La tête du géant - Mairie du 14e

Transcription

La tête du géant - Mairie du 14e
La tête du géant
Par Monique Ernst,
Prix Regard 14e
du concours de nouvelles policières
P
aris, 14e arrondissement, 10 septembre 2013,
10h du matin.
« José, on a besoin de toi, on vient de nous signaler
la présence d’un corps dans le cimetière du Montparnasse, une vieille qui l’a trouvé je crois. RDV devant le
cimetière. »
1
José finit son café à la hâte. Il n’était pas de service ce
matin mais bon... Il prit rapidement sa douche, revêtit
son costume embrassa sa femme et se dirigea vers la
porte d’entrée.
– Tu va sauver le monde papa ? Dit Jonathan, son fils
qui sortit de sa chambre en baillant.
– Oui mon lapinou, papa sera de retour ce soir, amusetoi bien à l’école. », Dit-il en fermant la porte.
José enfourcha son scooter de police qu’il adorait et
partit en activant la sirène.
Quand il arriva au cimetière du Montparnasse, tout le
monde était déjà la, les curieux y compris.
Son amie et collègue Sophia l’interpella
– Désolée de t’avoir tiré du lit Jo, mais c’est la première
affaire intéressante depuis des mois !
– Ça m’a l’air oui, il y à plus de monde que d’habitude. »
Ils entrèrent dans l’enceinte du cimetière. Une vieille
dame assise sur un banc leva les yeux vers eux, sans
cesser pour autant de renifler tout ce qu’elle savait.
« Probablement celle qui a trouvé le corps, pensa José.
»
Le commissaire vint vers eux.
– Ah vous voilà vous deux ! J’ai failli attendre ! C’est
une affaire bien moche que nous avons là, comme je les
aime, dit il en riant .
– Qu’est-ce qu’on a ? Demanda José.
– Regardez par vous même. »
José se fraya un passage entre ses collègues et observa
la scène. A peine quelques secondes plus tard, il dût
refréner la nausée qui montait. Heureusement qu’il ne
mangeait jamais rien le matin ! Il aurait sûrement vomi
illico. La scène était insoutenable.
Une jeune fille, ou plutôt ce qu’il en restait, était enfouie
sous une fine couche de terre. Elle était entièrement
nue, ses vêtements soigneusement pliés sur une tombe.
Selon les enquêteurs, chaque plaie avait été tranchée
avec un couteau manifestement mal aiguisé et s’étendait sur environ 6 centimètres. On épousseta la terre
qui la recouvrait et on lui fit une prise de sang. Après
l’inspection minutieuse de la scène et une centaine de
photos plus tard, on la déplaça très délicatement pour
pouvoir inspecter la terre en dessous. Rien, à part de la
terre et du sang.
« Pauvre gamine, murmura José qui avait toujours du
mal à supporter des affaires concernant des enfants ou
des adolescents. »
Dans la poche de son short, ils découvrirent un trousseau de clé, un téléphone portable, un briquet et un
pass Navigo au nom de Iris Salviac. La photo du document correspondait au corps.
José lança les recherches sur le nom de famille dans le
quatorzième. Une seule famille du nom de Salviac était
répertoriée dans tout l’arrondissement.
On appela donc Mme Salviac qui confirma qu’elle avait
une fille. Elle ne l’avait pas vue depuis la veille, dans la
matinée.
A peine une heure plus tard, elle arriva à l’institut médico-légal, pas coiffée, pas maquillée. José lui montra
d’abord le pass Navigo pour ne pas la choquer. Elle fondit en larmes, puis se mit à hurler.
– Oh mon Dieu, c’est ma fille. C’est Iris. Je veux la voir,
laissez-moi la voir !
– Nous ne pouvons pas vous la montrer maintenant
madame Salviac, vous comprenez, une affaire est en
cours, la procédure.
– Je m’en fous de la procédure ! Laissez-moi voir ma
fille ! »
Elle poussa violemment le commissaire et les autres
policiers et se précipita en direction de la salle d’autopsie. On entendit un cri. C’était bien sa fille. Elle hurla :
– Qui est le monstre qui à osé faire ça à ma fille ?!
– Nous ne savons pas encore madame, mais nous allons
le trouver, je vous le promets. »
José fit asseoir Mme Salviac et lui apporta à boire.
Quand elle fut calmée, il la questionna, tout doucement.
La fureur des mots 2013 // concours de nouvelles policières // Prix Regard 14e
Sa fille avait seize ans, elle était en première au Lycée
Paul Bert. C’était une élève moyenne et elle avait de
nombreux problèmes de discipline. Cela depuis, selon
elle qu’elle fréquentait son « voyou de petit ami ».
José nota le nom du garçon, ainsi que son numéro de téléphone. Elle le décrivit également avec plein de haine
dans la voix. Selon elle c’était un voyou drogué bon à
rien, qui avait redoublé deux fois. Elle cria presque qu’il
avait déjà été jugé pour vol, menaces, etc... A peine majeur et déjà un casier judiciaire aussi rempli que celui
d’un gangster américain fit-elle remarquer. En plus, il
paraîtrait qu’il y à environ 3 ans de cela, les voisins de
Lucas s’étaient plaint. Lucas aurait tué leurs 4 chatons.
José la remercia et appela le fameux Lucas.
L’ado répondit sur un ton très insolent et quand José le
pria de venir au poste, accompagné de ses parents, lui
balança des insultes à la figure.
Presque deux heures s’écoulèrent avant que l’ado ne
daigne enfin se montrer. Il sentait l’herbe et le sang et
ses bras était couverts de croûtes et de cicatrices. Cela
intrigua José.
2
Plus intrigant encore, à l’annonce de la triste nouvelle,
José nota que le gamin ne changeait même pas d’expression, comme si c’était normal. Comme si on lui racontait un fait-divers qui concernait quelqu’un d’autre.
Il jura qu’il n’avait rien fait, qu’il n’avait rien à voir làdedans, etc. Et toutes ces phrases qu’on entend toujours dans les séries policières.
José et son coéquipier entreprirent alors interroger sa
mère mais elle fit quelques mimiques pour leur signifier qu’elle ne parlait pas bien le français, pas assez
pour répondre aux questions.
« - Je peux vous traduire si vous voulez, nous lança Lucas.
– Tu crois qu’on te fait confiance ? Raconte-nous plutôt
ce que tu faisais hier soir.
– J’étais chez moi, à la maison, Mamma! Tu sai che io
ero a casa ieri sera?
– Sì è vero, si stavano giocando i videogiochi, répondit
sa mère d’une voix tremblante.
– C’est un mensonge, vous lui avez demandé de mentir
pour vous ! Cria José.
– Vous traitez ma mère de menteuse petit con ? Vous
allez voir ! Je vais vous péter la gueule ! Gueula Lucas
en crachant sur le bureau.
– Rassies-toi ! Ordonna le commissaire. Le gamin s’exécuta sans broncher et se rassit. Je répète, que faisais-tu
hier soir ? Tu étais avec Iris ?
– Chi è questo Iris? Lucas pas connaître de Iris. Dit la
mère de Lucas.
– Cazzo mamma ! Ordonna Lucas. Oui c’est vrai, j’étais
avec Iris hier soir ! Vous êtes content ?
– Qu’avez-vous fait avec elle?
– On est allés dans le cimetière... On a fumé... Puis on a
fait l’amour.
– C’est tout ?
– Oui. C’est sûrement un clodo ou un psychopathe qui
l’a tuée. Moi j’ai rien fait, je peux partir maintenant
?Andiamo va mamma, essi sono degli idioti, balança-til à sa mère , avant de leur tirer la langue.
José ne broncha pas. Il venait de repérer un élément
étrange. Sur la langue du gamin, il avait clairement distingué une coupure. Vraiment bizarre.
Quelques heures plus tard, José et son coéquipier
reçurent les résultats du sang d’Iris. Il contenait une
grosse quantité de GHB, la drogue du viol.
Ils décidèrent de retourner au cimetière et de le longer
sur le côté. Il y avait des tentes Rue Emile Richard, la
rue qui traversait le cimetière. Quelqu’un aurait peutêtre entendu quelque chose. A peine arrivés, il remarquèrent un sans abri qui pissait contre un arbre. Il était
manifestement complètement saoul mais ne fit aucune
histoire quand ils demandèrent à inspecter sa tente. La
puanteur qui régnait à l’intérieur était insoutenable.
Une odeur de déjection humaine, d’alcool et de saleté.
Contenant tant bien que mal, une nouvelle fois, la nausée qui montait, les deux enquêteurs retournèrent les
sacs de couchages.
– Putain qu’est-ce que ça schlingue ! Grogna Sophie
l’air dégoutée.
– Ouais, dépéchons-nous ou je sens que je vais vomir,
répondit José.
– Vous êtes vraiment délicats tous les deux, arrêtez vos
simmagrés, se moqua Pierre, un enquêteur qui venait
d’arriver.
Soudain Sophie souleva un sac de couchage sous lequel
elle trouva un cabas en tissu. A l’intérieur, elle écouvrit
un canif émoussé et un flacon remplit d’un liquide.
- Regarde Jo, je te parie un café à la machine que ce
flacon contient du GHB , affirma Sophie.
Le propriétaire du sac de couchage fut immédiatement
arrêté et placé en garde à vue. Tous les objets furent
apportés à la police scientifique, pour analyse.
Quand les résultats tombèrent le lendemain, elles
confirmèrent que le flacon contenait bien du GHB,
quant au couteau, c’était bien celui qui avait servi à tuer
la victime. Seul problème, il y avait deux sang différents
et de la salive. L’autre sang était plus haut, au niveau
du manche. La salive partait de la pointe du couteau
jusqu’à sa base, mais n’avait pas complètement enlevé tout le sang. Malheureusement, il n’y avait aucune
empreinte. Elles avaient manifestement été effacées à
l’aide de gel antibactérien. La trace de salive demeuraient un mystère mais elle se révélait bien pratique.
De la salive fut prélevée au SDF. Ce n’était pas la même.
Mais, en attendant d’autres résultats, il restait quand
même suspect.
Tout un coup, José se souvint : La langue de Lucas était
coupée.
La tête du géant // Monique Ernst
Il le signala à son supérieur. Il fallait l’ADN de Lucas.
– Vous pensez qu’il l’a tuée pour pouvoir boire son sang
? Demanda José au médecin psychiatre de la police auprès de qui il se renseigna.
– C’est probable, mais ce serait du vampirisme clinique,
une maladie mentale. Ce qui expliquerait les cicatrices,
croûtes et les animaux tués.
Quand les enquêteurs toquèrent chez Lucas, ce fut la
mère qui leur ouvrit. Au bout de quelques minutes,
elle finit pas accepter de les laisser rentrer. Leur studio
était horriblement sale et en désordre. Une adolescente
de 13 ans regardait la télévision.
La mère alla chercher Lucas qui se reposait dans sa
chambre. José en profita pour suivre la mère et demander la permission d’inspecter la chambre, il refusa. «
Vous n’avez pas le droit ! », gueula-t-il. Sans surprise,
il refusa également de donner de la salive. A la grande
surprise de José, la mère s’énerva tout à coup et gifla
son fils. Elle cria :
« -Donne ta salive petit con ! Li dà ora!
Lucas cracha au sol et regagna sa chambre. José sauta
sur l’occasion et se précipita pour recueillir la salive du
crachat.
Deux jours plus tard, le résultat tomba : le test d’ADN
était positif.
Lors de son arrestation, Lucas se laissa faire. Tandis
que José et Sophie le ramenaient au commissariat,
deux enquêteurs inspectèrent la chambre. Le rapport
était édifiant : tampons et serviettes hygiéniques usagés, probablement ceux de sa sœur ou de sa mère, couteaux recouverts de salive, flacons contenant du sang
animal et humain, sept flacons avec le sien, une bouteille remplie aux trois quarts contenant celui d’Iris et
cinq autres flacons non identifiés .
Pendant plusieurs heures, les inspecteurs interrogèrent Lucas sans relâche. Ce n’est qu’à la vue du rapport des scientifiques qu’il lâcha enfin toute l’histoire.
Quand il était petit, une fois, il s’était blessé avec du
papier. Il avait aimé l’odeur et avait goûté ce liquide
rouge appétissant. Immédiatement après, il avait pris
un couteau et s’était ouvert la main. Juste pour goûter à
nouveau, juste une fois. Depuis, c’était sa drogue.
Après cinq années d’automutilation pour assouvir son
besoin en sang, il avait voulu essayer autre chose, un
autre goût. Il goûta d’abord le sang des règles de sa
mère puis un jour, alors qu’il avait quinze ans, il trouva
un chaton sur son palier. Il amena ce nouveau jouet
dans sa baignoire, le tua et recueillit son sang dans une
bouteille pour en avoir toujours sur lui. Il avait effectué
son stage de troisième dans un hôpital. Là, il avait pu se
procurer tout le sang dont il avait envie. Mais il y avait
un problème, à part quand c’était le sien, le sang qu’il
buvait n’était jamais complètement frais.
– Et Iris ? demanda José complètement écœuré par ce
qu’il entendait.
– Iris, je l’ai droguée, répondit t-il sèchement.
– Et ? Ensuite ? Que s’est-il passé ?
– Je n’ai pas pu résister quand elle s’est enfin endormie.
J’ai sorti mon couteau, je l’ai transpercée de partout, ça
pissait le sang, c’était génial ! Cria-t-il, une expression
horrible sur le visage et les yeux complètement exorbités. Je léchais le couteau à chaque fois. Et vous savez
quoi ? Ajouta-t-il. J’ai bien envie de recommencer !
3

Documents pareils