Les acteurs de la contractualisation : de l`individuel au collectif

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Les acteurs de la contractualisation : de l`individuel au collectif
Chapitre 4 – Les acteurs de la contractualisation : de
l’individuel au collectif
(Amandine le Cotton, Erika Jarre, Sarah Rousseau)
Les parties à une convention sont les personnes qui l’ont signée, par opposition à celles qu’y
sont demeurées étrangères dénommées « tiers ». La qualité des parties en matière de
contractualisation peut s’apprécier au regard des relations existantes entre elles. Ces relations
contractuelles entre les acteurs du secteur agricole se développent au sein d’une filière.
Les filières regroupent l’ensemble des activités complémentaires qui concourent
d’amont en aval, à la réalisation d’un produit fini.1 En matière agricole, les filières sont
multiples : bovine, laitière, ou encore fruits et légumes. Elles sont composées de nombreux
acteurs : abatteur, producteur, transformateur, distributeur,…
Au sein de ces filières, la contractualisation ne prend pas toujours la même place. Suite
à la loi de modernisation agricole de juillet 2010, dans certain secteur, le recours à la
contractualisation a été imposé notamment par deux décrets du 30 décembre 2010 en matière
de production de lait de vache2 et dans le secteur des fruits et légumes3. En revanche, la
pratique n’est qu’à l’état d’ébauche dans la filière porcine ou bovine.
Le législateur semble enclin à généraliser cette technique. La diversité des pratiques de
contractualisation entraîne une multitude de relations entre les acteurs du secteur agricole. Le
choix du contrat par le producteur aura des conséquences pour lui : la sécurité de ses
débouchés, la visibilité sur ses volumes et la qualité à produire, ainsi qu’une connaissance
plus fine des attentes des consommateurs. 4
Pendant longtemps contestées au niveau européen pour des raisons de droit de la
concurrence, le Règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation
commune des marchés des produits agricoles a consacré les interprofessions. L’Union
européenne les a admises de manière progressive, ainsi en 1992, les interprofessions ont été
1
Site de l’INSEE, Définition, Filière, http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/filiere.htm
Décret du 30 décembre 2010 n° 2010-1753 pris pour application de l’article L.631-24 du Code rural et de la
pêche maritime dans le secteur laitier, entré en vigueur le 1er mars 2011
3
Décret du 30 décembre 2010 n°2010-1754 pris pour application de l’article L.631-24 du Code rural et de la
pêche dans le secteur des fruits et légumes, entré en vigueur le 1er avril 2011
4
Rapport n°2636 – Assemblée nationale, au nom de la Commission des affaires économiques sur le projet de
loi, de modernisation de l’agriculture et de la pêche, Michel RAISON et Louis GUÉDON, 17 juin 2010,
2
1
reconnues dans le secteur du tabac, puis en 1996 dans le secteur des fruits et légumes. Peu à
peu, secteur par secteur, le droit européen reconnaît leur existence. Le recours à une
interprofession sera alors ; soit obligatoire si le droit européen l’impose, c’est le cas des fruits
et légumes ou encore des vers à soie ; soit facultatif, l’Etat membre sera alors libre de
reconnaitre une interprofession.
Elles sont désormais envisagées de manière générale, tous les secteurs peuvent en faire
l’objet. Les organisations interprofessionnelles permettent de réunir les acteurs « de l’amont et
de l’aval d’une même filière au sein d’une instance dont le but est d’élaborer des choix de
politique contractuelle liés à l’organisation des marchés visés, tout en garantissant l’équité
entre ses membres, en permettant de développer les performances de la filière et en défendant
ses intérêts ».5
Quelle que soit la forme contractuelle choisie, la contractualisation suppose
généralement un producteur et un autre acteur de la filière engagée dans une relation
bilatérale. Mais il arrive parfois que d’autres entités participent également à l’accord, ce qui
crée un contrat multipartite.6 L’un des enjeux actuels porte sur la place du producteur au sein
de ces contrats et sur la place grandissante des organisations de producteurs. Au regard de la
loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014, il transparaît que le législateur a entendu
soumettre à l’obligation de contractualisation tant la relation producteur et groupement de
producteur que la relation producteur et acheteurs.7
L’agriculteur devra choisir le dispositif le plus adapté à son activité économique et ses
attentes personnelles. Il convient ainsi de distinguer deux types de relation : les relations à
deux au sein des contrats bipartites (I) et les relations multipartites entre plusieurs acteurs de
la filière (II).
5
Les interprofessions agroalimentaire en France, Note de synthèse, Ministère Français des Affaires Etrangères
– DGCID DCT/EPS/IRAM / REDEV, Célia CORONEL et Laurent LIAGRE, mars 2016
6
Guide juridique sur l’agriculture contractuelle, UNIDROIT, version provisoire, 3 avril 2015
7
La mise en œuvre de la contractualisation dans le secteur non coopératif, J. DERVILLERS, RD. rural, Octobre
2015, dossier 18, n°432
2
I.
Une relation contractuelle entre deux acteurs de la filière : le
contrat bipartite
Généralement, les relations sont bilatérales c’est-à-dire que le contrat est conclu entre
deux parties. Quel que soit le contrat choisi par le producteur, deux acteurs de la filière sont
en jeu. Tout d’abord, il faut identifier les parties au contrat au sein des filières agricoles (A).
Ensuite, il convient de s’interroger sur l’impact du changement de l’une des parties en cours
de contrat (B).
A. L’identification des parties au contrat
Encore aujourd’hui, l’essentiel des relations contractuelles sont individuelles. En
amont, il s’agit notamment des contrats entre producteurs et fournisseurs d’aliments. Tandis
qu’en aval, les relations ont lieu avec les abatteurs, les transformateurs ou les distributeurs.
L’objectif des pouvoirs publics, par le développement de la contractualisation, est
d’instaurer au sein de ces contrats un meilleur équilibre entre les acteurs, notamment entre les
transformateurs ou distributeurs qui imposent le prix et les producteurs qui souvent le
subissent. Dans un système de consommation de masse, les producteurs sont de plus en plus
dans une situation de fragilité. Les parties seront alors différentes selon que le contrat est
conclu en amont ou en aval de la filière concernée.
Force est de constater que la qualité de producteur est centrale dans un contrat
agricole. Cette qualité est reconnue à l’agriculteur quelles que soient la taille de l’exploitation
et le type de structure au sein de laquelle il a choisi d’exercer son activité professionnelle.
En droit français, il faut se référer à l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche
maritime qui définit l’activité agricole, « toutes les activités correspondant à la maîtrise et à
l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou
plusieurs étapes nécessaires au déroulement du cycle ».
La référence à cet article se retrouve notamment dans la jurisprudence relative au
contrat d’intégration8 ; et semble aller dans le sens de la loi du 27 juillet 2010 sur les contrats
de vente de produits agricoles.
8
Cass. 1ère Civ., 19 mai 1987 ; RD. rur. 1988, 168, obs. Lorvellec.
3
Le producteur peut contracter lui-même avec les acteurs de la filière ou par
l’intermédiaire d’une organisation de producteur comme le prévoit l’alinéa 9 de l’article
L.631-24, 2° du Code rural et de la pêche maritime. Pour les agriculteurs, intégrer une
organisation de producteur leur permet de mieux peser sur la négociation des contrats,
particulièrement pour obtenir un prix plus juste.
Une organisation de producteur regroupe, de manière volontaire et à leur initiative, des
producteurs autour d’une même production dans l’objectif de mutualiser leurs moyens en vue
de rééquilibrer les relations commerciales au sein de la filière. 9 Elles se voient appliquer les
règles particulières prévues aux articles L. 551-1 du Code rural et de la pêche maritime. Le
groupement de producteurs permet de ne pas être seul face aux grands groupes industriels,
notamment agro-alimentaires, afin de mieux peser sur les marchés10. Elles peuvent être de
deux natures, soit de type commercial, soit de type non-commercial.
L’organisation de producteurs sera dite commerciale lorsqu’elle vend en tant que
propriétaire la production de ses membres. Ainsi, elle achète la production de ses membres
par le biais d’un contrat de vente pour la revendre ensuite. Ici, l’organisation de producteurs
est véritablement partie au contrat avec l’amont de la filière.
En revanche, si l’organisation de producteurs est dite non commerciale, elle ne devient
pas propriétaire de la production de ses membres. Elle négocie pour les producteurs des
contrats avec des abatteurs ou des fournisseurs, sans être partie au contrat. En réalité, ce sont
des cas d’exception, qui existent dans l’élevage pour des raisons de traçabilité des produits. 11
Avec qui les producteurs ou les organisations de producteurs contractent ? Avec
tous les acteurs de la filière concernée. Le nouveau régime de contractualisation de l’article
L.631-24 du Code rural et de la pêche maritime relatif au contrat de vente de produits
agricoles vise aussi bien les grossistes, les transformateurs, les distributeurs ou encore les
coopératives et les organisations de producteurs.
Le même article prévoit l’exclusion des relations directes avec le consommateur qui ne
peut donc pas être un acteur de la contractualisation, mais également des ventes réalisées au
bénéfice des organisations caritatives.
9
Organisation économique : les organisations de producteurs, site du Ministère de l’agriculture, de
l’agroalimentaire et de la forêt, 1er avril 2015, http://agriculture.gouv.fr/organisation-economique-lesorganisations-de-producteurs
10
La mise en œuvre de la contractualisation dans le secteur non coopératif, J. DERVILLIERS, RD. rural,
Octobre 2015, dossier 18, n°432.
11
Organisation de producteurs, Entreprise agricole, Dictionnaire permanent, 2016
4
Finalement, il est possible de s’interroger sur la nature de la contractualisation entre
les différents maillons de la chaîne. L’ordonnance du 7 octobre 2015 est venue modifier
l’article L.631-24 du Code rural et de la pêche maritime en permettant une contractualisation
différenciée entre premier acheteur et second acheteur. Il y aurait alors un premier contrat
entre le producteur et le premier acheteur, mais également un autre contrat entre le revendeur
et le second acheteur.
Si les parties au contrat n’ont pas d’influence sur la nature du contrat, elles ont une
importance non négligeable à l’occasion de la cession du contrat.
B. Le changement d’un acteur au sein de la relation contractuelle
La cession du contrat agricole peut intervenir à différents moments de la vie de
l’exploitation agricole du producteur tant à l’occasion d’une cessation d’activité, d’un
changement de type de production, ou encore de la transmission d’une partie de l’exploitation.
Une chose est sûre, il n’existe pas de régime relatif à la cession du contrat en matière
agricole auquel pourrait se référer le producteur. Il est nécessaire alors de se tourner vers le
droit commun. Depuis l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des
obligations, le législateur pour la première fois traite de la cession du contrat. Cette
ordonnance entrera en vigueur le 1er octobre 2016 ; elle reprend dans l’ensemble la
jurisprudence qui existait jusqu’alors.
Une partie au contrat qui décide de céder son contrat à un tiers cessionnaire, ne peut le
faire qu’avec l’accord du cédé conformément au nouvel article 1216 du Code civil.12
Cependant, l’accord peut être donné par avance par les parties et la cession n’aura alors
d’effet qu’une fois notifié à la partie cédée. Si la partie cédée y a expressément consenti, la
cession du contrat libère le cédant de ses obligations. En revanche, si le cédé n’y consent pas,
le cédant reste lié, solidairement à l’exécution du contrat.
Avant toute cession, il faut se demander si la cession se réalise de la même manière
dans tous les contrats agricoles, puisque l’agriculteur peut être tenu par différents contrats :
contrat de production, contrat de vente de produits agricoles mais aussi contrat coopératif.
12
Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la
preuve des obligations
5
Les contrats de production, très présents en agriculture, imposent au producteur
d’exécuter des obligations pendant une certaine durée. Si la cession n’est pas prévue au
contrat, le cédant devra obtenir l’accord du cédé ; à défaut, il restera tenu de ses obligations
jusqu’au terme prévu.
Concernant les contrats de vente de produits agricoles, il est nécessaire que le cédant
obtienne l’accord de l’acheteur ou bien la conclusion d’un nouveau contrat avec le
cessionnaire. Pour les contrats de vente de lait cru Lactalis par exemple, il est expressément
prévu une clause entre les parties qui envisage les modalités de la cession du contrat. Il est
donc toujours important de vérifier, au sein du contrat, si à l’origine les parties avaient prévu
des conditions de cession.13
Lors de la cession du contrat, outre la question de la possibilité de céder pour le
producteur, il faut aussi s’interroger sur la valorisation de celui-ci. Le producteur peut-il
donner un prix à son contrat ? La valorisation du contrat permet au cédant de transférer son
contrat agricole au cessionnaire moyennant un prix.
Au moment de la cession du fonds agricole, la valeur du contrat agricole sera reconnue
et admise sans difficulté, puisqu’il fait partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. Les
parties à la cession devront alors convenir par avance si le transfert du contrat aura une valeur
onéreuse ou non et le faire apparaitre clairement.
Tous les contrats sont-ils pour autant valorisables ? Rien n’interdit de valoriser un
contrat lors de son transfert, si ce n’est pas interdit par la loi ou la jurisprudence14. Par
exemple, dans le cas des exploitations agricoles en faire-valoir indirect soumises au statut du
fermage, l’article L.411-74 du Code rural et de la pêche maritime interdit les pas-de-porte. La
cession du bail rural ne peut pas, de ce fait, se faire à titre onéreux. Il y aura alors une
difficulté si le bail est cédé en même temps que le contrat. Il est primordial de distinguer la
cession du contrat et le transfert du bail.
Par exemple, des problèmes se posent notamment quant à la valorisation des contrats
laitiers par les agriculteurs en fermage. La vente de contrats est autorisée contrairement à
celles des anciens quotas laitiers. Il faut que la valorisation corresponde à la valeur réelle du
contrat. Si la cession du bail n’est pas concomitante à celle du contrat agricole, il n’y aura pas
13
14
Le transfert des contrats de production, L.MANTEAU, octobre 2015, dossier 17, n°432
V. note n°13
6
de difficultés particulières. Mais encore faudrait-il savoir comment valoriser le contrat,
question qui reste aujourd’hui mal résolue.
Les producteurs sont de plus en plus dans une situation de fragilité. Le législateur a la
volonté de développer les relations entre plusieurs acteurs de la filière pour sécuriser les
relations du producteur avec l’aval et l’amont de sa filière.
II.
La relation entre plusieurs acteurs de la filière : les rapports
collectifs
Les relations entre plusieurs acteurs peuvent être contractuelles, par le jeu de relations
collectives (A), ou non contractuelles en faisant intervenir un tiers intéressé (B).
A. Le contrat multipartite : relation contractuelle collective
Il est nécessaire de s’intéresser à la forme que peut revêtir un contrat multipartite et ce
que signifie ce terme, pour ensuite s’attacher aux parties intéressées par ces contrats à
plusieurs acteurs de la filière.
Pour définir le contrat multipartite, il faut se référer à l’article 1101 du Code civil
disposant que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes
s’obligent envers une ou plusieurs autres ». Cette disposition est transposable à la
contractualisation. Il est donc possible de lier plus de deux maillons de la filière de manière
contractuelle.
Les modalités de ce type de contrat restent largement à déterminer, mais il aurait pour
avantage de sécuriser l’ensemble de la chaîne, tant en terme de prix que de volumes. Cette
pratique permettrait de rendre transparent pour tous les cocontractants le processus de
valorisation du produit tout au long de la filière15.
Le contrat multipartite peut s’organiser sous différentes formes. En premier lieu, il
existe des contrats où le producteur s’engage à vendre dans des conditions prédéterminées à
15
Rénover les relations commerciales dans la filière porcine, Ministère de l’Agriculture, de l’Agronomie et de la
Forêt, 23 septembre 2015 ; http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/porc-contractualisation.pdf
7
plusieurs autres acteurs. Par exemple, le producteur s’engage à vendre respectivement à deux
transformateurs, mille tonnes de blé par an.
En second lieu, il y a les contrats dans lesquels les prestations s’imbriquent, c’est le
cas dans les groupes de contrats en matière de contrat d’intégration. L’obligation réciproque
de fournitures constitutive du contrat d’intégration peut résulter de la réunion de conventions
distinctes liant le producteur agricole à plusieurs entreprises industrielles ou commerciales,
comme le prévoit l’article L 326-1 du code rural et de la pêche maritime.
Pour qu'une convention soit qualifiée de contrat d'intégration, il n'est pas nécessaire
qu'elle organise un échange réciproque de produits, mais il suffit qu'elle constitue un
ensemble cohérent d'obligations réciproques de fournitures par l'entreprise industrielle et de
services par l'éleveur.
16
Il s’agira d’un groupe de contrats uniquement s’il existe un lien
indivisible entre les deux conventions. Quand un éleveur a contracté l'obligation d'élever des
veaux et de ne se fournir d'aliments qu'auprès de la société, il rend à celle-ci le service de
faciliter l'écoulement de sa production, et son contrat est qualifié de contrat d'intégration.17
Mais il existe aussi des contrats d’intégration collective prévus à l’article L. 326-4
du Code rural et de la pêche maritime. Ils permettent de substituer des contrats d’intégration
individuels à un seul contrat collectif liant plusieurs producteurs à une même entreprise.
Aujourd’hui se développe, en dehors de tous les schémas préexistants, une autre forme
de contractualisation liant plusieurs acteurs de la filière dans un seul et même contrat.
Début février 2016, Auchan a annoncé la mise en place d’une contractualisation
tripartite, de trois ans renouvelable, avec une association de producteur de porc Le Porcelin,
l’industriel Bigard, et plusieurs transformateurs charcutiers. « Ce partenariat permet sur une
durée d’assurer un juste niveau de rémunération de l’ensemble des acteurs de la filière ». Ici,
l’avantage pour le producteur c’est que « le prix d’achat aux éleveurs prend en compte les
évolutions de leurs coûts de production »18.
Mais il est possible également de citer Lidl, qui a annoncé qu’un accord tripartite allait
être signé entre 150 éleveurs de porcs de l’Ouest. L’objectif du groupe Lidl par la signature de
16
Civ. 1re, 14 déc. 1976: D. 1976. 177, note Chesné et Martine
Civ. 1re, 17 févr. 1981: RD rur. 1982. 92, obs. Lorvellec
18
Contrat tripartite entre Auchan, des producteurs et des transformateurs, La France Agricole, 12 février 2016,
http://www.lafranceagricole.fr/actualites/porc-contrat-tripartite-entre-auchan-des-producteurs-et-destransformateurs-1,0,584958651.html
17
8
ce contrat multipartite est de s’assurer que les augmentations de prix en magasin se
répercutent sur la rémunération de l’agriculteur.19
Qui peut avoir intérêt à s’engager dans un contrat multipartite ? Si les producteurs sont
aujourd’hui incités à s’engager dans une démarche de contractualisation, c’est avant tout dans
leur propre intérêt. Les éleveurs sont dépendants du prix des matières premières qui servent
d’aliment, mais aussi du prix fixé par les abatteurs et les transformateurs. L’intérêt du contrat
multipartite pour le producteur est de pouvoir faire intégrer le prix de la matière première dans
le prix de vente final.
Dans la pratique, les acteurs de la filière préfèrent souvent conclure une succession de
contrats bipartites. Cependant, alors que les agriculteurs manifestent un peu partout en France,
il semble que les distributeurs prennent des initiatives pour favoriser les relations collectives
contractuelles.
Mais les parties au contrat ne sauraient évoluer seules, elles doivent certes s’acquitter
de leurs obligations respectives, mais aussi prendre en compte leur environnement
extracontractuel.
B. L’intervention de tiers intéressés au contrat
Dans le cadre de la gestion des risques liés à la contractualisation, différents
mécanismes sont susceptibles d’être offerts par une variété d’intervenants.
Les mécanismes assurantiels, mais aussi les caisses de sécurisation, semblent des
techniques plus ou moins innovantes permettant une mutualisation des aléas propres à
l’agriculture. Plus simplement, la mutualisation permet de mieux répartir les risques liés au
milieu agricole entre les membres de la filière. L’objectif de ces mécanismes est de ne pas
faire peser l’aléa uniquement sur l’agriculteur.
Les deux mécanismes méritent d’être définis et précisés, même si encore aujourd’hui
ils ne sont pas réellement encadrés juridiquement.
19
Crise agricole. Lidl va augmenter les produits français dans ses rayons, Ouest France, 11 février 2016,
http://www.ouest-france.fr/agriculture/crise-agricole/crise-agricole-lidl-va-augmenter-les-produits-francais-dansses-rayons-4030561
9
Les assureurs, aujourd’hui, proposent aux agriculteurs un certain nombre
d’assurances adaptées à leur production qui vont de l’assurance récolte à l’assurance
« mortalité » en matière d’élevage. Ainsi, les assureurs, en couvrant de nombreux aléas liés à
l’activité, sont intéressés au contrat.
Le secteur agricole présente certaines spécificités ; la nature des risques et les réalités
économiques y évoluent en permanence. Des mécanismes assurantiels existent pour faire face
à ces aléas que peut rencontrer le producteur. 20
A titre d’exemple, un nouvel outil d’assurance ciblant les chutes de rendement en
production de semences sera testé à partir d’avril 2016 en matière de récolte de maïs. L’idée
est de sécuriser le maïs en semence en cas de forte chute de rendement quelle que soit la
cause. 21
L’intervention trop importante des assureurs suscite cependant la crainte de voir les
stipulations du contrat agricole subordonnées aux conditions de l’assureur ou à son
approbation.
Mais le mécanisme assurantiel n’est pas le seul à être mobilisé dans le cadre de la
gestion des risques.
Les caisses de sécurisation se veulent des outils au soutien de la contractualisation.
Elles sont encore à l’état d’ébauche mais peuvent être définies comme des organismes qui
recevraient les cotisations des différents acteurs de la filière et qui compenseraient, en cas de
baisse des cours, les pertes de revenus subis par les agriculteurs.
A titre d’illustration, dans le domaine de l’élevage, il est d’usage que la transaction
entre le distributeur et l’abatteur s’effectue au prix du marché. L’abatteur va considérer que ce
prix constitue une norme de référence qu’il associera à sa gestion normale. Dès lors qu’il sera
contraint d’acheter l’animal à un prix supérieur, il dénombrera un écart de gestion et de ce fait
sera pénalisé. La caisse de sécurisation financerait cet écart dans une logique de préservation
des situations financières respectives. La caisse sera alors, tour à tour, alimentée par
l’opérateur gagnant dans un objectif de maitrise des risques. 22
20
Quelle sont les réponses de l’assurance face à l’évolution du monde agricole, Rapport Assurance et
agriculture, Christian Babuziaux, Ministère Agriculture 2000, Fédération française des sociétés d’assurance
1997
21
Une assurance récolte New look, La France agricole, Florence Melix, novembre 2015
22
La contractualisation dans le secteur bovin, Rapport n° 14099, CGAAER, septembre 2015
10
La Fédération du commerce et de la grande distribution regroupant plusieurs enseignes
dont Auchan, Carrefour, Lidl et Casino a donné son accord pour participer à un fonds de
soutien aux éleveurs porcins, pour un montant de 100 millions d’euros. Ce fond, transitoire,
couvrirait des versements aux éleveurs pour une période de six mois. Sa mise en œuvre
devrait associer l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire c’est-à-dire les
distributeurs, les abatteurs, la charcuterie, la restauration collective et commerciale.23
L’essor de ces caisses de sécurisation dépendra avant tout de la volonté des acteurs de
la filière et de l’intérêt qu’ils auront à s’engager dans une telle démarche.
Force est de constater que de tels engagements ont été pris dans un contexte de crise
agricole et sur fond de manifestation des agriculteurs français. Encore faut-il attendre de voir
quels engagements seront tenus par les enseignes, quelle sera la situation des professionnels
de l’agriculture ces prochaines années et les éventuelles poursuites de l’Autorité de la
concurrence.
Cette approche des tiers intéressés n’est pas exhaustive, mais elle permet de prendre
conscience que de nombreux acteurs, qu’ils soient parties au contrat ou non, peuvent avoir un
impact décisif sur le déroulement de la contractualisation.
Tout l’enjeu reste de définir le rôle de chacun et d’encadrer au mieux ces relations
pour qu’elles permettent d’assurer aux producteurs un meilleur revenu.
23
Porc: la grande distribution propose un fonds de soutien de 100 millions d'euros, La Voix du Nord, 16
février 2016, http://www.lavoixdunord.fr/economie/porc-la-grande-distribution-propose-un-fonds-de-soutiende-ia0b0n3335047
11

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