Revue Algérienne des Sciences du Langage

Transcription

Revue Algérienne des Sciences du Langage
Coordination scientifique
Berghout Noudjoud
Bedjaoui Wafa
Numéro 1
ISSN 2507-721X
Avril- 2016
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Conseil scientifique de la revue
Pr .TALEB IBRAHIMI Khaoula (U. Alger 2), Pr. AIT DAHMANE
Karima (U. Alger 2), Pr. ASSALAH- RAHAL Safia ( U.Alger 2),
Pr. AMOKRANE Saliha (U.Alger2), Pr. AMOURAYECHE
Essafia
(U.Alger 2), Pr. YERMECHE Ourdia (ENS Bouzaréha), Pr. GHETTAS
Chérifa (U. Alger 2) Pr. KARA Attika (ENS-Bouzaréha), Pr.
KEBBAS Malika (ENS-Bouzaréha), Pr. AREZKI Abdenour ( U.Bejaia), Pr.
MORSLY Dalila (U. Angers), Pr. LOUNICI Assia (U. Alger 2), Dr.
BEDJAOUI Meriem (U.Alger 3)m Pr. BENHOUHOU Nabila (ENSBouzaréha), Pr.BENRAMADANE Farid (U.Mostaganem), Pr. KHENNOUR
Salah (U. Ouargla), Pr. ELHAKIM Elweya (U. Ain Chams- Egypte), Dr.
BEDJAOUI Wafa (U. Alger 2), Dr. AMMOUDEN M’hand ( U. Bejaia), Dr.
BEKTACHE Mourad (U.Bejaia), Dr. BERGHOUT Noudjoud (U.Alger2),
Dr. BESTANDJI Nabila (U. Alger 2), Dr. SEBIH Réda (U.Bouira), Dr.
TAIBI MAGHRAOUI Yamina ( U. Mostaganem), Dr. DJERROUD Kahina
(U. Alger 2), Dr. BOUSSIGA Aissa (U. Bouira), Dr. BECETTI Ali (ENS
Bouzaréha), Dr. BENALDI Hassiba (U.Alger 2), Dr. GRINE Nadia
(U.Alger 2), Pr. SEBANE Mounia (U. Mascara), Dr. HADJARAB Soraya
(U. Batna), Dr. AMRANI Salima (U.Batna), Dr. BOUMEDINI
Belkacem (U.Mascara), Dr. AMMARI Nassima (U.Alger 2), Dr.
BOUMEDINE Farida (Alger 2), Dr. BENALDI Hassiba (U.Alger 2), Dr.
CHACHOU Ibtissem (U.Mostaganem), Dr. STAMBOULI Meriem
(U.Mostaganem), Dr. MOULAEK Kaci (U.Tizi-Ouzou), Dr. RIHANI
Lazhari, Dr. ZELLAL Nassim, Dr. OUTALEB-PELLE Aldjia (U.TiziOuzou), Dr. HEDID Souheila (Constantine 1), SADOUNI Rachida (U.Alger
2), Pr. LEGROS Denis ( U. Paris 8), Pr. BULOT Thierry (Rennes 2), Pr.
BOYER Henri ( Montpellier 3), Pr. ZBANT Ludmila (Moldavie), Pr.Mzaro
DOKHTOURICHVILI (Géorgie), Pr. GRIGORYAN Karine ( Arménie),
Dr. AIT DJIDA Mokrane (U.Chlef), Pr. ANDEME Marie-France (U.Omar
Bango), Pr. Rispaille Marielle- (U.Jean-Monnet), Dr. DADOUA HADRIA
Nebia(CRASC. Oran), Dr. BENMOHAMED Imane (U. Alger 2).
BERSSOUM Yasmine (Université française d’Egypte).
Comité de lecture du N°1
BENALDI Hassiba, BOUMEDINE Farida, HEDID Souheila- BOUMIDINI
Belkacem, BEDJAOUI Wafa, BERGHOUT Noudjoud, SEBANE Mounia,
TEMIM Dalida, TAIBI MAGHRAOUI Yamina
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Sommaire
Avant-propos…………………………………………...……………………2
Le nom propre comme indicateur risible
SADOUDI Oumelaz et MEBAREK Taklit…………………………………5
Diversité linguistique et culturelle entre le système vocalique du français et
celui du parler belabesien emprunté au français. Etude de cas
KACEMI Abbassia ……………………………………………………… ..24
Le dialogue romanesque, un genre à multiple fonctions discursives et
narratives
MBOW Fallou………………………………………………….…………..35
Football, religion et peinture murale : trois principaux jalons du combat
identitaire à Bejaia
SEGHIR
Atmane…………………………………………………………….……..…57
La langue arabe et les apprentis-traducteurs
LAHLOU Hassina……………………………………………………...…..74
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N°1
Avant propos
Ce premier numéro varia de la RASDL est le fruit de la collaboration de 6
chercheurs spécialisés en sciences du langage. Les contributeurs se sont
surtout intéressés à des problématiques différentes. Ces problématiques
traitent les thématiques suivantes :
SADOUDI Oumelaz et MEBAREK
Taklit ouvrent le recueil en
s’interrogeant sur un aspect du nom propre qui est peu traité: le nom propre
comme indicateur risible. Ainsi, dans cet article, il s’agit tout d’abord de
répertorier, ensuite de décrire et d’expliquer le fonctionnement d’un corpus
de blagues riche et varié selon les différentes dimensions de manipulation et
d’exploitation du nom propre.
KACEMI Abbassia montre que le parler belabesien est un parler plurilingue,
qui combine entre l’arabe dialectal, l’arabe standard et le français. L’usage
du français dans ce parler relève de l’alternance codique à cause des
emprunts à cette langue. Cet usage est la caractéristique des locuteurs
francophones n’ayant pas une maitrise de la langue. Le français influence
ainsi ce parler par l’introduction des lexies dans la communication des
belabesiens. Et ces mêmes lexies prennent des formes du système vocalique
arabe. Cette influence dépasse le linguistique et atteint le culturel, et ceci par
le brassage des deux cultures tant réunies depuis le colonialisme.
Dans sa contribution, MBOW Fallou montre que le dialogue du roman
moderne diffère de celui du roman classique par les caractéristiques liées à
son insertion dans la trame narrative où il assume diverses fonctions, qui
dans la tradition du roman était assignée à la narration pure. La rupture se
trouve aussi dans le fait que pour beaucoup d’auteurs les dialogues relevaient
quelque peu du superflu. Les romanciers alternent dans le roman discours du
narrateur et dialogues des personnages avec, cependant, une nette
prééminence des scènes dialoguées. Il est désormais question dans le roman
de faire figurer le dialogue comme unité discursive s’intégrant à l’ensemble
narratif. Les descriptions ainsi que les parties proprement narratives qui
étaient beaucoup plus nombreuses se sont vues remplacées par les scènes
dialoguées qui sont souvent des « scènes validées » de type conversationnel
ou des « scénographies » au sens de Dominique Maingueneau et qui, en
quantité, occupent parfois la quasi totalité des textes.
SEGHIR Atmane a pour objectif d’explorer les mécanismes passionnels des
minorités ethniques, il s’est penché sur le sport le plus populaire au monde,
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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le football, car les passions que celui-ci déchaîne sont exploitées
généralement au profit de ferventes contestations socio-identitaires. Certains
le considèrent comme une religion à part entière au moment où les autres
voient en lui un néo-paganisme exubérant. Il a essayé d’analyser
sémiotiquement les différents symboles que ses supporters ultra
s’approprient pour afficher ou réclamer leur appartenance identitaire. Grâce à
une approche interdisciplinaire, englobant la sémiotique, l’anthropologie et
la phénoménologie, il a constaté que l’interculturalité pouvant enrichir
l’expérience minoritaire s’avère impossible à enraciner dans les mentalités
des amateurs de cette équipe qui se prennent pour les seuls conservateurs de
la culture ancestrale berbère.
Quant LAHLOU Hassina, elle met en avant l’importance de la langue arabe
dans l’apprentissage du processus de traduction. Pour ce faire, elle présente
son expérience d’enseignante de traduction en essayant d’appréhender la
question sous plusieurs ongles théoriques.
Donc, le point de départ de ces recherches était de soumettre à discussion
quelques points de réflexion dans le domaine des Sciences du langage en
mobilisant des outils théoriques et méthodologiques s’inscrivant dans une
dialogique complexe et réflexive.
Noudjoud BERGHOUT
Alger, le 24-04-2016
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Le nom propre comme indicateur risible
SADOUDI Oumelaz
MEBAREK Taklit
U-Bejaia
Résumé
L’idée que le nom propre soit un indicateur rigide (Kripke) est,
particulièrement, répandue en linguistique. Cet article expose un autre aspect
du nom propre qui est peu traité: le nom propre comme indicateur risible.
Ainsi, dans ce travail, nous allons tout d’abord répertorier, ensuite décrire et
expliquer selon les différentes dimensions de manipulation et d’exploitation
du nom propre faisant rire, en nous appuyant sur un corpus de blagues riche
et varié.
Les blagues constituent des textes humoristiques produits par un large
public. Elles forment un carrefour important de plusieurs éléments, à savoir
l’imaginaire, les croyances et les traditions populaires. Dans ces blagues, le
nom propre est le joker du blagueur, il le décortique, le tire de tous les côtés
et le connecte aux éléments cités ci-dessus dont le but est de faire rire.
Enfin, cet article synthétise les principaux procédés humoristiques exploités
par les blagueurs pour faire du nom propre un indicateur risible, dans les
blagues contemporaines les plus répondues sur les sites, les blogs, les forums
et dans les livres recueils de blagues.
Summary
The idea that the proper noun is a rigid indicator (Kripke), is particularly
widespread in linguistics. This article presents a new aspect of the proper
noun: the proper noun as an indicator of laugh. Moreover, my article
identifies, describes and explains the different dimensions of the proper noun
according to its manipulation and investment by the laughter who focuses on
a collection of rich and varied jokes.
The jokes are humorous texts produced by a wide audience. They form an
important crossroad of several elements, namely the imaginary, beliefs and
popular traditions. In these jokes, the proper noun is the joker of the laughter
who dissects it and pulls it from all sides. He also connects the abovementioned elements in order to make people laugh.
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Finally, this article summarizes the main humorous processes run by
laughers to make the proper noun a laughable indicator in the most
contemporary jokes' sites, blogs, forums and jokes books' collections.
Introduction
Dans cet article, nous rassemblons les blagues exploitant les noms propres
sous différentes dimensions au niveau phrastique (linguistique) et au niveau
supra-phrastique (discursif), sous différentes thématiques : « M. et Mme ont
un fils », « M. et Mme ont une fille », « Un jour Dieu ordonna/demanda » et
sous différentes formes discursives : scénarios, récits, question-réponse
drôle, etc.
Pour les blagues extraites du recueil Jean Peigné « La grande
encyclopédie 2010 des histoires drôles », nous référons, pour chaque blague,
au titre de ce recueil par « G.E. » de J.P., puis nous mentionnons le numéro
de la blague (N°) et le numéro de page (P). Quant aux blagues extraites du
recueil de Laurent Gaulet « L’officiel de l’humour 2012 + de 1500 blagues,
devinettes, bêtisiers 100 % inédits », nous précisons, pour chaque blague, le
titre de ce recueil par « O. H. » de L.G., puis nous mentionnons le numéro de
page (P). À la différence de Jean Peigné, Laurent Gaulet a organisé les
blagues de son recueil par thèmes, mais étant donné qu’ils sont légèrement
longs, nous avons préféré ne pas les mentionner. En définitive,concernant les
blagues extraites du site internet Blague Info, nous indiquons, seulement, son
adresse électronique duquel sont extraites :« http://www.blague.info/ ».
Il est à noter que nous avons repris les blagues telles qu’elles sont inscrites
dans les livres et sites recueils, sans apporter de modifications, ni de
corrections. Ces dernières sont transcrites ou orthographiées à partir d’un
code oral et d’un registre de langue familier au plan phonétique, lexical et
syntaxique. Voire encore, nous notons, la présence
d’un vocabulaire
ʺvulgaireʺ (mots triviaux, gros mots, jurons, blasphèmes, etc.).
1. Exploitation du nom propre au niveau phrastique
1.1. Blagues « M. et Mme ont un fils » et « M. et Mme ont une fille »
Les énoncés ou les formules « M. et Mme ont un fils » et « M. et Mme ont
une fille » constituent une forme de situation initiale dans ce type de
blagues.Nous illustrons nos propos par les exemples suivants : « Il était une
fois, Monsieur et Madame X (nom de famille) ont un fils xX (prénom+nom
de famille). C’est comme si le nom propre raconte un fait, et ce dernier se
limite au nom propre lui-même. Autrement dit, dans ce type de blagues, le
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nom propre annonce une histoire dans laquelle lui seul fait objet de la totalité
de cette dernière.
Ces blagues sont à base d’un procédé que nous pourrions formuler ainsi :
« M. et Mme expression X ont un fils qui s’appelle prénom x » ou « M. et
Mme expression X ont une fille qui s’appelle prénom x ». Elles imposent le
schéma de lecture suivant :« prénom+Nom de famille = expression de
l’usage populaire », c’est-à-dire relier entre le prénom du fils ou de la fille et
son nom de famille qui est dans la majorité des cas inventé par antonomase
ou il s’agit d’un pseudonyme et dans peu de cas, il s’agit de vrai nom
propre (patronymes, toponymes, noms de marque) ou encore d’un nom
propre composé d’un patronyme et d’un nom commun (ou d’une suite
graphique identifiable par homophonie à un nom commun), etc.
Laurent Gaulet recense dans son recueil 102 blagues sous la thématique« M.
et Mme ont un fils » et « M. et Mme ont une fille »  49 blagues « M. et Mme
ont un fils » (de la page 57 à la page 61)et 53 blagues « M. et Mme ont une
fille » (de la page 273 à la page 278) qui sont toutes classables dans cette
catégorie,toutefois nous nous contentons d’en citer que seulement 22.
1.1.1. Blagues « M. et Mme ont un fils »
Prénom (de garçon) + paronyme (par homophonie et antonomase) =
expression de l’usage populaire (par homophonie et antonomase au
deuxième degré)
1-« O. H. » de L.G. p.57
M. et Mme Daisinfo ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Yvan (Il vend des infos)
Dans cette
blague, prénom + patronyme (inventé), Yvan+Daisinfo
[ivɑ̃ dezɛ̃fɔ] donne l’énoncé suivant : Il vend des infos [il vɑ̃ dezɛ̃fɔ].
2-« O. H. » de L.G. p.58
M. et Mme Douadanlabouche ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Medhi (Mes dix doigts dans la bouche)
Dans cette
blague, prénom + patronyme (inventé), Medhi
Douadanlabouche[medidwadɑ̃ labuʃ] donne l’énoncé suivant : Mes dix doigts
dans la bouche [me dis dwadɑ̃ la buʃ].
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Prénom (de garçon) + patronyme = expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
3-« O. H. » de L.G. p.58
M. et Mme Douyai ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Denis (Deux nids douillets)
Dans cette blague, prénom + patronyme, Denis Douyai [denidujɛ] donne
l’énoncé suivant :Deux nids douillets [dø ni dujɛ]. Douyai est un patronyme.
Prénom (de garçon) + pseudonyme= expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
4-« O. H. » de L.G. p.58
M. et Mme Funmari ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Amédée (A mes défunts maris)
Dans cette
blague, prénom + pseudonyme, Amédée Funmari
[amededifɛ̃mari] donne l’énoncé suivant : À mes défunts maris [a me difɛ̃
mari]. Funmari est un pseudonyme (Facebook).
5-« O. H. » de L.G. p.60
M. et Mme Heunitaite ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Yannick (Y’a ni queue ni tête)
Dans cette blague, prénom + pseudonyme, Yannick Heunitaite [yanikønitɛt]
donne l’énoncé suivant : Y’a ni queue ni tête [ya ni kø ni tɛt]. Heunitaite est
un pseudonyme (face book).
Prénom (de garçon)+ nom propre composé = expression de l’usage
populaire (par homophonie et antonomase)
6-« O. H. » de L.G. p.57
M. et Mme Airtonpull ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Paul (Polaire, ton pull)
Dans cette blague, prénom + nom propre composé (Nom de marque+nom
commun), Paul +Airtonpull [pɔlɛʀtɔ̃pуl] donne l’énoncé suivant : Polaire,
ton pull [pɔlɛʀtɔ̃pуl]. Airton est un nom de marque de climatiseur.
7-« O. H. » de L.G. p.57
M. et Mme Aranjepa ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Sam (ça m’arrange pas !)
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N°1
Dans cette blague, prénom + nom propre composé (pseudonyme+
pa*),Sam+Aranjepa [samaʀɑ̃ ʒpɑ] donne l’énoncé suivant : ça m’arrange
pas ! [samaʀɑ̃ ʒpɑ]. Arenje est un pseudonyme (Facebook).
Prénom (de garçon) + patronyme = expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
8-« O. H. » de L.G. p.58
M. et Mme Diobète ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Ali (Ah, l’idiot bête !)
Dans cette blague, prénom + patronyme (inventé), Ali +Diobète [alidjobEt]
donne l’énoncé suivant : (Ah, l’idiot bête !) [ɑ, lidjobɛt].
9-« O. H. » de L.G. P57
M. et Mme Hébaite ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Hamid (Ami des bêtes)
Dans cette blague, prénom + patronyme (inventé), Hamid Hébaite
[amidebɛt] donne l’énoncé suivant : Ami des bêtes [ami de bɛt].
Prénom (de garçon)+ nom de marque= expression de l’usage populaire
(par homophonie et antonomase)
10-« O. H. » de L.G. p.57
M. et Mme Apar ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Jacques (J’accapare)
Dans cette blague, prénom + nom de marque,Jacques+Apar [Gakeapar]
donne l’énoncé suivant : J’accapare [ʒakapaʀ]. Apar est une enseigne d’une
régie publicitaire. A-par est un nom de marque de désinfectant.
Prénom (de garçon)+ toponyme = expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
11-« O. H. » de L.G. p.58
M. et Mme De Lamin ont un fils. Comment les appellent-ils ?
Thierry, Henri, Marc (Thierrry Henry marque de la main)
Dans cette blague, prénom + toponyme, Thierry, Henri, Marc+DeLamin
[tjriɑ̃ ʀimaʀkdə la mɛ̃] donne l’énoncé suivant : Thierrry Henry marque de la
main [tjriɑ̃ ʀimaʀkdə la mɛ̃]. De Lamin est un, toponyme, village de Gambie.
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Prénom (de garçon)+nom propre composé = expression de l’usage
populaire (par homophonie et antonomase)
12-« O. H. » de L.G. p.57
M. et Mme Atréto ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Edouard (Elle doit rentrer tôt)
Dans cette blague, prénom + nom propre (a*+ toponyme), Edouard +Atréto
[edwaRdatreto] donne l’énoncé suivant : (Elle doit rentrer tôt)[ɛldwaʀɑ̃ tʀe
to]. Treto est un toponyme d’une région d’Espagne.
Prénom (de garçon)+pseudonyme= expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
13-« O. H. » de L.G. p.58
M. et Mme Dirondel ont un fils. Comment l’appellent-ils ?
Denis (Deux nids d’hirondelles)
Dans cette blague, prénom + pseudonyme, Denis Dirondel [dənidiʀɔ̃dɛl]
donne l’énoncé suivant : Deux nids d’hirondelles [dø ni diʀɔ̃dɛl]. Dirondel
est un pseudonyme (Facebook).
1.1.2. Blagues «M. et Mme ont une fille »
Prénom (de fille) + patronyme (par homophonie et antonomase) =
expression de l’usage populaire (par homophonie et antonomase au
deuxième degré)
14-« O. H. » de L.G. p.273
M. et Mme Aihensuisse ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Hélène (Elle est née en Suisse)
Dans cette blague, prénom + patronyme (inventé), Hélène Aihensuisse
[elEneɑ̃ ssɥis] donne l’énoncé suivant : Elle est née en Suisse [ɛl ɛ ne ɑ̃ sɥis].
15-« O. H. » de L.G. p.273
M. et Mme Baskettelles-Sonhou ont une fille. Comment l’appellentils ?
Aimée (Et mes baskets, elles sont où ?)
Dans cette blague, prénom + patronyme (inventé), Aimée BaskettellesSonhou [emebaskEtɛlsɔ̃u] donne l’énoncé suivant : Et mes baskets, elles sont
où? [emebaskEt, ɛlsɔ̃ u].
Prénom (de fille) + toponyme = expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
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N°1
16-« O. H. » de L.G. p.274
M. et Mme De Cadix ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Abel (La Belle de Cadix)
Dans cette
blague, prénom + toponyme, Abel De Cadix
[abɛldəkadix] donne l’énoncé suivant : La Belle de Cadix [la bɛldəkadix]. La
provincede Cadix est l'une des huit provinces de la communauté autonome
d'Andalousie, dans le sud de l'Espagne. Sa capitale est la ville de Cadix.
Prénom (de fille) + pseudonyme = expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
17-« O. H. » de L.G. p.273
M. et Mme Aikoation ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Line (L’inéquation)
Dans cette blague, prénom + nom propre de site, Line Aikoation [lin
ekwasjɔ̃] donne l’énoncé suivant : L’inéquation [linekwasjɔ̃]. Aikoation est
un nom d’un site internet chinois et Line est un nom d’une application
multiplateforme de messagerie.
Prénom (de fille) + nom propre composé = expression de l’usage populaire
(par homophonie et antonomase)
18-« O. H. » de L.G. p.273
M. et Mme Avantou ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Prudence (Prudence avant tout)
Dans cette blague, prénom + patronymes, Prudence Avantou [pʀydɑ̃ savɑ̃ tu]
donne l’énoncé suivant : Prudence avant tout [pʀydɑ̃ savɑ̃ tu]. Deux
antonomases dont nous ne savons pas qui est dérivé de qui Avant tout ‒
Avantou et prudence ‒ Prudence, AvantouetPrudence sont des patronymes.
Prénom (de fille) + patronyme (par homophonie et antonomase) =
expression de l’usage populaire (par homophonie et antonomase au
deuxième degré)
19-« O. H. » de L.G. p.274
M. et Mme Dikoidaija ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Emma (Elle m’a dit quoi déjà ?)
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Dans cette blague, prénom + patronyme (inventé), Emma Dikoidaija
[emadikwadeʒa] donne l’énoncé suivant : Elle m’a dit quoi déjà ? [ɛl ma di
kwadeʒa].
Prénom (de fille) + pseudonyme = expression de l’usage populaire (par
homophonie et antonomase)
20-« O. H. » de L.G. p.274
M. et Mme Dipachair ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Déborah (Des beaux radis pas chers)
Dans cette
blague, prénom + pseudonyme, Déborah Dipachair
[deboRadipaʃɛR] donne l’énoncé suivant : (Des beaux radis pas chers) [de
boʀadipɑʃɛʀ]. Déborah Dipachair est un pseudonyme (facebook). Déborah
est un prénom.
Prénom (de fille) + nom propre composé
populaire (par homophonie et antonomase)
=
expression de l’usage
21-« O. H. » de L.G. p.274
M. et Mme Diosidmapar ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Emma, Kelly (Eh, mais quelle idiotie de ma part !)
Dans cette blague, prénom + nom propre composé, Emma, Kelly
Diosidmapar [emakElidiosidmapaR] donne l’énoncé suivant : (Eh, mais
quelle idiotie de ma part !) [e, mɛkɛlidjɔsidə ma paʀ]. Mapar est une,
enseigne, maison d’édition.
22-« O. H. » de L.G. p.275
M. et Mme Gnorance de Mapar ont une fille. Comment l’appellent-ils ?
Sophie (Sauf ignorance de ma part…)
Dans cette blague, prénom + nom propre composé, Sophie Gnorance de
Mapar [sofiɳɔʀɑ̃ sdəmapaʀ] donne l’énoncé suivant : (Sauf ignorance de ma
part…) [sofiɳɔʀɑ̃ sdə ma paʀ]. Mapar est une maison d’édition.
1.2. Blagues « Un jour Dieu ordonna/demanda »
Dans cette catégorie de blagues, l’auteur exploite les noms propres de
célébrité qui se prononcent comme des verbes et qui expriment un acte
perlocutoire ou encore une expression allusive au verbe : Nom
propre→Verbe (conjugué au présent et du passé simple du mode indicatif).
Laurent Gaulet recense dans son recueil 72 blagues, sous la thématique « Un
jour Dieu…» de la page 369 à la page 374, elles sont toutes classables dans
cette catégorie, nous nous contentons, seulement, d’en citer12.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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-Patronyme exprimant un verbe conjugué (au présent/passé simple)
o Actes perlocutoires
23-« O. H. » de L.G.p.369
Un jour Dieu demanda à Bruce de huiler le pont du bateau et de hisser les
voiles, et depuis Bruce Willis.
Bruce Willis [ɥilis] / huile et hisse (huiler et hisser) [ɥil e is]. Bruce Willis
est un acteur et un producteur de cinéma américain.
24-« O. H. » de L.G.p.371
Un jour Dieu demanda à Mona de lire, et Mona Lisa.
Mona Lisa/lisa [liza]. Mona Lisa, « La Joconde », ou Portrait de Mona Lisa,
est un tableau de Léonard de Vinci.
o Expressions allusives
25-« O. H. » de L.G.p.369
Un jour Dieu apprit à Philippe à faire des créneaux, et depuis Philippe
Manœuvre.
Philippe Manœuvre/manœuvre (manœuvrer) [manœvʀ]. Philippe Manœuvre
est un critique musical, éditorialiste et journaliste dans la presse écrite, un
animateur d'émissions de télévision et de radio francophones et un scénariste
de bandes dessinées.
26-« O. H. » de L.G.p.369
Un jour Dieu chatonna une chanson à Fred, et depuis Fred Astaire.
Fred Astaire/ à se taire [a sətɛʀ], Fred à (ne pas) se taire. Frederick
Austerlitz, dit Fred Astaire, est un danseur, compositeur de cinéma, acteur et
chanteur américain.
-Patronyme exprimant un énoncé (syntagme verbal)
o Actes perlocutoires
27-« O. H. » de L.G.p.370
Un jour Dieu demanda à Johnny d’avoir une idée, et maintenant Johnny
Hallyday.
Johnny Hallyday [a lide]/Johnny al’idée. Jean-Philippe Smet, dit Johnny
Hallyday, est un chanteur, compositeur et acteur français.
28-« O. H. » de L.G. p.370
Un jour Dieu demanda à Lewis de mettre le ton, et Lewis Hamilton.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Hamilton/ a mis le ton [a mi lətɔ̃]. Lewis Carl Davidson Hamilton MBE, est
un pilote automobile britannique, double champion du monde de Formule 1,
en 2008 et en 2014.
o Expressions allusives
29-« O. H. » de L.G.p.369
Un jour Dieu construisit une maison pour la famille de Bama, et depuis on
connaît tous la Barack Obama.
Barak Obama/baraque au Bama [baʀak o bama]. Barack Hussein Obama II,
communément appelé simplement Barack Obama, est un homme d'État
américain.
30-« O. H. » de L.G. p.370
Un jour Dieu nous ordonna d’étudier Tony, et depuis on connaît tous Tony
Parker.
Tony Parker [tɔnipaʀkœʀ] /[tənepaʀkœʀ] Tony (tenez) par Coeur. Tony
Parker, de son nom complet William Anthony Parker II, est un joueur
international français de basket-ball évoluant au poste de meneur.
-Prénom divisé en surnom et verbe (au présent/passé simple)
o Actes perlocutoires
31-« O. H. » de L.G.p.370
Un jour Dieu demanda à Mara de donner, et Maradona.
Maradona/ Mara donna [maRadɔna]. Diego Maradona de son vrai nom
Diego Armando Maradona, est un ancien footballeur international argentin
devenu entraîneur.
32-« O. H. » de L.G.p.371
Un jour Dieu demanda à Ziné de dîner, et depuis Zinedine.
Zinedine/ Ziné dîne [zinedinə]. Zinédine Yazid Zidane, communément
appelé Zinédine Zidane est un footballeur international français.
o Expressions allusives
33-« O. H. » de L.G.p.371
Un jour Dieu demanda de tuer Zani, et Panzani !
Pan/pend (pendre) Zani [pɑ̃ zani]. Panzani est la marque no 1 des pâtes
alimentaires en France et no 2 en Europe.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
34-« O. H. » de L.G. p.371
Un jour Dieu demanda à Mozart de venir, et Mozzarella.
Mozzarella/ Mozart est là [mɔzaREla]. Mozzarella est un nom de marque de
fromage à pâte filée d'origine italienne à base de lait de vache.
2. Exploitation du nom propre au niveau supra-phrastique
En général, le nom propre en soi ne fait pas rire.De même le jeu de mot
antonomase, procédé qui consiste à prendre un nom propre pour un nom
commun ou l’inverse, en soi ne fait pas rire, mais sa force humoristique
s’éveille par le contexte discursif pertinent donnant ainsi au nom propre une
fonction double : nom propre/nom commun ; nom commun/nom propre, par
le texte de la blague.
35-« G.E. » de J.P. N°1492/P452
Le professeur est en retard, et les élèves de cinquième font un
chahut épouvantable. Alerté, le surveillant général rapplique et
trouve la classe sens dessus dessous.
― Qu’est-ce que ce chantier ? Qui a fait ça ? Je veux
que les coupables aient le courage de se dénoncer,
sinon vous serez tous punis !
Un élève lève la main.
― C’est moi qui ai lancé de l’encre sur les murs…
Un autre lève le doigt à son tour.
― C’est moi qui ai jeté de la craie dans le couloir…
Puis un troisième.
― C’est moi qui ai jeté du bois par la fenêtre…
À ce moment-là la porte s’ouvre et un gamin entre,
couvert de poussière, les vêtements déchirés, les
genoux en sang.
― D’où sort -il celui-là ? S’écrie le surveillant
général. Donnez-moi votre nom !
― Dubois…
Cette blague est construite autour de la dérivation du nom propre Dubois
(comme Duval, Dumont,…) à partir du nom commun bois. Cette relation
lexicalecrée une ambigüité sémantique : Dubois (patronyme)/ du bois
(syntagme nominal). Cette dernière assure à la blague deux interprétations
possibles est dont la deuxième est inattendue et surprenante (jeter un garçon
par la fenêtre), dans le contexte de l’école.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
36-« G.E. » de J.P. N°560/P166
Un homme rencontre un copain qu’il n’a pas revu depuis
plusieurs mois et qui était au chômage.
― Alors ? As-tu trouvé du travail ?
― Ne m’en parle pas, répond l’autre. J’avais réussi à
décrocher un emploi à Limoges, au bout d’un mois
ils m’ont limogé. Ensuite j’ai trouvé une place à Vire,
quinze jours plus tard je me suis fait virer. Après ça,
j’ai été embauché à Lourdes, dix jours après on m’a
lourdé. Et hier, on m’a proposé un boulot à Castres.
Alors là, j’ai tout de suite dit non !
Cette blague est construite autour du champ dérivationnel, inventé par le
blagueur, entre noms propres de lieux (toponymes)etverbes de la langue
usuelle, dans le modèle toponyme + er →Verbe ; chant + er →chanter ;
travail + er → travailler, etc. L’auteur s’appuie sur leurs formes identiques
ou proches entre des noms propres de régions françaises et des verbes :
Limoges - limoger ; Vire - virer ; Castres - castrer. À partir de cette
ressemblance entre les trois verbes et les trois régions l’auteur développe
l’histoire du chômeur qui cherche du travail.
37-« G.E. » de J.P. N°1334/P407
Un Belge décide d’emmener sa famille en voiture en
Angleterre en prenant le ferry-boat à Calais. Il franchit
la frontière franco-belge, et kilomètre plus loin, sur le
bord de la route, il voit le panneau indiquant : PAS DE
CALAIS.
Alors il fait demi-tour.
Cette blague est construite autour de deux toponymes Calais / Pas de Calais
et sur l’interprétation littérale du deuxième par rapport au premier, par
exemple : Pas de Calais = il n’y a pas de Calais. Calais est une ville, du nord
de la France, située dans le département du Pas de Calais, sur le détroit du
Douvres. EtPas de Calais est un détroit séparant la Grande-Bretagne de la
France et reliant la Manche à la mer Noir.
38-« G.E. » de J.P. N°929/P274
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
William vient d’épouser une jeune Belge, Caroline. Ils
partent en voyage de noces et arrivent à l’hôtel pour
leur première nuit.
Après avoir récupéré leurs clés, ils cherchent leur
chambre. Caroline s’arrête devant une chambre et dit :
― Oh, regarde !... Comme c’est émouvant !... Ils ont
mis nos initiales sur la porte !
― Mais non… C’est la porte des toilettes !
Cette blague est à base de l’affection du sigle wc du mot anglais water-closet
pour William et Caroline.
39-« G.E. » de J.P. N°1088/P329
Un Suisse qui parle tout seul, c’est un monologue.
Deux Suisses qui discutent, c’est un dialogue.
Trois Suisses, c’est un catalogue.
La stratégie discursive de cette blague est pertinente, car elle fait apparaître
une suite semblable et logique dont la chute piège l’attente du lecteur : Trois
suisses (nom de catalogue) / trois locuteurs suisses. Le suffixe « -logue »
(discours) et les préfixes « mono- » (un, seul), « dia- » (deux ou plus), mais
catalogue vient du latin « catalogus » (livre, brochure).
40-« G.E. » de J.P. N°490/P146
Un de ses amis demande à un homme politique nommé
Albert Rare :
― Le jour où tu disparaitras, quelle inscription
souhaiterais-tu sur ta tombe ?
― Ces simples mots : Ci-gît un politicien honnête.
Rien d’autre.
― Mais s’il n’y a pas de nom, personne ne saura qu’il
s’agit de toi…
― Bien sûr que si. Tous les gens qui liront ça diront :
« c’est rare ! »
Cette blague est construite autour de l’interférence entre deux interprétation
possibles et dont la deuxième est inattendue : rare (adverbe) / Rare (nom
propre) ; « c’est rare ! » (expression) / c’est Rare (c’est présentatif).
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
L’expression c’est rare sert à exprimer quelque chose d’exceptionnel et de
jamais vu, d’insolite. C’estest un présentatif qui sert à présenter quelqu’un
ou quelque chose, par exemple, c’est Albert, etc.
41-« G.E. » de J.P. N°1721/P513
Un couple de Belges visite Paris, et ils font bien sûr
la classique promenade en bateau-mouche. À un
moment donné le guide dit :
― Nous passons actuellement sous le Pont-Neuf…
Et deux minutes plus tard, alors qu’ils approchent du
pont suivant, le Belge dit à sa femme :
― Maintenant, Germaine, on va passer sous le pont
dix…
Cette blague est construite autour de l’interférence entre Pont-Neuf comme
nom propre et comme syntagme nominal (neuvième pont), qui donne à cette
blague deux interprétations et dont la dernière est illogique.
42-« G.E. » de J.P. N°374/P113
Un couple belge part en vacances en France avec la
voiture et la caravane. Alors qu’ils viennent de passer
Saint-Quentin, le conducteur tend la carte routière à
son épouse en lui demandant :
—Tu peux me dire ce qu’il y a après Saint-Quentin ?
—Pas besoin de carte, chéri ! C’est cinquante-deux…
Cette blague est, sur le même principe que la blague précédente, à base d’un
jeu de mots par enchaînement homophonique et puis par antonomase : SaintQuentin [sɛkãtɶ] (toponyme)/ cinquante et un [sɛkãteɶ] (adjectif numéral).
3. Exploitation des propriétés symboliques
Au niveau sémiotique le blagueur exploite le pouvoir symbolique de la
représentation que marque et véhicule un nom propre. Il contribue ainsi à
transformer et à détruire la représentation symbolique d’une identité ou d’un
pouvoir quel qu’il soit : politique, religieux, économique, etc.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
En général, les blagues insultes conditionnent et relient au nom propre,
comme marqueur d’une identité quelle qu’elle soit ; politique, ethnique,
culturelle et religieuse, une (ou des) représentation (s) généralement
discriminatoire(s), indigne(s) et dévalorisante(s), à travers l’environnement
discursif et référentiel de la blague.
Il est à noter que les blagues à base de stéréotypes identitaires règnent dans
toutes les cultures. De même les blagues blasphèmes traitent et touchent à
toutes les religions, sans exception. Du fait qu’il reste impossible de citer
toutes ces blagues, nous avons opté pour les plus consacrées par l’usage.
3.1. Blagues à base de stéréotypes identitaires
43-« http://www.blague.info/»
Comment reconnaît-on un Belge dans un aéroport?
C'est le seul qui donne du pain aux avions.
Comment reconnaît-on un avion belge dans un
aéroport
?
C'est le seul qui mange le pain!!
44-« O. H. » de L.G. p.342
Brice Hortefeux demande à Claude Guéant :
- Tu connais la différence entre les Arabes et les
spermatozoïdes ?
- Non …
- Ils arrivent en nombre et il n’ya qu’un qui bosse !
45-« O. H. » de L.G. p.344
Brice Hortefeux à Claude Guéant :
- Tu connais la différence entre une hirondelle et
un Arabe ?
- Non…
- L’hirondelle vole pour émigrer et l’Arabe émigre
pour voler !
46-« http://www.blague.info/»
Un homme se balade dans Central Park à New York.
Soudain, il voit un petit Bull attaquer une petite fille. Il
se précipite, attrape le chien et finit par le tuer, sauvant
ainsi la gamine.
Un policier qui vu la scène arrive et lui dit :
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
- Vous êtes un héros. Demain, tout le monde pourra
lire à la une des journaux :″Un courageux New-yorkais
sauve la vie d’une enfant″
- L’homme répond : mais je ne suis pas de New-York!
- Eh bien on lira :
- ″Un courageux Américain sauve une petite fille…″
- Mais… je ne suis pas Américain !
- Et qu’est-ce que vous êtes alors ?
- Je suis Pakistanais.
Le lendemain, les journaux titraient : ″un extrémiste
islamiste massacre un chien américain sous les yeux
horrifiés d’une petite fille.″
47-« G.E. » de J.P. N°826 /p237
À présent, aux États-Unis, ils ont trois héros :
─ Superman, quisurvoleles tours,
─ Spiderman, qui les escalade,
Et
─ Musulman qui les traverse !
48-« http://www.blague.info/»
Un Juif malade va voir son toubib, qui ne lui donne
plus que six mois à vivre. Il va en voir un autre:
idem. Finalement, il rencontre un copain qui lui
conseille un guérisseur. Il va le trouver et le
guérisseur lui fait: pschitt, pschitt, avec la main sur
la tête du patient, puis il dit: Voilà, vous êtes guéri,
cela fera 1500 francs! Le Juif répond: OK! Il prend
son portefeuille, fait pschitt, pschitt dessus avec la
main et dit au guérisseur: Voilà, vous êtes payé!
49-«
http://www.blague.info/»
Deux Corses sont couchés en train de faire la sieste chacun sur un
banc.
L'un d'eux ayant un œil ouvert par mégarde aperçoit un billet de
500
Euros
sur
le
sol.
Il
dit
à
l'autre:
- Oh dis-donc regarde ça : un coup de vent et on était riche !
Le nom propre se présente à la fois comme un condensé et comme un
marqueur d’une identité. De même les noms communs désignent une
appartenance ethnique, culturelle et religieuse. Les blagues contribuent aux
conditionnements des caractères et des jugements de valeur à une ethnie, à
20
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
une nation et à un peuple, une fois consacrées par l’usage elles deviennent
des automatismes de pensée, des étiquettes (jugements, clichés et
stéréotypes). Par exemple, les Blondes sont molles, stupides et obsédées par
l’activité sexuelle, les Belges sont naïfs et bêtes, les Juifs et les Écossais sont
des radins et des avares, les Arabes sont des voleurs, les Musulmans sont des
terroristes, les Corses sont des paresseux, etc.
3.2. Blagues à base d’insultes et de blasphèmes
50-« http://www.blague.info/»
Un curé rencontre une jeune femme, dans un quartier
chaud qui porte une pancarte marquée "Jésus" il la
félicite et se réjouit que les jeunes portes à nouveau
attention à la religion. La jeune femme va voir sa
copine
et
lui
demande :
- Tu es sûr que ça s'écrit comme ça je suce ?
Les blagues blasphèmes se caractérisent par la présence, surtout de noms
propres de Dieu, de noms propres de prophètes‒ et en général de noms
propres sacrés présents dans les textes religieux, par rapport à toutes les
religions‒ d ans des textes drôles traitant des thématiques sexuels et ou
scatologiques, voire encore la manipulation des noms propres sacrés pour
ressortir l’aspect sexuel et ou scatologique, comme c’est le cas de la blague
ci-dessus.
Conclusion
En guise de conclusion, nous rappelons que les noms propres exploités dans
les blagues‒ voire dans les blagues « M. et Mme ont un fils » ou « M. et
Mme. ont une fille » et les blagues « Un jour Dieu demanda/ordonna à … »‒
sont dans la plupart des cas des noms propres de célébrités, des noms de
marque, des enseignes et des logos de produits industriels et des
pseudonymes de compte électroniques comme Facebook, sites, forums et
blogs disponibles sur Internet.
Le jeu de mots le plus exploité dans les blagues nom propre est
l’antonomase :nom propre→ nom commun/expression ;expression/ nom
commun→ nom propre. Les expressions les plus populaires et familières sont
exploitées et transcrites sous forme de nom propre de personne (patronyme)
ou de pseudonyme.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Suite à l’analyse de catégories de blagues exploitant les propriétés
phoniques, sémiques, référentielles et symboliques des noms propres au
niveau phrastique et au niveau discursif. Nous remarquons, qu’au niveau
phrastique, les blagues sont très courtes, sous forme de phrases et de
syntagmes.Par contre au niveau discursif, elles sont un peu plus longues sous
forme de récits, de scénarios, de textes, etc.Les blagues exploitant le nom
propre au niveau phrastique par antonomase sont les blagues :
- « M. et Mme ont un fils », « M. et Mme ont une fille » sous le modèle
Prénom de garçon ou de fille + antonomase (expression→ patronyme) ou
patronyme = antonomase (expression→ nom propre) ;
-« Un jour, Dieu ordonna/demanda » sous le modèle Dieu ordonna/demanda
à + prénom de célébrité (ou nom de marque) + de + verbe actionqu’exprime
son patronyme par homophonie (calembour phonique).
Au niveau discursif, les blagues exploitent à la fois les noms propres par
antonomase en les entourant d’environnements discursifs etréférentiels,
créant ainsi deux interprétations opposées (comme nom propre et comme
nom commun), mais possible par le texte de la blague.
Quant au niveau sémiotique, d’un côté les blagues exploitentles stéréotypes
et les jugements de valeur, généralement discriminatoires,en les accrochant à
des noms propres relatifs à une identité sociale ou culturelle. De l’autre
côté,elles manipulent les lettres des noms propres sacrés relatifs à une
religion,pourles désacraliser, en ressortissantl’aspect ʺscatologiqueʺ ou
ʺsexuelʺ.
Bibliographie
-
KRIPK, Paul, 1980. Naming and Necessity, Harvard University Press,trad.
fr. de P. Jacob et F. Récanati (1982). La logique des noms propres, Paris, Les
éditions de Minuit, coll. « Propositions ».
-
GAULET, Laurent, 2011. L’Officiel de l’humour 2012 + de 1500 blagues,
devinettes, bêtisiers 100% inédits, France, Editions FIRST.
-
PEIGNE, Jean, 2010. La grande encyclopédie 2010 des histoires drôles,
Paris, Editions de Fallois.
22
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
-
SADOUDI, Oumelaz, 2010. Comment dire c’est faire « rire » ? Approche
pragmatique, mémoire de Master2 Sciences du langage, sous la direction de
Mme TaklitMebarek, université de Bejaia, 126p.
-
Site
recueil
de
blagues
« Blague
info »,
surhttp://www.blague.info/, (Consulté le 20/01/2015).
23
disponible
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Diversité linguistique et culturelle entre le système vocalique du français
et celui du parler bilingue de la région de Sidi Bel Abbes
KACEMI Abbassia
U- Sidi Bel Abbes
Résumé
Le parler belabesien est un parler plurilingue, qui combine entre l’arabe
dialectal, l’arabe standard et le français. L’usage du français dans ce parler
relève de l’alternance codique à cause des emprunts à cette langue. Cet usage
est la caractéristique des locuteurs francophones n’ayant pas une maitrise de
la langue. Le français influence ainsi ce parler par l’introduction des lexies
dans la communication des belabesiens. Et ces mêmes lexies prennent des
formes du système vocalique arabe. Cette influence dépasse le linguistique
et atteint le culturel, et ceci par le brassage des deux cultures tant réunies
depuis le colonialisme.
Abstract
The belabesien talk is a multilingual talk, which combines between
colloquial Arabic, standard Arabic and French. The use of French in this
talk falls code switching and a lot more because of borrowing this language.
This use made of French speakers not having a command of the language.
But the appearance of French influences this talk on the one hand by the
introduction of lexical items in communicating belabesiens. And these same
lexical items are forms of Arabic vowel system. This influence goes beyond
the fact that it is the fact that it is language and this culture by the mixing of
two cultures as collected since colonialism.
Connue par sa diversité linguistique, le paysage sociolinguistique de
l'Algérie est caractérisé par la coexistence de plusieurs variétés linguistiques,
produit de son histoire et de sa géographie. La situation en Algérie est assez
diversifiée et complexe. Ceci dit, la langue algérienne est un brassage de
plusieurs langues comme l’arabe, l’amazigh, le français, le turc et l’espagnol.
Et toute région de l’Algérie est connue par un parler spécifique à cette
région. Notre choix se porte sur la région de Sidi Bel Abbes, une ville de
l’Oranie situé à l’ouest algérien.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Le parler des belabesiens est l’arabe dialectal qui est considéré comme la
langue maternelle de la majorité de la population belabesienne, il n’est pas
intégré dans les institutions d’enseignement / apprentissage. En effet, son
apparition se limite à des contextes sociaux informels, ayant un statut de
langue vernaculaire, non officielle et non enseignée.
Son statut lui offre la possibilité d’influencer et de se faire influencer par
d’autres langues, plus précisément, d’une part par l’arabe standard où
émergent certains faits de langue tels que les emprunts ; on cite à titre
d’exemple le contact de l’arabe dialectal et l’arabe standard qui donne lieu à
une situation de diglossie en Algérie en général : arabe dialectal / arabe
standard, et d’autre part l’influence par le français sujet de notre travail et qui
donne lieu à une situation d’emprunt, de variation linguistique et alternance
codique.
Cette influence linguistique entrainée par l’usage du français dans le parler
de tous les jours des Algériens en général conduit à l’émergence d’un
discours alternatif que le locuteur belabesien produit dans une situation de
communication donnée, et qui reste très fréquent dans un même énoncé.
Notre corpus est le résultat d’une enquête micro- sociolinguistique, pratiquée
sur des locuteurs de la ville de Sidi Bel Abbes parce qu’en effet, comme est
le cas dans les 48 villes algériennes, Sidi Bel Abbes offre un panorama assez
riche en matière de plurilinguisme qui se manifeste comme étant un aspect
conflictuel entre ces différentes langues. Cette situation ne manque pas de
susciter des interrogations quant au devenir des langues et du français dans
cette région.
En effet, d'un point de vue sociolinguistique, la pratique de l'alternance
codique est un acte volontaire et individuel et les déclencheurs de cette
pratique discursive chez les Algériens sont aussi nombreux que variés et
complexes : (déficit lexical touchant les échanges verbaux des locuteurs,
recours aux sujets interdits, poids de l'habitude, l'ensemble des contraintes
sociologiques et situationnelles contribuant à l'émergence de cette pratique
langagière).
Ainsi, le recours au code switching est parfois obligatoire, notamment dans
certaines situations de communication où les locuteurs évoquent des sujets
tabous ou interdits. Dans de telles situations, le français va intervenir, d'une
part, pour éviter un éventuel blocage communicatif, d'autre part, s’il s'agit,
d'une stratégie expressive d'évitement.
Le recours à la langue française dans certains cas peut produire un effet un
peu particulier chez le locuteur et peut créer une autre attitude chez
l'interlocuteur (Attabi, 2012).
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
L’influence des langues étrangères n’est pas simplement linguistique mais
aussi culturelle. Ainsi l’emprunt linguistique « est un phénomène social qui
reflète l'influence culturelle exercée par une société sur l'autre. Les relations
économiques, politiques et culturelles qui serpentent entre les communautés
contribuent à l'échange linguistique entre les États, en particulier à travers
des échanges culturels de toutes sortes qui, à son tour, tirez l'incorporation
d'éléments d'une langue à l'autre » (Le Poder, 2012). Cette combinaison
entre les deux langues datte depuis le colonialisme français.
Le parler belabesien prend de plus en plus de mots de la langue
française ; ceci est vrai dans beaucoup de domaines, dont le domaine
culturel, économique et d’autres. L’emprunt étant donc un phénomène social
qui reflète l’influence culturelle exercée par une société sur une autre, le cas
de l’influence du français sur le parler algérien.
Les relations d’ordre politique, économique et culturel qui se tissent entre les
communautés contribuent aux échanges linguistiques entre les Etats,
notamment à travers d’échanges culturels de tous types qui, à leur tour
entrainent l’incorporation d’éléments d’une langue dans une autre.
Problèmes liés l’orthographe
L’emprunt se fait entre deux systèmes linguistiques différents, l’une est
écrite et orale, et l’autre est seulement orale ; ce qui peut causer des
problèmes liés à l’orthographe. Parmi ces problèmes, les accents graphiques
pour les emprunts. Il est d’ailleurs fort courant de voir notés les accents dans
une variante et pas dans l’autre (ex : « tricinti » et (électricité), « bagnio » et
(baignoire), « frigidire/ frigidaire » ou « frigo » et(réfrigérateur).
Dès lors, il peut y avoir confusion entre plusieurs mots qui auraient la même
orthographe sans accent. Et pour résoudre ce problème, l’étymologie à le
pouvoir de démontrer l’origine de l’emprunt surtout qu’il y a une diversité de
langues que le dialecte algérien a emprunté par relation aux entités de nations
qui sont passées par le territoire algérien, mais avec ce cas d’emprunt le
problème ne peut être déterminé.
Ces différences s’énoncent au niveau de la prononciation, même si le mot
emprunté est pris sans une hybridation ou déformation comme c’est le cas
dans les exemples précédents, comme dans les exemples suivants :
« kartabe » pour dire (cartable), « bisse », pour (bus), « fi rouge/ vi rouge »
pour le (feu rouge)
Nous constatons que ces termes empruntés subissent des changements
phonétiques de quelques phonèmes, comme :
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
-
N°1
Effacement du « l » dans cartable avec [kartab]
Changement du « u » [y] dans bus, avec [bis]
Changement du « eu » [ø] dans feu, avec [fi]
Changement du « f » dans feu, avec [vi]
Ce parler connait aussi des dérivations. Ce procédé dérivationnel use de
suffixes, préfixes et infixes (Cheriguen, 2002 : 257-258) qui sont en nombre
limité et fini et que les usagers d’une langue ont intériorisé de telle sorte
qu’une dérivation néologique (relativement nouvelle) se perçoit comme
pouvant relever de leur vocabulaire passif. Les préfixes, suffixes et infixes
sont donc le seul niveau invariant parfaitement reconnu que peut offrir le
lexique. On comprend alors pourquoi l’emprunt, dés qu’il atteint la phrase de
dérivation, accède à un stade définitif de son intégration ou emprunt –
composition.
Exemple : pratiquer → tpratiqui,[tpratiki] → (affixes)
Bourse → bourssa, [bursa] → (suffixes)
Les indigents→ Lalijou, [laliju] → (infixes)
Renseignement→ erra :ssima, [ɛ ‘rasima] → (dérivation)
Aspect subjectif du parler belabesien après l’emprunt au français
Saussure disait que la langue n’est complète que « dans la masse » (Labov,
1976 :13). Donc « Les langues sont des êtres qui se développent et changent
dans le temps et dans l’espace, qui prennent forme à partir des humains qui
les parlent » (Limam, 2002). Cette citation à pour objet de démontrer que
chaque langue ou chaque phénomène linguistique appartenant à une sphère
précise est doté d’un statut spécifique.
Le concept de statut du parler belabesien nous aide à avoir une vue assez
précise de la place du français dans le parler belabesien. Cependant, il faudra
prendre en compte le statut de subjectivité de ce parler arabe dialectale
appartenant à la ville de Sidi Bel Abbes.
Labov montre que « la différenciation linguistique (la variation) ne relève
pas de la nature sociale de la langue mais de la nature individuelle de
l’emploi de la langue ; il n y a de structure dans la linguistique qu’en tant que
cette structure unifie la communauté sociale qui l’institue » (Labov,
1976 :11). Du point de vue sociolinguistique, l'emprunt est le résultat
légitime du contact de langues causé par le voisinage ou la cohabitation des
27
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
langues. En effet, l’emprunt peut servir à la création d'autres formes
néologiques. Une question importante s’impose dans ce contexte :
Est-ce que l’emprunt du français dans le dialecte oranien1 en général et le
dialecte belabesien en particulier contribue t-il à la création d’autres formes
néologiques dans le français ?
L’étude de quelques lexies fait montre d’une cohabitation n’engendre en
réalité qu’une défiguration du mot emprunté. Ainsi on pourra dire que le sens
du mot emprunté au français reste ambigu d’un locuteur à au autre, et ne peut
avoir son sens d’origine dés qu’il change phonétiquement lors de son
emprunt.
Exemple
le mot (choux fleur) se prononce de plusieurs façons dans le parler
belabesien. Lors de son emploi dans le dialecte, il change d’un locuteur à un
autre, mais tout en gardant son sens (chifror[ , chiflor, choufrair, choufrir,
chayflor )
Après l’étude de ces exemples, nous dirons que ces emprunts ne peuvent
véhiculer des néologies du fait qu'ils ne peuvent pas servir comme une base
dérivationnelle ou comme composants d'un mot complexe, car on ne peut
noter aucun enrichissement du vocabulaire.
Mais il faut savoir que lorsqu’on parle d’emprunts, que tous les emprunts ne
sont pas égaux. Il y a des facteurs divers qui sont importants quand on
examine les emprunts. Lorsque deux langues entrent en contact, elles ont une
influence mutuelle.
Le système vocalique de l’arabe (Ammar, 2012).
L’arabe standard à un système vocalique identique à celui du système
vocalique sémitique ancien avec trois segments vocaliques brefs /a i u/
auxquelles correspondent trois segments vocaliques longs
/a : i : u:/.
1
- Oranien par rapport à l’oranie, L'Oranie est une région socioculturelle de l'ouest algérien
comprenant tout le nord-ouest de l'Algérie et correspond approximativement aux wilayas
suivantes : Oran, Aïn Témouchent, Mascara, Mostaganem. Par contre l’oranais ne concerne
que la ville d’Oran.
28
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
Voyelles
N°1
Voyelles antérieures
Voyelles fermées
Voyelles postérieures
/i/ et /i:/
/u/ et /u:/
Voyelles ouvertes
/a : et /a:/
Tableau 1 : Le système vocalique de l’arabe standard
Cantineau (1960) souligne que dès les premiers écrits sur la phonétique et la
phonologie de l’arabe, les grammairiens arabes (Sibawayh, Ibb Jinni, Ad
Dâni, etc.) se sont intéressés aux variations allophoniques des timbres
vocaliques en arabe. Ainsi, ils parlent de trois variations de timbres :
deux concernant le /a:/ à savoir «l’imāla» et « tafkhîm » (l’emphatisation) et
une concernant le /i:/ c’est le «išmām».a)
L’imàla
Est une prononciation antérieure et fermée de la voyelle /a:/ se rapprochant
ainsi de [è:], de [e:] et même de /i:/. Il s’agit en effet d’une assimilation du /a:/
à /i:/.
Exemples : /masè:Gid/ « mosquées », / mafè:ti:ħ / «clés ». L’imāla présente deux
cas :
-Une imāla forte avec la réalisation du /a/ en [e] ou en [i].
- Une imāla légère avec la réalisation du /a/ en [ɛ].
L’emphatisation
« tafkhîm » se produit quand le /a:/ se réalise en [o:] en voisinage
emphatique. Exemple /sˤala:t/ réalisé [sˤalo:t] « prière ».
Dans le parler belabesien, on trouve ce phénomène assez distinct d’une
personne à une autre.
L’išmām
Est l’inclinaison du /i:/ vers /u:/ sous l’influence d’une emphatique, d’une
vélaire ou d’une pharyngale voisine. En ce qui concerne la conservation de
deux diphtongues « a j » et « a w» de l’arabe ancien, Cantineau (1960 :102103) explique «qu’en arabe classique il n’y a que peu d’exemple d’altération
des diphtongues» mais qu’en revanche dans les dialectes arabes «la
29
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
conservation phonétique complète des diphtongues est un fait rare ». En
effet il y aurait un passage des voyelles aj /aw soit à des voyelles
périphériques /e : o:/ dans les dialectes moyen-orientaux, soit à des voyelles
fermées /i: u:/ dans les dialectes maghrébins.
Le système vocalique du parler belabesien
Le parler belabesien possède un système vocalique symétrique à l’arabe
standard d’une part et au français d’une autre part. Ainsi les phénomènes de
l’imàla, de l’emphatisation et de l’išmām se réalisent pendant l’articulation du
dialecte.
L’imàla
L’emphatisation
« frachète »[fra :ʃɛt]= « Fronça » [frɔ̃sɑ] = (France)
fourchettes.
« Farma :j »
[farmɛ :j] =
L’išmām
« tritoir » ;[tritwa :r]=
(trottoir)
« Galli:te » = jalette2 (Petit seau, « sourci »=
petit baquet)
=sursis
[sursi]
« Kazirna »=[kazirna]=
Caserne
Fromage
Tableau 2: système vocalique du dialecte oranien
Emprunt et termes de lien de parenté
La grammaire de dialectes montre la rapidité du changement linguistique ;
ainsi la grammaire du parler belabesien tient de la grammaire arabe écrite et
celle de la grammaire française. L’ « uniformisation et simplification
caractérisent les changements syntaxiques et phonologiques » (Ayoub,
2002). Ces changements grammaticaux influencent le prestige de la langue,
ou du dialecte, parce que l’usage du dialecte chez les ruraux change en
comparaison à celui des citadins. Et ces changements sont véhiculés aussi
par le rural qui dés son arrivée à la ville « s’empresse de se débarrasser des
traits qui caractérisent leurs idiome régional pour adopter celui de la ville »
(Ayoub, 2002 :45).
2
-Résultats
de
"jalette"
dans
le
Dictionnaire
du
http://www.atilf.fr/dmf/definition/jalette. Consulté le 10-12-2015
30
Moyen
Français.
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Parmi les emprunts au français, qui sont attachés aux termes relatifs aux liens
de parenté :
-
« Kouzinti », [kuzinti], (ma cousine)
« Tatati » [t’atati], (ma tante)
« Mamati » [m’amati], (ma maman)
« Papati » [p’apati], (mon papa)
« Tonton ntaʔi »[tonton nt’aʔi] (mon tonton)
« familti » ma famille
On remarque dans ces lexies, que chacun d’eux est lié par un monème « ti »,
et ou « ntaʔˤi ». Chaque mot prend la place du pronom possessif « ma,
mon ».
Signification du « Y » devant les mots emprunté
Le « Y », s’emploie devant les lexies empruntés comme
-
« Ykarat », [jkarat], il jeu au cartes
« Ykawraj », [jkawraʒ], il encourage
« Ymaouer » ,[jmawur] , il fait l’amour
« Ybarbach », [jbarbaʃ ] , il barbiche, un sens implicite pour dire
qu’il gâte et dorlote une personne comme fait la barbiche d’un
morceau de bois.
Le « y » dans les mots empruntés du français, remplace « il », le pronom
relatif et une proposition pour arriver aux termes « karat, (cartes, kawraj,
(courage), maouer, (amour), barbach(barbiche) ».
Cette pratique linguistique est conforme à une catégorie syntaxique dans la
grammaire arabe, verbe dite « manHout », le « naHt », est un verbe sculpté,
c’est un abrégé qui résume plus de deux mots :
‫ أن‬: ‫ واﻟﻔﻌﻞ اﻟﺬي ﺟﻲء ﻣﻨﮫ ھﺬا اﻟﻤﺼﺪر ﻓﻌﻞ ﻣﻨﺤﻮت واﻟﻨﺤﺖ ھﻮ‬، ‫"ﻣﺼﺪر ﻗﯿﺎﺳﻲ ﻋﻠﻰ وزن ﻓﻌﻠﻠﺔ‬
" ‫ﯾﺨﺘﺼﺮ ﻣﻦ ﻛﻠﻤﺘﯿﻦ ﻓﺄﻛﺜﺮ ﻛﻠﻤﺔ واﺣﺪة ﺑﺴﻤﻠﺔ ﺣﻤﺪﻟﺔ ﺣﻮﻗﻠﺔ‬
C'est-à-dire, c’est une source sur la mesure « faalala », qui veut dire un
processus syntaxique qui réduit à deux mots les expressions figées ou la suite
de plusieurs mots :
-
« bismiallah el raHman el raHim/ Au nom de Dieu le
Miséricordieux, devient après sculpture
« basmala » [basmala].
(‫)اﻟﺒﺴﻤﻠﺔ‬
31
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
-
N°1
« El’Hamdoulillah » / Dieu merci/ devient « hamdala »[ħamdala].
(‫)اﻟﺤﻤﺪﻟﺔ‬
« La : Hawla wa la kouata ila bi all :ah »/ Il n'y a pas le pouvoir,
que celui de Dieu/ qui devient aussi après sculpture « hawkala »
[ħawqala]. (‫)اﻟﺤﻮﻗﻠﺔ‬
Questions d’identité
La réalité plurilingue en Algérie, est confrontée à plusieurs aspects comme la
domination coloniale et les luttes internationales et juridiques. Cette
référence identitaire linguistique s’identifie à la dichotomie arabe/français.
« La perception négative que l’on a de ces variétés est souvent imputable
aux symboles qu’elles véhiculent, à savoir la division, puisque, dit-on, elle
constitue une menace contre l’unité et a cohésion de la nation » ( Laroussi,
1997 : 30)
La thématique sous-jacente au discours linguistique centralisateur est que les
autres parlers (l’arabe dialectal et le berbère) sont des dialectes, de variations
par rapport à la norme, l’arabe classique. Cette approche normative de la
question linguistique transforme ainsi la différence en infériorité.
L’utilisation de ces dialectes est ailleurs plus tolérée que reconnue puisqu’ils
ne sont pourvus d’aucun statut officiel et sont le surcroit jugés indésirables
dans les médias lourd, les établissements scolaires, etc. Ils ne doivent leur
salut qu’à l’oralité dont la société est culturellement imprégnée. ( Khalfoune,
2003 :117).
Les langues latines et plus précisément, le français semblent avoir occupé
une place importante dans la communication globale des Algériens en
général et bien évidemment celle des Belabesiens. L’emprunt au français est
le fruit de longs contacts entre la population belabesienne et les collons
français. La langue quotidienne du Belabesien rend compte de ce métissage
linguistique en démontrant que leur répertoire verbal est ouvert à toutes les
langues présentes dans l’espace linguistique.
L’identité du parler belabesien, se caractérise par l’intégration de la langue
française dans les différents registres et répertoires de la vie sociale et
culturelle, et surtout dans la littérature orale, tels que les devinettes, les
proverbes, les citations et les contes.
Exemples
-
« gliʔ toto lidarbatah loto » "‫[ «"ﻗﻠﯿﻊ طﻮطﻮ ﻟﻀﺮﺑﺎﺗﮫ ﻟﻮطﻮ‬gliʔ toto
lidarb :atah loto].
32
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
En le traduisant devient « oh hélas pour ce minable (toto) qui as été écrasé
par une auto »
Une façon de démontrer que cette personne ne vaut rien et en plus il se fait
montrer et se guinder. On remarque l’emploi de (loto) pour dire
(automobile).
-
« chiki w elbiki w l’gamla gad elbiki »,(‫)اﻟﺸﯿﻜﻲ و اﻟﺒﯿﻜﻲ و اﻟﻘﻤﻠﺔ ﻗﺪ اﻟﺒﯿﻜﻲ‬,
pour dire ( le chiqué et le piqué et le pou à la taille d’un piquet )cette
diction décrit une personne qui fait du chiqué alors qu’elle ne possède
ni connaissances ni argents.
On note aussi dans ce dicton, l’emprunt de deux mots français (chiqué et le
piquet) ; on remarque aussi transformation du [p] au [b].
On peut trouver des dictions ironiques et de raillerie utilisées par des
citoyens dans diverses situations comme dans un extrait d’une des
conversations réalisées pour notre corpus :
Fati.038 : hadi dahka yaNacera wala jaret ma:rio( armoir)
-
« daheka wala jarat mario » (un sourie ou c’est un traînement
d’armoire) pour montrer que le rire de cette personne qui paraît d’une
façon irrégulière, un sourire qui ressemble par sa tonalité au son de
l’armoire lorsqu’on le tire
Ces emprunts auraient subi une adaptation à la phonétique araboalgérienne/belabesienne, puisque on peut noter le passage du [p] à [b] ou le
contraire.
Comme dans :
- (bartagitha maʔak) pour dire (je l’ai Partagé avec toi) ;
- (barabole) pour dire (Parabole)
Conclusion
Parler de l’influence linguistique du français dans le parler belabesien, nous
oriente vers le concept du bilinguisme. Pour Galisson et Coste, il s’agit de
« toutes les situations où un individu est amené à utiliser alternativement des
langues différentes ; l’interprète, le traducteur et même l’élève débutant
dans l’apprentissage d’une langue étrangère se trouvent donc dans une
situation de bilinguisme. » (Galisson & Coste, 1990: 100). Cette définition
est très simple et opérationnelle car elle ne rend compte ni du degré de
33
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
maîtrise du locuteur des langues, ni de l’écart existant entre les différents
systèmes en contact, ce genre de définition est très conforme à la situation
sociolinguistique du parler belabesien.
Le parler belabesien combine donc entre l’arabe et le français et celui-là lui
donne le statut d’un parler connu par sa diversité linguistique et culturelle.
L’emprunt à la langue française a donc diffusé les principes de la langue
même s’ils ne sont pas conforme à la langue cible. Et ceci aide les
apprenants de la langue française à l’acquérir facilement, cette pratique du
français exprime une certaine/s expérience/s que l’usager belabesien installe.
Bibliographie
AMMAR. Zeineb, 2012. L’arabe standard lu par les locuteurs tunisiens et
des locuteurs marocains : productions des voyelles et des fricatives interdentales. Mémoire de recherche. Discipline phonétique. Université Sorbonne
nouvelle. Paris3.
ATTABI, Saïd, 2012. Paysage sociolinguistique et alternance codique.
http://www.djazairess.com/fr/elwatan/361119. ( Consulté le 07/10/2015)
CHERIGUEN, Foudil, 2002. Les mots des uns. Les mots des autres.
LABOV, William, 1976. Sociolinguistique. Edition de MINUIT. Paris.
KHALOUNE, Tahar, 2003. « Langue, identité et constitution » dans Les
langues de la méditerranée de Laroussi. Foued. Ed L’Harmattan. Paris.
LE PODER, Evelyne, 2012. « Perspective sociolinguistique des emprunts de
l’anglais » dans la section économique du quotidien espagnol El Pais.
Marie.https://benjamins.com/#catalog/journals/babel.58.4.01pod/details
LIMAM, Abdou, 2002. Langues maternelles et citoyenneté en Algérie,
Edition Dar El Gharbe.
GALISSON R. & COSTE D, 1990, Dictionnaire de didactique des langues,
Ed. Hachette, Paris,
AYOUB,Georgine, , 2002. « La langue entre l’écrit et l’oral » dans Les
langues de la méditerranée, sous la direction de Robert Bistolfi. Article
intitulé de. Ed l’Harmattan.
34
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Le dialogue romanesque, un genre
à multiple fonctions discursives et narratives
MBOW Fallou
U- Cheikh Anta Diop de Dakar/Sénégal
Résumé
En s’appuyant sur l’analyse discursive d’une séquence dialogale tirée
d’un roman de la littérature négro-africaine, Entre les eaux3 d’Yves-Valentin
Mudimbé, nous montrons que le dialogue du roman moderne diffère de celui
du roman classique par les caractéristiques liées à son insertion dans la trame
narrative où il assume diverses fonctions, qui dans la tradition du roman était
assignée à la narration pure. La rupture se trouve aussi dans le fait que pour
beaucoup d’auteurs les dialogues relevaient quelque peu du superflu. Au
XIXème siècle, Flaubert défendait ouvertement que les dialogues ne pouvaient
être acceptés que lorsqu’ils sont « importants de fond », c’est-à-dire
lorsqu’ils permettent de bien camper les personnages. Ainsi, dans la
littérature traditionnelle, le dialogue romanesque est presque considéré
comme une digression. Et en tant que tel, il ne doit pas être livré au lecteur
en style direct, ce qui serait une façon de lui accorder une grande importance.
Justement, Flaubert s’insurgeait contre le dialogue en style direct dans le
roman. La pratique moderne du dialogue, en particulier dans le roman
d’Yves-Valentin Mudimbé est totalement contraire aux recommandations de
Flaubert : le dialogue en style direct semble être la règle et celui en style
indirect ou en style indirect libre l’exception. De son côté, Proust a une
pratique du dialogue très différente de Flaubert. Malgré ces divergences, à
partir de la fin du XIXème siècle, l’insertion du dialogue dans les écrits
littéraires devient une pratique courante. Les romanciers alternent dans le
roman discours du narrateur et dialogues des personnages avec, cependant,
une nette prééminence des scènes dialoguées. Il est désormais question dans
le roman de faire figurer le dialogue comme unité discursive s’intégrant à
3
Mudimbé (Y.-V.), Entre les eaux, Paris, Présence Africaine, 1973, p.22.
Mudimbé est un célèbre écrivain africain de la République Démocratique du Congo, Ex.
Zaïre. Son texte, Entre les eaux, est pertinent pour le corpus choisi composé de romans
négro-africains d’après les indépendances intervenues en 1960, qui ont la particularité de
dénoncer les nouveaux régimes politiques et/ou religieux. Il est l’une des productions les
plus représentatives de cette entreprise de dénonciation. Aussi met-t-il l’accent sur les
dérives religieuses plus que tous les autres romans négro-africains de cette période.
35
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
l’ensemble narratif. Les descriptions ainsi que les parties proprement
narratives qui étaient beaucoup plus nombreuses se sont vues remplacées par
les scènes dialoguées qui sont souvent des « scènes validées » de type
conversationnel ou des « scénographies » au sens de Dominique
Maingueneau et qui, en quantité, occupent parfois la quasi totalité des textes.
Abstract
Based on discourse analysis of a dialogical sequence based on a novel of the
Black African literature, between the waters of Yves Valentin Mudimbe, we
show that the dialogue of the modern novel differs from the classic novel by
characteristics related to its insertion into the narrative where he held various
functions in the tradition of the novel, was assigned to the pure narrative.
The break is also found in the fact that for many authors dialogues fell
somewhat superfluous. In the nineteenth century, Flaubert openly defended
the dialogues could be accepted only when "significant background ", that is
to say when it can well camp characters. Thus, in the traditional literature,
the romantic dialogue is almost considered a digression. And as such, it
should not be delivered to the reader in direct style, which would be a way to
give it great importance. Precisely Flaubert rebelled against the chat style in
the novel. The modern practice of dialogue, especially in the romance of
Valentine Yves Mudimbe is totally contrary to the recommendations of
Flaubert: the chat style seems to be the rule in the style indirect or free
indirect style exception. For its part, Proust has a practice of very different
dialogue Flaubert. Despite these differences, from the late nineteenth century
, inserting dialogue in literary writing is becoming a common practice.
Novelists alternate in the novel the narrator's discourse and dialogue of the
characters but with a clear predominance of dialogue scenes. It is now
discussed in the novel to include dialogue as discursive unit incorporating
the narrative together. The descriptions and the actual narrative sections that
were many more were replaced by views dialogued scenes that are often
conversational or " scenography " under Dominique Maingueneau "
validated scenes " and that , in quantity, sometimes occupy substantially all
of the text. In this, the construction of the meaning of texts can rely mainly
on
the
analysis
of
dialogues.
L’étude du dialogue et de sa représentation dans le roman considéré
comme une activité sociale, suivant une approche discursive, pose avant tout
la question de la narrativité. Celle-ci peut être sommairement définie selon
deux conceptions. Dans une première acception formaliste (et immanente), la
notion de narrativité se définit par des critères essentiellement linguistiques
caractérisés par des marques morphosyntaxiques et lexicaux, propriétés
intrinsèques au texte, et qu’on peut appliquer à un discours littéraire
36
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
présentant un certain régime énonciatif ou « attitude de locution » chez
Weinrich (1973). Suivant une seconde acception d’ordre purement
pragmatique, à l’inverse de la première acception, elle a pour objet le « tout
de l’énoncé fini » (Bakhtine 1984) et les effets produits sur le lecteur pour en
remonter à partir de là à sa production. Cependant, la première approche qui
est linguistique n’ignore pas les retombées pragmatiques de tout texte, elle ne
fait pas de ces aspects son principal objet d’étude ; seul le codage
linguistique reste essentiel. Cette différence des approches inscrit la seconde
dans une tradition beaucoup plus rhétorique que linguistique. Au demeurant,
les deux sont complémentaires au sens de Ducrot parlant de pragmatique
intégrée » coupant court à toute polémique sur une dichotomie quelconque
entre linguistique et pragmatique.
Aussi bien pour Benveniste que pour Aristote la narrativité est associée à
des type d’activités verbales précises, mais si pour le premier récit historique
et fiction romanesque sont assimilables, pour le second ils sont différents
dans la mesure où le premier relève de la chronique et le deuxième de la
« mimésis ». Toutefois, on le constate, chez l’un comme chez l’autre, la
narrativité est liée à l’activité verbale : autant la « mimesis » au sens théâtral
que le récit (historique, fictionnel ou chronique) représente un sujet parlant.
On se retrouve dans le cas de la duplicité du sujet parlant (Ducrot, O. 1984 :
201). Un peu comme Genette qui distingue l'auteur, le narrateur et le
personnage (dont le narrateur peut adopter le point de vue), Ducrot (1984)
distingue le sujet parlant, producteur empirique de l'énoncé (équivalent de
l'auteur) et le locuteur, instance qui prend la responsabilité de l'acte de
langage (équivalent du narrateur). Cette instance centrale, le locuteur peut
mettre en scène un énonciateur (instance purement abstraite, équivalent du
personnage focalisateur) dont il cite le point de vue en s'en distanciant ou
non. Sous ce rapport, on comprend comment le dialogue en tant que discours
rapporté par la voix audible ou muette d’un narrateur arrive à être considéré
comme représentation de la parole d’autrui et comme fragment narratif. De
plus, pour Aristote et la tradition rhétorique, un texte théâtral telle qu’une
tragédie de Sophocle ou une narration épique comme l’Odyssée relèvent à
égalité de la « mimésis » conçue comme toute « représentation de
personnages en action ». La notion de représentation littéraire par le dialogue
renvoie à l’existence de relations entre celui-ci et la conversation réelle,
relations qui instituent le dialogue littéraire comme scène socialement
validée. La présence de cette relation a d’ailleurs une fonction de validation
de la scène littéraire. Or, de notre point de vue, cette légitimité de la « scène
validée »4 (Maingueneau : 2004 : 195) lui confère un pouvoir de persuasion.
4
Maigueneau donne de la notion de « scène validée » la définition suivante : « Les œuvres
peuvent fonder leur scénographie sur des scènes d’énonciation déjà validées, qu’il s’agisse
37
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
En ce sens, chaque scène (qui est dialogale) fonctionne comme une valeur
partagée faisant partie de l’ « interdiscours »5 (Maingueneau, 2009 : 101) de
la communauté linguistique.
Or, une double déduction découle de ce constat : d’une part, le dialogue qui
est la composition essentielle d’une pièce de théâtre, est une représentation
de paroles de personnages en action, de l’autre, le dialogue en tant qu’il est
inséré dans le roman y manifeste la narrativité, en étant, pour l’auteur, une
stratégie de narration au même titre que le récit pur. Ainsi utilisé à des fins
de narration, le dialogue remplit plusieurs fonctions que nous étudierons en
nous appuyant, sur certains romans de la littéraire africaine, mais
essentiellement sur une séquence6 textuelle tirée du roman d’Yves-Valentin
Mudimbé (1973), Entre les eaux.
Les dialogues que présuppose le roman sont nombreux : dialogues entre
écrivain et public-lecteur, entre auteur inscrit dans le texte et lecteur inscrit,
entre personnages, etc. C’est précisément ce dernier type que nous nous
proposons d’explorer. Nous allons utiliser certains concepts déjà forgés et
stabilisés par la linguistique interactionniste, et par l’approche de l’analyse
du discours en général pour analyser le rapport personnages, narrateurs et
paroles représentées dans la fiction, mais également les différentes fonctions
qu’on assigne aux dialogues romanesques. Il ne s’agira pas d’appliquer
strictement aux dialogues fictionnels la méthode utilisée en analyse
conversationnelle,
puisque
les
spécialistes
des
interactions
conversationnelles ont montré que l’idée d’un dialogue littéraire qui serait en
d’autres genres littéraires, d’autres œuvres, de situations de communication d’ordre non
littéraire (cf.la conversation mondaine, le parler paysan, le discours juridique…), voire
d’évènements de parole uniques (L’Appel du 18 Juin, le « J’accuse » de Zola, etc.). Validité
ne veut pas dire valorisé mais déjà installé dans l’univers de savoirs et de valeurs du
public. »
5
Proche de la notion d’intertexte, la notion d’ « interdiscours » renvoie à plusieurs sens.
Dans cet article, cependant, nous la considérons comme un ensemble de discours liés par
des relations données, mais aussi plusieurs types de discours constituant une identité
discursive, qui s’affrontent et entrent en concurrence. En rapport avec l’intertexte,
« L’interdiscours est au discours ce que l’intertexte est au texte. »
6 La notion de séquence est employée ici suivant une acception interactionniste. Les limites
de la séquence se posent au niveau de son contenu. En effet, une séquence se délimite par
l’unicité de son thème ou bien de son objectif dans l’interaction. En général, une
conversation se compose d’un « corps », lui-même composé, au moins, d’une séquence
centrale et de deux séquences liminaires qui ont une fonction pragmatique : il s’agit des
séquences d’ « ouverture » et de « clôture » qui, comme leurs noms l’indiquent,
permettent l’entré en conversation pour la première et la sortie pour la seconde. Ces deux
dernières séquences sont d’ordinaire assez rigides, car elles sont très ritualisées.
38
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
rapport mimétique7 (expliquez ce concept en bas de page, les lecteurs non
spécialisés ne le connaissent pas) avec les conversations réelles est
inadéquate. De plus, nous n’envisageons pas de faire la description formelle
de la séquence dialogale que nous avons tirée du roman de Mudimbé (1973).,
même s’il nous arrivera de parler de sa forme. Ce genre de travail a été
également fait, depuis longtemps, par les linguistes, Sylvie Durrer (1999)
notamment. Tout en nous inspirant, au besoin, de la méthode d’analyse
conversationnelle, notamment dans sa dimension typologique, nous
aborderons plutôt le dialogue sous l’angle d’une analyse du discours qui
intègre donc les techniques conversationnelles ou interactionnelles, celles de
l’énonciation et de la pragmatique linguistique intégrée au sens de Ducrot.
I.
Dialogue romanesque, dialogue ordinaire et valeur partagée
Depuis deux siècles, on constate une prolifération des dialogues dans
certains types de romans. Sylvie Durrer (1994) a relevé, des pourcentages
qui vont de 13% pour les héros des romans où il y a moins de dialogues
(Proust Du Côté de chez Swann) à 49% pour les romans les plus riches en
dialogues (Balzac, La Cousine Bette). Dans certains romans, le dialogue
devient même la modalité essentielle de la narration. En effet, dans le roman
moderne, la mimésis par le dialogue est accentuée, comme le souligne
Francis Jacques (1979 : 104):
Il est hors de doute que l’une des grandes voies d’émancipation
du roman moderne a consisté à pousser à l’extrême ou plutôt à sa
limite la mimésis du discours. L’instance narrative explicite est peu à
peu réduite au silence, et le narrateur limite son récit à ce que
peuvent savoir ou observer ses personnages. On donne d’emblée la
parole aux personnages. Soit que le narrateur s’efface et que le
personnage se substitue à lui, comme dans certaines formes de
discours immédiat d’emblée émancipé de tout patron narratif. Soit
que le narrateur assume le discours du personnage, comme dans le
discours indirect libre où les deux instances sont confondues. On
connaît le succès de cette formule, de Joyce à Beckett et à Nathalie
Sarraute.
Les pourcentages relevés par Durrer pourraient être plus élevés dans
beaucoup de romans africains : les héros « homodiégétiques », Pierre Landu
(Entre les eaux) ne cessant jamais de parler aux autres et de monologuer, et
7
Le terme de « mimésis » a été forgé par Aristote, qui le définissait comme tout genre
littéraire, à l’instar du théâtre, qui imitent le réel par « opposition à la « poesis » qui
renvoie à la représentation fictive. Ici, il s’agit de comprendre que le dialogue littéraire
diffère du dialogue authentique, c’est-à-dire la conversation, qu’il cherche, pourtant, à
imiter en établissant avec lui un rapport mimétique.
39
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Bohi Di (Fantouré, A., 1972) qui traverse toutes les couches sociales, sont
extrêmement prolixes. Perpétue (1974) est certainement le roman où les
dialogues sont les plus nombreux, du fait de la technique utilisée, l’enquête.
Ainsi, les romans de ce corpus sont presque entièrement écrits sous forme de
dialogues, comme pourrait l’être une pièce de théâtre classique.
Compte tenu de cette prédominance du dialogal sur le narratif, le dialogue
se trouve pris dans l’environnement syntagmatique du roman dans lequel il
est utilisé. Il peut être ainsi considéré comme fragment narratif s’insérant
dans le tout romanesque et épousant la visée illocutoire générale du roman,
mais aussi comme scène conversationnelle. L’étude d’un dialogue, inséré
dans un roman qui est par essence une narration, doit avant tout considérer la
valeur narrative de la scène, en d’autres termes, les dialogues racontent des
évènements au même titre que les récits purs.
Cependant, il faut distinguer le dialogue romanesque régi par l’auteur qui
lui donne une forme et un contenu préalablement déterminés et dans lequel
l’interaction n’est pas négociée, et le dialogue ordinaire (la conversation)
dont les répliques ne sont pas prédéfinies; mais produites par les
interlocuteurs, au fur et à mesure que l’échange se déroule. La conversation
ordinaire n’en dispose pas moins d’une forme socialement codifiée ; la
conversation téléphonique, par exemple, comporte bien une forme dont le
respect garantit la bonne communication. Elle doit débuter par une
introduction (souvent la présentation des interlocuteurs), se poursuit par un
corps qui développe l’objet de la communication et se termine par la clôture
(généralement les prises de rendez-vous et les au revoir).
Dans notre optique, même si le dialogue romanesque peut ne relever que
de l’invention de l’auteur et ne ressemble pas aux conversations ordinaires, il
doit néanmoins se présenter comme une imitation plus ou moins fidèle du
réel, d’où la « mimesis » inhérente aux dialogues qu’Aristote avait déjà
relevée. En fait, le roman étant articulé d’une manière ou d’une autre à la
société, les dialogues littéraires reproduisent, mais jamais avec exactitude,
les conversations authentiques. Les dialogues sont le lieu d'inscription et de
circulation par excellence de présupposés pragmatico-linguistiques et socioidéologiques de provenance hors-textuelle, ils assurent donc l’articulation du
textuel et de l’extratextuel, faisant ainsi du roman une activité sociale.
Le dialogue romanesque et la conversation ordinaire ont beaucoup de
différences, ne serait-ce que dans leur forme respective : le dialogue
romanesque est écrit, alors que le dialogue ordinaire est oral. De là,
découlent toutes leurs différences, largement soulignées par Véronique
Traverso (2005), Kerbrat-Orecchioni (2005), pour ne citer que ces auteurs.
C’est ce qu’exprime M. Murat (1983) en disant que « tout dialogue obéit par
40
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
principe à une double logique, étant à la fois conversation et fragment
narratif.» Le dialogue romanesque est donc, pour nous, constitué par toutes
scènes dialoguées insérées dans la « diégèse ». Celles-ci doivent s’appuyer
sur des « scènes validées », c’est-à-dire des scènes déjà installées dans
l’univers des savoirs et des valeurs partagées de la société concernée.
Les « scènes validées » exprimées à travers les dialogues ont une fonction
capitale dans la fiction, celle d’articuler l’œuvre et le contexte social et
fonctionnent comme des valeurs partagées. En effet, étant intrinsèquement
mimétiques au sens de Platon, sauf lorsqu’elles sont utilisées à des fins de
subversion, les scènes dialoguées tirent leur pouvoir de la société. Sous ce
rapport, les exemples que nous avons pris montrent que les voix du peuple,
par le truchement des dialogues, qu’elles soient rapportées directement ou
relayées par un narrateur ou assumées par celui-ci à leur place, sont
particulièrement présentes, les romanciers voulant légitimer leurs discours,
entre autres, par la présence manifestée de la communauté dans le texte.
Ainsi, les dialogues constituent en même temps une forme de représentation
de la parole populaire.
Dans les trois romans, Le Cercle des tropiques (Fantouré 1972), Perpétue
(Béti 1974) et Entre les eaux (Mudimbé 1973), les dialogues sont un mode
privilégié de la narration, les narrateurs racontant les faits essentiellement par
une juxtaposition de scènes dialoguées. Ce type de narration s’oppose à celle
de Flaubert, qui voulait peu de dialogues dans les romans et ne les intégrer
dans le récit que quand ils sont importants.
II.
Les fonctions du dialogue romanesque : une nouvelle place du
dialogue dans le roman moderne
Le dialogue du roman moderne diffère de celui du roman classique par les
caractéristiques liées à son insertion dans la trame narrative. La rupture se
trouve aussi dans le fait que pour beaucoup d’auteurs les dialogues relevaient
quelque peu du superflu. Ainsi, au XIXème siècle, Flaubert défendait
ouvertement que les dialogues ne pouvaient être acceptés que lorsqu’ils sont
« importants de fond », c’est-à-dire lorsqu’ils permettent de bien camper les
personnages. En 1858, s’adressant à Ernest Feydeau à qui il donnait des
conseils Flaubert (1858) disait :
La partie faible du style, c’est le dialogue quand il n’est pas
important de fond. Tu ignores l’art de mettre dans une conversation les
choses nécessaires en relief, en passant lestement sur ce qui les amène.
Je trouve cette observation très importante. Un dialogue dans un livre,
ne représente pas plus la vérité vraie (absolue) que tout le reste ; il
faut choisir et y mettre des plans successifs, des gradations et des
demi-teintes, comme dans une description. Voilà ce qui fait que les
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
belles choses de tes dialogues (et il y en a) sont perdues, ne font pas
l’effet qu’elles feront, une fois débarrassée de leur entourage.
Je ne dis pas de retrancher les idées, mais d’adoucir comme ton
celles qui sont secondaires. Pour cela, il faut reculer, c’est-à-dire les
rendre plus courtes et les écrire au style indirect. […] Serre, serre les
dialogues, on parle trop […].8
Plus tard, vers 1867-1870, Flaubert nuance sa pensée en préconisant de
n’utiliser les dialogues que pour les scènes principales, et dans ces scènes
principales aux personnages principaux. Ainsi, dans la littérature
traditionnelle, le dialogue romanesque est presque considéré comme une
digression. Et en tant que tel, il ne doit pas être livré au lecteur en style
direct, ce qui serait une façon de lui accorder une grande importance.
Justement, Flaubert s’insurgeait contre le dialogue en style direct dans le
roman. La pratique moderne du dialogue, en particulier dans notre corpus,
est totalement contraire aux recommandations de Flaubert : le dialogue en
style direct semble être la règle et celui en style indirect ou en style indirect
libre l’exception. De son côté, Proust a une pratique du dialogue très
différente de Flaubert. Malgré ces divergences, à partir de la fin du XIXème
siècle, l’insertion du dialogue dans les écrits littéraires devient une pratique
courante. Les romanciers alternent dans le roman discours du narrateur et
dialogues des personnages avec cependant une nette prééminence des scènes
dialoguées. Il est désormais question dans le roman de faire figurer le
dialogue comme unité discursive s’intégrant à l’ensemble narratif.
Dans le roman moderne, tout l’espace textuel peut accueillir indifféremment
les dialogues. Mieux, on y constate une véritable prolifération des dialogues.
Les descriptions ainsi que les parties proprement narratives qui étaient
beaucoup plus nombreuses se sont vues remplacées par les scènes dialoguées
qui, en quantité, occupent parfois la presque totalité des textes. De ce fait, les
dialogues sont si prédominants qu’ils imposent leur logique aux romans. En
cela, la construction du sens des textes peut s’appuyer essentiellement sur
l’analyse des dialogues. Aussi, les dialogues ont-ils une vocation narrative au
même titre que les autres parties.
Dans notre corpus, les parties proprement narratives ne semblent pas plus
nombreuses que les scènes dialoguées. Celles-ci ont des fonctions qui, dans
la tradition du roman, étaient assignées à la narration pure. Le roman de
dénonciation semble l’ériger en règle.
8
Flaubert, s’adressant à Ernest Feydeau, 1858.
42
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N°1
II.1 Le dialogue comme stratégie narrative
Comme la plupart des romans contemporains, les dialogues de notre corpus
rompent avec la pratique littéraire traditionnelle qui consistait à faire du
dialogue une séquence à part, qui n’était pas mélangée avec la partie
descriptive ou purement narrative. Jusqu’au XIXème siècle, on pouvait
nettement distinguer le dialogue et les autres parties du discours littéraire.
Les répliques ne pouvaient pas être entrecoupées. La partie narrative relevant
du narrateur était séparée du dialogue. Et mieux, on utilisait toujours des
verbes introducteur du style direct comme « dit-il. ». Dans notre corpus,
comme de façon générale dans le roman moderne, on observe une tendance
inverse où sont mêlés textes proprement dialogaux et textes narratifs. On
constate une imbrication des répliques et des interventions du narrateur
commentant la parole des personnages ou tirant les conclusions destinées au
lecteur et au narrataire. Ainsi, dans notre corpus, les scènes dialoguées sont
dans leur presque totalité entrecoupées par des morceaux de discours du
narrateur. L’utilisation des dialogues dans le récit global est telle que les
scènes dialoguées ont, entre autres, une fonction non pas d’exposition, mais
narrative au même titre que l’ensemble du texte dans lequel elles sont
insérées. Cette non-séparation fait que, quoique très mimétiques eu égard aux
pratiques discursives de la société, dans les romans de notre corpus, les
scènes dialoguées ne sauraient se confondre avec les dialogues authentiques.
Le narrateur joue le rôle de régisseur et de distributeur de la parole aux
personnages, en fonction de sa visée illocutoire, ce qui n’existe pas dans la
conversation authentique.
Dans une conversation ordinaire il n’y a pas de régulation de la prise de
parole, à moins que celle-ci ne soit admise préalablement comme norme et
de façon consensuelle par tous les interactants. Les intervenants d’une
conversation ordinaire ont une totale liberté, ce que le personnage de roman
n’a pas du tout. Les propos de celui-ci, comme le moment de sa prise de
parole, ainsi que tous les éléments qui accompagnent son énonciation, sont
choisis par le narrateur.
Le gommage des expressions introductives dans les dialogues, par les
romanciers de notre corpus, manifeste la rupture avec l’ancien régime. On ne
voit presque pas dans les répliques, des « Essola dit : … », « Bohi Di dit :
…», etc., ni même les tirets. Cependant, il va y avoir de courts discours
attributifs, c’est-à-dire des « locutions et phrases qui, dans un récit [...]
accompagnent le discours direct en l’attribuant à tel personnage ou à tel
autre » (Prince, G., 1978). Ce procédé sert à apporter des précisions à
l’intention du lecteur, surtout dans les discours narrativisés. La présence du
narrateur s’exprime également dans les répliques par des commentaires
évaluatifs sous forme de didascalies. On peut dénombrer deux modes de
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
gestion des dialogues par le narrateur dans le roman, celui des behavioristes
consistant à livrer de façon brute le comportement verbal de chaque
interlocuteur sans en dire plus, et celui dit de Proust qui autorise les
commentaires et les approfondissements. C’est précisément le dernier qui est
nettement prédominant dans notre corpus.
Les dialogues que nous avons étudiés, comme le roman dans lequel ils se
trouvent, communiquent au lecteur un message d’ordre performatif. La
finalité externe des scènes dialoguées vise, en amont, les personnages, mais
en aval, elle s’adresse prioritairement au lecteur. Il n’y a aucun doute que le
roman postule une instance subsumante, celle de l’auteur qui imprime au
texte une intentionnalité destinée à être appréhendée par le lecteur. En ce
sens, chaque personnage permet d’exprimer cette intentionnalité formulée
pour être appréhendée par le lecteur des dialogues. C’est ce que souligne
Lane-Mercier (1989 : 230) : « Les dialogues s'accrochent à un circuit
énonciatif supérieur, qui va du texte au lecteur ». Il convient de remarquer
que le travail d’incorporation dans le sens de Maingueneau, auquel se livre le
lecteur pour appréhender le discours littéraire et en assurer la bonne
réception, est plus ou moins difficile, du fait qu’il existe une double
communication : il y a la communication entre personnages et celle d’un
archi-énonciateur, à savoir l’auteur. Face à cette espèce de superposition des
instances chargées de la communication romanesque, le lecteur est sans
cesse balloté entre auteur, narrateur et personnages.
Dans notre corpus, il y a conformité avec la pratique narrative de
prédominance du dialogue comme dans les textes du XIXe. Les dialogues
semblent avoir été employés à cause des fonctions narratives essentielles
qu’ils assurent dans la « diégèse », mais aussi parce qu’ils permettent de
mettre en relation fiction et peuple. Le roman trouve dans les dialogues un
moyen de faire entendre, au-delà de la voix du narrateur principal, les voix
du peuple. Ils assurent dans notre corpus la relation société et texte littéraire.
II.2 Le dialogue comme stratégie narrative : les fonctions du
dialogue à travers une séquence du roman Entre les eaux
Chaque dialogue comporte plusieurs fonctions. Toutefois, il reste entendu
qu’il y a toujours une fonction dominante.
Nous allons examiner ces différentes fonctions du dialogue à travers un
exemple tiré de Entre les eaux de Mudimbé.
Landu exprime sa nouvelle situation à travers ces propos (Mudimbé 1973):
Voilà quinze jours que j’ai volontairement gagné le maquis pour
lutter contre l’ordre établi ou plus exactement le désordre consacré et
béni. En me faisant rebelle, je voulais rejoindre des hommes qui font
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
aussi parti du bercail. Je pensais leur être utile. Mes titres
universitaires, le prestige qui s’y attache. Les aider dans la conception
de leur révolution pour que les vérités ne puissent, sans raison, devenir
d’inutiles contrevérités ; et que la lutte violente pour la justice se base
sur une théologie de la révolution que nous aurions essayé de chercher
ensemble, en incarnat la justice violente.
Mais si Pierre Landu est dans le maquis et y est réellement actif,
psychologiquement il ne peut s’empêcher de penser à ses années passées de
formation religieuse et de piété. Sous forme d’« analepse », de retour en
arrière, le texte relate ce passé et, précisément, le moment où il se confie à
son supérieur hiérarchique, le Père Howard, pour lui parler de son projet de
gagner le maquis pour y combattre les dérives de l’Eglise, qui, selon lui,
s’éloigne de plus en plus de l’Evangile.
Entre les eaux
- Tu vas trahir, m’avait dit mon supérieur, lorsque je lui
avais fait part de mon projet.
-
Trahir qui ?
-
Le Christ.
- Mon père, n’est-ce pas plutôt l’Occident que je trahis ? Est-ce
encore une trahison ? N’ai-je pas le droit de me dissocier de ce
christianisme qui a trahi l’Evangile ?
-
Vous êtes prêtre, Pierre.
-
Pardon, mon Père, je suis un prêtre noir.
Le Père Howard avait fermé les yeux et baissé brusquement la
tête comme s’il succombait à une attaque brusque. Quelques minutes
après, il relevait un visage contracté. Ses yeux bruns me dévisagèrent : il
a la sûreté des Seigneurs. D’une race qui n’est pas la mienne : celles des
bâtisseurs d’empires. Ce sont des hommes comme lui que réclamait
Bernanos pour relever le prestige de l’Eglise. Il n’était plus pour moi
qu’un regard. Me jugeait-il ? Au moment même, je ne devais plus être
pour lui qu’un objet qui ne répondait plus à l’emploi. Ils vont me
rejeter. J’avais brisé quelque chose. Le Père s’était levé, il arpentait le
bureau. Pour la première fois je ne trouvais nullement ridicule ce genre
d’homme qui ne se concentre qu’en marchant.
- Non, fils reprit Howard, ce serait un crime. Oui, je dis bien, un
crime. Un manquement très grave. Surtout pour vous. Vous ne pouvez
pas aller là-bas. Votre état vous le défend. C’est inutile d’ailleurs, tenez,
regardez l’Histoire. Que de crises l’Eglise n’a-t-elle pas connues ! Et de
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
faiblesse donc ! Quelques uns de ses membres ont parfois
malencontreusement pris parti dans des affaires qui ne concernaient en
rien l’Eglise. Cela a desservi la cause de qui ? La cause de qui, je vous le
demande ?
Là, il m’amusait, mon Supérieur. Je voulus distraire le mal de
tête qui s’annonçait, jetai un regard sur le jardin. Un soleil aride
l’écrasait. Les plantes sommeillaient, le feuillage pendant. Mon état me
défendait donc d’être de ceux qui créent ou transforment un monde ?
Dans un éclair, je compris la vérité de ces chrétiens exaltés du XVIe
siècle italien ; ces monstres incompris, pleins d’amour ; les Savonarole,
les Braccio de Montone… La folie d’une devise : Jésus Christus Rex
populi Florentini S.P.Q. decreto creatus. C’est affreux. Mais pas très
différent de la Vierge Marie, généralissime des armées espagnoles en
plein XXe siècle. L’Eglise n’accepterait de s’engager dans l’action,
surtout politique, que dans certaines conditions…Le Père a beau parler.
Quelles sont les affaires qui ne concernent pas l’Eglise ? Au séminaire,
on nous a rempli la tête avec des Documents Pontificaux. Une
encyclopédie. Elle comprenait une pensée catholique sur tout ; le
football et le cinéma, le cyclisme et la politique internationale, les
dernières découvertes scientifiques et des explorations philologiques sur
le latin de Cicéron ou l’esthétique de Heidegger.
-
Pierre, Pierre …
Sa voix avait baissé. Je le regardais.
Je vous connais. J’ai confiance en votre intelligence, et
d’avantage en votre Foi. Ne vous laissez pas emporter par des mots.
Votre devoir, vous le savez, est de rester ici, au service de tous.
- Prenez une cigarette, me dit-il, me présentant son paquet
ouvert.
J’en retirai une, la portai à mes lèvres, et avançai ma bouche vers
la flamme de son briquet. Ma main droite se mit à trembler. Encore
cette panique qui me livre chaque fois…
- Pierre, repris doucement Howard, en tant que Prêtre nous
n’avons pas le droit de nous engager d’un côté ou d’un autre. Notre
croix est de ne pas succomber à la tentation de rejoindre le camp de la
vengeance, qui pourrait peut-être devenir celui de la justice… C’est une
tentation, Pierre. Nous sommes des crucifiés.
- Vous avez, mon Père, que ce ne sont que des mots.
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Il s’arrêta net. Ma violence l’avait surpris. Encouragé par mon
audace, je continuai.
- Dans la vie, c’est comme dans l’Evangile : qui n’est pas avec
moi est contre moi. L’Eglise, dans ce pays, a sans doute la tête au ciel,
mais les pieds sont dans la vase. Ses intérêts n’ont presque jamais
coïncidé avec ceux de Dieu. C’est évident. Soit, c’est du passé. Vous
prêchez, Père Supérieur, que Dieu est un but. Je le fait aussi. Autour de
nous cependant, Dieu n’est souvent qu’un moyen. Nous les prêtres, nous
fermons les yeux. Vous savez bien pourquoi et probablement mieux que
moi.
Je m’arrêtai. Essoufflé. Cela m’était sorti brusquement. Les mots
m’étaient venus comme si on me les soufflait. J’eus subitement peur
d’avoir été injuste. Comment réparer ? Non. Trop tard. Le Père
Howard me fixait des yeux. Tristement. Une douleur me traversa les
reins comme un éclair. Je repris conscience de la chaleur, ouvris le
bouton du col de ma soutane. C’est cela l’enfer, me dis-je. N’avoir plus
aucune certitude, être possédé par une peur bête qui vous gèle les tripes,
griller sur sa propre angoisse. Penser à autre chose. Mais non. Pourquoi
oublier ? Je n’oublierai quand même pas que je suis prêtre. Voilà une
certitude. Le Père Howard est aussi Prêtre, comme moi. C’est là le lien
qui nous unit. Est-ce nul ? Non. Il y a nos goûts communs. […]
Une seule chose nous sépare : la couleur de la peau. Quelle
importance ? Je sais qu’elle n’a aucune importance. Elle ne prend de
l’importance que lorsque les analogies surgissent. Les compatriotes de
Howard et les miens. Les uns maîtres, les autres serfs. Le christianisme,
leur religion. J’ai dû spontanément trahir mes origines pour me sentir
aussi à l’aise dans un système qu’ignorait mon grand-père. Ils ont
importé cette Foi, avec tout le reste. Mon père y a cru, s’est fait baptiser,
m’a fait baptiser. Pourquoi ? Pouvait-il avoir un autre choix ? Surtout
dans cet ordre colonial où le christianisme justifiait le pouvoir politique,
et où celui-ci, en retour, imposait la Foi. Y’avait-il un autre moyen de
survivre sinon celui de plier, d’accepter la religion du maître ? Ils l’ont
acceptée, mes parents ; m’y ont fait adhérer, et depuis dix ans je suis
Prêtre. Prêtre d’une religion étrangère.
Que n’ai-je eu la chance d’être baptisé sous la contrainte ! La
question serait simple. Les contradictions de ma situation n’existeraient
pas. Ou plutôt seraient moins fortes. Même, moins imaginaires. J’avais
pourtant cru avoir fait mon creux dans ces tensions. Voilà subitement
que tout craque, parce que je songe à vivre davantage en Prêtre de Jésus
Christ.
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Pierre, m’appela le Père Howard.
Je le regardais. Ses yeux. Etait-elle feinte, cette tristesse que j’y
lisais ? Un doute s’insinua en moi. Pourquoi, Seigneur ? Pourquoi ?
Peut-être est-ce Howard qui est dans le vrai ?
- Pierre, reprit-il, l’Eglise peut commettre des erreurs dans ses
membres. Elle est composée d’hommes comme vous et moi. Je
comprends votre tentation. Mais les erreurs et les abus, il en existe
partout où il y a des hommes. Vous le savez, vous qui avez un frère
politicien.
Ses mots accusaient. Durement. L’insinuation était claire. Il
pensait à une récente indélicatesse de mon frère qui lui avait valu
quelques mois de prison. Mes scrupules tombèrent.
-
Mais, mon père…
- Pierre, inutile de discuter d’avantage. Vous êtes tenu par votre
promesse d’obéissance. Souvenez-vous-en. Je remplace ici Monseigneur
et je vous refuse le droit de quitter la paroisse sous prétexte d’aider ceux
qui sont dans le maquis. Vous êtes canoniste. Inutile que j’insiste.
Il alluma une cigarette. Je notai que, pour la première fois depuis
deux ans que j’habitais avec lui, il avait oublié de m’en présenter. Par
distraction, sans doute. Il enchaîna.
- Pierre, rappelez-vous cette phrase que vous devez connaître :
Domine, imposuisti homines super capita nostra et bene fecisti. Soyez
humble, Pierre. Admettez que nul n’est nécessaire. Même pas vous. Je
parlerai de votre cas à Monseigneur. Courage, Pierre, je prie pour vous.
(Mudimbé, 1973 :18-23)
Caractéristiques typologiques
En tant qu’interaction verbale, ce texte est un débat sur le projet de Pierre
Landu. En ce sens, c’est une conversation qui comporte des arguments
divergents. Landu explique à son supérieur hiérarchique, le Père Howard,
son projet de rejoindre le maquis. Ainsi, le dialogue a, pour Landu, la valeur
d’une demande d’autorisation pour se libérer, ou tout au moins d’une
confidence. Si nous lui appliquons les critères interactionnels définis par
Durrer (1999), nous nous rendons compte que c’est un « épisode
dialectique » qui réunit les caractéristiques suivantes :

Les interlocuteurs Pierre Landu et le Père Howard ne sont certes pas
dans une position statutaire égale, mais ils mettent entre parenthèses
leur statut social et jouent un rôle interactif identique.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1

Leur objectif dans ce débat est d’arriver à prendre la meilleure
décision concernant le projet de Landu. Ils sont tous deux perplexes,
ne sachant pas exactement ce qu’il faut dire, mais chacun essayant
d’argumenter pour convaincre l’autre.

Les types d’échange qui sont utilisés sont au nombre de deux :
[demande/réponse] et [assertion/évaluation]. Chaque intervention
« initiative » donne lieu à une intervention « réactive » à valeur soit
assertive soit évaluative. C’est comme cela que le dialogue progresse,
de sorte que les interlocuteurs ne « se spécialisent » pas
exclusivement dans un acte de discours.

A la fin de l’interaction verbale, Pierre Landu et le Père Howard ne
sont pas arrivés à une entente, mais chacun d’eux reconnaît et accepte
la position de l’autre. C’est ainsi que le Père Howard lui dit :
Pierre, rappelez-vous cette phrase que vous devez connaître :
Domine, imposuisti homines super capita nostra et bene fecisti. Soyez
humble, Pierre. Admettez que nul n’est nécessaire. Même pas vous.
Je parlerai de votre cas à Monseigneur. Courage, Pierre, je prie
pour vous. (Entre les eaux, cf. séquence).
En tant qu’ « épisode dialectique », la scène fait changer régulièrement de
posture discursive aux interlocuteurs qui produisent assertions et contreassertions. Elle a plusieurs fonctions dans la narration.
Le dialogue comme moyen d’exposition
Ce texte est une scène d’exposition rétrospective dans laquelle sont rappelés
l’échange entre le Père Howard et Pierre Landu, lors de son départ de
l’Eglise, mais également les circonstances de ce départ, ainsi que les
principaux arguments qui ont présidé au choix de Pierre.
Contrairement au dialogue philosophique ou socratique que nous avons
relevé dans Perpétue, le dialogue dans Entre les eaux est essentiellement
dialectique. Dans Perpétue, Essola ne cesse de s’étonner en se posant des
questions pour recevoir des autres personnages, qui sont des témoins, les
explications du bourbier politique dans lequel se trouve son pays. Il se livre à
un questionnement de type socratique. En revanche, ce texte d’Entre les eaux
adopte une démarche dialectique qui consiste à faire interagir des
personnages qui échangent des idées à partir de positions différentes, afin de
cerner une question, de l’éclairer le mieux possible en cherchant à dépasser
les contradictions. Le narrateur « homodiégétique » se laisse aller à un
questionnement dialectique sans fin, qu’il soit seul ou en interaction avec les
autres personnages.
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L’exemple de dialogue que nous étudions est, selon le langage des
interactionnistes, un « dilogue », un dialogue à deux interactants qui
deviennent tour à tour locuteur et allocutaire. Cependant, une grande partie
du texte est une narration sous forme de monologue. Pierre Landu est très
souvent en proie à ses pensées, en proférant un discours non adressé, sinon à
soi-même ou tout au moins au lecteur. Il produit ainsi un récit de pensées ou
de paroles qui, commentant le comportement verbal de l’interlocuteur, le
Père Howard, permet de le caractériser et de révéler ses sentiments face à la
grave décision qu’il veut prendre : abandonner l’Eglise et gagner le maquis.
En même temps, il scrute son propre désarroi, qui résulte de sa présence dans
une Eglise qu’il condamne désormais.
Ce dialogue est fondamentalement argumentatif. Il oppose les interventions
« initiatives » sous forme d’arguments émis par l’un des protagonistes aux
réactions et objections de l’autre. Chaque interactant, tant Pierre Landu que
le Père Howard, cherche à convaincre l’autre. L’échange peut être considéré,
ici, comme une argumentation indirecte, dans la mesure où l’auteur évite de
parler lui-même, mais donne la parole à un narrateur ou à des personnages, et
passe par la mise en récit pour illustrer ses intentions. C’est au lecteur de
reconstituer l’argumentation.
Ce texte manifeste donc la fonction d’exposition du roman. Dans ce cas, le
dialogue sert à décrire les circonstances des évènements racontés dans le
roman ainsi que les principaux personnages impliqués dans la fiction. Le
dialogue d’exposition est fortement apparenté à la scène théâtrale que l’on
retrouve surtout dans les pièces de la tragédie classique. Cependant, il n’a
pas une position fixe dans un roman. S’il se trouve généralement en début de
texte, toute nouvelle rencontre, tout rebondissement nouveau peut engendrer
un dialogue d’exposition.
Le dialogue comme moyen de définition du caractère des personnages
Personnage angoissé qui se trouve « entre les eaux », Pierre Landu n’en est
pas moins lucide, sincère et objectif. Il se livre à une introspection sans
complaisance. Son argumentation est un questionnement à visée dialectique
qui lui permet de contester le bon sens du Père Howard et de faire une
plongée dans sa propre conscience. C’est cela que traduisent, dans ce texte,
ses innombrables questions adressées ou à lui-même ou au Père Howard. Il
dit clairement que c’est au nom de l’Evangile qu’il se rebelle : « Voilà
subitement que tout craque, parce que je songe à vivre d’avantage en Prêtre
de Jésus Christ. » S’il n’est pas complaisant envers les manquements de
l’Eglise, il ne l’est pas également vis-à-vis de lui-même et des siens :
J’ai dû spontanément trahir mes origines pour me sentir aussi à
l’aise dans un système qu’ignorait mon grand-père. Ils ont importé
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cette Foi, avec tout le reste. Mon père y a cru, s’est fait baptiser, m’a
fait baptiser. Pourquoi ? Pouvait-il avoir un autre choix ? Surtout
dans cet ordre colonial où le christianisme justifiait le pouvoir
politique, et où celui-ci, en retour, imposait la Foi. Y’avait-il un autre
moyen de survivre sinon celui de plier, d’accepter la religion du
maître ? Ils l’ont acceptée, mes parents ; m’y ont fait adhérer, et
depuis dix ans je suis Prêtre. Prêtre d’une religion étrangère
(Mudimbé, 1973 : 21-22).
En mettant ainsi le doigt sur ses options religieuses autant que sur celles de
ses parents qu’il trouve imposées par les circonstances de l’histoire, Pierre
Landu se montre raisonnable. Son discours est à la fois un diagnostic des
écarts de l’Eglise et de son « positionnement » de prêtre africain. Sa critique
de l’Eglise est marquée par la sincérité et le courage, en ce qu’il l’exprime
directement face à son supérieur hiérarchique, le Père Howard, et à son
intention. Selon Landu, le prêtre occidental est différent du prêtre africain.
C’est l’Occident qui a trahi l’Evangile. Il en déduit qu’en tant qu’africain, en
tournant le dos à l’Eglise, il ne trahit pas Jésus mais l’Occident. Ce faisant, il
apparaît sincère, honnête et attaché à l’enseignement de l’Evangile. Aussi
croit-il rester fidèle à l’orthodoxie chrétienne, quoi qu’il arrive. En ce sens,
Landu apparaît dans ce texte comme ayant une « intégrité discursive et
rhétorique » (Amossy, 1999 : 42). A la suite d’Aristote, on peut dire qu’un
tel personnage qui est raisonnable, équitable, sincère et lucide, est digne de
confiance, d’où l’efficacité de son discours.
Tout en se montrant très pondéré dans ses jugements sur l’Eglise, suivant sa
formule occidentale, il reste intransigeant en ce qui concerne sa décision.
Obnubilé par son idée fixe, il affiche face au Père Howard le caractère d’un
homme opiniâtre, courageux et même téméraire, puisqu’il n’hésite pas à
appliquer sa décision, malgré l’interdiction et toutes les objections que lui à
opposées son supérieur.
A l’opposé de Pierre, le Père Howard présente l’ethos du sage, de l’homme
averti. Son analyse de la situation dans laquelle se trouve Landu est faite
d’arguments non moins lucides. Il considère que Landu est quelque peu
idéaliste. Ainsi, les reproches adressés à l’Eglise peuvent être formulés en
direction de toutes les institutions créées par des hommes.
Pierre, reprit-il, l’Eglise peut commettre des erreurs dans ses
membres. Elle est composée d’hommes comme vous et moi. Je comprends
votre tentation. Mais les erreurs et les abus, il en existe partout où il y a
des hommes. Vous le savez, vous qui avez un frère politicien. (Mudimbé,
1973 : 22)
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Mais le Père Howard fait aussi preuve d’autorité en jouant la carte du
pouvoir que lui confère la hiérarchie catholique : « Je remplace ici
Monseigneur et je vous refuse le droit de quitter la paroisse sous prétexte
d’aider ceux qui sont dans le maquis. » (Mudimbé, 1973 : 22) Le Père
Howard est donc le sage, l’homme d’appareil qui aura avancé tous les
arguments sans parvenir à convaincre Landu. Le seul pouvoir qu’il a vis-àvis du prêtre Landu reste celui des mots qui se sont révélés incapables
d’infléchir sa position.
L’ethos discursif étant lié au locuteur en tant qu’il parle, ce texte a la
fonction essentielle de rendre possible sa construction. Ainsi, chaque
locuteur, aussi bien Landu que le Père Howard, porte des signes
caractéristiques de son ethos, ce qui ne peut se réaliser qu’à travers le
discours direct. Le dialogue a permis à l’énonciateur-metteur en scène des
personnages d’exposer leurs sentiments et de dévoiler leurs objectifs.
Ce type de dialogue laisse déduire l’ethos de chaque personnage à travers
son discours par lequel ils expriment leurs sentiments, leurs désirs, leur
volonté, et par le truchement d’un code langagier qui leur est propre ou qui
relève de l’ « interdiscours » : c’est la fonction de définition du caractère des
personnages. Ainsi, le dialogue fonctionne comme lieu de construction de
l’ethos discursif des protagonistes ; il n’est, donc, nullement un mobile de la
progression de l’action romanesque. Cependant, accessoirement, il peut
induire une action romanesque majeure ou tout au moins permettre
d’annoncer implicitement les futurs comportements des personnages.
Le dialogue comme mode de narration
Le rôle de ce dialogue dans la progression de l’action est évident : la
détermination de Pierre Landu est entrée en conflit avec les compromissions
de l’Eglise ; il ne lui reste plus qu’à agir en rejoignant le maquis, à œuvrer
pour la justice sociale qui le préoccupe tant. L’auteur utilise le dialogue pour
faire réfléchir explicitement les personnages ou les amener à faire des
commentaires destinés indirectement au lecteur. Concernant Landu, le
principal mobile de son présent rejet de l’Eglise est expliqué dans le propos
suivants, en réponse à l’Evêque :
Dans la vie, c’est comme dans l’Evangile : qui n’est pas avec moi
est contre moi. L’Eglise, dans ce pays, a sans doute la tête au ciel,
mais les pieds sont dans la vase. Ses intérêts n’ont presque jamais
coïncidé avec ceux de Dieu. C’est évident. Soit, c’est du passé. Vous
prêchez, Père Supérieur, que Dieu est un but. Je le fait aussi. Autour
de nous cependant, Dieu n’est souvent qu’un moyen. Nous les
prêtres, nous fermons les yeux. Vous savez bien pourquoi et
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
probablement mieux que moi. (Passage tiré du texte ci-dessus,
Mudimbé 1973)
Il expose ainsi son idéologie, sa vision personnelle sur l’Eglise, vision qui
diverge de celle de son supérieur. C’est aussi une communication avec le
lecteur, qui est assurée non pas par le narrateur, mais par les personnages à
travers le dialogue.
Psychologiquement et moralement, Pierre Landu ne veut plus être défenseur
de l’Eglise qui a dévié, à ses yeux, de l’Evangile. Faisant fi de tous ses
devoirs de prêtre, il considère que tous les discours tenus pour défendre
l’Eglise ne sont que des mots. Ainsi au Père Howard qui essayait de lui faire
abandonner sa décision, il répond amèrement :
- Pierre, repris doucement Howard, en tant que Prêtre nous
n’avons pas le droit de nous engager d’un côté ou d’un autre. Notre
croix est de ne pas succomber à la tentation de rejoindre le camp de la
vengeance, qui pourrait peut-être devenir celui de la justice… C’est
une tentation, Pierre. Nous sommes des crucifiés.
- Vous avez, mon Père, que ce ne sont que des mots. (Passage tiré
du texte ci-dessus, Mudimbé 1973 : 18-22)
La seule solution à ses yeux reste l’action dans le maquis. Comme unique
réponse aux dérives de l’Eglise, il ne voit que l’engagement dans la
révolution aux côtés des maquisards. Dès lors, tout le reste du roman
progresse en se focalisant sur la vie de maquisard de Landu, jusqu’à son
désenchantement, puis son retour dans l’Eglise et son deuxième baptême
sous le nom de Mathieu.
Au final, en tant que mobile de l’action, le dialogue permet de fixer
l’objectif de la fiction, sinon de planifier son déroulement. Le projet
romanesque est dévoilé à travers une sorte de tension que la suite doit
démêler, ce qui fait progresser l’action.
Conclusion
Ce « dilogue » (dialogue à deux personnages avec narrateur muet) cristallise
donc les circonstances et la crise psychologique qui ont engendré chez le
personnage Pierre Landu sa grave décision, celle de renier l’Eglise. Il est en
même temps l’expression de la cause et du début de la nouvelle orientation
dans la vie du prêtre : un nouvel itinéraire que relate toute la suite du roman.
Il a, ainsi, permis rétrospectivement d’exposer les circonstances du départ de
Pierre vers le maquis (fonction d’exposition), de camper l’ethos discursif de
deux principaux personnages fonction de définition du caractère des
personnages, Pierre Landu et le Père Howard), mais également de déclencher
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
la véritable action du roman (fonction purement narrative), à savoir la
rébellion, après avoir permis de livrer au lecteur la « posture » discursive, le
positionnement de chaque protagoniste face à l’Eglise. Si toutes ces
fonctions coexistent dans le texte, la fonction dominante reste la dernière,
celle de faire progression la narration.
Le dialogue littéraire manifeste la polyphonie bakhtiniènne au cœur du texte
globalement considéré, mais également celle ducrotienne (Ducrot 1972) au
sein de l’énoncé pris isolément. Dans les deux cas, il y a une mise en scène
d’énonciateurs (les personnages qui se parlent) par un locuteur (le narrateur)
qui peut être muet lorsqu’il ne laisse aucune trace métadiscursive dans le
texte et que les répliques semblent s’enchaîner d’elles-mêmes ou bavard,
quant il entrecoupe les répliques de commentaires ou de fragments
introducteurs d’un interlocuteur. En ce sens, par le truchement des « scènes
validées » qu’affectionne le roman telles la requête, la déclaration d’amour,
l’aveu, la dispute, le débat, etc., le dialogue romanesque est la pure
représentation de l’ « interdiscours » en tant qu’ensemble des discours qui
circulent dans une société. Le dialogue qui est de surcroit une double
énonciation celle d’un narrateur rapporteur de paroles et celle des
personnages en interaction verbale, est hautement polyphonique. Et le roman
qui est « mimésis » suivant la tradition rhétorique l’utilise fort
opportunément, depuis la seconde moitié du XXème siècle à plusieurs fins
autres qu’ornementales et essentiellement narratives. En quelque sorte, le
cotexte global du roman assimile la conversation à un fragment interactif
(Cf. Durer 1994) et ainsi, insère la séquence dialogale, dont les répliques
sont celles des personnages, dans le discours monologique du narrateur. Au
final, le dialogue romanesque se présente comme une configuration
compassionnelle qui, en juxtaposant récit monologique (qui relève de la pure
narration) et fragment dialogal, pointe l’hypothèse de relations discursives
spécifiques, dites « illocutoires », qui sont exclusivement celles des
dialogues (Cf. Roulet et al. 1995). Par contre, le récit s’articule sur des
relations essentiellement temporelles. Ainsi, en fonction du niveau textuel où
l’on se situe, les enchaînements entre les répliques d’un dialogue sont
d’ordre illocutoire (particularité du dialogue) ou temporel (particularité du
récit pur). Par ailleurs, il est possible d’envisager une autre fonction du
dialogue romanesque que le texte que nous avons considéré n’a pas permet
de montrer : la fonction d’étayage qui permet au dialogue de fonctionner
comme l’illustration d’une assertion du narrateur (c’est le cas d’un dialogue
de Proust étudié par Roulet 1995).
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
Football, religion et peinture murale : trois principaux jalons du combat
identitaire à Bejaia
SEGHIR Atmane
U- Bejaia
Résumé
Pour explorer les mécanismes passionnels des minorités ethniques, nous
nous sommes penché sur le sport le plus populaire au monde, le football, car
les passions que celui-ci déchaîne sont exploitées généralement au profit de
ferventes contestations socio-identitaires. Certains le considèrent comme une
religion à part entière au moment où les autres voient en lui un néopaganisme exubérant. C’est dans cette ambivalence que nous a plongé le
club footballistique du Mouloudia Olympique de Bejaia (MOB), lorsque
nous avons essayé d’analyser sémiotiquement les différents symboles que
ses supporters ultra s’approprient pour afficher ou réclamer leur
appartenance identitaire. L’observation minutieuse des peintures murales qui
couvrent les murs des quartiers de la ville à ce sujet nous en disent long.
Grâce à une approche interdisciplinaire, englobant la sémiotique,
l’anthropologie et la phénoménologie, nous avons constaté que
l’interculturalité pouvant enrichir l’expérience minoritaire s’avère impossible
à enraciner dans les mentalités des amateurs de cette équipe qui se prennent
pour les seuls conservateurs de la culture ancestrale berbère. Or, cette
dernière n’est pas une totalité du fait qu’elle emprunte aux autres cultures
quelques symboles dits universels. Deux objectifs majeurs sont tracés dans
cette étude : le premier consiste à montrer comment la passion footballistique
est instrumentalisée au profit de revendications identitaires et mystiques
plurimillénaires, le second s’efforce de rappeler que les peintures murales
sont des signes vecteurs de sens et de significations multiples tous reliés à la
liberté d’expression, source, que l’on sait, sujette constamment à de grandes
polémiques.
Abstract:
To explore the mechanisms of ethnic passion, we considered the most
popular sport in the world that is football, because the passions it unleashes
are generally exploited for the benefit of fervent social identity challenges.
Some see it as a religion in its own right when others see in him an exuberant
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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neo-paganism. It is in this ambivalence that the football club Olympic
Mouloudia of Bejaia (MOB) plunged us, when we tried to analyze the
different semiotic symbols that its ultra supporters appropriated to show or
claim their sense of belonging. Careful observations of the murals that cover
the walls of the city's neighborhoods tell us a lot on that. Through an
interdisciplinary approach, including semiotics, anthropology and
phenomenology, we found that multiculturalism that can naturally enrich the
minority experience is impossible to root in the minds of fans of the team
who think they are the only Conservatives Berber ancestral culture. But this
last is not a totality because it borrows from other cultures some called
universal symbols. Two major objectives are traced in this study: the first is
to show how the football passion is exploited for the benefit of identity and
mystical claims spanned several millennia, the second tries to remember that
the murals are signs direction vectors and multiple meanings all linked to
freedom of expression, source, we know, constantly subject to great
controversy.
Introduction
À lire La fabuleuse histoire du football (Rethacker et Thibert, 2012), nous
comprendrons probablement pourquoi le culte voué à ce sport depuis plus
d’un siècle continue à fasciner les hommes des quatre coins de la terre. Les
études qui lui ont été consacrées sont dans la plupart des cas sociologiques,
ethnologiques ou historiques ; elles déduisent toutes, explicitement ou
implicitement, que le football occupe un rôle de quasi-religion, dans l’espace
public mondial (Elias, N. et Dunning, E. 1994). Notre étude s’inscrit certes
dans la même mouvance, mais se veut originale du fait qu’elle essaye de
mettre en exergue le rôle joué par cette nouvelle religion, exprimée
éloquemment dans les peintures murales, pour persuader les foules et les
intégrer dans une cause commune, le culte de l’identité. Connaissant le
pouvoir persuasif du football et des peintures murales, les Kabyles de Bejaia
les exploitent, d’après mes constatations sur le terrain, pour rendre plus
visibles leurs revendications linguistiques ou socioculturelles dans un
contexte national où les arabophones constituent une majorité dominante.
Toutefois, bien qu’il soit le sport le plus populaire échappant à la critique
d’une bonne partie de la presse et de l’opinion publique, le football n’est pas
pour autant exempt de dénigrements. Les différentes détractions émanent
notamment de la part des traditions marxiste et postmarxiste qui voient en lui
une version nouvelle de l’opium du peuple (Ehrenberg, 1991). Les travaux
de Jean-Marie Brohm et de Marc Perelman (2002) représentent en ce sens le
radicalisme le plus extrême. Le courant libéral, quant à lui, souhaite libérer le
sport de toutes les emprises politiques ou financières et le présume comme
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un îlot de paix, de respect et d’innocence face aux rapports de force et la lutte
des classes (Vassort, 2002). Quoi qu’il en soit, l’objectif de ce présent article
consiste à montrer sémiotiquement comment la passion footballistique est
instrumentalisée au profit de revendications identitaires et mystiques
plurimillénaires. Une problématique se pose désormais : L’identité sociale
exprimée passionnément dans les peintures murales, exaltant le club du
MOB, est-elle spécifique? Si non, les différents objets fétiches, totems et
symboles universels qui la représentent seraient-ils d’origine païenne ?
Nous allons tenter de porter un éclairage sur ces questions, en sollicitant une
démarche interdisciplinaire, focalisée plus précisément sur la Sémiotique des
passions (Greimas, Fontanille, 1991) qui fait appel notamment au concept de
« bricolage » utilisé métaphoriquement par l’anthropologie pour se donner
une image modeste par opposition à l’ostentation de l’ingénieur (LéviStrauss, 1962). La phénoménologie, quant à elle, nous aidera à voir les
choses telles qu’elles devraient apparaître en se projetant sur le corps des
choses pour mieux les saisir (Merleau-Ponty, 1945). L’ouvrage collectif
Football et identités : les sentiments d’appartenance en question (Poli et al.,
2005), nous aidera à examiner le rôle joué par le football dans l’expression
identitaire des minorités, et comprendre les mécanismes et processus de
construction identitaire qui sont causes des phénomènes conflictuels que
connaissent actuellement le monde. En prime abord, il nous a paru que l’idée
de déterritorialisation et de reterritorialisation est ce qui façonne
passionnément le plus l’imaginaire des supporteurs du MOB. Nous tenons à
rappeler que nous n’étudions pas ici la passion uniquement dans son sens
général la rapportant à la pathologie d’autant plus que son sens romantique la
désignant comme le moteur même de l’existence nous paraît aussi pertinent.
Pour les tenants du romantisme, en effet, la vie devient à la fois ludique et
dramatique grâce à l’aventure passionnelle. Pour ce faire, notre corpus se
limitera aux signes iconiques (figuratifs) et linguistiques des peintures
murales représentant les passions footballistique et identitaire des supporters
du MOB de la ville de Bejaia.
Sémiotique des passions
Par opposition à une sémiotique classique plus rigoureuse, celle des passions
se focalise sur le concept de « thymie », d’origine psychologique, que les
sémioticiens de l’École de Paris définissent ainsi : elle est la disposition
affective de base qui détermine la relation, positive ou négative, qu’entretient
un corps sensible avec son environnement ; l’on désigne cette relation
thymique par les trois termes suivants : euphorie, dysphorie, a-phorie (en
mots moins techniques : plaisir, déplaisir, impassibilité). Ces états d’âme
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
sont visiblement intenses chez les joueurs et supporters-spectateurs avant,
durant et après les 90 minutes du match. Nous présupposons dans ce cas que
le football est un art, parce que seuls « les Arts fabriquent autant les passions
que le réel les voit émerger, et sans les Arts, à un moment donné, dans un
discours donné la passion ne serait pas ressentie ou reconnue comme telle »
(Rallo-Ditche & Fontanille & Lombardo, 2005, Introduction). A priori, les
supporteurs sont généralement dans un état euphorique quand leur équipe est
triomphante et dysphorique quand elle ne réalise pas de bons scores. Les
passions sont dans ce sens une véritable bombe à retardement, puisque dans
les deux situations, les supporteurs explosent sous l’effet des émotions.
À y regarder de plus près, nous pourrons déceler un point commun entre la
sémiotique et le football, celui du désir de comprendre le sens de la vie. En
effet, si la sémiotique pose que « la réflexion sur le sens […] soit en dernière
instance une réflexion sur la vie ne saurait être une découverte pour
personne » (Landowski, 2012), pareillement « le football n’est donc pas
seulement un sport, c’est un point de vue sur la vie. » (Ehrenberg, 1991, p.
55). En termes plus précis, la vie n’a de sens que par rapport au sensible (les
cinq sens), à la passion et au vécu des hommes en communauté, surtout
quand cette dernière est minoritaire et sujette aux discriminations. Pour
connaître les mécanismes de l’âme humaine dans ses rapports au corps et au
monde (physique et métaphysique), l’étude phénoménologique des jeux
sportifs apparaît indispensable pour les appréhender. Le football, par
exemple, est le lieu de rencontre de passions diverses que les sémioticiens
devraient davantage examiner, afin d’expliquer et décrire le caractère
sémiotique de l’univers humain, en général, et le fonctionnement culturel des
passions au sein des groupes sociaux, en particulier. Globalement, la culture
se formant, évoluant et disparaissant dans les échanges et conflits avec les
autres devrait donc être saisie « d’un point de vue cosmopolite ou
interculturel» (Rastier, 2002b, p. 5), dans un monde globalisé où les
réclamations de l’identité sociale se transforment le plus souvent en délires
qui aboutissent quelquefois à la violence verbale ou physique. C’est ce qui
marque notamment la vie sociale en Algérie depuis son indépendance en
1962 : le déni identitaire est intensifié par l’officialisation de la langue arabe
et l’interdiction aux autochtones de parler la langue berbère pendant les deux
décennies qui ont suivie la libération. Ce nationalisme radical est, selon le
politologue français Youcef Fatès (2009), à l’origine de la violence dans
les stades en Algérie.
L’identité sociale entre passions et violences
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Les passions sont-elles les véritables fondatrices de l’identité sociale ? Avant
de répondre à cette question, il nous semble indispensable de donner un
aperçu panoramique des passions : exaltées par les médias, ces dernières se
font connaître de manière ostentatoire à tel point que les bels esprits, les
calmes, les contemplatifs sont contraints de vivre par passion au grand risque
de mener une vie terne et morose. Ainsi, les louanges médiatiques de la
passion ont réussi à briser l’antinomie classique Passion/Raison qui freinait
en quelque sorte l’intensité de l’existence. Toutefois, cette intensité peut être
liée à deux notions analogues, émotion et passion, que le sens commun prend
pour synonymes. Pour plus de clarification, revenons donc à leurs
définitions. L’émotion est un ébranlement de la psyché qui provoque
temporairement un désordre aboutissant à la perte de la maîtrise du
comportement, et se manifestant par un éclat ou un écroulement. La passion
en revanche est beaucoup plus durable, même si elle est passagère ; elle
« détermine une attitude énergiquement active, marquant le style d’une
personnalité, concentré sur un objet stable qui peut être une personne, une
valeur, un objet du monde. » (Rallo-Ditche, Fontanille et Lombardo, 2005,
Introduction). Cette distinction subtile des deux termes atteste que l’on ne
pourrait absolument purifier la passion de ses déterminations culturelles,
sociales et anthropologiques comme le prétendait le psychanalyste français
Lacan (1966). Nous allons montrer empiriquement, ci-après, que c’est à
travers la passion que s’expriment les revendications de l’identité sociale
minoritaire des supporters du MOB. Les supporters de ce club sont
minoritaires du fait qu’ils ne sont pas en grand nombre à l’échelle nationale :
seuls ceux qui parlent le kabyle et habitent à Bejaia y adhèrent.
Le sujet de l’identité sociale, bien qu’il soit traité de mille et une façons par
les différentes disciplines des sciences humaines et sociales, continue à
interpeler les chercheurs, dés lors que cette notion est liée à de multiples
phénomènes culturels et linguistiques qui varient selon le temps et l’espace.
Sa construction serait paradoxale car chacun de nous a besoin de l’Autre
dans sa différence pour prendre conscience de son existence, tout en se
méfiant en même temps de cet Autre au point d’éprouver le besoin soit de le
rejeter, soit de le rendre semblable pour éliminer cette différence
(Charaudeau, 2009). L’identité sociale concernera ici celle qui est attachée
au domaine sportif, le football, car la fervente passion vouée à ce sport
populaire par les innombrables supporters serait l’un de ses fondements
majeurs. Le club du MOB, contrairement à son homologue JSMB (Jeunesse
Sportive du Mouloudia de Bejaia) réputé plus serein et docile, est l’exemple
parfait de la construction de l’expérience identitaire. Ses adeptes affichent
leur ferveur identitaire grâce aux peintures, tags et graffitis sur les murs dont
les référents dépassent les frontières régionales et nationales ; ils constituent
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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des symboles de puissance, de prouesses, voire de violence, puisés dans la
culture berbère et occidentale à la fois. Ils se distinguent par conséquent de
l’identité orientale et arabe perçue comme un nouveau colonialisme à battre.
Selon Christian Bromberger, cité par Ehrenberg « L’équipe de football
s’offre ainsi […] comme un symbole à très haut degré de plasticité
herméneutique où les individus projettent, en fonction de leur trajectoire, les
rêves les plus contrastés d’organisation idéale de la vie collective. » (1991, p.
54).
Cette plasticité herméneutique est visible récemment sur les murs des
quartiers de la ville de Bejaia, métamorphosés de fond en comble par de
peintres amateurs à l’occasion des compétitions footballistiques que le
Mouloudia Olympique de Bejaia dispute régulièrement pour maintenir sa
place de prédilection à la Première division du Championnat National de
Football. Ces murs de pierres et de béton sont devenus les nouveaux supports
d’une revendication identitaire sans précédent, parce qu’auparavant la
peinture murale était rare et avait une signification purement esthétique ou
pédagogique. Suivant les modes éphémères de la mondialisation, une
nouvelle sous-culture, qui n’est pas spécifique à la ville de Bejaia, voit
désormais le jour, grâce à ces peintures murales et aux différents écrans de
télévision, d’ordinateurs ou des tablettes qui les promulguent, pour afficher
une identité sociale postmoderne dont les valeurs sont : l’anachronisme, la
juxtaposition, le pluralisme, l’hétérogénéité, la fragmentation, le
multiculturalisme, le globalisme, la tolérance, le ludisme, le mélange, la
destruction des hiérarchies, etc. (Riou, 2002). Ces valeurs postmodernes,
affichés sur les murs de la liberté (Karl et Hamdy, 2014) témoignent de la
complexité de notre temps où les repères culturels sont devenus multiples et
variés : ils sont le fruit des nouveaux moyens d’information et de
communication instantanés. S’ancrant dans ces nouvelles formes culturelles
hétérogènes, les Mobistes actualisent expressément les passions d’autres
contextes et époques pour faire adhérer le plus grand nombre de supporters à
l’échelle de la planète. Fiers d’être kabyles, ces supporteurs crient haut et fort
leur identité pendant et après les compétitions footballistiques, afin que les
gens au pouvoir les entendent. Leurs slogans visent explicitement le silence
de l’Etat par rapport à l’officialisation de la langue berbère qui reste depuis
presque une vingtaine d’années langue nationale uniquement. C’est ainsi que
prend chair le sentiment de l’expérience minoritaire chez les joueurs et les
supporteurs du MOB. Ils sont toujours conscients de la menace que
représente l’arabisation, bien qu’
on ne saurait concevoir la politique linguistique algérienne
comme le projet uniforme et la réalisation continue qu’elle
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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présente d’elle-même, mais bien plutôt comme le fruit de
négociations permanentes entre élites politiques, économiques et
culturelles pour obtenir ou conserver à leur groupe linguistique
une place dominante dans la société. Aussi bien, c’est moins à
travers ses résultats qu’en tant que discours que l’on peut penser
le caractère mythique de l’arabisation : il renvoie en effet aux
fondements de la nation, et permet, par sa radicalité de façade, de
relégitimer régulièrement le pouvoir dans son identité
anticolonialiste, démocratique, panarabiste et islamique, en
désignant les ennemis extérieurs comme intérieurs. À l’occasion
du Cinquantenaire de l’Indépendance algérienne, cette réflexion
sociologique et politique sur l’histoire de l’arabisation tente ainsi
d’éclairer, au-delà des proclamations idéologiques, les enjeux de
pouvoir inhérents à toute politique linguistique. (Leperlier, 28
mars 2012)
Revenons à la violence dans les stades. Celle-ci n’est pas à rallier aux
supporters du MOB uniquement, mais la manière dont ils se l’approprient est
remarquable ; elle devient le socle de leur identité prisée comme un signe de
virilité et de dominance masculine, bien que l’on compte actuellement parmi
eux la présence des femmes. Ces dernières s’y reconnaissent, parce qu’elles
se voient comme de véritables guerrières au même titre que les hommes.
Pour justifier cette violence, les caricaturistes mobistes notent sur les murs
que c’est la répression policière qui les incite à se rebeller, au moment que
certains des supporters, à qui nous avons demandé des éclaircissements,
affirment que la rébellion commença avec la Guerre de libération algérienne,
déclenchée en 1954 (elle est aussi la date fatidique de la création du MOB).
Les supporters de ce club ont comme armes les pierres et projectiles qu’ils
jettent sur les autres supporteurs d’autres clubs arabophones. À travers ce
constat, nous sommes amené à nous interroger sur la véritable nature de ce
sport : comment le football aux principes fédérateurs se métamorphose en
une machine à briser les médiations culturelles au profit d’une ferveur
identitaire minoritaire incoercible ? Qui sont ses soi-disant trublions ?
Pourquoi ce sport populaire devient-il une incitation au combat dans les
stades où les passions se déchaînent comme dans les champs de bataille? Il
se pourrait que ce soit l’origine supposée de l’invention du football, inscrite
dans la mémoire collective de l’humanité, qui en est la première cause :
celui-ci serait pour les Chinois un instrument de torture car c’est avec la tête
humaine décapitée que l’on jouait au départ. En revanche, la majeure partie
de la littérature situe le cordon ombilical du football dans les public schools
britanniques même s’ils n’étaient pas, à proprement parler, aussi farouches.
Le sociologue Sébastien Louis en enquêtant sur Le phénomène ultra en Italie
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
(2006), terre du football par excellence, remonte cette violence constatée
dans les tribunes à 1968, c’est à partir de cette date que l’extrémisme inspire
tous les supporters passionnés de l’Europe, voire du monde.
Mais que ne ferait-on pas quand la passion du jeu entraîne ses admirateurs
dans un état addictif ravivé par le désir de puissance sans limites ? C’est
indubitablement sur cette notion de seuil que la psychanalyse insiste. Cette
dernière essaie d’y remédier pour que le goût du jeu cesse de devenir une
drogue qui se transforme en un fanatisme absolu. Elle nous enseigne que des
limites, quoiqu’irréversibles comme les guerres, devraient être respectées
pour en finir avec la recrudescence de la haine et les chocs culturels, car cette
évolution qui transforme un sport né avec la démocratie et qui est à l’origine
d’un patriotisme pacifique appelle au déchaînement des nationalismes et aux
comportements non maîtrisés. Selon Denis Müller, ces débordements
atteignent au plus haut degré les joueurs de football et les entraîneurs qui
s’exposent comme des esclaves « à notre admiration et à notre cruauté, des
symboles de la roue de la fortune et du destin impitoyable qui écrase les gens
sous la nécessité de la production et des résultats. » (2004, p. 6).
Paradoxalement, nous allons voir que les joueurs sont pris aussi pour des
idoles que l’on vénère frénétiquement car ils portent les couleurs d’une
identité soi-disant autonome. Celle-ci, pour exister, exige reconnaissance et
respect pour ne pas disparaître au contact des autres : cette lutte pour la
reconnaissance construit en effet une relation positive et harmonieuse avec
soi-même et la société (De Waele et Husting, 2008).
Idoles et symboles d’une expérience minoritaire
Parmi les symboles ésotériques, totems et idoles les plus redondants dans les
peintures murales du MOB, on retrouve : un chanteur « Matoub Lounès », un
guérillero « Che Guevara », un crabe, un fantôme, un glaive, un drapeau
berbère, la croix gammée nazie, les couleurs vert et noir, un crâne humain
sur tibias (ou glaives) croisés en signe de croix, un fanion, le diable. Nous
allons tenter de reconstituer les isotopies qui les associent afin de mettre en
lumière les stratégies argumentatives spécifiques de cette rhétorique de la
terreur marquant l’expérience minoritaire de ce club et de ses amateurs. Les
isotopies sont un ensemble redondant de catégories sémantiques (sèmes) qui
rend possible la lecture uniforme du récit (ici du récit iconique des peintures)
loin de toutes interprétations convergentes. Le rôle des isotopies s’avère plus
fondamental encore dans les sémiotiques visuelles. Celles-ci se focalisent
d’abord sur les processus de production de sens, pour ensuite passer à une
interprétation partagée vraisemblablement par le public : elles font appel à
l’iconographie (ou iconologie), pour une tentative d’élucider les nombreuses
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
interrelations qui forment le sens des images, ainsi que les symboles
historiques des couleurs ou les signes non figuratifs tels que les allégories,
les auréoles, etc. (Joly, 2002). Par ailleurs, Umberto Eco (1992) situe
l’interprétation à la croisée de trois intentions principales que sont :
l’intention de l’auteur, l’intention de l’œuvre et celle du lecteur-spectateur.
En guise d’exhaustivité dans le décryptage du sens, la sémio-pragmatique
s’occupe non seulement de la complémentarité qu’il y a entre texte et
contexte, mais s’occupe aussi de l’interaction entre texte et contexte
institutionnel. Nous rappelons que l’analyse syntagmatique d’un message
visuel, comme texte, n’est absolument pas suffisant et qu’il faudrait que
l’analyste prenne « en compte l’axe paradigmatique de l’organisation du
message » (Martine Joly, 2004 a, p. 71), c'est-à-dire l’axe des associations
entre les éléments absents et les éléments présents du message.
De fait, notre enquête sémiotique s’est déroulée de la manière suivante : pour
saisir les quelques structures discursives de ces peintures, identiques à celles
des textes d’un livre, nous avons examiné globalement, et pendant deux
mois, les structures sémantiques élémentaires, les structures actantielles et
modales (vouloir, pouvoir, savoir), les structures narratives et thématiques et
les structures figuratives (Fontanille, 2003). Chaque niveau est supposé se
superposer du plus abstrait au plus concret, de telle manière qu’il pose une
complexité de réarticulation, pouvant parfois amener le spectateur-analyste à
une mauvaise compréhension de l’object regardé ou observé. Nous en avons
déduit que, aussi complexe soit-elle, l’activité signifiante de ces peintures est
condensée dans l’emblème de ce club sportif que nous allons analyser
macroscopiquement. Nous commençons par la figure du crabe qui le
caractérise.
Le crabe (tourteau ou dormeur) est une métaphore désignant
symboliquement le MOB ; en effet, ce crustacé qui est son symbole capital
est prophylactique selon les supporters de ce club. À plus forte raison,
l’appropriation du crabe, consolidant l’expérience minoritaire, est due à
diverses stratégies de compétition que sont :
 la ruse, car le crabe marche de travers ;
 esprit de combat, lié à sa paire de pinces ;
 le crabe étant un symbole lunaire, incarne les forces vitales
transcendantes. Il serait un démiurge dépêché par le soleil pour
ramener la terre du fond de l'océan : doté de ces forces surnaturelles,
il déclenche les tempêtes quand il le veut ;
 tantôt il est représenté comme un esprit fécondant, tantôt comme une
force du mal. Ainsi, d’animal protecteur, il devient maléfique pour
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ses habitudes nécrophages. Il est réputé apprendre la magie aux
hommes ;
 en revanche, en Asie, les crabes, suivant la légende, sont très adulés
car ils sont les avatars de l'âme de guerriers défunts.
Les couleurs vert et noir semblent avoir pour référence les drapeaux des
mouvances anarchistes de l'anarcho-primitivisme et la bannière des pirates.
Or, les rameaux verts d’un chêne et d’un olivier, illustrant le fanion du MOB,
lui octroient une autre signification : ils symbolisent, en fait, les racines
persistantes de la berbérité, tandis que le noir rappelle le deuil de la
disparition des royaumes berbères, représenté excellemment par la tête de
mort sur tibias, les fantômes et les démons. Dans l’emblème, ces couleurs
s’associent à celles du drapeau berbère arboré majestueusement sur une
citadelle en forme de couronne, rappelant sans doute le Royaume numide
(contrée de l’ancienne Afrique du Nord). Le drapeau amazigh, aux couleurs
printanières, se veut un retour aux sources linguistiques du pays et celle, en
somme, de toute la région du Maghreb, anciennement dénommée Numidie.
Ce drapeau est beaucoup plus exploité par le Mouvement pour l’Autonomie
de la Kabylie (MAK). Le personnage le plus représentatif de la culture
berbère, et également de ces peintures murales, est le chanteur engagé
Matoub Lounès ; celui-ci a su populariser la question amazigh (berbère) audelà des frontières nationales. Ce défunt assassiné clamait haut et fort la
démocratie, la liberté et la laïcité en Algérie ; il n’hésite pas, dans son livre
autobiographique, à se donner le nom de Rebelle (1995) contre l’islamisme
de l’époque. Autre figure emblématique à laquelle les supporteurs du MOB
s’identifient est l’Argentin Che Guevara. Cet homme politique
internationaliste, quoique médecin de formation, est un révolutionnaire
marxiste qui a théorisé et dirigé la révolution cubaine faisant de lui un mythe
pour plusieurs générations (Benasayag, 2003). La langue utilisée pour
transmettre leur message au monde entier est le français, parce que l’Algérie
« a été profondément marqué par le modèle français, non seulement du point
de vue de la langue, mais aussi du point de vue de l’Administration, du type
de modernisation, des modèles pédagogiques, de la conception même de
l’identité
nationale. »
(Grandguillaume,
hiver
2004).
Cette
internationalisation de la contestation identitaire des supporteurs du MOB,
grâce aux moyens d’information et de communication, met l’Etat algérien
dans une situation perplexe. Car à l’ère de la globalisation, la question des
minorités est posée sur la scène internationale et n’est plus sujette à la
minoration des Etat-nations comme avant.
Outre les dessins d’idoles et les fétiches que les supporters mobistes
semblent vénérer pour les aider dans leurs revendications identitaires, nous
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allons voir que la représentation du divin n’est qu’à ses prémices dans la
région.
Représenter Dieu et les anges
En face du Bloc administratif, sis à quelques mètres de l’Hôtel du
département de Bejaia, il y a une peinture murale singulière de par sa
représentation inédite du divin dont l’interprétation nécessite la connaissance
de la symbolique picturale biblique ou mythique. Celle-ci porte davantage à
confusion parce qu’elle était dernièrement sujette aux parodies des
iconoclastes musulmans modernes qui font détourner le sens des messages
inscrits sur les murs de la ville de Bejaia. Par rapport à la parodie verbale, la
parodie iconotexte, étant faite pour être lue et vue, attire le maximum de
spectateurs sauf que l’iconicité demeure secondaire. Si les parodistes
raisonnent ainsi, le sémioticien et l’iconographe, quant à eux, ne se privent
pas de déchiffrer le langage silencieux des signifiants iconiques. Autrement
dit, ces derniers ne se contentent pas de la dénotation inscrite dans la peinture
car leur esprit scientifique les conduit à sonder les mystères de la
connotation, c'est-à-dire tout ce qui fait partie de l’intertextualité ou de
l’interdiscursivité.
Avant de jeter un coup d’œil sémiotique et iconographique sur cette peinture
expressive, rappelons les représentations formant la doxa des habitants de
cette ville qui sont majoritairement de confession musulmane. Comme nous
l’avons mentionné supra, la peinture murale était pratiquement inexistante en
Algérie, en dehors des milieux culturels et éducatifs du fait de l’iconoclasme
massif existant avant l’apparition des nouveaux médias : aujourd’hui, en
revanche, avec l’installation progressive de la civilisation de l’image qui
commence timidement sous l’impulsion d’Internet et de la téléphonie
mobile, la mentalité et les attitudes des gens ont beaucoup changé. Cela dit,
l’avènement de la civilisation de l’image chez les néophytes, en l’absence de
l’éducation à l’image, nous amène à présupposer que l’interprétation
iconique du message, à caractère sacré ou profane, se limiterait à sa
dénotation, c'est-à-dire à la reconnaissance superficielle des éléments
plastiques (les couleurs surtout) et de quelques symboles. Les supporters y
reconnaîtraient principalement les couleurs à caractère identitaire du MOB,
son emblème et ses slogans. Or, l’interprétation ne se réduit pas à la
perception, à la réception et à la reconnaissance des formes, parce que «
décrire une image -c'est-à-dire, transposer en langage les éléments
d’information, de signification, qu’elle contient- n’est pas une entreprise
évidente, malgré son apparente simplicité. » (Aumont & Marie, 2008, p. 49).
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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La sémiotique comme discipline herméneutique et œcuménique, dont nous
avons déjà esquissé brièvement la méthode et présupposés théoriques relatifs
à l’analyse de l’image (fixe, animée ou en séquence), tente de dévoiler
l’idéologie (s’il en est une) de cette œuvre qui ne fait pas encore parler d’elle
(il ya tout juste quelques mois qu’elle est peinte). Parlons-en cavalièrement.
Cette représentation profane du sacré semble s’adresser à l’inconscience de
tous les spectateurs curieux de cette rue passante. Elle leur rappelle la
prééminence du MOB par rapport à tous ceux qui prétendent représenter
l’amazighité, puisque c’est Dieu Lui-même qui, d’après la narration de
l’image peinte, semble défendre leur cause et leur expérience minoritaire. Le
cadre rectangulaire de cette peinture grandiose sert de « repère et de guide
pour construire des lignes de fuite et l’illusion de la troisième dimension, de
la profondeur. » (Joly, 2002, p. 110) ; son cadrage pourrait nous plonger dans
un leurre anthropologique, en nous faisant croire phénoménologiquement
parlant que le regard humain est le centre du monde et qu’à sa guise il peut
facilement le contrôler. Le grand plan, quant à lui, signifie que le cadreur
voudrait élargir le décor de l’environnement où les protagonistes se placent :
dans cette peinture le bateau du MOB se trouve au centre, Dieu à gauche et
les anges à droite du cadre. Dieu dans les fresques chrétiennes est représenté
comme un homme d’un âge avancé aux cheveux et barbe couleur de neige.
Les parodistes de Bejaia le reprennent tel quel, mais Lui ajoutent tout de
même une arme attribuée légendairement au diable « la fourche à trois
dents», ce qui est d’ailleurs équivoque : s’agit-il de Dieu, d’un ange
diabolique ? Nous dirons tout de suite qu’il ne s’agit pas forcément du
diable, parce que celui-ci est reconnaissable selon la mythologie à ses cornes
et pieds de bouc. Mais vraisemblablement, cette représentation rappellerait
l’idéologie sataniste qui prétend que Satan est un dieu aux origines païennes.
Peu importe les obédiences car le message que l’on voudrait transmettre
consiste à faire croire que le MOB et ses supporteurs sont des protégés des
dieux : il paraît que ce dieu représenté s’inspire de la mythologie grecque du
fait qu’on y reconnaît l’image du roi des dieux, Zeus, vénéré par les Grecs
comme le Maître de l’univers, sauf que, au lieu de la fourche, il tenait un
foudre.
Le football : nouvelle religion au service de l’identité minoritaire ?
Pour répondre a priori à la question, il n’y aurait pas plus explicite que la
citation apocryphe de Blaise Pascal qui dit que « Les hommes, ayant perdu le
paradis, se mirent à courir après une balle. ». Néanmoins, il serait faux de
taxer les joueurs et les supporters d’aujourd’hui d’idolâtres de la balle ronde,
parce que bon nombre de ces derniers pratiquent l’une des trois religions
monothéistes (islam, christianisme, judaïsme), tout en étant adeptes des clubs
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
footballistiques. Devant une telle ambivalence, les théologiens essaient
d’apporter des clarifications dogmatiques par rapport aux multiples
significations religieuse, sociale, éthique et politique du football. Notre
analyse sémiotique, en revanche, loin d’être présomptueuse, pourrait
logiquement nous amener à y voir le visage d’un paganisme aux traits d’un
prosélytisme chrétien du fait que la représentation du divin, par exemple, est
une spécificité chrétienne. Par ailleurs, nous aimerions donner la
signification humaine (laïque) de ce sport collectif. Nous tiendrons en
compte notamment ce qu’avait exprimé, à juste titre, Denis Müller : « Ma
première religion, ma religion populaire, c’est le football. Je me suis converti
sur le tard au christianisme, mais j’ai de fréquentes rechutes dans ma
première religion. » (2004, p. 6). Celui-ci explique ses rechutes en référence
au fait que le football n’est qu’une religion en apparence, une fausse religion,
car pour être une quasi-religion, il dit qu’il devrait y avoir un appel d’air vers
une transcendance. Autrement dit, la passion du football risque de se
soumettre constamment à la compétition brute et à la violence
déshumanisante d’une pauvre imitation de la religion et de la beauté, bien
qu’il laisse entrevoir par intermittence le surgissement possible de la grâce et
de la gloire. La signification anthropologique et théologique du football, ditil, se ramène à quatre dimensions constitutives et complémentaires que nous
résumons ainsi :
 il s’agit d’un jeu rappelant la structure enfantine de l’existence (courir
après une balle, surpasser l’adversaire, faire preuve d’astuce, réaliser son
but) ;
 il s’agit aussi d’une compétition, entre un vainqueur et un vaincu, mettant
en scène une violence symbolique caractérisant la domination
masculine ;
 un spectacle, dans le double sens du terme : d’une part le football est une
tragédie, d’autre part, il est le déroulement spectaculaire et spéculaire de
la lutte pour la vie, du combat à mort entre les forces du mal et celles du
bien ;
 le football est le symbole de l’ambivalence fondamentale de l’être
humain, écartelé entre sa solitude et son besoin de solidarité.
Si l’on peut considérer le football comme une religion, l’on dira également
que c’est une religion humaniste cherchant à encrer les hommes dans leurs
racines. Les supporteurs du MOB ont leur religion à eux, elle s’inspire d’une
culture et d’une langue plus que millénaires, la langue et culture berbères,
tout en empruntant des expressions appartenant à la langue et à la culture
françaises. Ils rêvent de tenir tête à l’arabe et à l’islam, ses deux principaux
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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rivaux sur le terrain, bien que paradoxalement les supporters soient eux
même musulmans dans la majorité des cas.
Conclusion
Au terme de cette exploration de la passion footballistique, exprimée à
travers les peintures murales, nous insistons sur le fait que cette dernière
demeure un lieu névralgique où toutes sortes de revendications, notamment
identitaires, sont susceptibles de déclencher des violences et conflits qui
n’ont rien à avoir avec les compétitions sportives. Nous avons pu constater
que si le MOB recourt à la rhétorique de la terreur, celle-ci n’est pas pour
autant spécifique à ce dernier du fait que la violence dans les stades est
récurrente dans le monde entier, même chez les sociétés dites plus policées
qui prônent la démocratie et l’égalité des chances. Le dispositif guerrier qui
est représenté chez ce club par les peintures murales fonctionne à la manière
du proverbe latin qui dit : « Si vis pacem, para bellum », (« si tu veux la
paix, prépare la guerre »). Or, la véritable logique citoyenne à enseigner est
la suivante : « si tu veux la paix, prépare la paix ». Il s’avère que la logique
perd tout son sens dans un contexte où les conflits culturels empêchent toute
idée d’interculturalité. Pourtant les cultures ne sont pas des entités pures et
fermées, mais ouvertes et inhérentes au changement. Vouloir reconstituer les
cultures ancestrales, c’est vouloir en quelque sorte retrouver la langue
adamique et le paradis perdu.
Force est de constater, dans le football, il y a des actes de profanation du
religieux que l’on accuse habituellement de satanisme, d’athéisme ou de
paganisme générant l'idolâtrie à l'échelle de la planète. Cette désacralisation
parodique du fait religieux présuppose une autre forme de religion naissante.
La coupe, par exemple, doit ses origines à la Cène, veille de la Passion où
Jésus-Christ avait partagé le dernier repas avec ses apôtres au cours de
laquelle il institua l’Eucharistie. Les joueurs de football qui mettent des
signes religieux dans leurs tenues ou dans leurs colliers et qui se prosternent
pour invoquer Dieu au moment de marquer des buts s’inscrivent dans le
même contexte. Cependant, une religion n'est pas affaire d'apparence ou de
rituels mais s'inscrit dans un système d'explication du monde et de sa
finitude. Bref, les rites religieux n'ont de sens qu'en liaison avec la
transcendance, le divin, et les lieux sacrés.
Enfin, les considérations diverses sur le football, la peinture murale,
l’identité, l’expérience minoritaire et la religion nous laissent sur notre faim
tant les ambiguïtés y surgissent. Ils sont à cheval entre plusieurs
dichotomies :
Accomplissement/Destruction,
Altruisme/Égoïsme,
Calme/Violence, Paix/Conflits, Peuplement/Décomposition du monde. Ils
70
Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
incarnent le théâtre de nos destinées sociale, identitaire, religieuse et
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
N°1
La langue arabe et les apprentis-traducteurs
LAHLOU Hassina
U. Alger 2
Résumé :
Le rendement en arabe, en tant que langue première et langue d’arrivée chez
les apprentis-traducteurs, au niveau de l’expression orale et /ou écrite, ne
semble pas être à la hauteur des définitions et présupposés théoriques qui
confèrent à cette langue le statut de langue de référence. Derrière cette
situation défaillante se cachent des facteurs multiples qui ont accompagné les
apprenants tout au long du processus d’apprentissage, avant même d’accéder
au cycle universitaire, et qui ont contribué à un échec quasi-total à
proportions alarmantes.Nous nous proposons, dans le présent article, de
revenir sur ces facteurs d’échec, pour les définir et dévoiler l’impact de leur
intervention dans l’acte de l’appropriation de l’arabe par les apprenants
algériens, représentés, ici, par ceux en formation à la spécialité de
traduction.
Abstract:
The status of Arabic language, as the target language, among translation
trainees, in terms of oral and written expression seems not to fit with
theoretical definitions and presuppositions. This is due to many social and
ideological factors which go with the trainees along their learning process
before the university. They led to a quasi-total failure reaching alarming
proportions. We suggest, in this article, to come-back on elements
responsible for this degrading situation, defining theme and unveiling their
impact on trainees’ learning attitude.
Le processus de l’appropriation d’une langue donnée, son apprentissage et
son usage chez l’individu répond à plusieurs facteursqui interviennent pour
en décider la qualité et la performance. Ces facteurs peuvent fonctionner
favorablement et rendre ce processus fructueux et efficace comme ils
peuvent être défavorables en fonctionnant d’une sorte à le saboter, et ce,
selon le statut effectif qu’occupe la langue en question dans le cadre familial
et / ou social, indépendamment du fait qu’elle soit langue maternelle,
première ou étrangère, sans perdre de vue que cette influence est présente
dés l’école primaire et accompagne les apprenants jusqu’au cycle
universitaire.
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Revue Algérienne des Sciences Du Langage
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Qu’en est-il pour la langue arabe chez les apprenants algériens, et, plus
exactement les apprentis traducteurs ?
On se posant cette question, nous avons constaté la rareté des études et
enquêtes qui ont été menées sur le sujet de l’apprentissage de l’arabe et de sa
performance chez les apprentis-traducteurs. Cela pourrait être justifié par
l’influence des présupposés théoriques imbus qui prétendent à cette langue
le statut de langue de référence bien qu’une simple et rapide comparaison
entre la définition de la notion de langue de référence et la place réelle
accordée à l’arabe par un nombre considérable d’ apprentis- traducteurs,
traduite par leurs différents comportements et préjugés en classe, et plus
exactement dans le cadre de l’exercice de traduction du français vers l’arabe
et que nous assurons depuis dix ans, révélerait un écart nuisible.
1- Langue maternelle et traduction
Ladmirale, (1994.p.60) voit dans la langue maternelle« beaucoup plus qu’un
instrument de communication véhiculant des informations. Elle est plutôt le
milieu synthétique et global qui est au principe de la formation fondamentale
de l’individu et par lequel passent ses différents apprentissages ».
Durieux (1995. p 19), elle, a indiqué quatre raisons pour lesquelles la
maîtrise de la langue d’arrivée, en prenant pour hypothèse qu’il s’agit de la
langue maternelle, est indispensable :(1)- « elle rend possible une grande
rigueur dans l’expression, (2)- elle permet d’éviter les interférences avec la
langue étrangère, (3)- elle sert de référence au traducteur et (4)- elle est la
vitrine du savoir- faire de celui-ci ».
Une question se pose : l’arabe a-t-il pu décrocher un tel statut auprès des
apprentis- traducteurs algériens, compte tenu des conditions
sociolinguistiques dans lesquelles elle se trouve ?
2-
L’arabe chez nos apprentis traducteurs : entre théorie et réalité
L’état de l’arabe académique ne semble pas se concorder avec la langue
maternelle telle qu’elle est vue par les théoriciens de traduction dans le cadre
de l’acte traduisant9, car nul ne saurait nier ni ignorer le paradoxe dont
souffre cette langue au milieu des apprenants algériens, tous niveaux
scolaires et toutes catégories sociales confondus. C’est une langue qui
oscille entre un statut formel, politiquement soutenu, qui a fait d’ elle la
première langue nationale et officielle et un statut réel, socialement nourri et
géré par un ensemble de facteurs sociolinguistiques qui ne semblent pas
9
Nous substituons, ici, le terme « académique » au terme « classique » pour renvoyer à l’arabe universitaire.
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favoriser son statut formel mais, au contraire, œuvrent à minimiser davantage
ses chances de devenir cette langue de référence qui constituerait la base de
l’apprentissage des autres langues. Ces facteurs sont essentiellement d’ordre
idéologique et social.
2-1)
Le facteur idéologique
Ce facteur est représenté principalement par la notion de la motivation pour
apprendre une langue, telle qu’elle est définie comme :
« un mécanisme psychologique qui génère le désir d’apprendre la langue, qui
déclenche des comportements d’apprentissage, notamment la prise de parole
en classe de langue, qui permet à l’élève de maintenir son engagement à
réaliser les tâches proposées quel que soit le degré de réussite immédiate
dans son interaction avec les autres élèves ou le professeur, qui le conduit à
faire usage des instruments d’apprentissage mis à sa disposition et qui, une
fois la tâche terminée, le pousse à renouveler son engagement dans le travail
linguistique et culturel » (Raby, 2008 :10).
Les sociolinguistes indiquent trois éléments clés qui mesurent le degré de
motivation pour apprendre une langue chez un apprenant, à savoir, la
quantité de l’effort fourni, le désir personnel d’apprendre et la nature des
sentiments éprouvé vis-à-vis ce processus d’apprentissage. L’implication de
ces éléments apparait dans la définition des deux indicateurs qui déterminent
le facteur de motivation: l’attitude et l’orientation.
2-1) l’attitude
L’attitude est un ensemble de croyances qui fondent nos représentations à
l’égard d’une langue étrangère, notamment ses locuteurs. Elle est la prise de
position individuelle ou collective du sujet de la langue et de ses
spécificités, et, selon la définition de Lafontaine (in Moreau, 1997 : 57) « la
manière dont les sujets évaluent soit des langues, des variétés ou des
variables linguistiques ».
La notion d’attitude renvoie,donc, à la disposition psychologique latente et
acquise à se comporter d’une certaine manière vis-vis d’une langue donnée
sur la base d’un ensemble de croyances internes et externes qui émanent des
préjugés subjectifs ou objectifs faisant l’objet de changement ou
d’évolution.La langue n’est pas conçue comme un système organisé
seulement, mais aussi, et surtout, comme un usage qui traduit l’interaction
de l’individu avec les autres.
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Dans le cas des apprentis traducteurs, trouvés dans un milieu d’apprentissage
trilingue, avec une langue première à côté du français, la langue de prestige
culturel et l’anglais, la langue du progrès scientifique par excellence, le
facteur de l’attitude, tel qu’il est défini plus haut aurait peu de chances à
fonctionner en faveur de l’arabe, étant donné qu’elle représente pour eux, en
général, les pays du monde arabe, qui se trouvent, pratiquement tous, dans la
sphère du tiers monde.
2-2)
L’orientation
L’orientation est une entité de résultats que nous attendons de l’acquisition
d’une langue. Elle recouvre la question des buts. Elle est relative à la
dimension pragmatique de la langue et son pouvoir d’accomplir la fonction
communicative et pratique. Elle concerne l’intérêt personnel à l’aspect social
et culturel des communautés qui l’emploient, dans le but d’une intégration
éventuelle.
Le facteur d’orientation ne servirait pas dûment l’arabe dont les chances se
dégradent de plus en plus, en matière de travail, le progrès scientifique et le
domaine des intérêts, contre le français et l’anglais qui ne cessent de gagner
du terrain dans tous les domaines.
3) Le facteur sociolinguistique
Pendant longtemps, le processus d’apprentissage se présentait sous un
triangle connu qui est le triangle didactique et qui comportait les trois
éléments (enseignant, apprenant, contenu d’enseignement). Ce triangle ne
cesse de faire l’objet de critiques des sociologues et sociolinguistes qui lui
reprochent l’exclusion des conditions sociolinguistiques intervenant dans la
formation de la personnalité de l’apprenant et l’orientation de ses choix et de
ses décisions, y compris en matière d’apprentissage de la langue. Michel
Dabène, à titre d’exemple, a proposé un autre triangle plus exact et plus
représentatif : (2005 : 34)
Les deux éléments qui se trouvent dans le contexte social devraient être pris
en compte dans la conception du contenu des deux éléments situés dans le
contexte éducatif. Nous tenons, d’abord, à définir les deux composantes du
contexte social qui sont les représentations linguistiques et les pratiques
langagières puis, examiner leur impact sur les apprentis-traducteurs.
3-1)
Les représentations linguistiques
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Le mot représentation désigne, généralement, la conception de quelque chose
dans le cerveau, sous forme de codes, signes, images ou croyances, ou bien
une opération mentale dans laquelle un individu ou un groupe social conçoit
la réalité qui se présente devant lui et lui attribue une signification bien
précise.
En didactique, la notion de représentations est définie comme « un système
de connaissances qu’un sujet mobilise face à une question ou à une
thématique, que celle-ci ait fait l’objet d’un enseignement ou pas »,(Reuters,
2007 : 197).
En sociologie, cette notion est défini comme « une forme courante (et non
savante) de connaissance, socialement partagée, qui contribue à une vision
de la réalité commune à des ensembles sociaux et culturels ». (Guenier, in
Moreau, 1997 :246).
Les représentations sociales sont, donc, des mécanismes de réflexion
destinés à communiquer avec l’environnement en vue de le comprendre et de
le contrôler. Elles sont le résultat de la réflexion ordinaire telle qu’elle est
présentée dans les croyances des individus, leurs discours et leurs attitudes.
Cependant, et bien que ces représentations soient un ensemble de systèmes et
de backgrounds cognitifs acquis par un individu de son environnement social
en dehors du contexte scolaire, elles se développent, tout de même, pour
devenir des discours sociaux affectant l’ensemble des connaissances apprises
à l’école.
La notion des représentations sociales, en s’appliquant su l’élément de la
langue, nous renvoie vers une autre notion qui est celle des représentations
linguistiques qui renvoie, à son tour, à l’ensemble des conceptions que les
locuteurs se font d’une langue et qui, malgré son caractère relatif et subjectif,
consacre le principe de supériorité des langues et donne lieu à un ensemble
de discours dits discours épilinguistiques.
En appliquant cette notion à l’arabe classique ou même à l’arabe dit
académique, au milieu des locuteurs algériens, et, plus précisément, les
apprentis- traducteurs, nous constatons que le discours courant au milieu de
ceux-ci révèle une vision négative exprimée par les réactions d’un nombre
considérable d’entre eux vis-à-vis de cette langue et ce ,en dépit d’une valeur
théorique qui lui est réservée par le discours scolaire, sans autant prétendre
généraliser ce constat à tous les apprenants dans les régions intérieures
connues par leur attachement à cette langue et qui, pour des considérations
religieuses à une influence majeure, refusent de lui reconnaitre explicitement
un tel statut , bien qu’ils en soient partiellement conscients.
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Voici quelques segments, à titre d’illustration, des discours épilinguistiques
émis sur l’arabe, prélevés sur un échantillon d’apprentis-traducteurs :
-
-
-
L’arabe est une langue compliquée aussi bien sur le plan du
vocabulaire que sur le plan de la grammaire (morphologie, syntaxe,
déclinaison,…..).
L’arabe est une langue qui sert plutôt à la poésie qu’à la science car il
est incapable d’accompagner le progrès scientifique, contrairement au
français et à l’anglais.
Tous les pays dont les locuteurs parlent l’arabe sont des pays sousdéveloppés.
Nous observons que les jugements que mènent les apprenants de la spécialité
de traduction ne diffèrent pas, dans leurs fonds, des jugements et préjugés
menés par les apprenants qui appartiennent à d’autres spécialités.
Ces discours épilinguistiques interviennent, d’une manière directe ou
indirecte, consciente ou inconsciente dans le processus d’apprentissage de
l’arabe au milieu des apprenants, notamment, s’agissant des apprentistraducteur qui se trouvent dans une situation où l’arabe s’affronte au français
et / ou à l’anglais, et où les différents complexes idéologiques et
représentations linguistiques trouvent un milieu fertile à pousser et à se
développer.
3-2)
Les pratiques langagières
Selon le dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques (Reuter et
autres, 2008 : 173), les pratiques langagières renvoient à des formes sociales
orales. Cette notion permet de penser les sources d’échec scolaire. L’école,
par les usages de langage qu’elle valorise, provoque la réussite ou l’échec
scolaire des élèves, selon que leurs propres usages de langage, socialement et
familialement construits, entrent ou non en concordance avec ceux
développés à l’école. Le problème ne se pose pas, donc, en termes de
différences entre les élèves mais en termes d’usage de langage et de rapport
au langage sur la base de plusieurs facteurs.
Ces facteurs sont présents dans la définition de Bautier-Castaing (1981 : 03)
quand elle a abordé la possibilité pour les dialectes de devenir un sujet
d’étude linguistique :
«Nous définissons les pratiques langagières comme les manifestations
résultantes dans les activités de langage, de l’interaction des différents
facteurs linguistiques, psychologiques, sociaux, culturels, éducatifs, affectifs
qui sont constitutifs des caractéristiques individuelles ou de groupe ».
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Cela signifie que la pratique d’une langue donnée dans une région donnée
répond à plusieurs considérations, les une sont objectives et communes,
pouvant être partagées par un groupe de locuteurs, les autres sont subjectives
et individuelles comme celles qui ont trait à l’état psychologique ou affectif
d’un individu.
En examinant le contexte des pratiques langagières en Algérie et en
soulignant le rôle des facteurs cités ci-dessus, tout en se focalisant sur les
facteurs communs, nous déduisons les faits suivants :
-
-
-
Le facteur linguistique ne favorise pas le statut de l’arabe vu les
stéréotypes déjà indiqués concernant la nature complexe de cette
langue.
Le facteur sociologique favoriserait plutôt les différents dialectes qui
jouent le rôle de la langue maternelle, langue première, langue
référentielle et langue véhiculaire dans la plupart des situations de
communication servant de la compétence productive et active au
moment où l’arabe académique est confiné dans les documents
scolaires et administratifs, donc, dans des situations de
communication passive qui ne requièrent que de la réception, de
l’interprétation et de la compréhension sans exiger des compétences
productives, que ce soit écrites ou orales .
Le facteur affectif ne servirait pas tellement l’arabe,
car,
théoriquement, la seule langue envers laquelle l’individu éprouve
une affection particulière est la langue maternelle dans sa conception
la plus étroite, et dans laquelle il pense, il s’exprime, voire, il souffre.
Il y a lieu de remettre en question, en guise de conclusion, l’efficacité du
facteur pédagogique représenté par les contenus d’enseignement de l’ arabe
notamment dans le cycle secondaire qui constitue un tournant décisif pour le
passage à l’université , et leur concordance aux réalités sociolinguistiques
qui président, comme nous l’avons vu, les attitudes et les orientations des
apprenants. Si on examine, par exemple, le contenu du livre de la langue et
littérature arabes du niveau terminal, destiné a la filière des langues et
sciences humaines, on remarquera cette prédominance flagrante des textes
du type poétique, que ce soit de la poésie versifiée ou libre, au détriment
d’autres types de textes qui contribueront mieux à développer les
compétences communicationnelles et rédactionnelles des apprenants. Ce qui
nourrit, à notre avis, les discours épilinguistiques, et même, sociaux, générés
par le facteur d’attitude, déjà défini, et qui emprisonnent l’arabe dans la
fonction poétique. Nous débouchons, enfin, sur la nécessité de surmonter
cette vision traditionnelle et normative dans la conception des programmes
destinés à l’enseignement de l’arabe aux différents cycles scolaires, le
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meilleur exemple de l’échec étant les apprentis-traducteurs dont le niveau de
performance en arabe ne semble pas celui d’une langue décrite par les
théoriciens de la traduction comme le gage de leur réussite.
Références bibliographiques
Bautier-Castaing, 1981, (La Notion de Pratiques Langagières, un outil
heuristique pour une linguistique des dialectes sociaux) Langage et Société,
vol.15, num°15, p 3-35. ( www.persee.fr/web/revues). Consulté le : 06 /06/
2015. P. 04.
Dabène L, 1994. Repères Sociolinguistiques pour l’Apprentissage des
Langues. Paris: Hachette.
Durieux, Christine, 1996. Apprendre à Traduire, prérequis et testes, la
Maison du Dictionnaire. Paris.
Ladmiral, J .R, 1994. Traduire : Théorème pour la Traduction Paris, Petite
Bibliothèque Payot, n°366.
- Moreau, Marie-Louise (1997). Sociolinguistique, Concepts de base,
Mardaga.
Raby 2008. (Comprendre la Motivation en LV2): quelques repères venus
d’ici et d’ailleurs, Les Langues Modernes, no 3, p. 9-16.(www.aplvlanguesmodernes.org). Consulté le : 03/04 /2010.
Reuter, Yves et al, 2008. Dictionnaire des Concepts Fondamentaux des
Didactiques, De Boeck, édition Delta, Beyrouth, Liban.
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