, font partie des artistes européens les plus importants
s’installe à Paris en 1950. Il y fait la rencontre de Michel Ragon, grand défenseur
de l’époque. Mais Karel Appel est bien plus que cela. Très vite il se dégage du
du groupe Cobra qui signera en 1988 la grande monographie de référence sur
vocabulaire Cobra et forge son propre style, ou plutôt ses propres styles, car
l’art de Karel Appel. Une rencontre encore plus décisive est celle de Michel Tapié,
il ne cessera d’évoluer et d’expérimenter avec formes et matériaux tout au long
l’inventeur d’« un art autre », auquel Appel s’associe volontiers. C’est par son
de sa carrière qui s’étend sur plus de soixante ans.
intermédiaire que celui-ci expose aux côtés de Jackson Pollock et de Willem de
Le monde de l’art est capricieux et sa mémoire est bien courte. Après avoir
Kooning, mais également de Jean Dubuffet et de Wols à la Galerie Nina Dausset,
occupé les devants de la scène artistique pendant des décennies, Karel Appel
puis à New York chez Martha Jackson, qui organise sa première exposition per-
est aujourd’hui méconnu. Son art humaniste, fortement ancré dans une tradition
sonnelle aux États-Unis en 1954. Si son langage pictural reste profondément
expressionniste, connut pourtant un regain d’intérêt dans les années 1980 à
européen, l’expérience américaine se fait également sentir dans son travail. Ins-
l’époque où la peinture des Jungen Wilden et autres néo-fauves était à l’honneur.
piré par la musique jazz, l’artiste réalisera d’ailleurs les portraits de Miles Davis,
En 2015, en revanche, les expositions consacrées à l’art de Karel Appel ne sont
de Dizzy Gillespie, de Sarah Vaughan, entre autres. Parallèlement, de nombreuses
plus légion. La dernière grande présentation de son œuvre en France remonte
collaborations avec des architectes – on dénombre une quarantaine de réalisa-
à 1987, l’année où Toulouse et Nice montraient différents aspects de son travail.
tions, souvent monumentales – lui permettent d’expérimenter des techniques
Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle génération de collectionneurs, de galeristes
nouvelles comme le verre, le tissu, la céramique. Après une décennie de voyages
et d’historiens de l’art se penche avec un regard neuf sur l’art de l’après-guerre,
incessants, Karel Appel acquiert en 1964 le château de Molesmes, près d’Auxerre,
il semble à nouveau possible de s’intéresser de plus près au travail de l’un des
où il commence à travailler la sculpture polychrome. Il s’installe à nouveau à
plus grands artistes européens de la seconde moitié du xx siècle. Et c’est bien
Paris, puis en Toscane, partage son temps entre l’Europe et l’Amérique. Jamais
cela que nous proposons de faire à travers cette rétrospective de l’œuvre sur
il ne cessera de travailler, d’expérimenter, de se renouveler. Et même s’il ne
papier de Karel Appel. Cet aspect de son travail est certes le moins connu, mais
retourna pas vivre dans son pays natal, les grandes institutions néerlandaises
assurément pas le moins intéressant. L’exposition réunit quatre-vingt-cinq
lui sont restées fidèles et ont continué de le suivre. Karel Appel finit ses jours à
œuvres, inédites pour la plupart, et couvre toute la période active de l’artiste, de
Zurich, mais l’artiste est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris, la ville
1947 à 2006. Elles proviennent toutes de la fondation qui gère son œuvre.
qui compta tant pour lui dans ses jeunes années.
e
Sans titre, 1948 · cat. 28
40
Kat (Chat), 1948 · cat. 27
41
Sans titre, 1947 · cat. 2
42
43
Sans titre, 1950 · cat. 43
Sans titre, 1950 · cat. 45
Sans titre, 1950 · cat. 50
50
Personage (Personnage), 1947 · cat. 3
51
Sans titre, 1948 · cat. 24
Sans titre, 1948 · cat. 25
Sans titre, 1948 · cat. 26
58
Ruimte wezens no. 2 (Créatures venues de l’espace nº 2 ), 1948 · cat. 31
59
Sans titre, 1949 · cat. 42
68
De geit (La chèvre), 1949 · cat. 41
69
Sans titre, 1948 · cat. 16
Dierentuin (Ménagerie), 1948 · cat. 18
72
Compositie met hoofden (Composition avec têtes), 1948 · cat. 30
Sans titre, 1948 · cat. 21
73
Animal no. 12 (Animal nº 12 ), 1951 · cat. 53
88
Animal no. 13 (Animal nº 13 ), 1951 · cat. 54
89
Sans titre, 1961 · cat. 64
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Sans titre, 1961 · cat. 63
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Man and Animal no. 1 (Homme et animal nº 1 ), 1994 · cat. 76
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Man and Animal no. 2 (Homme et animal nº 2 ), 1994 · cat. 77
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Chronologie
Franz W. Kaiser
Avec la collaboration d’Antonien Rijksen et de C
­ hristin Deller
de la Karel Appel Foundation
1921
1940-1941
Le 25 avril, naissance de Christiaan Karel Appel au
­7 Dapperstraat à Amsterdam. Il est le deuxième fils des
quatre enfants de Jan Appel et de sa femme Jo (née
­C hevalier, descendante d’une famille de huguenots français). Jan Appel tient un salon de coiffure pour hommes
dans un quartier populaire et animé de la ville.
L’objectif de Karel Appel est d’intégrer l’académie royale
des beaux-arts (Amsterdam Rijksakademie voor Beeldende
Kunst) non seulement parce qu’il souhaite devenir artiste,
mais également pour échapper au Service du travail obligatoire, le certificat d’admission étant respecté par les
Allemands. Il rate l’examen d’entrée une première fois en
1941 , poursuit les leçons de portrait auprès de Verheijen
et voyage dans tous les Pays-Bas pour dessiner des paysages et gagner un peu d’argent en exécutant des portraits
de fermiers.
Trois ans après la fin de la Première Guerre mondiale, toute
une partie du sud de la Belgique et du nord de la France
demeure dévastée. Les Pays-Bas, restés neutres, n’ont pas
été affectés dans les mêmes proportions que leurs voisins.
L’Allemagne occupe le Danemark et la Norvège et envahit
Années 1930
Appel travaille comme apprenti dans le salon paternel.
Pour son quinzième anniversaire, il reçoit un coffret de
peinture à l’huile et un chevalet offerts par le frère aîné
de sa mère, Karel Chevalier, peintre amateur tout à fait
honorable. Cet oncle lui donne des leçons de peinture, et
tous deux dessinent ensemble en explorant les alentours
d’Amsterdam. Lorsqu’il se rend compte que son neveu
n’a plus rien à apprendre de lui, son oncle emmène Karel
chez son propre maître, Jozef Verheijen, un peintre qui
enseigne lui-même aux peintres amateurs. Auprès de lui,
l’adolescent apprend le métier. Il réalise sa première sculpture, une œuvre ponctuelle, en 1936 .
1
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Crise économique mondiale ( 1929 ) ; à cette période va
­b ientôt succéder en Allemagne l’arrivée au pouvoir d’Hitler
( 1933 ) et la répression des opposant politiques, de l’avantgarde artistique (exposition d’art dégénérée Entartete Kunst,
1937 - 1941 ), des groupes marginaux et des Juifs (Nuit de
Cristal, 1938 ).
Lors de l’Exposition universelle de 1937 à Paris, les pavillons
monumentaux de l’Allemagne et de l’Union soviétique se font
face ; à leur ombre, le pavillon de la République espagnole
abrite le Guernica de Pablo Picasso et des travaux d’Alexander
Calder et de Julio González. Asger Jorn, qui a fait ses études
à Paris aux côtés de Fernand Léger, assiste Le Corbusier pour
l’aménagement du Pavillon de l’Esprit nouveau.
1939
Appel quitte le salon paternel et la maison de ses parents
pour s’installer dans son premier atelier, 42 Zwanen­
burgwal (aujourd’hui n ºs 72 - 82 ), l’adresse de l’anarchiste
Henk Eikeboom ; c’est le début d’une longue période
de précarité.
1 Karel Appel
2 Constant, Appel et Corneille lors de leur
exposition au Kunsthandel Santee Landweer n.v., à Amsterdam, février 1948
3 Karel Appel devant sa peinture murale
­Vragende Kinderen (Enfants quémandant)
dans la cafétéria de l’hôtel de ville
d’Amsterdam, 1949
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Pacte germano-soviétique. L’Allemagne attaque la Pologne.
Début de la Seconde Guerre mondiale ; l’Armée rouge
­e nvahit la Pologne orientale et attaque la Finlande.
les Pays-Bas, la Belgique, puis la France. Trêve de Compiègne :
la France est divisée en une zone occupée et une zone libre.
L’Allemagne déclare la guerre à l’Union soviétique et l’attaque
en juin 1941 . Asger Jorn, qui est retourné au Danemark à
cause de la guerre, lance le magazine d’avant-garde Helhesten
(Le Cheval de l’Enfer). Le premier numéro commence par un
article rendant hommage à Paul Klee, récemment décédé.
1942-1943
Karel Appel est admis à la Rijksakademie lors de sa
seconde tentative, en juin 1942 . Il y rencontre Corneille
dont il devient un ami proche – une amitié qui durera près
de neuf années, période durant laquelle ils découvriront
ensemble l’art moderne. Corneille fait connaître à Appel
la poésie néerlandaise contemporaine. Celui-ci passe
beaucoup de temps à la bibliothèque de l’académie, y lit
Leaves of Grass de Walt Whitman et, plus tard, un ouvrage
de référence majeur pour les surréalistes, Les Chants de
­M aldoror de Lautréamont. Son livre préféré est Max
Havelaar de Multatuli ( 1860 ).
L’offensive allemande en Russie connaît des succès avant
de s’enliser à Stalingrad. À Paris, les autorités allemandes
imposent la fermeture d’une exposition consacrée à Kandinsky à la Galerie Jeanne Bucher. La plupart des galeries
parisiennes renoncent à montrer l’art moderne inter­national. Une exposition de travaux d’Arno Breker, le sculpteur préféré d’Hitler, est mise en scène au Musée de l’Orangerie. Aux Pays-Bas aussi, la guerre et l’occupation raréfient
les informations portant sur le reste du monde et sur l’art
contemporain.
1944
La relative protection assurée par le statut d’étudiant
s’amenuise. Suspecté d’avoir abrité des réfractaires au
­S ervice du travail obligatoire, Appel se retrouve surveillé
de près par la police. À la fin de l’été 1944 , Corneille et
Appel vivent cachés dans un bateau amarré sur la Vecht
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