l`entrainement polarise - Activité d`enseignement et de recherche

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l`entrainement polarise - Activité d`enseignement et de recherche
L’ENTRAINEMENT POLARISE
Par Yann Le Meur, chercheur à l’INSEP
Introduction
Indépendamment du domaine concerné, l’atteinte d’un haut niveau de performance exige toujours
beaucoup de temps et son lot d’efforts intenses. Pour l’athlète d’endurance, cette exigence se
concrétise quotidiennement à travers les longues heures qu’il passe à l’entraînement et la difficulté des
séances auxquelles il s’astreint. Que l’athlète respecte un plan d’entraînement rigoureusement
programmé ou qu’il décide du contenu de sa séance seulement au moment d’enfiler ses runnings, se
posent cependant toujours les mêmes sempiternelles questions « Combien de temps dois-je
m’entraîner ce matin ? A quelle intensité dois-je réaliser ma séance ? ». Le débat qui entoure l’impact
relatif des différentes intensités d’entraînement sur le niveau de performance du sportif d’endurance
passionne depuis de nombreuses années. Quel entraîneur ou quel athlète ne s’est en effet jamais
interrogé sur les bénéfices du travail fractionné, du travail au seuil ou du travail foncier ? Quelle place
allouer à chacune de ces intensités d’exercice pour rendre l’entrainement le plus efficace possible ?
Pendant longtemps il a demeuré difficile d’apporter une réponse objective à ces questions, étant donné
la complexité du problème qu’induit la multitude des facteurs susceptibles d’affecter dans le même
temps le niveau de performance d’un athlète. Depuis quelques années, certains scientifiques se sont
penchés sur la question et apportent aujourd’hui des pistes de réponse intéressantes.
Commençons par nous mettre bien d’accord !
Lorsque l’on se pose la question de la manière optimale de distribuer l’intensité de l’entraînement d’un
sportif se pose d’emblée un premier point épineux, celui de la quantification de ce paramètre
justement. Ça commence bien me direz-vous ! Il existe en effet une multitude de méthodes pour
mesurer l’intensité de l’entraînement ; celles-ci se répartissant globalement en deux familles. D’un
côté, les méthodes de quantification fondées sur des variables physiologiques (fréquence cardiaque,
lactatémie, etc. ) ; de l’autre, les méthodes utilisant des variables psychométriques (généralement la
difficulté de l’effort perçue, le fameux « RPE »). Il est même possible d’y ajouter des méthodes
mécaniques ou cinématiques, grâce à la popularisation des capteurs de puissance en cyclisme ou des
systèmes GPS pour les sports collectifs. La plupart du temps, les entraineurs se fondent sur des
indicateurs physiologiques et découpent la gamme des intensités d’entraînement en trois à cinq zones
distinctes (Tableau 1).
Bien sûr les zones prescrites sont généralisées pour tout un chacun et ne tiennent pas compte des
variations qu’il peut exister entre individus en termes de relation entre leur fréquence cardiaque et leur
lactatémie sanguine en fonction de l’intensité d’effort. Les athlètes très entraînés en endurance auront
par exemple tendance à passer dans la zone supérieure fixée une lactatémie donnée pour un
pourcentage de fréquence cardiaque plus élevée. Bref, cela n’est pas décisif et les plus pointilleux
auront toujours la possibilité d’être plus précis en allant passer un test d’effort en laboratoire qui leur
permettra de caler à la virgule près chacune de ces zones. L’idée à retenir est que ces zones
différencient des états physiologiques distincts en réponse à l’intensité d’exercice. Schématiquement,
dans les premières zones (zones 1 & 2 sur l’échelle à 5 niveaux), l’organisme parvient à s’ajuster à
l’exercice imposé par une contribution très majoritaire du métabolisme aérobie. Dans ces gammes
d’intensité, les indicateurs restent donc au vert et la pénibilité de l’effort reste modérée ; l’athlète peut
parler durant son effort sans éprouver de gêne respiratoire. Tous les feux sont au vert et il est possible
de tenir des heures à ce rythme. A partir de la zone 3, la contribution anaérobie s’accroît, de sorte que
le taux de lactates dans le sang commence à augmenter plus nettement, quand bien même la filière
aérobie est loin d’avoir atteint son maximum. L’organisme du sportif parvient alors toujours à
conserver un état physiologique relativement stable mais l’effort commence à devenir assez difficile.
Disons que le feu est passé au orange ! A partir de la zone 4, le paysage change alors rapidement. La
contribution aérobie continue d’augmenter (son plafond n’étant atteint qu’en bout de zone 5) mais la
contribution anaérobie devient telle que l’organisme ne parvient plus à maintenir les valeurs de pH et
de lactatémie constantes, quand bien même l’athlète maintiendrait une allure constante. Plus le sportif
reste dans cette gamme d’intensité ou plus il tend vers des intensités élevées au sein de celle-ci, plus la
machine s’emballe, notamment sur le plan ventilatoire. L’entrée dans la zone 4 marque concrètement
le point de rupture à partir duquel l’organisme ne parvient plus à maintenir un état physiologique
stable. La difficulté de l’effort est alors perçue généralement comme difficile à maximale par l’athlète.
Pour les plus pragmatiques, on retiendra qu’un marathon est généralement couru en zone 2, un 10km
en zone 4 et que la région haute de la zone 5 définie par la vitesse maximale aérobie est soutenu
généralement 5 à 6 minutes lors d’un effort continu.
Pénibilité de l’effort
perçue
Zones d’intensité
Echelle à 3
zones
Echelle à 5
zones
Fréquence
cardiaque
(% max)
Lactatémie
(mmol/L)
Echelle
de 0 à 10
Sensation
Temps de
travail
effectif
cumulé
typique
dans la zone
lors d’une
séance
spécifique
Très très
1
60 – 72
0.8 – 1.5
0 – 1.5
léger à
1–6h
léger
1
Léger à
2
72 – 82
1.5 – 2.5
1.5 – 3
1–3h
modéré
Modéré à
2
3
82 – 87
2.5 – 4.0
3–5
50 – 90 min
difficile
Difficile à
4
88 – 93
4.0 – 6.0
5–7
très
30 – 60 min
difficile
3
Très
difficile à
5
94 – 100
6.0 – 10.0
7 – 10
15 – 30 min
Très très
difficile
Tableau 1. Les zones d’intensité d’effort pour le travail aérobie sous toutes leurs coutures.
A la lecture de ce tableau, les plus tatillons s’interrogeront sur l’intérêt de se compliquer la tâche en
utilisant l’échelle à 5 échelons, alors qu’il est possible de se simplifier la vie en en utilisant seulement
3. Nous répondrons à cette remarque en soulignant que l’échelle en 3 zones s’avère parfaitement
adaptée pour le sportif d’endurance néophyte ou débrouillé. Pour l’athlète expérimenté en revanche,
son niveau de performance fait que la gamme des vitesses qu’il peut adopter à l’entraînement, sans
dépasser sa vitesse maximale aérobie (la fameuse VMA) peut s’avérer bien plus grande et justifier
l’intérêt d’une échelle plus fournie. L’expérience construite par un sportif au fil de ses années de
pratique constituera par ailleurs un moyen privilégié pour lui-même et son entraîneur de pouvoir
ajuster avec une plus grande précision l’intensité des sorties d’entraînement.
Durant la suite de cet article, nous utiliserons l’échelle à 3 zones pour simplifier notre discours : la
zone 1 représentera la zone de travail de faible intensité (Z1), la zone 2 celle du travail au seuil (Z2) et
la zone 3 celle du travail de haute intensité (Z3).
Comment s’entrainent les meilleurs ?
L’un des moyens les plus évidents pour comprendre comment optimiser le temps passé à
l’entraînement dans chacune des zones d’intensité est d’aller voir ce que font les cracks. Facile à écrire
mais pour autant par toujours simple à faire ! Demander à l’entraîneur de champions la manière dont il
entraîne ses athlètes pour les amener au top, c’est un peu comme exiger d’un magicien qu’il vous
dévoile les rouages de son meilleur tour. Compliqué ! Depuis une vingtaine d’années mais surtout
depuis le début des années 2000 ont pourtant été diffusés quelques écrits à ce sujet. En 1991, un
groupe de chercheurs Néo-Zélandais fut le premier à publier les caractéristiques de l’entraînement de
13 coureurs kiwis de haut niveau, dont les distances de prédilection allaient du 1500m au marathon
(13). Ces derniers ont ainsi enregistré la fréquence cardiaque de leurs athlètes durant 2 mois pour
caractériser le temps passé dans les zones d’entraînement identifiées préalablement à la suite de tests
en laboratoire qui avaient déterminé l’évolution de leur lactatémie en fonction de la vitesse de course
chez chaque athlète. De manière intéressante voire même surprenante, les résultats rapportèrent alors
que ces athlètes passaient 77% de leur temps d’entraînement en Z1 et seulement 4% de leur temps en
Z3. Le débat est lancé !
Cette tendance à consacrer un grand temps d’entraînement au travail foncier fut confirmée par la
chercheuse française Véronique Billat de l’Université d’Evry, très réputée pour ses travaux sur les
disciplines d’endurance aux débuts des années 2000. Cette dernière mena ainsi le même type de suivi
auprès de marathoniens Français et Portugais de haut niveau (2). Véronique Billat caractérisa ainsi la
distribution du temps d’entraînement de ces coureurs en utilisant des zones définies par leurs vitesses
de référence sur marathon, 10 km et 3 km. Durant les 12 semaines précédant les Jeux Olympiques de
Sydney, elle montra ainsi que 78% du temps d’entraînement de ces coureurs étaient réalisés en
dessous de leur allure marathon (Z1), seulement 4% à l’allure marathon (Z2) et 18% du temps à des
allures supérieures à celle de leur marque sur 10 km (Z3). Cette distribution était d’ailleurs la même
chez tous les athlètes suivis, qu’ils soient de haut niveau (< 2h16 pour les hommes et < 2h38 pour les
femmes) ou de valeur internationale (< 2h11 pour les hommes et < 2h32 pour les femmes). Toutefois,
les coureurs de valeur internationale couraient une plus grande distance hebdomadaire et passaient
davantage de temps en Z3. Une autre étude de Véronique Billat conduite cette fois-ci avec des
coureurs élite Kényans de 5 et de 10 km révéla que ces derniers passaient 85% de leur temps
d’entraînement en Z1 et en Z2 (1).
Quelques années plus tard, une équipe de chercheurs madrilènes analysa près de 1000 enregistrements
de fréquence cardiaque pris sur des coureurs à pied de très bon niveau (VO 2max : 70 mLO 2 /min/kg)
durant de longs mois pour tenter là encore d’identifier une éventuelle distribution optimale de
l’intensité d’entraînement. En moyenne, les coureurs suivis avaient parcouru 70 km par semaine et
leur temps d’entraînement était distribué de la manière suivante : 71% en Z1, 21% en Z2 et 8% en Z3
(5). L’intensité moyenne de leur entraînement était ainsi de 64% VO 2max , soit une intensité
relativement faible. De manière plus intéressante encore, il avait été constaté par ces auteurs que le
niveau de performance de ces coureurs, ainsi que leur progrès durant l’étude sur des cross de 4 et
10km étaient positivement corrélés avec le temps d’entraînement qu’ils avaient passé en Z1. En
d’autres termes, plus ces coureurs passaient de temps à s’entraîner à faible intensité, plus leur niveau
de performance était bon s’améliorait sur des distances de course imposant pourtant le soutien de très
haut pourcentage de VO 2max !
Ce constat renforçant l’intérêt du travail à faible intensité fut confirmé par une étude très intéressante
menée en 2004 par le Pr. Seiler, dont nous reparlerons beaucoup par la suite. Ce chercheur Norvégien
de l’Université d’Adger analysa les contenus d’entraînement de rameurs élite Norvégiens et
l’évolution de leur niveau de performance… sur près de 30 années ! (7) A partir de questionnaires, de
carnets d’entraînement et de bilans physiologiques réalisés lors de tests d’effort en laboratoire sur 27
rameurs ayant obtenu des médailles lors des Jeux Olympiques ou au cours de Championnats du
Monde dans les années 1970, 1980 et 1990, il rapporta plusieurs constats très intéressants. Tout
d’abord, il apparut que durant ces trois décennies, le volume d’entraînement annuel avait augmenté de
20%, principalement en raison du temps consacré au travail à faible à intensité (Z1). Dans le même
temps, le volume d’entraînement à haute intensité avait diminué d’un tiers et le temps d’exercice à très
haute intensité (supérieur à VO 2max ) avait diminué au profit de formes de travail intermittent à des
intensités plus faibles autour de 85 – 95% VO 2max . Enfin, une augmentation importante du nombre de
stages d’entraînement en altitude était constatée. Au cours de ces trois décennies, une amélioration de
12% de VO 2max fut observée chez ces rameurs et leur performance sur ergomètre progressa de 10% !
Si les conclusions à retenir de ce genre d’études, uniquement descriptives, restent à prendre avec
précaution étant donné le nombre de facteurs non contrôlés susceptibles d’avoir influencé les résultats,
ceux-ci invitent tout de même à envisager qu’il est possible de progresser et d’être performant dans
des disciplines d’endurance exigeant le maintien d’un très haut pourcentage de VO 2max , tout en
privilégiant majoritairement un travail de faible intensité lors de l’entraînement. Ces résultats
préliminaires ont posé les bases de l’entraînement polarisé diffusé par Stephen Seiler qu’illustre la
figure 1.
Pour les plus sceptiques, continuons plus en avant notre tour d’horizon des méthodes d’entraînement
mises en place par les athlètes d’endurance élite afin de mieux cerner les arguments en faveur de ce
cher collègue scandinave. Dans une étude récente, Seiler, encore lui, a analysé les contenus
d’entraînement de rameurs Allemands de classe mondiale durant une période 37 semaines menant
jusqu’à leurs championnats nationaux et à l’obtention de leur qualification pour les Championnats du
Monde (8). Parmi ces 36 athlètes suivis, soulignons que 27 remportèrent une médaille lors des
Championnats du Monde Junior qui suivirent la période analysée. A partir d’une analyse fondée sur le
suivi de la fréquence cardiaque lors des séances d’entraînement, Seiler montra que 95% du temps
d’entraînement était réalisé en Z1. Cette dominance de l’entrainement de faible intensité était observée
tout au long de la période de 9 mois suivie durant l’étude. Cependant, les parts respectives
relativement faibles passées en Z2 et en Z3 étaient ensuite significativement accrues à l’approche de la
phase compétitive. De la sorte, en considérant la saison dans son ensemble, la distribution de
l’entraînement dans les zones d’intensité se rapprochait là encore d’une forme polarisée.
Finalement, lorsque l’on creuse la question, les exemples mettant en exergue la tendance des sportifs
élites spécialistes des disciplines d’endurance à privilégier de très larges volumes d’entraînement à
faible intensité ne manquent pas. A l’inverse, on ne recense pas d’études rapportant l’atteinte d’un haut
niveau dans un sport en endurance où le travail foncier serait omis. Le constat se confirme même
lorsque l’on porte attention à des disciplines dont les temps d’effort n’est que de quelques minutes et
dont l’intensité est supérieure à celle associée à l’atteinte de VO 2max . Récemment, une étude a par
exemple décrit les caractéristiques physiologiques et l’entraînement de skieurs de fond spécialistes
d’épreuves sprint sur 1000 – 1500m en distinguant un groupe de haut niveau et un groupe de valeur
internationale (14). Les résultats ont mis en évidence que les plus performants d’entre eux possédaient
les meilleurs profils aérobies (meilleure VO 2max , plus grande vitesse associée à l’atteinte de celle-ci et
plus grand temps de soutien à VO 2max ), et que là encore, leur entrainement se caractérisait encore par
un temps d’entraînement foncier nettement plus grand (445 vs. 341 h lors des 6 mois de suivi).
Aucune différence n’était constatée en termes de temps passé dans la zone des hautes intensités (Z3,
19 h pour les deux groupes).
L’ensemble de ces études soulignent donc finalement comme ce qui pourrait paraître un paradoxe : la
plupart des sportifs d’endurance élite qui s’adonnent à la pratique d’activités dont l’intensité dépasse le
seuil anaérobie (≥ 85% VO 2max ) s’entrainent la très grande majorité de leur temps à des intensités très
inférieures à celui-ci. A première vue, on avait rêvé mieux en termes de spécificité de l’entraînement !
80-20, le bon ratio ?
Si les arguments scientifiques jusqu’ici avancés soulignent l’avantage du travail aérobie de faible
intensité, il s’agit toutefois de rester lucide sur les chiffres annoncés. Prenons l’exemple d’un triathlète
qui réaliserait une journée d’entraînement durant laquelle il pédalerait 3h le matin en peloton et
réaliserait une séance de course à pied d’1h, dont le cœur de séance serait une série de 10 fois 400m
courus à 105% de VMA. Si l’on considère que la sortie cycliste est réalisée à une intensité modérée,
sans changement de rythme important, le temps passé dans les hautes intensités serait rapidement être
limité à 15 – 20 minutes sur la journée, soit environ 6 – 8 % seulement du temps d’entrainement
quotidien. Pourtant le cœur d’une des deux séances ciblait des intensités élevées. En se limitant à une
lecture simpliste des pourcentages cités au début de notre exposé, on comprend ainsi assez vite qu’il
est possible de sous-estimer assez facilement la charge de travail associée au temps passé dans les
hautes intensités. Il ne s’agit donc pas ici de remettre en question l’intérêt du travail intense pour
améliorer les performances en endurance. De nombreuses études ont de toute manière d’ores et déjà
démontré que les intensités élevées voire maximales sont incontournables pour optimiser le niveau de
performance aérobie d’un athlète d’endurance. Néanmoins, l’analyse des résultats jusqu’ici rapportés
démontre que les progrès ne passent pas toujours nécessairement par davantage d’intensité. La vraie
question est alors de savoir de quelle dose de travail au seuil (Z2) et de travail de haute intensité (Z3)
un athlète a besoin pour maximiser les adaptations physiologiques induites par l’entrainement. Si l’on
en revient aux études mentionnées jusqu’ici, les résultats semblent converger pour indiquer que les
athlètes d’endurance élite tendent à s’entraîner 20% de leur temps en Z2 et en Z3. Toutefois, quand
bien même il est possible de considérer que l’atteinte d’un haut niveau en sport répond à une logique
Darwinienne où seuls les meilleurs sont retenus, cela n’entérine pas pour autant que les athlètes élite
optimisent déjà toutes les paramètres de leur entraînement. Rien ne permet d’affirmer par exemple que
ces athlètes ne seraient pas aussi voire encore plus performants s’ils réalisaient plus ou moins de
travail intense par exemple. Pour répondre à la question d’une distribution optimale de l’intensité de
l’entrainement aérobie, il est donc nécessaire de dépasser la simple description des méthodes
d’entraînement et d’étudier les effets d’une manipulation de la distribution du travail dans les zones
d’intensité pour se rapprocher du meilleur « cocktail d’entraînement »… tout en considérant qu’il n’en
existe pas forcément un, généralisable à tous ! Plusieurs chercheurs courageux se sont frottés à cet
exercice laborieux auprès de skieurs de fond, de rameurs et de coureurs à pied.
En 2007, l’équipe du célèbre Pr. Lucia de l’Université de Madrid manipula la distribution du temps
d’entraînement dans les zones d’intensité au sein d’un groupe de 12 coureurs de niveau national
(Vitesse Maximale Aérobie moyenne : 21,5 km/h) durant 5 mois (4). La charge de travail fut
manipulée de sorte à être égale dans les deux groupes, malgré une répartition différenciée du temps
passé en Z1 et en Z2 ; le temps passé en Z3 demeurant lui identique entre les deux groupes.
Concrètement, un groupe d’athlètes suivi un respecta un plan « polarisé » imposant 81%, 11% et 8%
du temps d’entraînement en Z1, Z2 et Z3, respectivement tandis que l’autre groupe respectait une
répartition 67/25/8 (groupe « seuil »). Un test de performance réalisé avant et après les 5 mois
d’entraînement révéla que le groupe « volume » avait davantage amélioré sa performance que le
groupe « seuil » lors de cette période (- 2min37 ± 13 s vs. -2min02 ± 7 s). Ce résultat fut confirmé l’an
passé par une équipe de recherche de l’English Institute of Sport à travers le rapport d’un cas clinique
ayant concerné un coureur de haut niveau spécialiste du 1500m (record personnel: 03:38.9) (11). Cet
athlète, âgé de 26 ans, fut suivi durant deux années entières aussi bien à l’entraînement qu’en
compétition et passa un test d’effort tous les trois mois environ. L’entraînement proposé respectait une
distribution polarisée, avec un gros volume de travail foncier, un nombre de séances de haute intensité
relativement important mais très peu de travail au seuil. A l’issue de la première année, il fut constaté
que l’athlète n’avait pas bien respecté le plan d’entraînement : les séances à faible allure (Z1) étaient
systématiquement réalisées à une vitesse trop élevée (Z2, Figure 2) et un nombre insuffisant de
séances à haute intensité (Z3) avait été effectué. A l’issue de cette saison, son record personnel fut
toutefois raboté de près de deux secondes et abaissé à 03:37.0 (soit 0.9% d’amélioration), tandis que sa
VO 2max progressa de 2%. Il fut alors demandé à l’athlète de réduire sensiblement l’allure de ses
footings et d’augmenter de 50% son temps d’exercice à haute intensité (Z3), afin de mieux respecter la
distribution polarisée de l’intensité d’entraînement recherchée. Lors de cette seconde saison, le plan fut
respecté à la lettre et les gains en performance furent encore plus grands que la saison précédente,
alors que la distance hebdomadaire parcourue par l’athlète resta identique entre les deux saisons (114
vs. 112 km/semaine). L’athlète porta alors ainsi son record à 03:32:4 et améliora sa VO 2max de 11%,
progressant de 4.9 à 5.45 L/min. Si là encore, nous pensons qu’il s’agit de rester précautionneux dans
l’interprétation de ces résultats obtenus auprès de faibles populations de coureurs, nous noterons
cependant que ces informations préliminaires confortent les bénéfices potentiels de la méthode
d’entraînement polarisée qui consiste à associer des séances de travail à haute intensité à un gros
volume de travail foncier.
L’hypothèse selon laquelle l’association d’un grand volume de travail foncier avec des séances de
haute intensité permet l’optimisation du niveau de performance en endurance est par ailleurs
confirmée indirectement par les résultats mitigés des études qui ont testé l’intérêt de ne porter l’accent
que sur l’un des deux extrêmes (i.e. l’entraînement foncier ou l’entraînement à haute intensité).
Prenons tout d’abord le cas des études qui ont consisté à ne maximiser l’entraînement de faible
intensité au détriment du travail intense. En 2008, l’équipe de nos chers collègues d’Outre-Manche
mentionnée précédemment avaient étudié la réponse à l’entraînement de 18 rameurs de niveau national
répartis en deux groupes d’entraînement différenciés (10). Après une coupure de 25 jours
d’entraînement lors de l’intersaison, tous se virent imposer un plan d’entraînement strict durant trois
mois : un groupe réalisa quasi-exclusivement du travail de basse intensité (98% du temps en Z1,
groupe LOW) ; l’autre groupe s’entraina de manière mixte en intégrant trois séances de travail intense
par semaine au détriment du travail foncier (groupe MIX). Sur l’ensemble des trois mois, les deux
groupes expérimentaux réalisèrent le même volume global d’entrainement (environ 1140km). Les
résultats révélèrent que les deux méthodes d’entraînement avaient engendré la même progression lors
d’une épreuve de 2000m sur ergomètre ainsi que sur le développement de leur VO2max . Au final, seuls
les paramètres physiologiques caractéristiques d’intensité aérobie sous-maximale (i.e. seuils lactiques
à 2 et 4 mmol/L) avaient davantage progressé dans le groupe LOW mais ces paramètres n’étaient pas
déterminants du niveau de performance en aviron (efforts de ~5 min). Difficile donc à la vue de cette
étude de conclure à un intérêt supérieur de la méthode consistant à planifier uniquement de grands
volumes de travail lent. Prenons à présent le problème dans le sens inverse : est-il possible de
progresser en ne faisant que du travail intense ? Voilà justement la question à laquelle s’était intéressé
le célèbre Pr. Bangsbo de l’Université de Copenhague, célèbre pour ses travaux sur le travail
intermittent et pour ses interventions auprès de nombreuses équipes de football réputées, comme la
Juventus de Turin. Lors d’une étude publiée en 2009, celui-ci avait ainsi testé l’effet d’une réduction
du volume d’entrainement de coureurs à pied modérément entraînés (VO 2max : 55mLO 2 /min/kg,
~40min au 10km) de 45 km à 15 km par semaine, consistant à ne réaliser en contrepartie que des
séances fractionnées très intenses durant 4 semaines (9). Les résultats ne s’avèrent pas très concluants
puisque la performance en sprint fut améliorée sans que cela n’aucun gain sur du temps sur 10km ne
soit constaté. Une autre étude fut publiée en 2008 dans le même esprit par des chercheurs de
l’Université de Sarrebruck en Allemagne (6). Un groupe de nageurs entraînés réalisa alternativement
un mois d’entraînement caractérisé par un très grand volume de travail ou un mois d’entrainement
imposant une grande intensité de travail. Aucune amélioration significative ne fut dans chacun des cas
constatée sur 100 et 400m.
L’apport potentiel de la génétique dans les années futures
Au final, il ressort ainsi qu’un mix de travail de haute intensité avec un grand volume d’entraînement à
faible intensité est nécessaire pour progresser dans les disciplines d’endurance et que l’un ne peut aller
sans l’autre. Plusieurs hypothèses sont aujourd’hui avancées pour justifier les bénéfices de cette
méthode polarisée. L’une d’entre elle avance que les différentes intensités d’endurance n’activent pas
de la manière les gènes responsables de l’expression des facteurs musculaires de la performance en
endurance (biogénèse mitochondriale, capillarisation, augmentation de l’activité oxydative, etc.) (3,
12). L’entraînement foncier et le travail de haute intensité auraient ainsi des actions complémentaires,
qui permettraient une adaptation optimale de l’organisme à l’entrainement en endurance. De ce point
de vue, le travail à faible intensité permettrait d’activer sur des durées prolongées certaines voies de
signalisation musculaire, reposant sur l’activation d’une enzyme clé du métabolisme cellulaire,
l’AMPK, qui détermine notamment la capacité de notre organisme à produire de l’énergie à partir de
l’oxydation des graisses et des sucres. L’avantage de la zone 1 serait dès lors d’engendrer certaines
adaptations physiologiques à l’exercice tout en limitant le niveau de fatigue induit par l’entraînement.
Si l’on a en effet souvent tendance à considérer que le travail foncier a un effet limité sur l’adaptation
de notre organisme à l’entraînement par rapport aux séances intenses de travail fractionné, en raison
notamment de la plus faible pénibilité qu’il induit, retenons tout de même qu’il engendre un stress
physiologique loin d’être anodin. Un cycliste qui réalise sa sortie dominicale de 3 heures impose par
exemple à son cœur de travailler à un débit 3 à 4 fois supérieur à celui qu’il aurait maintenu s’il avait
fait la grasse matinée. Dans le même temps, sa consommation d’oxygène est augmentée dans des
proportions semblables, quand bien même l’effort reste confortable. Pour un sportif élite (VO 2max : 75
mLO 2 /min/kg par exemple), notons qu’une sortie longue consistant à maintenir 65% de sa VO 2max
durant plusieurs heures, bien qu’anodine, représente une sollicitation de son métabolisme aérobie
équivalente à la sollicitation maximale de celui-ci chez un individu modérément entraîné ! Ainsi, en
maintenant durant des heures et des heures un niveau de sollicitation aérobie certes sous-maximal mais
largement supérieur à son métabolisme de base, le sportif développe la capacité de son organisme à
renouveler son énergie en consommant de l’oxygène. Au-delà de cet intérêt certain, la fatigue
engendrée par ce type de séances reste relativement modérée, notamment en termes de perturbations
du système nerveux autonome qu’elle engendre, ce qui limite les risques de surmenage voire de
surentraînement pour le sportif. Tout bénéf’ donc ! En parallèle, les séances réalisées en zone 3, bien
qu’hyper sollicitantes et source d’une fatigue intense, restent indispensables pour le rôle physiologique
complémentaire qu’elles assument en activant une autre enzyme clé du contrôle de notre métabolisme
cellulaire, la calmoduline-kinase. In fine la combinaison du travail foncier et des sollicitations à haute
intensité permettrait ainsi la préparation optimale de l’athlète aux efforts d’endurance en activant des
réponses adaptatives complémentaires tout en réduisant les risques de fatigue persistante induite par la
pratique assidue d’un sport d’endurance. Gageons que le recours actuel de plus en plus fréquent aux
techniques génétiques dans le domaine de la recherche en sport apportera son lot de réponses à ces
hypothèses séduisantes au cours des prochaines années.
SV1
SV2
Part du temps total d’entraînement
S2mmol/L
Z1
50%
SAAL
Z3
Z2
70%
85%
100%
Intensité d’entraînement (% VO2max)
Figure 1. L’entraînement polarisé.
Proportion du volume
d’entraînement total (%)
1
2
ère
année; vol.= 112 km/sem
ème
année; vol.= 114 km/sem
% vVO
2max
Figure 2. Distribution du volume d’entraînement lors des deux années d’entraînement suivies en
fonction de l’intensité de course durant du coureur de demi-fond mystère.
Encadré 1 : Récit d’un record
Une anecdote intéressante, méritant d’être rapportée au sujet de la question qui nous intéresse ici, fut
rapportée en 2002 par le staff en charge de l’équipe de poursuite par équipe Allemande, qui fut la
première à descendre sous les 4 minutes lors des Jeux Olympiques de Sydney en 2000 (03:59:71 pour
être précis). Fait assez rarissime pour être souligné, ces auteurs dévoilèrent le plan d’entraînement mis
en place pour parvenir à battre ce record du monde !
Pour rapidement dépeindre la poursuite par équipe, cette épreuve de cyclisme sur piste consiste à
parcourir le plus rapidement possible une distance de 4 km à quatre coureurs. D’un point de vue
physiologique, l’effort consiste à maintenir une intensité supérieure à VO 2max durant les 4 minutes
qu’impose cette épreuve. La sollicitation du métabolisme est donc maximale. On aurait donc
spontanément tendance à penser que les coureurs Allemands s’étaient préparés à leur tentative de
record du monde en multipliant les séances de haute intensité durant les longs mois de préparation
ayant précédé cette épreuve. Et bien non ! La description de leur programme d’entrainement révéla au
contraire que ces coureurs avaient principalement consacrés leur saison de préparation à un très grand
volume de travail foncier. Ces coureurs, à l’origine spécialistes des épreuves sur route, parcouraient
ainsi entre 29 000 et 35 000 km par an. Lors des 200 jours ayant précédé leur médaille d’or, le Pr.
Schumacher révéla ainsi que près de 140 jours d’entrainement avaient été consacré à un travail aérobie
de faible intensité, 40 autres à des épreuves en ligne et seulement 20 à des intensités très élevées,
spécifiques de l’effort spécifique en poursuite. De manière étonnante, les coureurs Allemands
n’avaient même réalisé que 6 journées de travail fractionné sur piste durant les 110 jours ayant précédé
l’établissement du premier record du monde sous la barre mythique des 4 minutes !
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