Les acteurs de la contractualisation : de l`individuel au collectif
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Les acteurs de la contractualisation : de l`individuel au collectif
Chapitre 4 – Les acteurs de la contractualisation : de l’individuel au collectif (Amandine le Cotton, Erika Jarre, Sarah Rousseau) Les parties à une convention sont les personnes qui l’ont signée, par opposition à celles qu’y sont demeurées étrangères dénommées « tiers ». La qualité des parties en matière de contractualisation peut s’apprécier au regard des relations existantes entre elles. Ces relations contractuelles entre les acteurs du secteur agricole se développent au sein d’une filière. Les filières regroupent l’ensemble des activités complémentaires qui concourent d’amont en aval, à la réalisation d’un produit fini.1 En matière agricole, les filières sont multiples : bovine, laitière, ou encore fruits et légumes. Elles sont composées de nombreux acteurs : abatteur, producteur, transformateur, distributeur,… Au sein de ces filières, la contractualisation ne prend pas toujours la même place. Suite à la loi de modernisation agricole de juillet 2010, dans certain secteur, le recours à la contractualisation a été imposé notamment par deux décrets du 30 décembre 2010 en matière de production de lait de vache2 et dans le secteur des fruits et légumes3. En revanche, la pratique n’est qu’à l’état d’ébauche dans la filière porcine ou bovine. Le législateur semble enclin à généraliser cette technique. La diversité des pratiques de contractualisation entraîne une multitude de relations entre les acteurs du secteur agricole. Le choix du contrat par le producteur aura des conséquences pour lui : la sécurité de ses débouchés, la visibilité sur ses volumes et la qualité à produire, ainsi qu’une connaissance plus fine des attentes des consommateurs. 4 Pendant longtemps contestées au niveau européen pour des raisons de droit de la concurrence, le Règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles a consacré les interprofessions. L’Union européenne les a admises de manière progressive, ainsi en 1992, les interprofessions ont été 1 Site de l’INSEE, Définition, Filière, http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/filiere.htm Décret du 30 décembre 2010 n° 2010-1753 pris pour application de l’article L.631-24 du Code rural et de la pêche maritime dans le secteur laitier, entré en vigueur le 1er mars 2011 3 Décret du 30 décembre 2010 n°2010-1754 pris pour application de l’article L.631-24 du Code rural et de la pêche dans le secteur des fruits et légumes, entré en vigueur le 1er avril 2011 4 Rapport n°2636 – Assemblée nationale, au nom de la Commission des affaires économiques sur le projet de loi, de modernisation de l’agriculture et de la pêche, Michel RAISON et Louis GUÉDON, 17 juin 2010, 2 1 reconnues dans le secteur du tabac, puis en 1996 dans le secteur des fruits et légumes. Peu à peu, secteur par secteur, le droit européen reconnaît leur existence. Le recours à une interprofession sera alors ; soit obligatoire si le droit européen l’impose, c’est le cas des fruits et légumes ou encore des vers à soie ; soit facultatif, l’Etat membre sera alors libre de reconnaitre une interprofession. Elles sont désormais envisagées de manière générale, tous les secteurs peuvent en faire l’objet. Les organisations interprofessionnelles permettent de réunir les acteurs « de l’amont et de l’aval d’une même filière au sein d’une instance dont le but est d’élaborer des choix de politique contractuelle liés à l’organisation des marchés visés, tout en garantissant l’équité entre ses membres, en permettant de développer les performances de la filière et en défendant ses intérêts ».5 Quelle que soit la forme contractuelle choisie, la contractualisation suppose généralement un producteur et un autre acteur de la filière engagée dans une relation bilatérale. Mais il arrive parfois que d’autres entités participent également à l’accord, ce qui crée un contrat multipartite.6 L’un des enjeux actuels porte sur la place du producteur au sein de ces contrats et sur la place grandissante des organisations de producteurs. Au regard de la loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014, il transparaît que le législateur a entendu soumettre à l’obligation de contractualisation tant la relation producteur et groupement de producteur que la relation producteur et acheteurs.7 L’agriculteur devra choisir le dispositif le plus adapté à son activité économique et ses attentes personnelles. Il convient ainsi de distinguer deux types de relation : les relations à deux au sein des contrats bipartites (I) et les relations multipartites entre plusieurs acteurs de la filière (II). 5 Les interprofessions agroalimentaire en France, Note de synthèse, Ministère Français des Affaires Etrangères – DGCID DCT/EPS/IRAM / REDEV, Célia CORONEL et Laurent LIAGRE, mars 2016 6 Guide juridique sur l’agriculture contractuelle, UNIDROIT, version provisoire, 3 avril 2015 7 La mise en œuvre de la contractualisation dans le secteur non coopératif, J. DERVILLERS, RD. rural, Octobre 2015, dossier 18, n°432 2 I. Une relation contractuelle entre deux acteurs de la filière : le contrat bipartite Généralement, les relations sont bilatérales c’est-à-dire que le contrat est conclu entre deux parties. Quel que soit le contrat choisi par le producteur, deux acteurs de la filière sont en jeu. Tout d’abord, il faut identifier les parties au contrat au sein des filières agricoles (A). Ensuite, il convient de s’interroger sur l’impact du changement de l’une des parties en cours de contrat (B). A. L’identification des parties au contrat Encore aujourd’hui, l’essentiel des relations contractuelles sont individuelles. En amont, il s’agit notamment des contrats entre producteurs et fournisseurs d’aliments. Tandis qu’en aval, les relations ont lieu avec les abatteurs, les transformateurs ou les distributeurs. L’objectif des pouvoirs publics, par le développement de la contractualisation, est d’instaurer au sein de ces contrats un meilleur équilibre entre les acteurs, notamment entre les transformateurs ou distributeurs qui imposent le prix et les producteurs qui souvent le subissent. Dans un système de consommation de masse, les producteurs sont de plus en plus dans une situation de fragilité. Les parties seront alors différentes selon que le contrat est conclu en amont ou en aval de la filière concernée. Force est de constater que la qualité de producteur est centrale dans un contrat agricole. Cette qualité est reconnue à l’agriculteur quelles que soient la taille de l’exploitation et le type de structure au sein de laquelle il a choisi d’exercer son activité professionnelle. En droit français, il faut se référer à l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime qui définit l’activité agricole, « toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement du cycle ». La référence à cet article se retrouve notamment dans la jurisprudence relative au contrat d’intégration8 ; et semble aller dans le sens de la loi du 27 juillet 2010 sur les contrats de vente de produits agricoles. 8 Cass. 1ère Civ., 19 mai 1987 ; RD. rur. 1988, 168, obs. Lorvellec. 3 Le producteur peut contracter lui-même avec les acteurs de la filière ou par l’intermédiaire d’une organisation de producteur comme le prévoit l’alinéa 9 de l’article L.631-24, 2° du Code rural et de la pêche maritime. Pour les agriculteurs, intégrer une organisation de producteur leur permet de mieux peser sur la négociation des contrats, particulièrement pour obtenir un prix plus juste. Une organisation de producteur regroupe, de manière volontaire et à leur initiative, des producteurs autour d’une même production dans l’objectif de mutualiser leurs moyens en vue de rééquilibrer les relations commerciales au sein de la filière. 9 Elles se voient appliquer les règles particulières prévues aux articles L. 551-1 du Code rural et de la pêche maritime. Le groupement de producteurs permet de ne pas être seul face aux grands groupes industriels, notamment agro-alimentaires, afin de mieux peser sur les marchés10. Elles peuvent être de deux natures, soit de type commercial, soit de type non-commercial. L’organisation de producteurs sera dite commerciale lorsqu’elle vend en tant que propriétaire la production de ses membres. Ainsi, elle achète la production de ses membres par le biais d’un contrat de vente pour la revendre ensuite. Ici, l’organisation de producteurs est véritablement partie au contrat avec l’amont de la filière. En revanche, si l’organisation de producteurs est dite non commerciale, elle ne devient pas propriétaire de la production de ses membres. Elle négocie pour les producteurs des contrats avec des abatteurs ou des fournisseurs, sans être partie au contrat. En réalité, ce sont des cas d’exception, qui existent dans l’élevage pour des raisons de traçabilité des produits. 11 Avec qui les producteurs ou les organisations de producteurs contractent ? Avec tous les acteurs de la filière concernée. Le nouveau régime de contractualisation de l’article L.631-24 du Code rural et de la pêche maritime relatif au contrat de vente de produits agricoles vise aussi bien les grossistes, les transformateurs, les distributeurs ou encore les coopératives et les organisations de producteurs. Le même article prévoit l’exclusion des relations directes avec le consommateur qui ne peut donc pas être un acteur de la contractualisation, mais également des ventes réalisées au bénéfice des organisations caritatives. 9 Organisation économique : les organisations de producteurs, site du Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, 1er avril 2015, http://agriculture.gouv.fr/organisation-economique-lesorganisations-de-producteurs 10 La mise en œuvre de la contractualisation dans le secteur non coopératif, J. DERVILLIERS, RD. rural, Octobre 2015, dossier 18, n°432. 11 Organisation de producteurs, Entreprise agricole, Dictionnaire permanent, 2016 4 Finalement, il est possible de s’interroger sur la nature de la contractualisation entre les différents maillons de la chaîne. L’ordonnance du 7 octobre 2015 est venue modifier l’article L.631-24 du Code rural et de la pêche maritime en permettant une contractualisation différenciée entre premier acheteur et second acheteur. Il y aurait alors un premier contrat entre le producteur et le premier acheteur, mais également un autre contrat entre le revendeur et le second acheteur. Si les parties au contrat n’ont pas d’influence sur la nature du contrat, elles ont une importance non négligeable à l’occasion de la cession du contrat. B. Le changement d’un acteur au sein de la relation contractuelle La cession du contrat agricole peut intervenir à différents moments de la vie de l’exploitation agricole du producteur tant à l’occasion d’une cessation d’activité, d’un changement de type de production, ou encore de la transmission d’une partie de l’exploitation. Une chose est sûre, il n’existe pas de régime relatif à la cession du contrat en matière agricole auquel pourrait se référer le producteur. Il est nécessaire alors de se tourner vers le droit commun. Depuis l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, le législateur pour la première fois traite de la cession du contrat. Cette ordonnance entrera en vigueur le 1er octobre 2016 ; elle reprend dans l’ensemble la jurisprudence qui existait jusqu’alors. Une partie au contrat qui décide de céder son contrat à un tiers cessionnaire, ne peut le faire qu’avec l’accord du cédé conformément au nouvel article 1216 du Code civil.12 Cependant, l’accord peut être donné par avance par les parties et la cession n’aura alors d’effet qu’une fois notifié à la partie cédée. Si la partie cédée y a expressément consenti, la cession du contrat libère le cédant de ses obligations. En revanche, si le cédé n’y consent pas, le cédant reste lié, solidairement à l’exécution du contrat. Avant toute cession, il faut se demander si la cession se réalise de la même manière dans tous les contrats agricoles, puisque l’agriculteur peut être tenu par différents contrats : contrat de production, contrat de vente de produits agricoles mais aussi contrat coopératif. 12 Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations 5 Les contrats de production, très présents en agriculture, imposent au producteur d’exécuter des obligations pendant une certaine durée. Si la cession n’est pas prévue au contrat, le cédant devra obtenir l’accord du cédé ; à défaut, il restera tenu de ses obligations jusqu’au terme prévu. Concernant les contrats de vente de produits agricoles, il est nécessaire que le cédant obtienne l’accord de l’acheteur ou bien la conclusion d’un nouveau contrat avec le cessionnaire. Pour les contrats de vente de lait cru Lactalis par exemple, il est expressément prévu une clause entre les parties qui envisage les modalités de la cession du contrat. Il est donc toujours important de vérifier, au sein du contrat, si à l’origine les parties avaient prévu des conditions de cession.13 Lors de la cession du contrat, outre la question de la possibilité de céder pour le producteur, il faut aussi s’interroger sur la valorisation de celui-ci. Le producteur peut-il donner un prix à son contrat ? La valorisation du contrat permet au cédant de transférer son contrat agricole au cessionnaire moyennant un prix. Au moment de la cession du fonds agricole, la valeur du contrat agricole sera reconnue et admise sans difficulté, puisqu’il fait partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. Les parties à la cession devront alors convenir par avance si le transfert du contrat aura une valeur onéreuse ou non et le faire apparaitre clairement. Tous les contrats sont-ils pour autant valorisables ? Rien n’interdit de valoriser un contrat lors de son transfert, si ce n’est pas interdit par la loi ou la jurisprudence14. Par exemple, dans le cas des exploitations agricoles en faire-valoir indirect soumises au statut du fermage, l’article L.411-74 du Code rural et de la pêche maritime interdit les pas-de-porte. La cession du bail rural ne peut pas, de ce fait, se faire à titre onéreux. Il y aura alors une difficulté si le bail est cédé en même temps que le contrat. Il est primordial de distinguer la cession du contrat et le transfert du bail. Par exemple, des problèmes se posent notamment quant à la valorisation des contrats laitiers par les agriculteurs en fermage. La vente de contrats est autorisée contrairement à celles des anciens quotas laitiers. Il faut que la valorisation corresponde à la valeur réelle du contrat. Si la cession du bail n’est pas concomitante à celle du contrat agricole, il n’y aura pas 13 14 Le transfert des contrats de production, L.MANTEAU, octobre 2015, dossier 17, n°432 V. note n°13 6 de difficultés particulières. Mais encore faudrait-il savoir comment valoriser le contrat, question qui reste aujourd’hui mal résolue. Les producteurs sont de plus en plus dans une situation de fragilité. Le législateur a la volonté de développer les relations entre plusieurs acteurs de la filière pour sécuriser les relations du producteur avec l’aval et l’amont de sa filière. II. La relation entre plusieurs acteurs de la filière : les rapports collectifs Les relations entre plusieurs acteurs peuvent être contractuelles, par le jeu de relations collectives (A), ou non contractuelles en faisant intervenir un tiers intéressé (B). A. Le contrat multipartite : relation contractuelle collective Il est nécessaire de s’intéresser à la forme que peut revêtir un contrat multipartite et ce que signifie ce terme, pour ensuite s’attacher aux parties intéressées par ces contrats à plusieurs acteurs de la filière. Pour définir le contrat multipartite, il faut se référer à l’article 1101 du Code civil disposant que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres ». Cette disposition est transposable à la contractualisation. Il est donc possible de lier plus de deux maillons de la filière de manière contractuelle. Les modalités de ce type de contrat restent largement à déterminer, mais il aurait pour avantage de sécuriser l’ensemble de la chaîne, tant en terme de prix que de volumes. Cette pratique permettrait de rendre transparent pour tous les cocontractants le processus de valorisation du produit tout au long de la filière15. Le contrat multipartite peut s’organiser sous différentes formes. En premier lieu, il existe des contrats où le producteur s’engage à vendre dans des conditions prédéterminées à 15 Rénover les relations commerciales dans la filière porcine, Ministère de l’Agriculture, de l’Agronomie et de la Forêt, 23 septembre 2015 ; http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/porc-contractualisation.pdf 7 plusieurs autres acteurs. Par exemple, le producteur s’engage à vendre respectivement à deux transformateurs, mille tonnes de blé par an. En second lieu, il y a les contrats dans lesquels les prestations s’imbriquent, c’est le cas dans les groupes de contrats en matière de contrat d’intégration. L’obligation réciproque de fournitures constitutive du contrat d’intégration peut résulter de la réunion de conventions distinctes liant le producteur agricole à plusieurs entreprises industrielles ou commerciales, comme le prévoit l’article L 326-1 du code rural et de la pêche maritime. Pour qu'une convention soit qualifiée de contrat d'intégration, il n'est pas nécessaire qu'elle organise un échange réciproque de produits, mais il suffit qu'elle constitue un ensemble cohérent d'obligations réciproques de fournitures par l'entreprise industrielle et de services par l'éleveur. 16 Il s’agira d’un groupe de contrats uniquement s’il existe un lien indivisible entre les deux conventions. Quand un éleveur a contracté l'obligation d'élever des veaux et de ne se fournir d'aliments qu'auprès de la société, il rend à celle-ci le service de faciliter l'écoulement de sa production, et son contrat est qualifié de contrat d'intégration.17 Mais il existe aussi des contrats d’intégration collective prévus à l’article L. 326-4 du Code rural et de la pêche maritime. Ils permettent de substituer des contrats d’intégration individuels à un seul contrat collectif liant plusieurs producteurs à une même entreprise. Aujourd’hui se développe, en dehors de tous les schémas préexistants, une autre forme de contractualisation liant plusieurs acteurs de la filière dans un seul et même contrat. Début février 2016, Auchan a annoncé la mise en place d’une contractualisation tripartite, de trois ans renouvelable, avec une association de producteur de porc Le Porcelin, l’industriel Bigard, et plusieurs transformateurs charcutiers. « Ce partenariat permet sur une durée d’assurer un juste niveau de rémunération de l’ensemble des acteurs de la filière ». Ici, l’avantage pour le producteur c’est que « le prix d’achat aux éleveurs prend en compte les évolutions de leurs coûts de production »18. Mais il est possible également de citer Lidl, qui a annoncé qu’un accord tripartite allait être signé entre 150 éleveurs de porcs de l’Ouest. L’objectif du groupe Lidl par la signature de 16 Civ. 1re, 14 déc. 1976: D. 1976. 177, note Chesné et Martine Civ. 1re, 17 févr. 1981: RD rur. 1982. 92, obs. Lorvellec 18 Contrat tripartite entre Auchan, des producteurs et des transformateurs, La France Agricole, 12 février 2016, http://www.lafranceagricole.fr/actualites/porc-contrat-tripartite-entre-auchan-des-producteurs-et-destransformateurs-1,0,584958651.html 17 8 ce contrat multipartite est de s’assurer que les augmentations de prix en magasin se répercutent sur la rémunération de l’agriculteur.19 Qui peut avoir intérêt à s’engager dans un contrat multipartite ? Si les producteurs sont aujourd’hui incités à s’engager dans une démarche de contractualisation, c’est avant tout dans leur propre intérêt. Les éleveurs sont dépendants du prix des matières premières qui servent d’aliment, mais aussi du prix fixé par les abatteurs et les transformateurs. L’intérêt du contrat multipartite pour le producteur est de pouvoir faire intégrer le prix de la matière première dans le prix de vente final. Dans la pratique, les acteurs de la filière préfèrent souvent conclure une succession de contrats bipartites. Cependant, alors que les agriculteurs manifestent un peu partout en France, il semble que les distributeurs prennent des initiatives pour favoriser les relations collectives contractuelles. Mais les parties au contrat ne sauraient évoluer seules, elles doivent certes s’acquitter de leurs obligations respectives, mais aussi prendre en compte leur environnement extracontractuel. B. L’intervention de tiers intéressés au contrat Dans le cadre de la gestion des risques liés à la contractualisation, différents mécanismes sont susceptibles d’être offerts par une variété d’intervenants. Les mécanismes assurantiels, mais aussi les caisses de sécurisation, semblent des techniques plus ou moins innovantes permettant une mutualisation des aléas propres à l’agriculture. Plus simplement, la mutualisation permet de mieux répartir les risques liés au milieu agricole entre les membres de la filière. L’objectif de ces mécanismes est de ne pas faire peser l’aléa uniquement sur l’agriculteur. Les deux mécanismes méritent d’être définis et précisés, même si encore aujourd’hui ils ne sont pas réellement encadrés juridiquement. 19 Crise agricole. Lidl va augmenter les produits français dans ses rayons, Ouest France, 11 février 2016, http://www.ouest-france.fr/agriculture/crise-agricole/crise-agricole-lidl-va-augmenter-les-produits-francais-dansses-rayons-4030561 9 Les assureurs, aujourd’hui, proposent aux agriculteurs un certain nombre d’assurances adaptées à leur production qui vont de l’assurance récolte à l’assurance « mortalité » en matière d’élevage. Ainsi, les assureurs, en couvrant de nombreux aléas liés à l’activité, sont intéressés au contrat. Le secteur agricole présente certaines spécificités ; la nature des risques et les réalités économiques y évoluent en permanence. Des mécanismes assurantiels existent pour faire face à ces aléas que peut rencontrer le producteur. 20 A titre d’exemple, un nouvel outil d’assurance ciblant les chutes de rendement en production de semences sera testé à partir d’avril 2016 en matière de récolte de maïs. L’idée est de sécuriser le maïs en semence en cas de forte chute de rendement quelle que soit la cause. 21 L’intervention trop importante des assureurs suscite cependant la crainte de voir les stipulations du contrat agricole subordonnées aux conditions de l’assureur ou à son approbation. Mais le mécanisme assurantiel n’est pas le seul à être mobilisé dans le cadre de la gestion des risques. Les caisses de sécurisation se veulent des outils au soutien de la contractualisation. Elles sont encore à l’état d’ébauche mais peuvent être définies comme des organismes qui recevraient les cotisations des différents acteurs de la filière et qui compenseraient, en cas de baisse des cours, les pertes de revenus subis par les agriculteurs. A titre d’illustration, dans le domaine de l’élevage, il est d’usage que la transaction entre le distributeur et l’abatteur s’effectue au prix du marché. L’abatteur va considérer que ce prix constitue une norme de référence qu’il associera à sa gestion normale. Dès lors qu’il sera contraint d’acheter l’animal à un prix supérieur, il dénombrera un écart de gestion et de ce fait sera pénalisé. La caisse de sécurisation financerait cet écart dans une logique de préservation des situations financières respectives. La caisse sera alors, tour à tour, alimentée par l’opérateur gagnant dans un objectif de maitrise des risques. 22 20 Quelle sont les réponses de l’assurance face à l’évolution du monde agricole, Rapport Assurance et agriculture, Christian Babuziaux, Ministère Agriculture 2000, Fédération française des sociétés d’assurance 1997 21 Une assurance récolte New look, La France agricole, Florence Melix, novembre 2015 22 La contractualisation dans le secteur bovin, Rapport n° 14099, CGAAER, septembre 2015 10 La Fédération du commerce et de la grande distribution regroupant plusieurs enseignes dont Auchan, Carrefour, Lidl et Casino a donné son accord pour participer à un fonds de soutien aux éleveurs porcins, pour un montant de 100 millions d’euros. Ce fond, transitoire, couvrirait des versements aux éleveurs pour une période de six mois. Sa mise en œuvre devrait associer l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire c’est-à-dire les distributeurs, les abatteurs, la charcuterie, la restauration collective et commerciale.23 L’essor de ces caisses de sécurisation dépendra avant tout de la volonté des acteurs de la filière et de l’intérêt qu’ils auront à s’engager dans une telle démarche. Force est de constater que de tels engagements ont été pris dans un contexte de crise agricole et sur fond de manifestation des agriculteurs français. Encore faut-il attendre de voir quels engagements seront tenus par les enseignes, quelle sera la situation des professionnels de l’agriculture ces prochaines années et les éventuelles poursuites de l’Autorité de la concurrence. Cette approche des tiers intéressés n’est pas exhaustive, mais elle permet de prendre conscience que de nombreux acteurs, qu’ils soient parties au contrat ou non, peuvent avoir un impact décisif sur le déroulement de la contractualisation. Tout l’enjeu reste de définir le rôle de chacun et d’encadrer au mieux ces relations pour qu’elles permettent d’assurer aux producteurs un meilleur revenu. 23 Porc: la grande distribution propose un fonds de soutien de 100 millions d'euros, La Voix du Nord, 16 février 2016, http://www.lavoixdunord.fr/economie/porc-la-grande-distribution-propose-un-fonds-de-soutiende-ia0b0n3335047 11